Chapitre 4 – Le processus de règlement de grief militaire
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- Aperçu
- Le principal problème : les retards
- La Directive du CEMD pour l’amélioration du système de grief des FAC
- Les solutions applicables au processus de grief militaire actuel
- L’avis d’intention de déposer un grief et le règlement à l’amiable
- Le tri des griefs
- Les délais imposés à l’autorité initiale et les conséquences de leur non respect
- Les délais imposés à l’autorité de dernière instance et les conséquences de leur non respect
- Le dépôt, le suivi et le traitement des griefs par voie électronique et la participation des centres locaux des services de gestion des conflits et des plaintes
- La formation des militaires désignés, le soutien et la sensibilisation
- Les pouvoirs de redressement
- Les pouvoirs d’assignation
- Épilogue : Analyse d’une approche plus moderne
- Aperçu
- Les membres des Forces armées canadiennes (« FAC ») disposent d’un moins grand nombre de voies de redressement que les civils dans d’autres organisations. Ils ne peuvent pas se syndiquer ni par ailleurs négocier collectivement leurs conditions de travailNote de bas de page 681. Ils n’ont pas non plus de contrats d’emploi. Ils ne peuvent également pas s’adresser à un tribunal indépendant lorsqu’ils s’estiment lésés par une décision, un acte ou une omission des FACNote de bas de page 682.
- Le droit de déposer un grief individuel sur presque n’importe quel sujetNote de bas de page 683 auprès de leur chaîne de commandementNote de bas de page 684 constitue la principale voie de recours des membres des FAC. La plupart des griefs portent sur la rémunération et les avantages sociaux, les rapports d’appréciation du personnel (« RAP »), la gestion de carrière, la conduite, les conditions de service, les soins de santé, l’apprentissage et l’instruction, les mess et les instituts, et le recrutement et la sélectionNote de bas de page 685.
- Le processus de grief militaire est défini aux articles 29 à 29.28 de la LDN, au chapitre 7 des ORFC et dans la DOAD 2017-1, Processus de grief militaireNote de bas de page 686 (« DOAD 2017-1 »). Il peut être résumé ainsi :
- Avant de déposer un grief, les membres des FAC peuvent présenter un avis d’intention de déposer un grief à leur chaîne de commandement afin de résoudre le différend au plus bas échelon possible. L’avis d’intention de déposer un grief et le lancement du processus de règlement à l’amiable n’ont pas pour effet de suspendre les délais pour le dépôt d’un griefNote de bas de page 687.
- Les membres des FAC ont le droit de déposer un grief auprès de leur commandant dans les trois mois qui suivent la date à laquelle ils ont pris ou devraient raisonnablement avoir pris connaissance de la décision, de l’acte ou de l’omission qui fait l’objet du griefNote de bas de page 688. Le commandant, ou l’officier qui est son supérieur immédiat et qui a compétence à l’égard de la question faisant l’objet du grief (« autorité initiale » ou « autorités initiales »), peut cependant étudier le grief déposé après l’expiration de ce délai s’il est convaincu qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faireNote de bas de page 689.
- Le commandant d’un membre des FAC qui dépose un avis d’intention ou un grief doit désigner sans délai un miliaire désigné pour aider le plaignantNote de bas de page 690. Les centres des services de gestion des conflits et des plaintes (« SGCP »)Note de bas de page 691 peuvent aussi aider les plaignants avec le dépôt, le suivi et le règlement de leurs griefsNote de bas de page 692.
- Le commandant qui est saisi d’un grief doit décider s’il peut agir à titre d’autorité initiale à l’égard de celui-ci. Si le grief se rapporte à une décision, un acte ou une omission du commandant ou si le commandant ne peut pas accorder la réparation demandée par le plaignant, le commandant ne peut pas agir à titre d’autorité initiale. Le grief doit alors être renvoyé à l’Autorité des griefs des Forces canadiennes (« AGFC »), qui désignera l’autorité initiale appropriée. Les autorités initiales peuvent être à n’importe quel niveau entre les niveaux 1 et 4 de l’organigramme des FACNote de bas de page 693.
- Il incombe à l’autorité initiale de rendre une décision sur le grief dans un délai de quatre moisNote de bas de page 694. Si ce délai n’est pas respecté, le plaignant peut demander que son grief soit étudié et réglé par l’autorité de dernière instanceNote de bas de page 695, à savoir le CEMDNote de bas de page 696 ou un « officier qui relève directement de lui » et à qui le CEMD a délégué ses attributions à titre d’autorité de dernière instanceNote de bas de page 697. L’autorité initiale demeure saisie du grief tant que le plaignant n’a pas formulé une telle demande.
- Si l’autorité initiale accueille le grief, la procédure s’arrête là. Dans le cas contraire, le plaignant peut demander à l’autorité de dernière instance d’étudier et de régler le grief dans les 30 jours qui suivent la date où il reçoit la décision de l’autorité initialeNote de bas de page 698. L’autorité de dernière instance peut accepter d’étudier et de régler un grief qui a été déposé auprès de l’autorité initiale après l’expiration du délai si elle est convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faireNote de bas de page 699.
- L’autorité de dernière instance renvoie au Comité externe d’examen des griefs militaires (« CEEGM ») – un tribunal administratif indépendant – tout grief ayant trait à certaines questions, telles que les déductions de solde et d’indemnités; le retour à un grade inférieur ou la libération des FAC; les politiques concernant le harcèlement ou la conduite raciste; la solde, les indemnités et autres prestations financières; et le droit aux soins médicaux et dentairesNote de bas de page 700. L’autorité de dernière instance peut également renvoyer tout autre grief au CEEGM. Le CEEGM étudie les griefs militaires et formule ses conclusions et recommandations à l’autorité de dernière instance et au plaignantNote de bas de page 701.
- L’autorité de dernière instance n’est pas tenue de rendre une décision sur le grief dans un délai précis et n’est pas liée par les conclusions et recommandations du CEEGMNote de bas de page 702. Cependant, l’autorité de dernière instance « motive sa décision [si elle] s’écarte des conclusions et recommandations du [CEEGM] »Note de bas de page 703. La décision de l’autorité de dernière instance est définitive et exécutoire, mais peut faire l’objet d’un contrôle judiciaireNote de bas de page 704.
- Le pouvoir de l’autorité de dernière instance d’accorder une réparation est limité. Par exemple, l’autorité de dernière instance ne peut pas réintégrer (avec solde et avantages sociaux) des membres des FAC qui ont fait l’objet d’une libération entachée d’irrégularitésNote de bas de page 705, exercer son pouvoir pour verser des paiements à titre gracieux à un membre des FAC afin de pallier l’insuffisance apparente de n’importe quel instrument normatif (loi, règlement, politique, etc.)Note de bas de page 706 ou régler des réclamations contre la Couronne soulevées dans le cadre d’un griefNote de bas de page 707.
- On m’a dit que c’est pour lui permettre d’exercer son leadership sur tous les aspects de la vie des membres des FAC que le devoir de rendre des décisions sur les griefs militaires incombe à la chaîne de commandement. Ainsi, la chaîne de commandement montre à ses troupes qu’elle se préoccupe des problèmes auxquels elles font face, ce qui fait en sorte que les membres des FAC demeurent disposés à obéir aux ordres légitimes de leurs dirigeants. Le CEMD, en particulier, est responsable du bien-être et du moral de tous les membres des FAC. On dit donc qu’il doit être mis au courant de tous les griefs, que ce soit de façon directe ou indirecteNote de bas de page 708
- Le principal problème : les retards
- La présence et la perduration de retards inacceptables dans le processus de grief militaire des FAC constituent l’obstacle majeur à l’atteinte de ces objectifs.
- Le projet de loi C-25Note de bas de page 709, adopté en 1998, a donné lieu à l’établissement du processus de grief actuellement en vigueur, qui prévoit deux niveaux décisionnels (l’autorité initiale, puis l’autorité de dernière instance et le CEEGM). Comme l’a fait remarquer dans son rapport de 2003 le juge en chef Lamer, qui était l’autorité indépendante chargée du premier examen, « [l]a réduction des délais relatifs à la préparation des griefs était l’une des principales raisons d’être de la nouvelle procédure établie par le projet de loi C-25 »Note de bas de page 710. Celui-ci a conclu que la réforme avait en grande partie été un échec : « il rest[ait] de gros problèmes à régler, en particulier la présence persistante de retards inacceptables, les formalités administratives excessives et l’éternel manque de transparence »Note de bas de page 711.
- Le juge en chef Lamer a formulé cinq recommandations qu’il a qualifiées de « solutions » pour régler le problème des retards, particulièrement au niveau de l’autorité de dernière instanceNote de bas de page 712. Toutes les solutions, à l’exception d’une, laissaient aux FAC le soin de régler le problème à l’interne. Toutes les solutions à l’exception de cette dernière ont été mises en œuvre en partie ou en totalité.Note de bas de page 713
- La recommandation qui n’a pas été mise en œuvre est celle qui visait à tenir la chaîne de commandement responsable aux deux niveaux du processus de grief. Le juge en chef Lamer a recommandé qu’« un délai de 12 mois s’applique aux décisions relatives à un grief, qui court depuis la date de présentation du grief au commandant jusqu’à la décision du chef d’état-major de la Défense ou de son délégué »Note de bas de page 714. Il a ajouté qu’en cas de « non-respect du délai d’un an, à l’exception des griefs que le chef d’état-major de la Défense doit lui-même trancher, le plaignant devrait avoir le droit de s’adresser à la Cour fédérale »Note de bas de page 715. À ce jour, l’autorité de dernière instance n’est pas assujettie à des délais ou à une surveillance indépendante autre que le contrôle judiciaire.
- Le juge en chef LeSage, l’autorité indépendante chargée du deuxième examen, a présenté son rapport en 2011. Au moment de son rapport, la plupart des recommandations du juge en chef Lamer n’avaient pas encore été mises en œuvre. Et la situation ne s’était pas améliorée : « [m]alheureusement, bon nombre des mêmes préoccupations ont été exprimées par des membres des FC dans les bases où je me suis rendu à l’été 2011 et aussi dans les mémoires qui m’ont été transmis, soit maintenant huit ans après la publication du Rapport Lamer »Note de bas de page 716.
- Les solutions préconisées par les FAC étaient de réduire le délai pour le dépôt d’un grief et de faire passer de trois à quatre mois le délai dans lequel l’autorité initiale doit répondre au griefNote de bas de page 717. Le juge en chef LeSage a appuyé ces solutions. Toutefois, il a également répété la recommandation de son prédécesseur selon laquelle il faudrait établir un délai d’un an du début à la fin de la procédure :
- Il faudrait établir un délai [d’un] an, à partir de la date où le grief est déposé jusqu’à la date où une décision est rendue par le CEMD ou son représentant pour obtenir une décision relative à un grief. Je recommande également que le membre lésé soit régulièrement tenu au courant du suivi de son grief.Note de bas de page 718
- Cette recommandation a subi le même sort que la recommandation identique formulée par le juge en chef Lamer.
- Il s’est écoulé 18 ans depuis le premier examen indépendant et 10 ans depuis le deuxième examen indépendant. Or, la situation ne s’est pas améliorée. J’ai rencontré de nombreux membres des FAC qui se sont plaints des retards qui surviennent dans le processus de grief. Les données à cet égard sont également décevantes. Dans une directive datée du 3 mars 2021, le chef d’état-major de la défense par intérim (« CEMD par intérim ») a reconnu que le problème des retards n’a pas encore été réglé :
- 4. Au 1[er] février 2021, il y avait 654 griefs enregistrés au niveau de l’autorité initiale (AI) et 696 griefs enregistrés au niveau de l’autorité de dernière instance (ADI), pour un total de 1 350 griefs en attente de résolution dans l’ensemble des FAC. Malgré les défis auxquels nous faisons face, du[s] aux demandes opérationnelles, aux contraintes de ressource et aux menaces stratégiques tel[le]s que la COVID-19, c’est inacceptable, et cela ne contribue guère à inspirer la confiance à nos marins, soldats, et aviateurs. Nous devons collectivement faire mieux. La façon dont nous répondrons à ce défi aura des conséquences, soi[t] positive[s] ou négative[s], sur notre crédibilité institutionnelle de même que sur notre habileté à reconstruire la confiance de ceux que nous dirigeonsNote de bas de page 719.
- Bien que l’autorité initiale soit tenue de rendre une décision sur les griefs dans un délai de quatre mois, un allongement des délais a été observé à ce niveau décisionnel au cours des dernières années. En effet, si le délai moyen était de 200 jours en 2017 (ou environ six mois et demi), il était de 267 jours en 2019 (ou environ huit mois et trois quarts), plus du double du délai prescrit.
- J’ai également été informé de nombreux griefs étant demeurés au niveau de l’autorité de dernière instance pendant plusieurs années. Dans un des cas portés à mon attention, un membre des FAC n’était pas d’accord avec sa libération pour des raisons médicales. Il a déposé un grief en octobre 2009. Il s’est écoulé deux années avant que l’autorité initiale rejette son grief en novembre 2011. Il s’est écoulé deux autres années avant que l’autorité de dernière instance confirme cette décision en novembre 2013. La procédure devant la Cour fédérale a été plus rapide. La Cour fédérale a instruit la demande de contrôle judiciaire du plaignant en octobre 2014 et a annulé la décision de l’autorité de dernière instance en décembre 2014. Le dossier a été renvoyé au CEMD, à qui la Cour a ordonné qu’il prenne les dispositions qui s’imposent pour que « l’examen administratif ayant mené à la libération du demandeur soit repris du début par des intervenants différents »Note de bas de page 720. Plus de six années plus tard, l’affaire est encore en suspensNote de bas de page 721.
- Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres. J’ai été informé de plusieurs autres griefs qui ont été renvoyés à l’autorité de dernière instance entre 2012 et 2015 et qui n’ont toujours pas été réglés en 2021. Certains de ces griefs touchent des questions difficiles de politique publique et de droits fondamentaux. D’autres semblent porter sur des questions plus simples, comme la gestion de carrière et la rémunération et les avantages sociaux. Quelle que soit toutefois la complexité du grief, il est difficile de justifier des retards de la sorte.
- La Directive du CEMD pour l’amélioration du système de grief des FAC
- Le CEMD a émis sa directive le 3 mars 2021, deux mois avant le dépôt de ce Rapport. Il y reconnaît que le problème des retards dans le processus de grief est « inacceptable » et propose un autre plan d’action pour aider à résoudre ce problème. L’AGFC admet que mon examen a eu une incidence sur la date d’émission de la directive du CEMD. L’AGFC admet également que les retards dans le processus de grief n’ont pas été une priorité au cours des dix dernières années :
- [traduction] Il est reconnu que le [système de grief des FAC] n’a évolué que de façon progressive depuis le dernier examen indépendant mené en 2011. Vous vous demandez peut-être pourquoi un plan d’action vient d’être établi et doit être mis en œuvre au cours des prochains mois, alors que l’examen est sur le point de commencer. Le CEMD prend des décisions tous les jours quant à la priorisation des efforts. Il suffit de penser au rapport Deschamps et aux efforts qui sont déployés en ce moment pour lutter contre les conduites haineuses et la violence en milieu de travail et faire valoir les droits des victimes pour comprendre l’importance des problèmes auxquels les FAC font face, alors qu’elles s’efforcent de continuer de refléter la société qu’elles représentent. Cela dit, la décision de ne procéder que de façon progressive à la modification du [système de grief des FAC] à la suite de l’examen de 2011 visait dans une certaine mesure à gérer les risques compte tenu du grand nombre de changements institutionnels beaucoup plus pressants qui étaient nécessaires dans d’autres domainesNote de bas de page 722.
- Pour résoudre ce problème, la directive du CEMD propose de « considérer de faire passer les délais de prise de décision aux niveaux N3/N4 de 120 à 90 jours » si, après huit mois, les autorités initiales n’ont pas réglé 60 pour cent des griefs dont elles sont saisies dans le délai de quatre mois qui leur est impartiNote de bas de page 723. Il propose également d’« accorder aux [autorités initiales] de niveau N1 et les N2 du [chef du personnel militaire] 180 jours pour rendre une décision » au lieu de 120 joursNote de bas de page 724.
- Par ailleurs, le CEMD par intérim reconnaît dans sa directive qu’« une augmentation des délais de décisions des [autorités initiales] dans le cadre d’un précédent examen indépendant de la LDN [que les FAC avaient préconisée] a finalement entraîné un taux de conformité plus faible »Note de bas de page 725. Il est donc difficile de s’imaginer qu’une réduction des délais imposés aux autorités initiales d’un niveau inférieur – ou une prolongation des délais imposés aux autorités initiales d’un niveau supérieur – aurait un autre effet. Le principal problème ne réside pas dans la durée des délais, mais plutôt dans l’absence de conséquences significatives s’ils ne sont pas respectés.
- Aux termes de la directive du CEMD, les autorités initiales de niveaux 3 et 4 qui dépassent le délai qui leur est alloué pour rendre une décision doivent en informer leurs supérieursNote de bas de page 726. Cependant, j’imagine que les officiers supérieurs savent déjà très bien que leurs subordonnés qui agissent comme autorités initiales respectent peu les délais qui leur sont imposés. L’accroissement de la transparence de la manière proposée dans la directive du CEMD a une certaine valeur, mais je ne crois pas que cette solution contribuerait de façon importante à régler le problème des retards.
- Au niveau de l’autorité de dernière instance, la directive du CEMD mentionne la « création d’une petite équipe d’intervention et le développement d’un processus accéléré pour les dossiers à faible risque qui verra les lettres de décision passer des 6 à 22 pages habituelles à 2 à 4 »Note de bas de page 727. Je comprends que des mesures semblables ont été prises par le passé, notamment au cours de l’opération RESOLUTION, qui visait à réduire le volume de griefs arriérés au niveau de l’autorité initialeNote de bas de page 728. Bien que les griefs arriérés aient grâce à cette opération pu être réduits pendant un certain temps, l’accumulation a subséquemment repris, ce qui a mené à la situation actuelleNote de bas de page 729.
- Pour le reste, la directive du CEMD répète certains des éléments du processus de grief qui sont prévus dans les ORFC et dans la DOAD 2017-1Note de bas de page 730 ou énonce des aspirationsNote de bas de page 731. Elle ne prévoit pas l’affectation de ressources supplémentaires pour résoudre le problème des retardsNote de bas de page 732. Je doute que l’on puisse atteindre les aspirations établies dans la directive du CEMD sans ressources supplémentaires.
- Cependant, la directive du CEMD met également de l’avant deux initiatives qui concordent avec ce que j’ai entendu de certains dirigeants des FAC, de membres des FAC, d’analystes de grief, de membres du personnel des centres des SGCP et d’autres experts. Ces initiatives consistent en l’adoption d’un processus de voie alternative pour les griefs axés sur les politiques et d’un processus simplifié pour les griefs ayant trait aux RAP. Je reviendrai sur ces initiatives ci-dessous.
- Les solutions applicables au processus de grief militaire actuel
- L’avis d’intention de déposer un grief et le règlement à l’amiable
- Un avis d’intention de déposer un grief peut être présenté avant le dépôt d’un grief officiel. Cet avis vise à garantir que « tous les efforts possibles [sont déployés] pour résoudre les problèmes dès que possible, localement et de façon informelle, avant de passer à des échelons supérieurs et plus officiels »Note de bas de page 733. Si cette pratique fonctionne bien, l’utilisation de l’avis d’intention peut permettre d’alléger le processus de grief. C’est d’ailleurs pour cette raison que le juge en chef LeSage a indiqué dans son rapport qu’il « invit[ait] tous les membres lésés à utiliser [...] l’avis d’intention, [...] et la chaîne de commandement à l’accueillir favorablement et à l’utiliser comme outil pratique pour régler d’emblée ce qui risque autrement de devenir une procédure longue et fastidieuse »Note de bas de page 734.
- On a porté à mon attention certains problèmes liés à cette procédure.
- Des analystes de griefsNote de bas de page 735 et des membres du personnel des centres des SGCP m’ont dit que la chaîne de commandement ne réagit pas toujours à la réception d’un avis d’intention de déposer un grief; que les intermédiaires entre le plaignant et le commandant essaient souvent de régler le problème avant le dépôt d’un grief officiel sans en informer le commandant afin de le « protéger »; et que le recours aux centres des SGCP, qui peuvent orienter les membres des FAC, n’est pas assez fréquentNote de bas de page 736. De façon plus importante encore, ils soutiennent également que l’étape de l’avis d’intention devrait être obligatoire.
- Je conviens que le fait de rendre obligatoire l’avis d’intention de déposer un grief comporterait d’importants avantages. Cela permettrait à la chaîne de commandement et aux membres du personnel des centres des SGCP de s’assurer qu’un problème peut effectivement faire l’objet d’un grief; d’établir des conditions pour le règlement à l’amiable; de veiller à ce qu’un militaire soit désigné dès le début de la procédure pour aider le plaignant; et d’informer les commandants des questions relevant de leur commandement sans mettre en branle le processus officiel. Un avis d’intention obligatoire permettrait également de s’assurer que les griefs soient utilisés lorsqu’il n’y a « aucun autre recours de réparation », ce qui fait partie intégrante de la définition même d’un griefNote de bas de page 737. Les plaignants ne devraient pas avoir le droit de déposer un grief à l’égard d’un problème que la chaîne de commandement est disposée à résoudre et capable de résoudre.
- Enfin, des membres des FAC m’ont dit qu’ils avaient participé au processus de règlement à l’amiable pendant un long moment avant d’apprendre que leur délai de 90 jours pour le dépôt d’un grief était expiréNote de bas de page 738. Cette situation ne contribue guère à promouvoir le règlement à l’amiable des griefs ni à instaurer la confiance envers le processusNote de bas de page 739.
- Recommandation #86. Les membres des Forces armées canadiennes qui ont l’intention de déposer un grief devraient être tenus de présenter un avis d’intention de déposer un grief. L’avis d’intention de déposer un grief devrait être envoyé directement aux commandants de ces membres, avec une copie au centre local des services de gestion des conflits et des plaintes. La présentation d’un avis d’intention de déposer un grief devrait avoir pour effet de suspendre le délai dans lequel un grief doit être déposé. Les Forces armées canadiennes devraient déterminer les modalités de la suspension et de la reprise des délais en consultation avec la Gestion intégrée des conflits et des plaintes. Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes et la DOAD 2017-1, Processus de grief militaire devraient être modifiés en conséquence.
- Un autre problème a également été porté à mon attention, soit le fait que tous les renseignements pertinents ne sont pas communiqués aux plaignants pendant le processus de règlement à l’amiable. Ce problème pourrait donner lieu à un déséquilibre du fait que les parties ne disposent pas des mêmes renseignements. Or, ce déséquilibre ne concorde pas avec l’objectif du processus de grief qui, comme l’a mentionné le juge en chef Lamer, doit « être abord[é] par le plaignant, les Forces canadiennes, notamment le CEMD et l’Autorité des griefs des Forces canadiennes (l’AGFC), ainsi que le Comité des griefs dans un esprit de collaboration »Note de bas de page 740.
- Il est indiqué à l’article 4.1 de la DOAD 2017-1 qu’« il faut déployer tous les efforts possibles pour résoudre les problèmes dès que possible, localement et de façon informelle ». Les parties devraient donc être tenues de participer de bonne foi au processus, d’agir en toute transparence, notamment en ce qui concerne les renseignements en leur possession, et de coopérer activement à la recherche d’une solution.
- Le tri des griefs
- De nombreux officiers hauts gradés, membres des FAC et commentateurs externes ont affirmé qu’un système de tri devrait être mis en oeuvre afin que des processus différents puissent être développés pour différentes catégories de griefs (par exemple, les griefs relatifs aux RAP, les griefs portant sur des politiques, les griefs concernant une libération entachée d’irrégularités, les griefs d’intérêt général, etc.).
- La directive du CEMD établit un processus de « voie alternative » qui permettrait de détourner les griefs « pour le[s]quel[s] la seule réparation au plaignant serait […] qu’une politique du [Conseil du Trésor] soit modifiée ou interprétée de manière contraire au langage clair de l’article » – et non ceux qui n’exigent que l’interprétation ou l’application de politiques – du processus de grief au moment de leur transmission à l’autorité initiale ou avantNote de bas de page 741. Selon ce processus de « voie alternative », les griefs à l’égard desquels l’autorité de dernière instance n’a aucun pouvoir d’accorder une réparationNote de bas de page 742 seraient repérés rapidement et renvoyés à un autre processus pour faire l’objet d’une analyse centrée sur la politique. L’obligation de présenter un avis d’intention de déposer un grief serait très utile à cet égard.
- Cette initiative permettrait d’atteindre deux objectifs importants.
- En premier lieu, bien que ce type de griefs représente moins de 1 pour cent du nombre total de griefsNote de bas de page 743, ils sont souvent complexes. Leur traitement au moyen d’un autre processus que le processus de grief permettrait de réduire la charge de travail des autorités initiales et de l’autorité de dernière instance.
- En deuxième lieu, et c’est le point le plus important, ce processus aiderait à cerner les problèmes systémiques et les injustices découlant des politiques du Conseil du Trésor et d’autres instruments gouvernementaux dès le début du processus. Du même coup, cela permettrait au CEMD de mobiliser les « agences externes afin de donner du poids aux changements recherchés »Note de bas de page 744.
- Les délais imposés à l’autorité initiale et les conséquences de leur non-respect
- Si l’autorité initiale ne statue pas sur un grief dans le délai qui lui est imparti, le plaignant a le droit de demander que son grief soit réglé par l’autorité de dernière instance. Or, cette solution est à double tranchant, car aucun délai n’est imposé à l’autorité de dernière instance. De nombreux membres des FAC préfèrent donc que l’autorité initiale demeure saisie de leurs griefs, alors que d’autres se sentent forcés d’attendre qu’elle rende une décision. Même ceux qui ne ressentent pas cette pression se sentent obligés de laisser plus de temps à l’autorité initiale lorsqu’elle le leur demande car, après tout, elle fait partie de leur chaîne de commandement. Ces préoccupations sont légitimes. Je crois que des conséquences plus significatives devraient être imposées aux autorités initiales si elles ne respectent pas les délais.
- Une conséquence possible serait que le grief soit réputé rejeté s’il n’est pas réglé dans le délai prescrit de quatre mois. Le plaignant en serait alors informé et il pourrait renvoyer son grief à l’autorité de dernière instance. Des retards systémiques au niveau de l’autorité initiale accroîtraient – de façon évitable – la charge de travail de l’autorité de dernière instance. Ceci pourrait fortement inciter les autorités initiales à rendre promptement des décisions sur les griefs.
- On pourrait toutefois soutenir que certains griefs sont difficiles à régler dans un délai de quatre mois, que ce soit « en raison de la nature du grief ou des exigences du service »Note de bas de page 745. Ce problème pourrait être résolu en permettant à l’autorité initiale de demander à un acteur indépendant – le CEEGM, par exemple – de prolonger ce délaiNote de bas de page 746. Une autre solution – celle que je préfère d’ailleurs – serait de permettre à l’autorité initiale de demander une prolongation du délai au plaignant par écrit, en transmettant une copie de sa demande au centre local des SGCP pour qu’il puisse conseiller le plaignant. Il devrait être énoncé dans cette demande que le plaignant n’est pas obligé de consentir à la prolongation du délai et qu’il ne peut faire l’objet de représailles d’aucune sorte s’il refuse.
- J’estime que cette solution établirait le meilleur équilibre entre les intérêts des plaignants et les intérêts des FAC : elle favorise la responsabilisation et aide à résoudre le problème des retards au niveau de l’autorité initiale tout en permettant aux FAC de conserver leur rôle de direction dans le processus.
- Recommandation #87. L’autorité initiale devrait pouvoir demander une prolongation de son délai au plaignant. Cette demande devrait énoncer que le plaignant n’est pas obligé de consentir à la prolongation du délai et qu’il ne peut faire l’objet de représailles d’aucune sorte s’il refuse. La demande devrait être faite par écrit et transmise directement au plaignant, avec une copie au centre local des services de gestion des conflits et des plaintes.
- Le grief devrait être réputé avoir été rejeté si l’autorité initiale n’a pas rendu sa décision ou demandé une prolongation de délai au plaignant dans le délai qui lui était imparti pour étudier et régler le grief.
- Il existe une autre solution pour résoudre le problème des retards au niveau de l’autorité initiale. Les ORFC prévoient un seul délai de quatre mois pour le règlement de tous les griefs soumis à l’autorité initialeNote de bas de page 747. Il s’agit d’un long délai, particulièrement pour les griefs moins complexes, qui constituent la majeure partie de la charge de travail.
- Étant donné que la prolongation de 60 à 120 jours du délai alloué à l’autorité initiale n’a pas eu les résultats escomptésNote de bas de page 748 et que les autorités initiales devraient maintenant pouvoir demander aux plaignants de prolonger le délai qui leur est imparti, j’aurais normalement proposé de réduire à 90 jours le délai d’application générale.
- Cependant, un plan provisoire est proposé dans la directive du CEMD. On y indique que les autorités initiales des niveaux 3 et 4 ont huit mois pour atteindre un taux de conformité d’au moins 60 pour cent, faute de quoi le CEMD par intérim envisagera de réduire le délai qui leur est alloué en le faisant passer de 120 à 90 jours. J’aurais fixé un taux de conformité plus élevé, mais je salue tout de même cette initiative. Je recommanderais toutefois de fixer automatiquement le délai à 90 jours dans les règlements si le taux de conformité prescrit n’est pas atteint, et ce, quel que soit le niveau ou l’identité de l’autorité initiale.
- Recommandation #88. Si les autorités initiales n’atteignent pas l’objectif et l’échéancier établi à l’alinéa 13a) de la Directive du CEMD pour l’amélioration du système de grief des FAC en ce qui a trait à leur taux de conformité aux délais prévus au paragraphe 7.15(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes et à l’article 9.8 de la DOAD 2017-1, Processus de grief militaire, ces dispositions devraient être modifiées afin d’établir qu’une autorité initiale doit étudier et régler un grief dans les 90 jours suivant sa réception.
- J’aurais également été enclin à recommander l’établissement d’un délai plus court de 60 jours pour les griefs relatifs aux RAP, qui sont moins complexes et prennent moins de temps à régler. Or, une autre proposition est formulée dans la directive du CEMD : « Le développement d’une procédure de règlemen[t] des griefs en dehors du [processus de grief des FAC]. […] L’intention est de créer un processus qui maintient la majorité des RAP hors du SGFAC tout en offrant aux membres une équité procédurale, en minimisant la perception de partialité et en donnant aux membres une voix »Note de bas de page 749.
- Cette initiative cadre avec la recommandation du juge en chef LeSage selon laquelle « [i]l faut songer à instaurer une procédure “accélérée” pour traiter les griefs relatifs aux [RAP] »Note de bas de page 750. Toutefois, il faudra s’assurer que les principes de justice fondamentale soient respectés lors de la création de cette procédure de règlement alternative.
- Les délais imposés à l’autorité de dernière instance et les conséquences de leur non-respect
- Aucun délai n’est imposé à l’autorité de dernière instance pour le règlement des griefs. Pour résoudre ce problème, mes deux prédécesseurs ont recommandé d’imposer un délai d’un an à partir de la date de présentation du grief au commandant jusqu’à la date de la décision de l’autorité de dernière instance.
- Je suis d’accord avec mes prédécesseurs qu’un délai devrait être imposé à l’autorité de dernière instance. Je suis également d’avis qu’il devrait y avoir des conséquences si ce délai n’est pas respecté.
- On m’a suggéré que les conclusions et recommandations du CEEGM devraient être considérées comme acceptées si l’autorité de dernière instance ne respecte pas le délai qui lui est alloué. Je souscris à cette solution, d’autant plus que l’autorité de dernière instance est d’accord ou partiellement d’accord avec les conclusions et recommandations du CEEGM dans 90 pour cent des casNote de bas de page 751.
- Je recommande également d’appliquer cette règle d’acceptation réputée après 90 jours. En effet, après avoir reçu les conclusions et recommandations du CEEGM, l’autorité de dernière instance ne devrait pas avoir besoin de beaucoup de temps pour déterminer si elle les accepte ou non. Si elle refuse de les accepter, elle devrait continuer d’être tenue de fournir les motifs de son refus.
- Recommandation #89. La Loi sur la défense nationale, les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes et la DOAD 2017-1, Processus de grief militaire, devraient être modifiés afin d’établir que l’autorité de dernière instance doit étudier et régler un grief dans les 90 jours suivant la réception des conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires.
- Lorsque l’autorité de dernière instance ne respecte pas ce délai, les conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires devraient être réputées constituer la décision de l’autorité de dernière instance.
- Mais qu’en est-il des griefs qui ne sont pas examinés par le CEEGM? La solution recommandée par le juge en chef Lamer pourrait être adoptée : si l’autorité de dernière instance ne respecte pas le délai qui lui est imparti, « le plaignant devrait avoir le droit de s’adresser à la Cour fédérale »Note de bas de page 752. Je préfère toutefois adopter une autre recommandation du CEEGM qui permettrait de résoudre cette problématique. Le CEEGM a recommandé que :
- [traduction] la LDN et les règlements y afférents soient modifiés afin de préciser que tous les griefs transmis à l’autorité de dernière instance, sauf ceux relatifs aux RAP, doivent être examinés par le Comité avant qu’une décision définitive soit rendue. Ainsi, tous les griefs dont est saisie l’autorité de dernière instance seraient soumis au même processus et bénéficieraient des conseils externes indépendants du Comité. Essentiellement, cela signifie que les membres des FAC auraient un accès égal à un examen impartial, ce qui contribuerait à augmenter davantage la confiance envers le système de griefsNote de bas de page 753.
- Je suis d’accord avec cette recommandationNote de bas de page 754. Elle est compatible avec l’approche de principe mentionnée par le juge en chef LeSage, qui était « de permettre à toutes les personnes lésées de faire examiner leur grief par un organisme externe »Note de bas de page 755.
- Recommandation #90. La Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devraient être modifiés afin d’établir que tous les griefs renvoyés à l’autorité de dernière instance devraient être examinés par le Comité externe d’examen des griefs militaires avant que l’autorité de dernière instance les étudie et rende une décision à leur égard.
- Le dépôt, le suivi et le traitement des griefs par voie électronique et la participation des centres locaux des services de gestion des conflits et des plaintes
- Des membres des FAC, des analystes de griefs et des membres du personnel des centres des SGCP m’ont informé qu’en dépit des progrès réalisés grâce à la mise en place du Système intégré de gestion et d’enregistrement des plaintes, une grande partie du processus de grief n’est pas encore entièrement numérisée. De fait, ni les griefs ni les renseignements échangés entre les parties n’ont à être déposés, suivis ou transmis par voie électronique. Je comprends qu’une partie du processus de grief militaire repose encore sur des documents papier. Il est donc plus difficile pour toutes les personnes concernées de faire le suivi des griefs dans le système.
- En 2021, je crois que tous les efforts possibles devraient être faits pour avoir un système entièrement numérisé, particulièrement au sein des FAC, qui sont très versées en technologie et dont les membres sont dispersés dans tout le pays et dans le monde entier.
- Un système électronique entièrement numérisé comporterait de nombreux avantages. On m’a informé que la participation des centres locaux des SGCP est inégale parce que leurs agents ne sont pas toujours mis au courant de la présentation d’un avis d’intention de déposer un grief. Les agents des SGCP sont des ressources très utiles pour les plaignants, leur chaîne de commandement et les personnes qui font l’objet de griefs. Si les agents des SGCP étaient informés dès qu’un avis d’intention de déposer un grief est présenté, ils pourraient aider les membres des FAC à régler leurs différends de manière informelle, à préparer leurs griefs et à s’y retrouver dans le processus de grief formel. Il serait ainsi possible de mieux définir les plaintes, d’éviter l’introduction de griefs qui ne sont pas fondés ou pour lesquels il est impossible d’accorder une réparation et de clarifier le processus. L’utilisation de dossiers électroniques permettrait également de surveiller le respect des délais. On m’a dit qu’il faudrait s’assurer du respect des exigences en matière de protection des renseignements personnels. Il s’agit là de problèmes pratiques qui peuvent être résolus.
- Recommandation #91. Le processus de grief militaire devrait être entièrement numérisé. Les membres des Forces armées canadiennes devraient transmettre leurs avis d’intention de déposer un grief et leurs griefs par voie électronique seulement, directement à leur commandant, avec une copie au centre local des services de gestion des conflits et des plaintes.
- Tous les documents échangés entre le plaignant, l’autorité initiale et l’autorité de dernière instance devraient être enregistrés dans un dossier électronique auquel le plaignant, son commandant, l’autorité initiale, l’autorité de dernière instance et le centre local des services de gestion des conflits et des plaintes devraient avoir accès.
- La formation des militaires désignés, le soutien et la sensibilisation
- De nombreux officiers et militaires du rang des FAC, y compris des officiers supérieurs, ainsi que des analystes de griefs et des membres du personnel des centres des SGCP m’ont dit que la formation offerte aux militaires désignés pour aider les plaignants devrait être améliorée. Certains d’entre eux ont recommandé que cette formation soit obligatoire et que son contenu soit fondé sur le cours qui est actuellement offert aux analystes de griefs.
- Avec la création des centres des SGCP, je me demande si le rôle joué par les militaires désignés est encore utile. Ce rôle constitue-t-il une utilisation valable de leur temps ou devrait-il être assumé par des agents spécialisés des SGCP? Je n’ai pas entendu suffisamment d’observations au sujet de leurs rôles respectifs pour formuler une recommandation ferme sur ce point.
- Recommandation #92. Les Forces armées canadiennes devraient examiner les rôles respectifs des militaires désignés et des agents des services de gestion des conflits et des plaintes pour déterminer si les militaires désignés jouent encore un rôle utile dans le processus de grief militaire.
- Si tel est le cas, une Formation et attestation de militaire désigné officielle devrait être développée et mener à une attestation renouvelable. Cette formation devrait comprendre des exercices pratiques.
- Chaque unité des Forces armées canadiennes devrait établir une liste de militaires désignés ayant réussi la Formation et attestation de militaire désigné. Les plaignants devraient être invités à choisir leurs militaires désignés parmi ceux dont les noms figurent sur cette liste. Cependant, les plaignants devraient préserver le droit de demander la désignation d’autres personnes pour les aider après avoir été informés du fait qu’elles n’ont ni été formées, ni été attestées. Lorsque les circonstances le permettent, des efforts devraient néanmoins être faits pour offrir la Formation et attestation de militaire désigné aux personnes désignées bien qu’elles n’aient pas figuré sur la liste.
- Les Forces armées canadiennes devraient veiller à ce que les militaires désignés disposent de suffisamment de temps, compte tenu de leurs autres tâches, pour aider adéquatement les plaignants à préparer leur grief et à s’y retrouver dans le processus.
- Il a également été proposé que la formation offerte à tous les membres des FAC inclue un volet sur le processus de grief militaire. Plus particulièrement, il a été recommandé que chaque membre des FAC soit informé de l’existence et des fonctions des centres des SGCP lors de chaque période des affectations. Cette proposition est valable puisque les membres des FAC doivent exercer leur droit de déposer un grief de façon individuelle, sans l’aide d’un syndicat.
- Recommandation #93. Un volet sur le processus de grief militaire devrait être inclus dans le programme de formation des recrues des Forces armées canadiennes. Ce volet devrait inclure des renseignements concernant les sujets qui peuvent faire l’objet d’un grief, les limites des pouvoirs de redressement de l’autorité initiale et de l’autorité de dernière instance, la procédure et les délais applicables aux griefs, ainsi que les droits du plaignant pendant le processus de grief militaire et au-delà de celui-ci (y compris le contrôle judiciaire).
- Recommandation #94. Les centres des services de gestion des conflits et des plaintes devraient organiser des activités de sensibilisation au cours de chaque période des affectations afin d’informer les membres des Forces armées canadiennes affectés aux unités locales de leur existence et de leurs fonctions.
- Les pouvoirs de redressement
- Le CEEGM et d’autres ont signalé que la LDN ne confère pas à l’autorité de dernière instance des pouvoirs de redressement adéquats, y compris le pouvoir d’accorder une indemnité financière à titre de redressement suite à un grief. Ce problème a d’ailleurs été soulevé et par le juge en chef LamerNote de bas de page 756 et par le juge en chef LeSageNote de bas de page 757.
- J’ai déjà mentionné que le processus de voie alternative proposé pour le règlement des griefs « pour le[s]quel[s] la seule réparation au plaignant serait […] qu’une politique du [Conseil du Trésor] soit modifiée ou interprétée de manière contraire au langage clair de l’article » devrait permettre au CEMD de mobiliser des agences externes dans le cadre de la poursuite de réformes. Ce processus pourrait résoudre d’une autre façon la question de savoir si le CEMD devrait avoir le pouvoir d’autoriser le versement de paiements à titre gracieux pour combler des lacunes perçues dans les instruments gouvernementaux. Je suis également d’avis que la question de savoir si l’autorité de dernière instance devrait se voir accorder le pouvoir de régler des réclamations contre la Couronne s’écarte quelque peu des limites de mon mandat.
- Il convient toutefois de se pencher immédiatement sur l’absence de pouvoir de réintégrer les membres des FAC qui ont fait l’objet d’une libération entachée d’irrégularités. Le paragraphe 30(4) actuel de la LDN prévoit la réintégration des membres des FAC lorsque ceux-ci ont fait l’objet de mesures disciplinaires. En effet, cette disposition prévoit que les membres des FAC sont alors « réputé[s], pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi, ne pas avoir été libéré[s] ou transféré[s] ».
- En 2013, le projet de loi C-15 a édicté une modification élargissant ce pouvoir afin qu’il puisse être appliqué aux libérations pour des raisons administratives :
- 12 Le paragraphe 30(4) de la même loi est remplacé par ce qui suit :
- Réintégration
- (4) Sous réserve des règlements du gouverneur en conseil, le chef d’état-major de la défense peut, avec le consentement de l’officier ou du militaire du rang, annuler la libération ou le transfert de celui-ci, s’il est convaincu que la libération ou le transfert est entaché d’irrégularités.
- Effet
- (5) Si la libération ou le transfert est annulé, l’officier ou le militaire du rang est réputé, sous réserve des règlements du gouverneur en conseil et pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi, ne pas avoir été libéré ou transféré.
- Ces modifications ne sont toujours pas en vigueur, ce qui est injuste pour les membres des FAC qui ont fait l’objet d’une libération entachée d’irrégularités. Pire encore, ces modifications pourraient être abrogées en 2022 en vertu de la Loi sur l’abrogation des loisNote de bas de page 758. On ne devrait pas permettre à ceci d’arriver.
- Recommandation #95. L’article 12 de la Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada, LC 2013, c 24 devrait entrer en vigueur sans autre délai.
- Les pouvoirs d’assignation
- Le CEEGM a fait observer que, selon l’article 29.21 de la LDN, il ne peut pas contraindre une tierce partie à communiquer un document en sa possession s’il ne tient pas une audience. Il affirme que cette exigence [traduction] « n’est ni pratique ni efficace étant donné que le Comité examine habituellement la grande majorité des griefs en tenant compte des éléments de preuve écrits, sans tenir une audience »Note de bas de page 759. Une recommandation à cet effet a aussi été formulée dans le rapport LamerNote de bas de page 760. Il s’agit d’un anachronisme qui devrait être corrigé.
- Recommandation #96. L’article 29.21 de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié afin de permettre au Comité externe d’examen des griefs militaires d’ordonner la production de documents et pièces sans qu’il n’ait l’obligation de tenir une audience.
- Épilogue : Analyse d’une approche plus moderne
- De nombreux instruments garantissent le droit fondamental d’un individu à la détermination de ses droits et obligations par un tribunal indépendantNote de bas de page 761. Cependant, ce droit n’est actuellement pas conféré aux membres des FAC en ce qui concerne les différends liés à leurs conditions de travailNote de bas de page 762. Leur accorder ce droit ne nuirait pas aux besoins opérationnels des FAC. Cela permettrait plutôt d’accroître la confiance des membres des FAC en ce qui a trait à l’équité et à l’impartialité de leur principale voie de recours en cas de traitement injuste ou injustifié. Il me semble qu’une telle mesure permettrait d’accroître plutôt que de miner la discipline et le moral des troupes. Pour ce qui est de l’efficacité, je n’ai nul besoin de répéter que le traitement des griefs à l’interne a engendré des retards inacceptables depuis des décennies.
- La plupart des civils n’accepteraient jamais que leur employeur ait le dernier mot à l’égard des différends concernant leur rémunération, leurs avantages sociaux ou leur congédiementNote de bas de page 763. Il n’existe aucune raison convaincante pour que les soldats acceptent une telle chose. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans la section de son rapport traitant du système de griefs des FAC, « [l]es soldats ne sont pas des citoyens de seconde classe »Note de bas de page 764.
- La sous-ministre de la Défense nationale convient avec moi qu’il est temps d’envisager la possibilité de permettre aux plaignants de s’adresser à un tribunal indépendant. Le juge en chef LeSage, qui a étudié le système de griefs des FACNote de bas de page 765 et qui est depuis au fait des difficultés associées à ce système, souscrit également à cette idée. Y souscrivent également le brigadier-général (retraité) Kenneth Watkin, un auteur réputé en matière de droit et de justice militaires qui a été juge-avocat général de 2006 à 2010, ainsi que d’autres experts en droit militaire que j’ai consultésNote de bas de page 766. Les membres des FAC qui ont participé à mes assemblées virtuelles ont exprimé la même opinionNote de bas de page 767. Même l’AGFC reconnaît les avantages que comporterait le recours à un tribunal indépendant pour statuer sur les griefs, quoiqu’elle soutienne que cette façon de faire comporterait également des inconvénientsNote de bas de page 768. Elle reconnaît qu’une telle pratique permettrait d’accroître la neutralité et de réduire la partialité dans le processus décisionnel. Elle affirme également que cette pratique [traduction] « libérerait les militaires de l’AGFC et le personnel de griefs des niveaux N1 et N2 pour qu’ils puissent appuyer les autres capacités des FAC » et éliminerait le risque que les décisions de l’autorité de dernière instance fassent l’objet d’un contrôle judiciaireNote de bas de page 769.
- Le CEMD par intérim et d’autres officiers supérieurs s’opposent toutefois au concept du recours à un tribunal indépendant. En effet, il est mentionné dans la directive du CEMD qu’une « incapacité à fournir à notre personnel un mécanisme interne, par lequel les FAC offrent un recours à ses membres, remet en question notre statut en tant que profession et discrédite nos principes de commandement »Note de bas de page 770. Je ne puis souscrire à cette opinion.
- Premièrement, le recours à un tribunal indépendant est, en grande partie et sauf à l’égard du rôle de l’autorité de dernière instance, compatible avec le système de grief actuel des FAC. Cette solution libérerait le CEMDNote de bas de page 771 d’un fardeau qui exige beaucoup de temps et dont il n’a pas pu s’acquitter en temps opportun par le passé. Qui plus est, la création d’un tribunal indépendant ne priverait pas le CEMD de comptes rendus réguliers à l’égard des griefs déposés par les membres des FAC et lui permettrait donc de rester à l’affût des problèmes systémiques auxquels sont confrontées ses troupes.
- Deuxièmement, le CEMD par intérim affirme que la création d’un tribunal indépendant discréditerait les principes de commandement. À mon avis, et avec respect, la création d’un tel tribunal soulignerait les principes de commandement plutôt que de les discréditer, en faisant une distinction entre le commandement en tant qu’instrument d’obéissance et le commandement en tant que substitut inadéquat pour l’impartialité et l’application régulière des règles dans le règlement des griefs déposés par les membres des FAC.
- Troisièmement, le CEMD par intérim soutient qu’un mécanisme de surveillance externe remet en question le statut des FAC en tant que profession. Or, la capacité d’une profession à assurer l’autoréglementation des questions liées à la conduite et à la discipline, qui est bien établie, ne devrait pas être confondue avec une capacité à statuer sur les droits et obligations de ses membres en ce qui concerne leurs conditions de travail.
- Une solution serait de convertir le CEEGM en une Commission d’examen des griefs militaires. Cette nouvelle commission examinerait les décisions rendues par les autorités initiales, alors que les autorités de dernière instance actuelles seraient libres de présenter des observations lorsqu’elles le souhaiteraient. Selon ce modèle, le leardership, l’expérience et l’expertise acquis par les autorités de dernière instance et par leur personnel pourraient encore être mis à profit dans le cadre du processus de griefNote de bas de page 772.
- Par ailleurs, ce modèle permettrait de libérer une partie du temps des dirigeants pour qu’ils puissent se concentrer sur la résolution de problèmes systémiques et façonner la politique des FAC. Comme l’a affirmé le juge en chef Lamer, « [i]l est tout à fait illogique de s’attendre à ce que le CEMD consacre ses heures disponibles au rattrapage concernant les griefs du Comité des griefs, en plus de défendre le Canada et de respecter les engagements internationaux du pays relativement à la contribution de celui-ci à la paix et à la sécurité internationales »Note de bas de page 773.
- Le CEEGM est prêt à assumer ce rôle. Il est indépendant, il exerce des fonctions quasi-judiciaires et ses seuls rôle et expertise sont d’examiner des griefsNote de bas de page 774. Christine Guérette, présidente et chef de la direction actuelle du CEEGM, et le colonel (retraité) Vihar Joshi, directeur général des opérations et avocat général du CEEGM, appuient tous deux cette solution. Il s’agit également du rôle que le CEEGM était censé assumer avant le projet de loi C-25, le ministre de la Défense nationale de l’époque ayant affirmé qu’il allait « [d]emander que la Loi sur la Défense nationale soit modifiée en vue de créer un comité d’examen indépendant qui agira à titre d’arbitre final dans le cadre du processus de traitement des griefs et en vue de simplifier le processus »Note de bas de page 775.
- Il semble donc que la création d’une commission indépendante comporte de nombreux avantages. Je n’ai toutefois pas reçu de nombreuses observations sur le sujet. Le fait que d’autres pays du Groupe des cinq n’aient pas encore adopté cette solution incite à la prudence, tout comme le fait que des solutions de rechange intéressantes aient été proposéesNote de bas de page 776.
- Tout bien considéré, je crois qu’un groupe de travail devrait être formé afin d’évaluer l’opportunité d’établir un recours à un tribunal indépendant. Ce groupe de travail devrait également se demander si tous les griefs, ou seulement certaines catégories de griefsNote de bas de page 777, devraient s’inscrire dans le champ de compétence de ce tribunal. Il devrait également déterminer les mesures de réparation qui pourraient être ordonnées par le tribunal, notamment la possibilité d’accorder des dommages-intérêtsNote de bas de page 778, ce que ne peut actuellement pas faire l’autorité de dernière instanceNote de bas de page 779.
- Recommandation #97. Un groupe de travail devrait être formé afin d’évaluer l’opportunité de permettre aux plaignants de s’adresser à un tribunal indépendant en matière de griefs. Ce groupe de travail devrait se demander si tous les griefs, ou seulement certaines catégories de griefs, devraient s’inscrire dans le champ de compétence de ce tribunal. Il devrait aussi considérer l’intégration du recours à un tribunal indépendant dans le processus de grief actuel et déterminer les mesures de réparation qui pourraient être accordées dans le cadre d’un tel recours. Le groupe de travail devrait inclure une autorité indépendante, des représentants du Comité externe d’examen des griefs militaires et des représentants des Forces armées canadiennes. Le groupe de travail devrait faire rapport au ministre de la Défense nationale.
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