Pourquoi nous utilisons des antibiotiques inutilement : Préserver les antibiotiques aujourd'hui et demain
Pleins feux de l'administratrice en chef de la santé publique du Canada 2019
Prescription d'antibiotiques : les ingrédients culturels
Pourquoi les gens prennent-ils des antibiotiques quand ceux-ci ne sont peut-être pas nécessaires?
Comme bien des volets de la santé, la décision est bien plus qu'une décision purement d'ordre médical. Tel que décrit en détail ci-dessous, la prescription et l'utilisation d'antibiotiques sont fondées sur de nombreux facteurs. La relation de confiance qui unit les patients et les prestataires de soins est particulièrement importante pour éviter l'utilisation inutile d'antibiotiques. Des facteurs organisationnels peuvent avoir une incidence sur cette relation, comme par exemple la charge de patients de la clinique médicale, la culture médicale au sein de la clinique et la disponibilité de lignes directrices et d'outils.
Au niveau plus général, notre perception des antibiotiques en tant que société et nos attentes publiques au sujet de leur fonctionnement et des conditions de leur utilisation jouent aussi un rôle dans l'utilisation inutile d'antibiotiques. Ensemble ces facteurs créent une culture qui peut influer sur les taux de prescription d'antibiotiques.
La plupart de la recherche sur l'influence de ces facteurs sociaux sur la prescription d'antibiotiques provient d'autres pays. Par conséquent, nous n'avons pas l'information requise sur ce qui motive les Canadiens à utiliser inutilement des antibiotiques. Nous décrivons dans le présent rapport ce qui se produit dans des pays semblables au Canada, en commençant par la relation entre les patients et leurs prestataires de soins, puis nous traitons des facteurs au sein du système de la santé, pour finir avec les points de vue de la société par rapport aux antibiotiques.
Relation entre les patients et les prestataires de soins
La relation que nouent les infirmiers, les médecins et d'autres prestataires de soins avec leurs patients est l'une des plus importantes variables explicatives de l'utilisation des antibiotiques.
Communication claire
En général, les patients et les prestataires de soins qui ont établi un rapport de confiance et noué une bonne relation communiquent mieux au sujet des questions de santé. Les patients qui posent des questions et qui écoutent les options proposées utilisent moins fréquemment des prescriptions. De même, les prestataires de soins qui connaissent et écoutent leurs patients et qui peuvent expliquer un traitement de manière compréhensible sont moins enclins à prescrire inutilement des antibiotiques. Note de bas de page 28, Note de bas de page 29, Note de bas de page 30, Note de bas de page 31
Malentendus
Les malentendus peuvent entraîner une utilisation inutile d'antibiotiques. Note de bas de page 32, Note de bas de page 33, Note de bas de page 34, Note de bas de page 35 Les prestataires de soins croient parfois que leurs patients s'attendent à une ordonnance d'antibiotiques, alors qu'en réalité ils cherchent des conseils et veulent être rassurés. Note de bas de page 36
Par exemple, des parents d'un jeune enfant consultent pour s'assurer que la maladie n'est pas grave ou pour obtenir des conseils pour que l'enfant se sente mieux plutôt que pour obtenir tout particulièrement des antibiotiques. Il arrive parfois aussi que les prestataires de soins prescrivent des antibiotiques pour maintenir une bonne relation avec leurs patients ou ils pensent que la satisfaction d'un patient sera assurée si ce dernier quitte le cabinet avec une ordonnance en main. Note de bas de page 37,Note de bas de page 38, Note de bas de page 39
Facteurs organisationnels
Lorsque des prestataires de soins prescrivent des antibiotiques, ils le font à l'intérieur d'une pratique médicale donnée et du cadre du système de santé en général. Certains facteurs au sein de ce système peuvent avoir une influence sur la relation entre les patients et les prestataires de soins et avoir une incidence sur les probabilités de prescrire inutilement des antibiotiques.
Contraintes de temps et solutions rapides
Le souci de gagner du temps peut être un facteur qui incite à la fois les patients et les prestataires de soins. Dans des cliniques très sollicitées, les prestataires de soins ont parfois très peu de temps à accorder à chaque patient. Préparer une ordonnance est un moyen rapide de conclure la consultation. Note de bas de page 32, Note de bas de page 40, Note de bas de page 41 Cette contrainte de temps peut avoir une incidence sur la relation, car les prestataires de soins disposent d'un plus court délai pour partager de l'information et les patients pour poser des questions.
À l'extérieur de la clinique, les contraintes de temps peuvent également être des facteurs de motivation pour un patient qui est malade et qui n'est pas au travail ou à l'école. Note de bas de page 28 En pareils cas, l'obtention d'une ordonnance peut justifier la décision de la personne de demeurer à domicile et de se reposer Note de bas de page 10 ou, dans d'autres cas, peut être perçue comme un moyen de reprendre le travail plus rapidement. Note de bas de page 28, Note de bas de page 42, Note de bas de page 43
La possibilité pour une personne d'obtenir congé du travail en raison d'une maladie varie selon :
- le lieu de travail
- le type de travail
- la situation financière de la personne
Les organisations dotées de politiques sur les congés de maladie permettent plus facilement aux employés de prendre du repos à domicile, tactique qui prévient aussi la propagation de l'infection et assure la santé du reste des effectifs. Mais lorsqu'il doit reprendre le travail et porter son enfant de nouveau à la garderie ou à l'école, le parent ressent bien souvent cette pression l'incitant à demander une ordonnance d'antibiotiques. Note de bas de page 28
Chercher à se faire rassurer au sujet d'une otite chez un enfant dans une clinique médicale bondée : le récit d'Amanda
« L'incident s'est produit il y a quelques années. Ma fille avait 2 ans et demi. C'était au beau milieu de la nuit et elle s'était levée à quelques reprises. Elle faisait à peine de la fièvre, mais était agitée et pleurait.
Le matin suivant, un samedi, je ne savais pas si je devais consulter parce que le cabinet de notre médecin de famille était fermé. J'avais entendu parler d'une clinique sans rendez-vous ouverte le week-end et ai décidé de m'y rendre parce que je ne voulais pas attendre à lundi pour voir son médecin de famille.
Je m'y suis rendue aussi parce que je voulais savoir ce qu'elle avait. Je pensais que c'était une infection à l'oreille, mais je n'étais pas certaine. Je voulais m'assurer que ce n'était rien de plus grave. On entend tous parler de personnes qui n'ont pas consulté dans ces situations en pensant que ce n'est rien de grave, mais on découvre par la suite que c'était la méningite. C'est pourquoi il est important de faire documenter et enregistrer ces questions.
Arrivée à la clinique, ma fille a été vue assez rapidement par un médecin et un étudiant en médecine. Je me suis fait dire presque immédiatement que ma fille souffrait d'une infection à l'oreille, que les enfants ont ces infections fréquemment et on m'a ensuite remis une ordonnance pour des antibiotiques appelés amoxicilline. Le médecin et l'étudiant en médecine ont quitté la pièce immédiatement après.
L'entretien a duré moins de 5 minutes, et je me suis sentie fort bousculée et peu importante. Je n'ai pas pu discuter d'options de rechange. Je ne me sentais pas à l'aise de soulever mes préoccupations au médecin parce que je ne voulais pas qu'elle perde figure devant l'étudiant en médecine. J'ai pris l'ordonnance sans la faire remplir. Je suis rentrée et ai donné une Tylenol à ma fille et lui ai dit de se reposer.
Un jour ou deux plus tard elle se sentait mieux. »
Culture médicale
Comme toute autre personne, les prestataires de soins peuvent subir l'influence des croyances et des actions de leurs collègues et pairs. Dans des cliniques médicales où les antibiotiques sont prescrits en quantité excessive, la prescription d'antibiotiques peut devenir la pratique acceptée ou la norme pour l'ensemble des prestataires de soins. Il y a peu de rétroaction de la part de collègues dans ces cliniques. Les collègues offrent donc peu de mises en garde concernant les prescriptions non nécessaires. Note de bas de page 44, Note de bas de page 45, Note de bas de page 46
Incertitude au niveau du diagnostic
Certains prestataires de soins éprouvent parfois un certain malaise à ne pas connaître la cause d'une infection, notamment lorsqu'ils traitent des symptômes ambigus chez le patient tels qu'un mal de gorge ou une toux. Cette incertitude en matière de diagnostic est l'une des causes les plus fréquemment citées de la prescription inutile d'antibiotiques. Note de bas de page 29, Note de bas de page 47
Plus des deux tiers des médecins de famille qui prescrivent inutilement des antibiotiques au Royaume-Uni ont affirmé qu'ils agissaient ainsi parce qu'ils ne savaient trop si une infection était de nature virale ou de nature bactérienne. Note de bas de page 48 Pour éviter cette impression de « ne pas savoir » et réduire les risques peu probables de rater une infection bactérienne grave, les prestataires de soins prescrivent parfois - et les patients en font aussi la demande - des antibiotiques qui ne sont pas nécessaires. Note de bas de page 28,Note de bas de page 29, Note de bas de page 30, Note de bas de page 49, Note de bas de page 50
Lignes directrices médicales et politiques régissant la prescription d'antibiotiques
Les prestataires de soins reçoivent fréquemment des consignes (qu'on appelle des lignes directrices cliniques) pour les aider à prendre des décisions médicales. Peu de lignes directrices existent dans le monde qui tiennent compte de la résistance aux antibiotiques dans leurs recommandations. Note de bas de page 51 Deux lignes directrices médicales sur trois environ pour les maladies infectieuses courantes (pneumonie, infection des voies urinaires, otite, infection des sinus et mal de gorge) utilisées principalement dans des pays aux revenus élevés ne tiennent pas compte de la question de la résistance aux antibiotiques dans leurs recommandations. Note de bas de page 51
Cela dit, il n'est pas clair en examinant les données probantes disponibles dans quelle mesure les lignes directrices ont une incidence sur la décision des prestataires de soins de prescrire des antibiotiques.38 Par exemple, selon une étude canadienne, le fait de fournir aux médecins et aux pharmaciens des lignes directrices conviviales sur le Web au sujet des conditions infectieuses les plus courantes avait pour effet de réduire immédiatement l'utilisation d'antibiotiques, effet qui avait duré au moins 3 ans. Note de bas de page 52
Selon une autre étude toutefois, la distribution passive de lignes directrices à elle seule ne suffisait pas à faire en sorte que les médecins soient conscients des nouvelles lignes directrices et des lignes directrices mises à jour et qu'ils respectent celles-ci. Note de bas de page 53
Facteurs sociétaux
Attentes du public
Entre 1950 et 2012, les taux de décès attribuables à des maladies infectieuses au Canada ont diminué de 62 % pour les hommes et de 57 % pour les femmes. Note de bas de page 54 Bien que la grande partie de cette amélioration soit attribuable à des efforts de santé publique tels que la vaccination régulière à l'enfance, les améliorations au niveau de la salubrité des aliments et l'accès à de l'eau potable et à de meilleures mesures sanitaires, les Canadiens ont tiré énormément parti aussi de l'utilisation d'antibiotiques. Note de bas de page 54
Les avantages que confèrent à la société les antibiotiques, notamment en diminuant le nombre de décès attribuables aux maladies infectieuses, ont déterminé nos attentes face à ces médicaments, c'est-à-dire de pouvoir utiliser les antibiotiques à grande échelle pour lutter rapidement contre toutes les infections, pratique qui, en revanche, réduit l'efficacité de ces médicaments. Note de bas de page 10
Les ordonnances d'antibiotiques sont à ce point courantes que les patients s'attendent parfois à une ordonnance automatique dans le cadre d'une consultation médicale régulière. Certains patients peuvent même demander un antibiotique particulier en croyant qu'il puisse aider à combattre un rhume ou la grippe ou aider un enfant malade. Note de bas de page 48, Note de bas de page 55
Au Royaume-Uni, un adulte sur dix environ qui se rend à une clinique médicale s'attend à une ordonnance d'antibiotiques à chaque consultation ou pratiquement à chacune d'elles. Note de bas de page 48
Les infections des voies urinaires chez les personnes âgées sont un exemple peut-être familier. Dans ces cas, des antibiotiques sont souvent prescrits lorsque ce n'est pas toujours nécessaire. Cela peut être motivé en partie par les attentes des membres de la famille par rapport aux antibiotiques pour les membres âgés de la famille. Note de bas de page 56
Comme toute autre partie du corps, les voies urinaires sont peuplées de microbes qui évoluent, et la présence de bactéries n'indique pas forcément une infection à traiter. Note de bas de page 57 La décision de traiter à l'aide d'antibiotiques est fonction des symptômes de l'infection des voies urinaires, ce qui peut être difficile à diagnostiquer chez des patients plus âgés, surtout ceux qui souffrent de démence. Note de bas de page 58
Les aidants cherchant à obtenir des soins pour les membres de famille plus âgés ont parfois besoin de conseils et de se faire rassurer, surtout lorsqu'un patient ne peut se défendre ses intérêts lui-même.
Connaissances du public
La question de la résistance aux antibiotiques est complexe et de nombreuses personnes ne comprennent pas à fond le rôle des antibiotiques dans la création de bactéries résistantes aux antibiotiques. Une personne sur trois environ au Royaume-Uni n'a jamais entendu parler de « résistance aux antibiotiques » et 1 personne sur 4 environ croit que cette résistance n'est pas attribuable à l'utilisation inutile d'antibiotiques. Note de bas de page 59
Selon les recherches aussi, la plupart des gens estiment que la résistance aux antibiotiques est le fait de l'organisme humain plutôt que de la bactérie et qu'ils n'y peuvent rien pour atténuer cette résistance. Note de bas de page 59 Il faudrait peut-être que les prestataires de soins fournissent de l'information à leurs patients sur le fonctionnement des antibiotiques et les infections pour lesquelles ils sont utilisés et qu'ils avisent les patients de ne pas conserver leurs antibiotiques pour un usage ultérieur. Note de bas de page 60, Note de bas de page 61
Difficultés d'accès aux soins de santé dans les collectivités rurales et éloignées : le récit du Dr Peter Daley
« Selon mon expérience de travail à Terre-Neuve, le contexte communautaire a de l'importance et l'accès aux soins peut avoir une incidence sur l'utilisation d'antibiotiques.
Certains patients nous disent qu'ils accumulent les antibiotiques à domicile et les partagent au besoin. On entend dire aussi que des médecins prescrivent des antibiotiques au téléphone sans examiner les patients.
On compte des régions incroyablement reculées où aucun médecin n'est régulièrement disponible. Ce manque d'accès peut inciter les gens à accumuler massivement des antibiotiques en prévision d'une maladie. »
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