Le futur chasseur du Canada : un concept d’opérations pour l’instruction
Article de nouvelles / Le 4 octobre 2013
Par le brigadier-général Dave Wheeler
« Le Canada est le chef de file mondial en matière de développement de technologie de simulation et nous exportons cette technologie partout dans le monde, » a dit récemment le lieutenant-général Yvan Blondin, commandant de l’Aviation royale canadienne (ARC).
« Je prévois tirer avantage de cette situation, examiner nos besoins et déterminer à quel endroit et de quelle façon nous pouvons utiliser la simulation. Je tiens à ce que l’ARC soit un leader à cet égard parmi les forces aériennes des autres pays. »
« Je crois que nous pouvons améliorer l’entraînement en ayant recours à la simulation et ainsi réaliser des économies opérationnelles. De cette façon, nous pouvons prolonger la durée de vie de nos aéronefs et, parallèlement, amenuiser notre empreinte carbone. Cette méthode est bonne pour l’ARC sur le plan opérationnel et elle le sera également pour le Canada sur le plan financier. »
Nous utilisons des simulateurs pour former les pilotes depuis avant la Seconde Guerre mondiale, mais les progrès rapides de la technologie informatique nous ont amenés à un point où, aujourd’hui, le monde virtuel recréé par le simulateur est d’un réalisme incroyable – en fait, presque non distinguable de la réalité – et offre aux pilotes les sensations et les défis du pilotage d’un vrai aéronef. Grâce à la simulation, nous sommes en mesure de contrôler différents paramètres comme les conditions météo, le terrain et la menace, et de proposer un entraînement souvent plus rigoureux et varié que ne le permettrait l’entraînement aux commandes de l’appareil lui-même. C’est pour ces raisons que notre entraînement peut – et devrait – se faire sur simulateur.
Lorsque nous nous tournons vers l’avenir et que nous anticipons l’amélioration constante des technologies, nous savons que nous serons en mesure de nous entraîner sur des simulateurs et dans la réalité virtuelle non seulement plus souvent, mais aussi plus efficacement. Cette perspective aura des répercussions importantes pour l’entraînement sur tous nos appareils, mais particulièrement pour la formation extrêmement coûteuse des pilotes de chasse. Nous prévoyons qu’un fort pourcentage de la formation initiale des pilotes du futur chasseur de l’ARC, celui qui remplacera le CF-188 Hornet, pourrait se faire sur simulateur.
L’Aviation royale canadienne (ARC) a donc l’intention d’être un chef de file dans l’utilisation de la technologie et des concepts de la simulation les plus modernes pour préparer au mieux ses pilotes de chasse en vue des opérations de combat et d’appui aérien.
Ce nouveau concept d’opérations pour l’instruction des pilotes de chasse procurera également l’avantage d’une réduction de coûts de carburant et de maintien en puissance, ce qui réduira accessoirement l’empreinte carbone de l’appareil et s’inscrit donc parfaitement dans la politique de protection de l’environnement de l’ARC.
Environnement opérationnel. L’environnement dans lequel notre future force de chasseurs évoluera comportera un large éventail de missions, souvent dans des scénarios très complexes. Les Forces armées canadiennes auront donc besoin d’un chasseur capable d’opérer partout dans le monde et dans toutes les conditions climatiques, d’exécuter une vaste gamme de missions air-air (A/A) et air-sol (A/S), en plus d’être compatible avec les systèmes de nos partenaires de coalition.
Nos chasseurs continueront d’être utilisés au-dessus du territoire et des zones côtières de l’ensemble du Canada (notamment l’Arctique), ainsi que de ceux d’autres pays durant les opérations de déploiement.
Défense du Canada et de l’Amérique du Nord. Faire respecter la souveraineté du Canada comporte de s’assurer que les lois canadiennes sont observées et appliquées dans les zones de juridiction canadienne.
La souveraineté de notre territoire est de plus en plus menacée par ceux qui veulent profiter de la taille et des ressources immenses de notre pays par des activités illégales. La protection des frontières canadiennes contre les actions de cette nature est de la plus haute importance et exige la surveillance et le contrôle de vastes zones d’espace aérien et d’eaux de surface. Il faut notamment surveiller les corridors d’entrée sur les côtes est et ouest, en plus de surveiller l’espace aérien intérieur du Canada, notamment l’espace aérien au-dessus de l’ensemble de l’Arctique canadien.
La défense de l’Amérique du Nord et de son espace aérien est également un enjeu crucial qui relève de l’Accord de défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Les avantages de cet accord de défense avec nos voisins du Sud continuent de favoriser nos intérêts nationaux, ainsi que la paix et la stabilité internationales.
Contribuer à la sécurité internationale. Les valeurs et intérêts du Canada sont de nature mondiale et, dans cette optique, les Forces armées canadiennes vont continuer de contribuer à la sécurité internationale. Le Canada va continuer de jouer un rôle militaire actif au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi qu’au sein de forces de coalition lorsque le gouvernement du Canada le jugera à propos.
Le concept d’opérations pour l’instruction des pilotes de nos futurs chasseurs se démarquera considérablement de celui actuellement en vigueur pour les pilotes des CF-188 Hornet.
À l’heure actuelle, tous les officiers des Forces armées canadiennes choisis comme pilotes commencent leur formation par l’entraînement de base au pilotage, lequel se déroule à Portage la Prairie, au Manitoba, et leur sert d’introduction au pilotage et aux procédures militaires.
Vient ensuite l’entraînement élémentaire au pilotage, qui se déroule à la 15e Escadre Moose Jaw, en Saskatchewan, dans le cadre du programme d’entraînement en vol de l’OTAN au Canada (NFTC). Cette phase représente le gros de l’entraînement au vol et lorsqu’ils la réussissent, les candidats pilotes sont dirigés vers l’une des trois voies d’entraînement : hélicoptère, aéronef multimoteur ou chasseur.
La troisième phase est le cours avancé de formation au pilotage, après lequel les élèves-pilotes reçoivent leurs ailes de pilote. Dans le cas des pilotes de chasse, cette phase comporte l’entraînement sur le CT-156 Harvard II dans le cadre du programme d’entraînement en vol de l’OTAN au Canada.
Ces trois phases d’entraînement ne devraient pas changer grandement en vertu du nouveau concept d’instruction.
Après le cours avancé de formation au pilotage, les pilotes de chasse entreprennent leur phase de transition IV Hawk à la 15e Escadre, puis l’entraînement initial des pilotes de chasse (EIPC) à la 4e Escadre Cold Lake, en Alberta.
L’entraînement initial des pilotes de chasse est suivi d’une période de formation dans une unité d’instruction opérationnelle (UIO), également à la 4e Escadre, où les pilotes montent enfin dans le CF-188 Hornet. Finalement, les pilotes de chasse entreprennent leur programme de préparation au combat à leur base principale d’opérations (BPO), soit à la 3e Escadre Bagotville, au Québec, ou à la 4e Escadre, en Alberta.
Le nouveau concept d’instruction permettrait d’éliminer l’entraînement à l’unité d’instruction opérationnelle, lequel exige l’ensemble des ressources (aéronefs, pilotes, responsables de la maintenance, personnel de soutien et infrastructure).
En vertu du nouveau concept, les pilotes nouvellement reçus suivraient trois phases d’entraînement, à savoir :
- une phase d’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré (EIPC amélioré).
- une phase de conversion intensive sur simulateur dans une unité d’instruction virtuelle (UIV).
- une phase prolongée du programme de préparation au combat.
Ce nouveau concept d’instruction à trois phases donnerait un programme efficace et efficient de formation des nouveaux pilotes de chasse. De plus, il libérerait un certain nombre de chasseurs supplémentaires dont le commandant de la 1re Division aérienne du Canada pourrait disposer pour ses missions, en plus de réduire les coûts élevés de la formation.
Phase d’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré. Une bonne partie de l’instruction tactique actuellement dispensée à l’unité d’instruction opérationnelle pourrait être absorbée par une phase d’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré moins dispendieuse, tandis que certains autres aspects resteraient dans la phase de conversion.
La phase d’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré, prévue à la 4e Escadre, exigerait l’acquisition de nouveaux aéronefs pour remplacer le chasseur tactique de conception avancée CT-155 Hawk dans le cadre du contrat d’instruction qui remplacera tôt ou tard le programme d’entraînement en vol de l’OTAN au Canada.
Ce nouvel appareil devrait idéalement avoir un cockpit intégré, mais non classifié, du genre de celui de notre futur chasseur, ainsi qu’un ensemble complet de dispositifs d’avionique simulée. Le remplaçant du Hawk devrait reproduire assez fidèlement les caractéristiques ergonomiques du futur chasseur (mais non ses performances) et comprendrait des dispositifs de simulation du radar, des liaisons de données, des systèmes d’armes, de l’ensemble de guerre électronique et ainsi de suite. Ce nouvel appareil d’instruction devrait aussi être configuré à deux places pour permettre à l’instructeur d’embarquer à bord comme second durant les missions initiales cruciales de l’entraînement au combat.
Pour assurer l’uniformité dans les tactiques, techniques et procédures (TTP), les pilotes qui s’entraînent sur l’aéronef d’entraînement initial des pilotes de chasse pourraient bien utiliser les mêmes manuels tactiques que ceux prévus pour le futur chasseur.
Même si l’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré est plus long que l’entraînement initial des pilotes de chasse actuel dans le cadre du programme d’entraînement en vol de l’OTAN au Canada, cela n’entraînerait pas nécessairement une augmentation du nombre de vols, car il y aurait un recours plus soutenu à la simulation. En plus d’améliorer la sélection des futurs pilotes de chasse, ce nouveau concept permettrait également aux pilotes d’entreprendre leur entraînement de conversion au futur chasseur avec une plus grande expérience de vol, une bonne connaissance des fonctions du nouvel appareil, ainsi qu’une bonne connaissance des tactiques, techniques et procédures.
Les principales compétences en pilotage qui seraient intégrées au programme de l’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré sont les suivantes :
Air-air (A/A) :
- manœuvres de combat élémentaires (MCE).
- manœuvres de combat aérien (MCA).
- interception aérienne (AI).
- théorie de radar et interceptions radar.
- tactiques des armes à portée au-delà de la portée optique (BVR).
Air-sol (A/S) :
- instruction et sensibilisation au vol à basse altitude (ISVBA).
- instruction sur le largage d’armes air-sol.
- interdiction aérienne (IA).
- appui aérien rapproché (AAR) (jusqu’à deux aéronefs).
- emploi tactique air-sol.
- mise hors de combat des moyens de défense aérienne ennemis (SEAD/DEAD).
D’autres aspects de l’entraînement au pilotage dans le cadre de l’entraînement initial des pilotes de chasse incluraient :
- les compétences en règles de vol à vue (VFR).
- les compétences en règles de vol aux instruments (IFR).
- le vol de nuit.
- le vol en formation (jusqu’à quatre aéronefs).
- la reconnaissance.
- les procédures du NORAD.
Phase de conversion. La phase de conversion tirerait pleinement profit de l’expérience acquise par les pilotes au cours de la phase d’entraînement initial des pilotes de chasse amélioré. Cette conversion exploiterait fortement la simulation et ne recourrait à l’aéronef lui-même que pour les vols de confirmation des compétences et d’autres vols d’instruction au besoin. L’instruction sur simulateur se déroulerait sur le mode virtuel dans une unité d’instruction virtuelle (UIV).
L’instruction sur simulateur se déroulerait conformément à un plan d’instruction et à une norme de qualification approuvés par l’équipe d’évaluation et de normalisation des chasseurs, et il est prévu que le rapport simulateur-vol réel durant la phase de conversion serait fortement en faveur du simulateur. Les objectifs de ce recours intensif au simulateur sont de maximiser la disponibilité opérationnelle des futurs chasseurs pour les missions d’emploi de la force, ainsi que de réduire les coûts et d’optimiser l’efficacité de l’instruction.
La partie pilotage de la phase de conversion ferait appel conjointement à des instructeurs-pilotes de chasse qualifiés membres de l’unité d’instruction virtuelle, à la section des normes de l’escadre ou aux escadrons de chasseurs tactiques. Aucun chasseur ne serait affecté en permanence à l’unité d’instruction virtuelle et le nombre relativement peu élevé d’heures de vol prévu sur le futur chasseur se ferait à l’aide des appareils en dotation dans les escadrons de chasseurs tactiques.
Phase du programme de préparation au combat. Idéalement, la phase de préparation au combat s’amorcerait une fois que le nouveau pilote a terminé la phase de conversion et a été muté à un escadron de chasseurs tactiques.
La majorité de l’entraînement au pilotage du futur chasseur se déroulerait au cours de cette phase, dans un escadron de chasseurs tactiques, sous la gouverne d’instructeurs-pilotes qualifiés de l’escadron lui-même et de pilotes de la section des normes de l’escadre. L’entraînement sur simulateur se ferait à l’aide des installations de l’unité d’instruction virtuelle, quoique le nombre d’heures de vol réel serait plus élevé au cours de cette phase qu’au cours de la phase de conversion.
Comme c’est le cas dans le système actuel, le nouveau pilote de chasse deviendrait un ailier prêt au combat au terme de la phase de préparation au combat.
Centre d’excellence. Il est prévu qu’un centre d’excellence serait créé pour appuyer la mise sur pied d’une force et pour préparer la force de chasseurs en fonction des exigences particulières de l’emploi d’une force. Ce centre hébergerait l’équipe d’évaluation et de normalisation des chasseurs, l’unité d’instruction virtuelle et l’Escadrille d’évaluation et d’essais opérationnels – Chasseurs. Il soutiendrait tous les cours de la force de chasseurs, notamment la phase de conversion, le programme de préparation au combat et les cours après obtention des ailes de pilote, par exemple le cours d’instructeur – Armement de chasseurs et le cours de pilote-instructeur.
Le développement ainsi que le commandement et contrôle de ces cours seraient conservés au centre d’excellence à la 4e Escadre, mais un détachement à la 3e Escadre remplirait certaines des mêmes fonctions que le centre.
Instruction de recyclage. L’instruction de recyclage se déroulerait dans les escadrons de chasseurs tactiques, soit à la base principale d’opérations ou dans le cadre des exercices d’entraînement avec déploiement. Le programme de cette instruction serait décrit dans la Directive d’instruction des pilotes de chasse, alors que le contenu et les normes seraient tenus à jour par l’équipe d’évaluation et de normalisation des chasseurs et contrôlés par un groupe consultatif de la communauté des pilotes de chasse. Le programme comporterait un mélange d’instruction au sol, sur simulateur et à bord des aéronefs pour faire en sorte que la force de chasseurs soit sûre et efficace, ainsi que capable d’exécuter toutes les tâches prescrites à un niveau égal ou supérieur à la norme.
Il est prévu que la simulation jouera un rôle clé et accaparera un pourcentage important des heures d’entraînement durant la phase d’instruction de recyclage. Les pilotes de chasse pourraient bien passer jusqu’à 50 pour 100 de leur temps de vol dans un simulateur pour tenir leurs qualifications à jour et combler certaines lacunes d’expérience qui ne peuvent l’être que dans des scénarios très particuliers. Même dans le cadre des opérations de déploiement, nous pouvons déjà anticiper la possibilité d’atteindre le niveau de préparation optimal grâce à un simulateur de répétition de mission déployable, ce qui aurait de nombreux avantages du point de vue de la réussite de la mission, de la sécurité et de la gestion des ressources.
Contingent annuel d’heures de vol sur demande. Concrètement, le recours accru au simulateur permettrait probablement à la force de chasseurs de l’ARC d’utiliser beaucoup moins d’heures de vol pour atteindre le niveau souhaité de préparation individuelle et de groupe. Ce contingent annuel d’heures de vol (CAHV) réduit s’accompagnerait d’une réduction proportionnelle de la maintenance courante et des autres aspects du maintien en puissance. Il faut cependant souligner que la capacité d’augmenter le rythme d’entraînement et des opérations est cruciale à la réussite des missions des chasseurs – comme le démontrait l’opération Unified Protector exécutée en réaction à la crise en Libye. Cette capacité d’augmentation exigerait un accès immédiat à un certain nombre d’heures de vol, ce qui suppose des ressources suffisantes de maintenance et de maintien en puissance sur demande, disponibles en tout temps. Le concept du contingent annuel d’heures de vol sur demande ressemble aux stratégies de production et de livraison « juste à temps » qui ont conféré au secteur industriel moderne l’efficacité, l’agilité et la productivité accrues dont il avait besoin pour répondre aux attentes d’un marché exigeant et fluctuant. La communauté des pilotes de chasse pourrait retirer des avantages semblables de l’utilisation beaucoup plus souple et efficace de ces précieuses heures de vol.
Entraînement pendant la transition. Le passage du CF-188 au futur chasseur devrait se faire de la façon la plus efficace et efficiente possible, tout en restant neutre au plan des ressources et en garantissant une capacité pertinente de pilotes prêts au combat.
Perspective d’avenir. En conclusion, il ne fait aucun doute que le recours accru à la simulation est la voie d’avenir pour l’entraînement des pilotes de chasse, ainsi que pour l’entraînement sur d’autres appareils. La communauté des pilotes de CC-130J Hercules a déjà adopté la simulation par l’ouverture d’un Centre d’instruction sur la mobilité aérienne à la 8e Escadre Trenton, en Ontario, en septembre 2012. Ce centre, d’une superficie de 17 000 mètres carrés, dispose d’équipement à la fine pointe de la technologie comme le simulateur de vol du Hercules de modèle J et le simulateur de fuselage utilisé pour la formation du personnel navigant et des techniciens.
Le Canada est un chef de file mondial dans le domaine de la simulation et l’Aviation royale canadienne a l’intention d’exploiter cette compétence de pointe pour la formation des pilotes de son futur chasseur. En résumé, l’instruction qui combine le pilotage réel et l’entraînement sur simulateur sera tout simplement plus efficace, plus sûre, moins dispendieuse et meilleure pour l’environnement que ce n’est le cas actuellement. C’est une solution gagnant-gagnant pour tous.
Cet article a été publié à l'origine dans la Revue militaire canadienne, volume 13, numéro 2, printemps 2013.
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