Recherche originale par méthodes mixtes – Renforcer les capacités des aînés et de la collectivité : résultats d’une évaluation de l’élaboration des programmes de prescription sociale conçus par Centraide Colombie-Britannique à l’intention des aînés
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : septembre 2024
ISSN: 2368-7398
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Laura Kadowaki, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Bobbi Symes, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; Kahir Lalji, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; Grace Park, M.D.Note de rattachement des auteurs 2; Wynona Giannasi, M.A.P., éval. a.Note de rattachement des auteurs 3; Jennifer Hystad, M. Sc., éval. a.Note de rattachement des auteurs 3; Elayne McIvor, M.S.P., éval. a.Note de rattachement des auteurs 4
https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.9.04f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Attribution suggérée
Article de recherche par Kadowaki L et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0
Rattachement des auteurs
Correspondance
Laura Kadowaki, 4543, Canada Way, Burnaby (C.-B.) V5G 4T4; tél. : 604-961-7425; courriel : laurak@uwbc.ca
Citation proposée
Kadowaki L, Symes B, Lalji K, Park G, Giannasi W, Hystad J, McIvor E. Renforcer les capacités des aînés et de la collectivité : résultats d’une évaluation de l’élaboration des programmes de prescription sociale conçus par Centraide Colombie-Britannique à l’intention des aînés. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(9):418-427. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.9.04f
Résumé
Introduction. Les aînés ayant des besoins accrus sont des candidats idéaux pour les interventions de prescription sociale, compte tenu de la nature complexe et intersectorielle de leurs besoins. Cet article présente les résultats d’une évaluation de l’élaboration de 19 programmes de prescription sociale destinés aux aînés à risque de fragilité.
Méthodologie. Nous avons effectué une évaluation des programmes pour la période 2020-2023. Nous avons utilisé les données de trois composantes de l’évaluation : 1) les données de l’évaluation initiale, recueillies en 2020 et en 2021, 2) les profils des programmes élaborés en 2022 et 3) les séances de cocréation tenues en 2023.
Résultats. De leur lancement jusqu’au mois de mars 2023, les programmes ont servi 2 544 aînés. Les agents de liaison communautaire ont cerné les facteurs au niveau individuel, au niveau interpersonnel, au niveau des établissements, au niveau de la collectivité et au niveau des politiques qui ont contribué à la mise en œuvre et à la prestation de leurs programmes (médecins champions, communautés de pratique, solides relations préexistantes avec le système de santé, etc.), de même que les difficultés qui ont été rencontrées (capacité limitée des médecins de famille, manque de ressources communautaires, etc.). Les agents de liaison communautaire ont convenu qu’un programme de prescription sociale efficace devrait comprendre les éléments essentiels suivants : 1) établir des liens avec les ressources communautaires nécessaires, 2) prévoir la cocréation d’un plan de mieux-être avec les clients ayant besoin d’un soutien de longue durée ou intensif, 3) assurer un suivi et des vérifications de façon continuelle dans le cas des clients ayant des plans de mieux-être et 4) prévoir un processus d’évaluation et de triage pour la priorisation des clients.
Conclusion. Pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par les interventions de prescription sociale, il est essentiel que les programmes mobilisent un éventail de fournisseurs de soins de santé et de services sociaux, que les agents de liaison communautaire soient qualifiés et bien appuyés et que des investissements adéquats soient faits dans le secteur des organismes à but non lucratif et du bénévolat.
Mots-clés : prescription sociale, aînés, évaluation, vieillissement en santé
Points saillants
- À partir d’une évaluation de l’élaboration de 19 programmes de prescription sociale destinés aux aînés, nous faisons le point sur les composantes essentielles de ces programmes ainsi que sur les éléments facilitateurs et les défis liés à leur mise en œuvre et à leur prestation.
- Le principal défi signalé par les responsables des programmes a été la mobilisation des médecins de famille, ce qui laisse entendre qu’il serait utile pour les programmes que l’on puisse compter sur des médecins champions et que l’on mobilise un plus large éventail de fournisseurs de soins de santé et de services sociaux pour aiguiller les clients vers les services adaptés.
- Le poste d’agent de liaison communautaire s’est révélé essentiel au succès des interventions de prescription sociale.
- Un secteur des organismes à but non lucratif et du bénévolat solide est nécessaire pour qu’il soit possible de tirer pleinement parti des possibilités offertes par les interventions de prescription sociale.
Introduction
La prescription sociale est une intervention de promotion de la santé conçue pour mettre les individus en contact avec des ressources communautaires afin de répondre à leurs besoins non médicaux. La prescription sociale est considérée comme ayant vu le jour au Royaume-Uni. Aujourd’hui, on trouve des programmes de prescription sociale en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et en AustralieNote de bas de page 1. La prescription sociale s’appuie sur les tendances et les priorités mondiales actuelles en matière de santé, notamment les soins intégrés et la coordination des soins, les soins axés sur la personne, la conception et la production conjointes, les approches fondées sur les forces, le développement communautaire fondé sur les ressources, la promotion de la santé, la théorie de l’autodétermination et le « quadruple objectif »Note de bas de page 1.
Les interventions de prescription sociale se réalisent généralement selon deux modes : 1) aiguillage direct du client par un fournisseur de soins primaires vers les ressources communautaires nécessaires (programmes artistiques, exercice, nature, etc.) ou 2) aiguillage du client vers un agent de liaison communautaire, qui travaille avec celui-ci à cerner ses besoins et à les comblerNote de bas de page 2. Nous utilisons le terme « agent de liaison communautaire » tout au long de cet article parce qu’il s’agit de la terminologie utilisée en Colombie-Britannique (« community connector »), mais ces personnes sont aussi communément appelées « travailleurs de liaison » (« link workers ») ou « navigateurs » (« navigators »).
Lorsqu’elles font intervenir un agent de liaison communautaire, les interventions de prescription sociale comportent habituellement trois étapes : 1) un fournisseur de soins primaires adresse le client à un agent de liaison communautaire; 2) l’agent de liaison communautaire travaille avec le client pour cerner ses besoins puis le dirige vers les ressources communautaires appropriées; 3) le client se prévaut de nouvelles ressources ou activités communautairesNote de bas de page 3. Selon les modèles de prescription sociale habituels, ce sont les fournisseurs de soins primaires qui aiguillent les clients vers des agents de liaison communautaire; toutefois, selon certains nouveaux modèles, l’aiguillage se fait par un large éventail de fournisseurs de soins de santé et de services sociauxNote de bas de page 3Note de bas de page 4.
Les aînés qui ont des besoins accrus en matière de soins, comme ceux qui souffrent de fragilité, de maladies chroniques multiples, de solitude ou d’une mauvaise alimentation, sont des candidats idéaux pour des interventions de prescription sociale, compte tenu de la nature souvent complexe et intersectorielle de leurs besoins. Au Canada, on estime que plus de la moitié des aînés seraient en situation de fragilité (22 %) ou de préfragilité (32 %)Note de bas de page 5. Par ailleurs, environ une personne âgée sur cinq souffrirait d’un manque de soutien socialNote de bas de page 6. Enfin, entre 17 % et 33 % (selon l’âge et le genre) des Canadiens âgés disent se sentir seuls au moins une partie du temps (la prévalence de la solitude est passée de 26 % à 42 % pendant la pandémie)Note de bas de page 7.
Deux revues systématiques récentes font un bilan de l’état actuel des connaissances sur les programmes de prescription sociale destinés aux aînésNote de bas de page 3Note de bas de page 8. Dans la revue systématique de Percival et ses collaborateursNote de bas de page 3, sept articles répondaient aux critères d’inclusion des auteurs (soit une intervention de prescription sociale destinée aux aînés associée à des données quantitatives sur les résultats). Dans les programmes de prescription sociale décrits dans ces articles, l’aiguillage des clients se fait par un éventail de fournisseurs de soins de santé et de services sociaux puis les agents de liaison communautaire dirigent les clients vers des ressources communautaires (programmes artistiques, cours de promotion de la santé, activités sociales, etc.). Ces études reposent le plus souvent sur des résultats de nature psychosociale et les auteurs ont invariablement constaté une amélioration des paramètres du bien-être mental. Des effets positifs sur la santé physique ont également été observés dans deux de ces études. En revanche, les constatations concernant l’utilisation des soins de santé ont été mitigées.
La seconde revue systématique, complémentaire à la première, a été réalisée par Grover et ses collaborateursNote de bas de page 8. Dans cette revue, les auteurs ont pu recenser huit études qualitatives répondant à leurs critères d’inclusion (des études sur l’expérience, les résultats ou les processus des programmes de prescription sociale, du point de vue des aînés ou des fournisseurs de services). En procédant par méta-agrégation, les auteurs ont synthétisé les résultats en cinq grandes constatations : 1) expériences personnalisées (le recours à des approches axées sur la personne pour soutenir les aînés atteints de maladies chroniques), 2) fournisseurs et agents de liaison communautaire (le rôle des omnipraticiens et des agents de liaison communautaire pour que les aînés se sentent appuyés), 3) changements de comportement (les études font état de facteurs de motivation et de techniques de changement de comportement efficaces, comme l’amélioration de la confiance en soi et l’acquisition de compétences en vue d’une autogestion à long terme), 4) environnement (des lieux familiers et bien choisis pour les activités contribuent à l’engagement des participants) et 5) résultats (la plupart des articles font état de résultats positifs pour les aînés en matière de santé, de mode de vie ou de socialisation).
Pour nous aider à approfondir nos connaissances sur les programmes de prescription sociale destinés aux aînés en contexte canadien, nous présentons dans cet article les résultats d’une évaluation de l’élaboration de 19 programmes de prescription sociale destinés aux aînés à risque de fragilité. Ces programmes de prescription sociale ont été mis en œuvre dans le cadre d’une série de projets pilotes intitulés « Integrated Community-Based Programs for Older Adults with Higher Needs », qui ont été financés par la province de la Colombie-Britannique. Centraide Colombie-Britannique était l’organisme pivot en ce qui concerne la prestation des programmes de prescription sociale, qui ont été mis en œuvre dans 19 collectivités de la Colombie-Britannique par des organismes locaux offrant des services communautaires aux aînés. Le projet pilote ayant porté fruit, Centraide Colombie-Britannique a entrepris une approche progressive pour mettre en œuvre, dans l’ensemble de la province, des programmes de prescription sociale financés par la province, le but étant qu’il y ait un agent de liaison communautaire dans chaque circonscription sanitaire d’ici 2025-2026.
Méthodologie
Cet article présente les résultats d’une évaluation de l’élaboration des programmes de prescription sociale menée entre 2020 et 2023 par un groupe sous-traitant externe (Howegroup). Comme il s’agissait d’une évaluation de programme, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’aval d’un comité d’éthique de la recherche.
Aperçu des interventions de prescription sociale
Les caractéristiques clés des interventions de prescription sociale sont décrites dans le tableau 1 en fonction de la liste de contrôle du modèle de description et de réplication des interventions (TIDieR)Note de bas de page 9.
Tableau 1. Description de 19 programmes de prescription sociale destinés aux aînés en situation de fragilité, Colombie-Britannique, 2020-2023
But
Le but de l’intervention était d’aider les aînés à risque de fragilité à jouer un rôle actif dans la gestion de leur bien-être et à résider plus longtemps chez eux.
Description
Les aînés ont eu recours aux programmes de prescription sociale sur la recommandation d’un fournisseur de soins de santé ou de services sociaux, après avoir été aiguillés par un organisme communautaire ou à but non lucratif, ou encore de leur propre chef. Ces personnes étaient généralement considérées comme admissibles à l’intervention si elles avaient une mauvaise santé physique ou mentale, si elles étaient socialement vulnérables ou si elles recevaient fréquemment des soins actifs ou primaires. Les responsables des programmes de prescription sociale ont mis au point leurs propres formulaires de référence imprimés ou en ligne, et les aiguillages se sont faits directement par téléphone, par courriel, à l’interne ou par les aînés eux-mêmes. D’après les responsables de ces programmes, les aiguillages ont été principalement réalisés par : 1) les fournisseurs de soins primaires, 2) les fournisseurs de soins à domicile et en milieu communautaire, 3) les responsables de la planification des congés d’hôpital et 4) leur organisme. L’inscription des clients et les rencontres avec ceux-ci se sont faites par téléphone ou en personne. Les agents de liaison communautaire ont écouté les besoins des aînés, ont travaillé avec eux à l’élaboration d’un plan de mieux-être axé sur les forces puis les ont aiguillés vers les ressources communautaires dont ils avaient besoin. Les types les plus courants de ressources vers lesquels les agents de liaison communautaire ont dirigé les clients étaient les suivants : activité physique, information et aiguillage, sécurité alimentaire. Le mode d’aiguillage vers des ressources communautaires variait selon les besoins des aînés et les organismes, ou encore selon le type de programme recommandé. Par exemple, pour aiguiller un aîné vers des services de santé mentale, il a fallu généralement recourir à un aiguillage personnalisé dans le cadre duquel l’agent de liaison communautaire communique directement avec un fournisseur de services et peut même aller jusqu’à prendre un rendez-vous pour la personne. Dans d’autres cas, il convenait plutôt de faire des recommandations, c’est-à-dire que l’agent de liaison communautaire a fourni à la personne les coordonnées d’un organisme ou d’un programme. D’autres vérifications et suivis ont été effectués au besoin.
Fournisseurs
Les programmes de prescription sociale ont été offerts localement par un service communautaire à but non lucratif destiné aux aînés. Les organismes en cause étaient 11 maisons de quartier ou des organismes à but non lucratif offrant de multiples services, 3 organismes de services aux immigrants et aux communautés ethnoculturelles, 3 organismes offrant des services à l’intention des aînés, 1 centre de bénévolat et 1 campus de soins pour aînés. Environ la moitié (n = 8) des organismes offrant les programmes étaient de grands ou de très grands organismes à but non lucratif. La plupart des programmes de prescription sociale comptaient parmi leur personnel un agent de liaison communautaire équivalent temps plein. La majorité de ces agents de liaison communautaire (74 %) avaient au moins cinq années d’expérience de travail et un diplôme de premier cycle universitaire ou d’études supérieures (79 %). Ils avaient des antécédents variés : en travail social, en soins infirmiers, en santé publique, en communications, etc. Les responsables de certains programmes ont déclaré avoir aussi recours à des bénévoles ou à des stagiaires pour accroître leur capacité.
Modalités
Les interventions de prescription sociale ont été offertes aux aînés de façon individuelle, mais certains agents de liaison communautaire ont aussi organisé des activités de groupe. Comme les interventions ont été initialement mises en œuvre pendant la pandémie, l’inscription et les réunions avec les aînés ont dû se faire par téléphone. Par la suite, les agents de liaison communautaire ont pu tenir des réunions en personne (habituellement dans les locaux de leur organisme ou chez les aînés), mais certains agents ont continué à offrir la possibilité de tenir des réunions téléphoniques.
Localisation
Les programmes de prescription sociale ont été mis en œuvre par des organismes offrant des services communautaires aux aînés dans 19 collectivités de la Colombie-Britannique. Les collectivités en question étaient diversifiées sur le plan de la géographie et de la taille. Quatorze de ces collectivités étaient urbaines et cinq étaient rurales.
Moment et ampleur
L’intensité de la prestation des services dépendait des besoins des aînés. Dans certains cas, les aînés n’ayant besoin que d’une indication (réponse à une question, aiguillage), les responsables des programmes n’ont pas prévu d’inscription et n’ont pas enregistré le nom de ces personnes sur la liste de leurs clients. En ce qui concerne les aînés ayant besoin d’une intervention de prescription sociale complète, les agents de liaison communautaire estiment que 60 % d’entre eux étaient des clients ayant besoin d’un soutien de longue durée, pendant au moins trois mois.
Personnalisation
Comme la prestation de services personnalisés et l’aiguillage sont au cœur des programmes de prescription sociale, les interventions ont été adaptées pour répondre aux besoins de chaque aîné. Les programmes de prescription sociale ont également été adaptés pour répondre aux besoins spécifiques des habitants de chaque collectivité et de diverses catégories d’aînés (aînés immigrants, aînés vivant en milieu rural, etc.), et pour tirer parti des ressources communautaires et des relations avec les organismes. Par exemple, dans le cadre de certains programmes, des services d’interprétation ou des services dans plusieurs langues ont pu être fournis afin de soutenir les aînés ayant des compétences limitées en anglais. Autre exemple, dans la région sanitaire de Fraser, les programmes ont été conçus pour être mis en œuvre en association avec le modèle CARES (Community Action and Resources Empowering Seniors [Mesures et ressources communautaires pour favoriser l’autonomisation des aînés]) utilisé dans cette région sanitaireNote de bas de page 10.
Modifications
Des modifications ont dû être apportées aux interventions en raison de la pandémie de COVID-19, en particulier au début de la pandémie, en raison des consignes de distanciation physique, de la fermeture de nombreux espaces communautaires et des besoins urgents des collectivités. Le changement le plus important concernait la mise en œuvre de l’initiative Safe Seniors, Strong Communities (Aînés en sécurité, collectivités fortes), qui a amené une réorientation temporaire des activités des programmes de prescription sociale, lesquelles ont porté sur des mesures de soutien urgentes en raison de la pandémie. Il s’est également avéré nécessaire, en raison de la pandémie, de prévoir une inscription et des réunions par téléphone plutôt qu’en face à face pour les programmes de prescription sociale, une pratique qui se poursuit aujourd’hui dans le cas de certains programmes.
Succès
Au début de la pandémie, il a été impossible de mettre en œuvre et d’offrir les interventions comme on l’avait prévu à l’origine. Plus tard, lorsque les organismes ont pu offrir leurs programmes de prescription sociale de manière adéquate, on a constaté que des modifications avaient été apportées en raison de la pandémie et du caractère unique du contexte dans lequel évoluaient les organismes et les collectivités. Trois séances de cocréation ont eu lieu au début de 2023. Elles visaient à cerner les principales caractéristiques des programmes de prescription sociale et à fournir une orientation pour un futur manuel de prestation des programmes.
Méthodes d’évaluation
À l’origine, nous avions l’intention d’effectuer une évaluation de l’élaboration des programmes et une évaluation sommative à l’aide d’une approche à méthodes mixtes. Toutefois, la pandémie de COVID-19 a perturbé de façon importante la mise en œuvre des programmes de prescription sociale et la collecte de données longitudinales sur les résultats auprès des clients (retards dans le démarrage des programmes, difficultés à mobiliser les aînés, modification des activités prévues, manque de temps pour les suivis). Bien que des données de référence aient été recueillies auprès d’un premier groupe de 504 clients, l’évaluation n’a permis d’obtenir des données de suivi qu’auprès de 34 clients, lors du suivi effectué à six mois. Ainsi, il en résulte d’importantes préoccupations quant à la validité des données. Il faudrait disposer de plus de temps et effectuer une évaluation plus approfondie pour être en mesure de déterminer les résultats pour chaque aîné participant. Par conséquent, cet article porte plutôt sur les résultats de l’évaluation de l’élaboration des programmes.
Nous nous appuyons sur les données recueillies par les agents de liaison communautaire pour trois composantes de l’évaluation : 1) les données de l’évaluation initiale, recueillies auprès des agents de liaison communautaire en 2020 et en 2021, 2) le profil des programmes élaborés en 2022 et 3) les séances de cocréation tenues en 2023. Centraide Colombie-Britannique a envoyé une invitation aux 19 agents de liaison communautaire pour qu’ils participent aux diverses composantes de l’évaluation. Chacune de ces composantes est décrite plus en détail ci-après.
Après le début de la pandémie, un sondage en ligne sur la COVID-19 a été mené auprès du personnel des 19 programmes pour déterminer dans quelle mesure les programmes de prescription sociale étaient touchés. Le sondage comprenait des questions fermées visant à déterminer si les programmes avaient été offerts comme prévu ou s’ils avaient été modifiés en raison de la pandémie, et si le processus d’inscription avait été entamé. Les participants pouvaient également fournir des commentaires écrits supplémentaires dans le sondage. Un groupe de discussion a également été tenu en 2021 avec 10 agents de liaison communautaire pour explorer plus en détail la mise en œuvre des programmes. Les évaluateurs ont posé des questions pour lancer une discussion sur les changements apportés aux programmes en raison de la pandémie et sur les stratégies utilisées pour la prestation des services ainsi que pour obtenir des commentaires sur les soutiens offerts de même que des suggestions pour l’amélioration des programmes.
En 2022, après la reprise des activités régulières des programmes de prescription sociale, des données ont été recueillies sur chaque programme à partir d’entrevues téléphoniques (n = 19) et d’un sondage en ligne (n = 18). Le sondage a servi à recueillir des renseignements de base sur chaque programme, notamment les caractéristiques de l’organisme offrant le programme (comme sa taille et son emplacement), des renseignements sur le personnel (comme la scolarité et l’expérience des agents de liaison communautaire) et les principales ressources responsables de l’aiguillage. Des entrevues semi-structurées ont servi à recueillir des renseignements sur les approches de la prescription sociale, les éléments facilitateurs et les facteurs limitatifs, les domaines nécessitant un soutien supplémentaire, les réussites et les défis, les partenariats et les leçons tirées de ces expériences.
Les données des entrevues et du sondage pour chaque programme ont ensuite été combinées en un profil de programme, de façon à fournir un portrait complet des caractéristiques, de l’approche, des réussites et des défis du programme de prescription sociale de chaque organisme. Les profils des programmes ont été analysés collectivement pour qu’il soit possible de cerner les défis et les réussites des programmes et de déterminer les lignes directrices et les pratiques exemplaires potentielles des programmes. Les principales constatations tirées de ces profils ont été présentées aux agents de liaison communautaire lors d’une réunion de la communauté de pratique à des fins de validation et d’amélioration. Dans un cas, en raison du remplacement de l’agent de liaison communautaire, il n’a été possible d’obtenir qu’un nombre limité de données sur le profil d’un des programmes. Dans le cas d’un autre programme, le sondage en ligne n’a pas été complété.
Enfin, trois séances de cocréation ont été tenues avec les agents de liaison communautaire au début de 2023. Deux des séances ont eu lieu en personne (avec la possibilité de participer en ligne s’il était impossible de le faire en personne) et une séance a été entièrement tenue en ligne. Ces séances s’appuyaient sur les données recueillies au moyen des profils des programmes et visaient à dégager un consensus sur l’élaboration et la prestation des programmes de prescription sociale ainsi qu’à déterminer les domaines devant ultérieurement faire l’objet d’un soutien. Les avis des agents de liaison communautaire ont été recueillis dans le cadre de discussions de groupe et de sondages supplémentaires, et les notes des séances ont été analysées pour qu’il soit possible d’en dégager les principales constatations. Les sessions de cocréation étaient semi-structurées, en ce sens que les animateurs posaient des questions et suggéraient des thèmes (éléments essentiels et facultatifs des programmes, exemples concernant l’établissement de relations fructueuses au sein de la collectivité, formats et thèmes possibles pour les réunions de la communauté de pratique, etc.), mais que les discussions pouvaient tout de même évoluer de manière spontanée. Des commentaires ont également été recueillis auprès des agents de liaison communautaire par le biais de sondages à questions fermées. Les notes des séances ont été synthétisées pour chaque séance.
Les discussions lors de la première séance de cocréation ont porté sur les caractéristiques des clients qui profitaient le plus des programmes, sur les éléments essentiels des programmes et sur les préférences en matière de formation. Les discussions lors de la deuxième séance de cocréation ont donné lieu à des échanges et à d’autres questions sur les caractéristiques des clients qui profitaient le plus des programmes et sur les éléments essentiels des programmes ainsi qu’à des échanges sur les stratégies destinées à appuyer l’aiguillage vers les programmes. Les discussions lors de la troisième séance de cocréation ont porté sur le rôle des réseaux, des communautés de pratique et des stratégies pour renforcer l’aiguillage des clients vers les programmes.
Dans cet article, nous utilisons les données d’évaluation de 2020 et de 2021 pour fournir un bref contexte du processus de mise en œuvre et des défis qui se sont présentés en raison de la pandémie. L’article porte principalement sur les profils des programmes et les données tirées des séances de cocréation, qui aident à mieux comprendre la mise en œuvre et la prestation des programmes de prescription sociale lorsque les activités normales ont repris. Nous avons eu recours à une analyse thématique pour dégager les thèmes et les principales constatations découlant des profils des programmes et des séances de cocréation. Nous utilisons dans cet article le modèle socioécologique (décrit dans la section suivante) pour structurer ces constatations.
Modèle socioécologique
Le modèle socioécologique tire son origine des travaux de Bronfenbrenner sur le développement humainNote de bas de page 11. Les préoccupations au sujet des approches individualistes en matière de promotion de la santé ont amené les chercheurs à étudier la possibilité de fonder le modèle de promotion de la santé sur un modèle écologique général. McLeroy et ses collaborateursNote de bas de page 12 ont mis au point une variante du modèle de Bronfenbrenner, que l’on appelle le « modèle socioécologique ». Ce modèle socioécologique comporte cinq niveaux emboîtés : le niveau intrapersonnel (les caractéristiques de l’individu), le niveau interpersonnel (les réseaux et systèmes de soutien social formels et informels), le niveau des établissements (les processus, les normes et les règles utilisés dans les établissements), le niveau de la collectivité (les relations entre les organismes, les établissements et les réseaux) et le niveau des politiques publiques (les lois et les politiques)Note de bas de page 12. Comparativement aux modèles écologiques antérieurs, le modèle socioécologique reconnaît plus explicitement l’importance de l’environnement social, des établissements et des contextes culturels qui ont une influence sur la mise en œuvre des interventions en matière de promotion de la santé et qui façonnent la santé et le bien-être des individusNote de bas de page 13.
Résultats
Dans la première section sur les résultats, nous donnons un aperçu de la mise en œuvre des programmes de prescription sociale, incluant les répercussions de la pandémie de COVID-19. Dans la seconde section sur les résultats, en nous fondant sur les données tirées des profils des programmes et des séances de cocréation, nous décrivons les principaux facteurs ayant eu une incidence sur la mise en œuvre et la prestation des interventions, et ce, poue chacun des cinq niveaux du modèle socioécologique. La section « Fournisseurs » du tableau 1 rassemble de l’information de base sur les agents de liaison communautaire qui ont participé à l’évaluation et sur leur organisme.
Mise en œuvre des programmes de prescription sociale
Les programmes de prescription sociale devaient être mis en œuvre de façon progressive entre l’été 2019 et l’été 2020. Toutefois, la pandémie de COVID-19 a considérablement perturbé le lancement des programmes en raison de la fermeture des locaux des organismes, de l’impossibilité de rencontrer les aînés en personne, de la réduction des possibilités en ce qui concerne l’aiguillage et de l’évolution des besoins en matière de soutien des aînés. Selon un sondage sur les programmes de prescription sociale mené à l’automne 2020, il n’y avait que trois cas où les services associés aux programmes étaient offerts comme prévu ou plus efficacement que prévu à l’origine et, dans cinq cas, les services de prescription sociale n’ont même pas pu être offerts.
Si les programmes ont connu un succès très limité avec l’offre de véritables services de prescription sociale au cours de leur première année d’activité, ils ont joué un rôle important dans l’offre de soutien aux aînés vulnérables en lien avec la pandémie de COVID-19. En partenariat avec le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique, l’Office of the Seniors Advocate et 211 British Columbia (un service d’information et d’aiguillage offert aux citoyens de l’ensemble de la province), Centraide Colombie-Britannique a coordonné une réponse à l’échelle provinciale à la pandémie, baptisée Safe Seniors, Strong Communities [Aînés en sécurité, collectivités fortes]. À partir de mars 2020, les programmes de prescription sociale ainsi que d’autres initiatives financées par Centraide Colombie-Britannique en lien avec le vieillissement en santé (Healthy Aging) ont été modifiés de façon à privilégier les mesures de soutien en réponse à la pandémie. En mars 2023, 1 294 248 services avaient été fournis à 39 220 aînés dans le cadre de l’initiative Safe Seniors, Strong Communities (prise de nouvelles par téléphone, épicerie et livraison de l’épicerie, livraison de repas préparés, ramassage de médicaments sur ordonnance, etc.).
Pour la plupart des programmes, les activités de prescription sociale n’ont pas repris avant 2021. Au cours de la première phase du projet de démonstration (depuis le lancement des programmes jusqu’en mars 2022), lorsque les effets de la pandémie de COVID-19 étaient le plus intenses et que les programmes étaient en train d’être mis en place ou de reprendre leurs activités régulières, les programmes ont servi au total 1 110 clients uniques (soit 58 en moyenne par programme). La plupart de ces clients ont été servis en 2021-2022 en raison des perturbations dues à la pandémie. Au cours de la deuxième phase du projet de démonstration (d’avril 2022 à mars 2023), alors que les programmes étaient entièrement établis, 1 484 clients uniques ont été servis (soit 75 en moyenne par programme).
Le tableau 1 décrit les approches et la mise en œuvre des programmes de prescription sociale. Au cours des séances de cocréation, les éléments essentiels des programmes de prescription sociale destinés aux aînés en situation de fragilité ont été abordés. Selon les sondages menés lors de la séance, la plupart des agents de liaison communautaire ont convenu que quatre activités devraient être considérées comme essentielles pour les programmes : 1) établir des liens vers les ressources communautaires dont ont besoin les aînés (accord à 100 %), 2) créer un plan de mieux-être conjointement avec les clients ayant besoin d’un soutien accru (un soutien de plus de trois mois ou un soutien individuel intensif pendant une courte période (accord à 74 %), 3) assurer un suivi et faire des vérifications de façon continuelle dans le cas des clients ayant des plans de mieux-être (accord à 74 %), 4) mettre au point un processus d’évaluation et de triage pour établir l’ordre de priorité des clients ayant été adressés si leur nombre dépasse la capacité du programme (accord à 68 %). Les agents de liaison communautaire étaient ambivalents à propos de deux autres activités à considérer ou non comme essentielles pour les programmes : 1) aide à la navigation dans le système de santé (accord à 58 %) et 2) rétroaction au fournisseur de soins de santé ayant aiguillé le client (accord à 32 %).
Éléments facilitateurs et défis liés à la mise en œuvre et à la prestation des programmes
En nous fondant sur les données tirées des profils de programme et des séances de cocréation, nous décrivons dans les sections qui suivent les principaux éléments facilitateurs et défis qui ont eu une influence sur la mise en œuvre et la prestation des programmes, en suivant les cinq niveaux du modèle socioécologique. Il est important de noter que bon nombre de ces facteurs sont transversaux et chevauchent plusieurs niveaux du modèle : ainsi, bien que nous ayons choisi d’en parler à un certain niveau du modèle socioécologique, la plupart de ces facteurs sont également présents à d’autres niveaux. Un certain nombre de défis se sont présentés en raison de la pandémie, mais nous nous sommes concentrés sur ceux susceptibles d’être pertinents dans un plus large éventail de contextes.
Niveau individuel
Au cours des discussions et des sondages menés lors des séances de cocréation, les agents de liaison communautaire ont convenu à l’unanimité (100 %) que les personnes ayant un soutien familial et social limité sont celles qui bénéficient le plus des interventions de prescription sociale. Ces interventions ont été jugées comme étant le plus bénéfiques également pour les aînés souhaitant recevoir un soutien et motivés à participer (accord à 84 %) et pour les aînés capables de se fixer des objectifs et de s’engager à long terme (accord à 84 %).
Niveau interpersonnel
Au niveau interpersonnel, les relations entre les agents de liaison communautaire et les aînés, le système de soins de santé et les autres ressources communautaires ont été considérées comme essentielles. Il est ressorti des profils des programmes que l’expérience, la connaissance du milieu local et les relations avec les agents de liaison communautaire étaient essentielles à la réussite des programmes. Les agents de liaison communautaire ont signalé qu’ils tiraient parti de leurs connaissances et de leurs relations préexistantes avec d’autres organismes à but non lucratif et organismes de soins de santé de leur collectivité pour : 1) offrir à leurs clients des références vers les ressources communautaires nécessaires, 2) combler les lacunes en matière de services et élaborer de nouvelles activités et de nouveaux services pour répondre aux besoins des aînés (conférences éducatives, formation en technologie numérique, services d’interprétation, etc.) et 3) partager de l’information et des ressources pour mieux soutenir les clients. Un défi commun aux programmes qui ont eu des difficultés à lancer leur service de prescription sociale est le manque d’expérience des agents de liaison communautaire ou le roulement du personnel. Au cours des séances de cocréation, les sujets de formation les plus recommandés pour améliorer les compétences des agents de liaison communautaire étaient les formations sur le fonctionnement du système de soins de santé, les soins de santé disponibles et les ressources communautaires, la détermination des crises de santé mentale, les entretiens motivationnels et l’établissement de limites.
Niveau des établissements
Au niveau des établissements, les agents de liaison communautaire ont cerné les mesures de soutien actuelles et souhaitées de la part de Centraide Colombie-Britannique pour renforcer les programmes de prescription sociale. Selon la plupart des agents de liaison communautaire, l’existence d’une communauté de pratique est importante pour établir des liens avec les responsables des autres programmes de prescription sociale et tirer des leçons de leurs difficultés et de leurs réussites. Il existe une communauté de pratique officielle pour tous les programmes et Fraser Health gère également une communauté de pratique pour les programmes relevant de sa région (les personnes des programmes ne relevant pas de la région peuvent également assister à certaines des séances qui ne sont pas exclusives à Fraser Health). Lors des séances de cocréation, la plupart des agents de liaison communautaire ont indiqué qu’ils préféraient que les réunions de la communauté de pratique aient lieu tous les mois ou tous les deux mois, qu’elles soient présidées par un expert en la matière et qu’il y ait régulièrement des discussions ouvertes en plus des présentations et des activités structurées.
Au cours des entrevues sur les profils des programmes et des séances de cocréation, les agents de liaison communautaire ont également mentionné l’amélioration du soutien en matière de marketing et de communication de la part de Centraide Colombie-Britannique comme moyens d’accroître l’aiguillage des clients et de renforcer la crédibilité des programmes. Au cours des séances de cocréation, les agents de liaison communautaire ont insisté sur l’importance de communiquer aux clients potentiels que les programmes de prescription sociale offrent des services axés sur la personne, sont fondés sur les forces et qu’ils peuvent aider à améliorer l’indépendance et les liens sociaux des aînés. De plus, il est important d’expliquer clairement le rôle de l’agent de liaison communautaire et les types de soutien qui peuvent être offerts.
En ce qui concerne les communications avec les fournisseurs de soins de santé, les agents de liaison communautaire insistent sur l’importance de leur expliquer clairement en quoi consistent les programmes (par exemple diriger les aînés vers les ressources communautaires dont elles ont besoin), qui est le public cible (par exemple les aînés qui ont besoin de liens sociaux et de soutien, les aînés mal desservis) et quels sont les avantages de ces programmes pour les aînés (réduire la solitude, améliorer la qualité de vie et le bien-être, améliorer les compétences et la confiance en soi, etc.). L’importance d’établir la crédibilité des programmes de prescription sociale peut être soulignée, par exemple, en mentionnant que ces programmes sont financés par le ministère de la Santé et affiliés à Centraide Colombie-Britannique. Les agents de liaison communautaire ont également suggéré d’élaborer une brochure que les fournisseurs de soins de santé pourraient remettre aux aînés lors d’un rendez-vous.
Niveau de la collectivité
Les données sur les profils des programmes ont révélé que les principaux défis étaient d’établir des relations avec les fournisseurs de soins de santé (en particulier les médecins de famille) et de les convaincre d’aiguiller leurs clients vers les programmes de prescription sociale. Souvent, les fournisseurs de soins de santé ne comprennent pas ce qu’est la prescription sociale et pour quels clients ces programmes seraient bénéfiques. Certains agents de liaison communautaire ont eu l’impression qu’on ne les prenait pas au sérieux lorsqu’ils essayaient de communiquer avec des cabinets de médecins de famille. À l’origine, il était prévu de cibler principalement les médecins de famille pour ce qui est de l’aiguillage des clients vers des programmes de prescription sociale, mais en raison des difficultés qui se sont présentées, les responsables de la plupart des programmes se sont tournés vers un éventail plus large de fournisseurs de soins de santé. Souvent, les responsables des programmes ont eu plus de succès auprès des fournisseurs de soins à domicile, des centres de santé communautaire, des équipes de santé mentale destinées aux aînés et des équipes chargées des congés d’hôpital.
D’après les données sur les profils des programmes, il est également évident que la force des relations entre les programmes de prescription sociale et le système de soins de santé était très variable. Le fait d’avoir un médecin champion ou une étroite relation de travail préexistante avec un fournisseur de soins de santé a aidé certains responsables de programmes à obtenir l’adhésion de fournisseurs de soins de santé et à les convaincre de leur adresser leurs clients.
En général, les programmes de prescription sociale relevant de Fraser Health ont été les plus efficaces pour établir des relations avec les fournisseurs de soins de santé, car ils ont été mis en œuvre avec l’appui d’un médecin champion dans le cadre du modèle CARES (Community Action and Resources Empowering Seniors [Mesures et ressources communautaires pour favoriser l’autonomisation des aînés]) utilisé dans cette région sanitaire. Les agents de liaison communautaire de cette région ont parlé de la façon dont le médecin champion a été en mesure de leur donner de la crédibilité et de leur ouvrir des portes (certains agents de liaison communautaire d’autres régions sanitaires ont même expliqué comment ce médecin champion a pu leur donner des conseils ou les aider à nouer des contacts).
Dans plusieurs programmes de Fraser Health, il y a eu également une collaboration avec des partenaires du secteur des soins de santé pour mettre à l’essai la prescription sociale dans des établissements d’aide à la vie autonome ou des établissements de soins actifs. En dehors de la région sanitaire du Fraser, les responsables des programmes ont généralement déclaré avoir réalisé des progrès dans l’établissement de relations avec les fournisseurs de soins de santé, mais cela s’est souvent produit assez lentement, de sorte qu’il a fallu plus de temps pour tisser des liens.
Niveau des politiques
Les pénuries de médecins de famille ont constitué un obstacle aux interventions. En effet, plusieurs agents de liaison communautaire ont observé que les médecins de famille ne pouvaient participer aux programmes de prescription sociale parce qu’ils étaient surchargés. Il a également été souligné, en particulier en contexte rural, qu’un nombre considérable d’aînés n’avaient pas de médecin de famille. Par exemple, dans une petite collectivité rurale, on a signalé qu’une personne sur cinq n’avait pas de médecin de famille et que les personnes qui en avaient un devaient attendre six semaines ou plus pour une consultation.
Malgré les efforts considérables déployés par les agents de liaison communautaire pour orienter leurs clients, le manque de ressources communautaires vers lesquelles les orienter a été souvent mentionné comme problématique. Ces lacunes étaient particulièrement préoccupantes dans les collectivités rurales. Certains agents de liaison communautaire ont indiqué que les programmes de prescription sociale devaient être plus flexibles pour qu’il soit possible de créer des activités et des services afin de combler ces lacunes et de faciliter l’aiguillage des clients. Pendant la pandémie, la question de la disponibilité des ressources communautaires a été exacerbée par la fermeture de nombreux organismes et espaces communautaires. Bien qu’il ait été possible d’orienter les aînés vers des activités en ligne, ces personnes n’ont pas toutes accès à la technologie numérique ou ne maîtrisent pas nécessairement la technologie de façon suffisante pour se prévaloir de ces possibilités. De plus, les agents de liaison communautaire ont indiqué que, même après que davantage d’organismes et d’établissements ont rouvert leurs portes et ont recommencé à offrir des activités en personne, certains aînés demeuraient réticents à participer en personne.
Certains aînés vulnérables ont besoin d’un soutien social et émotionnel important pour se prévaloir de ressources communautaires (transport, accompagnement lors de sorties dans la collectivité, services d’interprétation, etc.), ce qui peut mettre à l’épreuve la capacité des programmes de prescription sociale. Plusieurs agents de liaison communautaire ont souligné que des limites devaient être posées et qu’il ne fallait pas essayer de résoudre des problèmes qui ne relèvent pas du programme. Les agents de liaison communautaire ont également indiqué que certains clients ont des besoins complexes et doivent être aiguillés vers des services qui ne sont pas offerts dans leur collectivité ou dont la capacité est insuffisante (logement social, services de santé mentale, sécurité alimentaire, etc.). Bien que les agents de liaison communautaire soient conscients qu’ils ne peuvent pas résoudre tous les problèmes de leurs clients, ils sont troublés par le fait que ces clients aient des enjeux graves liés à leur santé, au logement ou à la pauvreté et qu’ils ne sont pas en mesure de les régler.
Analyse
Les résultats de notre évaluation de l’élaboration des programmes de prescription sociale font ressortir l’importance de planifier la mise en œuvre et la prestation des interventions de prescription sociale à tous les niveaux du modèle socioécologique. Plus particulièrement, notre étude souligne l’incidence que des facteurs liés aux établissements, aux collectivités et aux politiques peuvent avoir sur la mise en œuvre des programmes de prescription sociale.
Le principal défi signalé par les agents de liaison communautaire a été l’établissement de relations avec les médecins de famille pour faciliter les aiguillages, un défi qui touche le niveau interpersonnel, le niveau des établissements, le niveau de la collectivité et le niveau des politiques du modèle socioécologique. Des difficultés liées à l’aiguillage des clients par les médecins de famille ont également été signalées dans d’autres études, notamment en raison du manque de compréhension des programmes de prescription sociale et du manque de temps des médecins de familleNote de bas de page 8Note de bas de page 14. En effet, l’adhésion des médecins de famille et la reconnaissance des programmes de prescription sociale par le système de santé constituent une étape clé de la mise en œuvre de ces programmesNote de bas de page 15. La stratégie la plus efficace qui nous semble émerger pour résoudre ce problème est de recruter un médecin champion, une stratégie qui a également été proposée dans d’autres travaux de rechercheNote de bas de page 14. D’autres stratégies sont aussi recommandées dans la littérature pour favoriser l’adhésion des médecins de famille, notamment des séances régulières de sensibilisation et d’information, l’envoi de lettres de rétroaction sur les aiguillages, l’intégration de spécialistes de la prescription sociale dans les cabinets médicaux et la mise en œuvre d’un processus d’aiguillage rapide et simpleNote de bas de page 14Note de bas de page 15.
Contrairement à ce qu’on peut lire dans la littérature, dans notre étude, la majorité des agents de liaison communautaire n’ont pas mentionné qu’une rétroaction au prescripteur constituait un élément essentiel des programmes. Cela découle peut-être du contexte de la Colombie-Britannique et de la perception selon laquelle les médecins de famille sont surchargés et n’ont pas la capacité ou l’intérêt de consulter de tels documents. Un sondage réalisé en 2022 par Angus Reid a révélé que 59 % des Britanno-Colombiens n’ont pas accès ou ont de la difficulté à avoir accès à un médecin de familleNote de bas de page 16, ce qui confirme qu’il faut faire appel à un plus large éventail de fournisseurs de soins de santé. Les responsables de nombreux programmes de prescription sociale ont signalé qu’il était plus facile d’établir des liens avec d’autres fournisseurs de soins de santé (fournisseurs de soins à domicile et en milieu communautaire, équipes de santé mentale, équipes chargées des congés d’hôpital, etc.), car ceux-ci disposent souvent de personnel qui peut faciliter l’aiguillage des clients, par exemple des gestionnaires de cas.
À l’autre extrême, certains agents de liaison communautaire ont fait état d’un nombre insuffisant d’organismes et de services appropriés vers lesquels aiguiller les aînés, ce qui constitue un défi majeur au niveau de la collectivité et des politiques. La littérature fait déjà état de l’importance d’avoir un secteur d’organismes à but non lucratif et de bénévolat qui soit solide pour appuyer les programmes de prescription socialeNote de bas de page 14Note de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 19. Dans l’article de Hamilton-West et ses collaborateursNote de bas de page 17, les auteurs mettent en garde contre le risque de voir les programmes de prescription sociale accroître la pression sur le secteur des organismes à but non lucratif et du bénévolat, déjà aux prises avec des problèmes de capacités et des problèmes de décharge de responsabilité de la part des systèmes de santé et de soins sociaux.
Étant donné que les programmes de prescription sociale en Colombie-Britannique ont été mis en œuvre pendant la pandémie de COVID-19, il est difficile de savoir dans quelle mesure les lacunes dans les ressources communautaires sont attribuables aux fermetures liées à la pandémie plutôt qu’à des capacités et à un investissement insuffisants dans le secteur des organismes à but non lucratif et du bénévolat. L’accord (68 %) des agents de liaison communautaire sur le fait qu’un processus d’évaluation et de triage des aiguillages devrait être un élément essentiel des programmes montre qu’il existe des enjeux en matière de capacités allant au-delà du contexte de la pandémie. De plus, selon certains agents de liaison communautaire, certains aînés ont d’importants besoins non comblés qui dépassent les capacités des ressources communautaires, ce qui laisse entendre que ces capacités sont insuffisantes dans des secteurs importants, comme la santé et le logement. Dans les collectivités rurales, ces lacunes sont apparues comme particulièrement aiguës.
Au niveau interpersonnel et au niveau de la collectivité, le rôle d’agent de liaison communautaire s’est révélé comme essentiel au succès des interventions de prescription sociale. Le taux de succès des programmes en ce qui concerne l’accueil ou l’aiguillage des clients est généralement plus élevé lorsque les agents de liaison communautaire sont expérimentés, connaissent bien les ressources communautaires et ont des relations préexistantes avec d’autres organismes et fournisseurs au sein de la collectivité.
Par ailleurs, certains agents de liaison communautaire ont indiqué qu’ils ne se contentaient pas d’orienter les clients, mais qu’ils offraient aussi des mesures de soutien supplémentaires en ce qui concerne l’accès aux ressources (transport, accompagnement lors de sorties) et qu’ils organisaient ou concevaient de nouvelles ressources ou activités communautaires pour répondre aux besoins des aînés dans leur collectivité. Cela donne à penser que les agents de liaison communautaire peuvent jouer un rôle plus vaste dans le soutien des aînés vulnérables et contribuer au renforcement des capacités au sein de leur collectivité. Toutefois, cela signifie également que les agents de liaison communautaire pourraient être surchargés s’ils ne reçoivent pas les ressources et le soutien dont ils ont besoin. Au Royaume-Uni, des approches de prescription sociale intégrant le renforcement des ressources communautaires sont en cours d’élaborationNote de bas de page 20Note de bas de page 21. Par exemple, à Rotherham, il existe des subventions pour les interventions de prescription sociale et les activités et programmes auxquels les clients sont adressésNote de bas de page 20.
Au niveau des établissements, nous avons notamment constaté dans notre évaluation combien les communautés de pratique étaient importantes et combien les agents de liaison communautaire tiraient profit de la possibilité d’échanger avec d’autres agents de liaison communautaire. Au Royaume-Uni, les agents de liaison communautaire ont fait valoir les avantages du jumelageNote de bas de page 22, ce qui laisse penser qu’un mentorat ou un soutien individuel peut également être bénéfique pour les agents de liaison communautaire moins expérimentés. De plus, d’après des travaux de recherche antérieurs, on sait qu’il faut faire attention au stress et à l’épuisement professionnel lorsqu’on a affaire à une clientèle complexe ayant des besoins importantsNote de bas de page 15Note de bas de page 22Note de bas de page 23, ce qui fait qu’il est important que les agents de liaison communautaire reçoivent une formation efficace et un soutien émotionnel. Dans l’article de Tierney et ses collaborateursNote de bas de page 15, les auteurs notent également que, lorsqu’un agent de liaison communautaire quitte son poste, il peut falloir du temps pour que son successeur acquière les mêmes connaissances communautaires et tisse les mêmes liens que son prédécesseur.
Points forts et limites
Les principaux points forts de notre évaluation sont le grand nombre de programmes de prescription sociale (n = 19) et le fait qu’il y ait des programmes mis en œuvre dans des collectivités rurales. Autre point fort de l’étude, les multiples points de collecte de données entre 2020 et 2023 ont permis de dresser un tableau plus complet des interventions. De plus, l’évaluation enrichit nos connaissances sur les programmes de prescription sociale destinés aux aînés en situation de fragilité, une population cible vulnérable qui n’a fait l’objet que de peu de travaux de recherche sur la prescription sociale au Canada à ce jour.
Cela dit, il convient également de souligner plusieurs limites à notre recherche. Tout d’abord, en raison des perturbations causées par la pandémie de COVID-19, il s’est avéré impossible d’évaluer les répercussions des interventions de prescription sociale sur les aînés à l’échelle individuelle. Ensuite, en raison de problèmes sur le plan des effectifs, la collecte de données pour l’établissement du profil de deux programmes s’est avérée incomplète ou limitée. Enfin, comme nos données ont été recueillies en Colombie-Britannique principalement pendant la pandémie de COVID-19, certains résultats sont susceptibles de ne pas être généralisables à d’autres contextes.
Conclusion
À mesure que les populations du monde vieilliront, on s’intéressera de plus en plus aux interventions visant à répondre aux besoins non médicaux des aînés en situation de fragilité et des aînés isolés ou sans soutien social. Les résultats de l’évaluation du développement des programmes dont il est question dans cet article nous permettent de mieux comprendre les programmes de prescription sociale destinés aux aînés. Ils mettent en lumière divers aspects du modèle socioécologique, notamment les éléments clés des programmes ainsi que les éléments facilitateurs et les obstacles rencontrés au cours de la mise en œuvre et de la prestation des programmes. Notre étude met en lumière les avantages du recours à un large éventail de fournisseurs de soins de santé et de services sociaux pour l’aiguillage des clients plutôt que de se limiter aux médecins de famille. Elle souligne l’importance des médecins champions et des communautés de pratique, le rôle vital de l’agent de liaison communautaire dans la mobilisation des connaissances, le renforcement des capacités et l’établissement de relations ainsi que l’importance d’un investissement suffisant dans le secteur des organismes à but non lucratif et du bénévolat afin qu’il soit possible de tirer pleinement parti des possibilités offertes par la prescription sociale.
Remerciements
Nous tenons à remercier les 19 organismes offrant des programmes de prescription sociale à l’intention des aînés et les agents de liaison communautaire pour leur participation à notre évaluation.
Nous tenons à souligner que les Integrated Community-Based Programs for Older Adults with Higher Needs sont financés par la province de la Colombie-Britannique.
Conflits d’intérêts
Laura Kadowaki, Bobbi Symes et Kahir Lalji travaillent pour Centraide Colombie-Britannique. Grace Park est directrice médicale régionale contractuelle des services de santé communautaires à Fraser Health. Wynona Giannasi, Jennifer Hystad et Elayne McIvor sont consultantes indépendantes de Howegroup et ont été chargées de mener l’évaluation des programmes de prescription sociale.
Contribution des auteurs et avis
Conception : LK, BS, KL, GP, WG, JH, EM.
Enquête, méthodologie, administration de projet : WG, JH, EM.
Analyse formelle : WG, JH, EM, LK.
Rédaction de la première version du manuscrit : LK.
Relectures et révisions : LK, BS, KL, GP, WG, JH, EM.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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