Recherche qualitative originale – Besoins et priorités des aînés en matière de prescription sociale au Canada : une analyse qualitative

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Cindy Yu, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Simran Lail, B.A.Note de rattachement des auteurs 2; Sandra Allison, M.D.Note de rattachement des auteurs 3; Srija Biswas, M. Sc. S.Note de rattachement des auteurs 4; Paul Hebert, M.D.Note de rattachement des auteurs 5; Sonia Hsiung, M.T.S.D.Note de rattachement des auteurs 4; Kate Mulligan, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 6; Michelle L. Nelson, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 7Note de rattachement des auteurs 8; Marianne Saragosa, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 7; Vivian Welch, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 9Note de rattachement des auteurs 10; Kiffer G. Card, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.9.03f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

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Attribution suggérée

Article de recherche par Yu C et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0

Rattachement des auteurs
Correspondance

Kiffer G. Card, Faculté des sciences de la santé, Université Simon Fraser, 8888, University Drive, Burnaby (Colombie-Britannique) V5A 1S6; courriel : kcard@sfu.ca

Citation proposée

Yu C, Lail S, Allison S, Biswas S, Hebert P, Hsiung S, Mulligan K, Nelson ML, Saragosa M, Welch V, Card KG. Besoins et priorités des aînés en matière de prescription sociale au Canada : une analyse qualitative. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(9):407-417. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.9.03f

Résumé

Introduction. La prescription sociale est une approche holistique et collaborative qui vise à aider les individus à avoir accès aux mesures de soutien et aux services communautaires nécessaires pour combler leurs besoins sociaux non médicaux. Cette étude visait à évaluer les besoins et les priorités des aînés canadiens (55 ans et plus), en portant une attention particulière à l’optimisation des programmes de prescription sociale à l’intention des personnes qui sont systémiquement défavorisées et socialement marginalisées.

Méthodologie. Des groupes de discussion semi-structurés (N = 10 groupes, 43 participants) ont été organisés en ligne sur Zoom avec des participants de l’ensemble du Canada. La transcription des données et l’analyse thématique ont été réalisées à l’aide du logiciel NVivo. Les analyses s’appuient sur la théorie de l’autodétermination.

Résultats. D’après nos résultats, les aînés souhaitent avoir accès à des programmes de prescription sociale qui respectent leur capacité à maintenir leur autonomie et leur indépendance; qui favorisent le développement de liens et d’un sentiment d’appartenance; qui sont fondés sur la confiance et l’établissement de relations solides dans les interactions avec les fournisseurs et les agents de liaison communautaires et qui donnent la priorité à la personne, personnalisant ainsi la prescription sociale en fonction des besoins spécifiques de chacun.

Conclusion. Les programmes de prescription sociale doivent être fondés sur les valeurs des aînés. Alors que des travaux sont actuellement en cours pour formaliser et étendre la prescription sociale au Canada, la personnalisation de ces programmes en fonction de la situation, des besoins et des priorités spécifiques des participants devrait être une priorité majeure.

Mots-clés : prescription sociale, recherche qualitative, aînés, déterminants sociaux de la santé, besoins sociaux

Points saillants

  • Les aînés structurellement défavorisés et socialement marginalisés souhaitent avoir accès à des programmes de prescription sociale qui respectent leur autonomie et leur indépendance, renforcent leurs liens sociaux et les aident à retrouver un sentiment d’appartenance à leur collectivité.
  • Il est primordial d’établir un lien de confiance et une relation solide avec un agent de liaison ou un fournisseur de soins de santé.
  • Chaque aîné est unique et a besoin de ressources et de mesures de soutien personnalisées, en particulier s’il est structurellement marginalisé et socialement défavorisé.
  • Pour être efficace, la mise en œuvre de la prescription sociale au Canada doit viser à répondre aux besoins d’autonomie, d’affiliation sociale et de compétence des aînés.

Introduction

La prescription sociale en tant qu’intervention holistique

La prescription sociale est une approche holistique visant à améliorer la santé et le bien-être en répondant aux besoins sociaux non médicaux liés à la santé des participants, tels qu’une mauvaise intégration sociale, l’insécurité en matière de logement et d’alimentation et une mauvaise santé mentaleNote de bas de page 1Note de bas de page 2. Pour y arriver, la prescription sociale fournit un cadre formel permettant aux fournisseurs de soins de santé et aux fournisseurs interprofessionnels de la collectivité d’orienter les clients vers des services et du soutien locaux, communautaires et non médicaux aptes à répondre au bien-être, aux intérêts et aux besoins personnels de chaque client par le biais d’une approche centrée sur la personne et fondée sur la collaboration. La prescription sociale crée ainsi une forte intégration entre les soins médicaux et les systèmes de soins communautaires, tout en donnant aux clients les moyens de prendre part à des activités dans leur collectivité et de participer activement à l’amélioration de leur santéNote de bas de page 3. La mise en œuvre réussie d’un programme de prescription sociale suppose un suivi afin de réduire les obstacles à l’accès et de s’assurer que les mesures de soutien sont appropriées et apportent des bénéfices au client. Une évaluation minutieuse des interventions de prescription sociale est également essentielle pour s’assurer qu’elles répondent aux besoins des participantsNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6.

Historique et adaptation locale des programmes de prescription sociale

L’idée de la prescription sociale a vu le jour et a été mise en œuvre en Angleterre entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990 afin d’orienter les patients vers des services locaux non cliniques. Depuis lors, la prescription sociale suscite de l’intérêt dans de nombreux paysNote de bas de page 7. Au Canada, la prescription sociale a également pris de l’ampleur, stimulée par un ensemble croissant de données probantes soulignant l’importance d’aborder les déterminants sociaux de la santé pour assurer la santé et le bien-être en généralNote de bas de page 8Note de bas de page 9. La façon dont la prescription sociale est mise en œuvre dépend du contexte et varie d’une administration à l’autre. Ces différences portent sur l’échelle et la portée des services offerts et la manière dont les services sociaux et de santé sont intégrésNote de bas de page 7. Il est donc important d’identifier les besoins des participants aux programmes locaux lors de la mise à l’échelle des programmes de prescription sociale.

Besoins des aînés en matière de prescription sociale

Bien que l’isolement social et la solitude soient préjudiciables au bien-être et à la santé de toutes les populations, ils constituent un risque particulier, sous-estimé, pour les aînésNote de bas de page 10Note de bas de page 11. Les aînés sont plus susceptibles de présenter des facteurs de risque qui aggravent de manière bidirectionnelle l’isolement social et la solitude, comme une maladie chronique, la perte de membres de la famille et le fait de vivre seulNote de bas de page 12. Il est prouvé que l’isolement social est également lié à des risques majeurs pour la santé, notamment un décès prématuréNote de bas de page 13. Les aînés des populations marginalisées et mal desservies sont particulièrement touchés par les effets néfastes de l’isolement social et de la solitude sur leur bien-être général et leur qualité de vieNote de bas de page 12Note de bas de page 14.

Afin de s’assurer que les parcours de prescription sociale, ainsi que les mesures de soutien et les services qu’ils permettent d’offrir aux clients, puissent profiter aux personnes qui ont le plus besoin de ces programmes, il est essentiel de comprendre les priorités des aînés qui subissent des désavantages structurels et une marginalisation sociale, c’est-à-dire les aînés dont les privilèges pourraient être limités dans le système et la structure sociale actuels en raison de leur race, de leur sexe, de leur sexualité, de leur âge, de leur handicap, de leur isolement ou de leur statut socio-économiqueNote de bas de page 15. Compte tenu de la nature centrée sur la personne de la prescription sociale, la participation du client à la conception et à la production (c’est-à-dire la création d’activités de service grâce à une compréhension et à un accord mutuels entre les utilisateurs de services [aînés] et les fournisseurs de services [fournisseurs de soins de santé et fournisseurs de services communautaires]) fait partie intégrante de la viabilité à long terme de la prescription socialeNote de bas de page 16.

Selon les travaux de recherche sur le sujet, la prescription sociale est apte à aider les aînés à répondre à leurs besoins en matière de santé et de bien-êtreNote de bas de page 11Note de bas de page 17. Bhatti et ses collaborateurs ont étudié la façon dont la prescription sociale facilite l’obtention de résultats positifs chez des patients (de 26 à 81 ans) de 11 centres de santé communautaires de l’Ontario et ils ont pu constater que les patients déclaraient que la prescription sociale répondait à leurs besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation socialeNote de bas de page 18. Dans leur revue de la littérature, Rothe et Heiss ont conclu qu’il était nécessaire que les agents de liaison jouent un rôle actif et de soutien auprès des personnes ayant des besoins psychosociaux et pour certaines personnes souffrant de maladies physiques ou mentalesNote de bas de page 19.

En outre, la plupart des études indiquent qu’il est important d’orienter les participants vers des activités qui répondent à leurs préférences personnelles et à leurs besoins identitaires. Wildman et ses collaborateurs ont interviewé des participants (de 40 à 74 ans) vivant dans une zone socio-économiquement défavorisée du nord-est de l’AngleterreNote de bas de page 20. Bien que les participants aient fait état d’une amélioration de leurs liens sociaux et de la prise en charge de leur état de santé, ils ont également éprouvé des difficultés liées à leur multimorbidité, à leur situation familiale et à des facteurs sociaux, économiques et culturels, ce qui souligne l’importance d’interventions plus complexes en matière de prescription sociale pour les personnes devant faire face à une multitude de désavantages sociaux et à une marginalisation structurelle. Le rôle d’une relation de soutien solide avec un agent de liaison accessible s’est révélé particulièrement important pour les participants à cette étude.

Buts et objectifs de l’étude

Il existe actuellement peu d’études sur les besoins, les attitudes et les croyances en matière de prescription sociale des aînés ayant des parcours variésNote de bas de page 21. La compréhension de ces éléments joue un rôle important lorsqu’il s’agit d’introduire et de promouvoir la prescription sociale au Canada. Notre étude exploratoire a eu pour but d’explorer les besoins et les priorités spécifiques des aînés subissant des désavantages systémiques et une marginalisation sociale. Notre étude a visé plus particulièrement à recueillir des points de vue sur les éléments suivants : 1) les expériences et l’intérêt des aînés à l’égard de la prescription sociale; 2) la mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec leur fournisseur de soins primaires; 3) la mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec d’autres fournisseurs de services communautaires; 4) les qualités qu’ils recherchent chez un agent de liaison et 5) les obstacles pouvant entraver leur participation.

Méthodologie

Approbation en matière d’éthique

Les procédures de l’étude ont été approuvées par le comité d’éthique de la recherche de l’Université Simon Fraser (CER 30001382).

Cadre théorique

Cette étude s’appuie sur la théorie de l’autodétermination, qui avance l’idée que les personnes qui ont la possibilité de décider de leurs actions sont davantage susceptibles d’éprouver un bien-être plus important et une plus grande motivation à l’égard du changement. La théorie postule que l’autodétermination passe par la satisfaction de trois besoins psychologiques : 1) l’autonomie (c’est‑à‑dire le sentiment de maîtriser ses comportements, ainsi que d’avoir le choix et le pouvoir de prendre des décisions concernant des éléments importants), 2) la compétence (c’est-à-dire la capacité à réaliser efficacement ce que l’on entreprend et à avoir une influence sur les résultats) et 3) l’affiliation sociale (c’est-à-dire les liens sociaux et le sentiment d’appartenance, ainsi que le sentiment d’être compris, pris en charge et apprécié par les autres)Note de bas de page 22. La théorie de l’autodétermination a déjà été mise en œuvre dans la recherche sur le vieillissement en bonne santé chez les aînésNote de bas de page 23 ainsi que pour comprendre et améliorer la prescription socialeNote de bas de page 18Note de bas de page 24Note de bas de page 25.

Recrutement des participants et collecte des données

Cette étude qualitative repose sur des groupes de discussion semi-structurés et une analyse thématique pour explorer les attitudes et les expériences des aînés en matière de prescription sociale. Un groupe de discussion constitue une forme particulière d’entretien qui encourage la discussion entre participants et où l’intervieweur joue le rôle d’animateur chargé de guider cette discussionNote de bas de page 26. Nous avons organisé des groupes de discussion sur Zoom, chaque séance de discussion durant entre 60 et 90 minutes et rassemblant, outre l’animateur, entre 3 et 7 participants par groupe. les animateurs (CY, SL) ont suivi, avec des collègues de laboratoire, une formation portant sur la pratique des groupes de discussion qui accorde la priorité à la pratique des compétences d’animation ouverte et à la sensibilisation aux enjeux délicats.

Les questions posées aux groupes de discussion ont été élaborées avec la participation de tous les auteurs et sont présentées dans le tableau 1. Toutes les discussions se sont déroulées en anglais.

Tableau 1. Questions des groupes de discussion sur les besoins et les priorités des aînés en matière de prescription sociale au Canada

  1. Avez-vous déjà fait l’expérience de quelque chose de similaire à la prescription sociale? Par exemple, vos médecins vous ont-ils dirigé vers une ressource ou du soutien pour un besoin social non médical lié à la santé?
  2. Seriez-vous intéressé(e) et disposé(e) à participer à des activités de prescription sociale et à les mener à terme? Quels sont les types d’activités de prescription sociale qui vous intéresseraient le plus?
  3. Dans quelle mesure seriez-vous à l’aise de parler de vos besoins non médicaux et sociaux à votre fournisseur de soins primaires?
  4. Quelle a été votre expérience avec d’autres fournisseurs de services communautaires? Seriez-vous à l’aise de recevoir des prescriptions sociales de la part de fournisseurs de services communautaires autres que votre fournisseur de soins primaires?
  5. Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon agent de liaison?
  6. Y a-t-il des obstacles auxquels vous pourriez devoir faire face dans le cadre de votre participation à la prescription sociale?

Tous les participants ont donné leur consentement éclairé. Les aînés ont été recrutés par le biais d’une enquête en ligne menée précédemment sur les besoins en matière de soins de santé et leur utilisation ainsi que sur les attitudes des personnes de 55 ans et plus résidant au Canada à l’égard de la prescription sociale. La promotion de l’enquête en ligne a été effectuée au moyen de publicités payantes sur Facebook, Instagram, Twitter et Google Ads, ainsi que par le biais des services de soins de santé de première ligne, et tous les participants ont été inscrits à un tirage au sort permettant de gagner 200 $ canadiens en argent comptant. L’enquête en ligne a présenté aux participants le concept de la prescription sociale et a souligné les différences importantes dans les résultats en matière de santé et de bien-être général en fonction des caractéristiques individuelles et de l’expérience vécue.

Seuls les aînés ayant subi au moins une des formes suivantes de marginalisation sociale et de désavantage structurel pouvaient participer, la priorité étant accordée à ceux qui en avaient signalé plusieurs formes : un état de santé médiocre ou mauvais; un handicap; l’appartenance à un groupe racisé, le fait d’être nouvel arrivant ou une identité autochtone; le fait de s’identifier comme une personne 2ELGBTQI+; un revenu du ménage faible (< 30 000 dollars canadiens par an) et enfin l’isolement social ou le fait d’être confiné à la maison. Il convient de noter que ces facteurs peuvent désavantager et marginaliser les individus à des degrés divers, et que chaque participant à cette étude subissait ou avait subi au moins une forme de désavantage ou de marginalisation.

Après l’invitation par courriel, les participants se sont rencontrés sur Zoom et ont participé aux groupes de discussion semi-structurés sur les expériences et les attitudes à l’égard de la prescription sociale. Avant la discussion, des informations sur la prescription sociale leur ont été présentées pour s’assurer qu’ils comprenaient en quoi consistait l’intervention et ce qu’elle supposait de façon générale. Les données ont été recueillies au moyen des fonctions d’enregistrement vidéo et de transcription audio de Zoom pour les enregistrements dans le nuage. Des inexactitudes mineures dans la transcription ont été corrigées grâce à la vérification manuelle des enregistrements vidéo de ces groupes de discussion.

Analyse des données

L’analyse des données, réalisée à l’aide de la version 11 du logiciel NVivoNote de bas de page 27, a fait appel à une approche thématique élaborée par Braun et ClarkeNote de bas de page 28 et à l’application de la théorie de l’autodéterminationNote de bas de page 22. Le processus d’analyse thématique a démarré par de multiples lectures des transcriptions afin d’obtenir une compréhension globale des données. Des codes ont été créés sur la base des tendances, des idées et des thèmes qui sont ressortis des données. Ces codes ont ensuite été organisés en thèmes plus généraux au cours de plusieurs cycles de mise en correspondance et de connexion des codes initiaux. Ces thèmes généraux ont ensuite été revus et peaufinés au moyen de processus d’analyse itératifs jusqu’à l’établissement des thèmes définitifs. L’analyse des données a été considérée comme terminée lorsque le point de saturation des thèmes et des données a été atteint. Nous avons sélectionné certaines citations à partir des transcriptions pour mettre en évidence les points essentiels afin de les inclure dans l’analyse.

Résultats

Les caractéristiques sociodémographiques des participants aux groupes de discussion sont présentées dans le tableau 2.

Tableau 2. Caractéristiques sociodémographiques des aînés participant aux groupes de discussion
Caractéristiques sociodémographiques N %Note de bas de page *
Total 43 100
Âge (ans)
55 à 59 13 30
60 à 69 20 47
70 à 79 7 16
80 à 89 3 7
Sexe
Homme 11 26
Femme 32 74
Province
Colombie-Britannique 12 28
Alberta 4 9
Saskatchewan 2 5
Manitoba 4 9
Ontario 15 35
Québec 3 7
Nouveau-Brunswick 1 2
Nouvelle-Écosse 1 2
Terre-Neuve-et-Labrador 1 2
Origine ethnique
Groupe racisé 21 48
Autochtone 7 Note de bas de page a
Asiatique de l’Est 5 Note de bas de page a
Latino-américain 3 Note de bas de page a
Moyen-Oriental 3 Note de bas de page a
Noir africain 1 Note de bas de page a
Asiatique du Sud 1 Note de bas de page a
Asiatique du Sud-Est 1 Note de bas de page a
Blanc 22 51
Collectivité
Grand centre urbain 18 42
Ville de taille moyenne 3 7
Petite ville 10 23
Zone rurale 12 28
Revenu ($ CA)
< 10 000 2 5
10 000 à 19 999 16 37
20 000 à 29 999 5 12
30 000 à 39 999 6 14
40 000 à 49 999 4 9
50 000 à 99 999 5 12
100 000 et plus 3 7
n.d. 2 5
Emploi
Sans emploi 34 79
Temps plein 2 5
Temps partiel 7 16
Personne vivant seule
Personne vivant seule 23 54
Personne ne vivant pas seule 20 47
Autonomie
Autonome 39 91
Ne peut pas quitter son domicile sans assistance 4 9
Handicap
Tout handicap 38 88
Aucun handicap 5 12

Une analyse thématique des résultats des groupes de discussion semi-structurés a permis de dégager plusieurs thèmes clés : 1) l’importance de prendre en compte le sentiment d’autonomie et d’indépendance des aînés, 2) le sentiment d’affiliation sociale et d’appartenance, la confiance et l’établissement de relations avec les fournisseurs et 3) la spécificité de l’identité personnelle de chaque personne et la manière dont cette identité joue sur ses besoins et ses désirs ainsi que sur les obstacles auxquels elle se heurte en matière de prescription sociale. Ces thèmes sous-tendent notre compréhension des cinq catégories de discussion, à savoir :

  1. les expériences et l’intérêt des aînés à l’égard de la prescription sociale;
  2. la mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec leur fournisseur de soins primaires;
  3. la mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec d’autres fournisseurs de services communautaires;
  4. les qualités qu’ils recherchent chez un agent de liaison; 
  5. les obstacles pouvant entraver leur participation.

Chacune de ces catégories est analysée plus en détail ci-dessous, avec des exemples de citations des participants aux groupes de discussion.

1. Expériences et intérêt des aînés à l’égard de la prescription sociale

Les expériences et l’intérêt des aînés à l’égard de la prescription sociale se sont révélés très variés. Très peu connaissaient la prescription sociale ou en avaient fait l’expérience, que ce soit de manière formelle ou par le biais de pratiques comportant des éléments de prescription sociale. Les personnes qui connaissaient la prescription sociale ou qui en avaient fait l’expérience avaient souvent entendu parler de mesures de soutien non médicales offertes par le biais de divers fournisseurs, par exemple des médecins ou des agents de santé communautaire, pour des problèmes liés à la santé (par exemple après une intervention chirurgicale), mais aussi en cas de changements et de transitions dans la vie (par exemple la perte d’un conjoint, un divorce) et pour favoriser la santé mentale et réduire le stress en général. Les interventions de prescription sociale relevaient des catégories suivantes : groupes sociaux, santé et bien-être, ressources communautaires et soutien professionnel et financier. Il est à noter que la plupart des expériences de prescription sociale n’avaient pas été appelées « prescription sociale » mais, de façon plus générale, consistaient en un aiguillage d’une personne vers des ressources ou des mesures de soutien non médicales centrées sur la personne. Ces résultats donnent à penser qu’il est nécessaire de sensibiliser les gens à la prescription sociale et de formaliser le concept de prescription sociale.

La volonté de participer à la prescription sociale variait également beaucoup d’un participant à l’autre. Les personnes qui n’avaient aucun intérêt pour la prescription sociale ont souvent mentionné qu’elles étaient satisfaites de leurs relations interpersonnelles et de leurs groupes d’appartenance actuels (liens familiaux, amis proches et connaissances) et qu’elles préféraient la solitude. Il faut souligner que ces deux points dépendaient de deux facteurs essentiels : ces personnes étaient en bonne santé et autonomes. Les aînés étaient nombreux à indiquer que, si l’un de ces deux facteurs se détériorait, ils envisageraient de recourir à la prescription sociale. Il convient également de noter que l’état de santé et l’autonomie n’étaient pas fortement dépendants de l’âge, dans la mesure où plusieurs octogénaires se percevaient comme ayant une bonne santé physique et cognitive :

Je suis très reconnaissante de ma bonne santé, car je n’ai pas de problèmes de santé majeurs et je suis capable d’être très active physiquement et au sein de la communauté. (femme, 81 ans, résidente d’une petite ville)

Chez les personnes intéressées par la prescription sociale, les catégories d’activités de prescription sociale suscitant l’intérêt étaient la santé holistique, le bien-être et la forme physique, les arts et la culture, l’éducation et le développement personnel, les groupes sociaux et la collectivité ainsi que la nature et les activités de plein air. La diversité des activités de prescription sociale, dont certaines étaient même à l’opposé l’une de l’autre (comme une activité en ligne comparativement à une activité hors de la maison), semble indiquer qu’il faut adopter une approche individualisée et centrée sur la personne. Comme l’a fait remarquer une participante, « chaque personne est unique et ses besoins sont uniques » (femme, 64 ans, résidente d’une zone rurale).

Dans le cas des personnes souhaitant participer à la prescription sociale, un thème dominant est apparu : le désir de rester actif sur le plan physique et mental ainsi que sur le plan social. Ces personnes ont exprimé un grand besoin d’établir des liens sociaux et d’avoir de la compagnie, souvent en raison de l’absence de réseau social ou de liens familiaux. Certaines personnes préféraient entretenir des liens avec des personnes ayant un parcours ou des intérêts similaires, tandis que d’autres souhaitaient avoir des interactions diverses, comme des liens intergénérationnels et la compagnie d’animaux. Leur désir de « renouer avec la vie » est clairement ressorti dans les raisons qui les inciteraient à participer à la prescription sociale :

Oui, je souhaiterais participer et essayer de trouver davantage d’activités favorisant les relations humaines. Nous pouvons mener une vie assez solitaire, et le fait de réintégrer une communauté nous serait bénéfique. (femme, 72 ans, résidente d’une petite ville)

2. Mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec les fournisseurs de soins primaires

Puisque les fournisseurs de soins primaires et les agents de liaison jouent un rôle essentiel dans le processus de prescription sociale, la relation entre les aînés et leurs fournisseurs et agents de liaison est un facteur essentiel à prendre en compte. Nous avons demandé aux aînés dans quelle mesure ils se sentaient à l’aise avec leur fournisseur de soins primaires et quelles étaient les qualités les plus appréciées chez un éventuel agent de liaison. Le degré d’aisance des personnes à discuter avec leurs fournisseurs de soins de santé de leurs besoins sociaux non médicaux liés à la santé était très variable. Dans les groupes de discussion, les participants ont souvent discuté de leur relation générale avec leur fournisseur de soins plutôt que de parler directement de leur degré d’aisance à discuter de leurs besoins sociaux avec leur fournisseur de soins de santé. Cela souligne l’importance de la relation générale entre le client et le fournisseur dans l’élaboration des processus de prescription sociale.

Les aînés qui entretenaient des relations positives ont cité l’attention sincère, la confiance et les bons rapports comme des facteurs essentiels. Leurs fournisseurs de soins de santé ne s’en tenaient pas uniquement au modèle médical, mais étaient prêts à travailler en dehors de celui-ci, posant des questions sur les émotions et la vie, ce qui fait que les aînés avaient l’impression que leur fournisseur de soins de santé se souciait réellement d’eux et avait de bonnes intentions, comme en témoigne le fait qu’il n’était pas pressé, qu’il écoutait, qu’il assurait un suivi et qu’il était avenant. Il s’agissait de relations de longue date reposant sur une base de confiance : 

Je fais confiance à mes médecins. J’ai la chance d’avoir un très bon médecin de famille et un très bon médecin spécialiste de la douleur. Mon médecin spécialiste de la douleur n’a pas peur de sortir du cadre médical, vous savez, il m’a recommandé la pleine conscience, et il est toujours à la recherche de nouvelles idées qui n’exigent pas nécessairement la prise de médicaments. (femme, 69 ans, résidente d’une petite ville)

Les aînés ayant des relations négatives avec leurs fournisseurs de soins de santé ont mentionné que l’absence de ces mêmes facteurs (c’est-à-dire une attention sincère, de la confiance et de bons rapports) avait un effet néfaste sur leur degré d’aisance avec leurs fournisseurs de soins de santé. Leurs fournisseurs de soins de santé ne s’intéressaient souvent qu’à des questions médicales (par exemple le renouvellement des ordonnances), ne tenaient pas compte de préoccupations émotionnelles et ne posaient pas de questions pour déceler des problèmes plus profonds et sous-jacents. Dans ces situations, il n’y avait pas de confiance ou de connexion entre l’aîné et son fournisseur de soins, peut-être parce que ce dernier était trop occupé (par exemple un seul motif de consultation par visite, rendez-vous téléphonique d’abord), ne semblait pas se soucier réellement du problème de santé de l’aîné (a souvent renoncé à essayer de régler le problème, a semblé impersonnel et intimidant, n’a pas assuré de suivi ou a manqué d’empathie) ou s’est montré autoritaire (attitude paternaliste) :

Toutefois, certains panneaux indiquent précisément que les médecins ne peuvent vous aider que pour une seule question par visite et par jour. C’est intimidant. Et puis nous ne nous sentons pas à l’aise de nous imposer lorsque nous ne sommes pas autorisés à le faire. (femme, 58 ans, résidente d’une petite ville)

Même parmi les personnes ayant des relations positives, certaines ne se sentaient pas à l’aise de parler de leurs besoins sociaux parce qu’il s’agissait d’un sujet peu habituel dans le contexte des soins de santé. Ce constat donne à penser qu’il est nécessaire de normaliser ces conversations. Comme l’a fait remarquer une participante, « je vois un médecin traitant à la clinique et je le considère comme mon médecin; mais il est également soumis à des contraintes de temps et il a un horaire surchargé. Donc, il ne m’interroge pas à ce sujet, et je ne lui dis rien » (femme, 55 ans, résidente d’un grand centre urbain).

Dans le cas d’autres aînés, des facteurs externes ont également influé sur leurs relations avec leur fournisseur de soins de santé, comme le fait de ne pas avoir de fournisseur de soins primaires du tout, d’avoir un fournisseur effectuant des consultations entièrement à distance et n’étant donc pas au courant des ressources et du soutien à l’échelle locale ou encore de n’avoir établi une relation avec ce fournisseur que récemment. Les aînés ayant noué une relation avec un nouveau fournisseur de soins ont souvent indiqué qu’ils avaient entretenu une relation de longue date avec leur ancien fournisseur de soins, qui avait pris sa retraite, et qu’ils avaient besoin de plus de temps pour établir une relation de confiance.

Quant aux personnes vivant en milieu rural, elles ont fait état soit de relations positives parce que leur fournisseur était avenant et impliqué dans leur collectivité, soit de relations négatives parce que leur fournisseur exerçait dans leur ville dans le cadre d’un contrat à court terme (par exemple deux ans) : « Le taux de roulement des médecins est si élevé [dans des milieux ruraux] que j’ai l’impression que dans deux ans, j’aurai encore un nouveau médecin. Je devrai alors bâtir une relation totalement nouvelle » (femme, 61 ans, résidente d’une petite ville).

Certaines personnes estimaient que la prescription sociale ne faisait pas partie du cadre du système médical, étant donné que les fournisseurs de soins de santé et le système médical étaient déjà surchargés, mais aussi parce que ce n’était pas leur domaine d’expertise.

Ces résultats semblent indiquer qu’il est essentiel qu’une relation positive et solide soit établie entre les aînés et les fournisseurs avant même que des questions de prescription sociale puissent être abordées. En l’absence de relation positive, le fait d’aborder des sujets nouveaux et peu familiers comme la solitude, plutôt que des sujets purement médicaux, risque de ne pas conduire aux résultats souhaités.

3. Mesure dans laquelle les aînés se sentent à l’aise avec des fournisseurs de services communautaires

Les aînés étaient généralement plus à l’aise de discuter de leurs besoins sociaux non médicaux liés à la santé avec des fournisseurs de services communautaires plutôt qu’avec leurs fournisseurs de soins primaires. Le degré d’aisance dépendait de l’expérience personnelle et variait en fonction du type de fournisseur (par exemple travailleurs communautaires en santé mentale, travailleurs sociaux). Les principales raisons expliquant l’aisance étaient l’expérience personnelle, la confiance et la familiarité, l’accessibilité et la disponibilité, ainsi que la perception de l’intégration au sein de la collectivité.

Des préoccupations ont été exprimées quant au professionnalisme et à l’expertise de ces fournisseurs de services communautaires, compte tenu de la diversité des formations et des antécédents professionnels de ces éventuels fournisseurs de services de prescription sociale. Certains participants ont indiqué préférer que tous les fournisseurs de services communautaires reçoivent une formation officielle ou une accréditation particulière en matière de prescription sociale et que les fournisseurs de services communautaires aient une compréhension claire des limites de leur pratique, de leur champ d’activité et des restrictions applicables : « Le fait de consulter des fournisseurs de services communautaires ne me pose aucun problème, à condition qu’ils aient un certain niveau de formation ou d’expérience leur permettant de répondre à mes besoins particuliers » (femme, 58 ans, résidente d’un grand centre urbain).

En outre, certains participants des zones rurales n’avaient pas eu à consulter souvent de fournisseurs de services communautaires puisque les ressources locales et les fournisseurs vers lesquels ils auraient pu être dirigés étaient peu nombreux dans leur collectivité rurale.

4. Qualités des agents de liaison

Par rapport aux thèmes concernant l’intérêt pour la prescription sociale et les relations avec les fournisseurs, les qualités essentielles recherchées chez un agent de liaison sont ressorties plus clairement. Dans toutes les discussions, les qualités essentielles d’un agent de liaison, à savoir l’attention, l’empathie et les bonnes compétences en matière de communication, ont émergé. Les participants souhaitaient interagir avec un agent de liaison ne portat pas de jugement sur leurs préoccupations, ouvert d’esprit et s’intéressant réellement à eux. Cette empathie pouvait se manifester chez un agent de liaison par l’amabilité, une curiosité sincère, une écoute attentive, des questions judicieuses et la participation à la conversation :

Je veux être entendue. Je veux être écoutée. J’ai besoin que la personne vérifie si elle a bien compris en cours de route, car j’ai beaucoup plus de respect pour une personne qui dit : « Donc, si je vous comprends bien, vous dites que [...] ». Je veux avoir un échange véritable et constructif qui me permettra de savoir que cette personne a été réceptive à ma situation. Je peux alors me détendre et être reconnaissante en me disant : « Je peux enfin compter sur quelqu’un qui m’écoute! ». (femme, 59 ans, résidente d’une petite ville)

L’empathie et la créativité, ainsi que la connaissance de la prescription sociale et des ressources d’aiguillage et de soutien se sont révélés également des critères clés. Les participants souhaitaient que l’agent de liaison soit en mesure de sortir des sentiers battus, d’aller au-delà d’une grille ou d’une ligne directrice établie et de prendre en compte leurs besoins spécifiques. Ils souhaitaient également que l’agent de liaison soit très proche de la collectivité locale, qu’il fasse preuve de compétence et d’ingéniosité et qu’il soit capable de comprendre les divers besoins des aînés. Idéalement, l’agent de liaison devrait également être un expert dans le domaine et posséder une formation et des compétences professionnelles lui permettant d’exercer cette fonction avec sérieux :

L’agent de liaison doit avoir une compréhension globale de la collectivité dans laquelle il travaille... qui n’est parfois pas la collectivité dans laquelle il vit. Il doit avoir reçu une formation qui lui permettra de communiquer ces renseignements sans porter de jugement, en faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit et d’une grande sensibilité. Il doit également avoir une formation et de l’éthique. (femme, 66 ans, résidente d’une zone rurale)

Les participants aux groupes de discussion étaient d’avis que l’accessibilité et la disponibilité étaient des qualités essentielles chez un agent de liaison. Les participants ont indiqué qu’ils souhaitaient pouvoir compter sur un agent de liaison facilement joignable (c’est-à-dire qui répond aux appels ou aux courriels), avec qui il est possible de prendre rendez-vous rapidement (sans devoir attendre plusieurs semaines ou mois) et qui offre un suivi et une relation à long terme. Les participants ont indiqué qu’ils ne voulaient pas devoir raconter de nouveau leur histoire et rencontrer un nouvel intervenant à chaque rendez-vous, et qu’ils préféraient établir une relation de longue durée avec un agent de liaison ou une équipe stable d’agents de liaison.

La plupart des gens ne veulent pas attendre une semaine et demie ou six semaines pour obtenir un rendez-vous avec un agent de liaison. Si quelqu’un pouvait nous rappeler dans la journée, puis organiser un rendez-vous plus long ou un séjour plus long et, voyez-vous, mieux nous servir d’une manière ou d’une autre. Sans la disponibilité, on n’a aucun service. Vous manquez à vos obligations si vous faites attendre les gens trop longtemps. (femme, 70 ans, résidente d’une petite ville)

Enfin, les participants ont déclaré qu’il était essentiel que les agents de liaison privilégient une approche centrée sur la personne. Les participants ont indiqué qu’ils souhaitaient que l’agent de liaison soit prêt à essayer de comprendre l’ensemble des circonstances de leur vie, à comprendre comment ils ont pu en arriver là et quels sont les besoins spécifiques susceptibles d’en découler. Ils souhaitaient que l’agent de liaison respecte également leur dignité et leur autonomie en matière de prise de décisions personnelles. Ils ne voulaient pas que quelqu’un leur dise ce qu’ils devraient faire ou tire des conclusions à leur sujet sans d’abord essayer de les comprendre. Logiquement, un agent de liaison qui privilégie une approche centrée sur la personne s’efforcera également de donner la priorité à des soins individualisés.

Il faut comprendre que l’agent de liaison est là pour nous aider, pas pour nous sauver ni pour nous secourir. J’ai besoin qu’on me présente des options et d’être libre de décider de la suite des choses. Et ce n’est pas un échec pour moi ni pour eux si je n’aime pas ce qui m’est proposé. (homme, 64 ans, résident d’un grand centre urbain)

Certaines personnes ont indiqué qu’elles préféraient s’adresser à une personne ayant des expériences de vie similaires, en particulier une personne d’âge similaire. D’autres, en revanche, se disaient satisfaites d’un agent de liaison faisant preuve de compréhension, quel que soit son âge ou son expérience de la vie. Comme l’a déclaré une participante, « je ne pense pas qu’il s’agisse d’un poste de débutant. Je pense que cela exige une certaine profondeur » (femme, 64 ans, résidente d’une zone rurale).

5. Obstacles à la participation

Les principaux obstacles à la participation à la prescription sociale étaient le transport, l’accessibilité et les contraintes financières. L’absence d’un réseau de transport public fiable, les problèmes associés au fait de conduire, les longs trajets et une mobilité réduite ont été cités comme obstacles à l’accès aux services de prescription sociale, sans parler du rendez-vous initial : « Je ne peux pas aller très loin, car je me déplace à pied. C’est un obstacle énorme pour moi. Le simple fait de me rendre à un rendez-vous chez le médecin est une expérience difficile, parce que je dois organiser mes déplacements et ce genre de choses » (femme, 66 ans, résidente d’une zone rurale). Beaucoup de retraités ont constaté que le coût de nombreuses activités suscitant leur intérêt risquait de limiter leur participation, même si elles étaient subventionnées.

La disponibilité des services, en particulier dans les zones rurales, constitue un obstacle externe évident :

Il n’y a pas grand-chose ici. Là où j’habite et dans d’autres régions en dehors des zones urbaines, les programmes sont en quelque sorte négligés, parce qu’il n’est pas possible de les mettre en œuvre, étant donné que la population n’est pas assez nombreuse. (femme, 69 ans, résidente d’une petite ville)

Les barrières linguistiques pour les personnes dont l’anglais n’est pas la langue maternelle ou qui s’appuient davantage sur des styles de communication non verbale (comme les personnes atteintes de démence) ont également été évoquées.

Les aînés s’inquiètent du manque de continuité des soins dans les programmes de prescription sociale. Ils ont souligné l’importance de faire en sorte que les fournisseurs de soins soient joignables, diponibles pour un suivi et accessibles, et que la prescription sociale soit fournie d’une manière qui soit aussi utile et fiable que possible :

Lorsqu’une personne tend la main et demande de l’aide, il faut l’aider pendant qu’elle est prête à se donner une chance. Sur-le-champ. Il ne faut pas attendre, car c’est peut-être la seule fois où elle vous demandera de l’aide. Si vous n’agissez pas sans tarder, vous risquez de la perdre. (femme, 65 ans, résidente d’une petite ville)

Les critères rigides d’admissibilité à certains programmes et services constituent un autre obstacle à la participation. Par exemple, certains seuils établis en fonction de l’âge ne permettent pas de répondre aux besoins réels et limitent la capacité des aînés à accéder aux services.

Les participants ayant des problèmes de santé ou un handicap ont éprouvé des difficultés en raison de tous les obstacles susmentionnés. Cependant, certaines personnes gravement handicapées ont souvent cité des obstacles précis, comme l’atteinte à leur dignité que représente le fait de demander continuellement de l’aide, et la nécessité pour les fournisseurs de comprendre et d’être sensibles aux changements quotidiens spécifiques dans la capacité de ces personnes à s’acquitter même des activités les plus simples.

Il y a des événements auxquels j’aimerais participer, mais je ne peux pas me le permettre. Et j’ai cessé de demander des dérogations parce que c’est trop difficile et trop embarrassant. Vous permettez en quelque sorte à quelqu’un d’exercer un contrôle sur ce que vous voulez faire. C’est comme si vous demandiez la permission et ce n’est pas un sentiment agréable. (homme, 58 ans, résident d’une petite ville)

D’autres obstacles internes, notamment l’isolement vécu et le sentiment d’anxiété sociale qui en découle, ont également été évoqués comme d’énormes obstacles qui ont empêché les personnes de rechercher des options de prescription sociale, même si elles savaient que la prescription sociale pouvait les aider. Par exemple, le fait de se sentir gêné et « différent » parce qu’on a besoin de services de prescription sociale peut constituer un obstacle important. Comme l’a exprimé une participante, « il peut être difficile de demander de l’aide si votre problème est gênant ou n’est pas accepté par la société » (femme, 61 ans, résidente d’une zone rurale).

La stigmatisation vécue par les participants et l’âgisme de la part des fournisseurs et des agents de liaison dans le processus de prescription sociale ont également été mentionnés comme des obstacles. Certains participants ont l’impression que les fournisseurs de soins les ont, dans leur esprit, catégorisés ou intégrés dans un modèle, et que les fournisseurs ont manqué des occasions de tisser des liens avec eux et de comprendre véritablement leurs expériences de vie, leurs besoins et leurs désirs :

Mon expérience avec mon médecin est qu’elle est jeune et qu’elle fait des suppositions sur la personne que je suis en raison de mon âge, mais elle se trompe complètement. Elle me considère comme une vieille dame. Et c’est le cas. Mais je ne me résume pas à cela. Et je pense que, les jeunes, c’est tout ce qu’ils voient. Ils voient mes cheveux blancs et font des suppositions sur qui je suis et ce que je pourrais aimer. Je veux pouvoir compter sur quelqu’un qui comprenne mes intérêts, mes capacités, et qui ne met pas tous les aînés dans le même panier simplement parce que nous sommes tous des aînés. (femme, 81 ans, résidente d’une petite ville)

Enfin, les participants ont souligné qu’ils doivent constamment défendre leurs intérêts, ce qui a permis de mettre en évidence deux préoccupations majeures : 1) les personnes incapables de défendre leurs intérêts risquent d’être négligées et oubliées et 2) pour ceux qui sont en mesure de faire, le fait de devoir constamment défendre ses intérêts peut être épuisant :

Les personnes les plus patientes sont les plus susceptibles de passer entre les mailles du filet, car ce sont les plus discrètes et les plus timides; je ne sais pas ce que le système de prescription sociale va permettre d’accomplir, mais nous devons surmonter la réticence de ces personnes parce qu’elles ne se sentent tout simplement pas à l’aise de parler à des étrangers ou d’accabler les gens avec leurs problèmes personnels. (homme, 78 ans, résident d’une zone rurale)

Analyse

Notre étude a évalué les besoins et les priorités en matière de prescription sociale des aînés canadiens socialement marginalisés et structurellement défavorisés. Dix groupes de discussion ont été organisés, comptant de 3 à 7 participants chacun, pour un total de 43 participants. L’objectif général de ces groupes de discussion était de connaître l’expérience des aînés en matière de prescription sociale, leur volonté de participer à différentes activités de prescription sociale et leur intérêt à cet égard, leur degré d’aisance à parler de leurs besoins sociaux à un fournisseur de soins primaires ou à des fournisseurs de services communautaires, les qualités qu’ils souhaiteraient trouver chez un agent de liaison, ainsi que les obstacles, réels ou perçus, auxquels ils risquaient de se heurter et qui les empêcheraient de participer au programme de prescription sociale.

Même si certains participants avaient entendu parler de la prescription sociale, beaucoup ne connaissaient pas ce terme, ce qui indique qu’on peut accroître la sensibilisation à la prescription sociale. Nos constatations concordent avec celles de recherches similaires indiquant la nécessité de promouvoir la sensibilisation à la prescription sociale. Par exemple, s’il y a peu de recherches sur la sensibilisation du public à la prescription sociale au Canada, les recherches menées en Angleterre semblent indiquer que le public a une connaissance limitée de la prescription sociale et montrent l’importance de la sensibilisation pour que soit adoptée la prescription sociale : si les gens ne savent pas ce que c’est, il est très peu probable qu’ils y participentNote de bas de page 29.

Lorsqu’on a demandé aux participants s’ils se sentaient à l’aise de discuter de leurs besoins sociaux avec leur fournisseur de soins de santé, les discussions ont dévié vers la relation générale qu’ils entretenaient avec leur fournisseur, ce qui témoigne de l’importance des relations entre le client et le fournisseur pour assurer l’efficacité de la prescription sociale. Même chez les aînés qui estimaient avoir une relation positive avec leur fournisseur de soins de santé, les besoins sociaux étaient encore perçus comme un sujet de discussion inconfortable et peu familier, ce qui donne à penser qu’il est nécessaire de normaliser ce type de conversation. Cette constatation indique en outre que la tenue d’une conversation fructueuse sur la solitude, plutôt que sur des sujets purement médicaux, dépend fortement de la relation personnelle qu’une personne entretient avec son fournisseur de soins de santé et de la sensibilisation de la société à ce concept en général. Nos résultats sont conformes à ceux d’une revue systématique récente, qui a révélé que l’un des principaux facteurs de mise en œuvre permettant d’assurer le succès de la prescription sociale chez les aînés était les relations que ceux-ci entretiennent avec leurs fournisseurs de soins de santé et les agents de liaison. Les chercheurs de cette revue systématique ont constaté que les aînés qui se sentaient rassurés, encouragés et réconfortés par leur fournisseur de soins de santé ou leur agent de liaison tout au long du processus étaient plus susceptibles d’avoir des expériences et des résultats positifs dans le cadre de la prescription socialeNote de bas de page 17.

En outre, divers types d’obstacles et de différences sur le plan de l’identité personnelle susceptibles de favoriser ou d’entraver la participation ont été mentionnés, ce qui souligne l’importance d’une approche de la prescription sociale centrée sur la personne. Une solution à envisager pour limiter les répercussions des obstacles auxquels les aînés peuvent se heurter est de continuer à donner la priorité à un élément fondamental du programme, soit la conception conjointe de la prescription socialeNote de bas de page 16. Pour ce faire, on peut tenir compte des opinions des aînés à chaque étape de l’élaboration du cadre de la prescription sociale au Canada, et concevoir conjointement chaque prescription sociale individuelle pour l’adapter aux besoins et aux priorités spécifiques de chaque client.

Les trois thèmes de la théorie de l’autodétermination qui sous-tendent ces sujets (autonomie, affiliation sociale et compétence) se sont révélés importants pour comprendre la raison d’être des sentiments et des opinions des aînés. Premièrement, il était important pour eux que leur autonomie soit respectée, notamment par le biais d’interactions avec leurs fournisseurs de soins primaires lors de la prise de décision. Deuxièmement, les participants souhaitaient vivement acquérir un sentiment d’affiliation sociale (c’est-à-dire des liens sociaux et un sentiment d’appartenance) vis-à-vis de leur collectivité, mais aussi avec les fournisseurs de soins et les agents de liaison qui font partie du parcours de prescription sociale, par le biais d’un lien de confiance et d’une attention et une empathie sincères. Troisièmement, les aînés voulaient avoir un sentiment de compétence et d’influence sur les programmes de prescription sociale auxquels ils participeraient, sur les résultats qu’ils obtiendraient et sur ce que la prescription sociale pourrait leur offrir.

Notre étude contribue au champ de la prescription sociale en présentant les points de vue d’aînés canadiens ayant des circonstances de vie variées, structurellement défavorisés et socialement marginalisés. De futurs groupes de discussion pourront explorer plus en profondeur les valeurs ayant émergé dans cette étude et la manière dont on peut adapter la prescription sociale aux besoins personnalisés de chaque individu.

Points forts et limites

Notre étude comportait plusieurs points forts. Tout d’abord, l’utilisation de groupes de discussion qualitatifs a permis d’étudier et d’explorer en profondeur les expériences et les perspectives des participants, ce que les données quantitatives ne permettent généralement pas de faire. L’utilisation de groupes a permis d’inclure de multiples perspectives, ce qui a contribué à la richesse des discussions. La nature semi-structurée de ces groupes de discussion a offert la souplesse et l’adaptabilité nécessaires pour permettre aux participants de contribuer à l’orientation de la discussion, en tant qu’experts de leurs propres expériences. Ainsi, il a été possible d’explorer des thèmes émergents, comme la nécessité d’être proactif, à mesure qu’ils étaient soulevés par les participants. Enfin, une plateforme en ligne a permis de contacter des participants de l’ensemble du Canada (que ce soit en zone rurale ou urbaine) ainsi que des personnes ayant des problèmes de mobilité et ne pouvant pas assister à une séance en personne. Cela a permis d’obtenir un échantillon diversifié et géographiquement représentatif.

Cependant, notre étude comportait aussi plusieurs limites. Premièrement, bien que nous nous soyons efforcés d’obtenir un échantillon diversifié, nous nous sommes appuyés sur une méthode de recrutement en ligne non représentative et volontaire qui peut avoir introduit des biais dans notre échantillon. Deuxièmement, bien que nous ayons cherché à être inclusifs, certains participants n’ont peut‑être pas pu participer en raison de l’utilisation d’une plateforme en ligne, tous les aînés n’étant pas forcément à l’aise d’utiliser ces plate-formesNote de bas de page 30. Troisièmement, il n’a pas été possible d’isoler des thèmes propres à des groupes sociodémographiques précis, étant donné que chaque groupe de discussion était constitué d’un mélange de participants ayant des expériences multiples.

Cependant, des groupes de discussion supplémentaires ont été organisés pour les groupes minoritaires uniquement, afin de relever d’éventuelles attitudes et réflexions des minorités à l’égard de la prescription sociale. Ces entretiens supplémentaires ont montré que les thèmes et commentaires sous-jacents étaient les mêmes dans tous les groupes, ce qui a permis d’attirer l’attention sur quelques considérations supplémentaires : la nécessité pour les fournisseurs et les agents de liaison d’avoir des compétences culturelles; les obstacles propres aux nouveaux arrivants, en particulier la langue, pour tisser des liens et communiquer et enfin les connaissances sur les ressources disponibles pour les nouveaux arrivants au Canada.

Dans le cadre de recherches futures, des groupes de discussion composés de personnes représentant des groupes sociodémographiques précis (personnes ayant des problèmes de mobilité, Autochtones, personnes à faible revenu, etc.) pourraient permettre d’approfondir les différents thèmes, ce qui n’a pas été possible dans cette étude en raison de sa nature et des ressources disponibles.

Conclusion

L’objectif de notre étude était d’explorer les perceptions que les aînés structurellement défavorisés et socialement marginalisés peuvent avoir à l’égard des pratiques de prescription sociale intégrant la santé, les soins sociaux et le bien-être, et ce qu’ils attendent de ces processus. Les aînés qui ont participé à nos groupes de discussion ont laissé entendre qu’ils risquaient de rencontrer un large éventail d’obstacles potentiels en matière d’accès aux services sociaux et de dialogue avec leurs fournisseurs. Ils ont fait part de leur intérêt pour la prescription sociale, soulignant l’importance d’une approche centrée sur la personne pour ce type de programme. De plus, il est essentiel, pour répondre aux besoins et aux priorités des aînés, que les programmes de prescription sociale donnent la priorité au renforcement des sentiments d’autonomie, d’affiliation sociale et de compétence de ces derniers. Nous suggérons que les concepteurs de programmes de prescription sociale donnent la priorité à la participation des clients lors de la conception et de l’élaboration des programmes de prescription sociale afin de s’assurer que ces programmes répondent aux besoins de la population spécifique à laquelle ils sont destinés.

Remerciements

Cette étude a été financée par l’Agence de la santé publique du Canada et la Croix-Rouge canadienne. KGC bénéficie d’une bourse de chercheur de la fondation Michael Smith Health Research BC.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

SA, KM et KGC sont les rédacteurs invités de ce numéro spécial et, par conséquent, se sont retirés du processus d’évaluation de cet article.

Contribution des auteurs et avis

  • CY : conception, méthodologie, curation des données, analyse formelle, administration du projet, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.
  • SL : curation des données, administration du projet, relectures et révisions.
  • KGC : conception, méthodologie, acquisition du financement, supervision, relectures et révisions.
  • SB, PH, SH, KM, MN, MS, VW : conception, méthodologie, relectures et révisions.
  • SA : relectures et révisions.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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