Recherche quantitative originale – La douleur chronique et les décès par intoxication aiguë accidentelle au Canada, 2016-2017
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : août 2024
ISSN: 2368-7398
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Jeyasakthi Venugopal, M.P.H.Note de rattachement des auteurs 1; Amanda VanSteelandt, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Lindsey Yessick, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Keltie Hamilton, M.P.H.Note de rattachement des auteurs 1; Jean-François Leroux, M.A.Note de rattachement des auteurs 2
https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.7/8.02f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Cet article fait partie de notre série thématique sur la « Mortalité par surdose accidentelle ».
Attribution suggérée
Article de recherche par Venugopal J et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0
Rattachement des auteurs
Correspondance
Amanda VanSteelandt, Agence de la santé publique du Canada, 785, avenue Carling, Ottawa (Ontario) K1A 0K9; tél. : 613-294-5944; courriel : amanda.vansteelandt@phac-aspc.gc.ca
Citation proposée
Venugopal J, VanSteelandt A, Yessick L, Hamilton K, Leroux JF. La douleur chronique et les décès par intoxication aiguë accidentelle au Canada, 2016-2017. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(7/8):338-352. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.7/8.02f
Résumé
Introduction. Dans plusieurs provinces et territoires du Canada, on remarque que, souvent, les personnes qui décèdent d’une intoxication aiguë liée à une substance souffraient aussi de douleur chronique. Cette étude traite de la prévalence de la douleur chronique et des caractéristiques des personnes qui en sont atteintes en utilisant les données d’une étude nationale sur les décès par intoxication aiguë accidentelle.
Méthodologie. Nous avons réalisé une analyse transversale des décès par intoxication aiguë accidentelle liée à une substance qui ont eu lieu au Canada entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2017. Nous avons synthétisé, sous forme d’effectifs et de pourcentages, la prévalence de la douleur ainsi que des problèmes de santé liés à la douleur à partir de l’échantillon global. Nous avons effectué des comparaisons entre les personnes avec antécédents documentés de douleur chronique et les personnes sans antécédents documentés de douleur chronique, sur la base de différentes caractéristiques sociodémographiques, des antécédents médicaux, de facteurs contextuels et des substances consommées.
Résultats. Au sein de l’échantillon global (N = 7 902), 1 056 (13 %) personnes avaient des antécédents documentés de douleur chronique et 6 366 (81 %) n’en avaient pas. En général, les personnes souffrant de douleur chronique étaient plus âgées (40 ans et plus), n’avaient pas d’emploi et étaient à la retraite ou recevaient des prestations d’invalidité au moment de leur décès. Des antécédents de problèmes de santé mentale, de traumatisme et de chirurgie ou de blessure étaient beaucoup plus fréquents chez les personnes atteintes de douleur chronique. Parmi les substances le plus couramment en cause dans les décès, les opioïdes habituellement prescrits pour soulager la douleur (hydromorphone et oxycodone) ont été détectés plus souvent dans les analyses toxicologiques des personnes avec douleur chronique que dans les analyses des personnes sans douleur chronique.
Conclusion. Les résultats font ressortir le rôle transversal que jouent la présence concomitante de problèmes de santé et la douleur non traitée, cette dernière risquant d’accroître le risque de décès par intoxication aiguë. Continuer à prioriser la réduction des méfaits et mettre à contribution régulière des patients pour l’évaluation des besoins courants font partie des pistes d’intervention.
Mots-clés : douleur chronique, surdose de drogues, surdose d’opioïdes, crise des opioïdes, substances contrôlées, consommation de substances, troubles liés à la consommation de substances, intoxication aiguë
Points saillants
- En 2016 et 2017, au moins une personne sur dix décédée d’une intoxication aiguë au Canada présentait des antécédents documentés de douleur chronique.
- En général, les personnes souffrant de douleur chronique étaient plus âgées et n’avaient pas de source officielle de revenus.
- Les antécédents de problèmes de santé mentale, de traumatisme et de chirurgie ou de blessure étaient nettement plus fréquents chez les personnes avec douleur chronique que chez celles sans douleur chronique.
- Presque toutes les personnes atteintes de douleur chronique avaient consulté des services de santé dans l’année précédant leur décès.
Introduction
Les décès attribuables à une intoxication aiguë due à une substance continuent à constituer au Canada une urgence de santé publique à grande échelle et complexeNote de bas de page 1. Bien que la situation soit étroitement liée à la consommation de drogues de fabrication illégale de plus en plus toxiquesNote de bas de page 1, les taux historiquement élevés de consommation d’opioïdes sur ordonnance pour la prise en charge de la douleur jouent aussi un rôle dans la criseNote de bas de page 2. En 2017, le Canada affichait le deuxième taux de consommation quotidienne d’opioïdes le plus élevé au mondeNote de bas de page 3.
En Alberta, des antécédents de douleur chronique ont été relevés dans 36 % des décès liés aux opioïdes survenus en 2017Note de bas de page 4. En Colombie-Britannique, environ 45 % des personnes décédées d’intoxication aiguë due à des drogues illégales en 2016 et 2017 avaient demandé de l’aide auprès des services de santé pour des problèmes associés à la douleur dans l’année précédant leur décèsNote de bas de page 5.
La douleur chronique est un problème de santé répandu qui constitue une cause importante d’invalidité au CanadaNote de bas de page 6. Certaines populations sont plus susceptibles de souffrir de douleur chronique, notamment les personnes atteintes d’une maladie chronique (comme la neuropathie diabétique), les aînés, les patients qui se remettent d’une intervention chirurgicale et les personnes qui ont subi une blessureNote de bas de page 7. La douleur chronique est également en fardeau en matière de santé mentale : les personnes souffrant de douleur chronique présentent également fréquemment des symptômes de dépression et d’anxiété ainsi que des idées suicidairesNote de bas de page 8. Comme dans le cas des méfaits liés à la consommation de substances, la prévalence et la gravité de la douleur chronique sont souvent plus prononcées chez les populations victimes d’inégalités sociales et de discriminationNote de bas de page 2Note de bas de page 9. Toutefois, le fardeau réel de la douleur chronique au sein de la population continue à être sous-estimé en raison de limites importantes dans la mesure de la douleurNote de bas de page 7.
Dans la continuité des données probantes dont on dispose sur le risque accru de douleur chronique chez les personnes ayant subi une blessure, des rapports récents ont mis en évidence un lien entre les décès par intoxication aiguë liée à une substance et le fait de travailler dans un secteur à risque élevé de blessure. En Colombie-Britannique, 52 % des personnes salariées au moment de leur décès travaillaient dans les métiers manuels ou le transport ou travaillaient comme opérateurs d’équipementNote de bas de page 10. Une tendance similaire a été observée en Alberta (53 %)Note de bas de page 4 et en Ontario (environ 30 % dans le domaine de la construction)Note de bas de page 11Note de bas de page 12. D’après des données plus récentes provenant de l’Ontario (2018-2020), parmi les personnes décédées d’une intoxication aux opioïdes, celles qui travaillaient dans le secteur de la construction étaient plus susceptibles d’occuper un emploi au moment de leur décès (57,7 %) que celles n’ayant jamais travaillé dans l’industrie de la construction (11,7 %)Note de bas de page 13. Fait important à noter, la présence d’antécédents de douleur chronique était fréquente tant chez les travailleurs de la construction (37,2 %) que chez les personnes n’ayant jamais travaillé dans le secteur de la construction (37,9 %)Note de bas de page 13.
En l’absence de traitement, la douleur peut amener une personne à se tourner vers des substances non prescrites pour obtenir du soulagement et peut également conduire à des troubles liés à la consommation de substancesNote de bas de page 9 et à un risque accru de surdose, surtout chez les personnes ayant reçu un diagnostic de trouble lié à l’usage d’opioïdesNote de bas de page 14. Les estimations de prévalence de la douleur chronique chez les personnes consommatrices de substances varient entre 31 % et 55 %Note de bas de page 9. Une revue systématique récente a fait état d’une grande variabilité dans la prévalence des troubles et des problèmes liés à la consommation de substances chez les patients souffrant de douleur chronique non cancéreuse : la proportion de personnes ayant un trouble actuel d’usage de substances variait entre 3 % et 48 % tandis que la proportion de personnes ayant déjà eu au cours de leur vie un trouble lié à la consommation d’une substance variait entre 16 % et 74 %Note de bas de page 15. Des taux similaires de troubles liés à l’usage de substances ont été observés chez les patients atteints de cancer (2 % à 35 %)Note de bas de page 16.
Pour les personnes consommatrices de substances, la stigmatisation et la discrimination rendent le traitement de la douleur chronique particulièrement difficile. Dans une étude menée à Vancouver (Colombie-Britannique) auprès de personnes souffrant de douleur d’intensité modérée à extrême et consommant des substances, 66,5 % des répondants ont déclaré s’être vu refuser la prescription d’analgésiques par des cliniciensNote de bas de page 17. Parmi eux, beaucoup se sont résignés à acheter dans la rue soit l’analgésique demandé (40,1 %), soit un autre analgésique (34,9 %) ou de l’héroïne (32,9 %) (les participants n’étant pas limités à une seule réponse, il est possible que certains participants aient mentionné avoir acheté plusieurs substances)Note de bas de page 17. La consommation de substances non pharmaceutiques et l’usage détourné de médicaments sur ordonnance jouent un rôle de plus en plus important dans l’urgence actuelle associée aux décès par intoxication aiguë liée à une substance au CanadaNote de bas de page 1Note de bas de page 12.
Considérées dans leur ensemble, les données probantes indiquent un lien stable entre les décès attribuables à une intoxication aiguë due à une substance et la douleur chronique, et ces décès touchent de façon disproportionnée les travailleurs de la construction et ceux travaillant dans les métiers manuels.
Dans cette étude, nous avons estimé la prévalence nationale minimale de la douleur, et plus précisément de la douleur chronique, chez les personnes décédées d’une intoxication aiguë accidentelle liée à une substance au Canada en 2016 et 2017. Nous avons également analysé les différences entre les personnes ayant des antécédents documentés de douleur chronique et les personnes n’en ayant pas en fonction des variables suivantes : 1) caractéristiques sociodémographiques, problèmes de santé concomitants et autres facteurs de risque connus, 2) interactions avec le système de santé avant le décès et historique des médicaments prescrits, 3) circonstances du décès et possibilités d’intervention et enfin 4) résultats des analyses toxicologiques.
Méthodologie
Énoncé d’éthique
Le Comité d’éthique de la recherche de l’Agence de la santé publique du Canada (CER 2018-027P), le Comité d’éthique de la recherche en santé de l’Université du Manitoba (HS22710) et le Comité d’éthique de la recherche en santé de Terre-Neuve-et-Labrador (20200153) ont examiné cette étude et l’ont approuvée.
Sources des données
Cette étude constitue une analyse descriptive transversale des personnes décédées d’une intoxication aiguë accidentelle liée à une substance au Canada entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2017. Les données proviennent d’un examen rétrospectif des dossiers des coroners et des médecins légistes qui a été mené dans le but d’analyser les caractéristiques des personnes décédées par intoxication aiguë, les circonstances de leur décès et les substances consommées. Les cas sélectionnés correspondent aux personnes décédées d’une intoxication aiguë résultant directement de l’administration de substances exogènes, dont au moins une était une drogue, un médicament ou de l’alcool. Des renseignements détaillés sur la collecte de données et l’admissibilité à l’étude ont été publiés ailleursNote de bas de page 18.
Lorsque le code postal du lieu de résidence était disponible, il a été jumelé aux données du Fichier de conversion des codes postaux plus (FCCP+) de Statistique Canada pour obtenir le quintile de revenu du quartier après impôt (QAATIPPE)Note de bas de page 19.
Population à l’étude
Entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2017, 7 902 personnes sont décédées d’une intoxication aiguë accidentelle dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada. Les personnes décédées ont été réparties en fonction de la présence ou de l’absence d’antécédents de douleur chronique.
- Une personne avec antécédents de douleur chronique (N = 1 056) est une personne dont le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis) ont fait état de la présence de l’un des éléments suivants au moment du décès ou antérieurement : maux de dos chroniques; douleur chronique ou trouble lié à la douleur; traitement opioïde au long cours (plus de 90 jours) pour le soulagement de la douleur; fibromyalgie; arthrite. Nous avons inclus la fibromyalgie et l’arthrite dans ce sous-groupe car il s’agit de problèmes de santé courants qui sont répertoriés sous « douleur chronique primaire » pour la fibromyalgie et « douleur musculosquelettique chronique » pour l’arthrite dans la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11)Note de bas de page 20.
- Une personne sans antécédents de douleur chronique (N = 6 366) est une personne dont les antécédents documentés ne font état ni de douleur chronique (selon le dossier médical ou les dépositions des témoins), ni des problèmes de santé suivants (qui sont souvent associés à la douleur chronique) : cancer; accident vasculaire cérébral; maladie vasculaire; syndrome du côlon irritable; maladie inflammatoire chronique de l’intestin; ostéoporose; maladie auto-immune chronique; trouble neurologique. Ces problèmes de santé associés à la douleur chronique ont été sélectionnés en fonction des descriptions figurant dans la CIM-11Note de bas de page 20. Cependant, nous ne les avons pas inclus dans le sous-groupe des personnes avec antécédents de douleur chronique car il est impossible de faire la distinction entre la douleur chronique et les autres sources de préoccupations ou symptômes primaires susceptibles d’accompagner ces problèmes de santé.
Parmi les 7 902 personnes décédées, 480 n’avaient aucun antécédent documenté de douleur chronique mais présentaient des antécédents de problèmes de santé associés à la douleur chronique, ce qui fait que nous les avons exclues des groupes de comparaison. Il est par ailleurs possible que davantage de personnes aient été atteintes de douleur chronique ou de problèmes de santé associés à la douleur chronique mais que le dossier d’enquête sur leur décès ne fasse pas mention de ces antécédents.
Variables
Les variables retenues dans cette étude portent sur les interactions avec les services de santé, la prise de médicaments prescrits au moment du décès ou dans les six mois précédant le décès, les facteurs sociodémographiques, les facteurs de risque connus et les problèmes de santé concomitants des méfaits liés à l’usage de substances, les circonstances du décès et les substances consommées (voir les descriptions de ces variables dans le tableau 1).
Variable | Description |
---|---|
Interactions avec les services de santé | |
Contact avec des services de santé dans l’année précédant le décès | La personne décédée a consulté les services de santé (ambulatoires ou hospitaliers) dans l’année précédant son décès (est exclue toute consultation liée à l’épisode d’intoxication aiguë qui a mené au décès de la personne). |
Consultation des services de santé motivée par la douleur | La personne décédée a consulté les services de santé (hospitaliers ou ambulatoires) pour de la douleur dans l’année précédant son décès. |
Expérience négative avec les services de santé ou difficultés d’accès | Selon le dossier d’enquête sur le décès, la personne décédée a fait face à des obstacles à l’obtention de soins, tels qu’une expérience négative (comme de la stigmatisation) avec les services de santé ou des difficultés d’accès au système ou aux services de santé. |
Ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant le décès | La personne décédée a vu son ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant son décès. |
Analgésiques | |
AcétaminophèneNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire de l’acétaminophène. |
AINSNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des AINS suivants : célécoxib, diclofénac, ibuprofène, méloxicam, nabumétone, acide méfénamique, kétoprofène, indométacine, étodolac ou naproxène. |
AntidépresseursNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des antidépresseurs suivants : amitriptyline, nortriptyline, venlafaxine ou duloxétine. |
GabapentinoïdesNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire de la gabapentine, de la prégabaline ou les deux. |
Analgésiques topiquesNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des analgésiques topiques suivants : capsaïcine, lidocaïne ou maxilène. Il est possible que ces médicaments aient été prescrits et administrés autrement que sous forme topique (par ex. injection de lidocaïne), mais cette information n’est pas disponible dans la base de données. |
Opioïdes faibles ou atypiquesNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des opioïdes faibles ou atypiques suivants : codéine, buprénorphine, tramadol, tapentadol ou des variantes comme la buprénorphine-naloxone. |
Opioïdes fortsNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des opioïdes forts suivants : morphine, hydromorphone, oxycodone, fentanyl ou méthadone. |
Opioïdes non spécifiés | La personne décédée s’était fait prescrire un opioïde, mais le médicament en question n’était pas spécifié. Étant donné que l’historique des médicaments prescrits contenait rarement des opioïdes autres que ceux qui figurent dans la catégorie des opioïdes forts ou la catégorie des opioïdes faibles ou atypiques, on considère que les personnes décédées s’étant fait prescrire un opioïde non spécifié avaient reçu une prescription pour au moins un des opioïdes forts ou des opioïdes faibles ou atypiques énumérés dans ce tableau. |
Tous types confondus d’opioïdes | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des opioïdes forts ou des opioïdes faibles ou atypiques OU l’opioïde prescrit n’était pas spécifié. |
MyorelaxantsNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des myorelaxants suivants : baclofène, cyclobenzaprine ou tizanidine. |
Autres analgésiquesNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins un des analgésiques suivants : trazodone, mirtazapine, carbamazépine ou nabilone. |
Médicaments couramment prescrits pour traiter la douleur chroniqueNote de bas de page 21 | La personne décédée s’était fait prescrire au moins une des substances dans les catégories décrites dans ce tableau (acétaminophène, AINS, antidépresseurs, gabapentinoïdes, analgésiques topiques, opioïdes faibles ou atypiques, opioïdes forts, myorelaxants ou autres analgésiques). |
Combinaisons potentiellement dangereuses de médicaments prescrits | |
Opioïde et gabapentinoïde | La personne décédée s’était fait prescrire un opioïde et un gabapentinoïde. |
Opioïde et benzodiazépine | La personne décédée s’était fait prescrire un opioïde et une benzodiazépine (par ex. diazépam ou alprazolam). |
Caractéristiques sociodémographiques | |
Sexe | Sexe biologique de la personne décédée (homme ou femme). |
Groupe d’âge | Groupe d’âge de la personne décédée (en fonction de son âge au moment du décès). On a utilisé les groupes d’âge suivants pour limiter le plus possible la suppression de données en raison du faible nombre de cas dans plusieurs catégories (surtout dans le groupe d’âge le plus jeune et dans le plus élevé) : moins de 20 ans; 20-29 ans; 30-39 ans; 40-49 ans; 50-59 ans; 60‑69 ans; 70 ans et plus. |
Source de revenus | Source de revenus ou situation d’emploi de la personne au moment de son décès. On a spécifié si la personne décédée occupait ou non un emploi, travaillait spécifiquement dans la construction et les métiers manuels, recevait des prestations d’invalidité ou était retraitée au moment de son décès. Plus d’une option pouvait s’appliquer à une même personne. Les données sur la source de revenus étaient manquantes pour 48 % de la population à l’étude. |
Quintile de revenu du quartier après impôt | Variable jumelée provenant du Fichier de conversion des codes postaux plus (FCCP+) de Statistique CanadaNote de bas de page 19; correspond au quintile de revenu après impôt du quartier de résidence de la personne décédée. Les quintiles sont fondés sur les régions métropolitaines de recensement et les agglomérations de recensement, ce qui permet de tenir compte des différences dans le coût de la vie au Canada. |
Antécédents de démêlés avec les services correctionnels | Selon le dossier du coroner ou du médecin légiste, la personne décédée était incarcérée au moment de son décès ou avait déjà été incarcérée dans le passé. |
Sans logement | La personne décédée n’avait pas de logement stable, sécuritaire ou adéquat, ou n’avait pas la capacité ni les moyens immédiats de s’en procurer un au moment de son décès. Elle vivait sans abri dans la rue, avait recours aux refuges d’urgence ou était hébergée temporairement par des amis ou des membres de la famille. Elle pouvait aussi présenter un risque immédiat de se retrouver sans logement en raison par exemple d’une perte d’emploi ou d’une éviction par le propriétaire de son logement. |
Problèmes de santé concomitants ou facteurs de risque | |
Dépression | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait des antécédents de dépression. Le dossier peut indiquer soit que la personne présentait des signes de dépression (non diagnostiquée), soit qu’elle souffrait d’une dépression cliniquement diagnostiquée. |
Anxiété | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait des antécédents d’anxiété. Le dossier peut indiquer soit que la personne présentait des signes d’anxiété (non diagnostiquée), soit qu’elle souffrait d’un trouble d’anxiété cliniquement diagnostiqué. |
TSPT | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait des antécédents de TSPT. |
Idées suicidaires ou tentatives de suicide | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait des antécédents d’idées suicidaires ou de tentatives de suicide. |
Antécédents de consommation de substances (autres que l’alcool) | Selon le dossier d’enquête sur le décès, la personne décédée avait des antécédents de consommations de substances (autres que l’alcool et les médicaments pris conformément à une ordonnace). |
Trouble lié à la consommation d’une substance | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait des antécédents de trouble lié à la consommation d’une substance, incluant l’alcool. |
Antécédents de chirurgie ou de blessure | Selon le dossier médical ou les dépositions des témoins (membres de la famille ou amis), la personne décédée avait subi une chirurgie ou une blessure dans le passé. |
Événements de vie potentiellement traumatisants | Le traumatisme est le résultat [traduction] « d’un événement, d’une série d’événements ou d’un ensemble de circonstances qui sont vécus par une personne comme étant physiquement ou émotionnellement préjudiciables ou comme étant une menace à sa vie et qui a des effets négatifs durables sur son fonctionnement et sur son bien-être mental, physique, social, émotionnel ou spirituel » Note de bas de page 22,p.7. Pour évaluer l’exposition à des événements potentiellement traumatisants, les responsables de l’abstraction des données ont consulté le dossier du coroner ou du médecin légiste à la recherche d’information indiquant que la personne décédée avait vécu un événement traumatisant au cours de sa vie. Les événements potentiellement traumatisants peuvent prendre diverses formes : ennuis de santé touchant un ami ou un membre de la famille; problème avec le partenaire (divorce, conflit…) ou avec un autre proche (dispute familiale…); problème au travail ou à l’école; difficultés financières; décès récent par suicide d’un ami ou d’un membre de la famille; décès dû à une autre cause d’un ami ou d’un membre de la famille; démêlés avec la justice (arrestation, emprisonnement, procédure devant les tribunaux, etc.) ou autre problème juridique (litige portant sur la garde d’enfant, procès civil, etc.); violence interpersonnelle (violence subie ou commise); maltraitance subie pendant l’enfance; expérience en famille d’accueil; expérience des pensionnats; agression ou violence sexuelle ou physique subie. D’autres événements potentiellement traumatisants peuvent avoir été relevés par les responsables de l’abstraction des données. On a également vérifié si les événements potentiellement traumatisants s’étaient produits dans les deux semaines précédant le décès de la personne. Comme il était impossible de déterminer à l’aide d’un outil d’évaluation normalisé (comme la liste de contrôle du TSPT) l’effet sur la personne des événements de vie potentiellement traumatisants, le degré de gravité de ces événements demeure inconnu. |
Circonstances du décès | |
Présence d’un témoin au moment de la consommation de substances | Une autre personne était présente au moment où la personne décédée a consommé les substances responsables de l’épisode d’intoxication aiguë qui a mené au décès. |
Présence d’un témoin au moment de l’épisode d’intoxication aiguë | Une autre personne était présente au moment où s’est produit l’épisode d’intoxication aiguë et où la personne décédée était encore en vie. |
Présence de signes d’intoxication aux opioïdes chez la personne décédée | Quelqu’un a observé au moins un des signes d’intoxication aux opioïdes suivants chez la personne décédée : ronflements ou gargouillements, difficultés respiratoires, micropupilles, état d’inconscience ou absence de réaction, ou coloration bleutée des lèvres ou des ongles. |
Administration de naloxone | De la naloxone a été administrée à la personne décédée au cours de l’épisode d’intoxication aiguë qui a mené au décès. |
Naloxone administrée par un témoin | La naloxone a été administrée par un témoin. Elle peut avoir été également administrée par une autre personne. |
Naloxone administrée par un premier répondant | La naloxone a été administrée par un premier répondant (services médicaux d’urgence, forces de l’ordre ou services d’incendie). Elle peut avoir été également administrée par une autre personne. |
Substances consommées | |
Substances détectées lors des analyses toxicologiques | Substances recherchées et détectées dans le cadre des analyses toxicologiques post-mortem. |
Substances ayant contribué au décès | Substances mentionnées comme ayant contribué au décès selon le certificat de décès, le rapport d’autopsie ou le rapport du coroner ou du médecin légiste. |
Substances prescrites à la personne décédée | Les substances qui ont été détectées ou mentionnées comme ayant contribué au décès avaient été prescrites à la personne décédée. Cette information peut provenir de l’historique des médicaments prescrits à la personne décédée ou d’éléments de preuve recueillis sur les lieux du décès (comme des flacons de pilules portant une étiquette). |
Substances détournées | Les substances qui ont été détectées ou mentionnées comme ayant contribué au décès avaient été prescrites à quelqu’un d’autre que la personne décédée. Cette information provient généralement des éléments de preuve recueillis sur les lieux du décès (comme des flacons de pilules portant une étiquette). |
Substances d’origine non pharmaceutique | Les substances qui ont été détectées ou mentionnées comme ayant contribué au décès étaient d’origine non pharmaceutique. Il peut s’agir de drogues non réglementées ou de substances non destinées à un usage humain, tels que des produits chimiques industriels ou ménagers, ou encore de médicaments à usage vétérinaire. |
Les médicaments prescrits pour la prise en charge de la douleur chronique ont été identifiés à l’aide du mini-livre Pain Management & Opioids préparé par RxFilesNote de bas de page 21. Les variables portant sur la prescription d’opioïdes, la prescription de médicaments contre la douleur chronique et les combinaisons potentiellement dangereuses de médicaments (en particulier opioïdes et gabapentinoïdes ou opioïdes et benzodiazépines)Note de bas de page 21 ont été incluses dans l’analyse en raison de leur pertinence pour les personnes ayant des antécédents de douleur chronique. Les données sur la race, l’origine ethnique et l’identité autochtone ont été extraites des dossiers d’enquête sur les décès mais ces données font l’objet de rapports distincts et ne sont pas incluses dans cette étude.
La plupart des variables ont comme valeurs possibles « oui » et « non ». Certaines variables ont été dérivées en codant les valeurs « oui » ou « non » à partir des données entrées dans les champs de texte libre (comme les noms d’analgésiques) et d’autres étaient catégorielles.
Analyses statistiques
Nous avons estimé la fréquence et le pourcentage associés à chaque variable dans chaque sous-groupe. Afin de repérer les différences statistiquement significatives, nous avons réalisé un test d’indépendance du khi carré de Pearson. Conformément aux normes relatives à la protection de la vie privée établies dans l’étude originaleNote de bas de page 18, tous les effectifs utilisés dans cet article ont été arrondis de manière aléatoire à un multiple de trois et les pourcentages ont été calculés en fonction de ces chiffres arrondis. Comme les sous-totaux et les totaux ont été arrondis indépendamment de leurs composantes, il est possible que la somme ne corresponde pas toujours à 100 % dans les tableaux. En outre, lorsque la fréquence associée à une variable était inférieure à dix, la valeur a été supprimée.
Toutes les analyses et tous les arrondissements aléatoires ont été effectués à l’aide du logiciel statistique R, version 4.2.1 (R Foundation for Statistical Computing, Vienne, Autriche)Note de bas de page 23Note de bas de page 24. Puisque cette étude repose sur l’examen de dossiers d’enquête sur des décès et que ces dossiers ne contiennent pas l’intégralité des renseignements sur la vie et les antécédents médicaux de la personne, les pourcentages fournis ici correspondent à la proportion minimale de personnes présentant une caractéristique donnée.
Résultats
Prévalence de la douleur chez les personnes décédées d’une intoxication aiguë accidentelle
Parmi les 7 902 personnes décédées d’une intoxication aiguë accidentelle liée à une substance au Canada entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2017, au moins 1 056 (13 %) avaient des antécédents documentés de douleur chronique et 6 366 (81 %) n’en avaient pas. Les 6 % restants n’avaient aucun antécédent documenté de douleur chronique mais souffraient d’un problème de santé associé à la douleur chronique et pouvaient donc appartenir à l’un des deux autres groupes (données non présentées). Les types de douleur les plus courants étaient la douleur de type non spécifié (17 %), la douleur chronique ou autre problème de santé lié à la douleur (8 %) et les maux de dos (6 %) (tableau 2). Chez la plupart des personnes ayant des antécédents de maux de dos, la douleur était chronique (68 %).
Antécédents et type de douleur | n | % |
---|---|---|
Antécédents de douleur | ||
Aucun antécédent de douleur chronique | 6 366 | 81 |
Toute douleur (chronique ou aiguë) | 2 418 | 31 |
Douleur chronique | 1 056 | 13 |
Douleur aiguë seulement | 72 | ≤ 1 |
Type de douleur | ||
Douleur de type non spécifiéNote de bas de page a | 1 359 | 17 |
Douleur chronique ou problème de santé lié à la douleurNote de bas de page b | 612 | 8 |
Maux de dos | 507 | 6 |
Maux de dos aigus | Valeur supprimée | Valeur supprimée |
Maux de dos chroniques | 348 | 68 |
Maux de dos non spécifiés | 138 | 27 |
Arthrite | 258 | 5 |
Traitement opioïde au long cours (plus de 90 jours) pour le soulagement de la douleurNote de bas de page c | 141 | 2 |
Fibromyalgie | 99 | 2 |
Douleur aiguë (autre que les maux de dos) | 63 | ≤ 1 |
Interactions avec le système de santé et historique des médicaments prescrits
En matière d’interactions avec le système de santé et de médicaments prescrits, nous avons relevé des différences significatives entre les personnes avec antécédents de douleur chronique et celles sans antécédents (p < 0,05). Les personnes ayant des antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion (93 %) que les personnes n’en ayant pas (65 %) à avoir consulté les services de santé dans l’année précédant leur décès. En outre, la prévalence de la consultation des services de santé motivée par la douleur était près de deux fois plus élevée chez les personnes avec antécédents de douleur chronique (30 %) que chez les personnes sans antécédents (16 %). Les expériences négatives (comme la stigmatisation) ou les difficultés d’accès au système de santé étaient également plus fréquentes en proportion chez les personnes présentant des antécédents de douleur chronique (4 %) que chez les personnes sans antécédents (< 1 %). Certaines de ces expériences négatives pourraient être liées à la difficulté à obtenir des services de traitement de la douleur adéquats, en particulier des analgésiques (tableau 3).
Variable | Avec antécédents de douleur chronique (N = 1 056) |
Sans antécédents de douleur chronique (N = 6 366) |
||
---|---|---|---|---|
n (N)Note de bas de page a | % | n (N)Note de bas de page a | % | |
Interactions avec le système de santé | ||||
Consultation, quel qu’en soit le motif, des services de santé dans l’année précédant le décès | 984 | 93 | 4 119 | 65 |
Consultation des services de santé motivée par la douleur dans l’année précédant le décès | 315 | 30 | 999 | 16 |
Expérience négative avec les services de santé ou difficultés d’accès | 45 | 4 | 36 | ≤ 1 |
Historique des médicaments prescrits | ||||
Ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant le décès parmi les personnes s’étant fait prescrire ou ayant demandé à se faire prescrire des opioïdes | 93 (747) | 12 | 57 (666) | 9 |
Acétaminophène | 90 | 9 | 102 | 2 |
AINSNote de bas de page b | 228 | 22 | 216 | 3 |
AntidépresseursNote de bas de page c | 270 | 26 | 273 | 4 |
GabapentinoïdesNote de bas de page d | 381 | 36 | 279 | 4 |
Analgésiques topiquesNote de bas de page e | Valeur supprimée | Valeur supprimée | Valeur supprimée | Valeur supprimée |
Opioïdes, tous types confondus | 714 | 68 | 507 | 8 |
Opioïdes faibles ou atypiquesNote de bas de page f | 63 | 6 | 93 | 2 |
Opioïdes fortsNote de bas de page g | 237 | 22 | 201 | 3 |
Opioïdes non spécifiés | 435 | 41 | 228 | 4 |
MyorelaxantsNote de bas de page h | 69 | 7 | 39 | ≤ 1 |
Autres analgésiques diversNote de bas de page i | 162 | 15 | 234 | 4 |
Opioïde et gabapentinoïde | 129 | 12 | 69 | 1 |
Opioïde et benzodiazépine | 153 | 15 | 126 | 2 |
Parmi les personnes s’étant fait prescrire des opioïdes ou ayant demandé à s’en faire prescrire, les personnes avec antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion (12 %) que celles sans antécédents (9 %; p < 0,05) à avoir vu leur ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant leur décès. La prescription récente de médicaments habituellement utilisés pour le soulagement de la douleur chronique et les combinaisons potentiellement dangereuses d’opioïdes prescrits et de gabapentinoïdes ou de benzodiazépines prescrits étaient plus fréquentes en proportion chez les personnes avec antécédents de douleur chronique (respectivement 12 % et 15 %) que chez les personnes sans antécédents (respectivement 1 % et 2 %).
Caractéristiques sociodémographiques
En matière de caractéristiques sociodémographiques, de problèmes de santé concomitants et d’autres facteurs de risque connus, nous avons relevé des différences significatives entre les personnes avec antécédents de douleur chronique et celles sans antécédents (p < 0,05). Les hommes étaient plus nombreux que les femmes dans les deux catégories, mais la proportion d’hommes était plus élevée chez les personnes ne souffrant pas de douleur chronique (78 %) que chez celles souffrant de douleur chronique (57 %) (tableau 4).
Variable | Avec antécédents de douleur chronique (N = 1 056) |
Sans antécédents de douleur chronique (N = 6 366) |
valeur pNote de bas de page b | ||
---|---|---|---|---|---|
n (N)Note de bas de page a | % | n (N)Note de bas de page a | % | ||
Caractéristiques sociodémographiques | |||||
Sexe | |||||
Homme | 597 | 57 | 4 965 | 78 | < 0,05 |
Femme | 459 | 44 | 1 401 | 22 | < 0,05 |
Groupe d’âge (ans) | |||||
Moins de 20 | Valeur supprimée | Valeur supprimée | 162 | 3 | < 0,05 |
20 à 29 | 63 | 6 | 1 350 | 21 | < 0,05 |
30 à 39 | 159 | 15 | 1 830 | 29 | < 0,05 |
40 à 49 | 243 | 23 | 1 386 | 22 | < 0,05 |
50 à 59 | 402 | 38 | 1 200 | 19 | < 0,05 |
60 à 69 | 150 | 14 | 396 | 6 | < 0,05 |
70 et plus | 39 | 4 | 42 | ≤ 1 | < 0,05 |
Quintile de revenu du quartierNote de bas de page c | |||||
Q1 (inférieur) | 420 (942) | 45 | 1 878 (4 614) | 41 | > 0,05 |
Q2 (moyen-faible) | 192 (942) | 20 | 978 (4 614) | 21 | > 0,05 |
Q3 (moyen) | 144 (942) | 15 | 714 (4 614) | 16 | > 0,05 |
Q4 (moyen-élevé) | 117 (942) | 12 | 579 (4 614) | 13 | > 0,05 |
Q5 (supérieur) | 72 (942) | 8 | 462 (4 614) | 10 | > 0,05 |
Source de revenusNote de bas de page d | |||||
Occupait un emploi au moment du décès | 99 | 9 | 1 521 | 24 | < 0,05 |
Travaillait dans la construction et les métiers manuels | 18 (99) | 18 | 690 (1 521) | 45 | < 0,05 |
Était à la retraite | 30 | 3 | 54 | ≤ 1 | < 0,05 |
Recevait des prestations d’invalidité | 114 | 11 | 333 | 5 | < 0,05 |
Problèmes de santé concomitants et autres facteurs de risque connus | |||||
Antécédents de problèmes de santé mentale ou des symptômes suivants : | 555 | 53 | 1 731 | 27 | < 0,05 |
Dépression ou symptômes de dépression | 426 | 40 | 1 251 | 20 | < 0,05 |
Idées suicidaires | 180 | 17 | 426 | 7 | < 0,05 |
Trouble d’anxiété | 252 | 24 | 714 | 11 | < 0,05 |
TSPT | 45 | 4 | 126 | 2 | < 0,05 |
Antécédents de consommation de substances (autres que l’alcool) | 786 | 74 | 5 223 | 82 | < 0,05 |
Antécédents de troubles liés à la consommation de substances (incluant les troubles liés à l’usage d’alcool) | 327 | 31 | 1 389 | 22 | < 0,05 |
Antécédents d’événements de vie potentiellement traumatisants | 543 | 51 | 2 271 | 36 | < 0,05 |
Événement de vie potentiellement traumatisant dans les deux semaines précédant le décès | 54 (543) | 10 | 234 (2 271) | 10 | > 0,05 |
Sans logement | 51 | 5 | 621 | 10 | < 0,05 |
Antécédents de blessure ou de chirurgie | 582 | 55 | 837 | 13 | < 0,05 |
Antécédents de démêlés avec les services correctionnels | 63 | 6 | 471 | 7 | < 0,05 |
Circonstances immédiates du décès | |||||
Substances consommées en présence d’autrui | 204 | 19 | 1 344 | 21 | > 0,05 |
Présence d’un témoin au moment de l’épisode d’intoxication aiguë | 216 | 21 | 621 | 10 | < 0,05 |
Constat par le témoin qu’un épisode d’intoxication aiguë était en train de se produire | 63 | 6 | 354 | 6 | > 0,05 |
Présence de signes d’intoxication aux opioïdes chez la personne décédée | 441 | 42 | 1 569 | 25 | < 0,05 |
Administration de naloxone | 99 (441) | 22 | 438 (1 569) | 28 | < 0,05 |
Naloxone administrée par un témoin | Valeur supprimée | Valeur supprimée | 66 (1 569) | 4 | sans objet |
Naloxone administrée par un premier répondant | 63 (441) | 14 | 276 (1 569) | 18 | > 0,05 |
Les personnes ayant des antécédents de douleur chronique étaient généralement plus âgées : 56 % d’entre elles avaient 50 ans ou plus, contre 26 % ayant 50 ans ou plus chez les personnes n’ayant pas d’antécédents de douleur chronique. Indépendamment de leurs antécédents de douleur chronique, la majorité des personnes décédées d’une intoxication aiguë accidentelle liée à une substance vivaient dans des quartiers du quintile de revenu inférieur ou du quintile de revenu moyen-faible.
Parmi les personnes pour qui on dispose de renseignements sur la source de revenus, celles ayant des antécédents de douleur chronique étaient moins nombreuses en proportion à occuper un emploi (9 %) que celles sans antécédents (24 %). Parmi les personnes sans antécédents de douleur chronique occupant un emploi, près de la moitié travaillaient dans la construction, les métiers manuels ou un domaine connexe. Les personnes ayant des antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion que celles sans antécédents de douleur chronique à recevoir des prestations d’invalidité (11 % contre 5 %) ou à être à la retraite (3 % contre moins de 1 %). Il est important de souligner que les renseignements sur la source de revenus n’étaient pas disponibles pour 59 % des personnes atteintes de douleur chronique et pour 45 % des personnes sans douleur chronique et les renseignements sur l’emploi étaient manquants pour 84 % des personnes souffrant de douleur chronique et pour 71 % des personnes sans douleur chronique.
Problèmes de santé concomitants et autres facteurs de risque connus
Plus de la moitié (53 %) des personnes avec antécédents de douleur chronique avaient un problème de santé mentale alors que, chez les personnes sans douleur chronique, cette proportion était de 27 % (tableau 4). La dépression, l’anxiété, le trouble de stress post-traumatique et les idées suicidaires étaient tous plus présents en proportion chez les personnes souffrant de douleur chronique.
Alors que des antécédents de consommation de substances étaient plus fréquents en proportion chez les personnes sans antécédents de douleur chronique par rapport à celles avec antécédents (82 % contre 74 %), les troubles liés à la consommation de substances étaient plus fréquents en proportion chez les personnes atteintes de douleur chronique (31 % contre 22 % pour celles sans antécédents). Plus de la moitié (55 %) des personnes ayant des antécédents de douleur chronique avaient subi une blessure ou une intervention chirurgicale dans le passé, contre 13 % chez les personnes sans antécédents de douleur chronique. Environ une personne sur quatre avec antécédents de douleur chronique avait à la fois des antécédents de consommation de substances, des problèmes de santé mentale et un historique de blessure ou de chirurgie (figure 1). En outre, les personnes avec antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion que celles sans antécédents à avoir vécu un événement potentiellement traumatisant au cours de leur vie, selon l’information trouvée au dossier (51 % contre 36 %; tableau 4). Les personnes avec antécédents de douleur chronique étaient moins nombreuses en proportion à être sans logement.
Figure 1 : Texte descriptif
Ce diagramme de Venn à 3 cercles représente la répartition des personnes dans une ou plusieurs des catégories suivantes : consommation de substances; blessure ou chirurgie subie dans le passé; problèmes de santé mentale.
Région dans le diagramme de Venn | Nombre de personnes | Pourcentage de personnes avec antécédents de douleur chronique décédées d’une intoxication aiguë accidentelle |
---|---|---|
« Consommation de substances » | 186 | 18 % |
« Blessure ou chirurgie subie dans le passé » | 72 | 7 % |
« Problèmes de santé mentale » | 51 | 5 % |
« Consommation de substances » et « Blessure ou chirurgie subie dans le passé » | 174 | 16 % |
« Consommation de substances » et « Problèmes de santé mentale » | 168 | 16 % |
« Blessure ou chirurgie subie dans le passé » et « Problèmes de santé mentale » | 78 | 7 % |
« Consommation de substances » et « Blessure ou chirurgie subie dans le passé » et « Problèmes de santé mentale » | 258 | 24 % |
Remarques : On considère que la personne décédée éprouvait des problèmes de santé mentale s’il était question d’au moins un des éléments suivants dans le dossier d’enquête sur le décès : dépression ou symptômes de dépression, idées suicidaires, anxiété ou trouble de stress post-traumatique (TSPT). Le diagramme de Venn a été produit à l’aide du package R ggVennDiagramNote de bas de page 25.
Circonstances du décès
La proportion de personnes ayant consommé des substances en présence d’autrui avant l’épisode d’intoxication aiguë ayant entraîné le décès était similaire dans les deux groupes (tableau 4). Toutefois, la présence d’un témoin au moment du décès était plus fréquente en proportion chez les personnes avec antécédents de douleur chronique (21 %, contre 10 % chez les personnes sans antécédents). De plus, les personnes avec antécédents de douleur chronique ont présenté plus souvent, en proportion, des signes d’intoxication aux opioïdes au cours de l’épisode ayant mené au décès (42 %) que celles sans antécédents (25 %).
De la naloxone a été administrée plus souvent, en proportion, aux personnes sans antécédents de douleur chronique qu’à celles avec antécédents (18 % contre 14 %).
Substances consommées
Les substances ayant contribué à plus de 10 % des décès à la fois chez les personnes avec antécédents de douleur chronique et chez celles sans antécédents sont le fentanyl, la cocaïne, l’éthanol (alcool), la méthamphétamine et la morphine (tableau 5). L’hydromorphone et l’oxycodone ont plus souvent contribué, en proportion, aux décès des personnes avec antécédents de douleur chronique tandis que la diacétylmorphine (héroïne) et l’amphétamine ont plus souvent contribué, en proportion, aux décès des personnes sans antécédents. Les opioïdes, fréquemment utilisés dans le traitement de la douleur chronique, ainsi que les autres médicaments couramment administrés pour soulager la douleur chronique font partie des substances qui ont joué le plus souvent un rôle direct dans les décès, et ce, dans les deux groupes. Des combinaisons potentiellement dangereuses d’opioïdes et de gabapentinoïdes ou de benzodiazépines ont été détectées dans les analyses toxicologiques de respectivement 20 % et 43 % des personnes avec antécédents de douleur chronique. Ces combinaisons avaient été prescrites à plus de la moitié des personnes décédées.
Substance ou combinaison de substances | Avec antécédents de douleur chronique (N = 1 056) |
Sans antécédents de douleur chronique (N = 6 366) |
||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Décès pour lesquels la substance ou la combinaison de substances a été détectée | Décès pour lesquels la substance ou la combinaison de substances a joué un rôle contributif | Proportion de détection sous forme de médicament prescritNote de bas de page a | Proportion de détection sous forme de substance d’origine non pharmaceutiqueNote de bas de page a | Proportion de détection sous forme de substance d’origine inconnueNote de bas de page a | Décès pour lesquels la substance ou la combinaison de substances a été détectée | Décès pour lesquels la substance ou la combinaison de substances a joué un rôle contributif | Proportion de détection sous forme de médicament prescritNote de bas de page a | Proportion de détection sous forme de substance d’origine non pharmaceutiqueNote de bas de page a | Proportion de détection sous forme de substance d’origine inconnueNote de bas de page a | |
Fentanyl | 27 | 24 | 26 | 71 | Valeur supprimée | 53 | 52 | 1 | 46 | 53 |
Cocaïne | 28 | 22 | S.O. | 100 | 0 | 45 | 38 | S.O. | 100 | 0 |
Hydromorphone | 26 | 16 | 63 | S.O. | 0 | 7 | 4 | 14 | S.O. | 0 |
Oxycodone | 23 | 16 | 71 | S.O. | 0 | 6 | 4 | 18 | S.O. | 0 |
Éthanol (alcool)Note de bas de page b | 29 | 15 | S.O. | S.O. | 0 | 34 | 23 | S.O. | S.O. | 0 |
Méthamphétamine | 16 | 12 | S.O. | 100 | 0 | 28 | 24 | S.O. | 100 | 0 |
MorphineNote de bas de page c | 24 | 11 | 42 | 29 | 24 | 22 | 15 | 4 | 35 | 60 |
Polyintoxicationd | S.O. | 11 | S.O. | S.O. | 100 | S.O. | 4 | S.O. | S.O. | 100 |
Diacétylmorphine (héroïne) | 6 | 6 | S.O. | 100 | 0 | 13 | 12 | S.O. | 100 | 0 |
Amphétaminec | 13 | 2 | 11 | 83 | 7 | 24 | 15 | 3 | 47 | 51 |
Opioïde, tous types confondus | 86 | 71 | 64 | 25 | 18 | 79 | 75 | 9 | 33 | 53 |
Médicament contre la douleur chronique, tous types confondus | 90 | 72 | 70 | 23 | 14 | 79 | 70 | 14 | 33 | 62 |
Opioïde et gabapentinoïde | 20 | 4 | 64 | S.O. | 0 | 4 | 1 | 16 | S.O. | 0 |
Opioïde et benzodiazépine | 43 | 13 | 53 | S.O. | 0 | 17 | 6 | 12 | S.O. | 0 |
Pour toutes les substances et toutes les combinaisons étudiées, les personnes avec antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion que celles sans antécédents à s’être fait prescrire la substance ayant été détectée dans les analyses toxicologiques (tableau 5). En ce qui concerne le fentanyl et l’amphétamine, le pourcentage inférieur de détection sous forme de substance d’origine non pharmaceutique chez les personnes sans antécédents de douleur chronique est probablement attribuable aux pourcentages supérieurs de substances d’origine inconnue, en l’absence d’information sur les antécédents médicaux de la personne (données non présentées). Des médicaments détournées ont été détectés dans moins de 1 % des cas, et ce, pour les deux groupes (données non présentées).
Analyse
Le nombre durablement élevé de décès par intoxication aiguë liée à une substance au Canada est le reflet du rôle joué par l’offre de drogues toxiques et non réglementéesNote de bas de page 1, dans un contexte plus vaste où différents facteurs ont une influence sur la consommation de substances et ses méfaits connexes. Dans plusieurs provinces et territoires du Canada, on remarque que, souvent, les personnes qui décèdent d’une intoxication aiguë due à une substance souffraient aussi de douleur chronique et avaient subi une blessure dans le passéNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12. Ainsi, des antécédents de douleur chronique ont été recensés dans les dossiers des coroners et des médecins légistes chez au moins 13 % des personnes décédées d’intoxication aiguë accidentelle en 2016 et 2017.
Des différences notables dans les caractéristiques sociodémographiques et dans d’autres facteurs liés à l’équité ont été observées entre les personnes avec antécédents de douleur chronique et celles sans antécédents. La plupart des personnes avec antécédents de douleur chronique étaient âgées de 40 ans et plus et vivaient dans un quartier à faible revenu ou à revenu moyen-faible et les personnes souffrant de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion que les personnes sans douleur chronique à ne pas occuper d’emploi, à recevoir des prestations d’invalidité ou à être à la retraite au moment de leur décès. Ces résultats concordent avec ceux de travaux antérieurs ayant porté sur l’association entre un âge avancé et un statut socioéconomique inférieur ainsi la prévalence accrue de la douleur chronique et de l’invaliditéNote de bas de page 7Note de bas de page 26.
Bien que certaines études fassent état d’un lien entre les décès par intoxication aiguë à une substance et le fait de travailler dans une industrie comportant un risque élevé de blessureNote de bas de page 4Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 13, nous avons observé que les personnes sans antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion à travailler dans la construction et les métiers manuels que celles ayant des antécédents de douleur chronique. La prévalence globalement plus faible de l’emploi chez les personnes souffrant de douleur chronique pourrait expliquer ce constat. Cependant, comme cette étude était limitée par le manque important de renseignements sur l’historique d’emploi, le nombre réel de personnes ayant travaillé dans les métiers manuels (et ayant subi des blessures à l’origine d’une douleur chronique ou d’une invalidité) pourrait être sous-estimé. En outre, du fait de son caractère saisonnier et souvent limité dans le temps, le travail dans l’industrie de la construction pourrait constituer une source d’emploi accessible aux personnes consommatrices de substancesNote de bas de page 13. Le lien entre les décès par intoxication aiguë et un emploi dans la construction et les métiers manuels pourrait également s’expliquer par la concentration commune d’hommes dans les groupes d’âge plus jeunes dans les deux casNote de bas de page 13. Afin de mieux caractériser l’association entre l’emploi dans la construction et les métiers manuels de même que les méfaits liés aux substances, il faut poursuivre les recherches et étudier le caractère récent ou non de l’emploi et sa durée.
Un étude approfondie du rôle transversal potentiel de plusieurs facteurs interdépendants a révélé qu’il existe un chevauchement considérable entre la consommation de substances, les problèmes de santé mentale et les antécédents de blessure ou de chirurgie chez les personnes souffrant de douleur chronique. En effet, les personnes ayant des antécédents de douleur chronique étaient beaucoup plus nombreuses en proportion à souffrir de problèmes de santé mentale, à avoir subi un traumatisme et à avoir subi une blessure ou une intervention chirurgicale dans le passé. Ces résultats ne sont pas étonnants compte tenu de l’association souvent bidirectionnelle entre la douleur, les problèmes de santé mentale et les troubles liés à la consommation de substances. Selon Rayner et ses collèguesNote de bas de page 27, les patients atteints de dépression sont plus susceptibles de signaler une interférence accrue de la douleur avec leur fonctionnement quotidien et une douleur généralisée plus prononcée. Les événements traumatisants sont également associés à une probabilité accrue de souffrir d’un syndrome somatique fonctionnel tel que la fibromyalgieNote de bas de page 28. Un lien étroit a aussi été observé avec les antécédents de traumatisme (comme le fait d’avoir subi de la maltraitance durant l’enfance) et les problèmes de santé mentale, qui pourraient se traduire par une interférence plus importante de la douleur et par une douleur plus intenseNote de bas de page 29.
Le fentanyl s’est révélé la principale substance à l’origine des décès, et ce, tant chez les personnes avec antécédents de douleur chronique (24 % des décès) que chez celles sans antécédents (52 % des décès). Lorsque le fentanyl était la substance en cause dans le décès, les personnes avec antécédents de douleur chronique étaient plus nombreuses en proportion à s’être fait prescrire la substance (26 %) que les personnes sans antécédents (1 %). Ces données tendent à indiquer que l’utilisation du fentanyl pour le soulagement de la douleur était fréquente chez les personnes avec antécédents de douleur chronique. Il convient toutefois de noter que l’ensemble de données tiré de l’examen des dossiers ne contient pas d’information sur les indications pour lesquelles ces médicaments avaient été prescrits. Depuis 2017, soit la dernière année de la période à l’étude, les lignes directrices sur le traitement de la douleur chronique non cancéreuse déconseillent le traitement par opioïdesNote de bas de page 21Note de bas de page 30Note de bas de page 31 et depuis, comme on s’y attendait, on a constaté une diminution de la proportion de patients atteints de douleur chronique à qui l’on prescrit du fentanyl et d’autres opioïdes. En revanche, il y a eu jusqu’en 2021 au Canada une augmentation annuelle du nombre d’échantillons de drogues saisies par les forces de l’ordre dans lesquels du fentanyl a été détecté, et le pourcentage de détection demeure élevé encore aujourd’huiNote de bas de page 32.
Les substances qui ont contribué directement le plus fréquemment aux décès avaient été en proportion plus souvent prescrites aux personnes avec antécédents de douleur chronique qu’aux personnes sans antécédents, bien que des substances d’origine non pharmaceutique aient aussi été souvent détectées dans les analyses menées chez les personnes avec antécédents. Il ne faut pas nécessairement en conclure que les substances prescrites étaient inappropriées : la personne décédée peut avoir pris une dose supérieure à la dose prescrite ou encore avoir pris une autre substance, pharmaceutique ou non, en complément ou en association avec le médicament prescrit.
Dans cette étude, nous avons constaté qu’il était plus fréquent pour les personnes avec antécédents de douleur chronique de voir leur ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant leur décès que pour les personnes sans antécédents. On sait que le fait de restreindre l’accès aux analgésiques pharmaceutiques a pour effet d’amener les gens à se tourner vers des sources d’approvisionnement en drogues illégales, qui sont souvent plus toxiques et imprévisiblesNote de bas de page 17. Fait important à noter, moins de 1 % des substances ayant le plus souvent contribué au décès étaient des médicaments prescrits détournés. On pourrait réduire le risque de décès accidentel si la prescription de médicaments aux personnes ayant des antécédents de douleur chronique se faisait selon une approche de réduction des méfaits qui privilégie l’éducation du patient à propos des substances qui lui sont prescrites et à propos des risques associés à l’utilisation d’autres substances en association avec les médicaments prescrits. Les personnes avec antécédents de douleur chronique présentaient des taux élevés (93 %) de consultation des services de santé dans l’année précédant leur décès. Dans près du tiers des cas, la consultation avait été motivée par la douleur, situation qui offre aux fournisseurs de soins de santé l’occasion de passer en revue la liste des médicaments prescrits au patient et de discuter avec lui de l’utilisation des analgésiques et des autres méthodes de traitement de la douleur.
Il est important de veiller à ce que les expériences négatives, comme la stigmatisation qui entoure la douleur chronique et la consommation de substances, ne viennent pas entraver les possibilités d’intervention. Dans cette étude, les personnes avec antécédents de douleur chronique avaient vécu des expériences négatives en lien avec l’accès aux services de santé plus souvent en proportion que les personnes sans antécédents. Ces expériences négatives ne font qu’aggraver la marginalisation des personnes qui vivent avec des douleurs chroniques et des personnes consommatrices d’opioïdes ou d’autres substances, les empêchant portentiellement de recevoir des services adaptés. Nos résultats sont corroborés par ceux d’une étude qualitative portant sur les expériences vécues par les personnes consommatrices des substances : dans leur étude, Dassieu et ses collaborateursNote de bas de page 33 ont fait état, eux aussi, des difficultés d’accès à des services interdisciplinaires de prise en charge de la douleur, de l’inaccessibilité relative des traitements non pharmacologiques de la douleur (comme la physiothérapie) et du risque qui peut en découler que la personne décide, en dernier recours, de s’autotraiter en utilisant des drogues illégales.
Points forts et limites
Cette étude est fondée sur les dossiers des coroners et des médecins légistes, dont les formats et les protocoles d’enquête diffèrent selon les administrations. Les données des provinces et des territoires relativement aux variables d’intérêt que nous avons analysées ne sont pas toutes accessibles dans la même mesure, ce qui fait que nous ne pouvons présenter que des proportions minimales.
Les capacités en matière d’analyses toxicologiques sont également variables en fonction des administrations et au fil du temps. L’ensemble de données ne contient pas d’information sur la posologie ni sur la durée du traitement, deux facteurs dont on sait qu’ils contribuent au degré de risque d’intoxication aiguë. Toutefois, le coroner ou le médecin légiste responsable de l’enquête est censé avoir vérifié en détail les médicaments prescrits au moment d’établir la cause du décès. Certains médicaments ont plusieurs utilisations, prévues ou non sur l’étiquette : par exemple, la buprénorphine, la méthadone et la morphine à action prolongée peuvent être prescrites soit comme traitement de la douleur, soit comme traitement par agonistes opioïdes. Il est donc possible que ces opioïdes aient été classés à tort comme analgésiques, en l’absence d’information sur les indications pour lesquelles ils ont été prescrits.
Les codes de diagnostic de la douleur chronique selon la CIM-11 ont été publiés en 2018, ce qui fait que les fournisseurs de soins de santé n’y avaient pas accès lors de la période à l’étude. En outre, certaines personnes vivant avec des douleurs chroniques pourraient ne pas avoir cherché à obtenir un diagnostic ou des soins en bonne et due forme, surtout s’il leur était déjà arrivé de faire face à des obstacles dans l’accès aux services de santé (comme de la stigmatisation). Il se peut également que les personnes sans contacts sociaux connus (membres de la famille ou amis) n’aient pas été incluses dans les statistiques, dans la mesure où personne n’a pu témoigner de leur expérience de douleur chronique ou d’obstacles à l’accès aux services de santé.
Certains problèmes de santé associés à la douleur chronique (comme l’endométriose) n’ont pas pu être isolés au sein des grandes catégories, et les personnes touchées n’ont donc pas été exclues du groupe sans antécédents de douleur chronique. De ce fait, certaines personnes ont été classées à tort parmi les personnes sans antécédents de douleur chronique. Par ailleurs, la présence d’antécédents documentés de douleur chronique pourrait avoir influencé la collecte d’autres données sur les antécédents médicaux et sur l’historique des médicaments prescrits. Compte tenu des limites susmentionnées, les différences observées entre les personnes ayant des antécédents de douleur chronique et les personnes sans antécédents sont susceptibles d’être biaisées. De plus, la nature transversale de l’étude empêche toute inférence causale.
Enfin, il est important de noter que la pandémie de COVID-19 a eu une incidence sur les habitudes de consommation de substances et les méfaits connexesNote de bas de page 34. Les décès par intoxication accidentelle aux opioïdes ont presque doublé au Canada depuis mars 2020, et les chiffres demeurent plus élevés qu’avant la pandémie, une situation explicable par différents facteurs, dont l’offre de drogues de fabrication illégale de plus en plus imprévisibles et toxiquesNote de bas de page 34. Cette étude porte sur une population jamais étudiée auparavant au Canada, et les recherches futures devraient s’intéresser au rôle de la douleur chronique dans l’augmentation soutenue du nombre de décès par intoxication aiguë liée à une substance depuis la pandémie de COVID-19, de façon à orienter la planification des politiques et la prise de mesures stratégiques.
Conclusion
De nombreux facteurs transversaux et interdépendants sont susceptibles d’avoir une influence sur le fardeau des méfaits liés à la consommation de substances, dont les décès par intoxication aiguë, chez les personnes souffrant de douleur chronique. La quasi-totalité des personnes avec antécédents documentés de douleur chronique avaient consulté les services de santé avant leur décès, et près du tiers de ces interactions avaient été motivées par la douleur. Plus d’une personne sur dix souffrant de douleur chronique a vu son ordonnance d’opioïdes réduite ou refusée dans les six mois précédant son décès. Ces résultats témoignent de la présence d’une douleur non traitée et indiquent que des solutions de traitement de la douleur sécuritaires, adéquates et accessibles sont nécessaires.
Remerciements
Nous tenons à remercier nos collaborateurs des bureaux des coroners en chef et des médecins légistes en chef de tout le Canada, qui nous ont donné accès à leurs dossiers d’enquête sur les décès. Nous tenons également à remercier nos cochercheurs, qui ont contribué à l’élaboration de l’étude nationale d’examen des dossiers sur les décès attribuables à une intoxication aiguë liée à une substance : Brandi Abele, Matthew Bowes, Songul Bozat-Emre, Jessica Halverson, Dirk Huyer, Beth Jackson, Graham Jones, Fiona Kouyoumdjian, Jennifer Leason, Regan Murray, Erin Rees, Jenny Rotondo et Emily Schleihauf.
Ce rapport est fondé sur les données et les renseignements compilés et fournis par les bureaux des coroners en chef et des médecins légistes en chef de tout le Canada.
Financement
Cette étude a reçu le soutien financier de l’Agence de la santé publique du Canada.
Conflits d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Contribution des auteurs et avis
- JV : conception, analyse formelle, enquête, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.
- AV : conception, analyse formelle, enquête, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.
- LY : conception, enquête, relectures et révisions.
- KH : validation, enquête, relectures et révisions.
- JFL : conception, enquête, relectures et révisions.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada ou des fournisseurs de données.
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