Éditorial – Participation au processus éditorial de personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète : réflexions sur la série spéciale consacrée à la crise d’intoxications dues à des substances non réglementées au Canada

Introduction

Les décès attribuables à une intoxication (ou « surdose » ou « empoisonnement ») due à des drogues non réglementées demeurent une urgence nationale de santé publique constante au Canada^{Note de bas de page 1}. D’après les données probantes dont on dispose, il est de plus en plus reconnu que ces décès sont une conséquence directe de la criminalisation de la consommation de substances, de l’échec de la lutte antidrogue et d’une politique désuète en matière de drogues^{Note de bas de page 2}. Les dossiers des coroners constituent une source importante de données sur les décès attribuables à une intoxication due à des drogues non réglementées, car ils fournissent des renseignements sur les circonstances du décès (lieu du décès, contact avec un fournisseur de soins de santé avant le décès, analyses toxicologiques post-mortem, etc.). Chaque province et territoire a sa propre approche en matière de collecte de données, et ces dernières n’ont pas été recueillies dans le but d’analyser les cas d’intoxication due à des drogues non réglementées à l’échelle nationale. Cette série spéciale comprend cinq articles portant chacun sur un sujet particulier et utilisant les données recueillies dans l’ensemble des provinces et des territoires, dans le but de dresser un tableau national des cas d’intoxications dues à des drogues non réglementées au Canada^{Note de bas de page 3Note de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7}.

Participation de personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète en lien avec le thème de la recherche

Cette série d’articles a mis à contribution des rédactrices invitées, à savoir deux personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète (PVVEC) de consommation de substances et deux chercheures. C’est la première fois que la revue Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada fait appel à des PVVEC dans le cadre de son processus éditorial.

Jusqu’à présent, les PVVEC n’ont jamais été mises à contribution efficacement dans la recherche^{Note de bas de page 8}. Elles ont déclaré avoir été victimes de stigmatisation, s’être heurtées à des déséquilibres de pouvoir, à des comportements irrespectueux et à des inégalités, avoir eu de la difficulté à accéder à des documents de réunion et avoir souffert d’un manque de flexibilité et de l’absence d’approches tenant compte des traumatismes^{Note de bas de page 8}. À la lumière de ce constat, il importe de faire participer véritablement les PVVEC à l’ensemble du processus de recherche — depuis l’élaboration des questions de recherche, la collecte et l’interprétation des données d’après leur expérience vécue jusqu’à la rédaction, la présentation d’exposés lors de congrès, l’évaluation par les pairs et la participation aux fonctions de direction éditoriale.

Il est essentiel de travailler à l’établissement de priorités inclusives dans le domaine de la recherche pour tenter de répondre à cette crise d’intoxication aux drogues. Il est possible d’y arriver en établissant entre les équipes de recherche et les PVVEC des partenariats qui mettent l’accent sur l’expertise des PVVEC. La participation des PVVEC dès le début de la recherche est essentielle pour que les questions de recherche correspondent aux priorités en matière de collecte de données et aux besoins des collectivités. Ce type de participation permet de vérifier que les résultats de la recherche sont utilisés d’une manière utile et non d’une manière nuisible, c’est-à-dire en évitant une mauvaise interprétation des données utilisées pour orienter l’établissement des priorités (affectation des ressources, prestation des services, modification des politiques), et ce, en vue de mettre fin à la crise actuelle.

Lors de la collaboration avec les PVVEC en matière de consommation de substances, il faut tenir compte des préjudices permanents liés à la criminalisation^{Note de bas de page 9Note de bas de page 10}. Les rédactrices invitées ont souligné qu’une participation authentique et véritable des PVVEC est nécessaire pour que les personnes consommatrices de drogues puissent en arriver un jour à s’affranchir de leur dépendance. Dans cet éditorial, nous présentons les réflexions des rédactrices invitées au sujet du contenu de ce numéro spécial et de leur processus de participation, à la lumière du constat que nous venons d’évoquer.

Aperçu du contenu de la série spéciale : réflexions et recommandations

Cette série spéciale porte sur les données de l’ensemble du Canada, et ce numéro rend plus spécifiquement compte de la crise d’intoxication aux drogues non réglementées en matière de douleur chronique^{Note de bas de page 5}, de logement^{Note de bas de page 6} et de répercussions à différentes étapes de la vie^{Note de bas de page 7}. Cette série constitue un premier pas vers l’obtention d’un portrait national des circonstances des décès, un élément pour lequel une lacune demeure dans la littérature.

Elle comporte néanmoins des limites importantes. D’abord, les données remontent à 2016. Bien que cela fournisse un certain contexte historique, il n’en demeure pas moins que cela entraîne d’importantes limites en ce qui concerne la possibilité de généralisation des résultats à la période actuelle. En outre, puisque les données ont été extraites des dossiers de coroners de lieux comportant des structures et des protocoles différents, les données pertinentes pour les variables d’intérêt n’étaient disponibles que dans certaines régions. La proportion élevée de données manquantes dans certaines analyses a limité notre capacité à en tirer des conclusions.

Pour composer avec ces limites, il est nécessaire de disposer de données plus récentes et de coordonner les réponses, afin de permettre l’accès à ce type de données en temps quasi réel, comme cela a été le cas pour l’intervention en santé publique liée à la pandémie de COVID‑19^{Note de bas de page 11}. Les méthodes de collecte dans les différentes régions doivent être coordonnées afin d’obtenir la production de rapports normalisés. Des comparaisons plus significatives pourront ainsi être faites, ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle.

Les études présentées dans cette série spéciale offrent un instantané d’un moment révolu lié à la crise d’intoxication aux drogues non réglementées au Canada. Les données sont interprétables en fonction de ce que nous en connaissons aujourd’hui : elles offrent un voyage dans le temps et montrent les changements survenus dans l’approvisionnement en drogues toxiques non réglementées, l’élargissement du réseau d’organismes d’aide aux personnes consommatrices de drogues et la disponibilité accrue de traitements et de services de réduction des méfaits. Bien que la mise en œuvre de ces mesures de réduction des méfaits et de services de traitement ait permis de prévenir certains décès^{Note de bas de page 12}, les efforts en matière de prestation de services n’ont pas suffi à enrayer cette crise d’intoxication aux drogues non réglementées, qui demeure une urgence de santé publique.

Aperçu de la participation des PVVEC à titre de rédactrices invitées : réflexions et recommandations

Dans le contexte de la participation des travailleurs de première ligne aux activités de recherche, les pairs intervenant en cas de surdose ont souligné l’importance d’une reconnaissance de leur travail (par exemple par le biais d’une compensation financière ou d’une mention comme coauteur), d’un soutien organisationnel et de l’acquisition de compétences^{Note de bas de page 13Note de bas de page 14}, éléments auxquels nous avons accordé la priorité au cours du processus de participation des PVVEC à titre de rédactrices invitées pour cette série spéciale.

Cette participation a été facilitée par des réunions régulières entre les chercheures et les PVVEC agissant comme rédactrices invitées. Si l’information pertinente a bien été mise à leur disposition avant les réunions, nous ne nous attendions cependant pas à ce que, lors des réunions, elles aient pu étudier les documents au préalable. Nous avons analysé les documents ensemble, pour nous assurer de partir du même point. Il était essentiel de procéder ainsi afin de tenir compte de facteurs influençant la participation des PVVEC à leurs futures fonctions éditoriales : charge de travail autre que les responsabilités éditoriales, exigences en matière d’apprentissage et de mesures d’adaptation, traumatisme vicariant et expériences personnelles traumatisantes ainsi que nombreux engagements pris par les PVVEC en dehors des réunions. Le temps consacré aux réunions du groupe était organisé de manière à s’adapter à la façon d’aborder le travail des PVVEC agissant comme rédactrices invitée et nous avons tenu compte des priorités concurrentes liées à leur travail communautaire mené par les pairs.

La collaboration avec les rédactrices invitées a été mutuellement profitable. Les PVVEC agissant comme rédactrices invitées ont déclaré avoir vécu une expérience enrichissante, qui leur a permis d’apprendre un nouveau langage scientifique et de nouvelles méthodes de recherche ainsi que d’acquérir la confiance nécessaire pour participer à des activités similaires à l’avenir. Les chercheures agissant comme rédactrices invitées ont quant à elles été amenées à poser de nouvelles questions au sujet des données et à envisager le processus d’analyse d’un œil nouveau en fonction des commentaires de leurs collègues PVVEC.

La participation de deux pairs était essentielle pour éviter d’imposer un lourd fardeau à une seule personne. Les PVVEC agissant comme rédactrices invitées ont échangé des idées, confirmant ou remettant en question leurs idées respectives, ce qui, en fin de compte, a aidé à faire avancer la discussion sur la meilleure façon de réviser chaque manuscrit.

Une des principales leçons à retenir est que la participation de PVVEC à titre de rédactrices invitées exige beaucoup de temps. Lors de la participation future de PVVEC à des fonctions éditoriales comme celles de rédactrice invitée dans des disciplines universitaires et des revues scientifiques, il faudra établir des échéanciers souples afin de tenir compte du temps nécessaire pour l’acquisition de compétences professionnelles et pour l’élaboration de nouveaux processus et protocoles de participation.

Le recours à des PVVEC à titre de rédactrices invitées a également exigé beaucoup de temps et de réflexion car il s’agissait d’une nouvelle pratique pour notre revue. Pour cette série spéciale, elles ont fourni leur expertise pour s’assurer que les manuscrits tenaient compte du contexte réel actuel de la crise d’intoxication aux drogues non réglementées au Canada.

Bien qu’il existe des lignes directrices sur la participation de PVVEC au processus de proposition de subvention et d’évaluation^{Note de bas de page 15}, à notre connaissance, ce type de lignes directrices n’existe pas en ce qui concerne le recours à des PVVEC comme rédactrices invitées dans le cadre de travaux de recherche et d’application des connaissances. Or la participation de PVVEC à titre de rédactrices invitées pour cette série spéciale a permis d’obtenir des informations fort utiles, qui pourraient servir de base à l’élaboration de lignes directrices de ce type : c’est un processus reproductible par d’autres revues, ce qui est susceptible d’accroître l’importance et les répercussions de la recherche universitaire dans le domaine de la santé publique.

Déclaration

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteures; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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