Le système de justice militaire (SJM) du Canada est un système de justice unique et autonome qui fait partie intégrante de la mosaïque juridique canadienne et dont l'objectif principal consiste à maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des Forces armées canadiennes (FAC). Le SJM canadien se veut souple et, comme le système civil de justice pénale, en constante adaptation et évolution dans le contexte de normes juridiques et sociétales canadiennes évoluant constamment.
Tout récemment, en 2019, la Cour suprême du Canada (CSC) a reconnu la capacité du SJM à évoluer, à répondre aux appels au changement et à prendre les mesures nécessaires en vue de répondre à l'évolution du droit et de la société :
Le système de justice militaire a beaucoup évolué. Il est passé d'un modèle de discipline centré sur le commandement qui offrait de faibles garanties procédurales à un système de justice parallèle s'apparentant beaucoup au système civil de justice pénale. Au cours des 30 dernières années, le Parlement a mis en œuvre bon nombre des recommandations principales formulées dans les divers rapports mentionnés précédemment en apportant des modifications à la LDN et à ses règlements d'application. L'évolution continue de ce système est facilitée par les examens périodiques indépendants prescrits par l'art. 273.601 de la LDN; ces examens permettent de veiller à ce que le système soit rigoureusement examiné, analysé et perfectionné à intervalles réguliers, ce qui témoigne de la nature dynamique du système de justice militaire. Tout comme le système civil de justice pénale, le système de justice militaire se développe et évolue en fonction de l'évolution du droit et de la société. Nous n'avons aucune raison de croire que ce développement et cette évolution ne se poursuivront pas Note de bas de page 1.
Le SJM fonctionne dans un état quasi constant d'évolution et de réforme. Au moment où des allégations d'inconduite sexuelle impliquant les plus hauts dirigeants des Forces armées canadiennes (FAC) ont fait surface et où l'attention du public s'est portée sur le problème persistant de l'inconduite sexuelle systémique dans les FAC, des travaux importants était déjà en cours en vue de réformer et de moderniser le SJM. D'une part, le projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois (projet de loi C-77), avait reçu la sanction royale et l'élaboration des règlements nécessaires à l'entrée en vigueur des autres dispositions étaient bien amorcés.Note de bas de page 2
Ces dispositions comprennent la Déclaration des droits des victimes (DDV), qui accorde aux victimes d'infractions d'ordre militaire Note de bas de page 3 un certain nombre de droits correspondant à ceux prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV).D'autre part, le troisième examen indépendant régulier (EI3) de certaines dispositions de la Loi sur la défense nationale (LDN), conformément à l'art. 273.601 de la LDN, était également en bonne voie de rédaction. L'EI3 a été lancé en novembre 2020, lorsque le ministre de la Défense nationale (min DN) a nommé l'honorable Morris J. Fish, ancien juge de la Cour suprême du Canada (CSC), pour mener l'examen.
La crise de l'inconduite sexuelle a mis en évidence un grand manque de confiance des membres des FAC et du public canadien envers la capacité du SJM à s'attaquer efficacement à ce grave problème. Il convient de souligner que ces révélations ont suscité une réflexion sérieuse à tous les niveaux sur la façon dont les victimes et les survivants d'inconduite sexuelle sont traités dans le système de justice militaire, ainsi que sur l'effet profondément corrosif de l'inconduite sexuelle sur le maintien du bon ordre, de la discipline et du moral au sein des FAC. Voici certaines des critiques formulées sur le SJM : le manque de soutien perçu pour les plaignants, les victimes et les survivants d'inconduite sexuelle; le manque d'indépendance perçu de certains acteurs de la justice militaire; ainsi que l'impossibilité d'intenter un procès devant la cour martiale contre le chef d'état-major de la défense (CEMD), étant donné la position de cet officier au sommet de la chaîne de commandement militaire. Les événements récents ont également relancé le débat sur la question de savoir si le SJM doit garder la compétence pour les infractions d'agression sexuelle.
Le SJM exerce une fonction clé à l'appui des initiatives critiques de changement de culture qui prennent forme actuellement dans l'ensemble du MDN et des FAC. Lié à son objectif principal, il sert de mécanisme essentiel au respect des règles et règlements régissant la conduite des membres des FAC, ainsi qu'à l'imputabilité de leur mauvaise conduite. Il ne fait aucun doute que la crise actuelle a clairement mis en évidence les aspects du système qui doivent être améliorés et renforcés. S'il veut maintenir sa pertinence et regagner la confiance du public et des FAC, le SJM doit faire preuve de souplesse, s'adapter à l'évolution de l'environnement juridique et social, ainsi qu'adopter rapidement et de manière décisive les changements requis.
À l'heure actuelle, le SJM se trouve dans un état d'évolution et de modernisation de grande envergure. En plus des vastes réformes découlant de la mise en œuvre complète du projet de loi C-77, d'autres développements récents, notamment les recommandations de l'EI3, les recommandations de divers comités parlementaires, la crise de l'inconduite sexuelle et l'examen médiatique et public qui s'en est suivi, ainsi que les recommendations de l'examen externe complet et indépendant (EECI) dirigé par l'honorable Louise Arbour, ancienne juge de la CSC, entraînent une modernisation accélérée et sans précédent du SJM. La mise en œuvre de ces changements entraînera une refonte générationnelle de la structure et du fonctionnement du système — la plus importante depuis qu'il a pris sa forme moderne dans les années 1950 — qui exigera beaucoup de temps et de ressources, et nécessitera un effort de l'ensemble du gouvernement au-delà du MDN et des FAC.
L'article 4 de la LDN prévoit que le min DN « […] est responsable des Forces canadiennes; il est compétent pour toutes les questions de défense nationale ». La responsabilité du min DN pour les questions relevant du SJM est conforme au rôle primordial du ministre au sommet de l'institution. Par exemple, le min DN est responsable de la nomination de certains acteurs clés de la justice militaire — le directeur des poursuites militaires (DPM) et le directeur du service d'avocats de la défense (DSAD) — et de la réalisation d'examens indépendants réguliers de certaines dispositions de la LDN, comme celui effectué récemment par le juge Fish, et par les juges Lamer et Lesage par le passé. En outre, le min DN a le pouvoir d'interjeter appel des décisions de la cour martiale devant la Cour d'appel de la cour martiale du Canada (CACM) — ce rôle est exercé en pratique par le DPM qui, sur les instructions du min DN, exerce le pouvoir délégué d'exécuter la fonction d'appel. Le min DN est également tenu, en vertu de la LDN, de présenter certains rapports au Parlement, tels que les rapports des examens indépendants périodiques et le rapport annuel du Juge-avocat général sur l'administration de la justice militaire dans les FAC.
En ce qui concerne la modernisation du SJM, le rôle du min DN consiste à faire en sorte que les recommandations de l'EI3, ainsi que celles d'autres examens externes tels que l'EECI, soient étudiées et mises en œuvre de manière appropriée afin d'apporter les modifications positives nécessaires au SJM.
En ce qui concerne les recommandations de lEI3 formulées par le juge Fish, le min DN a accepté en principe les 107 recommandations. Le min DN s'est engagé à fournir au CPDN des mises à jour semestrielles sur les progrès de la mise en œuvre. Le min DN s'est en outre engagé à fournir au CPDN des mises à jour semestrielles sur les progrès de la mise en œuvre. De plus, le min DN s'est engagé à commencer la mise en œuvre de 36 des recommandations de l'EI3 à court terme.
En ce qui concerne le rapport de l'EECI, il a été fourni au min DN le 20 mai 2022. Il contient 48 recommandations couvrant un évantail de domaines visant à résoudre les problèmes d'inconduite sexuelle au sein du MDN/FAC. Le 13 décembre 2022, le MDN a déposé un rapport au Parlement qui décrit la voie à suivre qu'elle a ordonné au MDN/FAC d'entreprendre sur les 48 recommandations de Madame Arbour.