Épaulards résidents du sud (Orcinus orca) : évaluation des menaces imminentes 2024
Contexte
En 2018, une évaluation des menaces imminentes (EMI) a conclu que les épaulards résidents du sud sont probablement visés par des menaces imminentes qui, à moins d’être atténuées, pourraient rendre la survie et le rétablissement de la population improbables ou impossibles. Par conséquent, des mesures ont été mises en œuvre, à partir de 2018, pour contrer les menaces qui pèsent sur cette population. Ces mesures sont encore appliquées à ce jour.
Dans une lettre de juin 2024, Ecojustice, au nom de six organisations environnementales, a demandé que l’on recommande au gouverneur en conseil de prendre, en vertu de l’article 80 de la Loi sur les espèces en péril (LEP), un décret d’urgence visant la protection des épaulards résidents du sud indiquant que, malgré les mesures qui ont été mises en œuvre en 2018, la situation des épaulards résidents du sud demeure critique. À la suite de la réception de la lettre, une EMI visant cette population a été lancée.
Méthodes
Pêches et Océans Canada (MPO) et Parcs Canada, de concert avec Transports Canada et Environnement et Changement climatique Canada, ont réalisé une évaluation (tableau 1) afin de déterminer si les conclusions de l’EMI de 2018 sont toujours pertinentes en 2024, ou si des renseignements à jour pourraient entraîner la réalisation d’une nouvelle évaluation. L’évaluation a été guidée par la Politique sur l’évaluation des menaces imminentes en vertu des articles 29 et 80 de la Loi sur les espèces en péril : espèces terrestres (Gouvernement du Canada, 2023), pour deux raisons : il n’existe aucune politique équivalente pour les espèces aquatiques, et les éléments à prendre en compte pour procéder à l’EMI, décrits dans la politique, ne dépendent pas de l’environnement dans lequel se trouve l’espèce (aquatique ou terrestre).
Selon cette politique, pour mener une EMI, les ministères doivent posséder des renseignements suffisants et crédibles sur les éléments suivants :
- la biologie de l’espèce et ses besoins écologiques;
- la nature précise de la ou des menaces auxquelles l’espèce est confrontée;
- la probabilité et le calendrier de ces menaces;
- les répercussions de cette ou ces menaces sur l’espèce.
Les responsables du programme ont comparé les renseignements figurant dans l’EMI de 2018 avec les renseignements disponibles en 2024 liés à ces critères, y compris les renseignements présentés par Ecojustice, pour déterminer si une nouvelle EMI était requise. Cette analyse se concentre sur les menaces présentes dans les eaux canadiennes et les mesures mises en place pour les contrer.
Résultats et conclusions
En fonction des renseignements examinés et de l’analyse menée dans le cadre de l’évaluation, le MPO et Parcs Canada ont déterminé que les conclusions tirées de l’EMI de 2018 sont toujours pertinentes en 2024, car les menaces imminentes pesant sur le rétablissement et la survie des épaulards résidents du sud sont encore présentes. Aucun changement significatif n’a été observé au niveau de la nature des menaces, de leur probabilité, de leur calendrier et de leurs répercussions, malgré les efforts supplémentaires fournis depuis 2018 pour les endiguer. En fait, la population des épaulards résidents du sud continue de diminuer. Cependant, il est possible qu’il soit encore trop tôt pour observer les effets biologiques des mesures implantées en 2018, car les épaulards résidents du sud sont une espèce à grande longévité qui se reproduit lentement. Donc, le rétablissement de l’espèce prend un certain temps.
Critères, selon la « Politique sur l’évaluation des menaces imminentes en vertu des articles 29 et 80 de la Loi sur les espèces en péril : espèces terrestres » | Descriptions tirées de l’EMI concernant les épaulards résidents du sud (2018) | Renseignements actualisés de 2024 |
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Une description de l’espèce qui fait l’objet de la demande, dans la mesure où les renseignements ci-après ne figurent pas déjà dans le Registre public des espèces en péril :
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Les renseignements présentés dans l’EMI de 2018 concernant la biologie de l’espèce et ses besoins écologiques, les besoins en matière d’habitat et la répartition demeurent pertinents pour la prise de décisions en matière de gestion. D’autres renseignements pertinents sont décrits ci-dessous (rendus disponibles depuis 2018 dans le but d’aider au déroulement de l’EMI de 2024) :
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Une description des menaces qui font l’objet de la demande, y compris :
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L’EMI de 2018 concernant les épaulards résidents du sud résume les menaces recensées dans le programme de rétablissement (partie 3.4 de l’EMI de 2018). Elle met l’accent sur les trois principales menaces :
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Les renseignements sur la description des menaces et les renseignements connexes sur la probabilité, le calendrier et les répercussions des menaces compris dans l’EMI de 2018 demeurent pertinents pour la prise de décisions en matière de gestion. En 2023, le COSEPAC a achevé un rapport sur la situation concernant les épaulards résidents du sud et a cerné les mêmes menaces principales pesant sur l’espèce : la réduction de la disponibilité des proies (y compris l’abondance et l’accessibilité), les perturbations physiques et acoustiques et les contaminants. Les renseignements récents (2018-2024) concernant chaque menace font l’objet d’un résumé ci-après, présentant une vue d’ensemble de ceux-ci. Réduction de la disponibilité des proies : l’abondance de nombreux stocks de saumon quinnat en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington a diminué, et plusieurs unités détectables (UD) de saumon quinnat du fleuve Fraser ont été évaluées par le COSEPAC comme étant en péril (préoccupantes, menacées ou en voie de disparition) et sont étudiées en vue de leur inscription en vertu de la LEP (Welch et al., 2020, Atlas et al., 2023, COSEWIC, 2023). Toutefois, ces déclins ne sont pas homogènes; de nombreux stocks de moins d’un an affichent une abondance stable ou croissante (p. ex., fleuve Fraser, été, 4.1), tandis que les stocks d’un an (p. ex., fleuve Fraser, printemps, 5.2) continuent d’afficher une faible abondance (Atlas et al., 2023; Comité technique sur le saumon chinook, 2023). Historiquement, les épaulards résidents du sud tendaient à arriver dans la mer des Salish en mai et juin pour se nourrir de stocks d’un an, plus riches en lipides (p. ex. unités de gestion du fleuve Fraser du printemps 52 et de l’été 52), mais leur abondance est généralement inférieure à la moyenne depuis le début des années 2000 (Shields et al., 2018). Au cours des dernières années, les épaulards résidents du sud ont passé moins de temps dans la région au cours des mois de printemps. Un modèle a montré qu’il existe une corrélation entre la faible abondance du saumon quinnat des unités de gestion du fleuve Fraser du printemps 52 et de l’été 52 et la présence réduite des épaulards résidents du sud dans la mer de Salish (Shields et al., 2018). Les modèles écosystémiques suggèrent que la mauvaise condition corporelle des épaulards résidents du sud est attribuable au déclin de l’abondance du saumon quinnat (Couture et al., 2022). L’abondance du saumon quinnat a été corrélée avec les changements de l’état corporel du groupe J, bien que la force de ces relations varie selon l’organisation du regroupement des stocks de saumon quinnat (Stewart et al., 2021). Les images de l’état corporel obtenues à l’aide de la photogrammétrie ont également été corrélées avec le risque de mortalité à court terme (Stewart et al., 2021). Des rapports annuels sur l’état corporel sont présentés au MPO. Le plus récent rapport d’évaluation énumère 14 épaulards dont l’état était préoccupant (de l’été au printemps 2023-2024). Parmi ceux-ci, 8 d’entre eux étaient des femelles en âge de procréer ou ayant des baleineaux dépendants d’elles (Fearnbach et Durban, 2024). Perturbations acoustiques et physiques : les épaulards résidents du sud sont toujours sujets à des perturbations physiques et acoustiques liées à la présence de navires découlant d’activités humaines, principalement la navigation, l’écotourisme et l’utilisation récréative de l’habitat. Pour l’instant, aucun changement statistiquement significatif n’a été observé depuis 2018 concernant les bruits sous-marins (par contre, il y a une variation de 2-3 décibels d’une année à l’autre et une variation d’environ 10 décibels pour la différence saisonnière; ces deux variations pourraient quand même avoir un effet sur les épaulards résidents du sud) (Boldt et al. 2024). Quelques projets de développement supplémentaires, approuvés après l’EMI de 2018, comportent des volets liés au transport maritime à l’intérieur de l’habitat essentiel de l’épaulard résident du sud, comme le prolongement de l’oléoduc de Trans Mountain (TMX), le terminal 2 à Roberts Bank (RBT2) et la jetée maritime à Tilbury. Les évaluations environnementales liées à chacun de ces projets ont révélé des effets environnementaux négatifs importants sur les épaulards résidents du sud; l’évaluation concernant le RBT2 a aussi révélé d’autres effets négatifs sur l’espèce. L’augmentation du trafic maritime découlant de ces projets pourrait accroître la perturbation physique et acoustique des épaulards résidents du sud dans leur habitat essentiel au cours des prochaines années. En se fondant sur des données de 2018-2020, des recherches menées par le MPO ont conclu que le bruit provenant des grands navires commerciaux et des petits bateaux de plaisance entraînait une perte importante de la portée de l’écholocalisation et des communications dans l’habitat essentiel de l’épaulard résident du sud (Thornton et al., 2022b, Burnham et al. 2023), laquelle a une incidence sur le succès de la quête de nourriture (Burnham et al., 2023). En effet, la limitation de la portée empêche l’épaulard d’envoyer et de recevoir des informations à propos de son environnement, ce qui réduit ainsi sa capacité à trouver des proies. Un arrêt complet des recherches alimentaires a été observé chez les épaulards résidents du sud en présence de navires (Hold et al., 2021a, b). En effet, l’épaulard résident du sud restreint son comportement propre à la capture des proies lorsque des navires se trouvent à une distance de moins de 366 m (Holt et al., 2021a). La probabilité que l’épaulard résident du sud capture ses proies diminue à mesure que la vitesse des navires à proximité augmente. À l’inverse, elle augmente à mesure que la distance estimée entre les navires et les proies préférées de l’épaulard s’accroît (Holt et al., 2021b). Contaminants environnementaux : En 2020, le Groupe de travail technique (GTT) du gouvernement du Canada se penchant sur les contaminants affectant les épaulards résidents du sud a effectué un examen de la littérature scientifique publiée et a regroupé les conclusions avec les connaissances d’expert du GTT afin de dresser une liste des contaminants prioritaires préoccupants pour l’épaulard résident du sud et sa proie principale, le saumon quinnat (ECCC, 2020). Les contaminants considérés comme une préoccupation importante pour l’épaulard résident du sud comprennent les polluants organiques persistants comme les BPC (biphényles polychlorés), le DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane), le perfluorooctanesulfonate et l’acide perfluorooctanoïque. Des concentrations tissulaires élevées de BPC ont des répercussions négatives sur la reproduction et la fonction immunitaire (Desforges et al., 2018). Les contaminants considérés comme une préoccupation importante pour le saumon quinnat comprennent le cuivre, les phtalates, les bisphénols, les pesticides actuellement utilisés et leurs adjuvants, les BPC, le DDT et les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (SPFA). |
Une description des répercussions des menaces sur le rétablissement et/ou la survie de l’espèce, y compris les effets potentiels sur l’habitat essentiel. |
L’évaluation de la menace imminente (EMI) de 2018 comprend une analyse détaillée des répercussions des menaces sur le rétablissement et la survie de l’espèce (partie 4 de l’EMI de 2018). Autrement dit, on évalue et on tire des conclusions pour les questions suivantes : Question 1 : Est-ce que l’espèce fait actuellement face à des menaces susceptibles d’avoir une incidence sur sa survie ou son rétablissement? Conclusion sommaire : L’espèce fait actuellement face à des menaces susceptibles d’avoir une incidence sur sa survie et/ou son rétablissement. Question 2 : L’effet des menaces actuelles rendra-t-il la survie de l’espèce peu probable ou impossible? Conclusion sommaire : Compte tenu des considérations ci-dessus [relatives à l’évaluation par le COSEPAC de la taille de la population et des tendances récentes; préoccupations concernant le manque de stabilité de la population, la résilience, la redondance et la connectivité de la population; et les trajectoires prévues de la population], les menaces sur la survie de la population d’épaulards résidents du sud pourraient être considérées comme imminentes. Question 3 : L’effet des menaces actuelles rendra-t-il le rétablissement de l’espèce peu probable ou impossible? Conclusion sommaire : Compte tenu des considérations ci-dessus [relatives au but du rétablissement, ainsi qu’à la taille et démographie de la population], les menaces au rétablissement de la population d’épaulards résidents du sud pourraient être considérées comme imminentes. Question 4 : Les menaces exigent-elles une intervention? Conclusion sommaire : Malgré les mesures d’atténuation en cours et prévues, les principales menaces qui pèsent sur la population d’épaulards résidents du sud ne sont pas, à ce jour, entièrement atténuées. De plus, nous n’avons pas encore évalué l’efficacité de ces mesures, ce qui pourrait prendre de nombreuses années. Compte tenu de la longévité de l’espèce, le rétablissement est un objectif à long terme, et les effets de la réduction des menaces sur la population pour assurer sa survie et faire avancer son rétablissement ne se manifesteront pas à court terme. |
Les mises à jour sont présentées ci-dessous sous forme de questions. Question 1 : Est-ce que l’espèce fait actuellement face à des menaces susceptibles d’avoir une incidence sur sa survie ou son rétablissement? L’espèce fait actuellement face à des menaces susceptibles d’avoir une incidence sur sa survie et/ou son rétablissement (voir les renseignements sur les menaces ci-dessus). Question 2 : L’effet des menaces actuelles rendra-t-il la survie de l’espèce peu probable ou impossible? Science MPO a modélisé les effets cumulatifs des répercussions anthropiques sur l’épaulard résident du sud. Le modèle prévoyait qu’en l’absence de mesures de gestion, la population d’épaulards résidents du sud diminuerait avec une probabilité d’extinction de 26 %. Selon ces prévisions, on estimait que l’extinction se produirait dans 86 (± 11) ans (Murray et al., 2019; 2021). Bien que des mesures de gestion aient été mises en place depuis 2018, il est trop tôt pour déterminer si elles ont permis d’atténuer les menaces, car l’épaulard résident du sud est un animal à grande longévité qui se reproduit lentement, et donc on s’attend à ce que le rétablissement prenne du temps. La dépression de consanguinité peut restreindre la croissance de la population d’épaulards résidents du sud; elle prédit une poursuite du déclin si la population demeure génétiquement isolée et que les conditions environnementales actuelles ne changent pas (Kardos et al., 2023). Williams et al. (2024) ont utilisé un modèle d’analyse de la viabilité de la population pour tester la sensibilité de la population à la variabilité de la structure selon l’âge, les taux de survie et les relations fonctionnelles entre les proies et la démographie. Ils prédisent un déclin annuel moyen de la population d’environ 1 % et une période de déclin accéléré. Ils laissent entendre que des mesures d’intervention immédiates s’imposent pour lutter contre l’extinction de cette population. Les menaces à la survie de la population d’épaulards résidents du sud peuvent être considérées comme imminentes. Question 3 : L’effet des menaces actuelles rendra-t-il le rétablissement de l’espèce peu probable ou impossible? Il n’y a pas de changement par rapport à la réponse dans l’EMI de 2018 (taille et démographie de la population); par conséquent, on peut tirer la même conclusion. Compte tenu de la petite taille de la population, du faible nombre d’individus contribuant à la reproduction et du faible taux de survie des nouveau-nés, il est peu probable que la population augmente à moins que l’on s’attaque aux effets cumulatifs des menaces durant une longue période. Question 4 : Les menaces exigent-elles une intervention? Des mesures visant à atténuer les menaces sont en cours depuis 2018. Des exemples de mesures prises pour chaque catégorie de menaces sont présentés ci-dessous. Mesures pour contrer la disponibilité réduite des proies :
Mesures visant les perturbations physiques et acoustiques :
Mesures visant les contaminants :
Malgré les efforts déployés depuis 2018, les principales menaces qui pèsent sur l’épaulard résident du sud ne sont pas, pour le moment, pleinement atténuées et la population continue de diminuer. Comme il est mentionné précédemment, vu la grande longévité de l’espèce, le rétablissement est un objectif à long terme. Donc, les efforts visant à atténuer les menaces doivent se poursuivre. |
Références
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