10 leçons sur la cocréation

Par : Crystal Luxmore / juin 2023

Octobre 2022 a marqué un important tournant dans ma carrière. J’ai quitté mon emploi de journaliste pigiste pour tenter d’obtenir un emploi au gouvernement. En tant que rédactrice métisse, je voulais mettre mes compétences à profit afin de promouvoir la vérité, la justice et la réconciliation. C’est pourquoi j’ai envoyé mon curriculum vitæ au Centre d’expertise autochtone.

Quelques semaines plus tard, Valentine Hébert, gestionnaire du marketing à la Commission de la fonction publique du Canada, m’a téléphoné pour me parler d’un projet visant à publier les témoignages de membres des Premières Nations, de Métis et d’Inuits qui travaillent à la fonction publique fédérale. Elle cherchait un narrateur autochtone pour participer au projet et voulait savoir si cela pouvait m’intéresser.

Le projet semblait assez simple, jusqu’à ce que je pose des questions à Valentine sur la portée du projet, comme la longueur des témoignages et l’endroit où ils seraient publiés. Elle m’a dit qu’on déciderait plus tard de ces aspects, car nous allions cocréer le projet.

La cocréation, c’était nouveau pour moi. En tant que journaliste, je suis habituée à maîtriser l’histoire et à écrire en tenant compte d’une limite précise de mots à respecter. La cocréation de témoignages me semblait une technique différente, créative, exigeante et un peu bizarre, des adjectifs que mon conjoint utilise parfois pour me décrire; cela semblait donc bien me correspondre.

Le projet Découvrez des témoignages d’Autochtones travaillant à la fonction publique fédérale a été lancé en mai 2023. Nous avons appris 10 leçons sur la cocréation pendant notre travail.

1. Fixer un objectif général

Le fait de conserver une vision large permet au processus de cocréation de façonner le résultat final. Le plan de marketing visait à « Aider la fonction publique du Canada à refléter la diversité du pays en publiant des témoignages éloquents et intéressants pour indiquer aux demandeurs d’emploi autochtones comment obtenir un emploi et entreprendre une carrière au gouvernement du Canada. »

Cet objectif a été défini par l’équipe du marketing et le Centre d’expertise autochtone, un groupe d’experts autochtones en ressources humaines qui interagissent quotidiennement avec des demandeurs d’emploi des Premières Nations, métis et inuits.

Changement suggéré pour la prochaine fois 

Il faudrait faire appel à plus de cocréateurs dès le début du processus, y compris l’équipe des médias sociaux, des services multimédia et des communications internes, pour leur donner l’occasion d’exprimer leurs points de vue dès le départ.

2. Laisser ouverte l’orientation des témoignages

Comme je n’étais pas à l’aise de ne pas connaître la longueur précise des témoignages ni les sujets exacts à aborder avant de commencer à écrire, je demandais constamment des éclaircissements. Cependant, la seule orientation à suivre était que les témoignages devaient être fondés sur les principaux programmes de recrutement de la Commission de la fonction publique du Canada, comme le Programme fédéral d’expérience de travail étudiant et les Programmes de recrutement de diplômés, et devaient aborder la question de l’autodéclaration.

Autrement, Valentine faisait confiance au processus de cocréation. Elle disait des choses comme « tu es l’experte en rédaction; c’est donc à toi de décider » et « ensemble, je crois que nous pouvons créer quelque chose de très significatif ».

Ce style de gestion très ouvert et coopératif a jeté les bases d’une véritable cocréation, parce que les témoignages ont pris forme au fur et à mesure du processus, plutôt que selon une approche de gestion de haut en bas.

Changement suggéré pour la prochaine fois  

Il faudrait élaborer un cadre général pour aider à définir un projet ouvert. Nous n’avions pas décidé où les témoignages seraient publiés et n’avions fixé aucune limite quant à leur longueur, de sorte que le premier récit était trop long. Nous avons donc fixé un nombre maximal de mots, ce qui a beaucoup simplifié la rédaction des autres témoignages.

3. Direction partagée du processus

Il est important de choisir des partenaires qui possèdent une expertise complémentaire et de les inviter à diriger conjointement le processus.

Le Centre d’expertise autochtone a communiqué avec des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Au lieu d’avoir recours à nos contacts habituels pour trouver des personnes à interviewer, nous avons conjointement décidé de diffuser un avis public à l’intention des Autochtones qui souhaitaient parler de leur expérience de travail à la fonction publique fédérale. L’avis a été diffusé à l’échelle nationale dans des réseaux d’employés autochtones, dans des groupes Facebook non officiels du GC et auprès des directeurs dans les régions où nous avons reçu peu de réponses.

Point important 

Le partage de cette responsabilité a permis au Centre d’expertise autochtone d’être le visage du projet, et nous avons reçu une foule de réponses à l’avis public.

4. Envisager de publier un appel public pour recruter des participants

La diffusion d’un appel public pour recruter des participants était une façon plus ouverte et démocratique de joindre des fonctionnaires autochtones de l’île de la Tortue que la méthode habituelle de se fier à des réseaux personnels ou au bouche-à-oreille. Les méthodes habituelles peuvent mener au choix de participants « vedettes » qui ont seulement des choses positives à dire à propos de leur expérience, ou qui ont un parcours de carrière en apparence inatteignable.

Nous savions, grâce au rapport Unis dans la diversité, qu’il pouvait être difficile pour une personne autochtone de trouver un emploi et de travailler au gouvernement du Canada, et nous voulions que les témoignages reflètent cela. 

Néanmoins, l’approche de l’appel public comportait certains désavantages. Puisque nous n’avons pas choisi nous-mêmes les personnes interviewées, nous n’avons pas obtenu un mélange parfait de régions, de nations et de communautés. De plus, 31 fonctionnaires ont communiqué avec nous par courriel pour nous proposer de partager leurs témoignages, et nous avons continué à recevoir des courriels bien après la date limite. Ainsi, ce ne sont pas toutes les personnes intéressées à partager leur histoire qui ont pu le faire dans le cadre de ce projet. 

Avantage en prime 

Notre équipe a noué de nouveaux liens avec les narrateurs; par exemple, l’un d’eux est maintenant mentor pour le programme Occasion d’emploi pour étudiants autochtones.

5. Placer les voix des cocréateurs au centre du processus

La narration de témoignages peut être une occasion de pratiquer l’écoute active. Dans ce cas particulier, cela nous a donné l’occasion de mettre de l’avant les voix et les perspectives des Autochtones.

La cocréation de témoignages doit placer les voix des personnes interviewées au centre du processus. Pour ce faire, j’ai dû laisser tomber mes réflexes journalistiques qui me faisaient interviewer des « sujets » afin de percevoir plutôt les personnes que j’interviewais comme des cocréateurs de contenu. Il ne s’agit pas de simples sujets que je dois « insérer » dans un récit faisant partie d’une trame narrative préconçue. Ce sont plutôt les narrateurs et leurs histoires qui orientent la trame narrative. 

Conseils pour pratiquer l’écoute active durant des conversations

6. Rien sur nous ne se fera sans nous

Quand il s’agit de rédiger un témoignage à propos d’un groupe marginalisé ou d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi, les membres de ces groupes devraient jouer un rôle de premier plan dans la création du contenu.

Dans notre cas, l’équipe du marketing avait embauché une rédactrice autochtone pour un contrat temporaire afin de diriger la narration, et le Centre d’expertise autochtone a révisé les témoignages. Le fait d’être Métisse et de me présenter comme telle dans l’avis public et lors des entrevues, en parlant de mes ancêtres et de mes origines, a suscité l’intérêt des narrateurs et leur a inspiré confiance.

On nous avait demandé d’ajouter au projet un élément graphique autochtone. Cependant, notre équipe de 5 personnes ne comptait aucun concepteur graphique autochtone et il était trop tard pour faire appel à une agence extérieure. Nous avons donc maintenu notre décision de mettre l’accent sur les visages des narrateurs en utilisant une conception épurée, sans éléments autochtones manifestes.

Changement suggéré pour la prochaine fois  

Dans la mesure du possible, il faudrait embaucher des rédacteurs et des concepteurs graphiques issus des groupes visés par l’équité en matière d’emploi pour lesquels nous créons du contenu.

7. Permettre aux narrateurs de façonner leurs témoignages

Au lieu d’intégrer des témoignages à un narratif déjà défini, nous avons suivi l’approche inverse. J’ai interviewé 8 fonctionnaires qui ont été embauchés au gouvernement en tant qu’étudiants, et les arcs narratifs ont été définis en en tenant compte de leurs expériences communes.

Les témoignages 

Puisque les étudiants inscrits au Programme fédéral d’expérience de travail étudiant avaient tendance à faire part de conseils pratiques sur les façons d’obtenir un emploi étudiant et de réussir, j’ai rédigé un texte à ce sujet.

Les étudiants autochtones qui sont devenus fonctionnaires avaient un plus long parcours de carrière au gouvernement du Canada et avaient souvent des témoignages inspirants à ce sujet. Le sujet du deuxième témoignage était tout trouvé!

Avant de parler aux narrateurs, j’ai interviewé les membres de l’équipe au Centre d’expertise autochtone. Ils ont dressé une liste de demandeurs d’emploi qui ne faisaient pas partie d’un programme de la Commission de la fonction publique du Canada, des professionnels autochtones curieux d’en savoir plus sur un changement de carrière à mi-parcours pour travailler au gouvernement. Un de nos témoignages a donc porté sur 3 professionnels autochtones qui ont changé de carrière à mi-parcours.

8. Partager le pouvoir avec les narrateurs

En journalisme, la plupart des personnes interviewées ne peuvent voir l’article ou leurs citations avant la publication. Pour une cocréation, c’est l’inverse qui doit se produire. Dès le début du processus, nous avons dit aux narrateurs qu’ils auraient une approbation finale à donner sur tous les éléments de contenu les concernant.

Avantage en prime 

Les narrateurs s’investissent davantage dans le projet et deviennent des ambassadeurs pour contribuer à faire connaître les témoignages.

9. Ne pas trop se préoccuper du « comment »

Je suis restée bloquée à essayer de trouver le « comment », et ça m’a vraiment empêchée d’avancer. Je me demandais comment nous allions transposer les témoignages dans les médias sociaux. La façon dont ils paraîtraient dans nos pages Web me tracassait. Finalement, je n’avais qu’à faire confiance au processus de cocréation.

Voici comment la cocréation a amélioré et amplifié le projet :

10. Faire confiance au processus

Cocréer des récits, c’est un peu comme s’asseoir en cercle autour d’un feu de camp. Une personne commence une histoire, une autre ajoute des détails et ainsi de suite. Personne ne sait exactement quel tour la discussion prendra. Tout le monde écoute attentivement les autres, fait preuve d’ouverture, a du plaisir et renchérit sur ce que les autres racontent. Si vous pouvez faire confiance au processus, vous et vos cocréateurs aurez plus de facilité à raconter un témoignage inoubliable. 

Notice biographique

Crystal Luxmore a rédigé plus de 300 articles pour des publications et magazines canadiens tels que The Globe & Mail, le Toronto Star et Châtelaine. Son premier ouvrage, un roman graphique corédigé avec son conjoint, sera publié par Scholastic en 2025. Crystal est membre de la Nation métisse de l’Ontario, et sa famille a des origines métisses, canadiennes-françaises et anglaises.

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