Mise au point du vaccin contre la fièvre de Lassa 2018

tête de mât

Volume 44-6, le 7 juin 2018 : Mise à jour sur les vaccins

Commentaire

Essais précliniques sur un vaccin contre la fièvre de Lassa

L Banadyga1, DR Stein1,2, X Qiu1,2, D Safronetz1,2*

Affiliations

1 Programme des zoonoses et pathogènes spéciaux, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Winnipeg (Manitoba)

2 Département de microbiologie médicale et des maladies infectieuses, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba)

Correspondance

david.safronetz@canada.ca

Citation proposée

Banadyga L, Stein DR, Qiu X, Safronetz D. Essais précliniques sur un vaccin contre la fièvre de Lassa. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2018;44(6):155-64. https://doi.org/10.14745/ccdr.v44i06a04f

Mots-clés : virus Lassa, fièvre de Lassa, virus de la stomatite vésiculaire, vaccin, essais précliniques

Résumé

Le virus Lassa constitue une menace persistante pour la santé à l'échelle mondiale et est responsable d'environ un demi-million de cas de fièvre de Lassa chaque année en Afrique occidentale. Bien que la plupart des cas soient légers, la maladie entraîne une morbidité importante et jusqu'à 5 000 décès par année. Depuis 2015, le Nigéria est aux prises avec une éclosion grave et étendue de fièvre de Lassa, ce qui laisse craindre un débordement dans d'autres pays atteignant l'ampleur de l'éclosion du virus Ébola en Afrique occidentale de 2013 à 2016. Malgré le fardeau qu'impose la fièvre de Lassa en matière de santé publique, tant en Afrique qu'ailleurs dans le monde, il n'existe toujours pas de traitement ni de vaccin approuvés sur le plan clinique pour traiter ou prévenir la maladie. Néanmoins, des candidats-vaccins prometteurs ont été mis au point au cours des dernières années, et des efforts politiques et sociaux grandissants sont déployés pour favoriser l'homologation d'au moins un de ces candidats.

Cet article décrit un candidat-vaccin contre le virus Lassa en cours de mise au point par le Laboratoire national de microbiologie du Canada. Élaboré à partir du virus vivant atténué de la stomatite vésiculaire (VSV) utilisé comme base vaccinale pour produire un vaccin efficace contre le virus Ébola, le vaccin contre le virus Lassa à base de VSV suscite une réponse immunitaire puissante et protectrice contre le virus Lassa. En effet, le vaccin confère une protection à 100 % chez le modèle primate non humain « de référence » pour la fièvre de Lassa, induisant des réponses immunitaires humorale et cellulaire. En outre, des études ont montré qu'une seule dose du vaccin offrirait une protection universelle contre de nombreuses souches du virus. Selon d'autres études, l'immunité pré-existante au VSV ne semble avoir aucune incidence sur l'immunisation utilisant le VSV comme base vaccinale. La prochaine étape de la mise au point du vaccin contre le virus Lassa à base de VSV est l'évaluation de l'innocuité et la détermination de la posologie du vaccin dans le cadre d'essais cliniques de phase I chez l'humain.

Introduction

L'éclosion du virus Ébola de 2013 à 2016 en Afrique occidentale a démontré qu'une éclosion survenant à un endroit donné peut représenter une menace partoutNote de bas de page 1. Responsable de près de 29 000 cas et de plus de 11 000 décès, le virus Ébola a ravagé la Sierra Leone, le Libéria et la Guinée, et la maladie s'est finalement propagée dans de nombreux pays avoisinants et dans certains pays occidentaux, dont les États-UnisNote de bas de page 2. Par ailleurs, l'éclosion a non seulement détruit l'infrastructure de santé publique de l'Afrique occidentale, mais aussi mis à rude épreuve les interventions mondiales de santé. En effet, des milliers de travailleurs de la santé du monde entier ont été déployés en Afrique occidentale, où ils ont supporté un fardeau disproportionné et où plus de 50 % des personnes infectées par le virus Ébola ont succombé à la maladieNote de bas de page 3. L'ampleur et la gravité de cette éclosion sont dues en partie à l'absence de traitement approuvé sur le plan clinique ou de vaccin pour la prévenir.

À la suite de l'éclosion du virus Ébola ainsi que celle du virus Zika en 2015, la Bill and Melinda Gates Foundation a reconnu la nécessité d'avoir des capacités de pointe en matière de préparation en cas d'épidémie à l'échelle mondiale. En collaboration avec le Wellcome Trust, le Forum économique mondial et les gouvernements de la Norvège et de l'Inde, la Bill and Melinda Gates Foundation a mis sur pied la Coalition for Epidemic Preparedness and Innovations en 2016. Le principal objectif de cette coalition était de financer la mise au point de vaccins prometteurs contre les agents pathogènes émergents pouvant causer d'importantes éclosions dans un avenir proche, afin d'accélérer le processus menant aux essais cliniques de phase III en cas d'éclosion. Un des agents pathogènes retenus pour le financement et le développement accélérés par la Coalition était le virus Lassa.

Le virus Lassa, un virus à acide ribonucléique (ARN) monocaténaire enveloppé de la famille des Arenaviridae, est responsable de la fièvre virale hémorragique appelée fièvre de Lassa. Habituellement, le virus se transmet par l'exposition à l'urine ou aux excréments de rats du Natal infectés, quoiqu'il puisse aussi se propager d'un humain à l'autre par contact direct avec du sang, de l'urine, des excréments ou d'autres sécrétions organiques contaminées. Après une période d'incubation d'une à trois semaines, la maladie se manifeste par l'apparition graduelle de fièvre, de malaise et de douleurs musculaires et articulaires. À mesure que la maladie évolue, la fièvre et la myalgie s'intensifient, et les patients peuvent se retrouver dans un état de prostration. La diarrhée, les vomissements et d'autres perturbations gastro-intestinales sont courants, tout comme la douleur rétrosternale et la toux. Les manifestations hémorragiques sont peu fréquentes, mais évoquent un pronostic défavorable. Il en va de même pour l'œdème du visage et l'épanchement pleural. Les cas les plus graves mènent au choc et au décès, tandis que dans les cas non fatals, qui se résolvent au bout de deux à trois semaines, la surdité est courante et souvent permanenteNote de bas de page 4.

On compte environ 300 000 à 500 000 cas de fièvre de Lassa en Afrique occidentale chaque année, ce qui en fait une des fièvres virales hémorragiques les plus prévalentes chez l'humainNote de bas de page 5Note de bas de page 6. Bien que seulement 1 à 2 % de ces cas soient mortels, l'ampleur des infections porte le nombre global de morts à plusieurs milliers par année. La fièvre de Lassa se limite surtout aux pays de l'Afrique occidentale, à savoir la Sierra Leone, le Libéria, la Guinée et le Nigéria; cependant, des cas d'infection par le virus Lassa qui se propage ailleurs dans le monde, parallèlement aux cas de transmission entre humains, ont été largement documentésNote de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10. Depuis 2015, le Nigéria est aux prises avec une éclosion prolongée de fièvre de Lassa, ce qui fait craindre une autre épidémie pouvant rivaliser avec la portée de l'éclosion récente du virus Ébola en Afrique occidentale. Depuis le début de 2018, le virus Lassa est à l'origine de milliers de cas soupçonnés, de 413 cas confirmés, de 9 cas probables et de 114 décès. En comptant les cas confirmés et probables, l'éclosion survenue au Nigéria est liée à un taux de mortalité extrêmement élevé, soit de 25 %Note de bas de page 11.

Malgré le fardeau important qu'impose le virus Lassa en matière de santé publique dans le monde, le virus demeure sous-étudié, sans aucun traitement ni vaccin approuvé. Néanmoins, plusieurs candidats-vaccins contre le virus Lassa ont été retenus et doivent être testés dans des essais cliniques, y compris le vaccin contre le virus Lassa en cours de mise au point par le Laboratoire national de microbiologie (LNM) du Canada. Ce vaccin est fabriqué à partir d'un virus de la stomatite vésiculaire (VSV) réplicatif qui s'est avéré extrêmement efficace chez les modèles animaux de fièvre de Lassa. Dans cette présentation générale, nous traiterons des essais précliniques sur le vaccin contre le virus Lassa à base de VSV dans le contexte du vaccin contre le virus Ébola mis au point à partir de la même base vaccinale. Nous décrirons aussi d'autres candidats-vaccins prometteurs contre le virus Lassa. 

Contexte

Virus de la stomatite vésiculaire comme base vaccinale

Les vaccins les plus efficaces sont habituellement fabriqués à partir d'un virus vivant atténué. Ces vaccins, comme le vaccin contre la rougeole, sont souvent plus efficaces pour induire une réponse immunitaire protectrice et une immunité durable que les vaccins viraux inactivés ou sous-unitaires. Une des démarches adoptées pour créer des vaccins vivants atténués repose sur l'utilisation d'un « squelette » viral relativement inoffensif comme base vaccinale pour transporter les antigènes d'un autre virus plus pathogène. Au LNM, nous travaillons avec le VSV comme base vaccinale pour divers virus, dont le virus Ébola, le virus de Marburg (MARV) et le virus Lassa. 

Les vésiculovirus ont leur propre genre au sein de la famille des Rhabdoviridae et causent des maladies principalement chez les mammifères et les poissonsNote de bas de page 12. Dans l'hémisphère occidental, deux vésiculovirus prédominent : le virus de la stomatite vésiculaire de sérotype Indiana (VSIV) et le virus de la stomatite vésiculaire de sérotype New JerseyNote de bas de page 13. Les deux VSV sont transmis par des insectes et causent la stomatite vésiculaire chez le cheval, le bétail et le porc, qui se traduit par l'apparition de lésions érosives sur la langue, les gencives, les lèvres, les sabots et les mamelles des animaux infectésNote de bas de page 14. Chez l'humain, l'infection par le VSV est aussi possible, mais peu fréquente et peut ressembler à une grippe spontanément résolutive avec ou sans lésions vésiculairesNote de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. Étant donné que son tableau clinique est comparable à celui de la fièvre aphteuse chez les animaux d'élevage, le VSV est considéré comme une maladie à déclaration obligatoire par le gouvernement du Canada.

L'élaboration d'un système permettant de concevoir un nouveau VSV recombinant à partir d'ADN plasmidiqueNote de bas de page 18Note de bas de page 19 a grandement augmenté l'utilité du VSV comme base vaccinaleNote de bas de page 20. Le VSV de type sauvage possédait déjà plusieurs qualités qui le rendait approprié comme vecteur de vaccin, et la capacité de concevoir un VSV recombinant en a seulement augmenté l'utilité. Le génome du VSV tolère l'ajout de nombreux transgènes de grande taille, qui servent d'antigènes vaccinauxNote de bas de page 21Note de bas de page 22, et le virus en soi est capable de se répliquer de manière à atteindre des titres plus élevés dans divers types de cellulesNote de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25, ce qui facilite la production de vaccins. Par ailleurs, l'infection par le VSV induit de fortes réponses humorale et cellulaireNote de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28, favorisant ainsi une réponse immunitaire robuste contre le transgène incorporé; l'immunité pré-existante chez l'humain étant rareNote de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17, l'efficacité du vaccin se trouve maximisée. En outre, le VSV se réplique dans le cytoplasme sans intermédiaire ADN, ce qui exclut la possibilité d'une recombinaison génétique avec la cellule hôte. Le génome du VSV n'étant pas segmenté, la possibilité d'une transformation génétique est écartée. Par conséquent, vu le potentiel du VSV comme vecteur de vaccin sûr et efficace, il n'est pas étonnant que ce système ait été largement exploité pour fabriquer des vaccins contre de nombreux virus, notamment le VIH dont les premières évaluations chez l'humain sont déjà terminéesNote de bas de page 29.

Le LNM emploie une variante notable du VSV comme base vaccinale, appelée VSVΔG, car il lui manque la glycoprotéine virale (G) qui favorise la pénétration du virus et sert de principal facteur de pathogénicité du virus. Le retrait de la glycoprotéine du VSV permet non seulement d'atténuer le virus en éliminant son potentiel infectieux au niveau du système nerveux, mais aussi d'y substituer une glycoprotéine virale analogue, ce qui entraîne une puissante réponse immunitaire dirigée contre un antigène cible important. Cette stratégie a été appliquée à la mise au point du vaccin contre le virus Ébola à base de VSV. De fait, un essai clinique de phase III de petite envergure a démontré récemment que ce vaccin est efficace à 100 % contre l'infection par le virus ÉbolaNote de bas de page 30. Les travaux du LNM menés sur le vaccin contre le virus Lassa sont fondés sur l'architecture du VSVΔG (figure 1).

Figure 1 : Virus de la stomatite vésiculaire comme base vaccinale

Figure 1 : Virus de la stomatite vésiculaire comme base vaccinale

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Virus de la stomatite vésiculaire comme base vaccinale

  1. Un schéma organisationnel du génome du virus de la stomatite vésiculaire (VSV) de type sauvage est présenté à gauche, avec les cadres de lecture ouvert pour la nucléoprotéine (N), la phosphoprotéine (P), la porine ou protéine matricielle (M), la glycoprotéine (G) et une grosse protéine, l'ARN polymérase ARN-dépendante (L). Un schéma du virion du VSV est présenté à droite, avec le génome enchâssé dans le virion à ogive cloutée (avec la glycoprotéine).
  2. Un schéma organisationnel du génome du virus Ébola à base de VSV (VSV‑EBOV) est présenté à gauche, avec le cadre de lecture ouvert pour la glycoprotéine du virus Ébola qui remplace la glycoprotéine (GP) du VSV. Un schéma du virion du VSV est présenté à droite, avec le génome enchâssé dans le virion à ogive cloutée (avec la glycoprotéine).
  3. Un schéma organisationnel du génome du virus de Marburg à base de VSV (VSV‑MARV) est présenté à gauche, avec le cadre de lecture ouvert pour la glycoprotéine du virus de Marburg qui remplace la glycoprotéine (GP) du VSV. Un schéma du virion du VSV est présenté à droite, avec le génome enchâssé dans le virion à ogive cloutée (avec la glycoprotéine).
  4. Un schéma organisationnel du génome du virus Lassa (VSV‑LASV) est présenté à gauche, avec le cadre de lecture ouvert pour le précurseur de la glycoprotéine (GPC) du virus Lassa qui remplace la glycoprotéine du VSV. Un schéma du virion du VSV est présenté à droite, avec le génome enchâssé dans le virion à ogive cloutée (avec le précurseur de la glycoprotéine)

Mise au point des vaccins à base de virus de la stomatite vésiculaire contre Ébola et la fièvre de Lassa

La mise au point du vaccin à base de VSV contre le virus Lassa est étroitement liée à celle du vaccin contre le virus Ébola à base de VSV. L'origine des deux vaccins peut être retracée dans un seul article. En 2004, Garbutt et ses collègues ont publié le premier article sur les VSV réplicatifs (sérotype Indiana; VSVI) exprimant les glycoprotéines du virus Ébola, du virus de Marburg ou du virus Lassa, appelés VSV‑EBOV, VSV‑MARV et VSV‑LASV, respectivementNote de bas de page 31. Les trois virus présentaient une cinétique de croissance légèrement atténuée comparativement au VSV de type sauvage et exprimaient fortement leur glycoprotéine. Ils présentaient également le profil de traitement protéolytique prévu. De plus, aucun VSV n'a rendu malades les souris, ce qui indiquerait qu'ils ne sont pas pathogènes. Garbutt et ses collègues ont ensuite administré une dose mortelle de virus Ébola adapté à la souris aux trois groupes de souris 28 jours après l'inoculation initiale du VSV. Toutes les souris ont été malades et ont succombé à l'infection, sauf celles qui ont reçu le VSV‑EBOV au départ. Il s'agit de la première indication que le VSV peut être utilisé comme base vaccinale pour susciter une réponse immunitaire contre une glycoprotéine hétérologue qui, à son tour, peut protéger l'animal contre la maladie.

Peu de temps après la démonstration de l'efficacité du vaccin VSV‑EBOV chez les sourisNote de bas de page 31, le même groupe de chercheurs a publié un article caractérisant pour la première fois le vaccin VSV‑LASV chez des primates non humainsNote de bas de page 32. Des macaques de Buffon ont reçu une dose unique du vaccin VSV‑LASV par voie intramusculaire. Les animaux n'ont présenté aucun signe de maladie et n'ont pas excrété le virus vaccinal, ce qui met en évidence l'innocuité de ce vecteur. Vingt-huit jours plus tard, les animaux ont été exposés au virus Lassa. Tous les animaux vaccinés ont survécu, et aucun n'a présenté de signes de la fièvre de Lassa. Le vaccin a semblé induire une réponse immunitaire à la fois humorale et cellulaire, et il n'y a eu aucune différence marquée quant aux paramètres chimiques du sang et hématologiques des animaux avant et après l'exposition au virus Lassa. Par contre, deux animaux témoins ayant reçu le vaccin VSV‑EBOV ont présenté des manifestations cliniques correspondant à celles de la fièvre de Lassa et ont succombé à la maladie, sans toutefois présenter une réponse immunitaire au virus Lassa décelable. Cette étude offrait une démonstration préliminaire – mais très prometteuse – de l'efficacité du vaccin VSV‑LASV; cependant, il aura fallu près de dix ans avant que des essais de suivi soient effectués.

En 2013, le virus Ébola est apparu pour la première fois en Afrique occidentale et a provoqué une éclosion sans précédent. Ce virus était désormais présent, et possiblement endémique, dans la même région géographique que celle du virus Lassa. Il y avait des doutes quant à l'efficacité d'une seule base vaccinale si elle était utilisée dans des vaccins séparés contre de multiples agents pathogènes. Pour résoudre cette question, Marzi et ses collèguesNote de bas de page 33 ont administré à un groupe de trois macaques de Buffon une dose unique du vaccin VSV‑LASV et ont exposé les animaux au virus Lassa 28 jours plus tard. Aucun animal n'a présenté de signes de maladie et l'absence de forte réponse des anticorps laisse penser que la vaccination a induit une immunité stérile ou quasi stérile. Soixante jours plus tard, les trois mêmes animaux ont reçu une dose unique du vaccin VSV‑EBOV, puis ont été exposés au virus Ébola. Malgré des titres d'anticorps dirigés contre le VSV plus élevés au moment de la deuxième vaccination, les trois animaux bénéficiaient d'une protection complète contre l'infection par le virus Ébola et présentaient une forte réponse immunitaire. Par conséquent, l'immunité pré-existante contre le squelette du VSV n'a pas altéré l'efficacité du vaccin, indiquant que plusieurs vaccins à base de VSV peuvent vraisemblablement être utilisés au sein d'une même population.

Il restait à savoir si un seul vaccin VSV‑LASV permettait de prévenir la maladie causée par de multiples isolats du virus Lassa puisque celui-ci présente une grande diversité génétique parmi les virus géographiquement dispersésNote de bas de page 34. Safronetz et ses collaborateursNote de bas de page 35 se sont penchés sur la question en commençant par utiliser un modèle cobaye pour l'infection par le virus Lassa, démontrant que le vaccin VSV‑LASV conférait une protection complète aux animaux contre trois isolats hétérologues du virus Lassa : Z-132 (du Libéria), Soromba-R (du Mali) et Pinneo (du Nigéria). De même, la vaccination par le VSV‑LASV a conféré une protection aux macaques de Buffon contre l'exposition mortelle à la souche Z-132 du virus Lassa. Ces résultats indiquent qu'un seul vaccin peut offrir une protection universelle contre toutes les souches du virus Lassa et peut être déployé dans toute la région où le virus Lassa est endémique, ce qui touche au moins neuf pays et des centaines de millions de personnes.

Essais précliniques sur les vaccins à base de virus de la stomatite vésiculaire

Les essais précliniques sur le vaccin VSV‑LASV utilisant divers modèles animaux, dont des primates non humains, ont démontré que ce vaccin est sûr et efficace pour susciter une réponse immunitaire qui confère une protection assez large contre le virus Lassa, et ce, malgré une immunité pré-existante contre le VSV. Même si le VSV‑LASV est prometteur, les essais cliniques sur ce vaccin ne sont toujours pas commencés. Néanmoins, le VSV comme base vaccinale a été largement testé avec le vaccin VSV‑EBOV, qui a fait l'objet d'essais précliniques et cliniques rigoureuxNote de bas de page 36Note de bas de page 37, dont des essais cliniques de phase III chez les humains ayant démontré qu'il est efficace à 100 %Note de bas de page 30. Parallèlement, le vaccin VSV‑MARV a fait l'objet de nombreux essais précliniquesNote de bas de page 38, et des vaccins à base de VSV ont été mis au point contre d'autres filovirus, dont le virus Soudan et le virus BundibugyoNote de bas de page 39Note de bas de page 40, qui se sont tous révélés extrêmement efficaces en prophylaxieNote de bas de page 36Note de bas de page 37Note de bas de page 38. D'ailleurs, les travaux effectués sur les vaccins contre les filovirus à base de VSV au cours des dernières années ont grandement contribué à la compréhension de l'infection par les filovirus et du VSV comme base vaccinale.

Les recherches sur le vaccin VSV‑EBOV ont démontré que la formation d'anticorps est un corrélat essentiel à la protectionNote de bas de page 41. Des études sur le vaccin VSV‑MARV indiquent que l'immunité vaccinale est durable et reste efficace au moins 14 mois chez le modèle primate non humainNote de bas de page 42. En outre, le vaccin VSV‑EBOV, et par extension, le squelette du VSVΔG, s'est révélé sûr chez les animaux immunodéprimés (c.-à-d. primates non humains infectés par le virus de l'immunodéficience simienne-humaine) et les animaux d'élevageNote de bas de page 43Note de bas de page 44. Vu le peu de protection interespèces qu'offrent les vaccins monovalents à base de VSV, des vaccins unidose trivalents et monovalents mélangés ont aussi été mis au point et se sont avérés 100 % efficaces, ce qui laisse penser que le VSV comme base vaccinale peut être manipulé et optimisé pour offrir une protection contre plusieurs virus à la foisNote de bas de page 22Note de bas de page 39. Enfin, des essais cliniques de phase I, II et III ont confirmé l'innocuité, la tolérabilité et l'immunogénicité du vaccin VSV‑EBOV, et ce, même à des doses élevéesNote de bas de page 25Note de bas de page 30Note de bas de page 45Note de bas de page 46Note de bas de page 47Note de bas de page 48Note de bas de page 49. Il convient de noter que des effets indésirables ont été observés dans de rares casNote de bas de page 30; une incidence relativement élevée d'arthrite, de dermatite et de vascularite induites par le vaccin a été signalée dans un essai clinique de phase INote de bas de page 45Note de bas de page 46.

Évaluation du risque pour les animaux d'élevage

L'utilisation d'un vaccin vivant à base de VSV touche non seulement les humains qui le reçoivent, mais aussi possiblement les animaux entrant en contact avec des humains vaccinés. Étant donné que l'infection par le VSV chez les animaux d'élevage est une maladie à déclaration obligatoire, l'utilisation d'un vaccin à base de VSV implique que les animaux d'élevage peuvent être touchés, ce qui peut provoquer une crise agricole ayant des répercussions réglementaires. Pour résoudre cette question, de Wit et ses collèguesNote de bas de page 44 ont inoculé des doses élevées du VSV‑EBOV ou du VSV de type sauvage à des cochons et ont surveillé les animaux pour déceler des signes d'infection ou de maladie. Fait étonnant, peu importe le virus utilisé pour l'infection, une réplication virale a été décelée chez une minorité d'animaux, il n'y avait pas de virémie, l'excrétion du virus était minime et aucun animal n'a présenté de signes manifestes d'infection. Vu l'absence de maladie chez les cochons après l'inoculation directe du virus, il est peu probable qu'un humain vacciné puisse transmettre le virus à un cochon, qui causerait une infection productive accompagnée de signes manifestes de maladie. Par ailleurs, même en cas de transmission dans ce contexte, le virus vaccinal est peu susceptible de subsister au sein de la population animale. Cette étude confirme l'innocuité des vaccins à base de VSV et donne à penser que le risque pour la santé des animaux d'élevage est minime.

Solutions de rechange au vaccin contre la fièvre de Lassa à base de virus de la stomatite vésiculaire

Afin de trouver un vaccin sûr et efficace contre le virus Lassa, différentes bases vaccinales ont été mises au point au cours des dernières décenniesNote de bas de page 50Note de bas de page 51 (tableau 1). Les vaccins contenant un virus de la vaccine réplicatif comme vecteur codant pour la nucléoprotéine et(ou) la glycoprotéine du virus Lassa faisaient partie des premières bases vaccinales conçues et ont démontré une efficacité raisonnable chez les cobayes et les primates non humainsNote de bas de page 52Note de bas de page 53Note de bas de page 54Note de bas de page 55Note de bas de page 56. Étant donné la nature immunodépressive du virus de la vaccine, cette base vaccinale a été abandonnée en cours de mise au point pour des raisons d'innocuité, surtout chez les individus immunodéprimésNote de bas de page 51. La souche 17D du virus de la fièvre jaune (YF17D), codant pour la glycoprotéine ou des sous‑unités de la glycoprotéine du virus Lassa, a aussi été utilisée dans un vaccin contre le virus Lassa, quoique son immunogénicité soit faible et peu efficace chez les primates non humainsNote de bas de page 50Note de bas de page 57Note de bas de page 58. De même, le virus Lassa inactivé n'a pas conféré de protection contre une fièvre de Lassa mortelle chez les primates non humainsNote de bas de page 59. Les réplicons de l'arbovirus, qui sont des molécules d'ARN autoréplicables exprimant des antigènes étrangers plutôt que des protéines structurelles de l'arbovirus et enveloppées dans des particules pseudovirales, ont donné des résultats prometteurs comme vaccins contre le virus Lassa. Ils favorisent entre autres la réponse des lymphocytes T CD8+ et confèrent une protection complète aux cobayes, mais d'autres précisions doivent être apportées à leur caractérisationNote de bas de page 60Note de bas de page 61Note de bas de page 62. Fait à noter, un vaccin contre le virus Lassa à base d'ADN a offert une protection complète contre ce virus chez les cobayes et les primates non humains, mais devait être administré plusieurs fois, ce qui ne serait pas commode dans les régions où le virus Lassa est endémiqueNote de bas de page 63Note de bas de page 64Note de bas de page 65.

Tableau 1 : Candidats-vaccins contre le virus Lassa et leur évaluation chez des modèles animaux
Base vaccinale Antigène du virus Lassa Efficacité chez les cobayes Efficacité chez les primates non humains Références
Vaccins réplicatifs
Virus de la vaccine (Lister) N Survie de 100 % - 55
Virus de la vaccine (NYBH) GPC Survie de 100 % - 54
- Survie de 100 % (rhésus) 53
Survie de 79 % - 52
- Survie de 67 % (de Buffon)
Survie de 100 % (rhésus)
51
GP1 - Survie de 0 % (de Buffon) 51
GP2 - Survie de 0 % (de Buffon) 51
GP1 et GP2 (vecteurs distincts) - Survie de 100 % (rhésus) 51
N Survie de 94 % Survie de 0 % (de Buffon)
Survie de 43 % (rhésus)
51,52
N et GPC (vecteurs distincts) Survie de 58 % Survie de 75 % (de Buffon)
Survie de 100 % (rhésus)
51,52
N et GPC (même vecteur) - Survie de 100 % (rhésus) 51
VSV GPC Survie de 100 % Survie de 100 % (de Buffon) 31,32,34
N Survie de 67 % - 34
ML29 N et GPC (même vecteur) Survie de 100 % Survie de 100 % (marmousets) 66,67,68
YFV17D GPC Survie de 80 % Survie de 0 % (marmousets) 57,69
GP1 et GP2 (même vecteur) Survie de 83 % - 56
Autres vaccins
Virus Lassa inactivé Virus Lassa inactivé - Survie de 100 % 58
Réplicon de l'arbovirus N Survie de 100 % - 60
GPC Survie de 100 % - 60
N et GPC (vecteurs distincts) Survie de 100 % - 60
GPC et GP de EBOV (même vecteur) Survie de 100 % - 60
ADN/électroporation GPC Survie de 83 à 100 % Survie de 100 % 62, 63, 64
Abréviations : EBOV, virus Ébola; GP, glycoprotéine; GP1, glycoprotéine 1; GP2, glycoprotéine 2; GPC, précurseur de la glycoprotéine; LASV, virus Lassa; N, nucléoprotéine; NYBH, New York Board of Health; VSV, virus de la stomatite vésiculaire; YF17D, souche 17D du virus de la fièvre jaune; « - », pas fait

En plus du vaccin VSV‑LASV, le candidat-vaccin contre le virus Lassa le plus perfectionné utilise comme base un virus réassorti à partir du virus Lassa et du virus Mopeia (qui serait non pathogène)Note de bas de page 50Note de bas de page 51. Le clone ML29 possède du matériel génétique provenant du virus Mopeia et du virus Lassa – notamment les gènes codant pour la nucléoprotéine et la glycoprotéine de ce dernier – et comporte plusieurs autres mutations ponctuelles qui atténueraient davantage le virusNote de bas de page 66Note de bas de page 70Note de bas de page 71. La vaccination par le clone ML29 s'est révélée sûre et suscite une réponse immunitaire puissante et protectrice contre le virus Lassa. En effet, le clone ML29 offre une protection complète chez les cobayes et les primates non humains, demeure efficace lorsqu'il est administré jusqu'à deux jours suivant l'infection et est sûr chez les animaux immunodéprimés. Il semble stable sur le plan génétique et n'a pas de prédisposition au réassortiment avec le virus Lassa pathogèneNote de bas de page 67Note de bas de page 68Note de bas de page 70Note de bas de page 72Note de bas de page 73; cependant, jusqu'à tout récemment, le clone ML29 a été classé par les Centers for Disease Control des États-Unis comme un agent pathogène du groupe de risque 3, indiquant que d'autres études de validation de l'innocuité seraient nécessaires.

Discussion

La virus Lassa cause des centaines de milliers d'infections chaque année et des milliers de décèsNote de bas de page 5. Malgré la menace évidente que représente le virus Lassa en matière de santé publique, le virus et la maladie qui en résulte demeurent sous-étudiés. C'est en grande partie pour cette raison que l'Organisation mondiale de la santé a ajouté l'infection par le virus Lassa comme maladie prioritaire à son projet R&D visant à améliorer la coordination de la recherche dans le monde, à accélérer l'élaboration de contre-mesures et à fournir un cadre d'intervention lors d'éclosionsNote de bas de page 74. Ce projet vise à établir un plan de recherche accéléré sur cinq ans pour procéder aux essais cliniques de phase III sur les vaccins contre le virus Lassa. Par ailleurs, la Coalition for Epidemic Preparedness and Innovations s'est engagée à financer la mise au point avancée de certains candidats-vaccins contre le virus Lassa. Cependant, les bases vaccinales qui seront retenues n'ont pas encore été annoncées.

Bien que des progrès significatifs aient été réalisés en ce qui a trait à la mise au point d'un vaccin sûr et efficace contre le virus Lassa, d'autres recherches s'imposent. Beaucoup de questions importantes concernant l'utilisation et l'efficacité du vaccin VSV‑LASV restent posées, particulièrement la question du ou des modes d'action. La présence de lymphocytes T CD8+ activés a été observée chez la majorité des primates non humains ayant reçu le vaccin VSV‑LASVNote de bas de page 32, indiquant que la réponse immunitaire cellulaire jouerait un rôle important dans la protection. D'ailleurs, le contrôle de la fièvre de Lassa chez les primates non humains a été corrélé avec la circulation de lymphocytes T CD4+ et CD8+ activésNote de bas de page 75, et les cas de fièvre de Lassa non mortels chez l'humain ont été associés à des taux élevés de chimiokines attirant les lymphocytes T Note de bas de page 76Note de bas de page 77Note de bas de page 78. À l'inverse, la réponse humorale à l'infection par le virus Lassa ne semble pas jouer un rôle important dans la guérison de l'infectionNote de bas de page 75Note de bas de page 79Note de bas de page 80Note de bas de page 81, et les anticorps neutralisants semblent peu mobilisésNote de bas de page 32Note de bas de page 69Note de bas de page 75Note de bas de page 78. Contrairement au vaccin VSV‑EBOV, dans lequel les anticorps jouent un rôle essentiel en matière de protectionNote de bas de page 41, la réponse humorale ne semble pas jouer un rôle important dans la protection suscitée par le vaccin VSV‑LASV; toutefois, d'autres travaux de recherche s'imposent dans ce domaine. Il reste aussi à évaluer le temps écoulé avant l'immunité, la durabilité de l'immunité et l'efficacité thérapeutique post-exposition du vaccin. Enfin, l'innocuité et l'efficacité du vaccin VSV‑LASV, comme dans le cas du vaccin contre le virus Ébola, chez les personnes immunodéprimées sont particulièrement préoccupantes advenant le déploiement du vaccin dans les régions où le virus Lassa est endémique et où le taux de séropositivité pour le VIH-1 est élevé. Malgré les travaux qui restent à faire, le vaccin VSV‑LASV est tout de même l'un des vaccins contre le virus Lassa en cours de mise au point les plus prometteurs.

Conclusion

Le vaccin VSV‑LASV est prêt à être évalué dans le cadre d'essais cliniques. Un groupe d'experts sondés par la revue Science considèrent déjà ce vaccin comme l'un des deux candidats-vaccins contre le virus Lassa ayant le plus grand potentielNote de bas de page 82. En effet, le vaccin VSV‑LASV offre non seulement une protection complète contre différentes souches du virus Lassa, mais sa base vaccinale, le VSVΔG, est déjà bien caractérisée. Bien que des doutes aient été soulevés quant à l'innocuité du VSV comme base vaccinale, particulièrement dans le contexte du vaccin contre le virus Ébola, la majorité des données d'essais cliniques disponibles laissent penser que le vaccin VSV‑EBOV est à la fois sûr et efficace. De même, le vecteur semble peu susceptible de représenter une menace pour les animaux d'élevage.

La prochaine étape de la mise au point du vaccin VSV‑LASV est l'évaluation de son innocuité et la détermination de sa posologie dans le cadre d'essais cliniques de phase I chez l'humain. Alors que le virus Lassa poursuit ses ravages en Afrique occidentale, notamment l'éclosion touchant actuellement le Nigéria, la volonté politique et sociale de mettre au point un vaccin sûr et efficace contre cette maladie est plus forte que jamais. Le vaccin VSV-LASV semble en bonne voie de faire partie de la solution afin de réduire la menace que représente le virus Lassa pour le monde entier.

Déclaration des auteurs

L. B. – Rédaction – ébauche initiale; rédaction – révision et édition

D. R. S. – Rédaction – ébauche initiale; rédaction – révision et édition

X. Q. – Rédaction – révision et édition; supervision

D. S. – Conception initiale; rédaction – révision et édition; supervision

L. Banadyga et D. R. Stein ont contribué en parts égales à cet article.

Conflit d'intérêt

Les auteurs ne signalent aucun conflit d'intérêts.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Jonathan Audet de son aide technique expert avec le manuscrit français.

Financement

Ce travail a été réalisé grâce au soutien de l'Agence de la santé publique du Canada. 

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