Recherche qualitative originale – « Nous sommes uniques » : facteurs de stress organisationnels, soutien par les pairs et attitudes à l’égard des soins de santé mentale chez les pompiers d’aéroport

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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : novembre 2023
ISSN: 2368-7398
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Bridget Barry, B.A.Note de rattachement des auteurs 1; Rosemary Ricciardelli, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Heidi Cramm, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3
https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.03f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement des auteurs
Correspondance
Bridget Barry, Département de psychologie, Université Memorial de Terre-Neuve, 230, avenue Elizabeth, St. John’s (T.-N.-L.) A1C 5S7; tél. : 709-330-2804; courriel : brcbarry@mun.ca
Citation proposée
Barry B, Ricciardelli R, Cramm H. « Nous sommes uniques » : facteurs de stress organisationnels, soutien par les pairs et attitudes à l’égard des soins de santé mentale chez les pompiers d’aéroport. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(10/11):503-514. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.03f
Résumé
Introduction. Les pompiers d’aéroport ont la responsabilité de fournir des services d’intervention d’urgence en cas d’incidents aéronautiques sur une piste d’atterrissage ou à proximité d’un aéroport, que ce soit en cas d’écrasement d’avion, d’incident faisant un grand nombre de victimes, d’atterrissage d’urgence ou de nombreux autres problèmes survenant sur les terrains de l’aéroport. Bien qu’il existe des données sur les facteurs de stress professionnels des pompiers et du personnel de la sécurité publique en général, il y a un manque de connaissances concernant les expériences des pompiers d’aéroport, en particulier en ce qui concerne leurs facteurs de stress organisationnels, le soutien par leurs pairs et leur attitude à l’égard des soins de santé mentale.
Méthodologie. En 2019, nous avons dirigé deux groupes de discussion regroupant dix pompiers professionnels travaillant dans un aéroport du Canada atlantique. Les discussions ont été enregistrées et les enregistrements transcrits puis codés par analyse thématique à l’aide d’une méthode narrative, itérative et inductive.
Résultats. Les pompiers d’aéroport sont confrontés à des défis spécifiques et les facteurs de stress opérationnels sont occultés par les facteurs de stress organisationnels. De plus, le soutien par les pairs est un aspect intégral de la gestion des facteurs de stress organisationnels et des incidents critiques. On a constaté que les pompiers avaient une attitude positive à l’égard des soins de santé mentale en général, mais plusieurs obstacles subsistent, en particulier la stigmatisation, la crainte d’être mis en congé et la crainte d’une violation de la confidentialité.
Conclusion. Des options de traitement spécialisées sont nécessaires pour le personnel de la sécurité publique et les pompiers d’aéroport qui interviennent en cas d’incidents graves en dehors de leurs fonctions habituelles.
Mots-clés : pompiers, personnel de la sécurité publique, stress professionnel, stress organisationnel, soutien par les pairs, soins de santé mentale, stigmatisation
Points saillants
- Les pompiers d’aéroport sont appelés à fournir des services d’intervention d’urgence pour tous les incidents qui se produisent à proximité d’un aéroport, ce qui les expose à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique, qui peuvent être exacerbés par des facteurs de stress organisationnels.
- Les pompiers de l'aéroport répondent à un large éventail d'appels, allant de l'assistance aux passagers âgés à l'abattage d'animaux sauvages sur la piste.
- Pour étudier les expériences des pompiers d’aéroport en lien avec le stress organisationnel, les systèmes de soutien par les pairs et le comportement en matière de demande de soins thérapeutiques, nous avons mené des groupes de discussion.
- Les pompiers d’aéroport sont confrontés à des défis spécifiques, et les facteurs de stress opérationnels (comme les événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique) sont occultés par les facteurs de stress organisationnels (comme les conflits avec la direction).
- Il existe des obstacles au traitement formel pour ces pompiers, qui, d’après nos résultats, ont une préférence pour le soutien par les pairs.
Introduction
Les pompiers d’aéroport ont la responsabilité d’intervenir en cas d’incidents aéronautiques, que ce soit les écrasements d’avion, les événements faisant un grand nombre de victimes, les atterrissages d’urgence ou de nombreux autres problèmes survenant sur les terrains de l’aéroport : ils interviennent d’urgence dans tous les cas d’incidents se produisant sur une piste ou à proximité d’un aéroport. Outre la lutte contre les incendies, ces interventions portent sur le contrôle de la faune, la lutte contre les feux de végétation dans les espaces adjacents à la piste, l’appui aux activités médicales d’urgence requises lors d’un atterrissage d’urgence et la gestion des défaillances dans le confinement des matières dangereuses.
En tant que membres du personnel de la sécurité publique, les pompiers d’aéroport sont susceptibles d’être exposés à un nombre significativement plus élevé d’événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique (explosions, accidents de transport graves, catastrophes naturelles, etc.) que la population généraleNote de bas de page 1. Bien que ces événements puissent assurément contribuer aux problèmes de santé mentale chez les membres du personnel de la sécurité publique, Ricciardelli et ses collaborateurs suggèrent que les facteurs de stress organisationnels (relations interpersonnelles au travail, charge de travail, manque de ressources matérielles, etc.) constituent une importante source de stress supplémentaire pour de nombreux membres du personnel de la sécurité publique et peuvent exacerber le stress découlant des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique ou d’autres facteurs de stress opérationnelsNote de bas de page 2Note de bas de page 3.
Le soutien social parmi les pompiers s’est révélé bénéfique pour leur santé mentale et leur bien-êtreNote de bas de page 4Note de bas de page 5, dans la mesure où la camaraderie qui existe souvent chez les pompiers est un facteur de protection contre le stress professionnelNote de bas de page 6Note de bas de page 7. L’absence de cette camaraderie, observée par exemple chez les pompiers indépendants et contractuels, peut entraîner ce que Stanley et ses collaborateurs appellent une appartenance entravée (« thwarted belongingness »), soit un sentiment d’absence d’appartenance, d’absence de soutien réciproqueNote de bas de page 8. Ces auteurs ont constaté que les pompiers contractuels présentaient un risque accru de suicide, qui s’explique statistiquement par le sentiment d’appartenance entravéeNote de bas de page 8. Pour combler le manque de connaissances sur le travail de pompier d’aéroport, nous avons étudié qualitativement les expériences de pompiers d’aéroport dans un aéroport international du Canada atlantique, à l’aide de groupes de discussion. Nous nous sommes intéressés aux expériences des pompiers en ce qui a trait autant au stress professionnel qu’à la façon dont les pompiers d’aéroport interagissent – comment ils perçoivent la camaraderie et le soutien social –, en menant des discussions de groupe, qui constituent la meilleure méthode pour faire ressortir ces expériences.
Selon Jeannette et Scoboria, plus les pompiers sont exposés à des événements graves, plus ils désirent recevoir des interventions formellesNote de bas de page 9. Étant donné que les pompiers d’aéroport sont susceptibles de vivre des événements et des expériences extrêmes, nous avons également souhaité connaître leur attitude à l’égard des soins de santé mentale, du soutien formel et des obstacles à la demande de soins thérapeutiques.
Revue de la littérature
Les membres du personnel de la sécurité publique participant à des opérations de sauvetage lors de catastrophes majeures présentent un taux de prévalence du trouble de stress post-traumatique (TSPT) plus élevé que la population générale et comparable à celui des vétérans américains de la guerre du Vietnam et de la guerre en IrakNote de bas de page 10. Plus précisément, on a constaté que les secouristes exposés à un écrasement d’avion ayant fait un grand nombre de victimes présentaient un risque accru de dépression, de TSPT et d’état de stress aigu par rapport aux membres du personnel de la sécurité publique non exposés, 40,5 % des travailleurs exposés répondant aux critères d’au moins un diagnosticNote de bas de page 11. Les secouristes intervenant lors d’événements ayant fait un grand nombre de victimes et d’autres événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique majeurs sont donc confrontés à des facteurs de stress professionnels spécifiques ayant de multiples répercussions sur leur bien-être personnel.
Le stress professionnel, soit le stress subi dans le cadre d’un emploi, est soit opérationnel et inévitable, soit organisationnel et évitableNote de bas de page 3. On considère que les facteurs de stress organisationnels, comme les tensions avec les collègues et la direction, le travail par quarts et des ressources restreintes, contribuent à la détresse psychologique chez les membres du personnel de la sécurité publique, souvent plus que les facteurs de stress opérationnelsNote de bas de page 2Note de bas de page 7Note de bas de page 12. La cause en serait que les facteurs de stress opérationnels sont perçus comme une composante difficile mais gratifiante du travail, tandis que les facteurs de stress organisationnels résultent de règles et de règlements bureaucratiques qui créent du ressentiment chez les membres du personnel de la sécurité publiqueNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14. Le stress opérationnel est également considéré comme inhérent à l’accomplissement des responsabilités professionnelles – « ça fait partie du travail » –, alors que le stress organisationnel apparaît comme une conséquence collatérale de l’emploi, qu’on devrait pouvoir éliminerNote de bas de page 3.
La littérature dont on dispose ne traite toutefois pas des pompiers devant intervenir en cas d’incidents faisant un grand nombre de victimes, d’accidents d’avion et d’autres incidents majeurs, ce que font les pompiers employés par les aéroports. Il est donc nécessaire de découvrir quels facteurs de stress organisationnels dérangent le plus les pompiers travaillant dans un aéroport et comment ces facteurs de stress sont ressentis comparativement au stress associé à un événement potentiellement traumatisant sur le plan psychologique.
Le soutien informel par le réseau social et par les pairs s’est révélé être le mécanisme d’adaptation privilégié par les pompiersNote de bas de page 9Note de bas de page 15. Un taux élevé de soutien des pompiers par leurs pairs demeure associé à un taux réduit de stress professionnelNote de bas de page 16. Comme c’est le cas pour d’autres membres du personnel de la sécurité publique, il existe une camaraderie associée à la culture des pompiers, que Tuckey et Hayward définissent comme [traduction] « un sentiment d’appartenance, d’identité partagée, une confiance réciproque et les solides liens positifs qui existent au sein de groupes de travail cohésifs »Note de bas de page 17,p.6, une cohésion de groupe qui aide à atténuer les exigences émotionnelles liées au travailNote de bas de page 6Note de bas de page 17.
Nous prenons appui sur cette notion de camaraderie pour proposer le concept du « phénomène de la table de cuisine » : la table de cuisine d’une caserne de pompiers sert de point central où les pompiers se rassemblent après un appel et peuvent trouver du soutien social inexprimé mais implicite, réciproque, qui permet de procéder à une récapitulation informelle après les incidents critiques pour atténuer les effets du stress professionnel. La table de cuisine devient, au sens propre et au sens figuré, un endroit pour guérir, agissant comme un facteur de protection spécifique aux pompiers au sein du personnel de la sécurité publique. En général, les pompiers ne souffrent pas de sentiment d’exclusion en raison du soutien social substantiel qu’ils reçoivent les uns des autresNote de bas de page 5Note de bas de page 8. Le soutien informel offert par les pairs autour de la table de cuisine permet de combattre le stress professionnel et même facilite la demande formelle de soins thérapeutiquesNote de bas de page 7Note de bas de page 18. Toutefois, l’ampleur du soutien par les pairs chez les pompiers d’aéroport de même que le rôle de ce soutien dans l’atténuation du stress organisationnel demeurent inconnus.
Une autre option pour composer avec le stress professionnel est l’obenteion de soutien formel, en particulier par les programmes d’aide aux employés et les séances de verbalisation suivant un incident critique. Gulliver et ses collaborateurs ont constaté que 81 % des pompiers ayant répondu à leur enquête avaient reçu des services de santé mentale de leur employeur, mais que 68 % des répondants ne recommanderaient pas ces services à leurs collèguesNote de bas de page 15. Soixante-sept pour cent (67 %) des pompiers ont déclaré qu'ils rechercheraient un soutien extérieur auprès d'amis et de membres de la famille, tandis que 60 % ont indiqué qu'ils rechercheraient des services professionnels privésNote de bas de page 15. Ces résultats sont cohérents avec des études montrant que le soutien social est le mécanisme d’adaptation privilégié par les pompiers après un incident critiqueNote de bas de page 19. Par ailleurs, il a été prouvé que plus un incident critique est grave pour les pompiers, plus le désir de bénéficier d’interventions formelles, telles que les séances de verbalisation suivant un incident critique, est grandeNote de bas de page 9. Dans la mesure où les pompiers de l’aéroport risquent de vivre de graves événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique, il demeure donc essentiel d’étudier quelles sources de soutien formel ils ont à leur disposition et quelle est leur attitude à l’égard de ce soutien.
La profession de pompier relève du secourisme, ce qui risque d’empêcher les pompiers de demander de l’aide pour améliorer leur santé mentale et leur bien-êtreNote de bas de page 18. En effet, des chercheurs ont relevé le refus de donner l’impression d’être faible comme l’un des principaux obstacles à la demande de soins thérapeutiques parmi un échantillon de pompiers et d’ambulanciers paramédicauxNote de bas de page 18. Un autre obstacle majeur au traitement est la stigmatisationNote de bas de page 20. Les pompiers mentionnent que la stigmatisation, en particulier celle liée à la santé mentale, constitue un obstacle aux soins de santé mentale, davantage que d’autres obstacles structurels comme le coût ou la nécessité de prendre un congéNote de bas de page 21. En outre, le manque de confidentialité et le fait que les cliniciens ne connaissent pas la culture du travail sont des obstacles importants à la demande d’interventions thérapeutiques par les pompiersNote de bas de page 15.
L’étude du comportement des membres du personnel de la sécurité publique en matière de demande de soins thérapeutiques est nécessaire, car plusieurs études indiquent que cette population néglige sans doute ses besoins en matière de santé mentale. Par exemple, à la suite de l’attentat d’Oklahoma City, 181 pompiers ont été interviewés au sujet de leurs mécanismes d’adaptationNote de bas de page 19. Bien que 72 % des répondants aient déclaré s’être sentis bouleversés par la vue de corps d’enfants, seulement 16 % ont reçu un traitement de santé mentale autre que les séances de verbalisation suivant un incident critiqueNote de bas de page 19. Cela laisse supposer que les pompiers exposés à des incidents graves, comme des événements faisant un grand nombre de victimes, ne reçoivent sans doute pas l’aide dont ils ont besoin au-delà des séances de récapitulation obligatoires. Il manque, dans la recherche dont on dispose, une approche qualitative pour explorer les expériences spécifiques que vivent les pompiers d’aéroport, les facteurs de stress organisationnels connexes qu’ils éprouvent, le soutien par les pairs qu’ils reçoivent ainsi que leur attitude à l’égard des soins de santé mentale.
Présentation de notre étude
Dans le cadre de notre étude, nous avons mené des groupes de discussion afin d’élargir les connaissances sur les expériences personnelles et intimes des pompiers d’aéroport professionnels ainsi que les facteurs de stress organisationnels qu’ils subissent, leur perception du soutien par les pairs et leur attitude à l’égard des soins de santé mentale. Notre démarche analytique était narrative, et nous avons cherché à préciser la manière dont la conversation de groupe (au sein des groupes de discussion) favorise les témoignages qui reflètent à la fois l’expérience personnelle et les contextes d’interrelations sociales (comme le soutien informel par les pairs) auxquels appartiennent – ou n’appartiennent pas – les pompiers d’aéroport dans le cadre de leur travail.
Méthodologie
Approbation éthique
Le comité d’éthique de la recherche en santé de l’Université Memorial de Terre-Neuve a approuvé notre étude (no 2018.056).
Procédures
Afin d’étudier la réalité vécue par les pompiers d’aéroport relativement aux facteurs de stress organisationnels et au soutien informel par les pairs à cet égard – deux facteurs qui influencent collectivement la culture des pompiers –, nous avons dirigé deux groupes de discussion en 2019. Notre échantillon comprenait 10 pompiers professionnels, dont 9 se sont identifiés comme étant de sexe masculin et 1 de sexe féminin. Il n’existait aucune relation préexistante entre les participants et les chercheurs. Afin de recruter des participants, nous avons informé le directeur régional d’un aéroport international d’une province du Canada atlantique de l’existence de notre étude.
Le directeur régional du service d’incendie aéroportuaire a ensuite informé par courriel les membres de son personnel du moment et du lieu du groupe de discussion, et certains ont choisi d’y participer. Cette participation était entièrement volontaire. Au début de chaque groupe de discussion, nous avons recueilli des formulaires de consentement signés, ainsi que des renseignements sur les caractéristiques des participants et sur leur nombre d’années de service, leur poste et leur expérience professionnelle (tableau 1). Les discussions ont duré entre une et deux heures, avec un ou deux des auteurs pour animer la discussion. Ces groupes de discussion ont eu lieu sur place, pendant les heures de travail. L’employeur n’était pas présent et n’a pas été informé de l’identité des membres du personnel qui ont participé.
Caractéristiques de référence | Pompiers d’aéroport | |
---|---|---|
n | % | |
Sexe | ||
Féminin | 1 | 10 |
Masculin | 9 | 90 |
État matrimonial | ||
Célibataire | 1 | 10 |
Marié(e) | 7 | 70 |
Divorcé(e) | 1 | 10 |
Union de fait | 1 | 10 |
EnfantsNote de bas de page a | 9 | 90 |
Niveau de scolarité le plus élevé | ||
Études secondaires/ fréquentation d’un établissement postsecondaire | 2 | 20 |
Études professionnelles | 4 | 40 |
Diplôme d’études collégiales | 3 | 30 |
Diplôme universitaire ou d’études supérieures | 1 | 10 |
Nombre d’années au sein de l’organisation | ||
1 à 10 | 2 | 20 |
11 à 20 | 4 | 40 |
21 à 30 | 3 | 30 |
31 à 40 | 0 | 0 |
41 ou plus | 1 | 10 |
Groupe d’âge (ans) | ||
25 à 34 | 1 | 10 |
35 à 44 | 1 | 10 |
45 à 54 | 5 | 50 |
55 à 64 | 3 | 30 |
Origine ethnique | ||
Blanc | 10 | 100 |
Nous avons effectué un enregistrement audio des discussions de groupe, qui a ensuite été transcrit mot à mot puis, pour faciliter la compréhension et protéger la confidentialité, nous avons corrigé la grammaire des citations et supprimé les mots-chevilles, sans modifier le langage utilisé. Nous avons toutefois supprimé les « façons de parler » ou les détails susceptibles d’identifier l’orateur afin de protéger la confidentialité des participants. Les discussions ont eu lieu en anglais et les citations ont été traduites dans le cadre du processus de publication de cet article. Nous n’avons pas accordé aux participants la possibilité de réviser les transcriptions, conformément à la pratique habituelle pour les groupes de discussion de tailles diverses.
Étant donné que l’objectif général de l’étude portait sur les obstacles à la demande de soins de santé mentale et que nous nous intéressions particulièrement à l’exposition à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique et aux facteurs de stress organisationnels, nous avons gardé en tête que certains sujets abordés étaient de nature sensible et potentiellement personnelle. Nous avons analysé les données transcrites à l’aide d’une méthode narrative, itérative et inductive. Nous avons souligné manuellement les thèmes au fur et à mesure qu’ils étaient abordés (c’est-à-dire que nous n’avons pas utilisé QSR NVivo, nous avons plutôt utilisé Microsoft Excel et la fonction de surlignement).
Nous avons d’abord attribué un code aux facteurs de stress opérationnels, aux facteurs de stress organisationnels, au soutien par les pairs et aux attitudes à l’égard de la demande de soins de santé mentale en général, puis nous avons appliqué une stratégie de codage ciblé pour déceler une structure dans les réponsesNote de bas de page 22. Ce processus nous a permis de saisir des récits complets, chacun codé de manière indépendante, dans leur contexte. Nous avons observé l’interrelation entre les facteurs de stress organisationnels et le soutien informel par les pairs ainsi que la façon dont l’absence de cette interrelation est susceptible de conduire à des difficultés et à l’élimination d’un facteur de soutien potentiel dans l’environnement de travail des pompiers. Les auteures ont travaillé ensemble pour isoler les thèmes et synthétiser les données, discuter des thèmes nécessitant d’établir un consensus et s’entendre sur les processus de codage et les catégorisations. Nous avons choisi cette méthode d’analyse parce que les thèmes ont émergé spontanément et n’avaient pas été préétablis, et nous avons choisi de laisser les données conduire l’analyseNote de bas de page 22Note de bas de page 23.
Résultats
La méthode narrative, itérative et inductive d’analyse des données a révélé quatre grands thèmes relatifs aux expériences des pompiers d’aéroport : les facteurs de stress organisationnels, l’utilisation de sources de soutien formel comme le programme d’aide aux employés, le soutien entre pairs pompiers et l’attitude des pompiers à l’égard des soins de santé mentale.
Facteurs de stress organisationnels spécifiques aux pompiers d’aéroport professionnels
Si les expériences des pompiers professionnels travaillant à l’aéroport sont similaires à celles d’autres services d’incendie rémunérés, plusieurs facteurs de stress spécifiques sont présents en raison des « activités multidimensionnelles » (P9), c’est-à-dire qu’il y a beaucoup d’employés d’aéroport, exerçant de nombreux métiers, comme les électriciens et les techniciens d’entretien, et évoluant tous dans le même environnement de travail. Ces gens de métier sont des collègues de travail de l’équipe du service d’incendie aéroportuaire, mais les participants ont mentionné qu’ils constituaient souvent une source de stress. Les participants ont fait état d’une opinion formulée par de nombreuses personnes ne travaillant pas au service d’incendie et qui les dérange : les pompiers seraient payés pour dormir.
On entend des choses comme « des lits dans la caserne de pompiers. [Les pompiers] ont un endroit pour se reposer pendant leur quart de travail de vingt-quatre heures. Nous aimerions avoir des lits dans notre département. » […] « Eh bien, vous avez des maudits lits dans la caserne! Vous avez dormi la nuit dernière! » (P9)
Les paroles du participant 9 font écho à celles d’autres pompiers d’aéroport. Ces commentaires révèlent une ignorance du fait que les pompiers ont peu d’occasions de se reposer à l’aéroport pendant les quarts de travail. Alors que les autres gens de métier rentrent chez eux à la fin de leur journée de travail, les pompiers d’aéroport restent pour répondre aux urgences à toute heure du jour et de la nuit pendant leur quart de 24 heures et s’étendent sur les lits superposés lorsqu’ils ont une pause, sans pour autant dormir. Un pompier a exprimé son désarroi :
D’autres services peuvent nous regarder et dire : « Oh, ils sont juste assis, ou ils font ça », mais ce n’est pas vrai. Je veux dire, on travaille, on fait de la formation, on a des tâches quotidiennes à faire comme tout le monde. Mais ce n’est que la perception erronée de la caserne, et les autres services […] ne comprennent pas entièrement les répercussions de notre travail et les choses qu’on a réellement à faire, ni qu’on pourrait avoir à faire. Car, vous savez, simplement parce qu’on n’est pas en train de courir avec des boyaux et de combattre des incendies chaque jour, ils pensent, ils ont l’impression qu’on ne fait rien. Et la plupart du temps, nous sommes à plat. Je veux dire, le capitaine le sait, et moi-même, on est ici la nuit, en général vers 23 h 30, à juste essayer de tenir les registres à jour et de noter les choses qu’on a faites ce jour-là. Des papillons adhésifs, j’ai des papillons adhésifs partout, pour simplement essayer de combler les trous entre les appels. Pendant mon dernier quart, c’était un quart de 36 heures : 5 appels en 36 heures, ce qui est énorme. Disons, par rapport à la plupart des quarts, où on a plutôt un ou deux appels ici ou là. Mais là, 5 dans une période de 36 heures! Je n’ai pas besoin de vous dire que quand j’ai quitté le travail ce matin-là, j’étais assez fatigué, j’étais, je dirais, vraiment exténué. (P3)
Dans ce témoignage, le pompier exprime sa frustration à l’égard des autres travailleurs de l’aéroport et dit se sentir dévalorisé, malgré les nombreuses tâches qui incombent aux pompiers à chaque quart de travail.
Le facteur de stress le plus souvent mentionné pour l’équipe du service d’incendie aéroportuaire est l’éventail complet et diversifié des activités et des responsabilités qui s’inscrivent dans la charge de travail habituelle, ainsi que l’imprévisibilité du travail et le risque de demandes d’intervention d’urgence. Les pompiers d’aéroport ont décrit comment, au cours d’une journée ordinaire, ils doivent s’occuper de différentes tâches, comme aider pour les bagages perdus, les menaces de violence, les passagers indisciplinés, les atterrissages d’urgence, les appels médicaux et même l’élimination d’animaux sauvages sur les pistes. Le participant 7 a donné un aperçu de ce que représente le fait d’avoir autant de responsabilités et de se sentir tiraillé entre les tâches :
Nous sommes responsables de maintenir les pistes propres, sans présence d’animaux sauvages. Alors nous sommes dans le camion médical et on nous dit de rester à l’écart d’une piste sur laquelle nous roulons et tout à coup, nous sommes distraits parce que le capitaine nous appelle sur une autre radio et dit « vous avez un appel médical au terminal ». Comment, tout à coup, sommes-nous censés rester à l’écart de la piste? Si nous dépassons cette ligne, le gars dans la tour, il nous donne une volée de bois vert. Et avec raison. Il y a deux cents personnes qui arrivent à bord d’un avion et nous avons dépassé la ligne d’attente à l’écart! Alors, quelque chose d’aussi simple que ça peut constituer un énorme facteur de stress. (P7)
Comme en fait foi l’extrait qui précède, la charge de travail intense est un facteur de stress organisationnel pour les pompiers d’aéroport. Ils sont également dans la situation sans équivalent d’être, comme le dit le participant 5, des « pompiers armés », car ils doivent pouvoir passer le contrôle de sécurité avec des fusils pour aller sur la piste et éliminer toute menace posée par des animaux sauvages.
Donc, si on sort pour s’occuper d’un animal sauvage, il faut passer […] par la vérification des véhicules, parce que c’est ce que dit Transports Canada, et il vient me vérifier et j’ai un fusil à pompe de calibre 12 et deux boîtes de munitions juste là! Et je lui dis, genre, « Ben, pourquoi me vérifies-tu? Car il y a une arme juste là. » […] Et je roule près de tous ces avions, certains d’entre eux sont des vols internationaux en direction de l’Irlande, et je suis à dix pieds de distance avec un douze. Vous savez, on se gratte simplement la tête et on se dit : « on est unique », vous comprenez? (P2)
Le participant 2 souligne la tâche qui distingue les pompiers d’aéroport de la plupart des autres membres du personnel de la sécurité publique : la possibilité d’avoir à tuer un animal pour veiller à maintenir la sûreté et la sécurité à l’aéroport. À l’évidence, les pompiers d’aéroport ont des tâches diverses qui vont bien au-delà de la lutte contre les incendies, des responsabilités comme celle de s’occuper des animaux sauvages.
Malgré leur charge de travail apparemment infinie, les pompiers ont sans cesse mentionné qu’ils se sentent dévalorisés par les employés de l’aéroport avec qui ils travaillent, un participant donnant un exemple choquant de ce qu’un autre employé de l’aéroport pense des pompiers :
Je dois avouer que, dans le système de l’aéroport, je n’ai jamais ressenti autant de dénigrement à titre de travailleur des services d’urgence que de la part de mes collègues ici à l’aéroport. […] J’étais à un concert il y a deux semaines, je passais un excellent moment avec ma femme et ma famille. Et un jeune est venu me dire […] : « Le service d’incendie ne fout absolument rien à l’aéroport! » […] Il faut enfiler ses bottes et aller au travail le matin et respecter ses collègues. Et c’est ce que je fais, car c’est la bonne façon d’agir. Mais je l’ai toujours à l’esprit, comme je l’ai dit, ça me dérange beaucoup. (P9)
Un autre pompier, le participant 7, était du même avis, déclarant qu’il avait l’impression qu’il avait une cible dans le dos même si « on travaille tous pour la même organisation ». Les participants ont déclaré se sentir profondément bouleversés par ces commentaires, soulignant le tribut émotionnel que la dévalorisation, l’humiliation et le dénigrement fréquents peuvent avoir sur un employé.
Malheureusement, un facteur de stress organisationnel souvent mentionné par les équipes de pompiers d’aéroport est la « dotation minimale » : il n’y a souvent pas assez de personnel pendant un quart de travail donné pour s’acquitter des responsabilités professionnelles de façon sécuritaire et efficace. Les participants ont déclaré qu’ils vivent de la frustration envers la direction lorsqu’ils essaient de faire part de leurs préoccupations au sujet de cette dotation minimale. Le participant 7 a bien décrit la situation, disant qu’il se sent plus détendu lorsqu’une équipe complète est présente et qu’il est rassurant de savoir que la responsabilité est partagée et qu’« un coéquipier nous accompagne » quand vient le temps de répondre à des incidents graves et à des appels médicaux.
Ce même participant a poursuivi en mentionnant son stress en cas d’absence d’équipe complète et la pression d’être le seul à répondre à un incident, une situation qu’il décrit comme difficile et pénible, qui génère un sentiment d’isolement. Les participants apprécient l’aide que peut apporter un autre collègue pour partager des idées et résoudre des problèmes : « John et moi répondons à un appel médical, nous pouvons échanger des idées et nous pouvons nous épauler l’un l’autre, vous comprenez? » (P7) L’absence de personnel disponible est ressentie comme nuisible, non seulement à l’efficacité opérationnelle, mais aussi au soutien à la santé mentale des pompiers. Des changements structurels et systématiques doivent être apportés à la dotation en personnel : comme l’a mentionné le participant 9, le taux de « roulement est de 25 % » à l’aéroport.
Les pompiers d’aéroport ont la responsabilité d’accomplir une série de tâches simultanément (intervenir en cas d’atterrissage d’urgence, d’appels médicaux et de problèmes mécaniques, aider les passagers âgés, éliminer les animaux sauvages sur la piste, vérifier les conditions météorologiques, réaliser des tests, etc.). Les participants ont évoqué les attentes présentes chez les autres employés de l’aéroport et les personnes qui attribuent les tâches, ces derniers ayant l’impression que les pompiers ont beaucoup de temps libre. Les pompiers se voient ainsi attribuer une pléthore de tâches supplémentaires, et disent qu’il y en a suffisamment pour occuper un nouveau poste à temps plein. Non seulement les pompiers d’aéroport sont censés répondre à un nombre imprévisible et inconnu d’appels, mais il leur incombe d’accomplir une multitude d’autres tâches en plus de ce risque d’avoir à intervenir en cas d’incident majeur. Un pompier a expliqué que non seulement lui et ses collègues se sentent dévalorisés, mais que cette charge de travail les empêche d’accomplir une tâche essentielle dans leur travail : la formation en vue d’incidents, ces derniers ayant de lourdes répercussions sur eux, en particulier s’il y a un grand nombre de victimes.
Donc, vous savez, ça nous éloigne de ce que nous devrions faire, c’est-à-dire de faire plus de formation, de la formation plus intense, de la formation pour tous les genres d’incidents […] et le problème est que nous ne pouvons pas nous asseoir et faire cette formation, et nous ne pouvons pas nous remettre à niveau sur ci, ça et d’autres choses. Pourquoi? Parce que quelqu’un est toujours sorti de la caserne pour faire les autres tâches. (P10)
Le participant 6 a fait état d’une appréhension accrue que de tels incidents surviennent, car il y a actuellement une augmentation exponentielle de la quantité de carburant et du nombre de passagers :
Lorsqu’on répond à un incident, on est probablement les seuls à être confrontés à un grand nombre de victimes. Et c’est une grande différence avec la lutte contre les incendies de bâtiments, dans le sens où, vous savez, nous, quand on se rend sur les lieux d’un incident, on peut s’attendre à un grand nombre de victimes. […] Lorsqu’on doit intervenir ici, on est dans une certaine mesure laissé à nous-mêmes, donc au fond, il y a une décision qu’on prend, quand on parle de stress et tout ça, la décision que chacun de nous prend sur les lieux de cet incident, va certainement être… déterminer une issue définitive, donc c’est stressant. […] Nous avons parlé de la façon dont les choses ont changé, en ce qui concerne l’aspect médical de tout ça et… Je me souviens, il y a trente ans, un aéronef […] transportait à peu près 97 personnes, une quantité X de carburant. Aujourd’hui, nous avons des avions – et nos camions et notre méthode d’intervention n’ont pas changé – avec trois fois plus de passagers, trois fois plus de carburant. Pourtant, on utilise le même équipement, on a le même nombre d’employés qu’il y a trente ans. (P6)
Dans cet extrait, le participant 6 exprime bien le sentiment de redouter le pire lors d’une réponse à un incident, ce qui est exacerbé par le fait qu’il faut parfois le faire seul. En raison de l’évolution des activités aéroportuaires et de l’imprévisibilité de chaque appel, les pompiers vivent dans la crainte permanente de ce qu’ils pourraient devoir affronter et de comment ils pourront se débrouiller avec des ressources limitées. Dans le même ordre d’idée, les participants ont discuté de la menace spécifique que posent les « maladies transmissibles » (P4), puisqu’ils sont souvent « le premier point de contact » (P3) avec des passagers de partout dans le monde. De toute évidence, la nature imprévisible de la lourde charge de travail est un facteur de stress important pour les pompiers d’aéroport, facteur aggravé par les ressources limitées.
En outre, les pompiers semblent regretter l’absence de possibilités de formation : par exemple, le participant 6 a mentionné que les conférences et les ateliers étaient « chose du passé pour [eux] », que l’équipement n’avait pas été mis à niveau depuis les années 1980 et que la technologie était absente. Le thème abordé dans les groupes de discussion de l’aéroport laisse entendre que, pour chaque facteur de stress opérationnel, comme la réponse aux appels médicaux d’urgence, il existe plusieurs facteurs de stress organisationnels, notamment le manque de ressources humaines et matérielles, les conflits avec les collègues et la direction de l’aéroport et le sentiment d’être dévalorisé en tant qu’employé, que les participants ne subiraient peut-être pas dans un service d’incendie professionnel typique desservant une municipalité.
Sources de soutien formel
Dans le cadre des groupes de discussion, les pompiers d’aéroport ont été interrogés sur leur expérience d’utilisation du soutien formel offert par leur employeur. Dans l’ensemble, la réponse s’est révélée neutre ou négative. Plusieurs participants ont laissé entendre que le programme d’aide aux employés, qui couvre seulement une partie du coût des soins de santé mentale, offre aux pompiers d’aéroport une aide insuffisante et ne tient pas compte des traumatismes.
Le problème avec le programme cependant, certaines personnes l’ont utilisé et ont dit que ce n’était pas suffisant. Elles ont fait les cinq ou six séances […] et elles en avaient besoin de plus et elles ont dû les payer de leur poche. Ça posait un certain problème. (P1)
Le participant 1 fait référence aux fonds limités alloués par l’employeur dans le cadre du programme d’aide aux employés pour le soutien psychologique, qui consiste habituellement en environ six séances de thérapie. Étant donné que de manière générale les clients ayant un degré de stress élevé ont besoin d’un plus grand nombre de séances pour présenter une amélioration significative sur le plan clinique que ceux dont le degré de stress est faible, les pompiers ont fort probablement besoin de plus de six séances pour présenter une amélioration significativeNote de bas de page 24Note de bas de page 25. Les participants estiment également que le programme d’aide aux employés est trop structuré et ne permet pas aux pompiers de demander spontanément de l’aide :
Vous savez, le programme d’aide aux employés et tout ça, c’est une ressource qu’on peut utiliser, mais quand on est classé en fonction d’un rendez-vous auquel on doit se présenter à un certain moment puis on y va et … après une heure pile … c’est comme, ces affaires-là ne prennent pas juste une heure! Vous comprenez ce que je veux dire? Puis allez-vous-en jusqu’à la semaine prochaine! (P7)
Ce participant attire l’attention sur le fait que les séances sont limitées autant sur le plan de la durée de chaque séance que du nombre total de séances, ce qui a une incidence négative sur le rétablissement. Dans les deux groupes de discussion, l’attitude générale à l’égard du programme d’aide aux employés était que certains pompiers en ont tiré des bienfaits, mais d’autres non. Les participants ont néanmoins l’impression que le service s’est amélioré et que c’est mieux que rien, mais ils soutiennent que ce programme est insuffisant pour répondre à leurs besoins complexes. Si l’on se fie à leurs expériences, les pompiers d’aéroport ont besoin d’une approche de soutien thérapeutique mieux adaptée à leur réalité, c’est-à-dire une approche qui leur permet de demander des soins lorsqu’ils pensent en avoir besoin, des soins prodigués d’une manière simple et accessible, et par un prestataire qu’ils perçoivent comme fiable.
Sources de soutien informel ou par les pairs
Pour composer avec les commentaires négatifs formulés par les employés d’autres services de l’aéroport, les pompiers se tournent vers leurs pairs pour obtenir du soutien informel.
Ils savent que nous sommes un groupe très uni. Et c’est une chose que les gens d’autres services ont mentionnée, ils disent « Mon Dieu, chaque fois que je viens ici, vous vous entendez tous tellement bien. » Mais si vous venez certains jours, ce n’est pas comme ça, parce que nous avons des moments où nous avons des prises de bec et, genre, on fait juste s’obstiner. Mais au service d’incendie, il est entendu qu’on doit avoir l’assurance de savoir que si l’alarme sonne, Jeff et moi pourrions être en train de nous chamailler, être en désaccord sur quelque chose – ce qui arrive parfois. Mais si cette alarme sonne, quand nous y allons, je sais que je peux compter sur lui et qu’il peut compter sur moi. Et il faut que ce soit comme ça, n’est-ce pas? (P3)
Ce pompier révèle qu’il existe une sorte de solidarité entre collègues, l’idée que, peu importent les facteurs de stress subis au travail, qu’ils soient de nature organisationnelle ou que ce soit des incidents inhérents au travail, les pompiers peuvent se fiers les uns aux autres. Les participants des deux groupes de discussion ont parlé d’une immense confiance en leur système de soutien, que nous considérons comme un aspect fondamental du phénomène de la table de cuisine : la proximité qui se manifeste autour de la table de cuisine lorsqu’ils discutent tous ensemble de leur travail et de leur vie personnelle, ainsi que des difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Une autre dimension du soutien informel ou par les pairs est le retour sur l’intervention offert par la direction (en général des séances de verbalisation suivant un incident critique), en général après un incident grave. Ces séances sont associées à une diminution du degré de stress chez les pompiers au cours des semaines cruciales qui suivent un incident potentiellement traumatisant sur le plan psychologiqueNote de bas de page 6. Nos participants ont exprimé des points de vue positifs sur ces séances de verbalisation :
Chacun a une réaction différente à ce genre de choses, mais je pense que les premières heures juste après l’incident ou l’événement sont des moments cruciaux. Donc, si quelqu’un est formé pour gérer les émotions au cours de cette période, c’est la clé. Je trouve donc, personnellement, qu’elles fonctionnent vraiment bien. (P4)
Le participant 4 souligne ici les bienfaits associés à la présence de soutien immédiatement après un incident critique, en particulier de la part d’une personne qui ne fait pas partie de la direction – un pair – et qui connaît bien les traumatismes psychologiques et les émotions qui y sont associées. Le soutien est fourni par des pairs-conseillers expérimentés et d’autres pompiers, ce qui, comme un autre pompier l’explique, est un moyen utile de faire le pont entre un incident et une séance de traitement clinique formelle :
Dans l’intervalle entre l’incident et le moment où le programme d’aide aux employés prend le relais, car il faut téléphoner au programme et, si c’est un samedi matin, il faut laisser un message et ils rappelleront dans un délai de X heures, il y a un trou. Nous demandons donc à ces personnes d’organiser une réunion après certains événements traumatisants. Nous essayons donc de combler immédiatement ce trou si nous avons besoin d’une séance de soutien psychologique après un appel et cela fonctionne vraiment bien aussi. Il y a des pairs-conseillers dans la région, des pompiers formés en entraide par les pairs que nous pouvons également solliciter, en plus de toutes ces séances. (P4)
Pour ce pompier, les séances de verbalisation sont censées être une intervention temporaire et immédiate après un incident, lorsque le soutien psychologique n’est pas encore accessible ou n’est pas jugé vraiment nécessaire. Cependant, tous les pompiers d’aéroport n’ont pas eu l’occasion de découvrir les bienfaits potentiels de ces séances. Par exemple, le participant 1 a déclaré n’en avoir jamais bénéficié. Pour ceux qui ont déjà participé à une séance de verbalisation suivant un incident critique, l’avis général était qu’ils avaient besoin de quelque chose de « plus que la séance de retour sur le quart de travail » (P1). Ainsi :
Quelqu’un vient d’abord ici pour parler, faire une séance de verbalisation, quelque chose au début. Puis, par la suite, selon la façon dont la personne se sent, elle aurait peut-être besoin d’un autre, de quelqu’un d’autre à qui parler. (P3)
Globalement, les témoignages des participants révèlent que les séances de verbalisation suivant un incident critique sont généralement appréciées, car elles visent le bien-être immédiat des pompiers. Toutefois, comme le mentionne la littérature, leurs bienfaits potentiels sont limités et elles devraient être complétées par un traitement prodigué sur une base régulière par un professionnel de la santé mentaleNote de bas de page 9.
Attitudes à l’égard du traitement et souhaits des pompiers d’aéroport
Comme d’autres études de recherche récentes sur la stigmatisation en matière de santé mentale chez les pompiers l’ont fait, nous avons constaté que les attitudes à l’égard des problèmes de santé mentale se sont adoucies et sont devenues plus ouvertes au fil des ansNote de bas de page 16. Cela est illustré par les témoignages de plusieurs pompiers, dont le participant 7, qui a déclaré que « les gens commencent à être plus ouverts au sujet de [la maladie mentale] et ne sont plus gênés à ce sujet ». Cependant, il existe encore un certain degré de stigmatisation pour les pompiers qui demandent de l’aide psychologique, en lien avec la perception qu’ont certains collègues de ceux qui demandent effectivement des soins.
J’ai évidemment vu au fil des ans, voyez-vous, nous sommes sept ou huit aujourd’hui, et quelqu’un dit : « J’ai besoin d’aide », et c’est évident que quelqu’un d’autre dans ces anciens groupes a dit […] « Endure ». On entend souvent des choses comme, « Arrête de faire la mauviette […] » (P6)
Ce que le participant 6 décrit ici est la sempiternelle histoire de la personne qui est ignorée et ridiculisée lorsqu’elle parle d’un problème de santé mentale au travail. De telles attitudes renforcent à l’interne le stéréotype selon lequel les pompiers doivent être forts, stoïques et capables de composer avec n’importe quel événement potentiellement traumatisant sur le plan psychologique. Lorsque nous avons demandé aux pompiers quel serait le meilleur endroit pour une clinique de soins de santé mentale, beaucoup ont répondu « hors site », indiquant clairement un besoin de séparer le traitement du travail, ce qui confirme la présence de stigmatisation. Un participant a expliqué la raison pour laquelle la clinique devrait être hors site :
Je pense que si vous allez au bureau quelque part et que le psy est présent aujourd’hui et que quelqu’un y va pour une heure ou deux, et la semaine d’après, il est là encore pendant une heure, les gens […] vous comprenez? (P2)
Le participant 2 fait allusion ici à la stigmatisation par les collègues qui jugent les pompiers qui ont recours à des services de santé mentale au sein du service d’incendie. Dans les groupes de discussion, les participants ont parlé de leur réticence à se procurer l’information sur les ressources offerte dans les aires communes, par exemple un dépliant du programme d’aide aux employés affiché dans la caserne, par crainte que des collègues les voient recueillir cette information. Ce sentiment de honte et le besoin de confidentialité confirment l’impression de stigmatisation des problèmes de santé mentale chez les pompiers, malgré leur solide réseau de soutien informel par les pairs. Soulignons toutefois que cette stigmatisation perçue est peut-être injustifiée, car de nombreux répondants ont eu de bons mots pour les professionnels de la santé mentale avec lesquels ils ont parlé, certains répondants exprimant une attitude positive à l’égard du traitement : « En cas d’incident majeur ici, je pense que nous serions très contents d’y aller et de pouvoir rencontrer quelqu’un. » (P6)
À l’inverse, le participant 9 a indiqué qu’il avait « honte » d’avoir reçu du soutien psychologique il y a plusieurs années. La stigmatisation perçue induisant la stigmatisation internalisée, il est possible que certains pompiers cultivent une attitude négative personnelle envers le traitement en raison de ce qu’ils supposent que les autres autour d’eux penserontNote de bas de page 26Note de bas de page 27.
Lorsque nous avons demandé aux pompiers comment la stigmatisation du recours aux services pouvait être éliminée, un pompier a répondu : « On n’éliminera jamais la stigmatisation. » (P2) Preuve de la diversité des réponses, un autre répondant a répondu :
Juste d’en parler. Vous savez, autour de la table au dîner. […] Genre, c’est correct de se sentir triste parfois, c’est correct de se sentir anxieux et angoissé, et ce n’est pas – je répète toujours à mes collègues, vous savez, c’est correct […] si quelqu’un se sent suffisamment à l’aise pour dire, « c’est comme ça que je me sens ». Ou « c’est vrai que je me sens un peu angoissé », ou bien « je me sens vraiment déprimé certains jours que je ne veux pas vraiment venir au travail ou que je n’ai pas l’impression de pouvoir être fonctionnel au travail ». C’est correct. S’ils sentent qu’ils ont besoin de parler. » (P3)
Le système de soutien autour de la table de cuisine peut réduire la stigmatisation en permettant de normaliser les discussions sur la santé mentale et de commencer à lever les obstacles au traitement, comme la crainte fréquemment évoquée d’être mis en congé pour s’être confié à des professionnels de la santé mentale. Plusieurs participants ont fait état de leur hésitation à demander du soutien formel et à parler de leurs problèmes de santé mentale avec des professionnels, car ils craignent d’être mis en congé d’invalidité ou de maladie, de perdre leur pension, d’être congédiés ou d’être exclus des possibilités de promotion. À titre d’exemple, le participant 2 a déclaré :
En fait, il y a la crainte que ça puisse ouvrir une boîte de Pandore, si quelqu’un est correct sur le plan physique mais que par ce processus ils découvrent qu’il n’est pas correct, qu’est-ce que ça veut dire? Il doit partir, se trouver un autre emploi? Il est mis en congé d’invalidité ou de maladie? Donc, ce que je dis, c’est de faire attention à ce que vous souhaitez accomplir avec ça.
Lorsqu’on lui a demandé si selon lui un dépistage ou un examen psychologique serait utile pour la détection rapide de problèmes de santé mentale, le participant 2 a continué à manifester son hésitation à participer à un dépistage. Les soins de santé mentale, qui devraient être une source de soutien devant leurs facteurs de stress, semblent plutôt perpétuer le stress organisationnel lié à la sécurité d’emploi. Il y a aussi la crainte que la demande de soins thérapeutiques puisse nuire à la stabilité financière :
Si le vrai diagnostic est donné et que quelqu’un est à l’étape où, disons, il a peut-être besoin de faire des changements dans sa vie – il y a plusieurs années, pour le personnel en uniforme, il y avait des options de retraite anticipée. C’est peut-être toujours le cas dans les forces armées. Mais aujourd’hui, dans le monde, tout s’éloigne des retraites à prestations déterminées, la sécurité de la famille est mise en péril, donc la réticence à consulter un médecin est toujours là. Genre, est-ce que j’y vais et je raconte tout? Ouf, et prendre la chance de perdre mes revenus pour ma famille? (P9)
Les paroles du participant 9 ont suscité une discussion approfondie sur la façon dont les professionnels de la santé mentale devraient traiter les membres du personnel de la sécurité publique. Préconiser de mettre davantage l’accent sur la façon dont les clients peuvent gérer leur stress et vivre une vie saine tout en continuant de faire leur travail. Ici, le participant 6 a mentionné :
Un psychiatre m’a alors dit que je ne devrais plus jamais être confronté à un tel traumatisme. Alors, qu’allaient-ils faire avec moi? Me forcer à prendre ma retraite? […] Il n’y a pas de différence maintenant, nous avons un incident là maintenant faisant un grand nombre de victimes, je sais que ça affectera différemment les différentes personnes ici présentes. Alors, que fait-on avec ces personnes? Doit-on, est-ce qu’ils reviennent au travail comme pompiers, comme ambulanciers paramédicaux?
Bien que de nombreux répondants aient fait état d’expériences positives avec certains professionnels de la santé mentale, des préoccupations légitimes ont tout de même été exprimées au sujet du traitement. Plus précisément, la confidentialité est nécessaire et exigée par les participants, compte tenu de leurs préoccupations en matière de confiance ou, plus précisément, de rupture du lien de confiance.
Lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils voulaient voir en tant que clients ayant recours personnellement à des services de santé mentale, les participants ont vivement espéré être vus par des professionnels qui accordent de l’importance à la confidentialité et à la continuité des soins. Plusieurs répondants ont indiqué que le modèle à six séances, correspondant grosso modo au programme d’aide aux employés, ne suffit pas.
On doit avoir confiance qu’il n’y a rien qui ne puisse être dit. Si c’est la raison pour laquelle on se sent comme ça, ou pourquoi on se sent comme ça, mais ce n’est pas la même personne à qui on peut parler demain ou la semaine prochaine lorsqu’on appelle, que cette personne est partie. Qu’est-ce qu’on doit faire à ce moment-là? On doit revenir en arrière et recommencer du début […] on a réussi à franchir quelques étapes et oh, il est parti en vacances pendant deux semaines. Il doit donc y avoir quelque chose […] une structure permanente où on peut établir une relation avec un conseiller, un psychologue ou une personne du genre, ou peu importe de quel genre d’équipe il s’agit, et ils vous connaissent. On n’est pas seulement un nom sur une feuille. (P10)
Le participant 10 exprime clairement que les soins continus avec le même fournisseur sont un avantage inestimable et contribuent à favoriser un sentiment de stabilité, de confiance et de soutien. Le même pompier explique également qu’il faut du temps pour s’ouvrir complètement à un fournisseur de traitement, ce qui n’est pas possible lorsque le nombre de séances est limité. Fondamentalement, les relations commencent juste à s’épanouir lorsque le nombre de séances est atteint et il reste beaucoup de questions à résoudre en matière de soutien en santé mentale. Les réponses des participants laissent entendre qu’un professionnel de la santé mentale à plein temps, qui se consacre au traitement des pompiers, serait le bienvenu et devrait être présent régulièrement. Un autre pompier a mentionné qu’« être proactif et être réactif sont deux choses différentes » (P7) et que le soutien psychologique est nécessaire à la fois de manière continuelle et en cas d’urgence, comme lors des incidents faisant un grand nombre de victimes. En ce qui concerne ce dernier scénario, le participant 10 a mentionné qu’une sorte d’équipe mobile d’assistance en cas de crise pourrait être bénéfique :
Bon, parlons des incidents faisant un grand nombre de victimes, où nous sommes ici pendant une semaine ou dix jours. Eh bien, il faut que les autorités aéroportuaires mettent en place des réserves pour les contractuels qui viennent ici et s’occupent de nous quand on quitte le lieu de l’incident après dix heures de travail, avant de passer la porte […] peu importe combien de personnes, il pourrait y avoir six, sept pompiers ici une journée donnée faisant des heures supplémentaires, et l’équipe régulière […] après avoir vécu cette situation pendant dix, douze heures, peut rentrer à la maison voir sa famille. Ils devraient être ici avant qu’on quitte les lieux […] pendant cette période de deux semaines après l’incident jusqu’à ce que ce soit fini et qu’ils nous demandent : « Comment vous en sortez-vous après tout ça? »
Dans ce témoignage, le participant 10 souhaite une équipe d’intervention mobile sur place pour s’occuper des pompiers après un incident ayant fait un grand nombre de victimes. Ce participant croit qu’un soutien structuré et clinique immédiat, au-delà des séances de verbalisation suivant un incident critique générales, est nécessaire avant que les pompiers d’aéroport retournent à la maison et dans leur famille. Cette pratique pourrait aider à réduire le risque d’épuisement professionnel et d’isolement potentiel par rapport à la famille.
Dans les deux groupes, le désir de traitement le plus souvent mentionné a sans doute été l’accessibilité à des soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les pompiers ont parlé de la façon dont ils veulent pouvoir communiquer avec un fournisseur de soins, sur une base volontaire, chaque fois qu’ils sentent le besoin de parler.
Je sais qu’il y a toutes ces lignes d’écoute en cas de crise et de prévention du suicide et des trucs comme ça. Vous savez, juste regarder la situation dans cette perspective, vous savez, l’accès 24 heures sur 24. Que quelqu’un pourrait se lever à deux heures du matin et ne pas être capable de dormir ou quelque chose le dérange, juste de pouvoir prendre le téléphone et appeler la ligne d’écoute juste pour que quelqu’un l’aide à passer à travers ce moment, vous comprenez? En fait, jusqu’à ce qu’on puisse le diriger vers une façon d’obtenir de l’aide. (P3)
Donner à cette population un accès au soutien en santé mentale en fonction des besoins permettrait non seulement de répondre aux préoccupations immédiates des pompiers, comme l’incapacité de dormir dans le cas du participant 3, mais également de donner aux pompiers plus d’autonomie dans leur manière de faire appel à des soins thérapeutiques. En ce qui a trait à l’accessibilité, on a interrogé les pompiers au sujet de l’accès en ligne à une thérapie et à d’autres ressources en santé mentale. Les réponses des participants étaient partagées, certains pompiers exprimant leur intérêt à pouvoir parler à quelqu’un dans le confort de leur maison. D’autres, cependant, croient que l’option en ligne ne convient pas à tout le monde, en particulier les pompiers plus âgés, moins technophiles. En fin de compte, l’avis général était qu’il devrait y avoir un mélange de soutien en ligne et en personne :
Dans certaines régions éloignées, ils n’ont pas les ressources comme dans une grande ville, comme on aurait probablement ici à portée de main. Donc, avoir quelque chose dans toute la province que les gens pourraient utiliser, sans avoir à se trouver physiquement à plus de cinq, dix ou quinze minutes de l’établissement. Mais avoir cette option-là aussi, il pourrait s’agir d’un service avec ou sans rendez-vous, d’une ligne d’écoute, d’une vidéoconférence, juste quelque chose pour nous aider à passer à travers. (P3)
Par ailleurs, la plupart des participants souhaitent avoir une clinique abordable hors site qui soit explicitement destinée au traitement de tout type de personnel de la sécurité publique. La plupart ont convenu qu’il y avait des facteurs de stress communs entre les pompiers, les policiers, les ambulanciers paramédicaux, etc. Le recours à du personnel traitant ayant une compréhension de ces facteurs de stress et de l’environnement dans lequel évoluent les premiers intervenants a également été fréquemment demandé. Les participants ont suggéré que les membres du personnel de la sécurité publique pourraient avoir leur propre espace pour discuter d’une gamme de facteurs de stress, que ce soit lié aux incidents opérationnels ou à la vie de famille, dans une clinique spécialisée. Le participant 3 a décrit cette clinique fictive comme une « zone de confort où les gens peuvent s’ouvrir et parler de leur situation et obtenir l’aide, l’orientation, dont ils ont besoin. Dès le début, au lieu qu’ils soient mis en arrêt de travail, vous comprenez? » Pour justifier davantage la nécessité d’une telle clinique, un pompier a expliqué : « Nous sommes uniques, nous sommes différents, et, oui, il devrait y avoir une certaine spécialité pour les incidents faisant un grand nombre de victimes. » (P6) Dans l’ensemble, les pompiers d’aéroport ont indiqué qu’ils avaient besoin d’un soutien spécialisé en santé mentale qui tienne compte des facteurs de stress opérationnels et organisationnels qui leur sont propres.
Analyse
Nous avons voulu étudier les expériences individuelles et collectives des pompiers d’aéroport en ce qui a trait aux facteurs de stress organisationnels, au soutien par les pairs et aux attitudes à l’égard des soins de santé mentale. Comme nous l’avons découvert, non seulement ces pompiers ont la responsabilité d’intervenir en cas d’événements imprévisibles, graves et potentiellement traumatisants sur le plan psychologique de grande ampleur (ce qui en soi est un facteur de stress qui pèse lourdement sur eux), mais leur charge de travail quotidienne comprend de plus une abondance de tâches supplémentaires telles que l’interaction avec des passagers vulnérables et indisciplinés, la coordination des débarquements d’urgence et l’élimination des animaux sauvages sur les pistes d’atterrissage, cette dernière tâche ayant un caractère particulièrement hors du commun. Il convient de noter que, même si les participants ont plaisanté sur leur rôle de « pompiers armés », l’abattage d’oiseaux et d’animaux est un aspect qu’ils ont mentionné à plusieurs reprises et qui devrait être considéré comme potentiellement traumatisant sur le plan psychologique.
De plus, nous avons constaté que les facteurs de stress organisationnels se manifestent différemment chez les pompiers d’aéroport et chez les pompiers municipaux. En effet, les participants ont signalé des conflits exacerbés avec les employés travaillant dans d’autres zones de l’aéroport, l’un des points de discorde étant la perception que les pompiers sont payés pour dormir pendant leur quart de travail, ce que ces derniers ont ardemment nié. Les commentaires négatifs persistants formulés par les employés de l’aéroport ont un effet important sur les pompiers et pourraient même être considérés comme une forme de « persécution collective » (c’est-à-dire le harcèlement d’un collègue par d’autres membres d’une organisation, entraînant la dévalorisation et le dénigrement de la victime)Note de bas de page 28. Les sentiments de dévalorisation et de dénigrement en tant qu’employés, ainsi que d’autres facteurs de stress organisationnels comme le manque de ressources humaines et matérielles, ont souvent été mentionnés par les participants et semblent occulter les facteurs de stress opérationnels.
Conformément aux résultats d’études antérieures, nous avons constaté que le soutien par les pairs est extrêmement bénéfique pour les pompiers qui subissent du stress organisationnelNote de bas de page 4Note de bas de page 16. Plus particulièrement, les pompiers d’aéroport se soutiennent les uns les autres pour régler les conflits entre eux et avec les autres employés de l’aéroport. Les pompiers tirent grandement profit des pairs-conseillers qui animent les séances de verbalisation suivant un incident critique, en raison de leurs expériences communes et de la compréhension par ces derniers de la culture des pompiers. Toutefois, les participants ont convenu que le counseling par les pairs devrait être utilisé pour faire le pont entre les incidents critiques et le traitement clinique, mais non en remplacement du traitement clinique, parce que les deux interventions sont utiles et nécessaires.
Finalement, nous avons constaté que les pompiers d’aéroport souhaitaient avoir des soins formels de santé mentale, mais que plusieurs obstacles demeurent : la stigmatisation, la crainte d’être mis en congé et la crainte d’une violation de la confidentialité. Les pompiers d’aéroport ont exprimé leur intérêt pour une clinique spécialisée en santé mentale pour le personnel de la sécurité publique qui soit abordable, hors site, accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et composée de professionnels qui comprennent les facteurs de stress associés à cette profession. Bien que les facteurs de stress organisationnels aient de plus grandes répercussions que les facteurs de stress professionnels et qu’il subsiste des obstacles au traitement, il est évident que le soutien par les pairs est un mécanisme d’adaptation sain pour les pompiers, qui facilite la demande de soins thérapeutiques en éliminant certains de ces obstacles. En particulier, le phénomène de la table de cuisine est un facteur de protection contre les facteurs de stress opérationnels et organisationnels, qui contribue également à atténuer la stigmatisation associée à la santé mentale, car les pompiers partagent leurs réflexions, leurs émotions, leurs expériences et leurs sentiments personnels dans un cadre de groupe qui est régi par la sécurité et la confiance. Toutefois, on manque encore de connaissances sur la façon dont le stress et la demande de soins en santé mentale sont interreliés – un sujet pour de futures recherches.
Points forts et limites
À notre connaissance, il s’agit de la première étude qualitative portant sur le bien-être des pompiers d’aéroport, un sous-groupe spécifique de pompiers qui doivent intervenir pour une vaste gamme d’incidents aéronautiques, des atterrissages d’urgence aux accidents faisant un grand nombre de victimes. Notre étude a été limitée par la taille de l’échantillon, ce pourquoi nous déconseillons toute généralisation de nos conclusions, comme c’est la norme pour toutes les études de recherche qualitative. Par ailleurs, nous n’avons pas pu faire d’analyse comparative entre les sexes étant donné le petit nombre de femmes (une seule) dans l’étude. Par conséquent, la réalisation d’une étude avec un plus grand échantillon stratifié est nécessaire. Toutes les données ayant été recueillies dans le même aéroport international du Canada atlantique, des études supplémentaires portant sur davantage d’aéroports dans un plus grand nombre de territoires contribueraient à confirmer nos résultats et à formuler des conclusions plus solides. De plus, étant donné que la stigmatisation a été relevée comme un obstacle au soutien formel des participants, il existe une limitation potentielle au recours aux groupes de discussion. Les entrevues individuelles et semi-structurées avec les pompiers d’aéroport pourraient constituer une direction de recherche future intéressante, pour déterminer si les participants se sentent plus à l’aise de discuter de soins de santé mentale sans la présence de leurs pairs.
Conclusion
Grâce à cette recherche, nous enrichissons la littérature disponible sur les facteurs de stress professionnels subis par le personnel de la sécurité publique. Notre étude qualitative comble une lacune dans la recherche sur les pompiers d’aéroport, dont les facteurs de stress organisationnels ont été jugés sans équivalent et exigent du soutien spécialisé. Bien que le soutien par les pairs demeure un mécanisme d’adaptation solide pour les pompiers d’aéroport, nos résultats révèlent que ceux-ci souhaitent obtenir également des soins formels de santé mentale, malgré la présence de plusieurs obstacles, principalement la stigmatisation. Nous proposons également que les obstacles au traitement, comme la stigmatisation, puissent être atténués par le phénomène de la table de cuisine. Les travaux futurs devraient porter sur un plus grand nombre d’aéroports canadiens pour permettre de mieux comprendre la façon dont les facteurs de stress organisationnels varient (ou non) entre les aéroports et l’interrelation entre le stress et les comportements de demande de soins thérapeutiques.
Remerciements
Les auteures tiennent à remercier les participants pour avoir pris le temps de discuter de leurs expériences.
Financement
Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).
Conflits d’intérêts
Les auteures déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Contributions des auteures et avis
BB : analyse formelle, organisation des données, rédaction du manuscrit initial et conception des tableaux. RR, HC : supervision, conception, méthodologie, enquête, relectures et révisions du manuscrit, administration du projet et obtention du financement.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteures; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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