Recherche qualitative originale – Application du cadre Theoretical Domains Framework pour cerner les préférences des policiers, des pompiers et des ambulanciers en matière d’accès aux soins de santé mentale dans une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel pour les premiers répondants : une étude qualitative

Revue PSPMC

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Valerie Testa, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Alexandria Bennett, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 2; Jeffrey Jutai, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 3; Zachary Cantor, B.A.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 4; Peter Burke, M.D.Note de rattachement des auteurs 5; James McMahon, M.D.Note de rattachement des auteurs 5; R. Nicholas Carleton, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 6Note de rattachement des auteurs 7; Ian Colman, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 8; Deniz Fikretoglu, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 9; Alexandra Heber, M.D.Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 10; Shannon Leduc, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 4Note de rattachement des auteurs 8; Marnin J. Heisel, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 11Note de rattachement des auteurs 12Note de rattachement des auteurs 13; Kednapa Thavorn, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 8Note de rattachement des auteurs 14; Daniel J. Corsi, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 8Note de rattachement des auteurs 15Note de rattachement des auteurs 16; Simon Hatcher, M.D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 8

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.02f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Valerie Testa, Agence de la santé publique du Canada, 785, avenue Carling, Ottawa (Ontario)  K1A 0K9; tél. : (613) 859-6927; courriel : valerie.testa@phac-aspc.gc.ca

Citation proposée

Testa V, Bennett A, Jutai J, Cantor Z, Burke P, McMahon J, Carleton RN, Colman I, Fikretoglu D, Heber A, Leduc S, Heisel MJ, Thavorn K, Corsi DJ, Hatcher S. Application du cadre Theoretical Domains Framework pour cerner les préférences des policiers, des pompiers et des ambulanciers en matière d’accès aux soins de santé mentale dans une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel pour les premiers répondants : une étude qualitative. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(10/11):481-502. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.02f

Résumé

Introduction. Les premiers répondants comme les autres membres du personnel de sécurité publique (travailleurs correctionnels, pompiers, ambulanciers paramédicaux, policiers, agents des communications en sécurité publique, etc.) sont souvent exposés à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique. Ces expositions sont susceptibles de contribuer à des problèmes de santé mentale et à un besoin accru en soins de santé mentale. Pourtant, aucune étude qualitative structurée et fondée théoriquement sur les obstacles aux comportements de recherche d’aide et sur les facteurs facilitant ces comportements n’a encore été entreprise auprès de cette population. Cette étude repose sur le cadre Theoretical Domains Framework (TDF) pour cerner et mieux comprendre les principaux obstacles et facteurs facilitants relatifs à la recherche d’aide et à l’accès aux soins de santé mentale dans le cadre d’une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel pour premiers répondants.

Méthodologie. Nous avons mené des entretiens semi-structurés en personne avec 24 premiers répondants (11 pompiers, 5 ambulanciers paramédicaux et 8 policiers), recrutés à l’aide d’un échantillonnage raisonné et par boule de neige. Les entretiens ont été analysés à l’aide d’une analyse de contenu déductive. Le cadre TDF a guidé la conception de l’étude, le contenu des entretiens, la collecte et l’analyse des données.

Résultats. Les obstacles les plus signalés ont été des préoccupations concernant la confidentialité, le manque de confiance, le manque de connaissances des cliniciens sur la culture professionnelle, le manque de transparence quant à l’accès aux services et la stigmatisation au sein des organismes de premiers répondants. Les principaux thèmes influençant la recherche d’aide ont pu être classés au sein de 6 des 14 domaines du cadre TDF : le contexte environnemental et les ressources; les connaissances; les influences sociales; le rôle social/professionnel et l’identité; les émotions et enfin les croyances à l’égard des conséquences.

Conclusion. Nous avons pu cerner les principales mesures utilisables pour adapter les interventions afin d’encourager la participation à une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel pour les premiers répondants : la transparence en matière de confidentialité, la présence de politiques visant à accroître les connaissances sur la culture professionnelle par l’ensemble du personnel de la clinique, des descriptions claires des modalités d’accès aux soins, la participation systématique des familles et la lutte contre la stigmatisation.

Mots‑clés : cadre Theoretical Domains Framework, changement de comportement, science de la mise en œuvre, personnel de la sécurité publique, premiers répondants, santé mentale, analyse de contenu

Points saillants

  • À notre connaissance, il s’agit de la première étude qualitative structurée et fondée théoriquement utilisant un cadre de la science de la mise en œuvre pour analyser systématiquement les obstacles et les facteurs facilitants rencontrés par les premiers répondants ainsi que d’autres membres du personnel de la sécurité publique lorsqu’ils tentent d’accéder à un service de santé mentale.
  • Les préoccupations concernant les connaissances des cliniciens sur le milieu professionnel constituent un obstacle important.
  • Le fait de répondre à des appels concernant des personnes présentant des troubles de santé mentale semble avoir une incidence sur l’attitude des premiers répondants et accroître la stigmatisation à l’égard des troubles psychologiques.
  • Nos résultats sont susceptibles de contribuer à la mise au point d’un modèle général de soins applicable à d’autres premiers répondants et fournisseurs de services de la sécurité publique à l’échelle du Canada.

Introduction

Les premiers répondants comme d’autres membres du personnel de la sécurité publique (travailleurs correctionnels, pompiers, ambulanciers paramédicaux, policiers, agents des communications en sécurité publique, etc.)Note de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3 sont fréquemment exposés à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique, et ce, à des taux bien supérieurs à ceux de la population généraleNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8. Cela les expose à un risque accru de troubles de santé mentale, que ce soit des troubles d’anxiété et de l’humeur, l’abus de substances ou le trouble de stress post-traumatique (TSPT)Note de bas de page 4Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12. Bien que les estimations de prévalence des problèmes de santé mentale, des idées suicidaires (de 12,5 % à 14,1 %) et des comportements suicidaires (de 4,1 % à 5,1 %) varient d’un membre du personnel de sécurité publique à un autre, elles dépassent considérablement le taux de prévalence de 10,1 % correspondant à un diagnostic quelconque de trouble de santé mentale au sein de la population généraleNote de bas de page 4Note de bas de page 11Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. Au sein d’un large échantillon canadien de membres du personnel de sécurité publique 23,2 % ont obtenu un résultat positif au dépistage de TSPTNote de bas de page 11. Près de la moitié ont également obtenu un résultat positif au dépistage de symptômes d’un ou de plusieurs troubles de santé mentaleNote de bas de page 11.

De nombreuses personnes susceptibles de bénéficier de soins de santé mentale ne s’en prévalent pas ou n’y ont pas accèsNote de bas de page 18Note de bas de page 19. Une étude de l’Organisation mondiale de la santé a montré que l’absence de perception des besoins en soins et les obstacles comportementaux, principalement liés à la stigmatisation, sont les raisons les plus courantes pour ne pas obtenir d’aideNote de bas de page 20. Un examen systématique des obstacles aux soins et de la stigmatisation liée à la santé mentale chez les premiers répondants (soit un sous-ensemble de la catégorie élargie des membres du personnel de sécurité publique composée de pompiers, d’ambulanciers paramédicaux, de sauveteurs et de policiersNote de bas de page 1) a révélé que les préoccupations concernant la confidentialité et d’éventuelles répercussions négatives sur leur carrière étaient les obstacles liés à la stigmatisation les plus souvent signalésNote de bas de page 21. Parmi les autres obstacles, citons des problèmes d’horaire et une méconnaissance des points d’accès aux soins.

Une étude menée auprès de premiers répondants canadiens et d’autres membres du personnel de sécurité publique a permis une analyse par thème des réponses optionnelles et ouvertes dans le cadre d’un sondage en ligne plus exhaustif sur les troubles de santé mentaleNote de bas de page 22. L’un des thèmes majeurs était que les membres du personnel de sécurité publique ayant demandé des soins étaient perçus comme « abusant du système », ce qui constituait un obstacle au traitement. Une étude sur la perception des agents de police canadiens à l’égard de la santé mentale a été menée au moyen d’entretiens semi-structurés avec 116 participants et a inclus un sondage d’auto-évaluation portant sur la stigmatisation, la masculinité et la culture organisationnelle dans les services de policeNote de bas de page 23. Cette étude a révélé que la plupart des répondants ont déclaré que la stigmatisation existait dans leur milieu de travail et que le fait de faire état d’une maladie mentale était associé à un « risque élevé ».

Une étude qualitative menée auprès de 32 pompiers et ambulanciers paramédicaux de l’Arkansas a évalué les perceptions des problèmes de santé mentale et le recours aux services de santé mentaleNote de bas de page 24. Les participants ont été sélectionnés au moyen d’un échantillonnage de proximité et n’avaient pas eu accès à des services de santé mentale. Cette étude a révélé que les obstacles à l’accès aux soins de santé mentale étaient le sentiment, chez les personnes interrogées, de ne pas pouvoir montrer de faiblesse, des préoccupations concernant la confidentialité, des expériences négatives avec des thérapeutes, un manque d’accès et le besoin de protéger leur famille des traumatismes liés à leur profession par crainte de leur imposer un fardeau. Les facteurs qui facilitaient l’accès aux soins étaient le sentiment de ne pas être seul, des expériences positives avec des thérapeutes, les recommandations d’autres personnes et enfin le fait que la famille, les amis ou les administrateurs avaient remarqué une augmentation de la gravité des problèmes.

Dans une autre étude qualitative menée auprès de 48 policiers américains, dont la moitié avaient eu accès à des services de santé mentale, on a cherché à savoir comment et pourquoi ils avaient sollicité de l’aideNote de bas de page 25. L’étude portait principalement sur les stratégies organisationnelles visant à encourager les soins de santé mentale. Les principales conclusions ont mentionné la prévention des effets négatifs, l’élimination de la stigmatisation au travail et l’élaboration de traitements considérés comme pertinents et fiables.

Bien que les études citées ci-dessus aient permis de commencer à cerner les obstacles et les facteurs facilitants chez les premiers répondants, peu d’études en général ont porté sur les préférences en matière de recherche d’aide et d’accès aux soins de santé mentale. Ces études sont également quelque peu limitées dans la mesure où elles n’ont pas été systématiques et n’ont pas utilisé de cadres théoriques intégrés. À notre connaissance, aucune étude n’a utilisé un cadre de la science de la mise en œuvre pour faciliter la création et le déploiement de services de santé mentale dans le domaine de la santé au travail ou de services de santé mentale destinés aux premiers répondants. Ces études n’ont pas non plus utilisé d’approche théorique et systématique pour éliminer les obstacles aux soins. Nous avons donc mené notre étude afin de définir la meilleure façon de fournir des soins de santé mentale acceptables et accessibles aux premiers répondants. Plus précisément, nous voulions repérer quels facteurs encourageraient les premiers répondants à avoir accès à des soins de santé mentale. Pour répondre à cette question, nous avons utilisé le cadre Theoretical Domains Framework, TDF)Note de bas de page 26 pour l’ensemble de notre recherche afin de vérifier, si une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel de premiers répondants était accessible, quels facteurs seraient susceptibles d’encourager ou de décourager les premiers répondants d’utiliser cette ressource. Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche plus vaste destiné à offrir des services efficaces en santé mentale aux premiers répondants. L’information sur la conception, le perfectionnement et la validation du cadre TDF ont été présentés ailleursNote de bas de page 27Note de bas de page 28.

Le cadre TDF est issu de la synthèse de 33 théories du comportement et du changement de comportementNote de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28, qui traite systématiquement des obstacles fondamentaux aux changements de comportement et des facteurs essentiels qui facilitent ces changementsNote de bas de page 26Note de bas de page 29. Ce cadre puissant a été choisi parce qu’il est apte à cibler un comportement particulier (ici accéder à des soins de santé mentale) tout en tenant compte du cadre dans lequel l’intervention potentielle (ici une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel) sera mise en œuvreNote de bas de page 26Note de bas de page 30. Il peut également générer des cibles théoriques pour les interventions et augmenter la probabilité que les résultats d’une étude soient reproductibles et transférables.

Cette étude repose sur les possibilités d’application des 14 domaines du cadre TDF, qui fournit une structure claire et complète des influences sur le comportement – ces dernières reposant sur les techniques de changement de comportement et sur les théories comportementales – afin de préparer l’implantation de la cliniqueNote de bas de page 26Note de bas de page 27. L’objectif de l’étude était de cerner les principaux obstacles et les principaux facteurs facilitants ayant une incidence sur la recherche d’aide par les premiers répondants et sur leur accès aux soins de santé mentale, afin de soutenir le développement, la mise en œuvre et la viabilité à long terme de la clinique de blessures de stress opérationnel destinée aux premiers répondants.

Méthodologie

Approbation éthique et consentement à participer

L’approbation éthique a été accordée par le Comité d’éthique de la recherche du Réseau des sciences de la santé d’Ottawa à l’Hôpital d’Ottawa (numéro de référence : 20180903-01H). Le consentement éclairé de tous les participants a été obtenu par écrit.

Conception

Cette étude qualitative s’est appuyée sur des entretiens individuels semi-structurés, fondés sur le cadre TDF, avec un échantillonnage de premiers répondants des trois services d’intervention d’urgence de la Ville d’Ottawa (Service des incendies d’Ottawa, Service paramédic d’Ottawa et Service de police d’Ottawa) située en Ontario (Canada).

Participants

Les participants ont été recrutés à Ottawa, une ville d’environ un million d’habitantsNote de bas de page 31 et comptant environ 3 581 premiers répondants municipaux (1 537 pompiers volontaires rémunérés et professionnels, 564 ambulanciers paramédicaux et 1 480 policiers assermentés) au moment de l’étude. Tous les pompiers, ambulanciers paramédicaux et policiers des trois services d’intervention d’urgence de la Ville d’Ottawa étaient admissibles à l’étude. Ceux qui ne travaillaient pas à l’un des services au moment de l’enquête (retraités, personnes en invalidité de longue durée ou jeunes de moins de 18 ans) n’étaient pas admissibles.

Le recrutement des participants et la diffusion de l’information relative à l’étude ont été facilités par la présence du réseau de la communauté des premiers répondants d’Ottawa (en particulier les groupes de soutien par les pairs au sein des trois services d’intervention d’urgence et le First Responder Mental Health Network Collaboration). Pour cette étude, l’équipe de recherche a d’abord communiqué avec les cinq premiers répondants qu’elle connaissait. Ensuite, la technique par boule de neige a été utilisée pour recruter d’autres participants éventuels. Les participants ont été sélectionnés au jugé de façon à obtenir un large éventail d’expériences associées à la recherche d’aide et à l’accès aux soins de santé mentale.

On a demandé aux participants sélectionnés au moyen de l’échantillonnage au jugé de suggérer le nom de premiers répondants de première ligne ayant déjà demandé un traitement pour un trouble de santé mentale ou faisant partie du même groupe de soutien par les pairs. On les a également invités à suggérer le nom de répondants ayant souffert de trouble de santé mentale mais n’ayant pas suivi de traitement. On a également sollicité les points de vue de premiers répondants en désaccord avec la mise en œuvre de la clinique ou ayant des opinions divergentes à l’égard de la clinique. L’objectif était d’élargir l’éventail des expériences et des perceptions potentielles au sein de l’échantillon. Les services participants offraient une compensation pour le temps consacré aux entretiens. Nous avons ajouté des participants relevant de chaque service jusqu’à saturation des données, puis nous avons réalisé trois entretiens supplémentaires auprès de personnes recommandéesNote de bas de page 32Note de bas de page 33.

Guide d’entretien

Le comportement ciblé était d’envisager de se présenter à une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel. Les membres de l’équipe de recherche possèdent une vaste expérience clinique (SH, RNC) et de recherche (VT, RNC, IC, DF, AH, SL, MJH, SH) auprès des populations de premiers répondants. Certains des auteurs avaient déjà travaillé avec des premiers répondants, des militaires et des vétérans (VT, RNC, IC, DF, AH, SL, MJH, ZC, SH), deux des auteurs sont ambulanciers paramédicaux (SL est commandant et ambulancier paramédical en soins avancés et ZC est ambulancier paramédical en soins primaires) et l’un est un vétéran (AH). Le volet de cette étude portant sur les ambulanciers paramédicaux fait partie du mémoire de maîtrise de la première auteure, VT, dont JJ était le principal superviseur. L’équipe a collaboré à la conception d’un guide d’entretien semi-structuréNote de bas de page 34 fondé sur les 14 domaines du cadre TDFNote de bas de page 26Note de bas de page 27. Ce guide d’entretien a été conçu pour évaluer les points de vue des premiers répondants de première ligne, et les questions visaient à susciter la réflexion, à identifier les principales croyances relatives au comportement pour chaque domaine du cadre TDF ainsi qu’à préciser la manière dont chaque domaine avait une influence sur les comportements. Des questions exploratoires ont ensuite été utilisées pour approfondir les données.

Procédure

Les entretiens semi-structurés en personne, menés individuellement de juin à octobre 2019, ont duré entre 36 et 156 minutes (M = 96,59, écart-type = 33). Les entretiens (menés par VT et AB) ont eu lieu aux moments et aux endroits les plus pratiques pour les participants tout en permettant le maintien de la confidentialité. Les enregistrements audio de tous les entretiens ont été transcrits par une entreprise de transcription professionnelle externe et ont été anonymisésNote de bas de page *. Toutes les transcriptions ont ensuite été évaluées par l’enquêteur correspondant (VT, AB) pour vérifier la fidélité des transcriptions. Nous avons utilisé, comme guide pour le rapport de cette recherche qualitative, la liste de contrôle Consolidated Criteria for Reporting Qualitative Research (COREQ)Note de bas de page 35.

Analyses

Tous les entretiens ont été analysés à l’aide du logiciel NVivo 12 ProNote de bas de page 36 et conduits en respectant les recommandations d’analyse de contenuNote de bas de page 37Note de bas de page 38. Aucun autre domaine du cadre TDF n’a été identifié après analyse des transcriptions et le codage indépendant de chaque transcription d’entretien. Nous avons conçu une ligne directrice de codage en incluant les définitions de chaque domaine et les concepts du cadre TDF ainsi que des exemples d’application. Les codeurs (VT, AB, ZC, PB, JM) ont utilisé une approche directionnelle pour l’analyse du contenuNote de bas de page 39 et chaque transcription d’entretien a été codée par deux codeurs fonctionnant de manière indépendante. Chaque énoncé (unité de langue parlée) a été codé dans le ou les domaine(s) pertinent(s) du cadre TDF en fonction de la compréhension par le codeur du cadre et des domaines pertinentsNote de bas de page 40 dans NVivo. Les différences de codage ont été résolues au moyen de discussions. Le codage a été supervisé par SH, qui a agi à titre de réviseur tiers et d’arbitre en cas d’absence de consensus. Les codeurs ont associé les réponses à des croyances précises figurant dans les transcriptions afin de générer les énoncés de croyances. Ces énoncés ont visé à saisir l’essentiel des pensées exprimées par les participantsNote de bas de page 40Note de bas de page 41Note de bas de page 42 et celles-ci ont ensuite été utilisées pour fournir un aperçu du domaine pertinent relevant du cadre TDF ayant une influence sur le comportement.

Les transcriptions ont été analysées séparément pour les policiers, les pompiers et les ambulanciers paramédicaux. L’analyse des données a révélé que la saturation des données a été atteinte avec les 24 entretiens. On a jugé que la saturation thématique a été atteinte lorsqu’aucun nouvel obstacle ou facteur facilitant n’a été produit relativement à la recherche d’aide et à l’accès aux soins de santé mentale, marquant l’absence de nouveaux thèmes, résultats ou problèmesNote de bas de page 43.

Les domaines susceptibles d’expliquer la fréquentation d’une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel ont été déterminés à partir de la fréquence des croyances particulières relevées dans les transcriptions, de la présence de croyances contradictoires révélant une variation de comportement chez les premiers répondants et enfin de signes de fortes croyances ayant une incidence sur le comportementNote de bas de page 26Note de bas de page 40Note de bas de page 42Note de bas de page 44.

Résultats

Participants

Les participants étaient 24 premiers répondants des trois services d’urgence, dont 70 % d’hommes, les autres participants s’étant identifiés comme femme ou comme personne non binaire (tableau 1).

Tableau 1. Caractéristiques sociodémographiques des premiers répondants participant à l’étude sur les facteurs favorisant la recherche d’aide et l’accès aux soins de santé mentale, Ottawa, Canada, 2019
Caractéristiques sociodémographiques N (%)
Genre
Féminin 6 (25,0)
Masculin 17 (70,8)
Personne non binaire 1 (4,2)
Groupe professionnel
Pompier 11 (45,8)
Ambulancier paramédical 5 (20,8)
Policier 8 (33,3)
Âge moyen, en années (écart-type)
Pompier 42,5 (10,9)
Ambulancier paramédical 40,4 (9,8)
Policier 49,5 (7,1)
Total 44,4 (9,9)
Sous-groupe de base
A demandé un traitement pour un trouble de santé mentale 12 (50,0)
Membre du réseau de soutien par les pairs 9 (37,5)
Membre de première ligne (n’appartenant pas au réseau de soutien par les pairs ou n’ayant pas demandé de traitement) 3 (12,5)

La proportion de femmes ayant participé à l’étude concorde avec celle observée chez les premiers intervenants de première ligne des trois services de la ville d’Ottawa. La proportion élevée d’hommes par rapport aux femmes dans ces secteurs diffère selon le type de profession et le niveau d’ancienneté. Par exemple, au moment de l’étude, environ 30 % des ambulanciers paramédicaux de première ligne étaient des femmes. Des trois services d’intervention d’urgence, le service d’ambulancier paramédical était celui qui comptait la plus forte proportion de femmes.

Au total, 3 619 énoncés recueillis dans le cadre des 24 entretiens ont été codés dans les 14 domaines. Les principaux thèmes issus des entretiens relèvent de 6 des 14 domaines théoriques du TDF : le contexte environnemental et les ressources; les connaissances; les influences sociales; le rôle social/professionnel et l’identité; les émotions et enfin les croyances à l’égard des conséquences (tableau 2).

Tableau 2. Résumé des domaines pertinents du cadre TDF et exemples de citations de premiers répondants participant à l’étude sur les facteurs favorisant la recherche d’aide et l’accès aux soins de santé mentale, Ottawa, Canada, 2019
Domaines Énoncés de croyance Pompier Ambulancier paramédical Policier
Exemples de citations Fréquence
(sur 11)
Exemples de citations Fréquence
(sur 5)
Exemples de citations Fréquence
(sur 8)
Contexte environnemental et ressources Une clinique de premiers répondants doit protéger la confidentialité des clients. « On pourrait leur dire dans quelle pièce se rendre, alors ils pourraient simplement aller directement dans la pièce plutôt que d’attendre dans un hall d’entrée […] parce que je pense que certains d’entre eux sont peut-être déjà gênés d’y aller. » (POM5) 7 [Qu’est-ce qui pourrait faciliter l’accès aux soins de santé mentale?] « Savoir que la confidentialité est assurée, que nos collègues n’en sauront rien s’ils n’ont pas besoin de le savoir. » (AP5) 3 « Si elle se trouve parmi beaucoup d’autres installations […] ça augmente l’anonymat, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles les officiers ou les membres peuvent vouloir s’y rendre. Ainsi, on ne sait pas forcément que telle ou telle personne se rend dans une maison ou un bâtiment isolé et que c’est la clinique des BSO […] Si elle [la clinique] est isolée, la confidentialité diminue très vite […] Si vous l’intégrez dans […] un site ou un établissement de la ville d’Ottawa où il y a beaucoup d’autres choses qui se passent, l’anonymat augmente. » (POL2) 7
La clinique de premiers répondants doit être un lieu sans uniforme. « On veut être aussi anonyme que possible […] Si on entre en uniforme, on s’identifie directement […] ça devrait être aussi anonyme que possible. Je pense que si on demandait à tout le monde de se présenter en tenue civile normale, ça garderait un peu l’anonymat […] Surtout, si on est dans le couloir ou dans la salle d’attente […] et qu’on voit qu’il y a un ambulancier paramédical. Si on est en uniforme, on va se reconnaître… » (POM6) 9 [sans uniforme?] « Je pense que ce serait probablement le mieux, parce que, selon l’aménagement du lieu, il y a de fortes chances de croiser quelqu’un qu’on connaît, et un uniforme n’est peut-être pas ce qu’il a besoin de voir ce jour-là. Ça n’est peut-être pas bien […] Il est peut-être content de vous voir, surtout si vous travaillez encore et que vous cherchez de l’aide pour de l’anxiété, c’est une chose, mais si vous croisez le chemin de quelqu’un qui ne veut plus jamais revoir un uniforme, ce n’est peut-être pas une bonne idée. Donc, je pense davantage à la protection des autres. » (AP5) 5 « On a eu des agents qui se sont fait retirer leur arme. Donc, s’ils viennent vous voir pour obtenir de l’aide, je ne pense pas qu’ils devraient porter un uniforme. S’ils sont en service, je comprends […] ils viennent ici pendant une heure, très bien. Qu’ils gardent leur uniforme, mais pas leur arme. S’ils ne sont pas en service, pas besoin de l’uniforme. Il ne faut pas être en uniforme de toute façon, sauf lorsqu’on se rend au travail. Et encore une fois, l’arme à feu ne devrait être portée que lorsqu’on travaille. » (POL4) 4
« S’il n’y a pas d’uniforme, il n’y a pas d’identification […] il y a des gens qui ne peuvent même pas mettre le pied dans notre quartier général […] le fait de ne pas avoir d’uniforme pourrait être une bonne idée […] l’inconvénient c’est que si quelqu’un venait pendant son quart de travail […] comment ça fonctionnerait‑il pour cette personne? […] l’un ou l’autre, mais il ne faudrait pas provoquer une réaction chez quelqu’un parce qu’une autre personne arrive en uniforme. » (AP4) « Si un premier répondant a une mauvaise journée ou a eu une intervention difficile […] pourquoi ne pas lui permettre de se présenter [en uniforme]? […] Il est important que les collègues et les membres qui se présentent dans cette clinique comprennent que, oui, il peut y avoir des gens en uniforme. Certaines personnes réagissent mal lorsqu’elles voient un uniforme en raison de traumatismes moraux qu’elles ont subis au travail […] Ça peut être un facteur déclencheur, comme vous le savez. Je pense donc que les personnes qui se présenteront à la clinique doivent être prévenues [qu’il pourrait y avoir des personnes en uniforme]. » (POL2)
« Je pense qu’il ne devrait pas y avoir d’uniforme. Dès qu’on porte un uniforme, les grades sont visibles et ça peut changer la perception des gens […] tout le monde est sur un pied d’égalité. » (AP2) « Si on commence à dire qu’on ne peut pas porter son arme pendant qu’on travaille en uniforme, il y aura un problème parce que si on n’est pas à l’aise à l’idée qu’une personne soit armée à cet endroit, il faut le mentionner à l’organisation concernée et dire que le port d’armes n’est pas accepté. Ça n’enfreint pas la confidentialité, mais c’est délicat et ça peut nuire au programme […] la plupart des personnes qui utiliseront les services viendront probablement de terminer de travailler… » (POL6)
Les services actuels de santé mentale offerts aux premiers répondants sont inadéquats, et les prestataires de services ne sont pas bien outillés ou formés pour répondre aux besoins particuliers. « La Ville a le PAE [programme d’aide aux employés] […] pour les SMU [services médicaux d’urgence] et les services d’incendie en fonction d’un budget qu’elle reçoit […] nous avons reçu d’assez bonnes rétroactions de la part des membres, qui ont demandé des conseils en matière de mariage, de toxicomanie, de conseils financiers […] Mais dès qu’on aborde des sujets un peu plus lourds, comme la santé mentale […] ce n’est pas du tout à la hauteur. » (POM10) 5 « Lorsque j’ai appelé le PAE […] je crois que j’ai dû attendre 3 ou 4 semaines avant de pouvoir obtenir un rendez-vous […] et lorsque j’ai vu la conseillère […] elle était traumatisée par ce que je lui racontais, alors bon, ça ne s’est pas passé comme prévu. Donc, je n’y suis jamais retourné. Je me sentais si mal d’avoir fait ça. Je pensais que c’était un endroit où je pouvais aller… » (AP4) 5 « J’ai entendu tellement d’histoires d’horreur de la part d’agents qui font appel au PAE et à leurs conseillers […] Nous avons fait beaucoup de chemin […] J’ai entendu des histoires de conseillers qui étaient […] en larmes parce que les policiers leur disaient que c’est ce à quoi ils sont confrontés : les conseillers avaient l’air de ne pas savoir quoi faire avec eux. » (POL2) 4
« J’ai personnellement déjà utilisé le PAE pour obtenir de l’aide, et je n’y suis jamais retourné après la première visite […] ils ont été totalement inutiles pour moi […] pendant ma séance, essentiellement, ils ont dit : “Oui, je ne sais rien à ce sujet. Vous devriez aller voir un bon professionnel.” » (POM9) « D’après mon expérience, et je vais être franc, le PAE est une blague. On se fait offrir trois séances. Ce n’est pas comme une fracture. On ne peut pas réparer ça tout de suite. Ça prend du temps. Ça prend une relation. Réparer quelque chose en trois séances, c’est ridicule. » (AP3) [Le service de police d’Ottawa bénéficie d’une couverture illimitée pour les services en psychologie.] « Ce qui est excellent au service de police d’Ottawa, c’est qu’on a une couverture illimitée pour les services en psychologie. On peut même choisir qui on veut […] Et il faut pouvoir choisir la personne qui nous convient le mieux. » (POL6)
Les thérapeutes d’une clinique de premiers répondants devraient être au courant des conditions de travail de ces derniers et avoir des connaissances sur le sujet. « Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui écoute avec enthousiasme […] il faut que les bonnes personnes soient au bon endroit et qu’elles sachent ce que nous sommes, qui nous sommes, quels sont nos besoins particuliers […] ce n’est pas quelque chose qu’une personne va nécessairement comprendre lors d’une séance d’une demi-journée au centre de formation… » (POM10) 10 « […] parce que vous ne voulez pas les traumatiser […] je suis allé voir une conseillère et je lui ai parlé d’un appel […] je suis sorti de là avec l’impression que je l’avais traumatisée et qu’elle était bouleversée […] Elle n’avait aucune idée de la façon de m’aider […] il ne faut pas que la personne qui cherche de l’aide ait l’impression de faire du mal à la personne qui essaie de l’aider. » (AP4) 5 « Quand ils nous accompagnent au travail […] Je suis [thérapeute] et je suis ici pour apprendre. Je ne suis pas ici pour vous analyser […] Ils entendent notre jargon […] et ils donnent l’impression de croire que c’est peut-être simplement une histoire, puis quand on lance 10 jurons, ce n’est pas pour essayer de les impressionner ou des les intimider, c’est peut-être une façon de gérer la situation parce qu’on utilise l’humour. Parfois, les jurons sont inappropriés, mais lorsque c’est fait dans le contexte du milieu policier, ça ne vise pas à blesser, mais plutôt à nous aider à gérer la situation […] surtout sur le coup […] s’ils pouvaient au moins un peu comprendre ça et peut-être avoir un peu de patience, ça aiderait […] si on veut former quelqu’un sur ce point en particulier, cette personne devra probablement être exposée à tout ça […] accompagner les policiers au travail, puis passer beaucoup de temps avec les ambulanciers paramédicaux et […] avec les pompiers… » (POL7) 8
« Un aspect important est la compréhension du travail, donc la connaissance d’une fonction particulière et du stress qui va avec. J’ai travaillé avec des professionnels de la santé mentale de tous les horizons, et il devient très vite évident qu’ils ne comprennent pas tout à fait les pressions, les besoins et la vie quotidienne d’un ambulancier paramédical. C’est très difficile à comprendre, et ça peut aller du travail par quarts aux soins de fin de vie… » (AP3) « La crédibilité est un élément essentiel. Je préférerais consulter un professionnel qui a beaucoup d’expérience avec les premiers répondants […] ces personnes devraient se rendre à notre CPP [Centre de perfectionnement professionnel] et voir certains scénarios de recours à la force […] ça les rapprocherait de nous, de notre famille, alors je les encourage à nous accompagner au travail. » (POL6)
Une clinique de premiers répondants devrait être discrète et ne pas être située dans un hôpital doté d’un service d’urgence. « […] CMDN [Centre médical de la Défense nationale], je pense que ce serait bien, parce que je pense que c’est un endroit neutre […] Le stationnement est ouvert, facile, immense, et c’est un terrain neutre […], ce n’est plus une clinique. Ce n’est plus un hôpital. C’est un bâtiment administratif […] ce serait un bon endroit. » (POM9) 6 « Si c’est à l’hôpital général ou à l’hôpital municipal, on y voit trop de collègues se promener […] Je ne compte plus les fois où je passe devant des gens que je connais aux urgences ou les fois où mes collègues [me voient] entrer. Quand on voit quelqu’un en vêtements civils à l’hôpital [la conversation ressemble à ceci] : “Hé, comment ça va? Qu’est-ce que tu fais là?” “Euh, je vais à la clinique de BSO.” “Oh.” Et puis, bonjour la stigmatisation, n’est-ce pas? » (AP2) 5 « J’aimerais un bâtiment en briques et en mortier, quelque part au centre de la ville, qui ne soit pas identifiable, qui ne soit pas rattaché à un hôpital, mais qui soit affilié à un hôpital […] Mes collègues n’entreront jamais dans un hôpital spécialisé en santé mentale pour y recevoir des soins […] S’il s’agit d’un bâtiment générique situé dans un endroit central, avec un grand stationnement […] ils peuvent entrer et voir un visage amical, éventuellement un coordinateur de soutien par les pairs ou des personnes qu’ils apprennent à connaître; ils se sentent les bienvenus et c’est là qu’ils se font traiter […] ce n’est pas un endroit stérile, ce n’est pas comme dans un hôpital et il n’y a pas de groupes de gens qui se promènent en sarrau […] Ça, ça ne passerait pas auprès de mes collègues, parce qu’ils ne se voient pas comme des fous, n’est-ce pas? Ou parce qu’ils ont peur d’être étiquetés comme “fous”… » (POL8) 7
« […] un endroit sûr […] [où] nous ne rencontrerons pas de patients que nous avons embarqués sur la route. » (AP4) « Il faut aller dans un endroit où on se sentira en sécurité et où on n’aura pas le sentiment de risquer d’être exposé. Une chose qui me préoccupe beaucoup dans ce genre de situation, et qui préoccupe aussi d’autres personnes, c’est de savoir qui je risque de croiser si je vais à votre clinique. Qui va le savoir? » (POL6)
Connaissances Il est important que les cliniciens connaissent la culture et l’environnement de travail des premiers répondants. « Nous avons, et je pense que les SMU [services médicaux d’urgence] et la police ont l’équivalent […] ce que nous appelons “Fire Ops 101” […] [ça] a été créé [pour] les médias, les politiciens, etc. C’est la base […] on les fait venir et on leur montre ce que c’est vraiment. On les habille avec l’équipement de protection […] on les emmène dans le bâtiment d’entraînement et ils doivent éteindre un feu de voiture factice; ça leur permet de ressentir la chaleur… » (POM10) 9 « […] s’ils apprenaient le jargon, ce serait génial, aussi, s’ils pouvaient nous accompagner au travail pour voir ce que nous faisons au quotidien : les difficultés posées par les appels, par le travail par quarts, par le fait de ne pas toujours avoir le temps de manger, par les événements qui se bousculent constamment, par l’incapacité de terminer ses tâches administratives […] s’ils avaient cette expérience directe, ils se diraient “Oh, oui, je sais de quoi ils parlent maintenant.” » (AP4) 2 « La grande approche, c’est l’exposition […] Il n’est pas nécessaire que ce soit sur la route. Ça pourrait être […] vous allez venir et on va vous présenter la journée de recours à la force […] alors ils vont pouvoir faire les scénarios, en particulier les scénarios de prise de décision du genre tirer ou ne pas tirer? […] La prise de décisions sous la contrainte […] et là ils diront “D’accord, je comprends. J’avais vraiment peur” parce qu’ils n’y ont jamais été exposés et “J’ai tiré sur ce gars parce que j’avais peur.” En fait, il buvait juste une bouteille de vin dans un coin et vous lui avez tiré dessus. » (POL7) 8
« Ensuite, ces cliniciens en discutent, et ils partagent leurs expériences. “Wow. OK, c’est logique.” Ils commencent à parler leur langage. “J’ai vu ci et j’ai vu ça. Cette équipe avec laquelle j’ai passé la journée m’a dit ci, et ce policier avec qui j’ai passé la journée m’a dit ça, et ces deux ambulanciers avec qui j’ai passé la journée m’ont dit ça.” Maintenant, tous ces cliniciens vont avoir une bien meilleure compréhension… » (POM8) « L’une des choses qui m’attirent à l’idée de ce programme […] c’est qu’il y a des gens qui […] traitent vraiment beaucoup de premiers répondants et les types de problèmes qu’on a, donc ils deviennent plus compétents. Ça veut dire qu’on n’a pas besoin de toujours tout expliquer en long et en large […] Je peux parler de cet aspect particulier de mon travail, et ils sauront tout de suite de quoi je parle. Je sais que ça prend du temps, mais c’est vraiment bien. C’est énorme. » (AP3)
Les premiers répondants réagissent bien à l’événement traumatique initial, mais pas aux conséquences à long terme. s.o. s.o. « Il suffit de les désactiver [les émotions], et on a un travail à faire […] Malheureusement, quand j’ai réalisé qu’il était trop tard […] il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver au point où je pouvais éprouver un sentiment ou une émotion, l’analyser, comprendre ce que je voulais faire. » (AP2) 2 « On ignore souvent l’effet boule de neige d’un événement traumatique. On est excellents pour réagir pendant l’incident initial et pour gérer les personnes présentes, mais si on va plus loin que les premiers répondants… Qui soutient les enfants et le mari de cette femme qui a perdu ses jambes? Qui soutient la conjointe et les enfants du premier répondant qui a dû s’occuper de cette femme qui a perdu ses jambes? » (POL6) 1
« Je n’étais pas au courant que j’étais malade jusqu’à ce que je m’écroule. Et ce n’est que lorsque j’ai atteint ce que j’appellerais le fond que j’ai demandé de l’aide et que j’ai commencé à le remarquer. C’est incroyable de voir comment, du moins dans ma situation, j’ai pu me mentir ou juste faire du sur-place. Ce n’est qu’avec le recul que je le vois, alors je sais qu’on peut être en mauvaise santé sans le savoir. » (AP3)
Les premiers répondants sont souvent capables de remarquer des signes avant-coureurs chez leurs collègues lorsque ces derniers ont des problèmes de santé mentale. « Quand les autres vous regardent, ils voient ces changements, mais ils ne savent pas ce que c’est parce qu’ils n’ont pas été formés pour ça […] Ça se présente comme quelqu’un qui s’isole socialement, qui s’enferme dans le sous-sol […] qui éprouve de la colère. Ça peut se présenter comme une irritation. Ça peut se présenter comme une dépendance, et il est possible que la personne ne se rende même pas compte de ce qui se passe. J’ai entendu ça de la part de tant de personnes qui ont vécu une telle situation […] Je n’avais pas réalisé que j’étais irrité ou irritable […] ou en colère, ou que je jugeais beaucoup les autres. » (POM9) 8 « La fréquentation est un gros indicateur. L’humeur, donc l’irritabilité; l’isolement est quelque chose de très important. Alors, on arrête de sortir et de faire ce qu’on aime. La peur; les gens expriment la peur. Ils ont presque peur d’aller travailler. Peur de faire une erreur; ils expriment de grandes craintes […] Ça affecte la vie à la maison, les relations à la maison, alors mon collègue me prend à part et commence à me parler de la façon dont la vie à la maison a été affectée, que c’est un grand signe; mauvaise mémoire, apathie. » (AP3)   5 « Je suis tout à fait consciente des symptômes de la maladie mentale […] de la façon dont elle se présente au quotidien, et de la colère, du fait de se retirer de sa famille et de ses amis en dehors de la police et de s’accrocher plutôt à la famille policière […] se retirer de la vie à l’extérieur du travail, boire […] les abus concernent souvent l’alcool et l’argent […] ne pas dormir suffisamment ou ne pas passer suffisamment de temps avec sa famille […] ce sont des symptômes très courants de stress ou […] d’adaptation ou de l’incapacité de s’adapter […] le repli sur soi, la colère […] J’ai reçu une formation pour la reconnaître et je peux le faire très facilement […] Il peut s’agir d’une personne qui s’emporte au sujet de quelque chose de ridicule qui ne devrait pas provoquer une telle réaction […] Avec le recul, je vois que j’étais comme ça, il y a des années, lorsque j’étais stressée, et je ne voyais pas les choses de cette façon… » (POL3) 7
Le travail de soutien par les pairs permet d’acquérir une connaissance de base de la santé mentale, qui peut être enrichie par l’expérience. « La majeure partie de ma formation a été dispensée par les pairs, et j’ai eu une certaine [formation] en santé mentale – un programme mis en œuvre par le service d’incendie, En route vers la préparation mentale… » (POM3) 4 « Je ne suis pas un professionnel de la santé mentale, mais j’ai suivi une formation supplémentaire et j’occupe cette fonction depuis cinq ans […] alors j’ai eu beaucoup d’expérience pratique. » (AP5) 2 « J’ai suivi la formation de Premiers soins en santé mentale. Je suis instructeur pour le programme En route vers la préparation mentale, qui traite de toutes sortes de problèmes de santé mentale […] j’ai assisté aux cours des vétérans canadiens et des vétérans en santé mentale […] j’ai fait beaucoup de présentations […] je ne pose pas de diagnostic […] Mais j’ai l’impression de mieux comprendre la gravité du problème auquel nous sommes confrontés […] J’ai l’impression d’en avoir une meilleure compréhension […] lorsque j’ai commencé cet emploi il y a deux ans, je dirais que mes connaissances étaient limitées, et je me demandais vraiment pourquoi on m’avait embauché, parce que je ne suis pas psychologue. J’ai suivi quelques cours de psychologie à l’université […] Je n’avais pas l’impression d’être assez confiant [dans ce domaine] […] c’est un début, n’est-ce pas? C’est comme essayer d’éteindre un feu avec un arrosoir. Enfin, c’est l’impression que j’ai, parfois… » (POL8) 1
Influences sociales La stigmatisation empêche les gens de parler librement de leurs émotions. « Nous n’avons pas atteint le fond des choses en ce qui concerne la stigmatisation […] nous avons gratté un peu la gale, mais il faut approfondir les choses, et nous ne serons pas vraiment exempts de stigmatisation jusqu’à ce que tout le monde puisse demander de l’aide lorsque c’est nécessaire. » (POM10) 9 « Je pense que ça s’améliore certainement, mais il y a une peur généralisée. Je ne sais pas si cette peur est fondée ou non, mais il y a une peur généralisée d’être perçu comme faible, incompétent ou dangereux pour les patients. C’est un facteur très important. » (AP3) 5 « Beaucoup de gens hésitent à utiliser les mots “santé mentale” […] parce que le problème, c’est que lorsqu’on s’occupe de la santé mentale en tant qu’agent de police, on a affaire aux 3 à 5 % des membres de la population qui n’ont eu aucun soutien dans la vie, qui sont habituellement toxicomanes, qui deviennent criminels et qui ont de graves problèmes de santé mentale non traités […] on les voit chez les sans-abri, dans des refuges […] [quand] on reçoit un appel, ces gens sont habituellement au bout du rouleau, ils brandissent une arme et ils essaient de nous faire du mal, alors c’est l’impression de la santé mentale qu’ont les agents, que ces personnes sont folles […] il y a “nous” et il y a “eux” ». (POL8) 8
« C’était [le stigmate] presque aussi traumatisant que l’appel auquel nous avons répondu, parce qu’il fallait essentiellement se mettre à nu devant des inconnus. » (POM4) « Il existe une culture très forte dans la police qui consiste à ne jamais montrer de faiblesse, à rester stoïque et à toujours garder le contrôle. » (POL3)
« Nous nous occupons de nos propres problèmes […] en particulier le genre vieille école : “Ce n’est pas quelque chose dont on parle.” “Tu as un problème? Tu le mets dans une bouteille, tu la fermes, et ça se réglera.” […] “Tu règles ça tout seul.” […] “Ça ne fait que cinq ans que je travaille, et je remarque que c’est en train de changer […] c’est en train de changer parce que ça doit changer…” » (POM6) « Je m’absente. J’ai besoin d’un congé de maladie. J’ai besoin de temps […], mais j’ai peur de demander congé. Pourquoi? […] Parce que mon superviseur a déjà fait des commentaires au sujet de telle ou telle personne qui était absente pour des “problèmes” ou pour un problème opérationnel […] en raison d’une intervention difficile. Ils comprennent qu’il s’agit peut-être d’une blessure de stress opérationnel pour laquelle il faut un certain soutien. Maintenant, c’est aussi une question de stigmatisation de la part des gestionnaires… » (POL2)
Les problèmes de santé mentale sont source d’isolement. « Ils ne savent pas à qui en parler, et ils se sentent isolés. Ils se sentent seuls, et c’est là que le retrait social entre en jeu […] On se rend compte qu’on ne peut pas vraiment en parler parce qu’on sait que les autres ne pourront pas s’identifier à la situation ou la comprendre. » (POM9) 5 « L’une des choses les plus libératrices que j’ai vécues au cours de mon parcours, c’était lorsque des professionnels ont dit “Non, c’est normal”, “d’autres personnes sont passées par là” ou “vous n’êtes pas seul”. On n’est pas seul, et ça aide vraiment à ne pas se sentir isolé, à ne pas se sentir seul dans notre combat. » (AP3) 2 « Quand les gens souffrent, ils se sentent très isolés, ils se sentent très seuls, ils n’ont aucune idée de la façon d’améliorer leur situation. J’ai vu des cas où les gens s’isolent au sous-sol en fumant des cigarettes, et ils ne vivent plus vraiment […] leur mariage implose souvent, leurs enfants les détestent. Ils ne viendront jamais travailler. » (POL8) 4
« Pour la police, l’un des plus grands écueils, c’est d’être perçu comme étant faible. Donc, on garde tout ça en dedans et on se sent isolé parce qu’on pense être seul avec ces sentiments. » (POL5)
Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale sont perçues comme faibles. « Certains [chefs de section] sont très proactifs et sérieux au sujet de la santé mentale […], mais d’autres chefs de section sont vieille école, “débrouille-toi avec tes problèmes”. Il y a des capitaines que je connais très bien et qui sont du genre à dire : “T’es quoi, une mauviette?” Cette mentalité existe encore, c’est sûr. » (POM9) 6 « Je pense encore qu’il y a un important contingent d’ambulanciers paramédicaux qui n’y croient peut-être pas […] et les petites plaisanteries et autres platitudes qu’on entend nous font comprendre que, si on souffre de stress mental, on est faible et on ne peut pas faire son travail. » (AP3) 4 « [Les problèmes de santé mentale] sont très présents, mais on les perçoit comme un signe de faiblesse. Si je me fie aux personnes avec lesquelles j’ai travaillé et qui avaient un problème de santé mentale, très souvent, lorsque le problème est révélé, il est déjà à un stade avancé. » (POL5) 4
« Chaque fois que je reviens d’un appel et qu’il y a des gens dans la pièce, si quelqu’un est absent, ils vont dire à la blague : “Oh, ce gars-là souffre un peu, il devrait être plus fort”. Il y a toujours des commentaires de ce genre, et ça me donne envie de ne rien dire parce qu’ils pourraient se moquer de moi. » (POM1) « C’est très difficile de changer la mentalité, de lever la main et de dire : “Hé, regarde. Je dois m’arrêter ici un moment”. Les ambulanciers voient ça comme un signe de faiblesse. Ils ridiculiseront la personne et s’en moqueront. » (AP2) « Je ne voudrais jamais montrer une forme de faiblesse ou de vulnérabilité au travail […] s’il y avait un appel au sujet d’une personne folle, d’une situation effrayante ou d’une situation qui me mettait mal à l’aise […] je ne voulais pas montrer de signe de faiblesse par rapport à ce genre d’appel […] Au début de ma carrière, je refoulais ça, je ne parlais pas de mes vulnérabilités, de mes émotions; je ne parlais jamais de ça au travail. » (POL3)
Les femmes des secteurs des premiers répondants sont confrontées à des obstacles sociaux que les hommes ne rencontrent pas. s.o. 1 « En tant que femme […] c’est plus difficile de pleurer ou de demander de l’aide, parce qu’au bout du compte, on va croire qu’on est faibles ou en syndrôme pré-menstruel. On m’a déjà dit […] “Es-tu dans ta semaine?” […] Je viens juste de voir quelqu’un mourir. J’ai l’impression que ça n’a rien à voir […] J’ai l’impression qu’en tant que femmes, il faut avoir l’air d’être un peu plus fortes, parce que sinon, ils ne nous manqueront pas. » (AP1) 1 « Je ressentais toujours de la pression parce que c’était mon rôle, c’était mon travail, c’était ce pour quoi on me payait, et c’était la bonne chose à faire, mais je ne voulais pas montrer de signe de faiblesse ou de vulnérabilité parce que j’étais une femme agente dans un rôle de “gros bras”, vous savez, un rôle traditionnellement masculin. » (POL3) 2
Rôle social/professionnel et identité Les premiers répondants estiment qu’ils ont le devoir de travailler, peu importe la façon dont ils se sentent. « C’est un peu le cas […] En même temps, dans d’autres genres d’emploi, il y a des gens qui passent une mauvaise journée, qui luttent contre la dépression […] et qui ne vont pas travailler parce que ça va mal ce jour-là. Nous, nous n’avons pas ce luxe. » (POM10) 1 « S’en remettre ou faire semblant, c’est notre réalité […] Mon travail sur la route, c’est d’oublier tout ça pour faire mon travail au mieux de mes capacités et de ne pas laisser ces facteurs de stress extérieurs et toutes ces choses m’atteindre […] pour les policiers et les pompiers, c’est exactement la même chose […] lorsqu’il s’agit de faire leur travail, ils le font au mieux de leurs capacités; ils vont s’en remettre ou ils vont faire semblant […] On s’occupe des conséquences plus tard. » (AP2) 3 s.o. s.o.
La stigmatisation associée au fait d’être vu par des pairs empêche les premiers répondants de se faire soigner dans une clinique de santé mentale pour premiers répondants. « Cette personne m’a dit : “Oh, je ne veux pas aller dans une clinique parce que je ne veux pas que quelqu’un sache que j’ai des difficultés.” » (POM7) 7 « Éliminez tout ce qui pourrait provoquer de l’incertitude. Est-ce que je vais rencontrer quelqu’un que je connais? C’est un gros problème […] En gros, si on peut leur donner suffisamment d’information au départ pour ne pas les angoisser […] par exemple les rendez-vous sont espacés de 15 minutes donc vous ne croiserez personne. » (AP5) 3 « Ça y est, j’ai décidé. Je vais demander de l’aide. L’une des pires choses que je peux imaginer, c’est que quelqu’un me voie. Si on organisait les rendez-vous de façon à ce que les gens ne se croisent jamais, s’il y avait une porte d’entrée et une porte de sortie […] J’entre à l’avant. On m’amène immédiatement à l’endroit où je vais rencontrer le professionnel de la santé mentale. J’ai ma séance, puis on m’amène à la porte arrière. » (POL5) 7
« Souvent, lorsque les gens se présentent à ce type de clinique ou demandent ce type d’aide, l’anonymat est très important pour eux […] selon mon expérience, c’est un moment de très grande vulnérabilité […] s’ils voient quelqu’un qu’ils connaissent ou avec qui ils ont une relation professionnelle ou même sociale, ça peut vraiment les effrayer ou les faire fuir. » (AP3) « La principale crainte pour un policier est de penser qu’il pourrait avoir un problème de santé mentale, qu’il est faible psychologiquement ou qu’il n’est pas capable de faire son travail […] de donner un signe qu’il a recours à de tels services […] que le public et ses collègues voient qu’il a recours à de tels services. » (POL1)
Émotions Répercussions émotionnelles et physiques du stress et des traumatismes (manifestations physiques comme le manque de sommeil ou la baisse d’énergie) « Ça peut se présenter comme de la colère. Ça peut se présenter comme une irritation. Ça peut se présenter comme une dépendance, et il est possible que la personne ne se rende même pas compte de ce qui se passe. J’ai entendu ça de la part de tant de personnes qui ont vécu une telle situation, comme moi… » (POM9) 8 « Jusqu’à ce que je commence mon traitement […] chaque fois que j’entendais un appel de pendaison, j’en avais mal au cœur. » (AP1) 2 « Ça affecte le sommeil. Ça affecte la vigilance, l’irritabilité, la compassion, l’empathie […] la fatigue et l’éthique, le sommeil, donc ça augmente la fatigue, la capacité d’interagir même socialement, l’isolement extrême […] la somnolence, la capacité d’être fonctionnel et alerte au travail, les problèmes de dépendance, de libido, d’intimité […] même le désir de s’ouvrir aux gens parce qu’on est tellement fatigué. » (POL2) 7
Croyances à l’égard des conséquences La participation du conjoint ou de la famille au bon moment lors du traitement en santé mentale a des effets bénéfiques. « Lorsqu’une famille peut être mise à contribution, je pense que c’est très important […] c’est le partenaire ou le conjoint qui peut garder la personne dans le droit chemin pendant le traitement et tout au long du protocole de traitement. Il y a là une responsabilisation. » (POM10) 10 « [S’améliorer], c’est difficile à faire si on n’a pas le soutien de sa famille […] il faut peut-être un élément éducatif […] c’est ce à quoi sert la TCC [thérapie cognitive du comportement] […] ou comment vous aider pendant cette période. » (AP3) 5 « C’est un tout. Je sais que ce qui affecte la personne affectera sa famille, et ça fait boule de neige. » (POL8)   6
« Je ne sais pas si je serais ici si ce n’était pas de ma famille […] c’est ce qui m’a permis de continuer […] Je connais tellement de gars qui ont perdu leur femme, leur mariage à cause de ça et de tout le reste, et c’est pour eux que c’est le plus difficile, parce qu’ils sont seuls […] On peut emmener un parent, son conjoint, son meilleur ami […] passer la journée à parler de santé mentale […] les gens qui feront partie de votre vie vont apprendre beaucoup […] ce sont eux qui vont influencer le changement en vous. » (POM2) « Je pense qu’il y a deux façons de faire, l’une étant de les emmener à des séances précises, et l’autre, de les emmener à des séances d’information; c’est vraiment utile […] lorsque je suis allé me faire soigner, ils ont offert un cours de 2 jours à ma conjointe, où ils ont expliqué le TSPT [trouble de stress post-traumatique]. Ils ont décortiqué le problème et expliqué ce qu’il fallait surveiller, les comportements typiques, ce genre de choses, et elle s’est sentie plus à l’aise, mieux outillée. Et ma capacité à lui en parler s’est grandement améliorée. » (AP3)

Contexte environnemental et ressources

Si tous les premiers répondants ont marqué leur intérêt et leur soutien envers une clinique de blessures de stress opérationnel, plusieurs obstacles importants à la recherche d’aide et à l’accès aux soins de santé mentale ont été cernés. Tous les premiers répondants ont insisté sur la nécessité pour la clinique de protéger la confidentialité, en particulier vis-à-vis des collègues et de la hiérarchie. L’une des suggestions pour y parvenir est de prendre des dispositions pour que les premiers répondants se rendent seuls à la clinique et parlent directement à leur clinicien, sans interaction avec d’autres membres du personnel. Les participants membres de la police ont particulièrement insisté sur la crainte d’être vus lors de l’accès aux soins de santé mentale. L’emplacement de la clinique a également été jugé important pour favoriser la confidentialité. Les participants ont déclaré que la clinique ne devrait pas être située dans un hôpital (ou à proximité d’un hôpital) doté d’un service des urgences où les premiers répondants sont connus : « J’utilise le mot “secret” … Je ne sais pas comment ça s’organiserait et si on alimenterait le stéréotype […] ça n’a pas d’importance à ce stade-ci. Il faut garder ça très, très privé au moment de l’ouverture. » (Pompier 3)

Tous les participants ont indiqué que la présence d’uniforme pourrait être une source de tension pour les premiers répondants. Les opinions divergeaient toutefois sur le fait que la clinique soit obligatoirement un lieu sans uniforme. Les pompiers et les ambulanciers paramédicaux ont affirmé que la clinique devrait être un lieu sans uniforme, citant comme avantages le fait que l’on éviterait de provoquer des réactions, que l’on ferait une distinction entre le temps de travail et le temps personnel, que l’on éliminerait des éléments pouvant identifier les personnes (ce qui permettrait de préserver leur confidentialité) et que l’on réduirait l’effet du grade. Certains ambulanciers paramédicaux ont indiqué qu’un environnement sans uniforme pourrait créer un obstacle pour ceux qui doivent se présenter à un rendez-vous pendant leur quart de travail, parce qu’ils auraient à changer plusieurs fois de vêtements. Les policiers ont également indiqué qu’un environnement sans uniforme pourrait constituer un obstacle lorsqu’ils se présentent à un rendez-vous pendant qu’ils sont en service, parce qu’ils ont l’obligation professionnelle de continuer à exercer leurs fonctions de policier.

Les participants se sont également dit frustrés par le manque de continuité des services à leur disposition. Ils ont mentionné que les ressources internes et externes actuellement disponibles, en particulier leurs programmes d’aide aux employés (PAE) respectifs et la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, sont difficiles à utiliser, ne sont pas disponibles en cas de besoin et sont insuffisantes, car les cliniciens de ces programmes ne sont pas bien formés pour répondre aux besoins particuliers des premiers répondants. Une approche universelle du PAE conçue pour tous les employés d’une municipalité a été maintes fois décrite comme insuffisamment adaptée du point de vue de la culture professionnelle : « Les gens du PAE n’ont pas la moindre idée de la situation […] quand on les appelle pour leur parler de nos problèmes, ils n’ont pas envie de les entendre, parce que la dernière chose qu’on veut entendre, c’est une histoire à propos d’un bébé de 8 mois trouvé sans vie dans une baignoire » (Ambulancier paramédical 2). Les policiers ont mentionné qu’étant donné qu’ils ont une couverture illimitée pour services psychologiques, ils ont accès à des soins mieux adaptés et peuvent choisir leur clinicien.

Connaissances

Tous les participants ont indiqué que les cliniciens spécialisés dans le traitement des premiers répondants devraient bien connaître le milieu de travail et les fonctions des premiers répondants (ce qu’on appelle compétence culturelle). Pour renforcer cette compétence culturelle, à savoir le processus par lequel les personnes et les systèmes réagissent de façon respectueuse et efficace, la suggestion qui a été faite est d’acquérir les connaissances propres à ce type de travail, par exemple en accompagnant les professionnels de chaque service pendant leur travail, en passant du temps sur leur lieu de travail pour observer les facteurs de stress quotidiens et en apprenant la terminologie.

Plusieurs participants ont mentionné l’apprentissage de la terminologie des premiers répondants comme étant important pour une communication efficace. « [Les cliniciens] devraient être conscients de la culture […] Ce n’est pas parce que nous sommes tous des premiers répondants que nous sommes tous pareils […] Ils doivent être conscients a) de la culture; b) […] du langage que nous utilisons […] et du type de stress que subissent les premiers répondants dans leurs domaines respectifs » (Pompier 9).

Selon certains pompiers et policiers, il serait intéressant d’avoir des cliniciens qui soient d’anciens premiers répondants : « Ce serait bien que des policiers soient conseillers, psychologues ou travailleurs sociaux […] pour qu’ils puissent comprendre […] lorsqu’on parle de notre réalité de policier, personne ne sait vraiment ce que c’est » (Policier 1). Selon les policiers, si les cliniciens avaient une expérience préalable en tant que policier, il y aurait une meilleure intercompréhension. Plusieurs participants ont également indiqué que le personnel non clinique qui interagit avec les premiers répondants, dont le personnel qui répond au téléphone, doit être compétent sur le plan culturel. Les participants ont également évoqué des expériences directes de collègues qui estimaient avoir causé un préjudice psychologique aux cliniciens en décrivant leurs expériences, ce qui renforce l’importance des connaissances du milieu professionnel, afin de s’assurer que les cliniciens qui travaillent avec les premiers répondants connaissent bien la culture et les vocations respectives de chaque secteur :

Je me suis rendu compte qu’il [le clinicien] n’était pas le gars à qui je devais parler parce que je l’ai vu pâlir lors d’un de mes appels, et je lui avais pourtant dit que ce n’était pas un si gros appel. Alors je me suis rendu compte que je devais parler à des gens qui savent ce qu’ils font. (Ambulancier paramédical 2)

Ils regardent des photos et une vidéo, et ils n’arrivent même pas à le supporter. Comment peuvent-ils offrir un traitement aux personnes qui ont vécu de telles situations et faire preuve envers eux de compassion et de compréhension? (Policier 6)

Les policiers, les pompiers et les ambulanciers ont fait la démonstration de compétences en matière de santé mentale en étant capables de reconnaître les signes avant-coureurs de problèmes de santé mentale chez leurs collègues. Toutefois, certains d’entre eux ont également déclaré ne pas savoir quelles étapes suivre ensuite pour offrir une aide efficace. L’amélioration des connaissances sur la façon d’aider a été considérée comme une occasion d’améliorer la santé mentale. Les ambulanciers paramédicaux ont indiqué que les membres de leur profession savent comment dissimuler les symptômes de santé mentale (comme la toxicomanie), ce qui complique le soutien par les pairs :

L’un des plus grands défis que j’ai eu à relever, c’est la comorbidité sur le plan de la santé mentale, notamment les problèmes de dépendance, parce que je trouve que nos collègues cachent mieux les problèmes de dépendance que l’anxiété, la dépression ou d’autres choses […] c’est ce qui m’a le plus surpris […] Avant, je ne comprenais pas qu’il y avait aussi un problème de dépendance, et ça m’a surpris. (Ambulancier paramédical 5)

Selon les participants, le travail d’ambulancier paramédical consiste à répondre régulièrement à des appels liés à la santé mentale. Ainsi, il se crée une culture selon laquelle on ne veut pas que quelqu’un soit au courant de problèmes de santé mentale et on dissimule les symptômes pour ne pas être perçu comme semblable à ces patients.

Les policiers et les ambulanciers ont indiqué que les premiers répondants sont compétents dans les premières interventions en cas d’événements traumatisants, mais qu’ils manquent souvent de connaissances et de compétences pour gérer les conséquences à long terme sur la santé mentale. L’absence de ces compétences a été citée comme un obstacle à la recherche d’aide, tandis que le développement de ces compétences a été considéré comme une occasion d’améliorer la santé mentale.

Les participants ont mentionné que le manque de clarté concernant les droits aux congés de maladie et que la discrimination associée à l’emploi étaient des obstacles à la recherche d’aide. Ils ont aussi manifesté de l’incertitude quant au processus de prise de congé. Les ambulanciers paramédicaux ont fait part de leur confusion quant au nombre de jours de congé de maladie offerts, et ils craignaient d’être réprimandés s’ils prenaient plus de quatre jours de congé en six mois. Un ambulancier paramédical a indiqué que, selon ce qu’il comprenait de la politique sur les congés de maladie, lorsqu’un ambulancier prend plus de quatre jours de congé de maladie en six mois, il doit y avoir une réunion entre l’ambulancier paramédical, son superviseur, le commandant et un représentant syndical. Les ambulanciers paramédicaux ont également mentionné leurs préoccupations au sujet de la discrimination associée à l’emploi (limites sur le plan de l’avancement professionnel) s’ils prennent plus de 14 jours de congé de maladie au cours d’une année.

Les pairs aidants des trois services ont convenu que les membres de l’équipe de soutien par les pairs devraient participer à une formation sur la santé mentale, le bien-être et l’autonomie en matière de santé mentale, ce qui leur donnerait des connaissances de base sur la santé mentale, que l’expérience pourrait ensuite renforcer. Toutefois, les participants ont fait état de niveaux d’accès variables aux possibilités de formation internes et externes (programmes de formation en santé mentale, conférences et séances d’information sur le TSPT, etc.). Tous les participants ont décrit le soutien par les pairs comme une ressource bénéfique, mais ils n’ont pas tous déclaré se sentir à l’aise de demander du soutien par les pairs pour des problèmes de santé mentale.

Influences sociales

Tous les participants ont fait état de cas d’autostigmatisation et d’évitement des étiquettes, souvent illustrés par leur description de la peur d’être perçus comme assez faibles pour avoir besoin de soins de santé mentale ou pour chercher à obtenir ce type de soins. La stigmatisation chez les pompiers a été expliquée comme une réticence à parler librement de leur santé mentale. Les ambulanciers paramédicaux ont quant à eux déclaré que la stigmatisation publique est profondément ancrée dans leur milieu de travail. Par exemple, ils ont signalé des cas où des collègues se moquent de ceux qui ont des problèmes de santé mentale et de ceux qui parlent de suicide ou tentent de se suicider :

S’il s’agit d’une tentative de suicide ou d’idées suicidaires […] c’est encore un énorme stigmate au sein de notre organisation, surtout parce que nous traitons avec des patients qui ont des idées suicidaires à peu près à chaque quart de travail […] je déteste le dire, mais nous critiquons nos patients lorsqu’ils ne réussissent pas. Ça a l’air horrible, mais on se dit : “Tu sais, c’est la quatrième fois que je viens te chercher. Tu n’as pas encore compris comment prendre assez de pilules?” […] puis on parle aux diverses équipes, et on plaisante : “Vraiment, même avec Google, tu n’as pas réussi à trouver comment faire ça correctement?” […] alors imaginez, si vous êtes un ambulancier paramédical dans cette pièce qui a des pensées suicidaires, vous n’allez vraiment pas vous ouvrir à qui que ce soit à ce sujet, parce qu’on se moque des gens qui n’arrivent pas à se suicider. (Ambulancier paramédical 5)

L’humour noir est couramment utilisé comme mécanisme d’adaptation pour gérer le stress, mais il risque de renforcer la stigmatisation. Par ailleurs, les participants ont fait état de jugements négatifs envers les membres du service d’ambulanciers paramédicaux qui demandent des soins de santé mentale, dont ceux qui prennent des médicaments utilisés en psychiatrie pour traiter l’anxiété ou la dépression. De même, dans le milieu policier, l’exposition aux personnes atteintes de maladie mentale renforce la stigmatisation en ce sens que les policiers ne veulent pas être identifiés aux personnes avec lesquelles ils interagissent lorsqu’ils répondent à un appel : « Il y a une stigmatisation sociale tellement négative, et exponentielle dans le cas de la police, parce que c’est avec ça que nous travaillons […] “ Ne t’approche pas trop, tu vas devenir cinglé”. C’est vu négativement. » (Policier 5). Dans les trois secteurs, il semble que le fait de répondre à des appels impliquant des personnes présentant des troubles de la santé mentale, et en particulier à des appels récurrents pour les mêmes personnes, ait une influence considérable sur l’attitude des premiers répondants et la stigmatisation à l’égard des difficultés psychologiques.

Les policiers disent avoir peur, et également avoir fait l’expérience, de commentaires défavorables de la part de la direction. Ils ont aussi fait état de préoccupations selon lesquelles leurs possibilités en matière d’avancement professionnel seraient limitées en cas d’antécédents de problèmes de santé mentale ou de tentatives d’obtention de soins de santé mentale : « Ils vont voir une candidature qui est plutôt bonne […] “Mais n’est-ce pas le gars qui a craqué?” […] ils ne font qu’entendre “trouble de la santé mentale” et se disent que cette personne est cinglée. C’est vraiment très simple. Les policiers sont très au courant, mais à l’interne, la réaction est encore : “Oh, mon Dieu, on pourrait devoir composer avec ça.” […] On ne leur fera pas confiance parce qu’ils ont des problèmes de santé mentale » (Policier 1).

Il y a également des obstacles juridiques à ce qu’un policier parle d’un événement traumatisant dont il a été témoin. Un participant a mentionné l’impossibilité de parler d’un événement potentiellement traumatisant sur le plan psychologique comme un obstacle à l’obtention de soins si un membre fait l’objet d’une enquête de l’Unité des enquêtes spéciales. Ce participant a déclaré qu’en vertu de la Loi sur les services policiers, les policiers ne peuvent pas communiquer avec des personnes qui ne sont pas impliquées dans l’événement tant que l’entretien avec l’Unité des enquêtes spéciales n’a pas eu lieu. Selon ce participant, les personnes qui contreviennent à la Loi peuvent être accusées.

Selon les pompiers, les ambulanciers et les policiers, ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ont tendance à s’isoler parce qu’ils ne savent pas comment parler aux autres de leurs problèmes de santé mentale ou de leurs symptômes. Cela se traduit par un sentiment d’isolement, de la solitude et un repli social. Les participants craignent que leurs problèmes de santé mentale ne soient perçus comme une faiblesse par leurs collègues et la direction, ce qui constitue un obstacle aux soins. Les policiers affirment ne pas vouloir montrer de signe de faiblesse ou de vulnérabilité au travail. Les ambulanciers paramédicaux sont préoccupés par l’idée de paraître faibles s’ils font état d’un problème de santé mentale après un incident et que le même incident n’a pas affecté leur partenaire :

Une stigmatisation est aussi possible si mon partenaire et moi répondons à un appel traumatisant et que l’un de nous se porte tout à fait bien après l’intervention, mais pas l’autre […] si je m’absente du travail parce que ça m’a vraiment perturbé, mais que mon partenaire ne le fait pas, est-ce que les gens vont penser que je suis faible? […] Les gens pensent-ils que quelque chose ne va pas chez moi? […] si l’un des partenaires va bien, mais pas l’autre, il y a aussi cette stigmatisation […] qui vient des pairs, de la direction, de tous les échelons. (Ambulancier paramédical 4)

Le genre est également mentionné comme un obstacle à la recherche de services de santé mentale par les participantes de tous les secteurs : les femmes ont fait mention d’obstacles sociaux sexospécifiques et ont estimé qu’elles devaient paraître « fortes », sous peine d’être mises à l’écart ou qu’on en profite.

Rôle social/professionnel et identité

Les pompiers et les ambulanciers ont fait part de leurs points de vue sur leur obligation de servir sans tenir compte de leur état de bien-être. Les participants ont déclaré que l’obligation de service était la priorité et que les conséquences étaient secondaires.

Les participants ont insisté sur le fait qu’il fallait tenir compte des liens étroits entre identité personnelle et identité professionnelle au moment de mettre en œuvre des services de santé mentale à l’intention des premiers répondants. « Ce sont nous qui réglons les choses […] pour les policiers, c’est une vocation, et c’est une carrière. Ce n’est pas seulement un travail, ça fait partie de notre personnalité et de qui nous sommes. » (Policier 6). Les participants ont également fait part de leur crainte d’être stigmatisés si on les voyait obtenir des soins de santé mentale, et ils ont exprimé de la vulnérabilité au moment de parler du recours à ce type de soins.

Émotions

Les membres de tous les services ont fait état des répercussions émotionnelles (colère, irritabilité, etc.), comportementales (consommation accrue de substances, diminution des interactions sociales, etc.) et physiques (mauvais sommeil, troubles fonctionnels diurnes, baisse d’énergie, nausées, etc.) du stress cumulatif découlant d’une exposition répétée à des traumatismes :

Ça a nui à ma capacité de bien traiter les patients. Ça a nui à ma capacité d’être professionnel. Ça a nui à ma capacité de me présenter au travail de façon constante. Ça a beaucoup affecté tous les aspects de ma vie. Le travail d’ambulancier paramédical est très physique […] Si on a des difficultés liées à la santé mentale […] ça affecte le sommeil, ça affecte la force, ça affecte la capacité de faire de l’exercice et de prendre soin de soi-même… (Ambulancier paramédical 3)

Croyances à l’égard des conséquences

Les membres de tous les services ont indiqué que la participation du conjoint ou de la famille au bon moment lors du traitement en santé mentale est susceptible d’avoir des effets bénéfiques. Les participants ont souligné l’importance de faire comprendre à leur conjoint et à leur famille les exigences d’une vocation de premier répondant et de les sensibiliser aux signes et aux symptômes des problèmes de santé mentale ainsi qu’aux solutions possibles.

Analyse

Chez les premiers répondants, les obstacles les plus fréquemment cités en matière d’accès aux soins de santé mentale sont les craintes concernant la confidentialité, le manque de confiance, le manque de connaissances du milieu professionnel (compétence culturelle) au sein des services, le manque de clarté sur les services offerts et sur les modalités d’accès ainsi que la stigmatisation au sein des organisations de premiers répondants.

La crainte d’une stigmatisation causée par des révélations a été antérieurement citée comme l’obstacle le plus fréquent à la recherche de soinsNote de bas de page 45. L’accent mis sur la stigmatisation concorde avec la littérature sur les obstacles aux soins, la stigmatisation associée à la santé mentale et les répercussions qui en découlent sur la recherche d’aide et l’accès à des soinsNote de bas de page 12Note de bas de page 18Note de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 45. D’après les entretiens que nous avons menés, la stigmatisation englobe les pensées, les sentiments et les comportements des individus au sujet de la santé mentale ainsi que les politiques et les mesures prises en milieu de travail. Les résultats de l’étude fournissent également des renseignements importants susceptibles d’être particulièrement utiles pour soutenir les efforts concertés visant à lancer des interventions et des services adaptés pour cette population afin de mieux protéger et maintenir la santé mentale et le bien-être à court et à long terme.

L’avantage d’utiliser une approche systématique basée sur le cadre TDF est que celle-ci aborde un comportement particulier dans un contexte particulier (dans ce cas, la participation à une clinique de traitement des blessures de stress opérationnel). À la lumière des résultats de notre étude, nous proposons neuf recommandations pour favoriser la fréquentation d’une clinique de ce type (tableau 3).

Tableau 3. Recommandations pour inciter les premiers répondants à recevoir des soins de santé mentale dans le cadre de l’étude sur les facteurs favorisant la recherche d’aide et l’accès aux soins de santé mentale, Ottawa, Canada, 2019

  1. Confidentialité
    Faire preuve de transparence au sujet de la confidentialité et des limites de la confidentialité lorsqu’on rencontre des premiers répondants ainsi que d’autres membres du personnel de sécurité publique, que ce soit en personne ou virtuellement.
  2. Mise en place de politiques et diffusion de l’information essentielle
    Établir des politiques écrites et fournir de l’information (comme publier des FAQ en ligne) sur la confidentialité, incluant les dispositions de sécurité pour les plateformes en ligne, l’endroit où les notes sont conservées et leur sécurité, des précisions sur les personnes qui ont accès à ces notes et sur les situations dans lesquelles la confidentialité peut être rompue (par ex. s’il existe un risque qu’une personne se fasse du mal ou fasse du mal à autrui).
  3. Adoption d’approches personnalisées pour la conception des espaces physiques et la disposition des zones de service
    Étant donné que les participants étaient très préoccupés par le fait d’être assis dans une salle d’attente avec d’autres clients, les services de santé mentale destinés aux premiers répondants et aux autres membres du personnel de sécurité publique devraient offrir une approche adaptée en prévoyant des rencontres en face à face, des discussions sur l’aménagement de la clinique (aménagement physique et salle d’attente) et sur le port ou non de l’uniforme. Autres suggestions possibles pour la conception des espaces physiques ou la disposition des aires de service dans le but d’assurer une protection maximale de la vie privée et de la confidentialité : vérifier s’il est possible pour les clients assis à l’extérieur du bureau du thérapeute d’entendre par les bouches d’aération ou à travers les portes les conversations qui ont lieu pendant les séances; adopter l’approche dite des « deux portes », à savoir une porte servant d’entrée dans un bureau et une autre porte servant de sortie.
  4. Environnement clinique
    Le personnel administratif de la clinique devrait se consacrer au maintien d’un environnement respectant la confidentialité et offrant des services adaptés à la culture professionnelle.
  5. Formation sectorielle pour développer les connaissances sur la culture professionnelle
    Les cliniciens et le personnel administratif devraient recevoir une formation didactique et expérientielle sur la culture professionnelle et les lieux de travail des premiers répondants et des autres membres du personnel de sécurité publique afin de se familiariser à ces derniers, de se montrer réceptifs et d’acquérir l’ensemble des compétences nécessaires pour travailler avec cette populationNote de bas de page 46. Les méthodes les plus efficaces pour donner suite à ces recommandations demeurent floues. Certaines suggestions concernent l’accompagnement des premiers répondants lors des appels, mais cela peut prendre du temps et nécessiter l’adhésion du service ou du lieu de travail. Les politiques de la clinique doivent également inclure les possibilités de formation et de supervision supplémentaires pour soutenir le perfectionnement continu des connaissances du milieu professionnel.
  6. Communication relative à l’accès aux services
    Des politiques particulières devraient être établies avec les différents organismes de premiers répondants et d’autres membres du personnel de sécurité publique. Tous devraient savoir comment avoir accès aux cliniques dédiées et comment obtenir des renseignements précis sur ce que la clinique offre ou non, grâce à un site Web spécifique.
  7. Politiques relatives aux congés de maladie, aux droits et aux démarches auprès des compagnies d’assurance
    Les organismes de premiers répondants et d’autres membres du personnel de sécurité publique ainsi que les compagnies d’assurance des employés devraient fournir une information claire et accessible à propos des politiques en matière de congés de maladie, de droits et de la façon de traiter avec les compagnies d’assurance pour les demandes de remboursement liées à la santé mentale. Cette information devrait détailler les conséquences d’une démarche (conséquences sur le salaire, la pension de retraite, etc.).
  8. Inclusion des familles
    La participation des familles aux évaluations courantes devrait être systématique.
  9. Mesures de soutien relatives aux périodes de transition
    Les cliniques dédiées aux premiers répondants et aux autres membres du personnel de sécurité publique devraient également concevoir des interventions pour tenir compte des changements de fonctions et des transitions d’identité au moment de la retraite et d’autres périodes transitoires.

La stigmatisation entourant la santé mentale doit être abordée dans les organismes de premiers répondants. Si la façon dont le faire correctement reste à préciser, il est peu probable que le simple fait de parler aux premiers répondants des signes et symptômes de maladie mentale soit suffisant. D’après notre étude, du contenu éducatif incluant également de l’information sur les conséquences à long terme de la maladie mentale serait utile. Nos résultats constituent une ressource utile pour les organismes de premiers répondants s’ils veulent encadrer la création et la prestation de services internes et externes. Les données sur les préférences en matière de traitement et les différentes options thérapeutiques pourraient être utilisées pour remédier à l’insuffisance ou à l’inefficacité des traitements et de l’accès aux soins. Les domaines de recherche à venir pourraient inclure une formation supplémentaire en santé mentale afin d’améliorer les connaissances, de réduire le cynisme parmi les premiers répondants et de lutter contre la stigmatisation non consciente ou persistante au sein des organismes de premiers répondants. En outre, des recherches à plus grande échelle pourraient porter sur la façon dont les premiers répondants souhaitent obtenir des soins de santé mentale.

Points forts et limites

Nos résultats soulignent la nature omniprésente et troublante de plusieurs obstacles, particulièrement en ce qui concerne la nature généralisée et profondément enracinée de la stigmatisation dans les différents contextes organisationnels. Ces résultats constituent une ressource précieuse pour les recherches à venir et les organismes afin d’encadrer la création et la prestation de services internes et externes.

Notre étude comporte plusieurs limites, que nous énumérons ici pour orienter les recherches à venir. Les entretiens semi-structurés ont permis d’obtenir des réponses approfondies et complètes de la part des participants, mais ces résultats reflètent le point de vue des membres au sein des trois services d’intervention d’urgence d’Ottawa (Canada) et ne sont pas généralisables à l’ensemble des populations de premiers répondants. La reproduction de l’étude dans d’autres villes pourra guider la prestation de services de santé mentale et pourra permettre de cerner les obstacles aux soins spécifiques à chaque organisme. De plus, compte tenu de la taille réduite de l’échantillon et des méthodes de recrutement des services de premiers répondants tissés serrés, la protection de la vie privée et de la confidentialité est demeurée primordiale, ce qui fait que nous n’avons pas recueilli certaines caractéristiques sociodémographiques (comme la race ou l’origine ethnique). Une étude plus vaste permettrait l’évaluation de dimensions sociodémographiques agissant sur le cumul de conséquences liées à d’autres déterminants de la santé sur les obstacles à l’accès aux soins dans cette population.

Conclusion

À notre connaissance, il s’agit de la première étude qualitative structurée et fondée théoriquement utilisant un cadre majeur issu de la science de la mise en œuvre pour analyser de manière systématique les obstacles et les facteurs facilitants que rencontrent les premiers répondants comme d’autres membres du personnel de la sécurité publique lorsqu’ils tentent d’accéder à des services de santé mentale, en particulier ceux adaptés à leurs besoins. Nos résultats nous conduisent à proposer plusieurs recommandations pour encourager l’accès aux soins de santé mentale et ils permettent d’expliquer également pourquoi, malgré un taux élevé de troubles de santé mentale au sein de cette population, certains premiers répondants n’ont pas accès à des soins. La mise en place de procédures qui protègent la confidentialité des premiers répondants et assurent la compétence culturelle du personnel de la clinique (c’est-à-dire leur connaissance du milieu professionnel des premiers répondants) est un objectif à envisager. D’autres interventions possibles consistent à informer les organismes sur ce qui est disponible, la manière de s’y retrouver parmi les soins de santé mentale et les modalités d’accès, ainsi que les conséquences d’un accès à ces soins. Enfin, il est nécessaire de mettre à l’essai les interventions suggérées afin de cibler les comportements individuels au sein des systèmes complexes, par exemple comment la modification des politiques organisationnelles risque de renforcer la stigmatisation et agir comme obstacle à la recherche de soins de santé mentale.

Remerciements

De nombreuses personnes ont contribué à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la conduite de cette étude, ainsi qu’à l’analyse des résultats, tout au long de la durée de vie du projet. Outre les personnes citées dans cet article, les auteurs souhaitent remercier tous les participants qui ont fait part de leurs points de vue et de leurs expériences, ainsi qu’aux personnes et aux organismes suivants : le First Responder Mental Health Network Collaboration et tous les membres du comité pour leur soutien à cette étude et le recrutement des participants; le chef adjoint (à la retraite) Sean Tracey; Jenna Smith; le chef adjoint Dave Matschke; Gabrielle Galley; Livia Chyurlia; Sarah MacLean et Nicole Edgar.

Financement

Outre l’appui non financier de la Ville d’Ottawa, cette étude a reçu un financement de la part du Programme canadien pour la sûreté et la sécurité (PCSS). Le PCSS est un programme financé par le gouvernement fédéral et dirigé par Recherche et développement pour la Défense Canada, en partenariat avec Sécurité publique Canada.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts à signaler en ce qui concerne la recherche, la paternité et la publication de cet article.

Contributions des auteurs et avis

VT (cochercheure principale), SH (cochercheur principal), JJ, RNC, IC, AH, SL, DF, MJH, KT, DC : conception, méthodologie. VT, AB (assistance à la recherche) : collecte de données. AB, VT, PB, ZC (assistance à la recherche), JM : analyse formelle. VT : rédaction de la première version du manuscrit. Tous les auteurs : relectures et révisions du manuscrit.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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