Cadre d’éthique en santé publique : Guide pour la réponse à la pandémie de COVID-19 au Canada
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Introduction
En raison de la menace pour la santé publique que représente la pandémie de COVID-19, tous les ordres de gouvernement ont pris des mesures sans précédent afin d’aider à ralentir la propagation du virus responsable de la COVID-19 et, par conséquent, de réduire au minimum le nombre de décès et de personnes gravement atteintes ainsi que les perturbations sociales provoquées par la pandémie. Des choix difficiles sont faits dans un contexte de grande incertitude, étant donné l’évolution rapide des connaissances sur la COVID-19 et sur l’impact des mesures de santé publique inédites. Citons à titre d’exemples les décisions concernant l’allocation des ressources rares, les lignes directrices pour la priorisation des vaccins et des contre-measure médicales, la restriction des libertés individuelles et la fermeture ou la réouverture des espaces publics, des écoles et des entreprises. En prenant conscience de la nature éthique fondamentale de ces choix, il peut être plus facile pour les décideurs de déterminer les valeurs et les intérêts concurrents, d’évaluer les facteurs pertinents, d’examiner les options et de prendre des décisions réfléchies et justifiables.
Public cible
Ce cadre est destiné aux décideurs et aux professionnels de la santé publique qui prennent des décisions en matière de santé publique dans le contexte de la COVID-19.
Application envisagée
Le présent document est un guide visant à appuyer la délibération éthique et la prise de décisions en ce qui a trait à la réponse de santé publique à la pandémie de COVID-19 et, notamment, la transition vers une nouvelle normalité. Il s’appuie sur plusieurs documents d’orientation et cadres élaborés au Canada et à l’international. La section 1 expose des principes et des valeurs éthiques que les autorités en santé publique peuvent prendre en considération, et la section 2 définit un cadre pour aider à cerner les enjeux, analyser et soupeser les considérations pertinentes, et évaluer les options afin de soutenir la prise de décisions en situation réelle.
Valeurs et principes éthiques
La confiance et la justice sont les deux valeurs phares qui sous-tendent ce cadre. Les valeurs et principes éthiques et les aspects procéduraux qui suivent contribuent à soutenir et à promouvoir la confiance et la justice. Étant donné qu’il peut être impossible dans certaines circonstances de défendre toutes les valeurs et tous les principes de façon égale, il sera important pour les décideurs d’expliquer l’ordre de priorité des valeurs et des principes, et de justifier les compromis qu’ils ont faits dans chaque situation.
Confiance
La confiance est le fondement sur lequel reposent toutes les relations, qu’il s’agisse de relations entre les personnes, entre les personnes et les organisations ou entre les citoyens et le gouvernement. La confiance est essentielle à la réussite de toute intervention liée à la COVID-19. L’efficacité de plusieurs des interventions de santé publique dépend de la coopération active des membres du public, laquelle est plus probable si le public fait confiance aux conseils des autorités de santé publique. La preuve que les interventions de santé publique atteignent les résultats escomptés ou, à défaut, des explications transparentes et en temps opportun des raisons pour lesquelles elle n’y sont pas parvenues, contribuent également à inspirer et à maintenir la confiance du public. Sans cette confiance, les choix individuels pourraient contribuer à la propagation de la COVID-19 dans la communauté. Dans le contexte actuel d’incertitude, l’ouverture, la franchise et la transparence dans la prise de décisions et les communications sont essentielles pour inspirer la confiance.
Justice
Le principe de justice implique de traiter toutes les personnes et tous les groupes de façon juste et équitable, avec le même respect et la même considération, compte-tenu de ce qui leur est dû en tant que membres de la société. Cela ne signifie pas qu’il faut traiter chaque personne de la même manière, mais plutôt qu’il faut examiner qui bénéficie des mesures et qui en subit les conséquences négatives, éviter la discrimination et réduire au minimum ou éliminer les inégalités dans la répartition des fardeaux, des avantages et des possibilités de préserver la santé et le bien-être. Dans le contexte de la COVID-19, il s’agit également d’examiner attentivement les répercussions des décisions et de leur mise en œuvre sur les personnes qui ont les plus grands besoins, qui sont particulièrement vulnérables à l’injustice, ou qui sont touchées de façon disproportionnée par la pandémie et les mesures d’intervention en santé publique, tant au Canada que dans le contexte mondial. Une remise en question consciente et délibérée des présomptions est essentielle pour garantir que les réponses et les décisions ne reproduisent pas les préjugés et les stéréotypes culturels qui enracineraient encore davantage les inégalités dans cette pandémie.
Respect des personnes, des collectivités et des droits de la personne
Le respect des personnes et des collectivités signifie reconnaître les droits inhérents, la dignité et la valeur inconditionnelle de toutes les personnes, quelle que soit leur condition humaine (par exemple, âge, sexe, race, origine ethnique, handicap, statut socio-économique, valeur sociale, conditions de santé préexistantes, besoin de soutien). Cela suppose de reconnaître la capacité unique des personnes et des collectivités à prendre des décisions concernant leurs propres objectifs et actions et de respecter les droits et libertés qui sont à la base de notre société. Le droit à l’autonomie n’est toutefois pas absolu. Dans le contexte de la réponse à la COVID-19, le respect de l’autonomie pourrait comprendre les éléments suivants : reconnaître l’importance des consultations publiques et de fournir des explications sur le fondement des décisions, communiquer l’information de façon franche, honnête, opportune et accessible, et offrir aux individus le soutien personnel nécessaire et la possibilité d’exercer le plus de choix possible lorsque ceci est conforme au bien commun. Le respect des collectivités signifie aussi tenir compte de l’impact potentiel des décisions sur toutes les collectivités et les groupes qui pourraient être affectés, ainsi que reconnaître et respecter les droits particuliers des peuples autochtones et les responsabilités à leur égard.
Favoriser le bien-être
Les personnes, les organismes et les collectivités doivent contribuer au bien-être d’autrui. Dans le contexte de la COVID-19, les décisions et les mesures prises par les autorités de santé publique doivent promouvoir et protéger dans la mesure du possible la santé et le bien-être physique, psychologique et social de toutes les personnes et collectivités. Les autorités de santé publique doivent aussi tenir compte des besoins particuliers et des devoirs envers les personnes et collectivités qui sont marginalisées, défavorisées ou qui sont touchées de façon disproportionnée par les mesures d’intervention.
Réduire au minimum les préjudices
Les autorités de santé publique ont l’obligation d’éviter de causer tout préjudice indu et, étant donné que certains préjudices sont probablement inévitables, de réduire au minimum le risque de préjudice et la souffrance associée à la COVID-19 et aux mesures d’intervention de santé publique. Il faut pour cela prendre en considération les divers préjudices et la souffrance qui peuvent résulter de la pandémie (tels que la mauvaise santé, l’anxiété et la détresse accrues, l’isolement, les perturbations sociales et économiques), ainsi que les différentes répercussions de ces préjudices sur divers groupes et populations.
Afin de promouvoir le bien-être et de réduire au minimum les préjudices, les éléments suivants doivent être pris en compte dans l’évaluation des options :
- Efficacité : Il doit y avoir une probabilité raisonnable que la décision ou la mesure proposée atteigne ses objectifs et que sa mise en œuvre soit possible. S’il existe des preuves scientifiques, l’action ou la décision proposée doit être étayée par ces preuves;
- Proportionnalité : On doit soupeser les avantages potentiels et les risques de préjudice. Les mesures doivent être proportionnées à la menace et aux risques pertinents ainsi qu’aux avantages qui peuvent en découler. Si une limitation des droits ou des libertés est jugée essentielle pour atteindre un objectif, il convient de choisir les mesures les moins restrictives possible et de ne les imposer que dans la mesure nécessaire pour prévenir un préjudice prévisible;
- Réciprocité : Ceux à qui l’on demande de prendre des risques accrus ou de porter un fardeau plus lourd ou démesuré afin de protéger le bien public doivent être soutenus par la société dans cette démarche, et ces fardeaux doivent être réduits au minimum dans la mesure du possible;
- Précaution : L’incertitude scientifique ne devrait pas empêcher les autorités de santé publique de prendre des mesures pour réduire les risques associés à la COVID-19. La recherche continue de preuves scientifiques doit néanmoins être un objectif.
Travailler ensemble
Parce que les individus font partie d’un ensemble plus vaste, qu’il s’agisse d’une organisation, d’une collectivité locale, d’une nation ou de la communauté mondiale, l’action collective face à des menaces communes est justifiée. Il est important de s’entraider et de travailler ensemble pour se préparer à la pandémie, intervenir et se remettre à la suite de celle-ci, car la pandémie affecte la société dans son ensemble. Travailler ensemble implique aussi maintenir des liens forts entre toutes les juridictions au Canada, ainsi qu’au niveau international.
Aspects procéduraux
Les décisions éthiques se fondent sur les meilleurs renseignements accessibles et sur une large compréhension commune des valeurs, des principes et des questions d’importance. Un bon processus décisionnel contribue à établir la confiance, à accroître la légitimité et l’acceptabilité des décisions et à les mettre en œuvre efficacement. Il comporte les caractéristiques suivantes :
- Imputabilité : Les décideurs doivent rendre des comptes au public en ce qui concerne le type et la qualité des décisions ou des mesures prises;
- Ouverture et transparence : Les intervenants sont rapidement informés avec exactitude des décisions prises, dans leur intégralité, des motifs justifiant la prise de ces décisions et des critères appliqués, et ont la possibilité de faire part de leurs commentaires;
- Inclusivité : Les groupes et les individus qui sont le plus susceptibles d’être concernés par les décisions participent, dans la mesure possible, aux processus de décision et de planification;
- Réactivité : Les décisions doivent être réexaminées et revues dès l’obtention de nouveaux renseignements;
- Intersectionnalité : une approche intersectionnelle est appliquée à la délibération et à la prise de décision.
Cadre éthique
Ce cadre comporte cinq étapes. Il définit des questions pour guider l'analyse systématique des enjeux éthiques - en utilisant les valeurs et les principes énoncés dans la section 1 - et l'évaluation des options, afin de soutenir la prise de décision.
Étape 1 : Détermination de l’enjeu et compilation des faits pertinents afin de bien comprendre le problème
- Quel est le problème à régler?
- Quels sont les faits pertinents, les preuves scientifiques et les autres facteurs contextuels? Quelle mésinformation est diffusée au sujet de l’enjeu? Qu’est-ce qui n’est pas connu?
- Qui est concerné par cette décision? Comment tous les intervenants peuvent-ils être mobilisés tout au long du processus décisionnel?
- Comment les intervenants perçoivent-ils l’enjeu et quelles sont leurs préoccupations?
Étape 2 : Détermination et analyse des questions éthiques et classement par ordre de priorité des valeurs et des principes qui seront défendus
- Quels sont les valeurs, les principes et les considérations d’ordre éthique rattachés à cet enjeu?
- Certains de ces principes et valeurs sont-ils incompatibles?
- Quels valeurs ou principes sont les plus importants?
Étape 3 : Détermination et évaluation des solutions à la lumière des valeurs et des principes
- Quelles sont les options (y compris ne rien faire)?
- Compte tenu des valeurs et des principes prioritaires, quels sont les avantages et les inconvénients de chaque option (p. ex. avantages potentiels, préjudices, répartition juste et équitable, conséquences relatives pour les personnes ou les groupes désavantagés, conséquences prévues et imprévues, degré de certitude quant à l’efficacité, respect des droits et des intérêts)?
- Quelles sont les incertitudes associées à chaque solution?
Étape 4 : Sélection et mise en œuvre du meilleur plan d’action
- Quelle option correspond le mieux aux valeurs et aux principes prioritaires?
- Les décideurs et les intervenants sont-ils à l’aise avec la décision?
- Qui mettra en œuvre la décision? Comment peut-elle être mise en œuvre de façon équitable?
- Qui communiquera la décision? À quel moment et de quelle façon?
Étape 5 : Évaluation
- Quelles leçons a-t-on tirées de la mise en œuvre de la décision?
- Les résultats de la décision ont-ils concordé avec les objectifs de celle-ci? Y a-t-il eu des conséquences inattendues? Est-ce que sa mise en œuvre a créé ou exacerbé des inégalités?
- La décision devrait-elle être réexaminée?
Ressources sélectionnées
- Organisation mondiale de la santé, Lignes directrices pour la gestion des questions éthiques lors des flambées de maladies infectieuses (2016)
- Comité international de bioéthique de l'UNESCO et Commission mondiale d'éthique des connaissances scientifiques et des technologies, Déclaration sur le COVID-19 : considérations éthiques selon une perspective mondiale (2020)
- Agence de la santé publique du Canada, Cadre pour la réflexion et la prise de décisions fondées sur l'éthique en santé publique : Un outil pour les praticiens de la santé publique, les responsables de l'élaboration de politiques et les décideurs (2017)
- Ministère de la Santé de l'Alberta, Alberta's Ethical Framework for Responding to Pandemic Influenza (2016) (en anglais seulement)
- Ministère de la Santé de la Colombie-Britannique, COVID-19 Ethical Decision-Making Framework (2020) (en anglais seulement)
- Ministère de la Santé et des Services sociaux des Territoires du Nord-Ouest, Territorial Ethical Decision-Making Framework (2019) (en anglais seulement)
- Québec, Comité d'éthique de la santé publique et Commission de l'éthique en science et en technologie, Cadre de réflexion sur les enjeux éthiques liés à la pandémie de COVID-19 (2020)
- Groupe de travail sur la grippe pandémique du Centre commun sur la bioéthique de l’Université de Toronto, Stand on Guard for Thee: Ethical considerations in preparedness planning for pandemic influenza (2005) (en anglais seulement)
- Centre de santé Trillium, IDEA: Ethical Decision-Making Framework (2013) (en anglais seulement)
- Condition féminine Canada, Approche du gouvernement du Canada : Analyse comparative entre les sexes plus (2018)
Remerciements
Le Cadre d’éthique en santé publique : Guide sur la réponse à la pandémie de COVID-19 au Canada a été élaboré par le Groupe consultatif en matière d’éthique en santé publique de l’ASPC et son secrétariat, avec des contributions des membres du Groupe de travail sur la préparation du Canada en cas de grippe pandémique, du Comité consultatif spécial fédéral, provincial et territorial sur la COVID-19 et du Groupe consultatif sur la COVID-19 en matière des personnes en situation de handicap. L’ASPC apprécie grandement le temps et les efforts consacrés par chacun à ce projet.
Liens connexes
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