Transcription
(D) Lorsque j'étais dans un pensionnat, c'était comme… Même si mes frères y étaient, je ne voyais pas mes frères. Seul le samedi, tu verras tes frères. Autrement, tu ne les verras pas. Tu les vois dans un couloir, en marchant vers la salle de classe. Même si seulement environ trois pieds vous séparent, voilà vos frères qui s'en vont vers la maternelle, alors que toi, tu vas à l'école secondaire.
Et tu marches là, et tu ne peux même pas les regarder et leur dire : « Salut, comment ça va? ». Tu ne peux pas. Et c'était vraiment difficile, parce qu'être dans un pensionnat, c'est… ne pas parler sa langue, c'est tout simplement ça : parle seulement en anglais. Et nous avions tous l'air de jumelles, on nous coupait les cheveux ainsi. Personne n'avait les cheveux longs. Toutes les filles avaient une courte frange, juste comme ça. On rasait aussi les cheveux de tous les garçons, même s'ils avaient les cheveux longs. Ils avaient donc tous l'air de jumeaux. Nous étions sur le lac, un très beau lac, le lac Reindeer, là où j'ai grandi. Un jour, un avion atterrit. Et le pilote en est ressorti. [Des gens] sont venus sur la rive et ils ont parlé à ma mère et à mon père. Ils leur ont dit qu'ils devaient emmener leur enfant. Ils m'ont donc mise à bord d'un avion, sur cet hydravion. Et ils me donnaient constamment des bonbons, de sorte que je ne pleure pas. Mais lorsqu'ils ont entamé la descente vers un endroit que je ne connaissais pas, nous sommes arrivés à un immense bâtiment. La première personne que j'ai vue, c'était une personne vêtue en blanc. Je pleurais constamment. Et il y avait un autre enfant avec moi. Et on allait nous séparer. Je l'ai pris [dans mes bras] et j'ai commencé à pleurer. Lorsqu'on nous a séparés, j'ai pleuré pour lui, parce que je ne voulais pas qu'on me l'enlève. [Des gens] m'ont dit que j'étais malade, mais je ne comprenais pas l'anglais. Et ils m'ont laissée dans cet immense bâtiment. Ils me donnaient des médicaments pour traiter ma TB. Chaque jour, j'en recevais. Mais je ne savais pas pourquoi, et je suis restée là pendant un an et demi.
Puis je suis restée un an, en 1963, et vers le milieu de l'année, on m'a dit : « Tu rentres chez toi. » J'étais très heureuse lorsqu'on m'a dit : « Tu rentres chez toi. » Aller chez toi signifiait que tu allais voir ta mère, ton père, ainsi que tes frères et sœurs, si tu en as. Oui, j'étais heureuse. Puis, on m'a emmenée dans ce bâtiment, un autre bâtiment. Un bloc, un gros bâtiment en forme de bloc.
Et j'ai pensé : « Je ne suis pas chez moi. Cela ne ressemble pas à mon chez-moi. » Mais lorsque je suis arrivée à la porte d'entrée, une personne vêtue en noir s'y trouvait. Et elle avait une croix sur son côté, ici. Et j'ai pensé : « Je ne suis pas chez moi. » Et elle a dit : « Viens ici. » Et elle m'a mise devant une fille ici, une grande fille, puis elle m'a dit de m'asseoir là. Ensuite, j'ai vu tout le monde se lever. Je me suis donc levée, et tout le monde faisait ainsi. Que font-ils maintenant? Et la fille à côté de moi me dit : [parle en cri].
C'est du cri. [Parle en cri] cela veut dire « cri ». Donc, je l'ai regardée et j'ai pensé : « Oh, je suis chez moi », même si je ne savais pas qui elle était. C'est donc ce que j'ai fait. J'ai tout de suite compris cette langue. J'ai donc fait la même chose que la fille et tous les autres enfants. Et lorsqu'on mange dans un pensionnat, on nous interdit de parler à la personne à côté de nous ou à qui ce soit. Après ça, c'était tout. Je ne l'ai jamais revue. Mais plus tard, alors que j'allais à l'école, j'ai appris que [cette fille] était ma sœur. Le programme des Rangers m'a aidée, beaucoup aidée, à faire mon deuil. Et je suis tant, tant… comment le dit-on? Je suis reconnaissante à toutes les personnes qui ont participé au programme des Rangers, et à celles qui aident les Rangers. Je suis très, très reconnaissante. Si seulement des Rangers canadiens ou d'autres militaires parlaient un peu de notre langage, ne serait-ce qu'un seul mot, ce serait un cadeau pour nous. Un seul mot.