Shearwater, lieu de naissance de l’aviation maritime au Canada

Article de nouvelles / Le 7 février 2018

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La 12e Escadre Shearwater de l’Aviation royale canadienne, qui est située en Nouvelle-Écosse, célèbre son centième anniversaire cette année.

Par le colonel (retraité) Ernie Cable

La base aérienne de Shearwater à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, est à peine plus jeune que la base des Forces canadiennes (BFC) Borden à titre de plus ancien aérodrome militaire au Canada. Depuis sa création en 1918, elle accueille les escadrons aériens de la Marine canadienne et les escadrons aériens maritimes de l’Aviation royale canadienne. L’histoire colorée et diversifiée de Shearwater comprend la naissance des forces aériennes de patrouille maritime et navale du Canada et s'inscrit dans l’héritage de l’aviation maritime et navale de notre pays plus que toute autre base.

Shearwater voit d’abord le jour en tant que base d’hydravions en août 1918, lorsque le petit promontoire situé dans le passage est du port de Halifax et connu sous le nom de Baker’s Point devient la station aéronavale des États-Unis à Halifax. Shearwater se transforme par la suite en base aérienne du Canada, de l'Aviation royale canadienne (ARC), puis de la Marine royale canadienne (MRC). L’établissement de forces aériennes navales américaines et britanniques à Shearwater au cours des deux guerres mondiales enrichit le patrimoine de l’aviation maritime de la base aérienne. Lorsque les forces armées fusionnent en 1968, Shearwater devient une base des Forces canadiennes; elle est aujourd'hui la 12e Escadre, une unité hébergée de l’ARC soutenue par la BFC Halifax. Étant située sur la côte, Shearwater a toujours joué un rôle étroitement lié à la défense des espaces aériens et des voies maritimes de la côte Atlantique du Canada. En fait, la menace par voie maritime est à l’origine de l'établissement de la base et est toujours au centre de ses activités.

Pendant la Première Guerre mondiale, les sous-marins allemands effectuent des opérations entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse et, plus particulièrement, dans les eaux des côtes est et sud de cette dernière. En temps de paix, et davantage en temps de guerre, un très grand nombre de navires entrent dans le golfe du Saint-Laurent et en sortent, en plus d’accoster aux ports de la Nouvelle-Écosse. Les navires qui voyagent seuls ou en convois quittent en succession rapide les ports de l’est du Canada, notamment ceux de Halifax et de Sydney, en Nouvelle-Écosse, remplis de soldats et de provisions devant servir à soutenir les Britanniques en Europe. De plus, de nombreux navires transatlantiques à destination ou en provenance de Boston, de New York ou d’autres ports du nord-est des États-Unis passent en périphérie de ces eaux. Par conséquent, les gouvernements canadiens et américains accordent la plus grande importance à la protection de ces couloirs de navigation.

À partir de 1917, le succès des convois à voyageant vers l'est qui partent de Halifax et de Sydney suscite l’intérêt des Allemands. Soudainement, la côte canadienne devient une zone d’attaque intéressante. L’Amirauté avertit Ottawa des derniers événements et le Service naval tente immédiatement de renforcer sa force de patrouille. Toutefois, aucun navire supplémentaire n’est disponible. On décide donc d’utiliser des aéronefs affectés à des bases côtières pour protéger les navires marchands dans les eaux canadiennes. Mais d’où proviendront ces aéronefs? L’Amirauté n’a aucun surplus et la seule possibilité semble provenir de la United States Navy (USN), qui accroît sa capacité de patrouiller dans ses eaux nationales. La possibilité de construire et d’exploiter une base aérienne à proximité de Cape Sable Island, en Nouvelle-Écosse, présente une solution au problème qu'éprouvent les deux pays.

Entre-temps, la menace allemande est si grave que l’Amirauté renouvelle son avertissement et propose un plan préliminaire pour les patrouilles d’aéronefs. Selon ce plan, le Canada créera non seulement un service aérien, mais aussi des usines de fabrication d’hydravions, de dirigeables et de ballons cerfs-volants pour l’appuyer. On recommande au Canada d’obtenir l’aide des États-Unis et, provisoirement, de leur demander d’élargir leur zone de patrouille d’hydravions côtiers au nord pour protéger la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. Par ailleurs, on devra créer deux bases aériennes, une à Halifax et l’autre à Sydney, et les États-Unis approvisionneront ces deux bases en pilotes, en hydravions, en dirigeables et en ballons cerfs-volants jusqu’à ce que le Canada puisse prendre la relève.

Le 23 avril 1918, le contre-amiral Spencer Shepard Wood, de la USN, commandant du First Naval District, et l’amiral Charles Edmund Kingsmill, directeur du Service naval du Canada, concluent que les États-Unis s’occuperont des patrouilles côtières et du travail de lutte contre les sous-marins aussi loin vers l’est que Lockport, en Nouvelle-Écosse, et que les forces américaines affectées à ces opérations relèveront de la MRC. Puisque le Canada ne dispose pas d’officiers ayant l’expérience des opérations aériennes maritimes, l’Amirauté confie au lieutenant-colonel J.T. Cull, militaire de la Royal Air Force (RAF) et ancien commandant d'escadre du Royal Navy Air Service, le commandement global des patrouilles aériennes.

Les autorités canadiennes autorisent finalement l’établissement des deux bases aériennes le 5 juin 1918. Le lieutenant-colonel Cull arrive d’Angleterre en juillet et approuve les sites d’Halifax initialement choisis. La base d’hydravions se trouvera au sud de Dartmourth, au niveau du passage est, alors que le site de dirigeables sera aussi du côté de Dartmouth par rapport au port de Halifax. Il choisit Kelly Beach, à l’ouest de North Sydney, pour les hydravions et les ballons, et un site de l’autre côté de la ville pour les dirigeables. Le gouvernement canadien doit fournir, à ses frais, le site, les bâtiments et tout l’équipement au sol, alors que le gouvernement américain fournit les aéronefs et le personnel pour les exploiter jusqu’à ce que le personnel canadien soit en mesure de se servir des bases. Pendant la période où les patrouilles aériennes incomberont au personnel américain, c’est le gouvernement américain qui paiera les dépenses d’exploitation.

Les officiers maritimes britanniques et canadiens sont essentiellement responsables de la gestion des bases et des opérations. Les États-Unis créent le bureau du commandant des United States Naval Air Forces au Canada et y affectent le lieutenant Richard Evelyn Byrd fils, de la USN, qui deviendra un amiral reconnu pour ses exploits en milieu polaire. De plus, le lieutenant Byrd reçoit l’ordre d’assumer le commandement direct de la base à Halifax et d’agir comme officier de liaison entre les gouvernements américain et canadien sur les sujets touchant à l’aviation maritime.

Bien que les progrès à ce jour dans l’établissement de patrouilles aériennes soient valorisants, ils ne se surviennent pas assez rapidement pour faire face à la situation alarmante qui se produit la première semaine d’août 1918. Le sous-marin allemand U-156 coule six navires au sud-est de la Nouvelle-Écosse. D’autres navires subissent des attaques la même semaine au même endroit. Par ailleurs, on découvre de nombreuses mines le long de la côte de la Nouvelle-Écosse. Il va sans dire que la nécessité de disposer de bases aériennes au Canada se fait sentir plus que jamais.

L’équipement et les fournitures indispensables aux opérations sont expédiés rapidement à Halifax. Le lieutenant Byrd arrive à sa nouvelle base le 15 août 1918. Les caisses qui contiennent les deux premiers hydravions à coque Curtiss HS-2L arrivent à Halifax par train le 17 août. On les transporte à bord d’une barge le long du port jusqu’à la base aérienne de Dartmouth, puis on les tire sur la plage en utilisant des billots. Deux jours plus tard, un premier aéronef assemblé accomplit un vol. La première patrouille opérationnelle, quant à elle, a eu lieu le 25 août 1918, date qui marque la naissance de l’aviation de patrouille maritime au Canada.

Pour mettre en œuvre le plan convenu en avril à Washington, en vertu duquel les Canadiens vont remplacer les aviateurs de la USN, le quartier général du Service naval du Canada établit un plan de recrutement visant à ajouter 500 officiers et hommes à l’effectif de la MRC pour remplir des fonctions aériennes; les taux de rémunération habituels restent en vigueur, mais une prestation particulière pour les fonctions aériennes est prévue. Un décret canadien daté du 5 septembre 1918 autorise la nouvelle force à s’appeler Service aéronaval de la Marine royale du Canada (RCNAS), qui s’inspire de son pendant britannique, le Royal Naval Air Service. Les pilotes d’aéronefs recrutés par le RCNAS sont formés aux États-Unis, tandis que les pilotes de dirigeables suivent leur instruction en Angleterre. Au début de novembre 1918, 81 cadets se sont enrôlés et le RCNAS est bien établi; on prévoit qu’il formera une force de combat à part entière dès le printemps 1919.

Au cours de la première semaine de septembre 1918, Dartmouth ne reçoit toujours pas de bombes. Cependant, la menace que représentent les sous-marins est si grave que les grenades sous-marines sont remplacées par des bombes, afin de pouvoir les larguer à la main sur les sous-marins ennemis. Le lieutenant Byrd met sur pied un détachement de six hydravions à coque HS-2L et de divers ballons cerfs-volants afin d’effectuer des patrouilles anti-sous-marines dans les voies d’approche du port de Halifax, ainsi qu’un deuxième détachement de six HS-2L à North Sydney. Lors de l’élaboration de la politique opérationnelle générale pour les patrouilles aériennes, on convient de ne pas faire de patrouilles régulières à Halifax ou à North Sydney, mais d’affecter deux hydravions aux opérations d’escorte et un hydravion aux fonctions de lutte anti-sous-marine d’urgence à chaque base. Sans perturber le déroulement du programme, on effectue autant de vols de patrouille supplémentaires que possible à chaque base aux endroits et aux moments les plus susceptibles de produire des résultats.

Les opérations commencent réellement dans la semaine du 7 septembre, au cours de laquelle sept vols d’escorte ainsi que dix patrouilles et autres vols ont lieu. Dès que les circonstances l’exigent, les appareils font des vols d’urgence et tous les convois jouissent d’une escorte sur une distance de 96,5 à 120,5 km jusqu’à la mer. En tout, 200 patrouilles et autres vols ont lieu pendant le déploiement de la USN, ce qui représente un total de 400 heures de vol.

Après seulement quelques mois d’opérations, la Première Guerre mondiale se termine et le personnel de la USN quitte les bases de Dartmouth et de North Sydney pour rentrer chez lui. Les États-Unis donnent au Canada 12 hydravions à coque HS-2L, 26 moteurs Liberty et quatre ballons cerfs-volants. Les premiers pas du Canada dans l’aviation de patrouille maritime entraînent des coûts de 811 168 $ pour les bases, l’équipement et le personnel. On estime le don des États-Unis à 600 000 $, et les hydravions à coque se révéleront fort utiles dans les années qui suivront.

Le conseil des ministres du gouvernement fédéral tente de conserver le RCNAS comme composante d’après-guerre de la MRC, mais cette période n’est pas propice à l’aviation navale au Canada. Le 5 décembre 1918, on donne l’ordre de mettre fin au RCNAS. La MRC, qui ne jouit d’aucun financement, doit suspendre l’aviation navale pendant plus de 20 ans. L’ancienne flotte de 12 aéronefs HS-2L fera partie des premiers dons d’aéronefs qui serviront à équiper la Commission de l'air, la deuxième force aérienne du Canada basée au pays (le RCNAS étant la première). Les quelques bâtiments à Dartmouth construits par le gouvernement canadien à l’appui du détachement du lieutenant Byrd formeront le noyau de ce qui deviendra la plus grande base aérienne maritime de l’ARC et la seule base aéronavale du Canada.

Le colonel (à la retraite) Cable est historien au Musée de l'aviation de Shearwater. Il a servi dans les Forces armées canadiennes pendant 35 ans, participant principalement aux opérations de patrouille maritime à bord d'aéronefs Argus et Aurora.

Le present article a paru dans l'édition du 8 janvier 2018 du journal « Trident », et est traduit et reproduit avec autorisation.

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