Programme de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas), population de l'estuaire du Saint-Laurent : chapitre 2
1. Contexte
- 1.1 Évaluation de l'espèce par le COSEPAC
- 1.2 Description
- 1.3 Populations et répartition
- 1.4 Besoins du béluga, population de l'estuaire du Saint-Laurent
- 1.5 Menaces
- 1.6 Mesures déjà achevées ou en cours
- 1.6.1 Protection légale
- 1.6.2 Programmes visant l'amélioration de la qualité des eaux de l'estuaire du Saint-Laurent
- 1.6.3 Interdiction des activités d'exploration et d'exploitation pétrolière et gazière
- 1.6.4 Intendance
- 1.6.5 Atténuation du dérangement par les activités scientifiques
- 1.6.6 Recherches
1.1 Évaluation de l'espèce par le COSEPAC
Sommaire de l'évaluation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) tel qu'il apparaît dans le rapport de situation (COSEPAC, 2004)Note de bas de page 1:
Date de l’évaluation : Mai 2004
Nom commun (population) : Béluga (population de l’estuaire du Saint-Laurent)
Nom scientifique : Delphinapterus leucas
Statut selon le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) : Espèce menacée
Justification de la désignation : La population a été grandement réduite par la chasse qui a eu lieu jusqu’en 1979. Des charges élevées de contaminants ont peut-être aussi contribué au déclin de la population. Les relevés aériens effectués depuis 1973 laissent croire que le déclin a cessé, mais ne fournissent pas de preuves claires d’une augmentation importante des effectifs. Les niveaux de nombreux contaminants demeurent élevés dans la chair du béluga. Les baleines et leur habitat sont menacés par les contaminants, le trafic maritime et l’industrialisation du bassin hydrographique du fleuve Saint-Laurent.
Présence au Canada : Québec, océan Atlantique
Historique du statut selon le COSEPAC : Espèce désignée « en voie de disparition » en avril 1983 et en avril 1997. Réexamen du statut : l'espèce a été désignée « menacéeNote de bas de page 2 » en mai 2004. Dernière évaluation fondée sur une mise à jour d'un rapport de situation.
1.2 Description
Le béluga (Delphinapterus leucas) est une baleine à dents (famille des odontocètes) de l’hémisphère Nord, adapté aux conditions arctiques et subarctiques. Cette espèce est caractérisée par l’absence de nageoire dorsale, une peau épaisse et la présence d’une crête dorsale utilisée pour briser la glace, ainsi que d’une proéminence sur la tête appelée melon, qui est une boule de graisse utilisée pour l’écholocationNote de bas de page 3. Les adultes se distinguent par leur peau blanche. Un béluga mâle adulte peut peser 1 900 kg et mesurer entre 2,6 et 4,5 m; la femelle adulte fait environ 80 % de la longueur du mâle jusqu’à un maximum de 3,5 m (Vladykov, 1944; Lesage et Kingsley, 1998; COSEPAC, 2004).
Les baleineaux sont gris et présentent parfois des taches de couleur plus foncées. À la naissance, ils mesurent 1,5 m de longueur, soit près de 50 % de la taille de leur mère et pèsent environ 78 kg. À l’âge de deux ans, ils atteignent 60 à 65 % de la longueur de leur mère (Brodie, 1971; Lesage et Kingsley, 1998). Les juvéniles plus âgés pâlissent graduellement jusqu’à devenir entièrement blancs à l’âge de la maturité sexuelle ou peu après (Sergeant, 1973; Heide-Jørgensen et Teilmann, 1994; Lesage et Kingsley, 1998).
1.3 Populations et répartition
1.3.1 Répartition et abondance mondiale de l'espèce
La population mondiale de bélugas est divisée en 29 populations dispersées dans la région circumpolaire entre les latitudes 47° N et 80° N (Martin et Reeves, 2000). Les bélugas sont présents dans les eaux de l’Alaska, du Canada, du Groenland, de la Norvège et de la Russie (figure 1). Ces populations se déplacent d’un habitat à un autre en fonction de la saison et de leurs exigences biologiques (par exemple, l’alimentation, la mise bas ou l’hivernage). Elles montrent une fidélité aux sites d’estivage qui sont souvent des estuaires et des fronts de glacier.
Il n’existe pas d’estimation fiable de la population mondiale de bélugas. Martin et Reeves (2000) ont présenté des estimations d’abondance des 29 populations identifiées dans le monde, qui totalisent entre 98 000 et 120 000 individus. Selon le rapport du COSEPAC (2004), l’effectif total en Amérique du Nord pourrait être supérieur à 100 000 individus, dont plus de 85 000 dans les eaux canadiennes. Sur la base de leur répartition estivale, les bélugas du territoire canadien ont été divisés en sept populations, représentées à la figure 2 (COSEPAC, 2004; Pêches et Océans Canada [MPO], 2005b). Le COSEPAC a évalué toutes les populations canadiennes et leur a octroyé un statut (en voie de disparition, menacé, préoccupant, non en péril). Actuellement, seule la population de l’estuaire du Saint-Laurent est inscrite à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril (LEP).
Figure 1. Répartition mondiale du béluga
Description pour la figure 1
Répartition mondiale du béluga (adapté de Reeves, 1990). La carte représente l’océan arctique entouré de la Russie, les pays scandinaves, le Canada et l’Alaska; le béluga est réparti dans cet océan, autour des côtes. Les bélugas sont présents dans les eaux de l’Alaska, du Canada arctique, de l’ouest du Groenland, du nord de la Norvège et de l’est et du nord de la Russie.
Cette division de la population nord-américaine de bélugas pourrait changer à la lumière des nouvelles études génétiques. Des études ont démontré à partir d’analyses des ADN mitochondrial et nucléaire que la population nord-américaine de bélugas n’est pas homogène (Brown Gladden et coll., 1997; Brown Gladden et coll., 1999b; de March et coll., 2002; de March et Postma, 2003). Cette population est divisée en deux unités évolutionnaires différentes (est et ouest) et subdivisée en au moins huit unités d’aménagement représentatives du lieu d’estivage.
Figure 2. Localisation des sept populations canadiennes de bélugas
En gris est la zone d'occurrence de la population tandis qu'en noir est l'aire principale d'estivage.
Description pour la figure 2
Localisation des sept populations canadiennes de bélugas. La carte représente les eaux du Canada, de l’Alaska et du Groenland dans lesquelles vivent les sept populations de bélugas en Amérique du Nord. 1) population de l’estuaire du Saint-Laurent : aire d’estivage : estuaire du Saint-Laurent, zone d’occurrence : estuaire et golfe du Saint-Laurent ; 2) population de la baie d’Ungava : aire d’estivage : sud-ouest de la baie, zone d’occurrence : baie d’Ungava et détroit d’Hudson ; 3) population de l’est de la baie d’Hudson : aire d’estivage :centre-est de la baie, zone d’occurrence : côte est de la baie ; 4) population de l’ouest de la baie d’Hudson : aire d’estivage : côte est du Manitoba et nord de l’Ontario, zone d’occurrence : côte ouest de la baie incluant la baie James; 5) population de l’est du haut Arctique et de la baie de Baffin : aire d’estivage : autour de l’île Sommerset, zone d’occurrence : de la côte ouest de l’île Baffin à la côte ouest du Groenland; 6) population de la baie Cumberland : aire d’estivage : baie de Cumberland, zone d’occurrence : côte est de l’île Baffin ; 7) population de l’est de la mer de Beaufort : aire d’estivage : mer de Beaufort, zone d’occurrence : côtes nord et ouest du Canada et de l’Alaska. Adapté de COSEPAC, 2004.
1.3.2 Répartition de la population du Saint-Laurent
Le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent vit en aval de la région des Grands Lacs, densément peuplée et très industrialisée, et au milieu d’une voie de navigation importante où l’on trouve des polluants de toutes sortes. Les analyses des ADN mitochondrial et nucléaire ainsi que celles des régions fonctionnelles du génome montrent que les bélugas du Saint-Laurent sont génétiquement isolés des autres populations de bélugas (Brennin et coll., 1997; Brown Gladden et coll., 1997; Brown Gladden et coll., 1999a; Murray et coll., 1999; de March et Postma, 2003). Ils constituent une lignée dont les parents les plus proches sont les bélugas de la côte est de la baie d’Hudson (Brown Gladden et Clayton, 1993; Brown Gladden et coll., 1997; Brown Gladden et coll., 1999a; COSEPAC, 2004). Toutefois, les analyses génétiques démontrent que ces deux groupes sont séparés depuis environ 8 000 ans (de March et coll., 2002).
De plus, les bélugas du Saint-Laurent semblent géographiquement isolés des autres populations de l’est de l’Arctique, bien que la distance qui les sépare ne soit théoriquement pas infranchissable. À l’occasion, la présence de bélugas est signalée dans le nord-est et le sud du golfe du Saint-Laurent, le long de la côte du Labrador, près de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et de la côte est des États-Unis (Reeves et Katona, 1980; Michaud et coll., 1990; Curren et Lien, 1998). Vladykov (1944) avait avancé l’idée que la population du Saint-Laurent n’était pas complètement isolée des populations vivant plus au nord et que des bélugas du nord avaient pu migrer vers le Saint-Laurent. Il est cependant impossible d’évaluer l’importance de ces mouvements, ou de savoir si des bélugas de l’Arctique auraient pénétré dans l’estuaire du Saint-Laurent à une époque récente.
La plus ancienne description de l’aire de répartition du béluga du Saint-Laurent est celle réalisée par Vladykov (1944). L’été, l’aire de répartition s’étendait vers l’est le long de la Côte-Nord jusqu’à Natashquan et le long de la rive sud jusqu’à Grande-Vallée (figure 3). L’aire de répartition printanière s’étendait plus à l’ouest, autour de l’île aux Coudres et plus à l’est et au sud, dans les eaux côtières de la péninsule gaspésienne et de la rive nord de la baie des Chaleurs. L’aire de répartition automnale comprenait le fjord du Saguenay et s’étendait aussi vers l’ouest, au-delà de la ville de Québec.
Figure 3. Répartition d'origine du béluga du Saint-Laurent
Description pour la figure 3
Répartition d’origine du béluga du Saint-Laurent (adapté de Vladykov, 1944). La carte représente l’aire de répartition d’origine du béluga dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, incluant la rivière Saguenay. L’été, l’aire de répartition s’étendait vers l’est le long de la Côte-Nord jusqu’à Natashquan et le long de la rive sud jusqu’à Grande-Vallée. L’aire de répartition totale s’étendait jusqu’à Québec et la baie des Chaleurs.
Bien que réduite par rapport à son état original, l’aire de répartition totale actuelle du béluga du Saint-Laurent couvre encore un territoire de plus de 8 000 km2 dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent ainsi que dans la rivière Saguenay (Michaud, 1993a; MPO et Fonds mondial pour la nature–World Wildlife Fund [WWF], 1995). La zone d’estivage actuelle, qui a peu changé ces 20 dernières années ne représente qu’une portion de l’aire d’origine (Michaud et coll., 1990; Lesage et Kingsley, 1998; Gosselin et coll., 2007). La population est concentrée à l’embouchure de la rivière Saguenay et occupe une aire de 2 000 km2 depuis les battures aux Loups Marins en face de Saint-Jean-Port-Joli, jusqu’à Rimouski, sur la rive sud du Saint-Laurent et Forestville, sur la Côte-Nord (figure 4). Au cours des dernières années, l'observation de près d'une trentaine de bélugas dans la portion de l'estuaire à l'est de Rimouski et Forestville ainsi que dans la région de Sept-Îles, laisse présager une répartition plus étendue que celle présumée jusqu'à maintenant (Kingsley et Reeves, 1998; Gosselin et coll., 2007). L’aire d’été comprend aussi la rivière Saguenay, de l’embouchure jusqu’à Saint-Fulgence.
La répartition des bélugas hors de la période estivale, est mal connue. Les observations sont peu nombreuses au printemps et à l’automne et on suppose que la répartition en ces saisons est semblable à celle d’été (Boivin et Michaud, 1990; Michaud et Chadenet, 1990; Michaud et coll., 1990). Cette population est partiellement migratrice, car en hiver elle se déplace jusque dans le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent (Michaud et coll., 1990; Lesage et Kingsley, 1998; Kingsley, 1999). Des signalements occasionnels ainsi que des survols aériens partiels effectués en 1989 et 1990 suggèrent que l’hiver, l’aire de répartition s’étend en aval dans le golfe, jusqu’à Sept-Îles sur la Côte-Nord (Sears et Williamson, 1982; Boivin et Michaud, 1990). De petits groupes ont aussi été aperçus dans l’estuaire jusqu’à Rivière-du-Loup. Il est probable que la répartition hivernale varie d’année en année en fonction des conditions de glace (Vladykov, 1944; Boivin et Michaud, 1990). Au début du printemps, il est possible d’apercevoir des bélugas au large de la péninsule gaspésienne jusqu’aux battures aux Loups Marins, en amont (Michaud et Chadenet, 1990).
Figure 4. Répartition actuelle du béluga du Saint-Laurent
Description pour la figure 4
Répartition actuelle du béluga du Saint-Laurent (adapté de Michaud, 1993a). La carte représente l’aire de répartition actuelle du béluga dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, incluant la rivière Saguenay. L’aire de répartition estivale s’étend de Saint-Jean-Port-Joli jusqu’à Forestville et inclut la rivière Saguenay jusqu’à Saint-Fulgence. L’aire total de répartition s’étend jusqu’à Sept-Îles.
1.3.3 Taille et tendance de la population du Saint-Laurent
D’une population d’origine dont la taille a été évaluée à entre 7 800 et 10 100 individus (MPO, 2005b; Hammill et coll., 2007), le béluga du Saint-Laurent aurait atteint un creux à environ 1 000 individus dans les années suivant 1979, année à partir de laquelle la chasse fut interdite (Hammill et coll., 2007). Les estimations des effectifs antérieures à 1988 sont difficiles à comparer avec les estimations subséquentes parce que les premiers relevés aériens réalisés ne tenaient pas compte des animaux en plongée et non visibles. L’utilisation d’un facteur de correction de 209 % s’est avérée nécessaire pour tenir compte des animaux en plongée (Kingsley et Gauthier, 2002). Ce facteur de correction est similaire à ceux obtenus dans le cadre d’études télémétriques satellitaires pour les bélugas de l’Arctique, soit entre 180 et 290 % (Kingsley et Gauthier, 2002).
Depuis 1988, les dénombrements à partir de photos aériennes ont donc été standardisés afin de rendre possible la comparaison des effectifs estimés et suivre la tendance de la population. Par contre, la petite taille de la population, sa nature grégaire, sa répartition spatiale hétérogène et le temps passé sous l’eau impliquent une variabilité dans les estimations de la taille de la population entre les relevés (Gosselin et coll., 2007). L’utilisation des données des relevés aériens standardisés entre 1988 et 2005 indique que la population n’aurait connu qu’une légère hausse, tendance qui est statistiquement non significative, passant d’environ 900 individus en 1988 à un peu plus de 1 200, en 2005, ce qui correspond à 12 % de l’effectif d’origine (Hammill et coll., 2007) (figure 5). Le taux de croissance de la population est baigné d'une grande incertitude et est estimé à environ 1 %, ce qui est très lent pour une population qui n’est plus chassée (MPO, 2005b). Normalement, une population de bélugas non exploitée, dont l’effectif n’excède pas la capacité de support du milieu, devrait s’accroître à un rythme de 2,5 à 3,5 % par année (COSEPAC, 2004) avec un maximum de 4 % (MPO, 2005a). Il est à noter que si on considère l'incertitude liée aux estimations d'abondance des bélugas, on présume qu’avec des suivis aériens tous les 2 à 3 ans, il faudrait 20 ans pour déceler une tendance si le taux de croissance annuel était de 3 % (Michaud et Béland, 2001); s’il est de 1 %, il faudrait 40 et non 24 ans comme il a été proposé antérieurement par l’équipe de rétablissement du béluga du Saint-Laurent (MPO et WWF, 1995).
Figure 5. Estimation de la taille de la population du béluga du Saint-Laurent depuis 1988 jusqu'à 2005, indice corrigé et erreur standard
Description pour la figure 5
Estimation de la taille de la population du béluga du Saint-Laurent depuis 1988 jusqu’à 2005, indice corrigé et erreur standard (adapté de Gosselin et coll., 2007). La figure est un graphique à ligne indiquant les estimations de taille de la population, incluant l’erreur standard. La population n’aurait connu qu’une légère hausse, tendance qui est statistiquement non significative, passant d’environ 900 individus en 1988 à un peu plus de 1 200, en 2005.
Depuis 1982, un programme de récupération des carcasses permet le suivi des causes de mortalité des bélugas du Saint-Laurent. Ce programme constitue une collaboration entre le MPO, Parcs Canada, l’Institut national d’écotoxicologie du Saint-Laurent (INESL), la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et d’autres partenaires (voir Measures, 2007a pour la liste des publications). Il permet l’organisation lorsque c’est possible du transport des carcasses signalées, de la collecte de données sur l’individu ainsi que d’échantillons de différents tissus.
Entre 1983 et 2008, selon la banque de données du Centre canadien coopératif de la santé de la faune, 389 bélugas ont été retrouvés le long du Saint-Laurent, soit entre 9 et 24 carcasses par année pour une moyenne de 15. L’âge des bélugas retrouvés a été estimé sur 296 carcasses : 9 % des individus étaient des veaux (individus de moins d’un an), 12 % des individus étaient des juvéniles (entre un an et l’âge d’atteinte de la maturité sexuelle, 10 ou 14 ans) et 79 % des individus des adultes (plus de 10 ou 14 ans). L’âge moyen des bélugas échoués est estimé à 34 ans. Le nombre d’individus morts est plus important chez les bélugas âgés entre 41 et 50 ans. De plus, la carcasse d’un béluga âgé de plus de 80 ans a été retrouvée (Yves Morin, MPO, données non-publiées). Toutefois, il est probable que la mortalité des animaux en bas âge soit plus élevée que celle suggérée par les échouages étant donné que les carcasses de juvéniles de couleur brun-gris sont plus difficile à détecter sur les berges et ont une moins bonne flottabilité (Measures, 2007a). Néanmoins, il n’y a pas eu de changement dans la distribution des classes d’âge des animaux échoués au fil des ans et une grande proportion des individus sont des adultes (Kingsley, 2002). De plus, l'âge moyen à la mort et l'espérance de vie à la maturité semblent tous deux raisonnablement élevés et rien n'indique l'occurrence de mortalité de masse ou de mortalité inhabituelle d'animaux en pleine phase de reproduction (Lesage et Kingsley, 1998; Kingsley, 1999).
En ce qui concerne la production de jeunes, Béland et coll. (1988) ont calculé que la proportion d’individus immatures gris (excluant les jeunes de l’année) devait être de 28 à 30 % pour que la population de bélugas du Saint-Laurent soit en croissance et puisse donc se rétablir. Les dénombrements de bélugas gris à partir des photographies aériennes, tout comme la proportion de juvéniles dénombrés pendant un relevé par bateau semblent indiquer que la proportion de juvéniles serait normale, soit approximativement 30 % de la population (Michaud, 1993b; Desrosiers, 1994; Kingsley, 1996, 2002) et assez élevée pour permettre le rétablissement de la population. Le nombre de veaux dénombrés lors des survols aériens est de l'ordre de 8 % du nombre total des animaux dénombrés mais varie considérablement entre les inventaires (de 2 à 16 %), ce qui peut refléter une variabilité dans la production de nouveau-nés chez les bélugas du Saint-Laurent ou simplement la difficulté de détecter les veaux au flanc des femelles à partir de plates-formes aériennes (Kingsley, 1993, 1996; Hammill et coll., 2007). L’analyse du taux de reproduction à partir des carcasses suggère un taux légèrement en-dessous de celui auquel on pourrait s’attendre pour une espèce ayant un cycle de reproduction de trois ans, mais ces estimations peuvent être biaisés par la nature des échantillons (Béland et coll., 1993).
Rien dans l’ensemble des observations recueillies n’indique donc un taux de mortalité excessif chez les adultes ou encore un déficit important dans le nombre de veaux produits (Lesage et Kingsley, 1998; Hammill et coll., 2007). Hammill et coll. (2007) ont émis l’hypothèse que l’absence de rétablissement de la population de bélugas du Saint-Laurent depuis l’arrêt de la chasse serait due à un problème de recrutement venant d’une mortalité élevée des juvéniles. De meilleures estimations des taux de mortalité et de reproduction devront cependant être obtenues avant de pouvoir confirmer cette hypothèse.
1.4 Besoins du béluga, population de l'estuaire du Saint-Laurent
1.4.1 Biologie et besoins en matière d'habitat
Paramètres reproducteurs et biologiques
Dans l’estuaire du Saint-Laurent, l’accouplement a vraisemblablement lieu entre avril et juin (Vladykov, 1944) et la femelle donne naissance entre juin et août (Béland et coll., 1990; Béland et coll., 1992) à un seul veau après une gestation d’environ 14,5 mois. La durée de lactation est estimée à entre 20 et 32 mois (Brodie, 1971; Sergeant, 1973; Seaman et Burns, 1981). Ainsi, une femelle donnerait, en moyenne, naissance à un veau tous les trois ans ce qui inclut une période de chevauchement plus ou moins longue entre la lactation et la gestation.
L’âge des bélugas est déterminé en comptant les groupes de couches de croissance qui se forment sur les dents. Récemment, il a été démontré, grâce à la datation au radiocarbone provenant d’essais nucléaires, que les groupes de couches de croissance se forment au rythme d’un par année et non de deux par année comme on le croyait par le passé (Stewart et coll., 2006; Lockyer et coll., 2007; Luque et coll., 2007). Ainsi, les femelles atteindraient la maturité sexuelle entre 8 et 14 ans et les mâles un peu plus tard entre 12 ou 14 ans (Brodie, 1971; Sergeant, 1973; Heide-Jørgensen et Teilmann, 1994). La longévité est estimée à entre 30 et 60 ans, voire supérieure à 80 ans, mais l’usure des dents, l’arrêt de la croissance ou la perte des dents rendent difficile ou impossible la détermination de la longévité maximale (Lesage et Kingsley, 1995; MPO, 2005b). Les femelles pourraient probablement se reproduire jusqu’à la limite de la longévité, même si le taux de gestation semble diminuer chez les vieilles femelles (Burns et Seaman, 1985). À noter que McAlpine et coll. (1999) ont découvert la carcasse d’une femelle béluga de la population de l’estuaire du Saint-Laurent âgée d’au moins 68 ans, qui montrait des signes d’une activité de reproduction récente et qui était au dernier stade de lactation.
Habitat
Le béluga est une espèce typique des eaux froides. L’hiver, sa répartition est associée aux zones de glaces où persistent des zones d’eau libre (Barber et coll., 2001). L’été, les bélugas se concentrent avec fidélité dans certains estuaires (Fraker et coll., 1979; Finley, 1982). Dans l’estuaire du Saint-Laurent, le béluga fréquente certains secteurs plus régulièrement (Pippard et Malcolm, 1978; Michaud, 1993a; Lemieux-Lefebvre, 2009).
Les bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent se regroupent l’été en troupeaux qui se distinguent en fonction de l’âge et du sexe (Sergeant, 1986; Michaud, 1993a, 1996). Des groupes d’adultes accompagnés de juvéniles, utilisent surtout la partie amont de l’aire de répartition estivale, c’est-à-dire les eaux saumâtres et relativement chaudes de l’estuaire moyen et du fjord du Saguenay (Michaud, 1993a). En plus des régimes de salinité et de température différents qui caractérisent ces deux segments de l’estuaire, des différences importantes dans plusieurs paramètres structuraux tels que la largeur totale, la présence de nombreuses îles, les configurations bathymétriques et un régime de courants complexes contribuent à créer une mosaïque de milieux très variés (Michaud, 1993a). Malgré la faible proportion des effectifs observée à chaque recensement (en moyenne moins de 5 %) dans la rivière Saguenay, sa fréquentation régulière par les bélugas durant l’été lui confère une importance particulière (Michaud, 1993a; Chadenet, 1997; Gosselin et coll., 2007). Des groupes d’adultes seulement, quant à eux, fréquentent davantage les secteurs centre et aval de l’aire de répartition estivale, c’est-à-dire les eaux froides, profondes et plus salées de l’estuaire maritime (Michaud, 1993a). Michaud (1993a) décrit plus précisément la répartition estivale des bélugas selon le type de troupeau, défini en fonction du pourcentage de juvéniles présents (figure 6).
Figure 6. Répartition estivale des trois types de troupeaux de béluga du Saint-Laurent
Description pour la figure 6
Répartition estivale des trois types de troupeaux de béluga du Saint-Laurent (adapté de Michaud, 1993a). La carte représente l’estuaire du Saint-Laurent dans lequel sont situées les aires approximatives d’estivage des différents types de troupeaux de bélugas. Les troupeaux d’adultes et de jeunes se retrouvent autour de l’île aux Coudres, des îles de Kamouraska, de Rivière-du-Loup et de Saint-Siméon. Les troupeaux d’adultes seulement se retrouvent dans le chenal laurentien, au large des Escoumins. Les troupeaux mixtes (adultes seuls et jeunes accompagnés d’adultes) se retrouvent dans la rivière Saguenay, la tête du chenal laurentien et la portion sud de l’estuaire. En médaillon, la localisation du secteur au Québec.
Alimentation
Dans la chaîne trophique, le béluga est un prédateur qui se situe au même niveau que certains phoques, certains oiseaux marins, d’autres cétacés et les pêcheurs commerciaux (Lesage et coll., 2001). Son régime alimentaire se compose d’une cinquantaine d’espèces de poissons et d’invertébrés (Vladykov, 1946; Kleinenberg et coll., 1964; COSEPAC, 2004). Vladykov (1946) fut le premier à documenter le régime alimentaire du béluga par l’analyse de 165 contenus stomacaux. Il a identifié principalement : le capelan (Mallotus villosus), le lançon d’Amérique (Ammodytes americanus), la morue franche (Gadus morhua), l’ogac(G. ogac), les polychètes (Nereis sp.) et les céphalopodes dont le calmar (Illex illecebrosus). L’auteur n’a trouvé aucune trace d’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata) ou d’éperlan arc-en-ciel (Osmerus mordax) dans les échantillons, mais des cas de prédation sur ces deux espèces lui ont été rapportés. Plus récemment, des observations de béluga en train de s’alimenter ou des analyses de contenus stomacaux ont permis de démontrer que le béluga s’alimente aussi d’anguilles d’Amérique, de harengs (Clupea harengus) ainsi que de poulamons Atlantique (Microgadus tomcod) et d’éperlans arc-en-ciel (Bédard et Michaud, 1995; Bédard et coll., 1997).
Deux méthodes scientifiques récentes utilisant des biomarqueurs, tels les isotopes stables du muscle et les acides gras de la couche de lard sous-cutanée, ont permis de préciser le niveau trophique du béluga par rapport à ses compétiteurs (Lesage et coll., 2001; Nozères, 2006). Les chercheurs ont observé que le béluga se situe à un niveau intermédiaire et que les mâles et les femelles béluga n’occupent pas le même niveau trophique, les femelles se trouvant à un niveau trophique inférieur à celui des mâles. Cette distinction pourrait s’expliquer par une différence pour ce qui est de la consommation d’organismes benthiques et une ségrégation des sexes dans différents types d’habitat, les femelles s'alimentant dans des eaux plus estuariennes, moins salines, que les mâles.
Kastelein et coll. (1994) ont étudié l’alimentation chez des bélugas en captivité. Ils ont déterminé qu’un jeune béluga de 200 kg mangerait l’équivalent d’environ 4,5 % de sa masse corporelle par jour, alors qu’un béluga adulte de 1 400 kg consommerait l’équivalent de 1,2 % de son poids par jour à des températures variant entre 10° et 12° C. Ainsi, une femelle adulte d’environ 600 à 700 kg en liberté devrait consommer environ 4 900 kg de poisson annuellement. Kingsley (2002) estime qu’une population de bélugas d’environ 1 240 individus consommant 2 % de leur masse corporelle devrait consommer annuellement 4 500 tonnes de nourriture. Pour le moment, il n’est pas possible de déterminer la quantité de nourriture disponible pour les bélugas dans l’estuaire du Saint-Laurent, puisqu’on connaît mal leur diète et qu'il n’existe pas d’estimation de la quantité totale de proies.
1.4.2 Rôle écologique et valeur anthropique
Le béluga fait partie du réseau trophique de l’estuaire du Saint-Laurent. C’est un prédateur de niveau trophique supérieur et une proie potentielle des épaulards (Orcinus orca) et de certaines espèces de requins, dont le requin du Groenland. Si on prend en considération le changement de la taille de la population depuis les années 1930, leur rôle écologique a vraisemblablement diminué au fil du temps (MPO, 2005a; Lawson et coll., 2006).
Dans les années 1970, la situation précaire du béluga a grandement contribué à conscientiser la population à la contamination du Saint-Laurent et du Saguenay et à la sensibiliser à la présence de richesses marines à protéger (Ménard et coll., 2007). Le béluga est devenu un symbole canadien de la faune menacée par la surexploitation des ressources naturelles et l’industrialisation. Sa présence dans une région située relativement au sud et facilement accessible pour les observateurs de baleines, les écologistes et les scientifiques a permis d’en faire l’objet d’une attention considérable. De plus, les hauts niveaux de contaminants observés chez les bélugas ont permis de mettre en évidence la problématique de la bioaccumulation des produits toxiques présents dans le fleuve Saint-Laurent (MPO et WWF, 1995). Par conséquent, le béluga est devenu un indicateur de la qualité de l’environnement (et donc de la santé humaine, Measures, 2007a) et a sensibilisé les gens à l’importance de restaurer l’écosystème du Saint-Laurent (MPO et WWF, 1995; Ménard et coll., 2007). Récemment, une étude a été menée auprès de Canadiennes et Canadiens afin de vérifier les bénéfices économiques que représente le rétablissement des mammifères marins dans l’estuaire du Saint-Laurent. Cette recherche a montré que les citoyens canadiens se soucient de la protection des mammifères marins et qu’ils souhaitent que le Canada dépense davantage pour la protection des bélugas du Saint-Laurent, notamment par l’établissement de la zone de protection marine Estuaire du Saint-Laurent (Olar et coll., 2007).
1.4.3 Facteurs limitatifs
Le béluga se caractérise par une espérance de vie relativement longue, une maturation tardive et un faible taux annuel de reproduction. Du fait de ces spécificités, s’il advenait une mortalité importante, le retour de la population au niveau actuel serait très long, en comparaison d’autres espèces ayant un temps de génération plus court.
La chasse menée dans le passé a réduit considérablement la taille de la population à tel point qu’elle a atteint un goulot d’étranglement génétique (Reeves et Mitchell, 1984; Patenaude et coll., 1994; Murray et coll., 1999). Le nombre d’individus matures est estimé à 660, soit 60 % de la population totale estimée, elle, à 1 100 individus (MPO, 2005a), ce qui est inférieur au nombre minimal de 1 000 individus matures déterminé par le COSEPAC pour maintenir la diversité génétique intacte. Les populations ayant été fortement réduites peuvent perdre leur diversité génétique de deux manières, soit par la perte aléatoire d’allèles, qu’on nomme la dérive génétique, soit par la reproduction entre individus apparentés, la consanguinité. Si on la compare à celle des autres populations canadiennes, la diversité génétique du béluga du Saint-Laurent est réduite, ce qui semble indiquer que l’un ou que ces deux facteurs influencent les caractéristiques génétiques de cette population (Patenaude et coll., 1994; Mancuso, 1995; Murray et coll., 1999; de March et Postma, 2003). De plus, puisque les bélugas du Saint-Laurent semblent isolés des populations plus nordiques, le « sauvetage génétique » par les autres populations est improbable (Pippard, 1985b; Sergeant et Hoek, 1988; Lesage et Kingsley, 1998).
Une diversité génétique faible peut limiter le rétablissement d’une espèce en réduisant le taux de reproduction, en augmentant le taux de mortalité, ou les deux. Le taux de reproduction peut diminuer lorsque l’accouplement s’effectue entre des individus génétiquement similaires, augmentant ainsi le risque d’un échec de la fertilisation ou de la perte du fœtus (p. ex. Knapp et coll., 1996). Les bélugas ayant une diversité génétique réduite pourraient avoir un système immunitaire moins efficace et être plus susceptibles aux agents pathogènes et aux produits chimiques tel qu’il a été démontré chez d’autres espèces (p. ex., Paterson et coll., 1998; Siddle et coll., 2007). La diversité génétique de la population de béluga du Saint-Laurent, réduite par rapport aux populations de l’Arctique, pourrait être impliquée dans l’absence de son rétablissement.
En 1995, lors de la rédaction du premier plan de rétablissement du béluga du Saint-Laurent, les membres de l’équipe de rétablissement se sont questionnés sur la possibilité d’importer des bélugas de l’Arctique dans le Saint-Laurent pour augmenter la diversité génétique. Ils ont conclu que les facteurs démographiques et écologiques étaient plus préoccupants pour la population de bélugas du Saint-Laurent que les facteurs génétiques. De plus, l’importation de bélugas de l’Arctique comporterait des risques, par exemple l’introduction de nouvelles maladies, dépassant les avantages que l’on pourrait en retirer. L’équipe de rétablissement actuelle est en accord avec ces conclusions.
Des facteurs d’origine naturelle peuvent causer la perte de quelques individus et donc contribuer à limiter le rétalissement de la population de bélugas. L’épaulard est un prédateur naturel du béluga (Heide-Jørgensen, 1988). Aucun cas de prédation sur les bélugas n’a été observé dans l’estuaire du Saint-Laurent dans les dernières décennies. La prédation ne semble pas être un facteur important limitant le rétablissement du béluga du Saint-Laurent. Les bélugas peuvent se retrouver prisonniers des glaces, incapables de nager pour retrouver l’eau libre. Bien qu’aucun cas n’ait été rapporté pour la population de bélugas du Saint-Laurent, cette menace peut causer la mort de plusieurs dizaines d’individus chez les populations plus nordiques. Les bélugas peuvent aussi se retrouver piégés dans une rivière ou un autre endroit exigu et être incapables de retourner à la mer par leurs propres moyens. Chaque année quelques bélugas migrent hors de leur aire de répartition, parfois jusque dans la région du New Jersey (Reeves et Katona, 1980; Michaud et coll., 1990). La perte annuelle d’effectif par l’émigration pourrait être de l’ordre d’un à trois individus, ce qui a des effets cumulatifs négatifs à long terme pour la population (Sergeant et Hoek, 1988; Hammill et coll., 2007). À l’heure actuelle, il n’est pas possible de déterminer si ces bélugas errants finissent par regagner le Saint-Laurent.
1.5 Menaces
1.5.1 Causes de mortalité des bélugas du Saint-Laurent
Une menace est un facteur, naturel ou anthropique, qui affecte ou peut affecter le rétablissement de la population de bélugas du Saint-Laurent. L’étude des causes de mortalité est utile pour cerner et mieux comprendre les menaces qui pèsent sur cette population. Selon les données tirées du programme de suivi des carcasses, les maladies infectieuses d’origine parasitaire ou bactérienne sont les causes de mortalité les plus fréquentes chez les bélugas nécropsiés, soit respectivement 20,0 % et 17,7 % (tableau 1). Certaines maladies seront analysées plus en détails dans la section Épizooties.
Causes de mortalité | Groupe d'âge | Total Nombre (pourcentage) |
||
---|---|---|---|---|
Veaux Nombre (pourcentage) |
Juvéniles Nombre (pourcentage) |
Adultes Nombre (pourcentage) |
||
Dystocie (accouchement difficile) | 10 (67%) | 0 (0%) | 4 (3%) | 14 (8%) |
Infection bactérienne | 2 (13%) | 2 (9,5%) | 27 (19,4%) | 31 (17,7%) |
Infection parasitique | 2 (13%) | 14 (66,7%) | 19 (13,6%) | 35 (20%) |
Traumatisme | 0 (0%) | 0 (0%) | 10 (7%) | 10 (5,7%) |
Tumeur | 0 (0%) | 0 (0%) | 28 (20%) | 28 (16%) |
Inconnue | 0 (0%) | 4 (19%) | 42 (30%) | 46 (26,3%) |
Autre | 1 (7%) | 1 (4,8%) | 9 (7%) | 11 (6,3%) |
Nombre total de carcasses | 15 | 21 | 139 | 175 |
Les nécropsies pratiquées ont également démontré la présence d’une ou de plusieurs tumeurs malignes terminales (cancer) chez 20 % des 139 adultes examinés entre 1983 et 2006. L’exposition à un ou plusieurs cancérogènes et une résistance plus faible à la croissance tumorale (à cause d’agents infectieux tels que des virus et des bactéries ou d’une prédisposition génétique) ont été suggérées comme facteurs pouvant avoir favorisé la formation de ces tumeurs (De Guise, 1998; Martineau et coll., 1999; Martineau et coll., 2002a; Martineau et coll., 2002c; Measures, 2007a). La section Contaminants et l’annexe 2 examinent les cancérogènes plus en détail. Les cas de cancer se retrouvent plus souvent chez les animaux plus âgés (Martineau et coll., 2002a; Lair, 2007; Measures, 2008).
Des lésions traumatiques (par exemple, fracture des vertèbres, lacération profonde de la peau et des organes), probablement causées par des navires, ont été observées dans 5,7 % des cas (tableau 1). La section Collision avec les navires donne plus de détails.
1.5.2 Classification des menaces
Selon le dernier rapport de situation du COSEPAC (2004), la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent, grandement réduite par la chasse, interdite en 1979, serait menacée par :
- l’industrialisation et la pollution qui pourraient être responsables des maladies chroniques comme le cancer observé chez les animaux échoués;
- le petit effectif et la faible diversité génétique de cette population (consanguinité) qui pourraient avoir un effet sur le taux de reproduction;
- la perte et la perturbation de l’habitat, notamment par le bruit anthropique, causé entre autres par la navigation commerciale et les activités d’observation des mammifères marins;
- la concurrence pour les ressources alimentaires par les pêcheurs commerciaux et d’autres populations croissantes de mammifères marins telles que certaines espèces de phoques.
Le béluga du Saint-Laurent vit en aval des Grands Lacs et du Saint-Laurent fluvial, soit au cœur d’une région densément peuplée et très industrialisée du Canada et des États-Unis. Bien que l’absence de rétablissement du béluga du Saint-Laurent n’ait pu être directement liée à aucun facteur, il est indéniable que cette population se trouve dans un écosystème fortement pollué situé au sein d’une voie de navigation commerciale très fréquentée. Elle est ainsi exposée à plusieurs activités humaines qui peuvent causer la mort directement, telles que les collisions avec des navires et l’empêtrement dans les engins de pêche, ou indirectement : c’est le cas avec la présence de contaminants qui peuvent augmenter les cas de maladies chroniques comme le cancer, diminuer l’efficacité du système immunitaire et augmenter la susceptibilité aux agents pathogènes. La petite taille de la population et son isolement géographique accroissent les risques d’extinction.
Ainsi, dix menaces pouvant limiter l'accroissement de cette population ont été déterminées pour l’élaboration de ce programme (tableau 2). Quatre sont applicables à l'échelle de la population : ce sont les contaminants, le dérangement anthropique, la réduction de l’abondance, de la disponibilité et de la qualité des proies et les autres dégradations de l’habitat. Trois menaces peuvent perturber ou causer la mort de quelques individus annuellement : les collisions avec les bateaux, l’empêtrement dans les engins de pêche et les activités scientifiques. Trois autres menaces peuvent limiter le rétablissement du béluga du Saint-Laurent lorsqu’elles se produisent: le déversement de produits toxiques, les efflorescences d’algues toxiques et les épizooties. À cette liste s’ajoute une menace historique : la chasse. Cette liste est établie sur la base des connaissances actuelles, qui sont encore limitées et pourraient changer selon l’évolution des connaissances et du contexte.
Nom de la menace | Étendue | Occurrence | Fréquence | Certitude causale | Gravité | Niveau de préoccupation |
---|---|---|---|---|---|---|
Chasse et harcèlement | Généralisée | Historique | Nulle | Élevée | Élevée historiquement | Nul |
Contaminants | Généralisée | Courante | Continue | Moyenne | Élevée | Élevé |
Dérangement anthropique | Localisée | Courante | Saisonnière | Moyenne | Élevée | Élevé |
Réduction de l'abondance, de la qualité et de la disponibilité des proies | Généralisée | Imminente | Continue | Faible | Modérée | Élevé |
Autres dégradations de l'habitat | Localisée | Courante | Continue | Élevée | Élevée | Élevé |
Collisions avec les bateaux | Localisée | Courante | Récurrente | Moyenne | Modérée | Modéré |
Empêtrements dans les engins de pêche | Localisée | Courante | Saisonnière | Moyenne | Modérée | Modéré |
Activités scientifiques | Localisée | Courante | Saisonnière | Élevée | Faible | Faible |
Déversement de produits toxiques | Généralisée | Anticipée | Récurrente | Moyenne | Faible à élevée | Modéré |
Efflorescence d'algues toxiques | Localisée | Anticipée | Récurrente | Moyenne | Modérée à élevée | Modéré |
Épizootie | Généralisée | Anticipée | Récurrente | Moyenne | Faible à élevée | Modéré |
Du fait de la petite taille de la population, même les activités qui affectent un faible nombre d’individus pourraient avoir une incidence grave sur l’état général de la population. Il est également important de tenir compte de l’effet cumulatif ou même synergique de ces menaces sur la population de bélugas du Saint-Laurent. De plus, les changements climatiques auront très certainement une influence sur l’impact des menaces identifiées en plus d’affecter l’habitat du béluga. Le béluga est fondamentalement une espèce arctique enclavée dans un milieu boréal. Ce sont les conditions semi-arctiques de l’estuaire qui ont permis le maintien de cette population depuis son isolement il y a environ 8 000 ans.
Le réchauffement climatique, qui se déroule d’ailleurs à un rythme plus rapide que ce qui avait été prévu, devrait entraîner une augmentation de la température moyenne de 1,5° C à 5,5° C d’ici 2050 dans le centre et le sud du Québec (Bourque et Simonet, 2008). Entre 1960 et 2003, un réchauffement du climat, entre 0,4° C et 2,2° C, a été constaté dans plusieurs régions du Québec méridional (Yagouti et coll., 2006). Bien que l’est du Québec ait connu un réchauffement moins marqué que l’ouest, l’impact du réchauffement sur l’amont du bassin du fleuve Saint-Laurent et dans le nord du Québec et l’Arctique devrait se ressentir jusque dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent.
Les changements climatiques ne sont pas considérés comme une menace en tant que telle, mais plutôt comme un facteur pouvant influencer l’impact des autres menaces. L’interaction entre les changements climatiques et chaque menace sera étudiée ci-dessous, le cas échéant.
1.5.3 Description des menaces
Menace historique
1) Chasse et harcèlement
La chasse est considérée comme le facteur principal responsable du déclin de la population de bélugas du Saint-Laurent, estimée à plusieurs milliers d’individus à la fin du 19e siècle (Vladykov, 1944; Reeves et Mitchell, 1984; Hammill et coll., 2007). La chasse commerciale a débuté dans les années 1600 et s’est poursuivie de façon presque ininterrompue jusqu’aux années 1950. De 1880 à 1950, période la plus intense de la chasse, cette activité a fait disparaître près de 15 000 bélugas (Reeves et Mitchell, 1984). Dans les années 1920, les bélugas étaient considérés comme des compétiteurs par les pêcheurs commerciaux; le gouvernement du Québec offrait alors une prime de 15 $ pour chaque animal tué et subventionnait l’utilisation de bombes pour déplacer les individus qui se trouvaient dans les zones de pêche (Anon., 1928; Grenfell, 1934; Scharrer, 1983). La chasse sportive et la chasse de subsistance se sont poursuivies jusque dans les années 1970. Devant le déclin marqué de la population de bélugas et le rétrécissement de son aire de répartition, la chasse a été officiellement interdite en 1979 en vertu de la Loi fédérale sur les pêcheries. Quelques cas de braconnage ont été rapportés après l’interdiction de la chasse (N. Ménard, Parcs Canada, comm. pers.). L’interdiction de chasse est toujours en vigueur et le braconnage n’est plus considéré comme un problème.
Menaces actuelles affectant la population
Les contaminants, le dérangement anthropique, la réduction de l’abondance, de la disponibilité et de la qualité des proies ainsi que les autres dégradations de l’habitat constituent actuellement les entraves les plus importantes au rétablissement du béluga du Saint-Laurent. Ces menaces touchent l’ensemble de la population et leurs effets sont soit difficilement perceptibles soit détectables.
2) Contaminants
Les sources de contamination du milieu aquatique sont multiples (par exemple, rejets agricoles, industriels et municipaux, navigation, dragage, exploitation gazière et pétrolière, aquaculture) tout comme leurs effets potentiels sur les mammifères marins et leurs proies (Colborn et Smolen, 1996; Aguilar et coll., 2002). Les eaux, les sédiments et les organismes du Saint-Laurent contiennent une grande variété de contaminants. Par conséquent, depuis de nombreuses années, les bélugas du Saint-Laurent sont exposés à de nombreuses substances toxiques (un résumé des principaux types de contaminants est présenté dans l’annexe 2). Les différentes substances toxiques qui gagnent l’estuaire du Saint-Laurent sont présentes dans la colonne d’eau et peuvent être accumulées dans les organismes vivants ou dans les sédiments.
Le béluga occupant un niveau élevé dans la chaîne alimentaire, certains contaminants provenant de sa diète, peuvent se bioamplifier dans son organisme. Ce phénomène implique que les concentrations de certains contaminants persistants augmentent entre chaque niveau de la chaîne alimentaire et que les concentrations dans les tissus des bélugas sont plus élevées que dans ses proies ou dans son milieu (MPO, 2002). La couche épaisse de gras sous-cutané agit comme un réservoir de contaminants persistants. De plus, la grande longévité des bélugas leur permet d’accumuler les contaminants sur une longue période. Enfin, les données historiques montrent que les bélugas se nourrissent vraisemblablement en partie de proies benthiquesNote de bas de page 4, plus susceptibles d’être contaminées par les polluants accumulés dans les sédiments. Ils sont donc particulièrement susceptibles de subir les effets d’une contamination à long terme. Ils sont également exposés à des contaminants qui ne s’accumulent pas dans leurs tissus mais qui peuvent avoir un effet sur leur santé.
Même après une interdiction d’utilisation ou une réduction des émissions, plusieurs contaminants peuvent persister dans l’environnement pendant des décennies. Une tendance à la baisse des niveaux de concentration de certains contaminants a toutefois été observée, notamment pour le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et les biphényles polychlorés (BPC) (Lebeuf et coll., 2007; Lebeuf, 2009).D’autres composés considérés comme des contaminants ne sont pas règlementés ou leur règlementation est récente. Par exemple, l’usage des polybromés diphényléthers (PBDE) et leur concentration dans les tissus des bélugas et dans l’environnement ont augmenté de façon exponentielle au cours des années 1990 (De Wit, 2002; Lebeuf et coll., 2004).
Globalement, les contaminants sont susceptibles d’altérer de façon importante les fonctions endocriniennes, reproductrices, immunitaires et neurologiques des espèces animales (Martineau et coll., 1987; Béland et coll., 1993; Colborn et coll., 1993). Certains auteurs soupçonnent les contaminants de jouer un rôle dans la prévalence élevée des cas de cancer et de certaines pathologies chez les bélugas du Saint-Laurent (Martineau et coll., 1999; Martineau et coll., 2002a; Lair, 2007) ainsi que dans l’altération du système reproducteur (Martineau et coll., 1988; Béland et coll., 1992; Béland et coll., 1993; De Guise et coll., 1995; De Guise et coll., 1996; Martineau et coll., 2002a; Martineau et coll., 2003). Entre 1983 et 2006, 16 % des 175 bélugas du Saint-Laurent échoués et examinés présentaient une ou plusieurs tumeurs cancéreuses terminales (tableau 1).
Malheureusement, les études toxicologiques sur les bélugas et les possibilités d’établir des relations de cause à effet sont très limitées par la difficulté posée par l’échantillonnage de tissus frais et la conduite de travaux expérimentaux. Bien que les seuils critiques auxquels ces contaminants se révèlent toxiques chez les bélugas soient inconnus, certains seuils ont été établis pour d’autres espèces de mammifères marins tel que le phoque commun (Ross et coll., 1996). D’autre part, l’Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, ratifié par le Canada et les Etats-Unis, a établi des seuils maximaux de concentrations de composés organochlorés et de mercure dans les proies pour protéger la santé des oiseaux et mammifères piscivores (Commission mixte internationale [CMI], 1978). Les concentrations de BPC et de mercure chez certaines proies potentielles du béluga ont diminué au cours des dernières décennies, mais sont encore au dessus du seuil de protection des prédateurs (Couillard, 2009). Pour plus de détails sur chaque groupe de contaminants voir l’annexe 2.
Il est important de considérer l’effet synergique entre les différents contaminants qui risque d’augmenter la toxicité de ces produits. Par exemple, De Guise et coll. (1998) ont démontré qu’il y avait une baisse de la prolifération des splénocytes de béluga (cellules qui ont un rôle dans le système immunitaire) exposées in vitro à certains mélanges de congénères de BPC, alors que ces mêmes congénères pris individuellement et aux mêmes concentrations n’avaient pas d’effet notable. Eriksson et coll. (2006) ont démontré que les BPC et les PBDE ont des effets cumulatifs sur le comportement des souris. Il peut exister également une interaction entre les contaminants et les autres facteurs environnementaux (revue dans Couillard et coll., 2008a; Couillard et coll., 2008b). Par exemple, une diminution de la quantité de proies à un moment critique de l’année, pourrait entraîner une mobilisation des contaminants accumulés dans le gras des bélugas et augmenter le risque d’effets toxiques. L’effet des contaminants pourrait également être amplifié par les changements climatiques ou les agents pathogènes. Les modifications de température, de pH et de salinité résultant des changements climatiques peuvent affecter la toxicité et la biodisponibilité des contaminants (revue dans Schiedek et coll., 2007).
En somme, la contamination des bélugas du Saint-Laurent constitue encore une menace sérieuse au rétablissement de l’espèce. Malgré la réduction des rejets de certains produits toxiques, les concentrations de contaminants dans les tissus des bélugas ne baissent que très lentement. De plus, de nouveaux contaminants persistants ont été introduits dans le milieu aquatique et s’accumulent dans les tissus des bélugas (voir annexe 2). Les bélugas pourraient donc être affectés par les contaminants pendant encore plusieurs décennies. Les juvéniles et les adultes continuent d’être exposés par le biais de leur alimentation, tandis que les veaux reçoivent des doses élevées par transfert de leur mère ce qui entrave le processus de décontamination du béluga. Étant donné que certaines pathologies associées aux contaminants prennent plusieurs années à se développer (15 à 25 ans), il est justifié de s’inquiéter des effets de la contamination passée du milieu sur l’état de santé des animaux vivant actuellement. De plus, si les contaminants venaient à affecter le système reproducteur des bélugas, ils pourraient alors réduire le taux de croissance déjà faible de cette population.
3) Dérangement anthropique
Trafic maritime et activités d'observation en mer
Pour survivre et se reproduire, une baleine doit se reposer, chercher de la nourriture, s’alimenter, éviter les prédateurs, communiquer et socialiser avec ses congénères, s’accoupler et prendre soin de son baleineau. La perturbation d’un animal se livrant à ces activités l’empêche d’accomplir ses fonctions vitales, ce qui peut compromettre sa survie (Kraus et coll., 2005; Bejder et coll., 2006b; Williams et coll., 2006). Si la perturbation est récurrente et touche plusieurs individus, c’est la survie de la population qui peut être remise en cause. La navigation est source de dérangement en raison de la présence des embarcations dans l’habitat des bélugas et du bruit qu’elle génère. Les activités d’observations en mer (AOM) et la circulation maritime sont des sources potentielles de dérangement pour les bélugas du Saint-Laurent (Lesage et Kingsley, 1995; MPO et WWF, 1995; Lien, 2001). L’estuaire du Saint-Laurent est une voie de circulation maritime très importante où se déroulent également des AOM intenses en période estivale. Cette industrie a connu une expansion fulgurante depuis le début des années 1980, et ce, dans des habitats importants pour le béluga (Ménard et coll., 2007). À noter que les collisions avec les navires sont traitées à la sixième menace, Collision avec les navires.
Tous les navires en provenance ou à destination du tronçon fluvial et des Grands Lacs circulent sur la voie maritime du Saint-Laurent ce qui en fait un corridor très fréquenté. Différents types de bateaux sillonnent le territoire occupé par les bélugas : vraquiers, navires marchands, traversiers (environ 90 traversées par jour entre Tadoussac et Baie-Sainte-Catherine), brise-glaces, navires d’excursion et de croisière, vedettes de la Garde côtière et de Parcs Canada, bateaux de la Défense nationale et navires de recherche. Les bateaux de plaisance, les canots pneumatiques et les motos marines ajoutent encore à cette circulation. Près de 52 000 voyages de bateaux de tous types ont été dénombrés dans le secteur du Parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (PMSSL) de mai à octobre 2007 (Chion et coll., 2009). Tous les types de navigation ont le potentiel de déranger le béluga, quoique les plus petits navires, avec une plus grande manœuvrabilité et une vitesse de déplacement plus élevée posent un problème supplémentaire (Lesage et coll., 1999).
Les activités d’observation en mer pratiquées à l’aide de divers types de bateaux, commerciaux ou de plaisance, ou d’aéronefs (avions et hélicoptères) sont susceptibles de déranger les bélugas du Saint-Laurent. Les AOM dans l’estuaire du Saint-Laurent représentent un volet important de l’industrie du tourisme régional (Tecsult Environnement, 2000; Lien, 2001). Une étude sur les activités d’observation en mer publiée en 2001 a démontré que plus de 85 % des excursions ciblant les mammifères marins proposées au Québec chaque année étaient effectuées dans ce secteur (Hoyt, 2001). En 2005, plus d’un million de personnes ont visité le PMSSL et les sites d’observation et d’interprétation autour de cette aire marine protégée (SOM, 2006). Même si les bélugas ne sont généralement pas ciblés par les AOM, le suivi des activités en mer, effectué à partir des bateaux d’excursion, indique que près de 5 % de ces activités les visent entre la mi-juin et septembre (Michaud et coll., 2003). De plus, les AOM sont concentrées dans une zone regroupant environ 50 % de la population de bélugas et fréquentée intensivement par des femelles adultes et leur veau (Michaud, 1993a; Kingsley, 1999; Gosselin et coll., 2007).
Les réactions à une exposition aux bruits ou à d'autres sources de dérangement se manifestent par une modification subtile des comportements de plongée, une interruption brève ou prolongée d'activités normales (repos, alimentation, interaction sociale, soin aux jeunes, vocalise, respiration, plongée) et même l’évitement à court ou long terme des zones perturbées (Richardson et coll., 1995; National Research Council (États-Unis) [NRC], 2003; Bejder et coll., 2006a; Weilgart, 2007). La prévisibilité de l'arrivée d'une embarcation, le genre d'approche effectuée, la durée et la fréquence des perturbations, de même que le degré d'activité et le comportement des bélugas au moment des perturbations peuvent influencer leur degré de réaction (pour une revue voir Lesage, 1993). Blane et Jackson (1994) ont observé que les bélugas montraient des comportements d’évitement des bateaux en prolongeant l’intervalle de temps entre les respirations en surface, en augmentant leur vitesse de nage et en se rassemblant en groupe plus serré. Il a été proposé que le délaissement de la baie de Tadoussac et un changement dans les habitudes de déplacement du béluga à l’embouchure du Saguenay aient été reliés à la circulation maritime accrue dans ce secteur (Pippard, 1985a; Caron et Sergeant, 1988). Même si un certain niveau d’habituation peut exister chez les bélugas, comme le laisse croire leur fidélité à certains sites fréquentés (Lesage, 1993), cette fidélité ne fait peut-être qu’illustrer l’importance de ces sites pour l’espèce et la présence de peu de sites alternatifs (Brodie, 1989). Dans l’Atlantique nord-est, on a montré que les cétacés s’éloignent des navires effectuant les levés lorsque les canons à air sont utilisés pendant l’exploration pour le pétrole et le gaz (Stone, 2003). De plus, il a été montré que les activités sismiques ont des effets sur le comportement des odontocètes : modification des routes de migration, de la vitesse de nage, des plongées et de l’alimentation (Stone, 2003). Certains exemples de dérangement causé par des aéronefs volant à basse altitude ont également été signalés dans le Saint-Laurent (Sergeant et Hoek, 1988). Les effets à long terme sur la population d’un changement de comportement en réponse au dérangement sont inconnus, mais ces perturbateurs sont susceptibles de réduire la capacité des bélugas à emmagasiner des réserves énergétiques essentielles pour assurer le succès de la reproduction et la survie pendant les périodes où la nourriture est réduite. Les perturbations menant à la séparation d’une mère et de son veau peuvent avoir des répercussions sur la survie de ce dernier et limiter ainsi le potentiel de croissance de la population. Cette menace est d’autant plus significative dans le cas du béluga du Saint-Laurent que la période de pointe des AOM, donc du bruit et du dérangement dus à la présence des bateaux, est l’été et coïncide avec la période de mise bas et d’élevage des jeunes.
Bruits d'origine anthropique
L’estuaire du Saint-Laurent constitue un milieu aquatique bruyant, ce qui est problématique dans certains secteurs, notamment la tête du chenal Laurentien, située à la confluence du Saguenay et du Saint-Laurent (Scheifele et coll., 1997; Simard et coll., 2006). Les embarcations motorisées produisent du bruit sur une large bande, de quelques Hz à plus de 100 kHz. La fréquence où l’énergie est maximale dépend de la taille du bateau et du type de propulsion. Pour les gros navires marchands qui circulent sur la voie maritime du Saint-Laurent, cette fréquence oscille entre 0,02 et 0,2 kHz, tandis que pour les plus petits bateaux tels que les canots pneumatiques, cette fréquence est plus élevée, de l'ordre de 0,5 à 6 kHz environ (Richardson et coll., 1995; Lesage et coll., 1999; Simard et coll., 2006). Cependant, toutes les embarcations produisent du bruit à des fréquences plus élevées, jusqu’à 100 kHz (Simard et coll., 2006). Les odontocètes produisent trois types de sons : des sifflements, des sons de courte durée utilisés dans les activités d’écholocation et des sons divers comme des cris, des grognements et des aboiements. Les baleines à dents utilisent ces sons pour s’identifier, pour coordonner les activités de prédation, pour la cohésion sociale, la détection, la localisation et la caractérisation des proies et des obstacles par écholocation (Richardson et coll., 1995). Chez le béluga, les sifflements et les tons pulsés utilisés pour la communication ont principalement une fréquence comprise entre 0,5 et 3,5 kHz, tandis que les clics et tons pulsés utilisés pour l’écholocation sont émis à des fréquences beaucoup plus hautes, soit entre 30 et 60 kHz (Bédard et Simard, 2006).
Le bruit d’origine anthropique a considérablement augmenté dans les océans lors des 50 dernières années, et ce, à l’échelle mondiale. En plus du trafic maritime de toutes sortes, plusieurs activités industrielles et militaires ont contribué à l’augmentation du bruit ambiant (Richardson et coll., 1995; NRC, 2003; Tyack, 2008). Par exemple, l’industrie pétrolière et gazière génère de forts niveaux de bruit dans l’océan, en particulier à l’étape de l’exploration sismique où on enregistre habituellement les plus hauts niveaux de bruit, en comparaison des autres méthodes d’exploration et des étapes d’exploitation de ces ressources (Richardson et coll., 1995).
Cette augmentation du bruit ambiant pourrait être exacerbée par une réduction du pH de l’eau. Les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat montrent que le pH des eaux de surface des océans diminuera de 0,3 à l’échelle mondiale d’ici 2050 (Brewer, 1997). Les changements climatiques combinés à l’eutrophisationNote de bas de page 5 ont déjà entraîné une diminution de 0,2 à 0,3 du pH de l’eau profonde de l’estuaire du Saint-Laurent (M. Starr, MPO, données non publiées). Hester et coll. (2008) ont montré qu’une diminution de pH de 0,3 résulterait en une diminution de l’ordre de 40 % de l’absorption du bruit par les masses d’eau pour des fréquences inférieures à 10 kHz. Donc, le bruit d’origine anthropique pourrait se propager sur de plus grandes distances et affecter davantage la communication chez les cétacés dans l’estuaire.
Un des effets importants de l’augmentation des bruits ambiants dans les océans est le phénomène du masquage. Il affecte la probabilité qu’un béluga détecte correctement un son d’écholocation qu’il a produit ou même les signaux envoyés par ses congénères (NRC, 2003). Le potentiel d'un bruit à être entendu dépend de l'intensité et des fréquences auxquelles le bruit est produit, ainsi que des capacités auditives de l'animal (niveaux du seuil d'audition). Les espèces comme le béluga, dont l'ouïe est hautement directionnelle, détiennent des outils additionnels pour réduire le masquage (Erbe et Farmer, 1998; Mooney et coll., 2008). En présence de bateaux, les bélugas réduisent le nombre et la diversité de leurs vocalises, augmentent la durée et l’intensité de certains signaux et répètent les sons plus fréquemment et à des fréquences où l’interférence causée par le bruit de l’embarcation est réduite (Lesage, 1993; Lesage et coll., 1999). De même, une hausse du volume des sons émis ou une cessation de toute activité vocale, en réaction à de hauts niveaux de bruit ambiant, ont été observées chez les bélugas du Saint-Laurent (Lesage et coll., 1999; Scheifele et coll., 2005; Erbe, 2008).
Finalement, les bruits d’origine anthropique peuvent aussi provoquer des modifications temporaires ou permanentes des seuils d’audition, la production d’hormones de stress et des dommages physiques tels que la formation de bulle d’air chez les cétacés suite à une remontée trop rapide pour fuir la source de bruit (phénomène de décompression) et même causer la mort (Ketten et coll., 1993; Crum et Mao, 1996; Evans et England, 2001; Finneran, 2003; Jepson et coll., 2003; NRC, 2003). Le bruit généré par le trafic maritime dans l'estuaire du Saint-Laurent engendre une pollution sonore préoccupante, qui risque d’endommager l’appareil auditif des bélugas, outil essentiel pour communiquer, s’orienter et chasser. De plus, si ces bruits venaient à augmenter le stress au point de devenir chronique, ceci pourrait avoir des répercussions sur plusieurs plans, entre autres la reproduction, le métabolisme, la croissance, les fonctions immunitaires et la susceptibilité à certaines maladies (Lesage, 1993; NRC, 2003; Tyack, 2008). Les oreilles des mammifères marins partagent certaines similarités structurales avec celles d’autres vertébrés (Fay et Popper, 2000) et plusieurs études sur différentes espèces de vertébrés indiquent qu’il est possible que l’exposition à des bruits intenses produits lors des levés sismiques par l’utilisation des canons à air endommage les oreilles des cétacés s’ils ne peuvent éviter la source sonore (revue par Ketten et Potter, 1999; McCauley et coll., 2003; Lawson et McQuinn, 2004; Southall et coll., 2007).
Les effets du trafic maritime sur la population de bélugas du Saint-Laurent restent peu connus. Ailleurs dans le monde, ces effets ont été montrés sur plusieurs populations de cétacés dont des dauphins, des épaulards et des baleines noires de l’Atlantique nord (Kraus et coll., 2005; Bejder et coll., 2006a; Williams et coll., 2006). Ainsi, du fait de l’intensité de la circulation maritime et de l’observation des mammifères marins, ces activités représentent une menace au rétablissement du béluga du Saint-Laurent. Il demeure important de continuer à surveiller l’effet de ces activités anthropiques sur la population et de poursuivre la mise en œuvre des mesures visant à réduire leur impact sur les bélugas.
4) Réduction de l'abondance, de la disponibilité et de la qualité des proies
Diminution de l'abondance des poissons
Le déclin marqué de plusieurs espèces de poissons dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent a eu lieu lors des dernières décennies. Plusieurs facteurs sont mis en cause dans ce déclin notamment la surpêche, la dégradation de l’habitat, la pollution et les obstacles à la migration. À titre d’exemple, dans le Haut Saint-Laurent, l'indice d'abondance des anguilles en montaison au barrage Moses-Saunders indique une diminution de plus de 99 % entre 1980 et 2000 tandis que dans l’estuaire du Saint-Laurent, les prises totales sont passées de 452 tonnes en 1980 à moins de 82 tonnes en 2004 (COSEPAC, 2006). La morue du nord du golfe est passée d’une estimation de 559 millions d’individus en 1980 à 43 millions en 2008 (MPO, 2009b). Le flétan atlantique quant à lui, malgré une augmentation marquée au cours de la dernière décennie, se maintient toujours à un bas niveau si on le compare à celui de la première moitié du 20e siècle (MPO, 2007). De plus, l’éperlan arc-en-ciel anadrome a vu sa population décroître considérablement au cours des 30 dernières années (Équipe de rétablissement de l'éperlan arc-en-ciel du Québec, 2008). Malgré le régime alimentaire varié des bélugas du Saint-Laurent et leur adaptabilité, les changements dans la composition spécifique des stocks de poisson dans l’estuaire peuvent influer sur la qualité nutritionnelle et l’apport énergétique des proies disponibles.
Les changements climatiques risquent d’avoir une influence sur l’abondance des poissons dans l’estuaire. On assiste actuellement au refroidissement de masses d’eau du Saint-Laurent, la couche intermédiaire froide devenant plus épaisse et plus froide (Galbraith et coll., 2008). Des modifications en ce qui concerne l’abondance et la répartition des espèces ont été observées : l’aire de répartition du capelan s’est déplacée vers le sud et l’ouest tandis que le macrozooplancton est moins abondant qu’au début des années 1990 (Harvey et coll., 2005; MPO, 2008). Plusieurs espèces de poissons sont sensibles à la température pour leur survie, la fraie et la croissance (Gilbert et Couillard, 1995; Minns et coll., 1995; Gilbert, 1996; Gilbert et Pettigrew, 1996). La période de migration ainsi que les routes migratoires de plusieurs espèces de poissons dépendent de la température de l’eau (Narayana et coll., 1995). La couverture de glace dans le golfe du Saint-Laurent étant étroitement liée à la température de l’air, les modèles climatiques prévoient que le golfe sera exempt de glace d’ici 50 ans (Dufour et Ouellet, 2007). La modification de la couverture de glace peut avoir des impacts sur la chaîne alimentaire.
Une baisse des volumes d’eau oxygénée provenant du courant du Labrador entrant dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent, en combinaison avec l’enrichissement de l’estuaire grâce à un apport en nutriment provenant de l’agriculture, des industries et des effluents municipaux, a entraîné une diminution des concentrations d’oxygène dans les eaux profondes de l’estuaire (Gilbert et coll., 2005). L’hypoxie affecte plusieurs estuaires du monde et résulte en général en un changement important de la biodiversité et de la productivité de ces milieux (Diaz, 2001).
Enfin, les tributaires de l’estuaire du Saint-Laurent et les marais côtiers où se trouvent les sites de fraie et de croissance de plusieurs espèces de poissons estuariens ont aussi été pollués et dégradés. Tous ces changements sont susceptibles de modifier l’abondance et la répartition des espèces à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, y compris les proies du béluga.
Compétition avec d'autres prédateurs
Le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent sont fréquentés par quatre espèces de phoques et 13 espèces de cétacés (8 espèces d’odontocètes et 5 espèces de mysticètes) dont le béluga. Alors que les cétacés autres que le béluga sont des visiteurs entre le printemps et l’automne, les phoques sont soit des résidents comme le phoque gris (Halichoerus grypus) et le phoque commun (Phoca vitulina), soit des visiteurs hivernaux comme le phoque à capuchon (Cystophora cristata) et le phoque du Groenland (Pagophilus groenlandica). Au cours des mois d’hiver, l’estuaire et le golfe sont fréquentés par un troupeau de phoques du Groenland pouvant atteindre un million d’individus (Roff et Bowen, 1983; Sergeant, 1991; Hammill et Stenson, 2005) et le golfe a une population résidente d’environ 50 000 phoques gris (Hammill, 2005). Par ailleurs, il est aussi possible que des espèces marines aviaires telles que le petit pingouin (Alca torda), le cormoran à aigrettes (Phalacrocorax auritus) et les goélands argenté (Larus argentatus), à bec cerclé (L. delawarensis) et marin (L. marinus), qui se retrouvent en grand nombre dans certains secteurs de l'estuaire, entrent en compétition avec les différentes espèces de cétacés (Lesage et Kingsley, 1995).
La répartition des ressources entre les espèces présentes dans le fleuve Saint-Laurent a fait l’objet de quelques études, mais il est difficile d’évaluer l’étendue de la compétition entre ces espèces. Lesage et coll. (2001) ont démontré que les phoques communs et les phoques à capuchon occupent le plus haut niveau de la chaîne alimentaire, que les phoques gris, les phoques du Groenland du golfe et les bélugas mâles se trouvent à un niveau intermédiaire, alors que les phoques du Groenland de l’estuaire et les bélugas femelles se trouvent à un niveau inférieur. Il est possible que le régime alimentaire diversifié (opportuniste) du béluga du Saint-Laurent, attesté par l’observation d’autres populations de bélugas, le rende moins sensible à la compétition pour les ressources (Vladykov, 1946; Lowry et coll., 1985).
Il se pourrait également qu’à cause des changements climatiques, la saison favorable aux oiseaux marins et aux animaux non adaptés aux conditions de glace du Saint-Laurent s’allonge, ce qui augmenterait la compétition en période hivernale (Kingsley, 2002; Measures et coll., 2004). Le couvert de glace qui détermine en grande partie la répartition des espèces de mammifères marins en période hivernale dans l’estuaire pourrait devenir de moins en moins important (Bourque et Simonet, 2008).
Compétition avec la pêche commerciale
En plus des espèces potentiellement compétitrices, les bélugas partagent partiellement leurs ressources alimentaires avec la pêche commerciale. Suite à la récente chute de certains stocks de poissons de fond, l’intérêt croissant pour l’exploitation de petits poissons pélagiques, notamment le capelan, pourrait venir ajouter à la compétition entre les bélugas et les autres espèces du Saint-Laurent. Les répercussions de la pêche commerciale sur la population de bélugas sont peu connues. Il reste que le capelan représente probablement une espèce clé dans tout le système laurentien, car c’est une proie importante pour plusieurs mammifères marins et espèces d’oiseaux qui passent l’été dans l’estuaire (Ménard, 1998; Grégoire, 2005).
Il convient de noter que dans les carcasses récupérées, aucun cas d’inanition n’a été détecté, à l’exception de deux bélugas morts dans la rivière Saint-Paul en 2001 (Lair, 2007). Il n’y a pas de preuve directe que le rétablissement de la population de bélugas du Saint-Laurent soit limité par la disponibilité de nourriture, mais le déclin des stocks de poissons pourrait avoir un impact négatif sur cette population et pourrait être une menace sérieuse à son rétablissement dans le Saint-Laurent.
5) Autres dégradations de l'habitat
Durant les mois d’été, les bélugas font preuve d’une grande fidélité à l’endroit de leur habitat d’estivage dans l’estuaire ainsi que dans le Saguenay. Cette habitude expose les bélugas aux activités humaines côtières et extracôtières telles que la construction de marinas et de quais, la construction de barrages hydroélectriques et des projets associés à l’industrie touristique en expansion sans compter le dragage. De plus, l’introduction d’espèces exotiques est un autre facteur susceptible de contribuer à la modification et à la dégradation de l’habitat. Certaines modifications de l’habitat peuvent devenir problématiques autant pour ces mammifères que pour leurs ressources alimentaires.
Développement côtier et extracôtier
Construction et dragage
Les projets de développement menés en milieu côtier, tels que la construction d’infrastructures portuaires, de ponts et de routes, sont susceptibles de modifier l’environnement des bélugas, notamment à cause de la pollution sonore ou de la destruction de l’habitat de leurs proies. Des travaux de dragage pour l’entretien de la voie navigable dans le fleuve Saint-Laurent ainsi que pour celui des ports et des marinas, sont réalisés chaque année. Ces travaux, qui servent à maintenir ou augmenter la profondeur et la largeur des voies de navigation, et ceux qui accompagnent certains projets d’infrastructures portuaires, y compris ceux relativement modestes comme les marinas, peuvent remettre en circulation dans la colonne d’eau des contaminants contenus dans les sédiments. La tête du chenal Laurentien est une zone de sédimentation et d’accumulation de polluants persistants provenant du bassin versant des Grands Lacs et du Saint-Laurent (Lebeuf et Nunes, 2005). De plus, un site de dépôt de sédiment de dragage en mer est situé dans un habitat du béluga au large de Cacouna et un autre entre Les Éboulements et l’île aux Coudres. Cependant, la concentration de plusieurs contaminants dans les sédiments de surface que l’on retrouve dans le bassin du Saint-Laurent, particulièrement dans le tronçon fluvial, a diminué dans les dernières décennies grâce à la déposition d’une nouvelle couche de sédiment, moins contaminée (Carignan et coll., 1994; Lebeuf et Nunes, 2005). Chaque projet de dragage impliquant des sédiments contaminés fait l’objet d’une évaluation de l’impact sur l’habitat du poisson selon la Loi sur les pêches.
Aménagements hydroélectriques
Des barrages ont été construits sur plusieurs tributaires du Saint-Laurent, dont certains peuvent constituer des obstacles à la migration des poissons tout en altérant certains habitats utilisés par des proies potentielles du béluga. Par exemple, bien qu’une augmentation des montaisons d’anguille ait été observé récemment aux barrages de Beauharnois et de Moses-Saunders (Bernard et Desrochers, 2007), les turbines hydroélectriques de ces barrages sont la cause d’une importante mortalité des anguilles d’Amérique matures en dévalaison (Caron et coll., 2007). Il est possible également que des changements physiques et biologiques (débit, température, salinité, niveaux d’eau, courants) soient apportés par les aménagements hydroélectriques sur l’écosystème estuarien situé en aval. Les effets potentiels de ces changements sur la fréquentation par les bélugas n’ont pas encore été documentés. Ainsi, selon certains auteurs, la construction des barrages hydroélectriques sur les rivières Manicouagan et des Outardes dans les années 1960 aurait causé la désertion des bancs de la Manicouagan par les bélugas (Sergeant et Brodie, 1975; Pippard, 1985a; Caron et Sergeant, 1988). Cependant, d’autres auteurs croient plutôt que cette désertion a été causée par la réduction et la concentration des effectifs suite à la chasse commerciale intensive dans les années 1965-1970 (Reeves et Mitchell, 1984; Michaud et coll., 1990). Par ailleurs, bien qu’aucune étude n’ait encore évalué l’impact sur les mammifères marins de la pollution sonore émanant du développement et la production d’énergie par des turbines marémotrices (ou hydroliennes), cette nouvelle technologie soulève une inquiétude.
Industrie pétrolière et gazière
L’exploration sismique et l’exploitation pétrolière et gazière se réalisent dans de nombreuses régions côtières du globe, entre autres sur la côte est du Canada, à l’est de Terre-Neuve et sur le plateau néo-écossais (Nieukirk et coll., 2004). Cette activité entraîne de forts niveaux de bruit dans l’océan, potentiellement dommageable pour le béluga via le changement de comportement, le masquage des communications entre individus, voire l’impact physique sur l’appareil auditif. C’est lors des recherches sismiques que l’on enregistre habituellement les plus hauts niveaux de bruit, comparativement aux autres étapes d’exploitation de cette ressource (Richardson et coll., 1995). L’opération de plate-formes pétrolières peut de plus entraîner le rejet dans l’environnement de plusieurs substances toxiques dont des métaux, divers phénols alkylés et des boues toxiques (Holdway, 2002; Meier et coll., 2007). L’exploration sismique et l’exploitation pétrolière et gazière est interdite dans l’estuaire du Saint-Laurent. Elle est cependant possible dans le golfe du Saint-Laurent que le béluga est susceptible de fréquenter en hiver.
Introduction d'espèces exotiques
L’introduction d’espèces exotiques envahissantes constitue un enjeu d’envergure mondiale. L’implantation d’espèces exotiques peut modifier la composition des espèces des écosystèmes et de la chaîne trophique. Bien que cette menace n’ait pas été jugée sérieuse jusqu’à maintenant, il est nécessaire d’éviter l’introduction de nouvelles espèces par mesure préventive.
L’eau de lest ou eau de ballastNote de bas de page 6 est l’un des facteurs probables de l’introduction de nombreuses espèces dans les voies maritimes. Les ballasts, la coque et les caissons d’entrée d’eau des navires en provenance de l’étranger qui naviguent dans le Saint-Laurent contiennent divers assemblages d’organismes vivants (y compris des taxons non indigènes, des taxons toxiques ou nuisibles et des taxons qui représentent un risque potentiel) provenant de diverses régions du monde (Gauthier et Steel, 1996; Bourgeois et coll., 2001; Simard et Hardy, 2004). Les espèces exotiques envahissantes qu’on trouve dans le bassin du Saint-Laurent sont principalement des espèces d’eau douce. Cependant, il est envisageable que certaines espèces envahissantes puissent coloniser des milieux aux dépens des proies du béluga.
La réglementation de la Garde côtière américaine, le Règlement sur le contrôle et la gestion de l'eau de ballast (2006) de Transports Canada et les lignes directrices canadiennes sur la gestion de l’eau de ballast exigent que tous les navires se rendant dans les ports des Grands Lacs et venant de l’extérieur de la zone économique exclusive échangent leur eau de ballast en mer. Cette réglementation permet de réduire les risques d’introduction d’espèces exotiques dans l’écosystème des Grands Lacs et du Saint-Laurent par les eaux de ballast.
Menaces actuelles affectant un petit nombre d'individus
Cette section regroupe les menaces qui perturbent ou causent la perte de quelques individus par année. Prises individuellement, ces menaces affectent peu d’individus chaque année, mais si elles sont cumulées, elles augmentent le taux de mortalité de cette petite population au recrutement peu élevé.
6) Collision avec les embarcations
L’estuaire du Saint-Laurent est fréquenté par plusieurs types de bateaux, dont le nombre est en constante augmentation et qui sont susceptibles d’entrer en collision avec les bélugas. Les collisions avec les navires peuvent évidemment être fatales pour les bélugas, mais peuvent aussi blesser et ainsi compromettre la survie des individus. D’autant plus que les bélugas font quelquefois preuve de comportements à risque tels que l’approche des embarcations par simple curiosité jusqu’à parfois développer des jeux à proximité de celles-ci (Blane et Jackson, 1994; MPO, 2002).
Les bélugas sont probablement plus à risque de collision avec les embarcations touristiques et de plaisance, qui se déplacent à des vitesses et dans des directions variables. Parcs Canada compile tous les cas de blessures fraîches qui sont signalées depuis 1992 à l’intérieur du PMSSL (Laist et coll., 2001). Depuis l’entrée en vigueur du Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, il y a obligation de rapporter les collisions. De plus, le programme des carcasses des bélugas a permis de révéler divers types de traumatismes (par exemple, des lacérations cutanées, des hémorragies internes, des fractures) probablement causés par des collisions avec des bateaux chez 11 bélugas entre 1983 et 2006 (Lair, 2007; Banque de données du Centre canadien coopératif de la santé de la faune). Cependant, il n’a pas été établi que la collision ait été la cause principale de mortalité ou même qu’une maladie aurait pu rendre les individus plus susceptibles aux collisions. Plusieurs bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent portent des blessures et des cicatrices attribuables vraisemblablement à une collision avec un navire (R. Michaud, Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins [GREMM], données non publiées). Ces marques sont notamment utilisées pour différencier les bélugas lors des études de photo-identification.
Laist et coll. (2001) ont étudié les données historiques de collision entre des bateaux et certaines espèces de baleines (baleines à fanons et cachalot). Ils ont démontré que les jeunes étaient particulièrement vulnérables aux collisions parce qu’ils passent plus de temps en surface et ont moins d’expérience pour éviter les navires. De plus, Blane et Jackson (1994) ont démontré que les jeunes bélugas interagissaient plus que les adultes avec les bateaux. Les bélugas ont une capacité auditive très développée et un excellent système d’écholocation qui peuvent les aider à détecter les embarcations. Par contre, les bruits d’origine anthropique (navires, sonars, activités sismiques) peuvent causer des blessures à l’appareil auditif diminuant ainsi la capacité de détection et augmentant de ce fait les risques de collision. Malheureusement, les blessures à l’appareil auditif sont très difficiles à détecter lors des nécropsies à cause de l’état de décomposition des carcasses et de facteurs confondants (Faulkner et coll., 1998; Measures, 2007a).
7) Empêtrement dans les engins de pêche
La pêche, notamment à l’aide d’engins fixes ou de filets maillants, constitue une cause potentielle de mortalité pour les bélugas de la population de l’estuaire du Saint-Laurent. Quelques cas de béluga piégé dans un engin de pêche fixe ou empêtré dans des engins de pêche ou autres cordages ont été rapportés. Dans de tels cas, les bélugas peuvent se blesser, développer une infection, ou même trouver la mort par anoxie (absence d’oxygénation). Dans l’estuaire du Saint-Laurent, l’effort de pêche est limité et peu de filets maillants sont utilisés. Au Québec, au moins cinq cas d’empêtrement ont été rapportés depuis 1979 (MPO et WWF, 1995; Système de suivi des incidents, Parcs Canada; L.Measures, MPO, données non publiées). Les risques associés aux engins de pêche peuvent cependant être beaucoup plus importants pour les animaux qui s’aventurent hors de leur aire de répartition habituelle, où les activités de pêche sont plus répandues. Entre 1979 et 1991, plusieurs cas d’emmêlement de bélugas dans les filets maillants et les trappes à morue ont été rapportés sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador (Curren et Lien, 1998). La pêche fantômeNote de bas de page 7 s’ajoute aux menaces potentielles. Sur les 30 000 filets maillants installés tous les ans au Québec, entre 600 et 2 000 seraient abandonnés ou perdus. En 1991, dans un effort de récupération, 28 172 mètres de filets ont pu être retirés des eaux entre Matane et Forillon (Drolet, 1998). Une opération similaire a eu lieu sur la Côte-Nord en 2005 et un nombre important de filets ont été retirés de l’eau (Laberge, 2005).
Les prises accidentelles dans les engins de pêche ne semblent pas limiter le rétablissement des bélugas du Saint-Laurent, très peu d’individus portent d’ailleurs des cicatrices causées par des engins de pêche (MPO et WWF, 1995; Lair, 2007). Les capacités d’écholocalisation de ces odontocètes semblent leur permettre de détecter la présence des engins de pêche et ainsi éviter l’entremêlement. Par contre, étant donné le faible taux de recrutement de cette population, toute source de mortalité est importante à considérer.
8) Activités scientifiques
À cause de leur statut d’espèce menacée, les bélugas du Saint-Laurent ont fait l’objet de plusieurs études scientifiques. Pêches et Océans Canada, Parcs Canada, diverses universités ainsi que le GREMM étudient plusieurs aspects de la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent depuis plusieurs années. Certaines études se réalisent grâce à la pose d’enregistreurs de données, la photo-identification, la prise de biopsies et le suivi des troupeaux à partir de bateaux et de la côte. Bien que l’acquisition de connaissance profite au rétablissement du béluga du Saint-Laurent, ces projets de recherche sont susceptibles de déranger les individus. Par exemple, les bateaux doivent s’approcher à moins de 25 m pour la prise de photographies nécessaires à l’identification des individus et à moins de 10 m pour la récolte de biopsie (dard projeté par une arbalète, pour une description des méthodes d’échantillonnage voir Michaud, 1996).
Des travaux de recherche pouvant entraîner le dérangement de mammifères marins requièrent un permis du MPO en tout temps et de Parcs Canada lorsque l’étude s’effectue dans le PMSSL. L’obtention du permis du MPO est soumise à l’étude du protocole et des effets potentiels qui sont revus par un comité de protection des animaux établi dans le cadre du Conseil canadien de protection des animaux.
Menaces ponctuelles ou épisodiques
Ces menaces sont ponctuelles, c’est-à-dire qu’elles se manifestent seulement à un moment et à un endroit précis, mais pourraient, si elles viennent à se produire, causer la mort de plusieurs individus et donc limiter le rétablissement.
9) Déversement de produits toxiques
Il existe un important transport maritime de produits pétroliers et autres produits toxiques dans l’estuaire du Saint-Laurent. Les conditions océanographiques particulières de l’estuaire et du golfe, tels que les courants et marées intenses, la présence des glaces ou la fréquence élevée de brouillard, en combinaison avec le trafic soutenu qui emprunte la voie maritime, augmentent les risques d’accident. À ce jour, peu de déversements importants sont survenus dans le Saint-Laurent. La majorité des déversements ont lieu dans les ports (Villeneuve et Quilliam, 1999). Cependant, l’exploration et de l’exploitation pétrolière peut augmenter considérablement les risques d’accidents et de déversements (Kingston, 2005). Par exemple, en novembre 2004, un important déversement de pétrole a eu lieu au large de St. John’s à Terre-Neuve lors d’un bris d’équipement sur une plate-forme de forage. La faune aviaire et marine a été affectée dans un rayon de plus de 5 km. De plus, le 20 avril 2010, l’explosion d’une plate-forme pétrolière a entraîné un déversement massif de pétrole dans le golfe du Mexique. Le puits, situé à une profondeur de 1,5 km, a déversé environ 780 millions de litres de pétrole pendant 11 semaines. Le pétrole a atteint les côtes de la Louisiane, de l’Alabama et de la Floride. Étant donné l’habitat relativement restreint que représente l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, un déversement important pourrait comporter des risques sérieux pour les bélugas.
Si les bélugas entraient en contact avec une nappe de pétrole, ils seraient protégés par leur épiderme, qui est une barrière très efficace contre les substances nocives (Geraci, 1990). Les déversements de pétrole peuvent tout de même constituer un risque pour les mammifères marins puisque les vapeurs toxiques émanant du brut ou des distillats volatiles sont susceptibles d’endommager les tissus sensibles tels que les membranes des yeux, de la bouche et des poumons (Geraci et St. Aubin, 1990). De plus, les mammifères marins peuvent ingérer le produit déversé ou ses métabolites directement ou par l’intermédiaire de proies contaminées. Matkin et coll. (2008) ont montré le lien existant entre l’augmentation de la mortalité des épaulards observée au large de l’Alaska et le déversement du pétrolier Exxon Valdez en 1989. Les risques de contact avec le pétrole augmentent l’hiver puisque le produit tend à s’accumuler en bordure des glaces, où les bélugas passent une grande partie de leur temps. La fidélité au site, bien documentée chez les bélugas du Saint-Laurent, pourrait aussi être un facteur qui pousserait les animaux à s’approcher à proximité des nappes de pétrole. De plus, un déversement de produits toxiques peut avoir des conséquences à long terme sur l’écosystème du l’estuaire par exemple en causant une diminution de l’abondance des proies par une mortalité accrue des individus et par une dégradation des sites de fraie et de croissance (Peterson et coll., 2003). On peut s’attendre à ce que les changements climatiques entraînent une augmentation de la fréquence et de l’ampleur des évènements climatiques extrêmes ce qui pourrait augmenter le risque de déversement accidentel de produits toxiques. Cette menace est donc considérée comme potentiellement très dangereuse pour la population de bélugas du Saint-Laurent.
10) Efflorescence d'algues toxiques
Lors de l’été 2008, une marée rouge s’étendant sur 600 km2 a frappé l’estuaire du Saint-Laurent et aurait causé la mort de dix bélugas. La prolifération de l’algue toxique Alexandrium tamarense a causé la mort de plusieurs cétacés, de dizaines de phoques et de milliers d’oiseaux, d’invertébrés et de poissons (Banque de données du Centre canadien coopératif de la santé de la faune). La neurotoxine produite par les algues, une saxitoxine, paralyse les animaux, y compris leur système respiratoire, et entraîne ainsi l’asphyxie. Les bélugas ingèrent cette neurotoxine à travers leurs proies. L’effet d’une exposition chronique à la saxitoxine sur la santé des bélugas est inconnu. L’ampleur qu’a pris ce phénomène naturel est probablement due aux précipitations particulièrement abondantes de l’été 2008 (M. Starr, MPO, données non publiées). L’eutrophisation, les changements climatiques et l’altération du régime des pluies qu’ils entraînent, pourraient causer un accroissement des efflorescences d’algues et rendre cette menace significative pour les bélugas du Saint-Laurent. La fréquence et la répartition géographique des efflorescences d’algues toxiques semblent augmenter à travers le monde (Van Dolah, 2000). Bien que les facteurs expliquant cette croissance et ses effets sur les mammifères marins soient encore peu connus, on note une augmentation importante de la mortalité qui est de plus en plus associée à des efflorescences d’algues (Scholin et coll., 2000).
11) Épizootie
Plusieurs facteurs (petite population, comportement grégaire, aire de répartition réduite, isolement des populations voisines et affaiblissement du système immunitaire dû à l’exposition chronique aux contaminants) rendent les bélugas du Saint-Laurent plus vulnérables à des maladies infectieuses qui risquent de dégénérer en épizootiesNote de bas de page 8. Plusieurs espèces de mammifères marins, résidantes ou migratrices, partagent, dans l’estuaire, un habitat relativement restreint et sont probablement exposées à un grand nombre d’agents pathogènes (Measures, 2007b). Certains de ces agents peuvent être transmis par diverses sources telles que les rejets d’égouts, le ruissellement des terres agricoles et la navigation (Measures et Olson, 1999). Il faut aussi prévoir que les changements climatiques risquent d’amplifier l’impact qu’ont les agents pathogènes sur la population de bélugas du Saint-Laurent. Le réchauffement climatique peut augmenter le taux de survie des agents pathogènes durant l’hiver et entraîner une plus grande fréquentation de l’estuaire par de nouvelles espèces de mammifères marins ce qui augmente l’exposition des bélugas aux agents pathogènes exotiques (MPO, 2002; Measures, 2004; Burek et coll., 2008; Measures, 2008). De plus, les contaminants ainsi que le stress entraîné par les activités humaines affaiblissent vraisemblablement le système immunitaire (De Guise et coll., 1996; De Guise, 1998). Les animaux deviennent alors moins aptes à se défendre contre les agents pathogènes et les parasites. À noter que les jeunes sont les individus les plus à risque puisque leur système immunitaire est moins bien développé, ce qui peut avoir des répercussions importantes en ce qui concerne le recrutement.
Les virus constituent la principale source potentielle d’épizootie. En particulier, le MorbillivirusNote de bas de page 9,qui aurait causé la mort ces dernières années de centaines, voire de milliers de phoques et de cétacés dans le monde, est une source d’inquiétude pour le béluga du Saint-Laurent. Le Morbillivirus est particulièrement dangereux puisqu’il peut causer des épizooties très rapides qui se caractérisent par des broncho-pneumonies et des encéphalites et provoque généralement la mort de l'animal (Kennedy, 1998; Di Guardo et coll., 2005). Les bélugas pourraient être infectés par le Morbillivirus par l’intermédiaire d’un mammifère porteur, que celui-ci soit terrestre ou marin (Mamaev et coll., 1996; Barrett, 1999). L'arrivée du Morbillivirus, auquel la population de bélugas du Saint-Laurent n’a jamais été exposée,pourrait avoir des conséquences désastreuses : le caractère grégaire de la population favoriserait la propagation du virus et la faible étendue de l’aire de répartition lui permettrait d’atteindre un très grand nombre d’individus (Nielsen et coll., 2000).
En plus des infections au Morbillivirus, d’autres pathogènes, comme la bactérie Brucella et le protozoaire Toxoplasma gondii, peuvent causer des maladies infectieuses chez les bélugas (Measures, 2007b). La brucellose est préoccupante puisqu’elle est associée à des problèmes de reproduction : mastites, avortements, mortalité néonatale ou infertilité (Tryland, 2000; Nielsen et coll., 2001). Malgré la présence de plusieurs agents pathogènes dans la population de bélugas du Saint-Laurent, aucun cas d’épizootie sévère n’a été répertorié.
Cette menace est pour le moment hypothétique mais très préoccupante, puisqu’en cas d’épizootie sévère, une petite population comme celle du béluga du Saint-Laurent pourrait devenir à risque d’extinction. À cause du risque de transmission d’un pathogène exotique au béluga de l’estuaire du Saint-Laurent (Measures, 2004, 2007a), la réhabilitation de mammifères marins, particulièrement les phoques, fait l’objet d’un moratoire au Québec.
1.6 Mesures déjà achevées ou en cours
1.6.1 Protection légale
Protection internationale
Le béluga est classé comme étant vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et cette espèce est protégée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Les pays signataires de cet accord, dont le Canada fait partie, contrôlent les échanges internationaux de produits dérivés d’espèces animales et végétales sauvages afin de ne pas mettre leur survie en danger. Au Canada, la CITES est appliquée en vertu de la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. La population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent est inscrite à l’annexe II de la Convention ce qui signifie que l’importation ou l’exportation de spécimen de béluga doivent être accompagnées d’un permis.
Protection légale fédérale et provinciale
Le béluga du Saint-Laurent a bénéficié d’une protection complète contre la chasse depuis 1979 grâce au Règlement sur la protection du bélouga (1979) de la Loi sur les pêches (1985). En 1993, lors du remplacement de ce règlementpar le Règlement sur les mammifères marins (1993), les directives concernant l’observation des mammifères marins dans les eaux canadiennes sont devenues plus spécifiques. Ce règlement stipule qu’il est interdit d’importuner un mammifère marin. Il est présentement en révision à l’échelle canadienne dans le but de mieux intégrer les besoins régionaux. De plus, la Loi sur les pêches protège l’habitat des mammifères marins puisqu’il est interdit d’exploiter des ouvrages ou des entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, terme qui inclut les mammifères marins au sens de cette loi. L’article 36 de cette loi, vise à contrôler l’introduction de substances toxiques dans l’habitat. Par ailleurs, le MPO dans le cadre d’une politique interne, ne permet pas l’utilisation d’engins mobiles de pêche dans l’estuaire moyen et le fjord du Saguenay. Bien que cette mesure n’ait pas été spécifiquement mise en place pour protéger le béluga, elle procure une certaine protection à ses proies.
De plus, la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent est inscrite comme espèce menacée depuis 2005 sur l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Par conséquent, il est interdit de tuer un individu de l’espèce, de lui nuire, de le harceler, de le capturer ou de le prendre, d’endommager ou de détruire la résidence d’un ou plusieurs individus de l’espèce. La Loi prévoit aussi que l’habitat essentiel de l’espèce soit protégé de la destruction.
Les préoccupations du milieu régional pour la protection du béluga et son habitat ont constitué un facteur déterminant dans la création du parc marin Saguenay–Saint-Laurent (figure 7). Le parc marin fut officiellement créé le 10 juin 1998, par l’entrée en vigueur de lois dites « miroir », soit une loi canadienne et une loi québécoise, toutes deux intitulées Loi sur le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (1997). D’une superficie de 1 245 km2, le parc marin est administré conjointement par les deux gouvernements, soit par l’Agence Parcs Canada et par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (MDDEP). Le Règlement sur les activités en mer du parc marin Saguenay–Saint-Laurent (2002) découle de la loi fédérale. Ce règlement prévoit des mesures de protection spécifiques aux espèces déclarées en voie de disparition ou menacées, comme le béluga, notamment en limitant la distance d’approche à plus de 400 m. De plus, le nombre de bateaux d’excursion pouvant exercer leurs activités dans le parc marin a été limité par un système de permis, ainsi que la vitesse et la durée de présence sur les sites d’observation. L’exploration sismique ainsi que l’exploitation gazière et pétrolière sont interdites dans le parc en vertu de la loi québécoise.
La réglementation du PMSSL prévoit l’établissement d’un zonage. Celui-ci constituera un outil de gestion essentiel à l’atteinte des objectifs de conservation et d’utilisation du parc marin dans une optique d’écologie durable. En 2006, le comité Béluga-baie Sainte-Marguerite du parc marin a été créé dans le but de mettre en place des mesures de protection de cet habitat et de définir des actions pour préserver cette baie, qui est l’une des aires d’utilisation intensive estivale du béluga. En 2008, un plan de gestion sur les activités en mer a été mis sur pied dans le PMSSL. Le but de ces deux exercices est notamment de définir des mesures de gestion spécifiquement adaptées aux activités en mer dans le parc marin, fortement utilisé par le béluga ainsi que par un grand nombre de bateaux de tous genres.
Le béluga pourra être protégé à la fois par les lois du Canada et du Québec qui portent sur la création d’éventuelles aires marines protégées (AMP). Entre autres, la Loi sur les océans (1996) confère au MPO le pouvoir de créer des zones de protection marines (ZPM) afin de protéger une ou plusieurs composantes d’un écosystème, dont les espèces en péril, tandis que la Loi sur la conservation du patrimoine naturel (L.R.Q., chapitre C-61.01) confère au MDDEP le pouvoir de désigner sur son territoire des aires protégées afin de veiller à la protection de la biodiversité et des composantes importantes de l’écosystème marin. L’établissement d’un réseau d’aires marines protégées au Québec est coordonné depuis 2007 par un groupe de travail, le Groupe bilatéral sur les aires marines protégées au Québec (GBAMP), sur lequel siègent les représentants des deux paliers gouvernementaux concernés. Ce groupe travaille actuellement au développement d’une AMP d’une superficie d’environ 500 km2 dans le secteur de Manicouagan. Ce projet d’AMP couvre un territoire occupé de l’automne au printemps par le béluga. Historiquement, ce territoire était occupé par les bélugas en période estivale. La protection de l’espace marin de la péninsule de Manicouagan permettra d’assurer, dans le cas d’un agrandissement de l’aire de répartition estivale, un habitat de qualité pour le béluga du Saint-Laurent. Le GBAMP examinera par la suite le projet de ZPM Estuaire du Saint-Laurent qui couvre un territoire de 6 000 km2 adjacent au PMSSL et occupé en période estivale par les bélugas (figure 7). Ce projet vise spécifiquement la protection et la conservation à long terme des mammifères marins, de leurs habitats et de leurs ressources alimentaires, tout en maintenant les activités économiques durables. La zone retenue couvre le secteur où les pressions humaines sur les mammifères marins (AOM, trafic maritime) hors parc marin, sont les plus intenses.
Figure 7. Carte du Parc marin Saguenay–Saint-Laurent et des deux projets d'aires marines protégées dans le secteur, soit le projet d'aire marine protégée de Manicouagan et le projet de zone de protection marine Estuaire du Saint-Laurent.
Description pour la figure 7
Carte du parc marin Saguenay–Saint-Laurent et des deux projets d’aires marines protégées dans le secteur, soit le projet d’aire marine protégée de Manicouagan (à l’embouchure de la rivière Manicouagan) et le projet de zone de protection marine Estuaire du Saint-Laurent (des battures des Loups Marins jusqu’à Métis-sur-Mer). En médaillon, la localisation du secteur au Québec.
D’autres mesures réglementaires ou législatives fédérales s’ajoutent à cette liste pour encadrer les activités susceptibles d’avoir un impact sur la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent, telles que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (2001), la Loi canadienne sur les évaluations environnementales (1992) et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Des dispositions de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada encadrent l’action d’une équipe d’intervention régionale dont le rôle est d’enclencher les mesures de nettoyage nécessaires en cas de déversement. Environnement Canada, Pêches et Océans Canada et le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec ainsi que des organismes non gouvernementaux, sont appelés à aider au sauvetage des espèces fauniques en cas de déversement. Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent a défini son propre plan d’urgence qui s’arrime avec celui des organismes responsables de la coordination des urgences (Auger et Quenneville, 2001). Des essais techniques d’interventions pour contrer un déversement d’hydrocarbures dans le fjord du Saguenay ont été réalisés dans le but d’émettre plusieurs recommandations (Dinel et Duhaime, 1997; Auger et Quenneville, 2001). Cependant, la mise en oeuvre d’un programme de contingence efficace pour empêcher l’exposition des bélugas aux produits déversés représente un défi compte tenu des nombreuses contraintes rencontrées en situation réelle.
L'énoncé des pratiques canadiennes d’atténuation des ondes sismiques en milieu marin (en format PDF, 415 ko) précise « les exigences relatives aux mesures d’atténuation qui doivent être satisfaites durant la planification et la réalisation de levés sismiques en mer afin de minimiser les impacts sur la vie océanique. Ces exigences prennent la forme de normes minimales, qui s’appliquent dans toutes les eaux marines du Canada libres de glace ».
Par ailleurs, le béluga du Saint-Laurent est également protégé en vertu de la Loi sur les espèces menacées et vulnérables du Québec (L.R.Q., c.E-12). De plus, d’autres lois québécoises peuvent contribuer à la protection du béluga en contrôlant notamment les émissions de polluant soit la Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., c. Q-2), la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q., c. C-61.1) et la Loi sur le régime des eaux (L.R.Q., c. R-13).
1.6.2 Programmes visant l'amélioration de la qualité des eaux de l'estuaire du Saint-Laurent
En 1972, la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) est votée au Parlement québécois. Le Programme d’assainissement des eaux du Québec (PAEQ), issu de la LQE, est mis sur pied en 1978. L’investissement de près de 7 milliards, consenti dans le cadre de ce programme, a permis aux municipalités du Québec de construire des stations d’épuration des eaux usées. Le PAEQ a également incité les industries non reliées à un égout municipal à construire leur propre système d’assainissement des rejets. Le PAEQ a permis de diminuer considérablement la pollution rejetée dans les cours d’eau de la province. Le Programme de réduction des rejets industriels, également issu de la LQE, vise quant à lui à encadrer les émissions polluantes des grands secteurs industriels du Québec. En 1988, les gouvernements québécois et canadien joignaient leurs efforts et investissaient dans l’assainissement du Saint-Laurent par l’entremise du Plan d’action Saint-Laurent (PASL). Le premier objectif de ce plan était la lutte contre la pollution chimique du fleuve Saint-Laurent. Pour ce faire, 50 entreprises majeures ont été ciblées et ont eu pour objectif de diminuer de 90 % leurs effluents liquides toxiques sur une période de cinq ans. En 1993 et en 1998, deux autres phases nommées Saint-Laurent Vision 2000 ont été signées et ont permis d’ajouter 56 usines à la liste des usines prioritaires pour le plan de diminution des produits toxiques. Au terme de ces actions, des améliorations mesurables et des interventions concrètes ont été apportées : la plupart des usines ciblées ont réduit leurs effluents toxiques (Dartois et Daboval, 1999). Le PASL a favorisé, par exemple, la réduction des émissions d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) par les alumineries, ce qui a occasionné une diminution des concentrations de ces contaminants dans les sédiments de surface du Saguenay (Gearing et coll., 1994; White et Johns, 1997). En outre, les comités Zones d’Intervention Prioritaires (ZIP) ont été mis sur pied au cours de la deuxième phase du Plan d’action. Le maintien de la biodiversité, l’assainissement agricole, la protection humaine, la gestion des niveaux d’eau et la navigation sont d’autres domaines ciblés par le Plan d’action. Les rejets de plusieurs substances toxiques ont grandement diminué grâce à la mise en œuvre du PAEQ, du PASL ainsi que de l’application de règlements visant la réduction des émissions polluantes des fabriques de pâtes et papiers et des raffineries (Rondeau, 2002; Painchaud et Villeneuve, 2003; Pelletier, 2005).
De plus, en 1996 un comité a été formé afin de préciser la problématique des sites aquatiques contaminés et d’énumérer ceux qui devaient faire l’objet d’intervention en raison de leur impact sur le béluga du Saint-Laurent. Les données disponibles à l’époque ont permis d’identifier 38 sites où les sédiments contiennent des concentrations élevées de substances toxiques potentiellement préoccupantes pour le béluga (Gagnon et Bergeron, 1997).
Plusieurs programmes canadiens ou étatsuniens visant certaines substances toxiques, existent afin d’améliorer la qualité des eaux des Grands Lacs qui se jettent dans le fleuve Saint-Laurent : l’accord Canada-Ontario, l’accord relatif à la qualité de l’eau des Grands Lacs, la stratégie binationale relative aux substances toxiques, le programme fédéral des Grands Lacs et les plans d’aménagement panlacustre. Le Canada aussi pris des engagements internationauxNote de bas de page 10 afin de gérer efficacement le commerce des produits chimiques dangereux.
1.6.3 Interdiction des activités d'exploration et d'exploitation pétrolière et gazière
À la suite d’une enquête et d’une audience publique sur la question des levés sismiques du BAPE (BAPE, 2004), et de l’évaluation environnementale stratégique pour cerner les enjeux environnementaux, sociaux et économiques de l’exploration et de l’exploitation gazière et pétrolière dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent, enclenchée en 2009, le gouvernement du Québec a décidé qu’aucune de ces activités n’aurait lieu dans l’estuaire maritime et le nord-ouest du golfe du Saint-Laurent. Cette interdiction couvre la majeure partie de l’aire de répartition du béluga du Saint-Laurent.
1.6.4 Intendance
Réseau québécois d'urgence pour les mammifères marins (RQUMM)
Entre 1982 et 2002, le MPO et l’Institut national d’écotoxicologie du Saint-Laurent (INESL) ont fait un suivi des échouages de mammifères marins dans l’estuaire du St-Laurent. Le GREMM a entrepris ce suivi depuis 2003 et a créé en 2004, un réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins en difficulté, en collaboration avec treize partenaires dont Pêches et Océans Canada et Parcs Canada. Le mandat du réseau est d’organiser, de coordonner, de mettre en œuvre des mesures visant à réduire les cas de mortalité accidentelle de mammifères marins, à secourir des animaux en difficulté et à favoriser l’acquisition de connaissances auprès des animaux morts, échoués ou à la dérive dans les eaux du Saint-Laurent québécois. La coordination et le centre d’appel du réseau sont assurés par le GREMM.
Sensibilisation au PMSSL
Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent organise chaque année une formation à l’intention des capitaines des bateaux d’excursions afin de les familiariser avec les bonnes pratiques d’observation des mammifères marins (règlement sur les activités en mer, biologie, moyens de diversifier les excursions). Depuis 2008, cette formation est obligatoire pour exercer une activité dans le parc marin. L’équipe de Parcs Canada prévoit étendre cette formation aux guides de kayak et aux naturalistes. Parcs Canada et Parcs Québec effectuent aussi plusieurs actions sur le territoire, telles qu’une tournée d’éducation et des patrouilles afin de sensibiliser les plaisanciers à la réglementation en vigueur dans le parc. Un dépliant destiné au public qui résume la réglementation en vigueur dans le parc marin est également largement diffusé. Depuis 2007, un guide sur les bonnes pratiques pour l’observation des mammifères marins au Québec, élaboré en collaboration avec l’industrie des activités d’observation des mammifères marins, le MPO et Parcs Canada est disponible pour sensibiliser le grand public à l’observation sécuritaire des mammifères marins.
Programme d'intendance de l'habitat
Différents projets ont été réalisés dans le cadre du programme d’intendance de l’habitat (PIH) pour les espèces en péril du Canada :
- Le comité Zone d'intervention prioritaire (ZIP) de la rive nord de l’estuaire a mis en valeur en 2003 un réseau de sites terrestres d’interprétation et d’observation des cétacés à partir des berges. Un projet de sensibilisation des kayakistes aux comportements de navigation à adopter envers les mammifères marins en péril a aussi été élaboré.
- Le Réseau d’observation des mammifères marins (ROMM) a instauré un projet de sensibilisation visant à inciter les employés et les dirigeants de cette industrie à repenser les activités de croisières d’observation des baleines. Depuis 2006, le Réseau poursuit une étude des AOM en Gaspésie et rencontre les jeunes dans les écoles depuis 2005 afin de les sensibiliser aux espèces en péril.
- La corporation PARC Bas-Saint-Laurent a développé et réalisé un programme de sensibilisation sur les mammifères marins qui s’adresse à la clientèle scolaire.
- Le GREMM publie un bulletin hebdomadaire, intitulé Écho des baleines, durant chaque saison d’observation pour faire le point sur les projets en cours et sur les actions entreprises pour protéger les baleines afin de les faire connaître aux capitaines et aux naturalistes.
- Le centre de coordination du RQUMM reçoit également le soutien du PIH.
1.6.5 Atténuation du dérangement par les activités scientifiques
Plusieurs mesures sont utilisées pour minimiser le dérangement des bélugas lors d’études sur le terrain. Par exemple, réduction de la vitesse de navigation à l’approche d’un troupeau, pause de 15 minutes avant d’approcher les troupeaux à moins de 300 m, période maximale de trois heures à proximité d’un troupeau et exclusion des groupes avec des veaux dans les cas de récolte de biopsie. Lors d’études sur l’effet des activités de récolte de biopsie sur le comportement des bélugas, on observe en général un plongeon précipité de l’individu visé et du groupe nageant à proximité de celui-ci suite au tir de l’arbalète. Par contre, 15 à 20 minutes plus tard, l’individu convoité ainsi que l’ensemble du troupeau, ne semblent pas conserver de séquelles du tir de l’arbalète : ils se laissent approcher aussi facilement qu’avant le tir (Michaud, 1996; De la Chenelière, 1998).
1.6.6 Recherches
En plus du programme de suivi des carcasses de bélugas échoués, plusieurs groupes de recherche, dans le cadre de plusieurs programmes, travaillent sur le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent. Voici une liste non exhaustive de certains programmes de recherche :
- Des relevés aériens sont effectués depuis 1988 à des intervalles de deux à trois ans par les chercheurs du MPO pour assurer un suivi de la taille et de la tendance de la population.
- Parcs Canada mène depuis plusieurs années un projet d’observation des bélugas dans le PMSSL sur deux sites différents (Pointe-Noire à l’embouchure du Saguenay et baie Sainte-Marguerite) afin de mieux comprendre l’utilisation de ces secteurs par les bélugas ainsi que d’évaluer l’intensité du trafic maritime. Les informations récoltées visent à préciser un plan de gestion des activités en mer spécifiques à ces secteurs. Un portrait de la navigation dans le parc a été réalisé en 2007. De plus, en 2009, une étude sur les proies du béluga a été amorcée dans les secteurs fortement fréquentés par le béluga.
- Le GREMM étudie la répartition et l’organisation sociale des bélugas via la photo-identification, la prise de biopsies et le suivi des troupeaux depuis une vingtaine d’années. Un projet d’étude des activités d’observation en mer mené par le GREMM et Parcs Canada depuis 1994 fut élargi avec la participation du MPO en 2005. Les objectifs de cette étude sont de caractériser les AOM, d’évaluer la répartition des mammifères marins, d’élaborer des mesures réglementaires ainsi que d’estimer l’impact des mesures de gestion en vigueur dans la région, dans le PMSSL et dans la zone de protection marine (ZPM) projetée Estuaire du Saint-Laurent.
- Un projet de recherche mené conjointement par le GREMM et le MPO en collaboration avec Parcs Canada sur le comportement de plongée et les déplacements des bélugas se déroule depuis 2001 dans l’estuaire. Ce projet vise à mieux comprendre l’utilisation de l’habitat par les bélugas.
- Un projet réalisé conjointement par le MPO et le ministère de la Défense nationale a débuté en 2004 dans le but de déterminer l’intensité de la pollution sonore à laquelle les bélugas sont exposés dans différents habitats.
- Le MPO étudie depuis 2004 la répartition des baleines dans l’estuaire du Saint-Laurent et tente d’évaluer leur exposition aux bruits présents dans leur environnement à l’aide d’un système automatisé d’hydrophones à enregistrement continu. L’objectif est de caractériser le degré d’utilisation des habitats par le béluga par l’exploration d’une méthode acoustique et de comprendre les processus responsables de la génération et du maintien d’un habitat privilégié et sensible du béluga du Saint-Laurent : l’embouchure du Saguenay.
- L’université du Connecticut, en collaboration avec le GREMM, le MPO, Parcs Canada, le ministère de la Défense nationale et Park Foundation, effectue un programme de recherche pour évaluer les effets de la pollution sonore sur cette population en péril.
Détails de la page
- Date de modification :