Narval (Monodon monoceros) évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 4

Répartition

Aire de répartition mondiale

Les narvals habitent les eaux de l’Arctique; on les voit rarement au sud du 61e parallèle (figures 2 et figure3). On les retrouve couramment dans les eaux du Nunavut, de l’ouest du Groenland et de l’Arctique européen, mais rarement dans les mers de Sibérie orientale, de Béring, des Tchouktches et de Beaufort. Les rapports antérieurs semblent indiquer la même répartition qu’aujourd’hui.

Deux populations de narvals ont été reconnues à des fins de gestion de la chasse au Canada (MPO, 1998a, 1998b). Cette tentative de distinction entre la population de la baie de Baffin et celle de la baie d’Hudson se fonde principalement sur la répartition estivale et ne reflète pas nécessairement le degré d’échange entre les populations. Les narvals de la population de la baie de Baffin estivent dans les eaux de l’ouest du Groenland et du haut Arctique canadien et hivernent dans la baie de Baffin et le détroit de Davis (Koski et Davis, 1994; Dietz et al.,2001; Heide-Jørgensen et al., 2003). Leur aire de répartition couvre au moins 1,25 million de km². On ignore le degré de fidélité à ses aires de cette population partagée. En fait, il pourrait s’agir de plusieurs populations (JCNB/NAMMCO, 2001). On croit que les narvals qui estivent dans le nord-ouest de la baie d’Hudson hivernent dans l’est du détroit d’Hudson (Richard, 1991). Ils occupent une aire d’environ 250 000 km². On suppose que les individus qui estivent dans les eaux de l’est du Groenland hivernent dans la zone de banquise entre l’est du Groenland et le Svalbard (Dietz et al., 1994). On doute qu’ils pénètrent dans les eaux canadiennes.

D’après les observations morphologiques et comportementales, différentes populations de narvals pourraient exister dans le région de Baffin. Les chasseurs de Qikiqtarjuaq, de Clyde River et de Resolute reconnaissent deux types différents de narvals, l’un relativement grand et foncé, portant une longue défense, et l’autre plus petit et de couleur plus claire, portant une défense plus courte et plus fortement spiralée (Remnant et Thomas, 1992). Lorsqu’ils se sentent menacés par les chasseurs, les narvals de la région du détroit de Jones sont plus susceptibles de se réfugier en eau profonde que ceux de la région de Pond Inlet (Reeves, 1992a); en outre, la vue de chasseurs à la lisière des glaces ne leur fait pas peur (Stewart et al., 1995).

Figure 2. Noms de lieux employés dans le texte. * Voir encadré ci-dessous pour la tranduction française.

Figure2. Noms de lieux employés dans le texte. * Voir encadré ci-dessous pour la tranduction française.

Adams Sd = Baie Adams
Admiralty Inlet = Inlet de l’Amirauté
Agu Bay = Baie Agu
Arctic Bay = Arctic Bay
Arviat = Arviat
Baffin Bay = Baie de Baffin
Baffin Island = Île de Baffin
Barrow Strait = Détroit de Barrow
C. Adair = Cap Adair
Cape Dorset = Cape Dorset
Chesterfield Inlet = Chesterfield Inlet
Clyde River = Clyde River
Coral Harbour = Coral Harbour
Coutts In = Inlet Coutts
Creswell Bay = Baie Creswell
Cumberland Sound = Baie Cumberland
Davis Strait = Détroit de Davis
Devon Island = Île Devon
Duke of York Bay = Baie Duke of York
Eclipse Sd = Détroit d’Éclipse
Ellesmere Island = Île d’Ellesmere
Foxe Basin = Bassin de Foxe
Foxe Channel = Détroit de Foxe
Frozen Str = Détroit Frozen
Fury and Hecla Str. = Détroit de Fury and Hecla
Gjoa Haven = Gjoa Haven

Greenland = Groenland
Grise Fiord
= Grise Fiord
Hall Basin = Bassin Hall
Hall Beach = Hall Beach
Home Bay = Baie Home
Hudson Bay = Baie d’Hudson
Hudson Strait = Détroit d’Hudson
Igloolik = Igloolik
Inglefield Bredning = Inglefield Bredning
Iqaluit = Iqaluit
Jones Sound = Détroit de Jones
Kane Basin = Bassin Kane
Kangiqsujuaq = Kangiqsujuaq
Kimmrut = Kimmrut
Kivitoo = Kivitoo
Kugaaruk = Kugaaruk
Lancaster Sound = Détroit de Lancaster
Lincoln Sea = Mer de Lincoln
Lyon In = Inlet Lyon
May Inlet = Inlet May
McLean Strait = Détroit de McLean
Melville Bay = Baie de Melville
Moffet Inlet = Inlet Moffet
Navy Board In. = Inlet Navy Board
Nunavut = Nunavut
Padoping I. = Île Padloping

Pangnirtung = Pangnirtung
Peel Sound = Détroit de Peel
Pond Inlet = Pond Inlet
Prince Regent Inlet = Inlet du Prince-Régent
Qikiqtarjuaq = Qikiqtarjuaq
Qikiqtarjuaq = Qikiqtarjuaq
Quebec = Québec
Queen Elizabeth Islands = Îles de la Reine-Élizabeth
Queens Channel = Chenal Queens
Rankin Inlet = Rankin Inlet
Repulse Bay = Repulse Bay
Resolute = Resolute
Roes Welcome Sd = Détroit de Roes Welcome
Smith Sound = Détroit de Smith
Southampton Island = Île Southampton
Taloyoak = Taloyoak
Tremblay Sd = Détroit de Tremblay
Victoria Island = Île Victoria
Viscount Melville Sound = Détroit du Vicomte-de-Melville
Wager Bay = Baie Wager
Whale Cove = Whale Cove
White I. = Île White

Figure 3. Répartition des narvals selon Reeves (1992a), modifiée à l’aide des documents de référence mentionnés dans le texte. La partie ombrée indique la répartition générale de l’espèce, et les points indiquent les lieux d’observation de l’espèce hors de son aire de répartition géographique.

Figure 3. Répartition des narvals selon Reeves (1992a), modifiée à l’aide des documents de référence mentionnés dans le texte. La partie ombrée indique la répartition générale de l’espèce, et les points indiquent les lieux d’observation de l’espèce hors de son aire de répartition géographique.

Les études de génétique moléculaire portant sur des narvals du Canada et du Groenland n’ont pas encore trouvé de différences marquées et constantes qui permettraient de bien définir les populations (Palsbøll et al., 1997; de March et al., 2001, 2003). On a observé des différences génétiques, mais il est difficile de les interpréter en raison de la taille réduite et du caractère non aléatoire de la plupart des échantillons. Cependant, les narvals de Repulse Bay se distinguent fortement de ceux de la plupart des autres endroits du haut Arctique, tant au point de vue des allèles microsatellites que de l’ADN mitochondrial (de March et al., 2003). Pour délimiter les population de narvals, il pourrait être plus utile de comparer leur teneur en contaminants (JCNB/NAMMCO, 2001; de March et al., 2003). Des baleines prises dans les régions de Repulse Bay, de Pond Inlet, de Grise Fiord et de Broughton Island diffèrent quant à leur profil de contamination aux organochlorés, celles de Repulse Bay se distinguant le plus des autres (de March et Stern, 2003).

Aire de répartition canadienne

L’aire de répartition saisonnière des narvals au Canada, qui couvre tout l’est de l’Arctique canadien, est limitée au sud par le nord-ouest de la baie d’Hudson, à l’ouest par le détroit du Vicomte-de-Melville et au nord par la pointe septentrionale de l’île d’Ellesmere (figure 4). Les individus de la population de la baie de Baffin occupent la partie nord de cette aire de répartition géographique, tandis que ceux de la population de la baie d’Hudson occupent le sud. On ignore à quelle population appartiennent les individus qui estivent au nord de la baie de Baffin et le long des côtes est et sud de l’île de Baffin. Les Inuits ont observé des changements dans la répartition saisonnière de l’espèce.

Figure 4. Répartition des narvals au Canada selon Strong (1988), modifiée avec certaines données tirées des documents cités dans le texte. En noir, les concentrations estivales : A. détroit d’Éclipse/inlet Navy Board; B. inlet de l’Amirauté; C. inlet Prince-Régent; D. détroit de Peel; E. détroit de Foxe; F. baie de Melville; G. Inglefield Bredning. En gris moyen, les concentrations hivernales et en gris pâle, le reste de l’aire de répartition connue. Les points d’interrogation indiquent les zones où on ignore l’ampleur de la répartition des narvals.

Figure 4.  Répartition des narvals au Canada selon Strong (1988), modifiée avec certaines données tirées des documents cités dans le texte.

Population de la baie de Baffin

En été, il est fort probable que les narvals de la population de la baie de Baffin pénètrent dans les eaux de l’archipel Arctique canadien aussi loin au nord et à l’ouest que le permettent les conditions de glace (figure 4). Leur aire de répartition géographique s’étend certainement du sud de l’île de Baffin jusqu’au bassin Hall (Greeley, 1886; Peary, 1907; Borup, 1911; Vibe, 1950) et probablement jusqu’à la mer de Lincoln vers le nord, et jusqu’au détroit du Vicomte-de-Melville vers l’ouest (Strong, 1988; Richard et al., 2001). Le détroit de Lancaster est un couloir de migration printanière et automnale important pour les narvals de la baie de Baffin qui rejoignent ou quittent leur aire d’estivage du détroit de Barrows, du détroit de Peel, de l’inlet du Prince-Régent, de l’inlet de l’Amirauté et de la région du détroit d’Éclipse (Read et Stephansson, 1976; Richard et al., 1994). Ces lieux d’estivage pourraient atteindre une superficie de près de 300 000 km². De nombreux individus passent l’été dans ces régions, mais certains pourraient pénétrer dans le nord du bassin de Foxe par le détroit de Fury and Hecla (Stewart et al., 1995). On connaît mal leur répartition dans les détroits intérieurs des îles de la Reine-Élizabeth, mais des narvals ont été observés dans le chenal Queens et le détroit de McLean, entre les îles King Christian et Lougheed (Roe et Stephen, 1977). Ils sont rares au sud-ouest, dans les eaux entourant les îles Victoria et Banks, mais leur présence a été signalée à l’occasion dans le mers de Beaufort et de Béring (Huey, 1952; Geist et al.,1960; Smith, 1977); on a aussi déjà signalé l’espèce à l’île Bell (Terre-Neuve) (Mercer, 1973). En été, on retrouve aussi des groupes de narvals de la population de la baie de Baffin dans les baies de Melville et d’Inglefield, dans l’ouest du Groenland (Born, 1986, Born et al., 1994; Heide-Jørgensen, 1994).

Les narvals de la population de la baie de Baffin qui estivent au Canada et au Groenland hivernent ensemble dans la baie de Baffin et le détroit de Davis (Dietz et al., 2001). Les observations tirées de relevés aériens réalisés à la fin de l’hiver et au début du printemps (de la mi-mars à la fin mai) indiquent leur présence partout dans la banquise serrée du détroit de Davis et du sud de la baie de Baffin et, vers le sud, jusqu’au 64e parallèle. (Turl, 1987; Heide-Jørgensen et al., 1993; Koski et Davis, 1994). En hiver, les narvals sont plus nombreux au sud du 64e parallèle et, vers le nord, on en retrouve au moins jusqu’au détroit de Smith. De récentes études de pistage satellitaire indiquent une possible tendance des narvals à se regrouper en bordure de la plate-forme continentale, près de la pointe sud de la profonde fosse creusée au milieu de la baie de Baffin et du détroit de Davis, à mi-chemin entre le Canada et le Groenland (Dietz et al., 2001; Heide-Jørgensen et al., 2002). En outre, certains narvals hivernent dans les chenaux et les polynies des « eaux du Nord » de la baie de Baffin (Finley et Renaud, 1980; Richard et al.,1998).

Population de la baie d’Hudson

En été, la population de narvals de la baie d’Hudson se répartit dans les eaux entourant l’île Southampton, les groupes les plus nombreux se trouvant dans la baie Repulse, le détroit Frozen, l’ouest du détroit de Foxe et l’inlet Lyon (Richard, 1991; Gaston et Ouellet, 1997; MPO, 1998a; Gonzalez, 2001; P. Richard, comm. pers., 2002). Cette zone d’estivage a une superficie d’environ 17 000 km². En outre, certaines baleines de cette population, habituellement moins nombreuses, estivent dans la baie Wager ou dans la baie Duke of York. Rien n’indique la présence d’importants rassemblements estivaux ailleurs dans la baie d’Hudson, la baie James, le détroit d’Hudson ou le sud du bassin Foxe. Il est rare qu’on ait observé des narvals plus au sud, près d’Arviat, et à l’est, près de Cape Dorset; ces observations ont été attribuées à la présence d’épaulards (Orcinus orca) (Higgins, 1968; W. Angalik, pers. comm., in Stewart et al., 1991). Aucun narval n’a été observé au centre ni à l’est du détroit de Foxe au cours d’un relevé de reconnaissance aérien du détroit de Foxe, réalisé le 8 août 2000 (P. Richard, comm. pers., 2002). Des recherches exhaustives dans la documentation historique sur la côte québécoise de la baie d’Hudson et de la baie James n’ont permis de trouver aucun rapport d’observation de narvals (Reeves et Mitchell, 1987). Trois carcasses de narvals ont été trouvées sur la côte ontarienne de la baie d’Hudson (Johnston, 1961).

Le détroit d’Hudson semble être un important couloir de migration printanière et automnale pour cette population, mais rien n’indique que les individus vont vers le nord, dans le bassin Foxe (Richard, 1991; Gonzalez, 2001). Dans leurs déplacements vers le détroit d’Hudson et au retour, la plupart d’entre eux suivent la côte est de l’île Southampton, mais certains se retrouvent parfois à Coral Harbour. On croit que la population hiverne surtout dans l’est du détroit d’Hudson, où des centaines de narvals ont été observés en mars 1981 au cours de recensements aériens (McLaren et Davis, 1982; Richard, 1991; Koski et Davis, 1994). Par ailleurs, certains individus hivernent dans les chenaux ouverts et les polynies du nord de la baie d’Hudson et de l’ouest du détroit d’Hudson (Sutton et Hamilton, 1932; Richard, 1991). Dans la région de Kangiqsujuaq, ce n’est qu’à la fin du printemps ou au début de l’été (en mai ou en juin) qu’on peut apercevoir des narvals (Fleming, 2002).

Narvals d’appartenance inconnue

Certains narvals estivent aussi au nord de la baie de Baffin, dans la région du détroit de Smith et du bassin Kane et dans les fjords de l’est et du sud de l’île de Baffin. On ignore l’appartenance de ces baleines. Le 5 juillet 1979, on a dénombré 1 216 narvals à la lisière des glaces dans le nord du détroit de Smith (Koski et Davis, 1994), avant qu’ils ne se dispersent pour rejoindre leur aire d’estivage (Born, 1986). La présence de narvals dans le bassin Hall (81°30’N, 63°00’O) indique la possibilité que ces baleines se déplacent vers le nord au fur et à mesure que la glace se disloque. Aucune étude n’a été réalisée pour vérifier leur destination estivale.

La région de la baie Home, dans l’est de l’île de Baffin, sert d’habitat estival à un certain nombre de narvals. C’est ce que confirment les observations de chasseurs inuits (Haller, 1967; Brody, 1976; Remnant et Thomas, 1992) et la présence de 300 narvals à l’est de l’île Kekertal le 1er août 1985 (68°38’N, 67°36’O; Guinn et Stewart, 1988). Ces individus se déplaçaient vers le nord; aucune correction n’a été apportée pour tenir compte des individus en plongée. En outre, il est possible que des narvals estivent dans les fjords du sud de l’île de Baffin. En effet, plus de 400 individus ont été vus le 18 juillet 1985 à Totnes Road (66°22’N, 62°20’O), 50 individus le 22 juillet à Sunneshine Fiord (66°34’N, 61°39’O) et plus de 100 individus le 23 juillet à Totnes Road (Guinn et Stewart, 1988). Le 23 juillet, des chasseurs ont aussi pris 3 narvals à Delight Harbour (67°02’N, 62°44’O). Ces observations ont été faites beaucoup plus tard que la date habituelle de passage des narvals de la population de la baie de Baffin dans le détroit de Lancaster (Greendale et Brousseau-Greendale, 1976; Koski, 1980a) ou de la population de la baie d’Hudson dans la région de Repulse Bay (Gonzalez, 2001).

Changements dans la répartition saisonnière

Les études scientifiques n’ont pas permis de définir de changements à grande échelle de la répartition saisonnière des narvals, mais les Inuits ont observé certains changements à l’échelle locale. À la fin des années 1970, les narvals ont cessé de fréquenter les environs de Kivitoo et de l’île Padloping, mais sont apparus près de Qikiqtarjuaq et de Canso Channel (67°15’N, 63°35’O) et dans les fjords entre ces deux localités (Remnant et Thomas, 1992). Jusque dans les années 1970, les narvals de la région de Clyde River étaient principalement de passage, en route vers le sud à l’automne. Depuis, ils restent dans la région du printemps à l’automne. Depuis les années 1970, on observe des narvals plus souvent qu’autrefois dans les détroits et les baies au sud du détroit d’Éclipse. On en voit depuis les années 1980 dans la région de l’inlet Coutts et plus au sud, vers Clyde River. Depuis les années 1960, on voit moins de narvals qu’avant près de Pond Inlet; ils ont tendance à se déplacer au milieu du passage. Les chasseurs attribuent ce changement au nombre croissant de personnes qui chassent et voyagent en bateaux à moteur et en motoneige près de la collectivité. C’est également ce que disent les chasseurs de Resolute, d’Arctic Bay et de Repulse Bay (Remnant et Thomas, 1992; Stewart et al., 1995; Gonzalez, 2001). Dans la région d’Arctic Bay, certains chasseurs signalent que les narvals empruntent moins souvent qu’autrefois les passages au large de l’inlet de l’Amirauté et arrivent plus tard dans la saison, au moment où il est imprudent de se déplacer sur la glace (Stewart et al., 1995).

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