Rapport d’évaluation écologique préalable sur le sulfonate de perfluorooctane, ses sels et ses précurseurs :chapitre 3


3. Concentrations dans l'environnement

Air

Martin et al. (2002) ont mesuré les concentrations de certains précurseurs du SPFO dans l'air de Toronto et de Long Point (Ontario). Ils ont rapporté une concentration moyenne d'alcool N MeFOSE de 101 pg/m3 à Toronto et de 35 pg/m3 à Long Point. Les concentrations moyennes de l'alcool N-EtFOSE étaient de 205 à Toronto et de 76 pg/m3 à Long Point. Ces précurseurs, en l'occurrence les alcools N-MeFOSE et N-EtFOSE, sont relativement volatils, surtout pour d'aussi grosses molécules, et leurs coefficients de partage octanol-eau sont relativement élevés.

Eau

En juin 2000, on a détecté la présence du SPFO dans l'eau de surface à cause d'un déversement de mousse extinctrice de l'aéroport international de Toronto dans le ruisseau Etobicoke, qui passe tout près. On a mesuré des concentrations de SPFO comprises entre moins de 0,017 et 2 210 µg.L-1 dans des échantillons d'eau du ruisseau au cours d'une période d'échantillonnage de 153 jours. On n'a pas détecté de SPFO sur le site d'échantillonnage en amont (Moody et al., 2002). Boulanger et al. (2004, 2005) ont examiné les concentrations de SPFO des Grands Lacs. Boulanger et al. (2004) ont analysé le SPFO dans 16 échantillons d'eau prélevés à quatre mètres de profondeur dans quatre sites d'échantillonnage dans les lacs Érié et Ontario. Ils ont mesuré les concentrations arithmétiques moyennes de 31 ng.L-1 (e.-t. : 6,9) pour le lac Érié et de 54 ng.L-1 (e. t. : 18) pour le lac Ontario. La valeur mesurée la plus élevée était de 121 ng.L-1. Une comparaison avec des concentrations dans l'eau de surface à l'échelle mondiale par Boulanger et al. (2004) a montré que les données se situaient dans une plage semblable. Dans une étude de suivi faisant appel à une approche de bilan massique, Boulanger et al. (2005) ont calculé des concentrations à l'équilibre de SPFO de 32 ng.L-1 (e.-t. : 14) dans le lac Ontario. Au cours de cette étude, on a noté que les apports du lac Érié et les rejets d'eaux usées étaient les principales sources de SPFO dans le lac Ontario, alors que les particules et les dépôts en phase gazeuse ne représentaient que des portions négligeables des apports annuels. Il faut noter que l'écart type relatif du flux massique annuel des rejets d'eaux usées dépassait 100 %. Donc, cette étude ne permet pas de déterminer la contribution exacte des rejets d'eaux usées, ni la quantité de SPFO formée par la dégradation des précurseurs du SPFO. Même si on s'attend à ce que les précurseurs du SPFO soient distribués à l'échelle mondiale dans l'atmosphère et pénètrent dans les écosystèmes par les dépôts secs et humides, les travaux de Boulanger et al. (2005) semblent indiquer qu'il est possible que les sources ponctuelles de SPFO jouent un rôle plus important que celui du dépôt atmosphérique dans certains sites. Toutefois, on croit toujours que la distribution mondiale des précurseurs du SPFO et leur dégradation en SPFO dans la colonne d'eau est la principale voie de pénétration du SPFO dans les eaux douces du Canada qui n'ont pas été touchées par l'industrie.

Les données sur le SPFO d'une étude de six villes américaines sont disponibles. On a décelé la présence de SPFO dans des eaux calmes (un étang) (2,93 µg.L-1), ainsi que dans les effluents (0,048 à 0,45 µg.L-1) et les boues (60,2-130 µg.kg-1de boues sèches) des stations d'épuration des villes de Port St. Lucie (Floride) et de Cleveland (Ohio), où l'on ne rapporte aucune utilisation importante de composés fluorés (EPA OPPT AR226-1030a111). Selon les données sur le SPFO des eaux de surface de Port St. Lucie, on a noté une tendance à la diminution des concentrations (de 51,1 µg.L-1 en 1999 à 1,54 µg.L-1 en 2001). Donc, ces données peuvent représenter un cas isolé de contamination dans ce réseau aquatique et la tendance à la diminution peut être due à un processus d'élimination naturel. On a aussi détecté la présence de SPFO dans l'eau potable (0,042 à 0,062 µg.L-1), dans les eaux de surface (de non détecté [n. d.] à 0,08 µg.L-1), dans les sédiments (n. d. à 0,78 µg.kg-1 de sédiments secs), dans les effluents d'eaux usées (0,04 à 5,29 µg.L-1), ainsi que dans les boues (57,7 à 3 120 µg.kg-1) et les lixiviats des décharges (n.d. à 53,1 µg.L-1) de quatre villes pour lesquelles on signale des installations de fabrication ou des utilisations industrielles de composés fluorés. Les limites de détection étaient de 0,0025 µg.L-1 pour l'eau et de 0,08 µg.kg-1 en poids humide (p. h.) pour les sédiments et les boues. Les concentrations dans les sédiments semblaient être environ dix fois supérieures à celles mesurées dans l'eau, ce qui indique que ce composé a tendance à passer de l'eau aux sédiments.

Une étude de surveillance récente, réalisée à proximité d'une installation de fabrication de composés fluorés située au bord de la rivière Tennessee (Alabama), a révélé la présence de SPFO dans tous les échantillons d'eau de surface et de sédiments prélevés. On a mesuré les concentrations les plus élevées dans l'eau de surface (151 µg.L-1) et les sédiments [5 930 µg.kg-1 p. h.; 12 600 µg.kg-1 en poids sec (p. s.)] dans un emplacement près du point de rejet d'effluents industriels combinés. L'étude a cependant révélé que les concentrations en aval n'étaient pas statistiquement supérieures à celles mesurées en amont, et elle conclut que ces effluents industriels n'avaient pas modifié de façon significative la concentration des composés fluorés (y compris celle du SPFO) dans le cours principal de la rivière. Pour ce qui est du site de référence en amont (barrage de Guntersville), les concentrations moyennes estimées de SPFO dans les eaux de surface et les sédiments étaient respectivement de 0,009 µg.L-1 et de 0,18 µg.kg-1 (EPA OPPT AR226-1030a161). Une autre étude a révélé la présence de faibles teneurs en SPFO dans l'ensemble des eaux d'un tronçon de 130 km de la rivière Tennessee (Hansen et al., 2002). La concentration moyenne de SPFO en amont d'une usine de composés chimiques fluorés était de 0,032 µg.L-1, ce qui pourrait indiquer l'existence d'une source non identifiée de SPFO en amont.

On a aussi détecté la présence de SPFO dans les eaux marines du Pacifique et de l'Atlantique, ainsi que dans les eaux côtières de plusieurs pays asiatiques (Japon, Hong Kong, Chine et Corée) (Yamashita et al., 2005); on y a mesuré des concentrations comprises entre 1,1 et 57 700 pg.L-1. On a également décelé sa présence dans la mer du Nord (estuaire de l'Elbe, baie d'Helgoland, secteurs sud et est de la mer du Nord) (Caliebe et al., 2004). La détection du SPFO dans les eaux des océans semble indiquer l'existence d'un autre mécanisme de transport à grande distance vers des régions éloignées comme l'Arctique canadien.

Sédiments

Chaque année pendant plus de 22 ans (de 1980 à 2002), on a recueilli à Niagara-on-the-Lake des échantillons de sédiments en suspension dans la rivière Niagara. Les concentrations de SPFO étaient comprises entre 5 et 1 100 pg.g-1 (Furdui et al., 2005, données inédites). Les résultats préliminaires semblent indiquer que les concentrations de SPFO ont augmenté pendant la période de l'étude de moins de 400 pg.g-1 au début des années 1980 à plus de 1 000 pg.g-1 en 2002. On croit que la présence du SPFO pourrait être due au fait que la région des Grands Lacs est fortement industrialisée et que des sites d'élimination des déchets dangereux, entre autres sources, pourraient contribuer à la contamination des sédiments en suspension de la rivière Niagara.

Biote

L'annexe 2 présente les concentrations de SPFO mesurées chez des espèces fauniques nord américaines et circumpolaires entre 1982 et 2005. Des relevés récents des espèces fauniques de l'Arctique canadien et des régions circumpolaires ont mis en évidence la présence de SPFO et d'autres acides perfluorés chez des mammifères, des oiseaux et des poissons, notamment l'ours blanc, le phoque annelé, le vison, le renard arctique, le plongeon huard, le fulmar boréal, le guillemot à miroir et des poissons de divers lieux de l'Arctique canadien (Martin et al., 2004a; Smithwick et al., 2005a,b). On dispose également de données pour diverses autres espèces du monde entier, notamment le dauphin, des tortues, le vison, des phoques, des oiseaux piscivores et des huîtres (Geisy et Kannan, 2002; Kannan et al., 2002a,b).

Au Canada, on a décelé la présence de SPFO dans le biote des niveaux trophiques moyen et supérieur, comme des poissons, des oiseaux piscivores et dans le biote arctique vivant dans des régions éloignées des sources connues ou des installations de fabrication. On a rapporté les concentrations maximales suivantes de SPFO dans le foie d'espèces de l'Arctique canadien : vison (20 µg.kg-1), omble de fontaine (50 µg.kg-1), phoque (37 µg.kg-1), renard (1 400 µg.kg-1) et ours blanc (plus de 4 000 µg.kg-1) (Martin et al., 2004a).

Selon la documentation publiée, pour l'Amérique du Nord ou les régions circumpolaires, la concentration de SPFO la plus élevée dans les tissus de mammifères était de 59 500 µg.kg-1 p. h. dans le foie de visons des États-Unis (Kannan et al., 2005a). L'occurrence répandue de SPFO chez des espèces fauniques du monde entier et, notamment, les concentrations élevées détectées chez des espèces fauniques du niveau trophique supérieur et chez un prédateur du niveau trophique supérieur comme l'ours blanc, sont des constatations d'une importance majeure. Dans une étude sur les ours blancs de sept lieux circumpolaires (5 en Amérique du Nord et 2 en Europe), Smithwick et al. (2005b) ont mesuré les concentrations de SPFO. La concentration la plus élevée de SPFO dans le foie d'ours blancs canadiens du sud de la baie d'Hudson était de 3 770 µg.kg-1 (plage de 2 000 à 3 770 µg.kg-1, moyenne de 2 730 µg.kg-1) (Smithwick et al., 2005b). Ces données proviennent d'une nouvelle analyse d'échantillons de foies d'ours blancs du sud de la baie d'Hudson effectuée par Martin et al. (2004a), dont les concentrations rapportées pour le foie des ours blancs étaient comprises entre 1 700 et plus de 4 000 µg.kg-1 de foie (moyenne : 3 100 µg.kg-1 de foie, 7 éch.). Les concentrations de SPFO dans le foie d'ours blancs de trois autres emplacements canadiens étaient les suivantes : Extrême-Arctique, de 263 à 2 410 µg.kg-1 de foie, moyenne, 1 170; Territoires du Nord-Ouest, de 982 à 2 160 µg.kg-1 de foie, moyenne, 1 320 et sud de l'île Baffin, de 977 à 2 100 µg.kg-1 de foie, moyenne, 1 390, respectivement (Smithwick et al., 2005b). Les ours blancs ont un très grand domaine vital parce qu'ils ont besoin de la glace de mer pour la chasse, la reproduction et leurs déplacements sur de grandes distances (Stirling et Derocher, 1993). Ce domaine vital pourrait couvrir de 103 000 à 206 000 km2 (Ferguson et al., 1999), et les jeunes ours peuvent s'éloigner d'environ 1 000 km de leur mère pour établir leur propre domaine vital. Étant donné la très grande superficie du domaine vital des ours blancs, les fortes concentrations chez cette espèce peuvent refléter une accumulation due à une exposition sur de vastes étendues.

On trouve du SPFO chez de nombreuses espèces d'oiseaux du monde entier, notamment chez des oiseaux du Canada et de l'Amérique du Nord (voir l'annexe 4). On en a aussi trouvé chez des aigles des Grands Lacs, des canards colverts de la rivière Niagara, des huards du nord du Québec, des goélands de l'Arctique et des espèces migratrices canadiennes des États-Unis (p. ex. le plongeon huard en Caroline du Nord). Chez des espèces migratrices du Canada ou du territoire Canada États-Unis, on a mesuré des concentrations moyennes de SPFO comprises entre des valeurs non détectables et 1 780 ppb dans le foie (huards du nord du Québec et pygargues à tête blanche du Michigan), entre moins d'une ppb et 2 220 ppb dans le plasma sanguin (pygargue à tête blanche) et entre 21 et 220 ppb dans les œufs et le jaune d'œuf de cormorans à aigrettes au Manitoba. Plusieurs études de surveillance des résidus de SPFO chez des oiseaux aquatiques piscivores ont permis de mettre en évidence certaines concentrations de SPFO les plus élevées dans le foie et le sérum, par rapport à celles d'autres espèces (Newsted et al., 2005). Selon une étude sur les oiseaux dans la région de la rivière Niagara, des oiseaux piscivores (grand harle, petit garrot) présentaient des concentrations de SPFO significativement plus élevées que les autres espèces (Sinclair et al., 2005). Les données préliminaires sur les tendances temporelles indiquaient une augmentation des concentrations de SPFO chez les oiseaux pour deux espèces de l'Arctique canadien (guillemot de Brünnich et fulmar boréal) de 1993 à 2004 (Butt et al., 2005, inédit). On a noté que des concentrations de SPFO dans le plasma ont été signalées chez des aigles, des goélands et des cormorans dans la région des Grands Lacs et dans l'Arctique norvégien, comprises entre moins d'une ppb et 2 220 ppb. Comme il n'y a pas d'études sur les rapports entre les concentrations dans le sang, le sérum et le plasma des espèces fauniques, on n'a pas établi clairement comment les concentrations de SPFO dans le plasma des oiseaux se comparent à celles dans leur sérum. De plus, il a été noté que, malgré l'indisponibilité de données sur les concentrations dans les œufs ou dans le jaune d'œuf qui produisent des effets, on a rapporté des concentrations mesurées de SPFO comprises entre 21 et 220 ppb dans les œufs ou le jaune d'œuf d'oiseaux du Canada et de l'Amérique du Nord.

À l'échelle mondiale, les concentrations SPFO dans le foie des plies (Pleuronectes platessa) (7 760 µg.kg-1) de l'ouest de l'estuaire de l'Escaut (sud-ouest des Pays Bas) et des colas ornés (Pristipomoides argyrogrammicus) (7 900 µg.kg-1) de la baie de Kin (Japon) comptent parmi les plus élevées qui ont été rapportées pour des espèces fauniques (poissons) (Hoff et al., 2003; Taniyasu et al., 2003). Ces fortes concentrations pourraient s'expliquer par la proximité d'une usine de SPFO (en amont de l'estuaire) et d'une base des forces armées (baie de Kin, Japon), qui pourrait utiliser ce produit pour des opérations de lutte contre les incendies.

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