Décision no 144
Décision de la commissaire et motifs
Sommaire
1. Dans un procès-verbal émis le 2 septembre 2022 (procès-verbal) conformément à l’art. 22(2) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (Loi), le personnel de la Direction de la surveillance et de la mise en application de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (personnel de l’ACFC) allègue que la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC ou Banque) a commis une violation au Règlement sur le coût d’emprunt (banques) (Règlement), tel qu’il s’appliquait au moment où la violation est présumée avoir été commise.
2. Aux termes de l’art. 12(5)(a) du Règlement, les banques émettrices de cartes de crédit sont tenues de remettre aux clients, au moins une fois par mois, une déclaration comportant un relevé de compte détaillé de toutes les opérations et de toutes les sommes portées au crédit ou au débit du compte, y compris les intérêts et la date d’inscription au compte de ces montants.
3. Dans le procès-verbal et comme décrit de façon plus détaillée dans le rapport de conformité émis le 31 août 2022 et joint au procès-verbal (rapport de conformité), le personnel de l’ACFC allègue que, de mai 2003 à juin 2021, la Banque a omis de fournir à certains de ses clients des renseignements exacts dans leurs documents d’information supplémentaires, tel que l’exige le Règlement (violation).
4. CIBC admet qu’un manquement au Règlement a eu lieu. Cependant, dans ses observations écrites en réponse au procès-verbal (observations), la Banque conteste l’évaluation de la négligence et de la gravité du tort et, par conséquent, le montant de la pénalité proposée de 3,25 millions de dollars.
5. Puisque les éléments de preuve confirment les faits allégués, j’accepte l’aveu de la Banque et je conclus que la violation a eu lieu. La seule question à trancher est de déterminer s’il faut imposer la pénalité proposée, une pénalité moindre, ou aucune pénalité.
6. J’ai examiné le dossier qui m’a été soumis, soit le procès-verbal, le rapport de conformité et les observations, et j’ai décidé d’imposer une pénalité de 3 millions de dollars. Les motifs de ma décision sont exposés ci-après.
Contexte
7. En juin 2020, CIBC a constaté que certaines opérations de crédit n’étaient pas toujours transférées correctement lorsqu’un compte de carte de crédit était désactivé.
8. Les cartes de crédit sont désactivées lorsqu’elles sont déclarées perdues ou volées (cartes perdues ou volées) ou lorsqu’il est signalé qu’elles ont fait l’objet de fraude. Dans ces circonstances, les clients reçoivent des cartes en remplacement et, dans le cadre du processus d’activation, les opérations légitimes (crédits et frais) sont transférées du compte désactivé au nouveau compte actif.
9. À la suite d’une enquête interne, CIBC a confirmé que les opérations de crédit pour certaines cartes perdues ou volées qui étaient désactivées n’avaient pas été transférées en temps opportun au cours de la période 2003-2021 et que les opérations de crédit pour certaines cartes qui avaient fait l’objet de fraude n’avaient pas été transférées en temps opportun au cours de la période 2018-2020.
10. Jusqu’à ce que les opérations de crédit soient transférées du compte désactivé au compte actif, le document d’information supplémentaire du compte actif en question ne reflétait pas avec exactitude toutes les opérations, tel qu’il est requis. Le solde du compte, le montant dû, la limite de crédit disponible ainsi que le délai estimé pour rembourser la carte étaient également inexacts. De plus, en raison des retards de transfert des opérations de crédit, certains clients se sont vu indûment facturer des intérêts, des frais de dépassement de limite et/ou de primes d’assurance.
11. Le 4 septembre 2020, CIBC a soumis un Rapport sur les cas de conformité à signaler à l’ACFC, tel qu’exigé par le Cadre de surveillance. CIBC a également embauché un tiers fournisseur pour l’aider à identifier les clients touchés et à préparer un plan de remédiation.
12. Dans son analyse, CIBC a attribué sa non-conformité à ce qui suit :
- Pour la période de mai 2003 à juin 2021, pour les cartes perdues ou volées, CIBC a attribué sa non-conformité principalement à l’erreur commise par le personnel et à un programme d’assurance qualité inefficace.
- Pour la période d’avril 2018 à juillet 2020, pour les cartes qui avaient fait l’objet de fraude, CIBC a attribué sa non-conformité principalement à l’abolition de leur équipe spécialisée en matière de réclamations en cas de fraude en avril 2018 et son remplacement par un processus automatisé qui n’a pas réussi à transférer les opérations de crédit.
13. En juillet 2020, la mise en œuvre de nouvelles procédures a permis de corriger la non-conformité pour les cartes qui avaient fait l’objet de fraude. CIBC a également rétabli une équipe d’employés permanents à temps plein dédiée à la surveillance du traitement des opérations de crédit et a mis en place un programme d’assurance qualité pour les comptes faisant l’objet de fraude. La mise en œuvre de nouvelles procédures en juin 2021 ainsi que d’un nouveau programme d’assurance qualité pour s’assurer que les employés respectent les procédures a permis de corriger la non-conformité pour les comptes de cartes perdues ou volées.
14. Dans le cadre de son analyse des mesures correctives, la Banque a identifié 125 785 comptes touchés (108 882 cartes qui ont fait l’objet de fraude; 16 903 cartes perdues ou volées) et comptabilisé 1,5 million de dollars en frais et intérêts ainsi qu’en primes indûment imputés à ces comptes en raison de la non-conformité. Au total, 51,7 millions de dollars en opérations de crédit (45,9 millions de dollars pour les cartes qui avaient fait l’objet de fraude; 5,8 millions de dollars pour les cartes perdues ou volées) n’ont pas été transférés dans le délai de traitement standard de la Banque, qui est de 5 jours. Moins de la moitié des opérations, soit environ 20,9 millions de dollars en opérations de crédit, ont été transférées dans un délai supérieur à 60 jours, et 75 % des opérations de crédit ont été transférées dans un délai de 120 jours. Cependant, certains clients ont subi des délais allant jusqu’à 3 ans.
15. En date du 21 septembre 2021, CIBC avait transféré toutes les opérations de crédit en cours aux comptes actifs et remboursé les frais indûment facturés (avec un intérêt de 3 %) aux clients concernés. Le remboursement moyen de frais indûment imputés était de 122,31 $ pour les cartes qui ont fait l’objet de fraude et de 96,85 $ pour les cartes perdues ou volées. De plus, le 19 novembre 2021, CIBC a fait un don caritatif d’un montant de 36 190,34 $ pour les clients qu’elle n’était pas en mesure de localiser ou dont le remboursement était inférieur à 5 $.
Analyse et conclusions
16. En vertu de l’'article 12(5)(a) du Règlement :
« [...] la banque émettrice de cartes de crédit remet périodiquement à l’emprunteur, au moins une fois par mois, une déclaration contenant [...] :
(a) un relevé détaillé de toutes les opérations et de toutes les sommes portées au crédit ou au débit du compte, y compris les intérêts et la date d’inscription au compte [...] »
17. Les éléments de preuve relatifs au manquement de l’art. 12(5)(a) du Règlement ne sont pas contestés, et j’accepte l’aveu de CIBC selon lequel la violation alléguée a eu lieu. Par conséquent, la question à trancher est de savoir s’il faut imposer le montant de la pénalité proposée, une pénalité moindre, ou aucune pénalité.
Montant de la pénalité
18. Pour déterminer le montant de la pénalité, les critères pertinents à prendre en considération sont énoncés à l’art. 20 de la Loi qui et comprennent notamment la nature de l’intention ou de la négligence, la gravité du tort causé, la durée de la violation ainsi que les antécédents de violation de la Banque au cours des cinq années précédant la violation.
Négligence et intention
19. Il n’y a aucune allégation ou preuve qui indique une intention de la part de CIBC d’enfreindre le Règlement. Selon le personnel de l’ACFC, CIBC a fait preuve de négligence à l’égard de ses obligations réglementaires pendant une longue période. Le personnel de l’ACFC soutient également que le cadre de contrôle de CIBC était inadéquat et inefficace pour assurer la conformité de celle-ci ou pour détecter un manquement.
20. Le personnel de l’ACFC a tenu compte des mesures correctives prises par la Banque une fois le manquement décelé et a conclu qu’il s’agissait d’un facteur atténuant quant au degré de la négligence. Le personnel de l’ACFC a évalué que le degré de négligence était de niveau 2 ou « négligence importante ».
21. CIBC prétend que le personnel de l’ACFC a accordé trop d’importance à la durée du manquement dans son évaluation du degré de la négligence pour les cartes perdues et volées. CIBC soutient que la cause du manquement concernant les cartes perdues ou volées était une erreur inhabituelle commise par un employé. Selon elle, l’absence de détection de sa non-conformité sur une période de 18 ans n’était pas révélatrice d’un cadre de contrôle inadéquat, mais était plutôt le résultat du faible niveau d’incidence de la non-conformité (moins de 1 % de toutes les cartes perdues ou volées).
22. En revanche, en ce qui concerne les cartes qui avaient fait l’objet de fraude, CIBC soutient que les défaillances de son cadre de contrôle étaient de nature systémique, ce qui indique un certain niveau de négligence. Cependant, de l’avis de CIBC, la durée plus courte du manquement pour les cartes qui avaient fait l’objet de fraude (deux ans) devrait donner lieu à une évaluation globale de la négligence qui est sensiblement inférieure à celle évaluée par le personnel de l’ACFC, soit au niveau 1 ou « certaine négligence ».
23. J’estime que l’analyse du personnel de l’ACFC dans cette affaire est appropriée et qu’elle est soutenue par les éléments de preuve. Qu’il s’agisse d’une erreur commise par un employé qui n’a pas été corrigée ou d’un problème de système non détecté, le défaut du cadre de contrôle de CIBC de déceler cette non-conformité pendant de nombreuses années démontre un degré important de négligence, en dépit de l’efficacité des mesures correctives prises une fois qu’elle a été décelée.
Tort causé
24. Dans son analyse, le personnel de l’ACFC a conclu que les montants totaux en dollars et le nombre total de clients touchés étaient relativement élevés, ce qui indique un niveau élevé de tort. Dans le cadre de l’analyse, le personnel de l’ACFC a considéré le nombre total de comptes concernés (132 658 comptes), le montant total en dollars des opérations de crédit transférées en retard (20,9 millions de dollars) ainsi que le montant total en dollars des frais, des intérêts et des coûts d’opportunité (1,5 million de dollars). De plus, le personnel de l’ACFC a tenu compte de la longue durée du manquement dans son analyse et a évalué globalement que la gravité du tort causé était de niveau 2 ou « tort grave ».
25. CIBC conteste l’évaluation du personnel de l’ACFC quant à la gravité du tort. Elle soutient que le préjudice financier était limité au 1,5 million de dollars en frais indûment imputés qui ont finalement été entièrement remboursés. La Banque prétend qu’il est inapproprié de prendre en compte le montant en dollars des opérations de crédit transférées en retard dans l’évaluation de la gravité du tort. CIBC affirme que les retards n’ont pas causé de préjudice financier en soi, car les opérations de crédit ont finalement toutes été transférées. À son avis, il n’y a eu un préjudice financier que lorsque les retards ont entraîné des frais supplémentaires indûment imposés aux clients.
26. De plus, CIBC conteste la décision du personnel de l’ACFC de se fonder sur les montants en dollars des opérations de crédit qui n’avaient pas été transférées dans un délai de 60 jours (20,9 millions de dollars) pour déterminer le degré du tort causé. La Banque soutient que, si le montant des opérations de crédit est pris en compte, il serait plus pertinent d’utiliser le montant total en dollars des opérations de crédit qui n’avaient pas été transférées dans un délai de 120 jours (13,9 millions de dollars), puisque celui-ci représente le délai maximal dont les clients disposent pour déposer un recours auprès de l’émetteur de leur carte, ce qui réduit le niveau du tort.
27. Enfin, la Banque affirme que le personnel de l’ACFC a commis une erreur lors de la prise en compte de la durée de la non-conformité dans son analyse de la gravité du tort. Selon CIBC, en se fondant sur la durée de non-conformité de 18 ans, le personnel de l’ACFC ne prend pas suffisamment en considération le fait que la majorité du tort a été causé durant une période relativement courte de deux ans en raison d’un problème systémique lié aux cartes qui avaient fait l’objet de fraude. Par conséquent, CIBC soutient que le personnel de l’ACFC a considéré de façon inappropriée l’élément de la longue durée de la non-conformité comme un facteur aggravant dans son évaluation de la gravité du préjudice.
28. Les exigences en matière de divulgation et de déclaration prévues au Règlement reconnaissent le droit légitime des consommateurs à recevoir des renseignements exacts sur lesquels ils peuvent fonder leurs décisions financières. Le critère de la gravité du tort n’est donc pas limité au préjudice financier direct, tel que soutenu par CIBC. Cette violation a privé les clients de leur droit à recevoir des renseignements exacts sur leurs relevés de carte de crédit et a persisté pendant de nombreuses années, causant ainsi un tort.
29. À mon avis, la prise en compte de la valeur en dollars des opérations de crédit transférées en retard et du nombre de comptes touchés dans l’analyse faite par le personnel de l’ACFC est une approche raisonnable lorsqu’il n’est pas possible d’effectuer un calcul plus précis. Ces totaux reflètent une estimation raisonnable, ou une approximation, de la taille et de l’ampleur du tort, et par conséquent de son niveau de gravité. Je considère également que le délai de 60 jours retenu par le personnel de l’ACFC constitue un équilibre raisonnable entre le délai de traitement normal de la Banque, soit de 5 jours, et le délai de 120 jours pour le règlement des différends.
30. Cependant, bien que la violation soit demeurée non détectée pendant de nombreuses années pour ce qui est des cartes perdues ou volées, j’estime que considérer la longue durée de celle-ci comme un facteur aggravant à l’ensemble du préjudice subi pourrait être exagéré en l’espèce. Je constate que la vaste majorité des clients touchés, ainsi que du montant en dollars de l’impact (98 %), concernait les cartes qui avaient fait l’objet de fraude. Tel qu’il est mentionné au paragraphe 12 ci-dessus, le problème lié aux cartes qui avaient fait l’objet de fraude a été identifié et corrigé en moins de deux ans. Je considère que ces faits atténuent l’effet de la durée de la non-conformité dans l’évaluation globale de la gravité du tort.
31. Tout comme le personnel de l’ACFC, je reconnais que l’ampleur du préjudice a également été atténuée par les mesures correctives complètes fournies par CIBC. Je note que le nombre total de clients pris en compte par le personnel de l’ACFC dans son analyse de la gravité du tort était exhaustif, puisqu’il s’agissait du nombre total de comptes corrigés par CIBC, et non pas seulement les comptes des clients pour lesquels le délai de traitement a dépassé les 60 jours. Je souligne également que les répercussions ont été relativement faibles pour chaque client.
32. Par conséquent, je conclus que le niveau du tort causé devrait être évalué de manière plus appropriée au niveau 1 ou « certain tort ».
Durée de la non-conformité
33. La longue durée de la violation aggrave les répercussions des manquements et remet en question le cadre de contrôle et de surveillance de la conformité de la Banque. Cela est reflété dans l’évaluation d’un niveau élevé de négligence et a contribué à mes conclusions concernant le montant de la pénalité proposée.
34. Il est préjudiciable à la confiance dans le système financier et à la réputation de la Banque que des manquements aux dispositions relatives à la protection des consommateurs puissent demeurer non détectés et non corrigés pendant de longues périodes.
Antécédents en matière de violations
35. Les antécédents de violation de CIBC ont été évalués par le personnel de l’ACFC au niveau 1 ou « quelques antécédents », et ceux-ci n’ont pas été contestés par CIBC. Cette évaluation a été fondée sur une seule décision du commissaire concernant cinq violations aux exigences en matière de divulgation pour les cartes de crédit.
36. Au cours de la période qui a suivi l’émission du procès-verbal en l’espèce, CIBC a fait l’objet d’une deuxième décision du commissaire concernant trois violations aux exigences en matière de divulgation de frais. Cependant, cet antécédent ne peut être pris en compte puisqu’il a eu lieu en dehors de la période pertinente.
Conclusion
37. Compte tenu de mon analyse des critères pertinents, j’estime qu’il est approprié dans les circonstances d’imposer une pénalité de 3,0 millions de dollars pour la violation.
38. Le montant de la pénalité imposée dans cette affaire est approprié pour favoriser un régime de conformité de la part de CIBC. Les défaillances du cadre de contrôle ont conduit directement au manquement et au tort causé aux clients. Le montant de la pénalité imposée aura aussi un effet dissuasif spécifique et général, et soulignera l’importance d’effectuer des tests de systèmes et de vérification efficaces au regard des dispositions relatives à la protection des consommateurs lorsque des changements sont apportés dans l’entreprise.
Judith N. Robertson
Commissaire
Agence de la consommation en matière financière du Canada
Le 1er mai 2023, à Ottawa
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