Décision no 141
Décision de la commissaire et motifs
Sommaire
1. Dans un procès-verbal émis le 5 août 2020 conformément au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (Loi), le personnel de la Direction générale de la surveillance et de la mise en application de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (personnel de l’ACFC) allègue que La Banque Toronto-Dominion (TD ou Banque) a enfreint l’article 446 de la Loi sur les banques.
2. L’article 446 de la Loi sur les banques et l’article 3 du Règlement sur la communication des frais (banques) obligent une banque de communiquer à ses clients et au public les frais liés aux comptes de dépôt et les frais habituels liés aux services qu’elle offre normalement à ses clients et au public (exigences de divulgation).
3. Dans le procès-verbal et comme décrit de façon plus détaillée dans le rapport de conformité émis le 7 juillet 2020 et joint au procès-verbal (rapport de conformité), le personnel de l’ACFC allègue que, de 2012 à 2018, la Banque a omis de communiquer avec exactitude les frais liés à certains comptes de dépôt ainsi que les frais habituels qu’elle perçoit pour ses services comme l’exige l’article 446.
4. Le montant de la pénalité proposée est de 400 000 $.
5. Dans ses observations écrites du 4 septembre 2020 (observations), la Banque accepte que l’infraction alléguée ait eu lieu. Cependant, elle remet en question l’évaluation du personnel de l’ACFC voulant qu’il y ait eu négligence et, par conséquent, le caractère approprié de la pénalité proposée. En outre, la Banque fait valoir que son nom ne devrait pas être rendu public dans cette affaire.
6. Les questions à trancher dans cette affaire sont : i) de déterminer si une violation a été commisse telle qu’alléguée dans le procès-verbal; ii) d’imposer la pénalité proposée, une pénalité moindre ou de ne pas imposer de pénalité; iii) de rendre public le nom de la Banque.
7. J’ai examiné le dossier qui m’a été soumis, soit le rapport de conformité, le procès-verbal et les observations. Je conclus qu’il y a eu violation des exigences de divulgation et que la pénalité proposée est appropriée eu égard aux circonstances. Je conclus également qu’il y a lieu de rendre public le nom de la Banque dans cette affaire. Mes motifs sont énoncés ci-après.
Contexte
8. Les exigences de divulgation prévues à l’article 446 de la Loi sur les banques sont demeurées essentiellement les mêmes depuis le 1er janvier 2003, malgré des modifications mineures apportées au libellé de cet article en 2012. La version actuelle énonce les exigences de divulgation comme suit :
446 La banque est tenue de communiquer à ses clients et au public, selon les modalités — notamment de temps, lieu et forme — réglementaires, les frais liés aux comptes de dépôt et, le cas échéant, les frais habituels liés aux services qu’elle leur offre normalement.
9. En mars 2012, parallèlement à sa décision de cesser d’offrir un compte gratuit aux aînésFootnote 1 , TD a introduit un nouveau barème de frais. Dans le nouveau document d’information fourni aux clients, le tableau des frais mensuels par type de compte faisait référence à un « rabais aux aînés ». Les détails de ce rabais (rabais de 25 % des frais mensuels) et l’admissibilité (60 ans et plus) figuraient dans une note de bas de page. Les frais réels liés aux comptes admissibles détenus par un aîné n’étaient pas indiqués sous forme de montant en dollars, et aucune instruction n’était fournie concernant une démarche spécifique que le client devait entreprendre afin d’accéder à ce « rabais aux aînés ».
10. Le 19 juillet 2017, TD a révisé son document d’information. Entre autres, la Banque a retiré les mentions du « rabais aux aînés » et a indiqué les frais applicables aux aînés par un montant (inférieur) précis sur le tableau des frais mensuels par type de compte. Toutefois, il n’y avait toujours pas d’instruction concernant ce que le client devait faire pour se prévaloir du frais mensuel moindre pour les aînés.
11. Depuis le 5 mars 2012, ce rabais était accordé automatiquement aux aînés qui ouvraient un nouveau compte. Il n’a toutefois pas été appliqué systématiquement aux clients admissibles qui détenaient un compte avant cette date ni aux clients devenus admissibles après cette dateFootnote 2 . TD a exigé que ces clients admissibles soumettent une demande pour que ce rabais (de 2012 à 2017) ou ces frais mensuels moindres (2017 et 2018) soient appliqués à leur compte.
12. Le 17 août 2018, TD a signalé à l’ACFC qu’elle avait constaté une violation des exigences de divulgationFootnote 3 dans son document d’information de 2017. Initialement, TD était d’avis que la violation avait commencé au moment où elle avait révisé son document d’information, soit en juillet 2017.
13. Le personnel de l’ACFC a contesté cette évaluation et a conclu que le document d’information utilisé de mars 2012 à juillet 2017 n’était également pas conforme. Le personnel de l’ACFC a donc conclu que TD ne s’était pas conformé aux exigences de divulgation entre le 5 mars 2012 et le 16 octobre 2018Footnote 4 .
14. Dans ses observations, et après avoir reçu l’analyse du personnel de l’ACFC, TD a reconnu que la violation durait depuis 2012, contrairement à ce qu’elle avait indiqué dans son évaluation initiale. TD fait toutefois valoir que ce manquement aux exigences de divulgation s’explique par une interprétation différente faite de bonne foi plutôt que par de la négligence ou une intention malhonnête. Selon TD, les circonstances en l’espèce, ainsi que les mesures qu’elle a prises après avoir constaté la violation, sont des facteurs qui militent contre une conclusion d’intention malhonnête ou de négligence grave de sa part. Pour cette raison, TD demande que la pénalité proposée dans le procès-verbal soit réduite de moitié.
15. TD me demande aussi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de ne pas rendre public son nom dans cette affaire, au motif que cela ne serait pas nécessaire pour la protection des consommateurs, ni pour l’inciter à se conformer aux exigences réglementaires.
Analyse et conclusions
Violation
16. J’ai examiné le dossier qui m’a été soumis, soit le procès-verbal, le rapport de conformité et les observations.
17. Les exigences de divulgation sont simples et ont pour objectifs de fournir aux consommateurs des informations claires sur les frais des produits de dépôt ainsi que la certitude que la banque applique correctement les frais indiqués.
18. La divulgation appropriée des frais, sous forme de montant lorsque cela est possible, est particulièrement importante et pertinente en l’espèce, car elle permet au consommateur de s’assurer que les frais sont exacts et de les comparer facilement aux frais des fournisseurs concurrents. Par conséquent, en temps normal, la mention d’un « rabais » ou d’une formule de calcul quelconque ne peut satisfaire aux exigences de divulgation. Les documents d’information doivent contenir tous les renseignements nécessaires et ceux-ci ne peuvent pas se fier à d’autres communications ou à des informations disponibles ailleurs. D’ailleurs, il ne devrait pas être nécessaire de souligner que les frais et les pratiques d’une banque doivent correspondre à sa documentation d’information pour être conformes.
19. Dans ses observations, TD reconnaît être responsable et d’avoir manqué aux exigences de divulgation de mars 2012 à octobre 2018.
20. Puisqu’il n’est pas contesté que TD a manqué aux exigences de divulgation, ainsi du fait que je suis satisfaite que le dossier appuie cette conclusion, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que TD a commis une violation de l’article 446 de la Loi sur les banques.
Montant de la pénalité
21. En ce qui concerne le montant de la pénalité, la question à trancher est l’imposition ou non de la pénalité proposée, d’une pénalité moindre ou aucune pénalité. Les critères pertinents à considérer sont énoncés à l’article 20 de la Loi, soit la nature de l’intention ou de la négligence, la gravité du tort causé et les antécédents de la Banque en matière de violations.
22. Le personnel de l’ACFC a conclu que TD a été négligente en ne reconnaissant pas que son document d’information n’était pas conforme lorsqu’elle a introduit le « rabais aux aînés » au libellé en 2012. Selon le personnel de l’ACFC, le document d’information créait une attente que le rabais serait appliqué automatiquement à tous les clients admissibles, ce qui n’était pas le cas. Par conséquent, de 2012 à 2017, le document d’information ne reflétait pas les frais réellement appliqués par la Banque aux clients admissibles au rabais, mais qui n’avaient pas demandé le rabais.
23. Le personnel de l’ACFC a souligné le fait que, dès mars 2013, TD savait que de nombreux clients aînés admissibles n’avaient pas demandé le rabais et ne bénéficiaient donc pas de la réduction de frais. En réponse à ce manquement, TD soumet qu’elle a tenté de communiquer avec tous les clients concernés, qu’elle a fourni de la formation au personnel et a indiqué sur son site Web le processus pour le rabais. TD estimait qu’encourager une conversation avec le client permettrait de discuter de ses besoins et améliorerait les résultats. Selon le personnel de l’ACFC, ces mesures étaient peut-être adéquates pour encourager les clients à se prévaloir de ce rabais, mais n’ont pas permis d’identifier ou d’adresser le problème fondamental de la divulgation non conforme et d’une violation potentielle.
24. En outre, après la modification du document d’information en 2017, il a fallu un an et une plainte d’un clientFootnote 5 pour que TD constate que les frais mensuels moindres indiqués dans le document d’information ne correspondaient pas au montant réellement facturé à certains clients admissibles.
25. Le personnel de l’ACFC a conclu que TD semblait avoir des procédures inefficaces pour vérifier ses frais en fonction de la divulgation qu’elle fournissait aux clients faisant ainsi preuve de négligence en matière de divulgation, et que, pour cette raison, elle s’est trouvée en situation de violation des exigences de divulgation pendant plus de six ans.
26. TD conteste cette conclusion visant la négligence, en particulier pour la période entre 2012 et 2017. TD soumet que le problème survenu au cours de cette période n’était pas le résultat de procédures inefficaces ou l’omission d’avoir vérifié un calcul, ce qui aurait été signe de négligence. Les frais réels de TD à l’époque reflétaient son interprétation selon laquelle l’emploi du terme « rabais » aurait dû être généralement compris comme nécessitant une action de la part du client. TD estime donc qu’il n’y avait pas d’incohérence en matière de divulgation à être identifiée et qu’elle n’a donc pas fait preuve de négligence parce qu’elle n’a pas été en mesure d’identifier le problème.
27. La Banque souligne également que le fait qu’elle ait assumé sa responsabilité, qu’elle ait identifié elle-même le problème et qu’elle ait signalé rapidement la violation à l'ACFC. La Banque soumet que, ces circonstances, ainsi que la mise en œuvre rapide d'une solution permanente, sont des facteurs additionnels qui militent contre une conclusion selon laquelle TD a fait preuve de négligence.
28. Je reconnais, de même que le personnel de l’ACFC, que rien dans la preuve n’indique que TD a intentionnellement induit ses clients en erreur ou qu’elle les ait intentionnellement privés du rabais auquel ils avaient droit.
29. J’estime également que les actions de TD militent contre une conclusion d’intention malhonnête et celles-ci sont pertinentes pour l’évaluation du degré de négligence. TD a activement encouragé les clients à se prévaloir du rabais. TD a identifié et signalé elle-même la violation à l’ACFC, comme elle devait le faire, démontrant ainsi son engagement à maintenir un régime de conformité et de surveillance efficace. En outre, la Banque a assumé sa responsabilité et a agi rapidement pour créer une solution permanente pour tous les clients admissibles.
30. Il n’en reste pas moins que le problème a été identifié à la suite d’une plainte d’un client, et non par le processus normal de conformité et de surveillance de TD. Ceci, ainsi que l’absence d’identification d’un manquement potentiel aux exigences de divulgation pour la période de de 2012 à 2017, indique un certain degré de négligence de la part de TD quant au respect de ses obligations réglementaires.
31. Il est regrettable que TD n’ait pas réagi différemment lorsqu’elle avait la preuve que le document d’information était inadéquat dès 2013. Le fait que les aînés admissibles ne se prévalaient pas du rabais était un signal que quelque chose ne fonctionnait pas comme prévu. Comme indiqué précédemment, les exigences en matière de divulgation sont simples et sont conçues pour garantir au consommateur des informations claires sur les frais des produits de dépôt ainsi que la confiance que les frais divulgués seront appliqués comme indiqué. Un examen rigoureux de ce résultat involontaire aurait sans doute révélé la non-conformité du document d’information et suscité une intervention plus efficace de la part de la Banque.
32. L’examen du document d’information quant à l’exactitude des frais indiqués par rapport aux frais réels de la Banque est un élément fondamental de tout programme de conformité efficace. Cet examen devrait être effectué sur une base régulière et lorsque des changements sont apportés. Même si j’acceptais la position de la Banque selon laquelle cet examen n’aurait pas permis de constater une incohérence pour la période de 2012 à 2017, et ce, en raison de son interprétation du terme « rabais », je suis d’avis que l’inefficacité du processus de validation, même après la modification de 2017, indique une lacune dans le processus de conformité qui est également compatible une conclusion qu’il existe un degré de négligence.
33. Le personnel de l’ACFC a évalué le préjudice comme étant égal au nombre de clients qui ont reçu une divulgation non conforme et qui se sont vu facturer un frais différent de celui indiqué dans la divulgation qu’ils avaient reçue. En d’autres termes, il s’agit du nombre de clients qui étaient admissibles au rabais, mais qui ne l’ont pas obtenu. Au total, au cours des six années pendant lesquelles il y avait une violation, on estime qu’environ 500 000 clients ont payé en trop des frais totalisant 31 millions de dollars.
34. TD ne conteste pas ces chiffres, mais souligne le fait qu’elle ait atténué le niveau de préjudice en remboursant rapidement et intégralement les clients touchés, et ce, avant la délivrance du procès-verbal ou d’avoir reçu des directives de l’ACFC.
35. Je reconnais que l’efficacité des mesures correctives de TD est pertinente et atténuante lorsque l’on évalue le niveau du préjudice. TD a annoncé ses mesures correctives au public en octobre 2018 et a envoyé des lettres à tous les clients potentiellement touchés pour les informer qu’ils avaient droit à un remboursement. Les clients ont reçu leur remboursement par chèque ou par dépôt dans leur compte avant le 31 octobre 2018.
36. Je reconnais également la coopération pleine, entière et transparente de la Banque avec l’ACFC, ce qui démontre un engagement envers la conformité. En revanche, j’estime que ses antécédents en matière de violations des cinq dernières années constituent un facteur aggravant.
37. Par conséquent, compte tenu de la période pendant laquelle le problème a perduré, du nombre de clients touchés, des montants en cause, du degré de négligence identifié ci-dessus ainsi que les antécédents de la Banque en matière de violations, j’estime que la pénalité de 400 000 $ est appropriée dans ces circonstances.
Publication
38. TD me demande d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de ne pas rendre public son nom dans la présente décision.
39. TD fait valoir que, compte tenu du degré de négligence qu’elle estime moindre que le degré allégué par le personnel de l’ACFC, de l’application de ses mesures correctives et de son engagement manifeste envers la conformité, la publication de son nom n’est pas nécessaire pour promouvoir la protection des consommateurs ou la conformité par TD.
40. J’ai examiné les observations de TD en l’espèce. Je ne suis pas convaincue que TD ait démontré l’existence d’un degré de négligence significativement moindre que celui allégué par le personnel de l’ACFC. Même si je suis d’accord et que je reconnaisse l’importance de l’auto-déclaration des banques dans notre cadre réglementaire, de la coopération et de la transparence, ainsi que de l’application des mesures correctives efficaces, ceux-ci reflètent des obligations qui ne sont pas affectées ni positivement ni négativement par la publication.
41. Je suis d’avis que le fait de rendre public le nom de TD en l’espèce constitue une mesure appropriée et un moyen de dissuasion spécifique et adéquat. La publication contribuera également à l’accroissement de la compréhension de l’importance et de l’application appropriée des exigences de divulgation au sein de la communauté bancaire et incitera les autres à soigneusement évaluer l’efficacité et la conformité de leurs documents d’information afin de rencontrer les exigences réglementaires.
42. Je suis également d’avis que la transparence en matière de divulgation et de publication du nom de la Banque dans cette affaire contribuera à renforcer la confiance des consommateurs envers la surveillance réglementaire canadienne pour la protection des consommateurs et dans le système bancaire. Bien que les clients touchés de TD aient déjà été informés et aient reçu un remboursement, ils n’ont pas été informés du fait que cela résultait d’un problème de conformité réglementaire. La publication est ainsi conforme au mandat de l’ACFC de protéger et de sensibiliser les consommateurs et de promouvoir la conformité par des banques.
43. Par conséquent, je conclus qu’il est approprié en l’espèce d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et de rendre public le nom de la Banque ainsi que la nature de la violation et le montant de la pénalité.
Judith N. Robertson
Commissaire
Agence de la consommation en matière financière du Canada
Ottawa, le 17 août 2021
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