Vidéo : Comment les rappels de la rareté des ressources façonnent le comportement des consommateurs

Transcription

Caroline Roux : Merci, Jiaying, de m’avoir invitée à ce formidable événement. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler du travail que je fais depuis au moins sept ou huit ans et qui porte sur l’influence de l’évocation de sentiments de manque récent sur le comportement des consommateurs. Je veux aussi chaleureusement saluer tous les extraordinaires collaborateurs et coauteurs qui m’ont aidée à réaliser ce travail.

Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que la raréfaction des ressources est un phénomène prévalent. C’est une réalité que beaucoup de personnes vivent. Lorsque nous pensons « rareté », nous pensons généralement à ce que j’appelle des environnements pauvres en ressources, là où des gens vivent avec des ressources réellement limitées, comme dans les pays pauvres de la planète. Toutefois, même dans les milieux plus riches, les consommateurs éprouvent fréquemment, au quotidien, une impression de rareté, de manque, d’insuffisance, c’est-à-dire qu’ils ont l’impression de ne pas avoir suffisamment de ressources. Par exemple, certaines familles de la classe moyenne peuvent avoir l’impression que leurs ressources sont limitées lorsqu’elles reçoivent leurs factures, à la fin du mois, et qu’elles se demandent comment elles feront pour tout payer. Ce sentiment sera probablement plus aigu en janvier, quand elles recevront les factures de toutes les dépenses faites pendant les fêtes.

Il arrive aussi que les consommateurs doivent composer avec des ruptures de stock. C’est peut-être ce qui est arrivé à un grand nombre de consommateurs, le week-end dernier, pendant les soldes du Vendredi fou, lorsqu’ils ont eu de la difficulté à trouver les produits soldés qu’ils convoitaient. Là encore, ils ont sans doute eu l’impression que les ressources étaient rares. Ce qui est très intéressant, c’est que même les consommateurs relativement riches peuvent éprouver cette impression de rareté subjective.

J’ai entendu dans les nouvelles, il y a quelques années, où l’on disait que même les célibataires qui gagnent 100 000 $ par année peuvent avoir l’impression qu’ils ont du mal à joindre les deux bouts. Et c’est peut-être vrai, si on les compare aux familles américaines dont le revenu annuel atteint 500 000 $, qui ont elles aussi l’impression d’avoir du mal à arriver et qui sont défavorisées comparativement aux banquiers de Londres convaincus qu’ils ne pourraient jamais s’en sortir avec un revenu annuel d’un million de dollars, compte tenu de leur style de vie.

Ces exemples montrent que des gens de tous les milieux peuvent avoir l’impression que leurs ressources sont limitées, et c’est sur ce phénomène que porte notre travail, à mes collègues auteurs et à moi. Donc, des consommateurs de tous les milieux pensent et disent souvent qu’ils manquent de ressources. Lorsque vous retournerez à la maison après avoir participé à cet événement, plusieurs d’entre vous auront peut-être l’impression que votre frigo est dégarni, parce que vous n’aurez pas fait l’épicerie. Ce matin, vous avez peut-être eu l’impression que vous n’aviez pas les vêtements nécessaires pour assister à cet événement. Vous sentez peut-être que vous êtes un peu à court d’argent parce que vous avez dû faire des dépenses inhabituelles pour venir à Toronto. Vous avez peut-être l’impression que le réservoir de la voiture contient moins d’essence qu’à l’ordinaire, parce que vous avez dû faire davantage de route. Vous estimez peut-être que vous manquerez de temps pendant tout le reste de la semaine parce que vous avez manqué un jour ou deux de travail. Ou alors, vous sentez peut-être que vous n’avez pas l’énergie nécessaire pour terminer la semaine. Quoique j’espère sincèrement que la plupart d’entre vous feront provision de plus de ressources, ici, que vous n’en dépenserez. Quoi qu’il en soit, vous comprenez ce qu’est le sentiment de manque, de pénurie. C’est l’état mental des gens qui pensent manquer d’une ressource ou d’une autre et qui perçoivent, dans leur vie quotidienne, des signaux qui déclenchent ce sentiment de manque. Or nous voulions savoir quelles conséquences ce sentiment peut avoir sur les consommateurs.

Tout d’abord, nous avons constaté que le simple fait de penser à la rareté, ou à l’idée de manquer de quelque chose suscite l’esprit de compétition. Nous avons aussi constaté que les consommateurs ont appris à associer rareté des ressources et rivalité. Et nous pensons qu’il existe deux raisons à l’origine de cette association. Tout d’abord, tout au long de notre vie, nous avons souvent dû rivaliser avec autrui pour obtenir des biens qui n’étaient pas abondants. Par exemple, plusieurs d’entre vous devront peut-être rivaliser avec d’autres personnes pour décrocher un emploi fortement convoité, pour séduire la personne qui attire tous les regards ou pour acheter un produit tellement recherché que vous êtes prêts à faire la queue pendant des heures pour vous le procurer. Dans le cadre de nos activités quotidiennes, tout au long de notre vie, nous faisons donc l’expérience de la rareté et de la rivalité. Mais même les consommateurs qui ont eu la chance de ne pas avoir à lutter pour obtenir certaines ressources sont quand même exposés à des signaux leur rappelant que là où il y a rareté, il y a également rivalité.

Par exemple, en regardant un reportage sur une partie du monde où sévit la famine ou la sécheresse, vous pourriez voir des gens s’y disputer les rares ressources alimentaires disponibles. La même chose se produit ici, en Amérique du Nord. Ainsi, le week-end dernier, aux informations, vous avez peut-être vu des gens se chamailler pour obtenir les téléviseurs offerts au rabais chez Wal-Mart, qui leur faisaient tellement envie. Nous apprenons donc, en étant exposés à cette réalité à répétition dans le cadre de notre vie quotidienne ou en en étant témoin que, lorsqu’une chose est rare, il faut rivaliser avec les autres pour l’obtenir. Fait intéressant, dans le cadre de notre travail, nous avons constaté que le simple fait de penser que certaines choses sont peut-être difficiles à trouver, même si objectivement ce n’est pas le cas, suffit à déclencher une réaction psychologique et à stimuler l’esprit de compétition.

Les gens ont alors tendance à adopter un comportement plus égoïste et à tenter d’obtenir le plus d’avantages personnels possible. Malheureusement, ce que nos travaux révèlent, c’est que le sentiment de manque amène les gens à conserver et à accumuler leurs ressources et à éviter de les partager avec autrui. Ainsi, au laboratoire, nous demandons aux participants de faire la répartition de diverses choses entre eux-mêmes et les autres participants. Et nous constatons qu’ils se réservent une part beaucoup plus importante que celle qu’ils attribuent aux autres. Par conséquent, les gens qui ressentent une impression de manque ont moins tendance à adopter des comportements prosociaux, c’est-à-dire, entre autres, à donner de l’argent ou de leur temps.

Dans le cadre de certains de nos travaux, au laboratoire, nous avons remis un dollar aux participants pour les remercier d’avoir participé à l’étude, en leur disant qu’ils pouvaient soit empocher cet argent soit le placer dans une enveloppe afin qu’il soit remis à un organisme de bienfaisance local. Or, par rapport aux gens qui se trouvaient dans une situation neutre, ceux qui éprouvaient un sentiment de manque ont été beaucoup plus nombreux à empocher leur argent.

Ce comportement égoïste comporte un côté encore plus sombre. Nous avons en effet constaté que les personnes qui estiment manquer de ressources sont parfois prêtes à tricher ou à agir de façon malhonnête pour leur bénéfice personnel. Au laboratoire, nous demandons aux participants de faire diverses tâches, par exemple de résoudre des anagrammes ou de trouver des aubaines. Ce sont des tâches axées sur le rendement, où le nombre de récompenses est proportionnel au nombre de problèmes résolus. Dans certaines versions de ces tâches, les participants obtiennent une prime beaucoup plus importante s’ils réussissent à résoudre toutes les anagrammes ou tous les problèmes. Nous avons constaté que les personnes en situation de manque exagéraient le nombre de problèmes qu’elles avaient résolus ou le nombre de fois où elles avaient résolu tous les problèmes. Même lorsque nous avons intégré des problèmes impossibles à résoudre, certains participants affirmaient avoir réussi à les résoudre tous, afin d’obtenir une prime de participation plus importante. Nous voulions voir toute l’étendue des conséquences que ce comportement pourrait avoir. L’un de mes collaborateurs et moi avons donc réalisé une étude en Chine, où plusieurs des grandes villes sont aux prises avec une grave crise du logement. Il est vraiment très difficile d’acheter une maison dans ces villes. Le gouvernement offre donc un programme de subventions qui facilite l’achat d’une première maison. Les citoyens doivent présenter une demande pour obtenir une de ces subventions. Malheureusement, le programme donne lieu à de nombreuses fraudes, et nous voulions vérifier si la rareté était en cause dans cette situation. Nous avons donc fait passer un sondage au personnel de quelques entreprises chinoises en y intégrant des questions sur le sentiment de manque. Nous avons demandé aux employés de nous dire s’ils avaient l’impression de manquer d’argent, de temps, d’un logement à leur goût et de diverses autres ressources. Plus loin dans le questionnaire, nous leur avons demandé dans quelle mesure il était acceptable que des propriétaires de maison présentent une demande de subvention pour l’achat d’une maison. Il faut savoir que les personnes déjà propriétaires ne sont pas admissibles au programme et qu’elles peuvent être accusées de fraude si elles tentent d’obtenir la subvention. Eh bien, les personnes qui avaient le plus l’impression de manquer de ressources étaient beaucoup plus nombreuses à considérer qu’il était acceptable pour elles de présenter une demande au titre d’un programme auquel elles n’étaient pas admissibles. Une constatation pas mal intéressante!

Au bout du compte, nous obtenons un portrait plutôt négatif des conséquences du sentiment de manque sur le comportement des consommateurs. Mais j’essaie toujours de trouver le bon côté des choses dans le cadre de mes recherches. Et nous avons découvert que, lorsque l’on comprend la psychologie de la rareté, on peut trouver des moyens d’inciter les consommateurs à agir avec générosité et honnêteté, même s’ils manquent de ressources. Dans l’une de nos expériences, par exemple, nous avons demandé aux participants s’ils seraient disposés à participer à un programme de dons que leur employeur songeait à mettre sur pied. Comme dans notre étude précédente, nous avons constaté que les gens qui pensaient manquer de ressources étaient moins enclins à participer.

Toutefois, dans l’une des versions de notre questionnaire, nous avons mentionné que les noms des participants au programme seraient publiés dans le bulletin d’information de l’entreprise, dans la rubrique des donateurs les plus généreux. Nous nous sommes aperçus que dans ce cas, les personnes qui se sentaient en situation de manque étaient plus enclines que les personnes en situation neutre à participer au programme. Nous savons que les personnes qui ont un sentiment de manque deviennent égoïstes et qu’elles sont à l’affût des avantages personnels qu’elles peuvent tirer de toute situation. Or, dans le cas qui nous occupe, l’avantage en question était l’envoi d’un signal social. En effet, les participants faisaient ainsi savoir à leurs collègues qu’ils étaient généreux et qu’ils participaient à des programmes de dons caritatifs.

Dans le même ordre d’idées, nous avons mené une étude auprès d’étudiants du premier cycle universitaire auxquels nous avons demandé dans quelle mesure ils seraient disposés à offrir un cadeau à un camarade de classe qui les aurait aidés à réussir un examen. Ici encore, nous avons constaté que les personnes qui se sentaient en situation de manque étaient moins susceptibles de vouloir offrir un cadeau, et en particulier de vouloir débourser l’argent nécessaire pour acheter ce cadeau. Mais lorsque nous leur avons dit que leur camarade pourrait se sentir obligé de les aider à se préparer au prochain examen, elles se sont montrées plus disposées à lui offrir un cadeau et même à acheter un cadeau plus cher. Autrement dit, les étudiants étaient prêts à offrir un plus beau cadeau à leur camarade dans la mesure où ils pensaient en tirer un avantage. Encore une fois, c’est la recherche de leur intérêt personnel qui primait.

Pour ce qui est de la malhonnêteté, nous avons également constaté que nous pouvions la maîtriser, dans le cadre de nos études, en rappelant aux participants que ce qu’ils s’apprêtaient à faire, soit exagérer le nombre d’anagrammes résolues ou de tâches exécutées ou encore utiliser une application de résolution d’anagrammes en ligne, c’était de la tricherie. Lorsque nous leur avons dit que non, l’exagération n’était pas quelque chose de plus ou moins acceptable, que c’était en fait de la tricherie, les personnes en situation de manque ont complètement cessé de faire de fausses déclarations et elles ont obtenu des résultats comparables à ceux des personnes en situation neutre. En d’autres termes, lorsque vous remettez en question la manière dont les gens se perçoivent en leur disant qu’ils sont peut-être des tricheurs, ils sont moins susceptibles d’agir de façon malhonnête.

Pour en revenir à l’étude que nous avons menée en Chine, nous avons également trouvé des moyens de dissuader les gens de poser des gestes frauduleux. Dans l’une des versions du sondage, au lieu de demander aux participants s’ils considéraient acceptable de présenter une demande de subvention s’ils étaient propriétaires d’une maison, nous leur avons demandé dans quelle mesure il serait acceptable que leur collègue le fasse s’il possédait déjà une maison et qu’il n’était pas admissible au programme. Nous avons alors constaté que les personnes qui se sentaient en situation de manque étaient beaucoup moins susceptibles de fermer les yeux sur ce comportement. En d’autres termes, lorsque vous faites comprendre à ces personnes que d’autres pourraient également penser à abuser des ressources, ils considèrent avec beaucoup plus de prudence la manière dont les ressources devraient être utilisées et gérées. Voilà donc des moyens de freiner les comportements égoïstes et malhonnêtes qui découlent du sentiment de manque.

Nous avons aussi constaté qu’il est possible d’exploiter l’esprit de compétition suscité par l’impression de manque pour aider les consommateurs à devenir meilleurs. L’impression de manque peut donc avoir des effets positifs sur les consommateurs. Lorsque nous parlons d’esprit de compétition, nous avons tendance à penser à l’esprit de compétition destructeur, qui pousse à écraser l’autre pour triompher. Mais il existe aussi un esprit de compétition constructif, qui nous pousse à nous améliorer afin de triompher. C’est le cas lorsqu’une personne essaie d’acquérir de nouvelles compétences pour obtenir une promotion, plutôt que de nuire à la réputation de ses collègues, et par le fait même à ses propres chances d’obtenir la promotion.

Donc, les gens qui se sentent en situation de manque, qui ont l’impression de ne pas avoir suffisamment de ressources, sont plus susceptibles de vouloir acheter toutes sortes de produits qui leur promettent des avantages en matière d’amélioration de soi, et même d’être prêts à payer plus cher pour ces produits. Il peut s’agir d’eau vitaminée qui favorise l’acuité mentale, de produits et d’applications qui garantissent le meilleur sommeil du monde et la grande forme le jour suivant ou encore d’applications qui font le suivi et la surveillance de nos habitudes de vie, afin de nous aider à vivre plus sainement. Ainsi, l’esprit de compétition donne lieu à une intéressante conséquence positive : les personnes qui ont l’impression de manquer de ressources sont prêtes à sacrifier une partie de ces ressources en payant plus cher pour obtenir des produits qui leur permettront de s’améliorer. Ici encore, le plus important est leur avantage personnel.

Nous avons tenté de voir jusqu’où cette attitude pouvait aller en essayant de présenter certains produits comme ayant des vertus sur le plan de l’amélioration de soi. Je travaille en marketing, et c’est un objectif que nous essayons constamment d’atteindre. Dans l’une de nos études, nous avons utilisé un bon vieux bloc de papillons adhésifs. Nous avons demandé à un groupe de participants combien ils seraient prêts à payer pour ce bloc de papillons et, comme vous pouvez l’imaginer, le montant était minime. Dans un autre groupe, nous avons présenté les papillons comme des produits favorisant l’amélioration de soi. Nous avons dit aux participants que les papillons sont un outil de rétention des connaissances efficace utilisé par les gens qui souhaitent s’améliorer. Nous avons constaté que les gens qui se sentent en situation de manque étaient alors prêts à payer davantage, quelque chose comme 50 ou 60 cents de plus, pour un bloc de papillons qui leur offrait cet avantage.

En résumé, nos travaux révèlent que les gens qui pensent ne pas avoir suffisamment de ressources, qui se sentent en situation de manque, sont plus compétitifs, plus égoïstes et malheureusement, dans certains cas, un peu plus malhonnêtes que les autres. Mais quand on comprend la psychologie du manque, on peut les amener à agir de façon plus généreuse et plus honnête et les aider à s’améliorer. Si vous souhaitez en savoir davantage sur mes travaux, voici l’info nécessaire. Je dois m’arrêter ici parce que j’ai déjà dépassé le temps qui m’était accordé. Merci beaucoup.

(Aplaudissements)

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