Vidéo : Une optique comportementale du remboursement de la dette
Transcription
Dilip Soman : Formidable ! Vous nous avez donc confié la tâche difficile de terminer la journée. Nous savons tous que les activités qui finissent bien sont de bonnes activités. N’est-ce pas ? Je dois donc m’assurer, en collaboration avec mon groupe d’experts, que la journée se termine bien. J’ai déjà entendu dire qu’il faut garder le meilleur pour la fin, et je remercie donc Jane et toutes les personnes qui nous ont choisis pour terminer la journée.
J’ai trois objectifs à atteindre. J’aimerais tout d’abord parler d’un concept théorique, le « cimetière spéculatif ». Ceux universitaires parmi vous, dans la salle, pourraient avoir une idée de ce que j’entends par « cimetière ». Je vais donc vous dire ce que je veux dire par « cimetière ». Je compte vous partager quelques idées « enterrées » dans mon « cimetière ». J’aimerais, en quelque sorte, préparer le terrain avant les interventions de trois conférenciers. J’aimerais donc vous expliquer ce qu’elles vont dire, vous parler un peu du problème de l’endettement, et vous expliquer ce que signifie le remboursement d’une dette d’un point de vue comportemental. Par ailleurs, j’aimerais aussi m’assurer que vous n’oubliiez pas le petit sondage en ligne que nous avons fait ce matin sur le site Web Slido.com.
Pouvons-nous aller sur le site Web Slido.com ? Chaque fois qu’on me demande de parler d’une problématique ou d’analyser un problème, je prépare trois questions et réponses. Tout d’abord, quelle est l’ampleur du problème ? Pourquoi est-ce que c’est un problème ? Peut-on l’éviter ? Ensuite, comment le résolvons-nous, et comment devrions-nous le régler ? C’est une question pour laquelle j’ai bien hâte de prendre connaissance de vos réponses. Pour chaque dollar de revenu disponible, combien le ménage canadien moyen a-t-il contracté en dettes ? Environ 50 cents ? Environ un dollar ? Plus de 1,50 $ ? Vous n’en avez aucune idée ? Si vous pouvez vous rendre sur le site Web Slido.com, jetons un coup d’œil aux résultats que nous avons obtenus jusqu’à maintenant. Plus de 1,50 $. Quatre-vingt-seize pour cent d’entre vous pensent que ce montant est supérieur à 1,50 $. Devinez quoi ? Vous avez raison.
Nous avons parlé de l’étude de la Banque du Canada qui a été publiée en ligne au mois d’août. Elle nous permet d’apprendre que l’endettement total s’élève à environ deux billions de dollars, ce qui représente environ 1,70 $ par dollar de revenu disponible. C’est beaucoup de dettes. N’est-ce pas ? L’endettement est plus élevé qu’il ne l’a jamais été. C’est assez élevé par rapport à plusieurs autres pays, même si ce n’est pas aussi élevé que dans d’autres pays, mais c’est quand même significatif – et c’est une moyenne. Vous comprenez ? Le montant de 1,70 $ correspond à la famille canadienne moyenne, et 20 % des familles canadiennes n’ont aucune dette. Vous ne pouvez qu’imaginer toutes les dettes que certaines familles ont accumulées. Par exemple, 8 % des familles ont accumulé 350 % de leur revenu en dettes. Vous comprenez ? C’est le genre de chiffres que nous examinons.
Le montant moyen des dettes de carte de crédit au Canada par ménage est d’à peu près 2 700 $. La dette moyenne des ménages au titre de la consommation, non hypothécaire, est d’environ 20 000 $ ou 21 000 $. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que c’est un gros problème ? Oui, c’est un gros problème. Êtes-vous d’accord ? Arrêtons donc de penser un instant au site Web Slido. Examinons un peu plus la situation dans son ensemble.
Voici ce que j’aimerais faire. Nous avons donc commencé avec une question. Une personne avait elle aussi posé une question à ce sujet. Au lieu de nous concentrer sur les personnes qui éprouvent déjà de sérieuses difficultés, pourquoi ne pas penser aux façons dont nous pourrions intervenir pour les empêcher d’en arriver là ? Pourquoi ne pas déployer des efforts, tout simplement, pour prévenir l’endettement ? Qu’en pensez-vous ? Bien évidemment, nous aiderons les personnes qui sont déjà endettées, mais laissez-moi vous dire que c’est difficile. Ce n’est pas impossible, mais c’est difficile. C’est difficile pour deux raisons. La première raison est liée à cette agréable discussion de groupe d’experts que nous avons menée juste après le déjeuner sur la rareté. De nombreuses études sont en train d’être réalisées dans ce domaine. Jiaying, vous êtes certainement l’un des grands spécialistes de ce domaine. Si vous n’avez pas lu Scarcity (rareté), un formidable livre de Sendhil Mullainathan et Eldar Shafir, vous devriez le lire. D’accord ? Dans ce livre, Mullainathan et Shafir parlent du fardeau psychologique associé à la rareté.
Pensez à une famille qui dépense autant d’argent qu’elle en gagne. On pourrait s’imaginer que ses membres n’ont pas besoin de s’endetter. Qu’en pensez-vous ? C’est faux. N’est-ce pas ? C’est faux puisque, dans le monde réel, il y a souvent des contraintes liées au moment auquel on doit effectuer les paiements. Voici un exemple hypothétique : si je gagne la totalité de mon revenu mensuel le premier jour de chaque mois, mais je dois payer mes factures le 27e jour de chaque mois, je devrai contracter des dettes. Je devrai faire face à des dettes un jour ou l’autre. Vous comprenez ? La question n’est donc pas vraiment de savoir si je devrais sensibiliser ces personnes à l’endettement. Ce que je veux dire, c’est que plusieurs personnes qui se trouvent aux échelons inférieurs de la pyramide des revenus savent que l’endettement n’est pas une bonne chose en soi. Elles savent qu’elles ne devraient pas s’endetter. Elles ne peuvent tout simplement pas faire autrement. Elles ont besoin de contracter des dettes. Vous comprenez ? L’enjeu n’est donc vraiment pas de savoir comment nous devrions les sensibiliser au fait qu’il vaut mieux éviter de s’endetter. Nous devrions les aider, soit en changeant la situation dans laquelle elles vivent, soit en prenant d’autres mesures institutionnelles. C’est l’un des points de friction. Qu’en pensez-vous ?
Toutefois, lorsque vous examinez les comportements de ces personnes (et Caroline a évoqué le fait que même les personnes en haut de la pyramide des revenus sont confrontées à la rareté), il y a beaucoup de raisons psychologiques pour lesquelles elles croulent sous les dettes. L’une d’elles : les dépenses impulsives. Vous savez, puisque les paiements ont maintenant tendance à s’effectuer de plus en plus sans contact, il est maintenant plus facile de dépenser. Pour ceux d’entre nous qui font partie de la communauté des sciences du comportement, il est évident que les spécialistes de l’économie comportementale connaissent les mesures incitatives positives. Néanmoins, il existe aussi ce qu’on appelle les mesures incitatives négatives, tout le contraire. N’est-ce pas ? En nous efforçant de prendre des mesures pour rendre les paiements plus simples, je pense que nous faisons en sorte qu’il devient trop facile de dépenser. Les personnes dépensent sans réfléchir. N’est-ce pas ? Jusqu’à un certain point, une trop grande simplicité n’est pas optimale. Nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour favoriser la réflexion avant un achat. Il y a donc plusieurs raisons psychologiques pour lesquelles les personnes contractent des dettes. Peut-on éviter ce problème ? C’est possible, mais je ne pense pas que nous allons pouvoir nous débarrasser entièrement de l’endettement. Je pense que nous allons continuer à recourir à l’endettement. Nous allons continuer à contracter des dettes, alors nous devons réfléchir un peu à la façon dont nous pourrions aider les personnes à se libérer de leurs dettes.
Abordons maintenant la question du « point de vue comportemental ». Qu’entendons-nous par « point de vue comportemental » ? Mes collègues experts sont tous de grands spécialistes du comportement. Cela dit, que voulons-nous dire par « adopter un point de vue comportemental » lorsque nous cherchons des solutions ? D’accord, commençons par mettre de côté les comportements normatifs. Concentrons-nous sur ce que les personnes font réellement afin de proposer des solutions qui correspondent à leurs comportements réels. Essentiellement, c’est le thème que ces trois personnes vont aborder. Voici un exemple. C’est l’équation la plus complexe que je vais vous montrer. D’accord ? Je crois que l’utilité que l’on retire des facteurs psychologiques est souvent plus grande que celle tirée de l’argent. N’est-ce pas ? Nous faisons ce qui est le plus facile ou le plus agréable à faire d’un point de vue psychologique, pour nous sentir bien, au lieu d’opérer des choix qui nous permettraient d’économiser de l’argent. Je pense que c’est un élément important dont il faut tenir compte.
Pour ceux d’entre vous qui m’ont déjà entendu parler des « agents économiques » rationnels et des « êtres humains » irrationnels, la salle est remplie de personnes humaines. Il n’y a pas d’« agents économiques » ici. Les « agents économiques » existent seulement dans les manuels d’économie. Ils n’existent pas dans la vie réelle, mais nous concevons des systèmes financiers pour eux, en sachant que ce sont des êtres humains qui vont les utiliser. C’est la raison pour laquelle, à un certain point, nous devons aborder de grands enjeux liés à la façon dont nous concevons nos produits et services financiers.
D’accord, abordons maintenant la question du « cimetière spéculatif ». Oui. Ce sont les projets qui devraient être publiés dans des articles scientifiques, mais qui ne le sont pas. Vous comprenez ? Vous savez que vous êtes un universitaire chevronné lorsque votre cimetière spéculatif est plus grand que le gazon devant votre maison. D’accord ? Par conséquent, j’ai maintenant un vaste cimetière. J’ai plusieurs projets que j’aurais dû publier, mais qui ne l’ont pas été, souvent pour de bonnes raisons, parfois pour de moins bonnes raisons. Je vais donc « inhumer » un projet de mon « cimetière » pour mettre en évidence la différence entre les « êtres humains » et les « agents économiques ».
Prenez un instant pour penser à un relevé de carte de crédit. Vous allez sûrement recevoir un relevé de carte de crédit. Aujourd’hui, sur la plupart des relevés de carte de crédit, vous pouvez lire des mentions semblables : montant total dû de 3 000 $, versement minimal de 10 $. D’accord ? Compte tenu de ce fait, la distribution des paiements ressemble à ceci : la plupart des personnes qui reçoivent ces relevés paient 10 $ ou 3 000 $. Elles ne paient pas un montant entre ces deux extrêmes. Vous comprenez ? La raison est simple : lorsque vous y pensez, les personnes qui ont contracté des dettes sur des cartes de crédit ont bien évidemment d’autres problèmes aussi dans la vie. Jiaying avait parlé de déficiences cognitives. Ces personnes ne se demandent pas si elles peuvent, vous savez, se le permettre. Elles vont se dire : est-ce que j’ai les moyens de payer 10 $ ? Oui. Est-ce que je peux me permettre de verser 3 000 $ ? Non. Vous comprenez ? Elles paient donc 10 $ ou 3 000 $. Vous comprenez ? Cette recherche a été réalisée par Keys (phonétique) et Wang (phonétique). Elle a été menée par le Consumer Financial Protection Bureau il y a quelques années.
C’est la raison pour laquelle, un collègue et moi, nous avons formulé quelques hypothèses. Je vais simplement vous montrer les hypothèses, mais je dirai simplement, parce qu’il ne me reste que 36 secondes, que nous avons les données requises pour les étayer. Nous avons essayé de mener une étude sur le terrain, mais le partenaire avec lequel nous avons travaillé aux États-Unis n’a malheureusement pas réussi à procéder à la répartition aléatoire. Nous avons donc un article scientifique qui se retrouve dans notre « cimetière spéculatif » au lieu d’être publié une revue spécialisée.
Quoi qu’il en soit, voici les hypothèses. D’accord ? Au lieu d’offrir aux personnes la possibilité de procéder à un versement de 0 $, de verser un minimum de 10 $, ou de payer le montant dû de 3 000 $, nous pourrions leur donner les quatre options suivantes : procéder à un versement minimal de 10 $, verser 500 $, verser 1000 $, ou verser le montant dû de 3 000 $. Vous comprenez ? En leur donnant davantage d’options, on a découvert qu’on augmente la probabilité que ces personnes remboursent un montant plus important. Pourquoi ? Parce que si le message s’adresse à un être humain dont l’attention est limitée qui regarde le relevé et qui se demande s’il a les moyens de payer 3 000 $, il se dira que non. Maintenant, je lui donne un deuxième objectif qui est plus élevé que le paiement minimum. N’est-ce pas ? Nous avons donc fait plusieurs expériences en laboratoire. Elles ont très bien fonctionné. Nous les avons transposées sur le terrain, mais, comme je vous l’avais expliqué, nous avons eu des problèmes liés à la répartition aléatoire, et elles n’ont donc pas vraiment bien fonctionné.
C’est donc un exemple classique de l’évaluation du mode de fonctionnement d’un être humain par rapport à celui d’un « agent économique ». Les « agents économiques » ne feraient pas ça. Ils n’adopteraient pas ce genre de comportement. Ils calculeraient exactement ce qu’ils peuvent se permettre de payer et paieraient ce montant. Les êtres humains n’effectuent pas ce calcul. Ils répondent juste à une question simple. Vous comprenez ? Voilà donc le genre de dichotomie dont nous allons parler : « êtres humains » et « agents économiques ».
Je vais maintenant vous présenter les membres de mon groupe d’experts. À ma droite, Nicole Robitaille, qui est enseignante à l’Université Queen’s. Nicole a obtenu son doctorat ici. Bon retour parmi nous, Nicole! Rick Scott, de l’Université du Michigan, et Keri Kettle, de l’Université du Manitoba. Je ne vous donnerai pas plus de détails sur les éléments de leurs biographies puisqu’ils sont énoncés dans vos documents. Comme c’est la dernière séance, nous allons faire quelque chose de différent, c’est-à-dire que nous allons adopter une approche ascendante. Nous allons donc commencer avec Keri, puis continuer avec Rick, et Nicole. Ils prendront une dizaine de minutes chacun, après quoi nous passerons aux questions et à une séance de discussion. Keri Kettle, je vous laisse la parole.
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