2020 TSSTC 7

Date : 2020-10-14

Dossier : 2017-39

Entre :

Margo MacNeal, appelante

et

Service correctionnel du Canada, intimée

Indexé sous : Margo MacNeal c. Service correctionnel du Canada

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par une représentante déléguée par le ministre du Travail

Décision:  : La décision est modifiée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l'appelante : Me Corinne Blanchette, conseillère syndicale, CSN-Pacifique

Pour l'intimée : Me Cristine St-Amant Roy, Service juridique du Conseil du Trésor, ministère de la Justice

Référence : 2020 TSSTC 7

Motifs de la décision

[1]  Il s’agit d’un appel introduit en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) contre une décision d’absence de danger rendue par la déléguée officielle du ministre (déléguée ministérielle), Mme Melissa Morden, le 15 décembre 2017. Cette décision concernait le refus de travailler par l’appelante et un certain nombre d’autres employés le 12 décembre 2017.

[2]  Ce refus de travailler et la décision d’absence de danger qui s’en est suivie concernent l’allégation de l’appelante selon laquelle la pratique en vigueur à l’établissement de Matsqui, qui consiste à appliquer, à des moments distincts, les options de traitement au Suboxone et à la méthadone du programme de traitement de substitution aux opiacés (TSO), représentait une pratique dangereuse, car elle ne prévoit pas la disponibilité d’un nombre suffisant de membres du personnel pour répondre à une urgence pouvant survenir pendant les périodes où les options de traitement du programme de TSO sont offertes. Avant le 27 novembre 2017, les options de traitement au Suboxone et à la méthadone de ce programme étaient administrées simultanément.

[3]  Au moment du refus de travailler du 12 décembre 2017, les agents correctionnels (AC) de l’établissement de Matsqui exerçaient tous leurs fonctions conformément à la description de poste de 2 niveaux, soit le CX-1 et le CX-2 (CX). Ces tâches comprennent, entre autres, les suivantes : surveiller les déplacements courants des détenus, contrôler les activités des détenus, effectuer des contrôles de sécurité et des fouilles, superviser les détenus dans des zones précises, escorter les détenus à l’extérieur de l’établissement, répondre aux incidents impliquant des détenus, participer à des activités de gestion des cas et assurer la supervision fonctionnelle des activités.

Contexte

[4]  Les faits établis par la déléguée ministérielle, tels qu’ils sont relatés dans le rapport d’enquête, fournissent les renseignements généraux nécessaires. Ainsi, il semble que, selon une décision de la Cour suprême de Colombie-Britannique concernant les détenus des établissements correctionnels provinciaux ne recevant pas de traitement de substitution aux opiacés (TSO) en temps utile, le Service correctionnel du Canada (SCC) ait informé ses établissements fédéraux que les listes d’attente pour le TSO devaient être éliminées. Chaque établissement ayant une liste d’attente a été mandaté pour développer un plan local afin d’éliminer cette liste d’attente le plus rapidement possible. Un tel mandat a été délivré à l’établissement de Matsqui au début du mois d’octobre 2017, et il a été demandé à l’établissement de traiter la question avant le 15 octobre 2017. L’établissement de Matsqui a été le premier établissement à agir dans ce sens.

[5]  L’établissement de Matsqui, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne, accueille environ 300 détenus, dont 70 à 80 reçoivent un TSO. Avant ce changement, le 27 novembre 2017, l’établissement de Matsqui administrait le programme de TSO le matin, avant le petit déjeuner, simultanément tant pour la méthadone que pour le Suboxone, dans l’aire des visites et de la correspondance, mais les détenus recevaient chaque médicament séparément afin d’assurer un suivi approprié pour chaque groupe, conformément à l’ordre permanent 800.1.

[6]  Les changements proposés ont été discutés lors d’une réunion du comité de santé et de sécurité le 14 novembre 2017, ce qui a abouti à leur approbation par le comité le 21 novembre, étant entendu que des problèmes pouvaient survenir qui auraient pu entraîner des rajustements au nouveau processus d’administration du programme de TSO. Le nouveau processus de prestation séparée des 2 options de traitement a été mis en œuvre le 27 novembre 2017, ce qui a entraîné des rajustements de la routine quotidienne pour les jours de semaine et les fins de semaine.

[7]  Le changement dans l’administration du programme de TSO prévoit que la prestation de l’option de traitement à la méthadone aura lieu de 7 h 20 à 8 h 15 environ et l’option de traitement au Suboxone, de 11 h 50 à 12 h 25 environ, 4 AC étant chargés de surveiller les détenus pendant ces heures. Le gestionnaire correctionnel (GC) peut faire des rajustements pour attribuer un autre poste de niveau CX à l’aire de prestation, si nécessaire. Ces rajustements tiennent compte des exigences opérationnelles ainsi que des besoins opérationnels pour déterminer quel poste permettrait de surveiller l’option de traitement si l’un des 4 postes courants devenait indisponible à ce moment-là.

[8]  L’établissement compte 36 postes de niveau CX, dont 10 sont des postes statiques qui ne répondent pas à des incidents en dehors de leur lieu de travail. Parmi les 26 postes/agents mobiles restants, certains peuvent être indisponibles, car il y en a qui se trouvent en dehors de l’établissement pour des fonctions d’escorte et d’autres peuvent bénéficier de mesures d’adaptation pour des raisons médicales, le poste de niveau CX n’étant pas en mesure de répondre à leurs besoins. Il semble que le SCC utilise un algorithme pour déterminer le nombre de postes de niveau CX nécessaires pour pourvoir l’établissement en personnel à un moment donné et les postes mobiles sont généralement placés là où la majeure partie de la circulation des détenus se produit à tout moment. Pendant l’administration des options de traitement du programme de TSO, les programmes et les passe-temps ne sont généralement pas offerts et les aires de l’enceinte est ne sont pas opérationnelles.

[9]  Pendant l’administration de l’option de traitement à la méthadone le matin, le poste P24 (agent) participe à la surveillance de celle-ci, ce qui fait que la cour de l’unité résidentielle (UR) 5 n’ouvre pas avant 8 h 15 environ, au moment du retour de l’agent P24 de la prestation de l’option de traitement à la méthadone. La supervision de la dernière option de traitement au Suboxone est principalement assurée par 4 postes principaux, à savoir le poste P17, l’aire des visites et de la correspondance, l’aire d’admission et d’élargissement et le poste P15. De même, le poste P9 n’est pas l’un des 4 postes principaux, mais il est disponible pour participer à la supervision d’une option de traitement ou pour intervenir ailleurs lorsqu’il ne supervise pas une suerie dans l’aire de sudation.

[10]  Vers 8 h 15, le poste P17 (agent) se rend à l’aire de surveillance des repas lors du petit déjeuner qui commence vers 7 h 30 et se termine à 8 h 30. La surveillance des repas à l’heure du déjeuner est assurée par 3 des 6 postes de niveau CX de l’UR, dont un retourne à l’UR pour aider aux contrôles vers 8 h 05, tandis que les 2 autres postes de niveau CX qui assurent la surveillance à l’heure des repas sont ensuite rejoints par le poste P17 de niveau CX vers 8 h 15.

[11]  Dans son rapport d’enquête, la déléguée ministérielle Morden indique que les emplacements de l’aire de surveillance à l’heure des repas et l’aire d’administration des médicaments sont visibles l’un par rapport à l’autre depuis leur emplacement dans le couloir extérieur, et elle ajoute que l’aire d’administration des médicaments (différente des 2 aires de prestation des options de traitement) peut être rapidement fermée, l’aire d’administration des médicaments étant fermée dans le cas où le poste de niveau CX qui surveille cette aire doive intervenir à un autre endroit de l’établissement.

[12]  Se rapportant à l’ordre permanent 567.2 intitulé [TRADUCTION] « Utilisation des alarmes et intervention en cas d’alarme », la déléguée ministérielle Morden a souligné que l’article dudit ordre permanent intitulé [TRADUCTION] « Intervention en cas d’alarme activée » indique que le poste principal de commande et de contrôle (PPCC) compte un agent responsable qui est chargé d’envoyer des agents d’intervention principale à l’endroit où une urgence a été détectée, et que, si nécessaire, des agents d’intervention secondaire seront également envoyés.

[13]  La procédure précise que pendant une intervention lors d’une alarme, tous les déplacements des détenus cessent et qu’avant de répondre à une alarme, tout agent intervenant est tenu de sécuriser son poste. L’annexe E de l’ordre permanent, intitulée [TRADUCTION] « Plan d’intervention en cas d’alarme », stipule que si [TRADUCTION] « un intervenant désigné est incapable d’intervenir en cas d’alarme, il doit en informer immédiatement le PPCC ». Cette annexe décrit également comment l’agent responsable du PPCC doit dépêcher des intervenants en fonction des aires, chaque aire correspondant à un ou plusieurs lieux et à une liste d’intervenants principaux et secondaires.

[14]  Dans son rapport d’enquête, la déléguée ministérielle Morden note que, bien que cela ne soit pas mentionné dans l’ordre permanent, elle a été informée que si une intervention supplémentaire est nécessaire après que des intervenants secondaires eurent été dépêchés, un appel général à tous les postes de niveau CX aura lieu; par ailleurs, les postes de niveau CX peuvent être amenés à répondre à un incident pendant leur pause. Le rapport note également que les consignes de postes des agents de sécurité de l’établissement de Matsqui pour chaque poste décrivent toutes les fonctions du poste, la manière dont certaines tâches précises doivent être accomplies ainsi que les affectations en matière d’intervention en cas d’alarme pour le poste en question.

[15]  Se fondant sur la définition actuelle du terme « danger » du Code, la déléguée ministérielle Morden a d’abord fait le commentaire suivant :

[TRADUCTION] Dans le cas où un incident se produit dans un autre secteur de l’établissement pendant la prestation des options de traitement qui nécessite une intervention secondaire, des retards peuvent se produire lorsqu’une demande d’intervention secondaire est lancée, ce qui peut entraîner une condition dangereuse (source de préjudice). Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une menace puisse exister dans des circonstances particulières lorsqu’un agent correctionnel de l’établissement est impliqué dans un incident qui nécessite l’aide du personnel et que cette aide n’est pas immédiatement déployée sur place.

[16]  Elle a ensuite abordé les 2 questions fondamentales qui doivent être posées, à savoir si le danger tel qu’il est décrit représente une menace imminente ou une menace sérieuse pour la vie ou la santé de l’employé ou de l’agent correctionnel faisant appel.

[17]  En ce qui concerne la première question, la conclusion de la déléguée ministérielle était que le danger ne représentait pas une menace imminente pour la vie ou la santé de l’AC, car ce danger n’était pas susceptible de se produire à un moment donné. La déléguée ministérielle Morden a déclaré qu’aucune preuve n’avait été fournie pour indiquer que le retard potentiel à intervenir pouvait raisonnablement entraîner un préjudice immédiat pour les AC, et que la dotation de l’établissement a pour but de s’assurer que les AC sont affectés dans les aires où se trouvent le plus de contrevenants (détenus). La déléguée ministérielle a conclu que le plan qui avait été mis en œuvre pour les 2 options de traitement garantissait la présence d’agents dans les aires de forte circulation des contrevenants et que les 4 AC affectés à la prestation des options de traitement restaient disponibles en tant qu’intervenants secondaires dans d’autres secteurs de l’établissement, tout en devant s’assurer, comme toujours dans n’importe quelle situation, que leur poste est sécurisé et que les détenus ont cessé de se déplacer avant de répondre à un incident en dehors de leur emplacement à l’aire de prestation des options de traitement.

[18]  En ce qui concerne la deuxième question, la déléguée ministérielle a conclu que le danger ne représentait pas une menace sérieuse pour la vie ou la santé de l’AC, compte tenu des mesures de contrôle établies servant à atténuer le risque de blessure grave ou importante. Invoquant l’ordre permanent 567.2, la déléguée ministérielle a noté que l’annexe E qui s’y rattache indique quels postes sont responsables en tant qu’intervenants secondaires en cas d’incident au sein de l’établissement et que c’est le PPCC qui est chargé d’intervenir en cas d’alarme et de lancer une demande aux intervenants conformément à l’annexe E, qui serait suivie d’un appel à tout le personnel pour une intervention au cas où les intervenants secondaires ne seraient pas disponibles pour répondre à l’incident.

[19]  Selon la déléguée ministérielle, ce qui précède est complété par la mesure de contrôle que constitue la formation ayant trait à l’usage de la force et à la protection personnelle assurée par l’équipement de sécurité, lequel comprend des gants antiperforation, des gilets pare-lame, des cloisons artificielles et d’autres équipements de sécurité tels que le gaz poivré, ainsi que les mesures mises en place par les consignes de poste 831.16 et 831.13 pour gérer les déplacements des contrevenants dans l’établissement et restreindre dans une certaine mesure le nombre de délinquants dans une aire de l’établissement.

[20]  Pour ces raisons, la déléguée ministérielle Morden a conclu que le danger présumé créé par le changement d’administration du programme TSO n’existe pas.

[21]  L’appelante a interjeté appel de la décision de la déléguée ministérielle auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) le 20 décembre 2017.

[22]  Une audition a eu lieu du 27 au 31 mai 2019 et les 11 et 12 septembre 2019. Le 27 mai 2019, premier jour d’audience du présent appel, le soussigné ainsi que les parties ont assisté à une visite complète et approfondie de l’établissement et des terrains environnants. J’ai assisté, dans son intégralité, à la prestation d’une option de traitement du programme de TSO depuis le poste de contrôle adjacent à l’aire des visites et de la correspondance et bien à la vue de celle-ci, où les détenus qui ont reçu les médicaments doivent rester pendant un certain temps sous l’observation de l’agent P-17. Il va de soi, à mon avis, qu’étant donné l’acceptation conjointe par les parties de ma présence à ce moment et en ce lieu, avec d’autres agents, tous fournissant des réponses et des commentaires relativement aux questions, quelles qu’elles soient, que le soussigné aurait pu avoir, je suis libre d’utiliser les renseignements recueillis comme preuve de la situation existant au moment des refus et de l’enquête de la déléguée ministérielle et invoquée pour justifier les refus de travailler.

Questions en litige

[23]  Le présent appel soulève les questions suivantes : le changement de prestation des options de traitement du programme de TSO à l’établissement de Matsqui a-t-il créé un danger pour l’appelante le 12 décembre 2017, date du refus de travailler et, dans l’affirmative, ce danger constitue-t-il une condition normale de l’emploi.

Observations des parties

Observations de l'appelante

[24]  En bref, l’appelante soutient que la décision de la déléguée ministérielle Morden n’était pas fondée en fait et en droit et qu’elle est basée sur des faits erronés, des faits qui sont importants et critiques pour la détermination de la question ou plutôt des 3 questions que l’appelante désigne comme étant :

  1. l’existence d’un danger le 12 décembre 2017,
  2. la question de savoir, si je conclus à l’affirmative à la première question, si ce danger constituait ou non une condition normale de l’emploi, et
  3. la question de savoir, dans le cas où je conclus à l’absence de danger, si une directive doit être émise concernant les infractions soulevées par l’appelante.

L’appelante fait valoir qu’en vertu du Code, le soussigné a le pouvoir d’examiner l’affaire en fonction de tout élément de preuve que les parties ont présenté, indépendamment du fait qu’il ait été ou aurait pu être mis à la disposition de la déléguée ministérielle au cours de l’enquête.

[25]  Bien que l’appelante ait cherché dans ses observations à fournir de nombreux renseignements généraux, la plupart de ces renseignements font partie des renseignements généraux qui font l’objet de la partie initiale de la présente décision. Ce qui suit à cet égard ne constitue que des détails supplémentaires ou des explications amplifiées de ce qui précède, fournis dans les conclusions de l’appelante.

[26]  D’un point de vue général, le refus de travailler du 12 décembre 2017 a été motivé par le fait que l’employeur a décidé et mis en œuvre, le 16 novembre 2017, un changement qui allait diviser la prestation des options de traitement au Suboxone et à la méthadone du programme de TSO en 2 parties distinctes, devant fonctionner à des heures différentes durant la journée, simultanément à d’autres activités/programmes pour les détenus, à savoir la surveillance des repas et l’administration des médicaments, ce qui a amené l’appelante à prétendre qu’il ne pouvait pas y avoir de pire moment pour assurer la prestation d’une option de traitement qu’à l’heure du dîner. L’appelante fait valoir que les éléments de preuve fournis par les AC montrent que la prestation des options de traitement du programme de TSO ainsi que les aires d’administration des médicaments et de surveillance des repas offrent des conditions très instables et conflictuelles où la plupart des situations de confrontation se produisent, plus particulièrement dans l’aire de surveillance des repas, où le nombre de détenus l’emporte sur le nombre d’AC.

[27]  L’appelante a fait valoir qu’en raison de la prestation d’une option de traitement pendant la pause dîner, il y a moins d’intervenants disponibles que lorsqu’il n’y avait qu’une seule prestation d’options de traitement au Suboxone et à la méthadone le matin, un fait que l’appelante prétend ne pas être pris en compte par le plan d’intervention de l’établissement, puisque certains agents désignés pour intervenir se trouvent déjà à l’aire de prestation des options de traitement ou à leur propre pause dîner, plusieurs postes d’intervenants (admission et élargissement, escortes) n’étant pas pourvus et l’agent P9 ne pouvant pas intervenir lorsqu’il y a une suerie (3 jours sur 5).

[28]  Détaillant quelque peu cette affirmation, l’appelante fait valoir qu’à midi, avant le changement dans la prestation des options de traitement, il y avait 23 intervenants disponibles; en offrant les options de traitement du programme de TSO à compter de midi, ce nombre tombe à 20. Cette réduction se prolonge au moins jusqu’à 12 h 30 lorsque, avec moins d’intervenants disponibles, certaines activités ou certains programmes à l’intention des détenus sont menés avec moins de gardiens qu’avant novembre 2017, ce qui est plus visible en ce qui concerne l’aire de surveillance des repas où, avant le changement, 6 agents étaient présents, alors qu’après le changement, ce nombre est réduit à 4, l’un des 4 agents devant quitter l’aire de surveillance de l’heure des repas avant sa fin pour aider à effectuer les tournées dans les unités de détention, laissant ainsi 3 agents en présence d’un grand nombre de détenus. Selon l’appelante, une telle situation n’a guère de sens si l’on considère qu’à 13 h 15, une fois que la prestation des options de traitement et l’administration des médicaments, de même que la surveillance des repas, sont terminés, c’est-à-dire lorsque tous les déplacements des détenus ont cessé, les détenus ayant intégré leur programme, ou ayant été renvoyés dans leur unité et sécurisés dans leur cellule ou derrière une cloison, le nombre d’intervenants passe à 24.

[29]  L’appelante conteste la conclusion de la déléguée ministérielle selon laquelle les 2 premiers intervenants affectés aux aires de prestation des options de traitement et de surveillance des repas (agents P16 et P17) peuvent rapidement fermer leur poste et intervenir en cas d’incident. De l’avis de l’appelante, l’expérience de la déléguée ministérielle en la matière n’équivaut pas à l’opinion contraire et à l’expérience des nombreux AC sur cette question particulière.

[30]  En outre, pour l’option de traitement au Suboxone en particulier, l’appelante note que non seulement il y a moins d’intervenants, mais qu’ils sont moins centralisés que lorsque les activités des détenus sont concomitantes et que le temps est un facteur essentiel pour répondre à un appel à l’aide; le fait de devoir parcourir une plus longue distance serait la cause d’un plus grand nombre de blessures, sans parler du fait de devoir parcourir un itinéraire d’intervention faisant en sorte que les agents sont susceptibles de rencontrer davantage de détenus en train de rôder et de retarder l’intervention, alors que l’on considère qu’une réponse plus rapide et plus forte de la part des AC aura un effet dissuasif et réduira les risques de blessures et leur gravité.

[31]  L’appelante fait également valoir que la pratique de l’employeur à l’établissement de Matsqui, accrue depuis 2017, qui consiste à affecter à des postes d’intervention primaire et secondaire des employés qui ne peuvent pas intervenir en cas d’urgence (employés faisant l’objet de mesures d’adaptation) pose un défi important, car elle affecte la capacité d’intervention globale et qu’elle n’a pas été examinée dans le cadre d’une évaluation formelle de la menace et des risques (EMR). Cela pose un problème aux agents du PPCC qui sont chargés de déployer les intervenants en cas d’urgence, car ces agents du PPCC ne connaissent pas l’identité ou le nombre d’agents faisant l’objet de mesures d’adaptation, et la suggestion qu’un agent faisant l’objet de telles mesures puisse échanger un poste d’intervenant contre un poste de non-intervenant ne réduit pas le risque créé par le retard supplémentaire, en particulier lorsque le poste statique auquel un échange serait destiné peut très bien être occupé par un autre agent faisant l’objet de mesures d’adaptation.

[32]  À cet égard, l’appelante fait valoir que les éléments de preuve démontrent que sur les 38 postes de l’établissement, en tenant compte des 10 postes statiques et des 8 (10) postes faisant l’objet d’un rajustement opérationnel, près d’un tiers des postes d’intervention est occupé par des agents faisant l’objet de mesures d’adaptation incapables de répondre à des situations d’urgence, et que le taux de voies de fait graves perpétrés contre les AC et entraînant une perte de temps importante est d’environ 3 à 4 par an.

[33]  À l’appui de cet argument, l’appelante relève le témoignage d’un agent occupant le poste P17 qui, depuis novembre 2017, a dû occuper seul l’aire des visites et de la correspondance pendant la prestation des options de traitement du programme de TSO, donc en présence d’un nombre considérable de détenus qui sont souvent agressifs et conflictuels, sans aucune instruction sur la manière de réagir, tout en n’étant pas autorisé à quitter son poste, car un agent du poste P17 est identifié comme premier intervenant.

[34]  Dans le même ordre d’idées, l’appelant renvoie à un témoignage selon lequel, avant novembre 2017, 4 agents correctionnels sont restés dans une UR pendant la prestation d’une option de traitement, effectuant des tournées dans l’UR en équipe de 2. Cependant, depuis le changement de novembre 2017, ce nombre a été réduit à 3 (un par étage) pour les UR 1, 2 et 3, ce qui réduit considérablement la rapidité de l’intervention, en particulier lorsque dans ces UR, les détenus peuvent revenir après avoir terminé leur repas et ne pas être enfermés dans leur cellule ou derrière une cloison. À cet égard, l’appelante renvoie aux témoignages des témoins de l’intimé selon lesquels une unité peut être confiée à un seul agent uniquement lorsque les détenus sont enfermés dans leur cellule ou derrière une cloison.

[35]  L’appelante affirme et fait valoir que la preuve testimoniale de l’intimé établit un certain nombre de points :

  • la détermination du nombre d’intervenants nécessaires est effectuée sur le plan local;
  • aucune analyse du risque professionnel (ARP) n’a été examinée ni aucune EMR effectuée pour évaluer l’incidence des modifications apportées au programme de TSO sur le nombre d’intervenants ou les conditions de travail;
  • la sécurité du personnel passe après la sécurité publique;
  • aucune révision du nombre de détenus autorisés à sortir des cellules n’a été envisagée ou mise en œuvre pour tenir compte des modifications apportées aux options de traitement du programme de TSO;
  • les modifications apportées au programme de TSO n’ont entraîné aucun rajustement des équipements, des procédures, des politiques, de la formation ou du niveau du personnel des AC ou du personnel infirmier, ni aucun rajustement de l’horaire de la pause dîner des AC;
  • il n’y a pas d’exigences d’aptitude (épreuve chronométrée) pour les AC, alors que l’ARP compte une mesure de contrôle.

[36]  Dans l’ensemble, l’appelante estime que l’équipement de protection individuelle (EPI) et la formation qui, selon ce que l’intimée fait valoir, constituent une protection suffisante ont tous précédé les modifications apportées au programme de TSO et ne tiennent pas compte de celles-ci, ce qui l’amène à conclure que les « mesures de contrôle » restent en place alors qu’il y a une augmentation des activités des détenus et une diminution du personnel disponible.

[37]  En outre, l’appelante fait valoir que pendant la pause dîner, près de 50 % des intervenants primaires et secondaires désignés ne sont pas équipés d’une radio et que ces intervenants peuvent prendre leur pause en dehors de l’établissement tant qu’ils restent dans la réserve pénitentiaire, ce qui permet de conclure simplement que ces agents ne peuvent intervenir rapidement.

[38]  L’argument juridique présenté par l’appelante est fondé sur la définition du mot « danger » qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014 et qui est rédigée ainsi :

situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[39]  L’appelante soutient que cette définition, et son application à toute affaire quelle qu’elle soit, doit suivre la première interprétation qui en a été faite par le Tribunal dans la décision Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19 (décision Ketcheson), où le critère à 3 volets suivant à appliquer à la détermination du « danger » dans une affaire donnée a été élaboré :

  1. Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?
    1. Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
      ou
    2. Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
  2. La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

[40]  Appliquant ce critère à la présente affaire, l’appelante soutient par conséquent que, pour conclure à l’existence d’un danger pour l’appelante, Mme Margo MacNeal, il faut [TRADUCTION] « déterminer les circonstances dans lesquelles on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le risque, la situation ou la tâche présente une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée » ou [TRADUCTION] « déterminer les circonstances dans lesquelles on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le risque, la situation ou la tâche présente une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée ».

[41]  Appliquant la première question du critère aux faits de la présente affaire, l’appelante définit le risque (la situation ou la tâche) qui doit être examiné comme étant le risque suivant :

[TRADUCTION] [...] être blessé ou développer une blessure plus grave en raison d’un nombre réduit d’agents affectés à la supervision des activités conflictuelles des détenus (aire de surveillance des repas et aires d’administration des médicaments et de prestation des options de traitement du programme de TSO) et des possibilités d’intervention en cas d’urgence réduites ou retardées en raison des activités et programmes des détenus qui se déroulent simultanément, de la prestation des options de traitement, des repas et de l’administration des médicaments ainsi que des pauses-repas des agents correctionnels.

[42]  Quant à la question de savoir si l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ledit risque présente une menace imminente pour la vie ou pour la santé de l’appelante, cette dernière choisit de ne pas se prononcer sur ce point. La cause de l’appelante repose donc sur une réponse affirmative à la question soulevée par le critère de la décision Ketcheson, à savoir si le risque que cette dernière a cerné pourrait vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée.

[43]  L’argument de l’appelante à cet égard repose sur la prémisse qu’il ne fait aucun doute que les conséquences d’une agression d’un détenu sur un AC ou tout autre employé entrent dans la catégorie des menaces sérieuses pour la vie ou la santé. Pour étayer cette affirmation, l’appelante renvoie à la jurisprudence considérable du Tribunal concernant les AC et le SCC qui a traité du risque que présentent les agressions de détenus et qui soutient cette prémisse et est étroitement liée à la notion d’imprévisibilité du comportement humain.

[44]  Le fait que la définition de « danger » ait changé ne modifie pas, selon l’appelante, cette prémisse. Dans la décision Armstrong c. Canada (Service correctionnel), 2010 TSSTC 6 (décision Armstrong) par exemple, l’agent d’appel a déclaré ceci :

[46]  Les AC de l’Établissement de Kent sont exposés à un danger potentiel qui réside dans les agressions spontanées de détenus à sécurité maximale. [...] l’agression spontanée commise par un détenu peut survenir sans provocation et sans avertissement. [...] le comportement du détenu peut passer de la collaboration à un comportement causant des blessures graves ou un décès sans escalade progressive de l’agressivité. »

[45]  De même, alors que selon l’ancienne définition de « danger » qui parlait de « situation, tâche ou risque – existant ou éventuel », la notion d’« imprévisibilité du comportement des détenus » a été reconnue par la Cour fédérale dans la décision Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767 (décision Verville), ce concept continue d’être appliqué dans la jurisprudence plus récente du Tribunal, comme en témoigne la décision Service correctionnel du Canada c. Laycock, 2017 TSSTC 21 (décision Laycock), rendue en vertu de la définition la plus récente, qui parle de « risque » (any danger en anglais), les 2 définitions étant formulées autour de la notion d’attente raisonnable.

[46]  Dans la décision Verville, la Cour a déclaré ce qui suit :

[41]  Le sens courant d’une situation ou d’un risque « éventuel » (ou en anglais « potential ») n’exclut pas un risque qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. Si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition. Comme je l’ai dit plus haut, il n’est pas nécessaire que l’on soit en mesure de savoir exactement quand cela se produira. Il ressort clairement de la preuve que, en l’espèce, des agressions imprévues peuvent effectivement se produire.

[47]  Dans la décision Laycock, les mots de l’agent d’appel au paragraphe 110 ont le même sens :

[110]  L’agression d’un membre du personnel peut survenir sans avertissement, en quelques secondes et sans avoir reçu de renseignements ou d’indicateurs qu’une telle agression était envisagée.

[48]  L’appelante fait valoir que cette notion d’imprévisibilité ou de comportement imprévisible des détenus et de violence a été abordée dans la décision Ketcheson qui a élaboré le critère d’analyse du terme « danger » nouvellement défini :

[202]  Il est probablement vrai qu’on peut qualifier un détenu potentiellement violent de « risque » ou de « bombe à retardement » [...] Toutefois, on pourrait dire que le fait d’être exposé à un détenu potentiellement violent sans être muni d’EPP (menottes et vaporisateur de poivre) pourrait constituer une « situation » risquée et que si l’intimé accomplissait une tâche auprès d’un tel détenu, cela constituerait une « tâche » risquée.

[49]  L’appelante soutient qu’avec les changements apportés à la prestation du programme de TSO, il y avait une attente raisonnable que Mme MacNeal puisse être exposée à un danger, étant donné que l’évaluation du risque par l’employeur, le cas échéant, était insuffisante et que les mesures de contrôle qui auraient été mises en place étaient toutes antérieures aux changements apportés à la prestation du programme de TSO. Dans cette perspective, l’appelante fait valoir que, puisque les risques éventuels et futurs ne sont pas exclus de la définition de « danger » si le risque pour la santé est sérieux, la matérialisation d’une menace n’a pas besoin d’être limitée dans le temps. Cela est clairement établi dans de nombreuses décisions du Tribunal, notamment dans les décisions Laycock et Keith Hall & Sons Transport Limited c. Robin Wilkins, 2017 TSSTC 1 (décision Keith Hall & Sons Transport Limited).

[50]  Dans la décision Keith Hall & Sons Transport Limited, l’agent d’appel a déclaré ce qui suit :

[52]  Toutefois, l’instruction est fondée sur l’existence d’une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de M. Wilkins, par opposition à une menace imminente. Encore une fois, pour conclure à l’existence d’une menace sérieuse, il n’est pas nécessaire de déterminer précisément le moment où la menace se matérialisera. On doit évaluer la probabilité que la situation, la tâche ou le risque allégué cause des blessures sérieuses (c’est-à-dire, sévères) à une personne ou la rende gravement malade à un moment donné dans l’avenir. La question en litige consiste à déterminer si les circonstances sont telles que la menace peut vraisemblablement causer des blessures sérieuses à l’employé ou le rendre gravement malade, même si le tort causé à sa vie ou à sa santé pourrait ne pas être imminent.

[51]  Dans la décision Laycock, l’agent d’appel a écrit ceci :

[107]  Comme la Cour l’explique dans les décisions Martin et Verville, lorsqu’il s’agit d’établir si une situation pourrait vraisemblablement présenter une menace sérieuse, il faut nécessairement s’intéresser à des événements qui pourraient ne se matérialiser qu’à l’avenir. En ce sens, pour qu’une menace sérieuse existe, on doit conclure que ces événements éventuels pourraient vraisemblablement se produire, il doit s’agir d’une possibilité raisonnable.

[52]  Quant aux éléments de preuve présentés par l’appelante, celle-ci fait valoir que la plupart des témoins ayant une expérience opérationnelle ont déclaré qu’une réponse tardive à une urgence pourrait entraîner des blessures mortelles pour un AC, et ce, malgré tout l’équipement de protection fourni. Notant que cela soulève la question du type de preuve qui peut être accepté par un agent d’appel pour conclure à un danger, l’appelante fait valoir que les éléments de preuve ne doivent pas nécessairement provenir uniquement de types professionnels et que cette question a été examinée par la Cour fédérale dans la décision Verville, une affaire déterminée en vertu de la définition précédente du mot « danger », la Cour ayant formulé ce qui devait être décrit comme une « opinion fondée sur l’expérience professionnelle » dans les décisions ultérieures du Tribunal comme suit :

[51]  Finalement, la Cour relève qu’il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[53]  L’appelante soutient que ce raisonnement a été appliqué de manière cohérente dans les décisions du Tribunal, même lorsqu’elles ont été rendues après les modifications du Code de 2014, et que les AC qui ont témoigné lors de cette audience avaient l’expérience nécessaire pour établir quelle situation pouvait entraîner un préjudice.

[54]  L’appelante soutient qu’étant donné le facteur de dissuasion essentiel que constitue une capacité de réaction rapide et efficace à une situation d’urgence, on peut facilement affirmer que tout retard dans la réaction comporte un risque de préjudice et on peut également affirmer qu’une réduction des ratios en personnel sans réduction parallèle des activités peut entraîner un préjudice. L’appelante trouve un appui à cette affirmation dans un certain nombre de décisions du Tribunal. Dans la décision Glaister c. Service correctionnel du Canada, CAO-07-008, où un AC a reçu l’ordre de faire des tournées seul, par opposition à la pratique antérieure qui consistait à faire des tournées à 2, l’agent d’appel a conclu à un danger et a déclaré ce qui suit :

[101]  Quand l’employeur change les conditions d’emploi en modifiant sensiblement les responsabilités d’un employé, les mesures de contrôle, les politiques de sécurité et les procédures en place doivent être réexaminées en procédant à une analyse des risques, afin de déterminer si de nouveaux risques existent, si les mesures en place permettent de les atténuer convenablement ou si de nouvelles mesures s’imposent.

En apportant un changement sans avoir effectué cette analyse, l’employeur expose les employés à un risque éventuel pour lequel il n’existe peut-être pas de procédure.

[55]  Dans le même ordre d’idées, dans la décision Service correctionnel du Canada c. John Carpenter, CAO-05-012, où 2 AC étaient affectés à une UR alors que 4 autres étaient restreints par des politiques, l’agent d’appel a conclu à un danger et a ajouté ce qui suit :

[80]  Il est amplement prouvé que l’employeur a modifié sa politique de dotation. Cependant, je n’ai pas eu suffisamment de preuves que celui ci avait auparavant cherché à limiter l’effet de cette modification en procédant à une nouvelle évaluation du niveau de risque qu’elle entraînerait pour les gardiens.

[81]  L’employeur ne m’a pas prouvé de façon satisfaisante qu’il avait mesuré l’effet de cette modification sur les conditions de travail normales des gardiens. [...]

[56]  Sur ce point, l’appelante conclut qu’une attente raisonnable de menace grave peut être établie malgré la preuve limitée d’événements historiques et malgré la description de poste des AC qui met l’accent sur la nature dangereuse de leur travail, comme ce fut le cas dans la décision Service correctionnel du Canada c. Courtepatte, 2018 TSSTC 9, où l’agent d’appel a conclu que la situation ou le risque qui avait été présenté comme un danger pouvait raisonnablement être considéré comme une menace pour la vie ou pour la santé des AC avant qu’il puisse être néanmoins contrôlé ou modifié.

[57]  À l’appui de cette dernière affirmation, l’appelante renvoie aux propos de l’agent d’appel dans la décision Zimmerman c. Service correctionnel du Canada, 2013 TSSTC 34 (décision Zimmerman), selon lesquels des blessures graves peuvent être infligées en quelques secondes, ce qui renforce la nécessité d’une intervention rapide. Dans cette décision, l’agent d’appel a déclaré ce qui suit :

[111]  La déposition non contestée de l’AC Strekenburg veut que l’utilisation d’armes s’est accrue à Kent et qu’il a lui-même été témoin d’agressions à l’arme blanche, qu’il faut par ailleurs plus de temps pour aller faire une intervention dans l’unité d’habitation 1 et qu’une personne peut infliger 33 blessures à l’aide d’une arme blanche ou frapper quelqu’un à la tête 50 fois en à peine sept secondes.

[58]  Par conséquent, en ce qui concerne la question de savoir si l’on pouvait s’attendre à ce que le risque présente une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé, l’appelante soutient que les agressions de détenus constituent un risque pour les gardiens de prison, étant donné qu’ils ont le devoir d’intervenir en cas d’incidents de prodiguer les premiers soins et de faire usage de la force, et donc que la motivation de l’employée qui a refusé de travailler était véritablement liée à sa sécurité et à celle de ses collègues et des autres employés de l’établissement de Matsqui. À cet égard, et contrairement à ce qu’affirme l’employeur intimé, l’appelante soutient qu’aucune preuve n’a été présentée à l’appui de l’affirmation selon laquelle le processus de refus de travailler a été utilisé par l’appelante dans le but de faire valoir les intérêts des travailleurs, contrairement à ce qui s’est passé dans la situation qui s’est appliquée dans la décision Ketcheson.

[59]  Dans l’ensemble, l’appelante soutient que, aux fins de trancher la présente affaire, il convient d’accorder une plus grande importance aux éléments de preuve fournis en personne par les AC lors de l’audience, étant donné que ces éléments de preuve s’harmonisent avec les autres éléments de preuve, qu’ils n’ont pas été contredits de manière importante et que les AC ont l’expérience nécessaire pour parvenir à des conclusions solides sur le danger créé par les modifications du programme de TSO.

[60]  Quant à la question de savoir si la menace pour la vie ou pour la santé doit exister avant que le risque ou la situation puisse être corrigé ou la tâche modifiée, l’appelante soutient simplement qu’il a été démontré qu’il y a une réduction du nombre d’agents aux aires de surveillance des repas et de prestation des options de traitement du programme de TSO, une situation qui représente un risque, et que l’incidence de cette réduction n’a pas été analysée par l’employeur et que des mesures de contrôle précises n’ont pas été mises en place pour faire face à cette incidence. En outre, le risque doit être considéré à la lumière de la diminution de la capacité d’intervention causée par l’horaire de la pause dîner des AC, le nombre croissant d’agents empêchés d’intervenir en cas d’urgence (agents faisant l’objet de mesures d’adaptation), mais néanmoins affectés à des postes nécessitant une intervention, le fait qu’un certain nombre d’agents ne sont pas équipés de radios à certaines heures et ce que l’appelante décrit comme étant l’inutilité de dispositions périmées de l’ordre permanent 567.2 concernant l’utilisation d’alarmes et l’intervention face à celles-ci.

[61]  Compte tenu de ce qui précède, l’appelante fait valoir que, vu l’absence d’une EMR complète et exhaustive et vu l’absence des mesures préventives (de contrôle) requises par la partie XIX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail traitant d’un programme de prévention des risques, on ne peut conclure avec certitude que le risque peut être corrigé ou la tâche modifiée. L’intervention en cas d’incidents représente la tâche la plus dangereuse pour un AC dans le cadre de l’ARP et pourtant, lorsque le GC Forseth a été chargé d’éliminer la liste d’attente du programme de TSO, qui a entraîné la division de la prestation des options de traitement en vertu de ce programme en 2 options de traitement distinctes à des moments différents, aucune attention n’a été accordée au risque accru et à la manière d’y faire face par la hiérarchie des mesures de contrôle prescrites par l’article 122.2 du Code.

[62]  Outre cette question de l’employeur n’ayant pas satisfait aux exigences de ce que l’on appelle communément la hiérarchie des mesures de contrôle, l’appelante fait valoir qu’en procédant à la modification de la prestation des options de traitement du programme de TSO, l’employeur n’a pas procédé à une ARP précise, comme l’exige le Code. À cet égard, l’appelante renvoie au jugement rendu par le Tribunal dans la décision Service correctionnel du Canada c. Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2013 TSSTC 11, dans laquelle il a été déterminé qu’un employeur n’ayant effectué qu’une ARP générique qui ne tient pas compte des problèmes particuliers d’un lieu de travail contrevenait au Code, ce qui, selon l’appelante, est exactement la situation qui prévaut en l’espèce. Dans cette décision, l’agent d’appel a affirmé ce qui suit :

[145]  La preuve démontre que le SCC a élaboré un programme de prévention en 2008 conformément à l’alinéa 125(1)z.03). Dans la documentation fournie par le SCC, j’ai pu constater que la méthodologie utilisée par le SCC pour découvrir les risques était une ARP. Une ARP générique a été par la suite effectuée sur le plan national en concertation avec le Comité national mixte de la politique de santé et de sécurité au travail (le CNMPSST). Cette ARP générique devait être affinée par chaque lieu de travail du SCC pour y inclure les risques particuliers à ce lieu, comme l’exige l’alinéa 125(1)z.04) du Code. Toutefois, la preuve démontre que cet affinage n’a pas été fait à l’Établissement Millhaven.

[148]  L’alinéa 125(1)z.04) du Code exige que, si le programme visé à l’alinéa 125(1)z.03) ne couvre pas certains risques propres à un lieu de travail, l’employeur, en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, élabore et mette en œuvre un programme réglementaire de prévention de ces risques, y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité relativement à ces risques et en contrôle l’application.

[...]

[153]  Compte tenu de ce qui précède, je crois que les alinéas 125(1)z.03) et z.04) du Code, ainsi que les articles 19.4, 19.5, 19.6 et 19.7 de la partie XIX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail sont les dispositions qui s’appliquent réellement aux circonstances précises de la présente affaire et que le Service correctionnel du Canada enfreint ces dispositions.

[63]  Appliquant ce raisonnement à l’espèce, l’appelante fait valoir que lorsqu’il est clair que le comité local de santé et de sécurité devait être impliqué, la preuve non contestée établit que l’employeur n’a pas impliqué le comité dans le délai limité et restrictif qu’il a imposé, ce qui a entraîné les changements apportés sans modifier les niveaux de dotation en AC, sans ajouter des services infirmiers ou sans nuire aux heures d’exploitation du Corcan (un programme d’emploi et de réadaptation des détenus). Par conséquent, la conclusion, telle qu’elle est tirée par l’appelante, est que le risque potentiel cerné peut causer une blessure à un AC avant que ce risque puisse être écarté, et donc qu’il existe un danger.

[64]  L’appelante est d’avis que le danger ne constituait pas une condition normale d’emploi lorsqu’on considère le sens que la jurisprudence donne à cette expression, selon le jugement rendu par la Cour fédérale dans la décision Canada c. Vandal, 2010 CF 87, un jugement de la Cour qui continue de s’appliquer et qui définit un danger qui constitue une condition normale d’emploi comme étant de nature résiduelle, c’est-à-dire un danger qui subsiste après que l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer, réduire ou contrôler le risque, la situation ou la tâche et pour lequel aucune instruction ne peut raisonnablement être émise en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

[65]  L’appelante souligne que l’obligation d’un employeur à cet égard est de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer, réduire ou contrôler le risque, la situation ou la tâche, et que l’évaluation doit être fondée sur le « principe de faible fréquence et de risque élevé » initialement établi dans la décision Agence Parcs Canada c. Douglas Martin et Alliance de la fonction publique du Canada, CAO-07-015, et jugé applicable aux AC dans la décision Armstrong, un principe fondé sur la conviction que lorsque les conséquences d’un événement particulier sont graves ou critiques pour une personne, des mesures de prévention doivent être prises pour empêcher cette issue désastreuse, quelle que soit la probabilité que l’événement se produise.

[66]  L’appelante estime qu’étant donné le risque élevé auquel sont exposés les AC et l’absence de toute mesure de contrôle précise ou contemporaine, on ne peut pas dire que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour éliminer ou réduire le risque. En outre, l’appelante soutient que les éléments de preuve ne contenaient que peu de choses sur les mesures prises pour éliminer ou réduire le risque posé par la réduction du nombre d’agents assurant la surveillance des repas et des options de traitement du programme de TSO, la réduction des intervenants disponibles et la distance supplémentaire à parcourir en cas d’urgence pendant l’heure du dîner. Bien que l’employeur ait pu déclarer à la déléguée ministérielle que les AC sont formés et reçoivent un équipement personnel (gilets, menottes, gaz poivré), l’appelante souligne le fait que l’ancien sous-directeur des opérations de l’établissement a été contraint d’admettre, lors de son témoignage, que ces mesures existaient avant les changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO et qu’aucune action, mesure, formation ou politique ni aucun équipement n’a été élaboré pour faire face aux changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO.

[67]  L’appelante demande donc que le soussigné constate l’existence d’un danger et modifie en conséquence la décision de la déléguée ministérielle Morden. À titre subsidiaire, si le soussigné conclut à l’absence de danger, l’appelante demande qu’une instruction soit émise en vertu du paragraphe 145(1) pour que l’employeur cesse d’enfreindre le Code.

Observations de l'intimé

Ordonnance de mise sous scellés

[68]  Avant d’examiner le bien-fondé de l’appel, l’intimé demande, à titre préliminaire, que le soussigné émette une ordonnance de mise sous scellés pour protéger l’intérêt public, ou plus précisément pour protéger ce qu’il considère comme des renseignements confidentiels liés aux opérations de sécurité des établissements correctionnels fédéraux. Plus précisément, l’intimé fait valoir que de nombreuses pièces du dossier démontrent les normes de déploiement du personnel, les outils et l’infrastructure de sécurité disponibles ainsi que les diverses politiques liées à la sécurité, et comprennent des schémas de l’établissement. L’intimé soutient que ces renseignements sont susceptibles de compromettre la sécurité de l’établissement ainsi que la santé et la sécurité des employés, des détenus et des visiteurs.

[69]  L’intimé estime que, bien que les procédures devant le Tribunal soient présumées ouvertes au public conformément au « principe de la publicité des débats judiciaires », un agent d’appel peut rendre une ordonnance de mise sous scellés ou une ordonnance de confidentialité, faisant ainsi exception audit principe, lorsqu’il est approprié de ne pas divulguer certains renseignements, et mettant ainsi en balance l’intérêt public de la publicité des débats judiciaires et l’intérêt privé des parties à préserver la confidentialité des renseignements conformément au critère juridique établi par la Cour suprême du Canada et réaffirmé dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd c. Ontario, 2005 CSC 41 (arrêt Toronto Star Newspapers Ltd.). L’intimé reconnaît que les ordonnances de confidentialité ne sont pas automatiques, même lorsque les parties sont d’accord, et que des raisons doivent être avancées dans l’application dudit critère.

[70]  L’intimé est donc d’avis qu’une ordonnance de mise sous scellés est nécessaire en ce qui concerne la pièce 1 (onglets 1, 2 et 9), la pièce 4 et le plan supplémentaire de l’établissement pour empêcher que des renseignements confidentiels relatifs à la sécurité des pénitenciers fédéraux n’entrent dans le domaine public. En outre, l’intimé soutient que les renseignements relatifs au nombre de membres du personnel de sécurité sur le site d’un établissement donné, les politiques et protocoles relatifs à l’infrastructure de sécurité statique et aux interventions de sécurité dynamiques, ainsi que les schémas de l’agencement physique de l’établissement, qui se retrouveraient dans le domaine public et entre de mauvaises mains, sont tous susceptibles de compromettre la sécurité de l’établissement.

[71]  De surcroît, l’intimé est d’avis que, s’il existe un intérêt public élevé à ce que les litiges relevant du Code soient jugés à juste titre, équitablement et devant une tribune publique, cet intérêt est minimisé par la mise sous scellés des pièces à conviction et l’expurgation des renseignements d’identification d’une décision publiée, cette opinion venant à l’appui d’un précédent établi par le Tribunal dans des circonstances similaires dans la décision Patrick Weagant c. Canada (Service correctionnel), 2013 TSSTC 22, une décision qui n’a pas été rendue publique et qui est sous forme non expurgée.

Fond

[72]  La description générale de la question par l’intimé ne diffère pas de celle de l’appelante. En bref, l’intimé déclare que l’appelante a eu recours à la procédure de refus de travailler prévue par le Code parce que cette dernière a affirmé que le plan d’élimination de la liste d’attente du programme de TSO mis en place à l’établissement de Matsqui ne prévoyait pas la disponibilité d’un nombre suffisant de membres du personnel pour intervenir en cas d’urgence pendant les périodes où les options de traitement du programme de TSO sont administrées. L’intimé comprend la conclusion de la déléguée ministérielle Morden selon laquelle il n’y a pas de danger, car elle est fondée sur l’examen par cette dernière de la stratégie d’atténuation de l’employeur, y compris la formation, les protocoles de communication et les plans d’urgence, sur le fait qu’il n’y avait pas de risque ou de circonstance unique au moment du refus, ainsi que sur le fait que le plan d’intervention et les postes dynamiques ne sont pas statiques et peuvent répondre adéquatement à la préoccupation de l’appelante en matière d’intervention. L’intimé est d’avis que l’appelante utilise la procédure de refus de travailler pour contester une décision politique.

[73]  Le résumé des faits proposé par l’intimé reprend de près celui qui a été formulé par l’appelante et n’a donc pas besoin d’être répété ici. L’accent est toutefois mis sur la description de poste des AC et l’essentiel de la position de l’intimée en l’espèce se fonde sur le contenu de ce document. Sur ce point, l’intimé soutient que la plupart du temps, l’appelante, ainsi que les autres employés qui ont refusé de travailler ou qui ont témoigné, étaient des AC qui ont confirmé avoir travaillé à différents moments dans des établissements à sécurité moyenne et qui étaient conscients que le travail avec des détenus présentant un potentiel de violence faisait partie intégrante de leur travail. L’intimé attire particulièrement l’attention sur la description de travail générique des AC de niveau 2 (CO-2) qui indique en partie, sous la rubrique « Environnement de travail », ce qui suit :

On y voit aussi des détenus agités qui se comportent de façon imprévisible ou qui ne coopèrent pas, ou encore qui peuvent tenter de faire de l’intimidation ou de recourir à la violence. [...]

[...]

Le travail est accompli dans un établissement à accès contrôlé doté de plusieurs cloisons et dispositifs de contrôle de la sécurité, lesquels peuvent engendrer chez les détenus le sentiment d’être isolés ou de manquer d’intimité. Tous les jours, on peut voir, sentir ou entendre des choses désagréables dans l’établissement.

[...]

Il existe un risque de violence verbale, physique ou psychologique dans le cadre de l’exécution des tâches quotidiennes en contact direct avec des détenus potentiellement instables [...]

[74]  Dans une optique plus directe, l’intimé a fait référence à la personne qui était essentiellement le témoin principal de l’appelante, M. Christopher Wright, AC, et a souligné qu’à différents moments de son témoignage, ce dernier a reconnu les risques inhérents aux conditions de travail dans un pénitencier, et a expressément témoigné avoir travaillé à certains moments en tant que membre d’une équipe institutionnelle d’intervention d’urgence, où il était tenu de recourir à la force pour faire face à des situations de crise potentiellement violentes impliquant des détenus, tout en confirmant avoir reçu une formation particulière pour faire face aux risques inhérents au travail et pour évaluer la situation afin d’éviter de se mettre en danger.

[75]  L’intimé décrit la motivation de refuser de travailler d’une manière qui ne diffère pas en substance de celle de l’appelante. Ses observations indiquent que les AC estiment que la pratique consistant à administrer les options de traitement du programme de TSO à des moments distincts est dangereuse, car cela ne prévoit pas la disponibilité d’un nombre suffisant de membres du personnel pour intervenir en cas d’urgence pendant les périodes où les options de traitement sont administrées. Ajoutant une certaine spécificité à cette description générale, l’intimé divise la justification du refus de travailler en 3 éléments :

  • un plan d’intervention n’est pas en place pour le personnel du PPCC;
  • l’option de traitement au Suboxone à l’heure du dîner ne bénéficie d’aucun plan d’intervention et les intervenants secondaires ne sont pas toujours disponibles;
  • L’aire de prestation de l’option de traitement à la méthadone le matin est administrée en même temps que l’aire de surveillance des repas et la surveillance de l’aire d’administration des médicaments fait en sorte qu’il ne peut y avoir d’intervention immédiate dans l’UR.

[76]  Revenant sur l’enquête de l’employeur qui a précédé celle menée par la déléguée ministérielle Morden, l’intimé note qu’après examen de ces 3 éléments, l’employeur avait conclu à l’absence de danger.

[77]  En ce qui concerne le premier élément, la position de l’intimé présentée à la déléguée ministérielle était qu’il existait un plan d’intervention pour le PPCC dans l’ordre permanent 567.2, qui décrivait un plan d’intervention en cas d’incident au sein de l’établissement, en se fondant sur la responsabilité du PPCC d’envoyer des agents d’intervention principaux sur les lieux d’une urgence et, le cas échéant, d’envoyer des agents d’intervention secondaires, l’annexe E de l’ordre permanent précisant comment le PPCC est censé faire appel aux intervenants en fonction des zones, chaque zone ayant une liste d’intervenants principaux et secondaires.

[78]  En cas d’urgence, le PPCC fonctionne comme une radio de station de base pour relayer les communications entre les agents multifonctionnels et les agents ayant besoin d’aide. Il contrôle également les cloisons qui peuvent isoler une zone problématique, car la procédure prévoit que pendant une intervention en cas d’alarme, tous les déplacements des détenus doivent cesser. Si, pour une raison ou une autre, des intervenants secondaires n’étaient pas disponibles, un appel général à tous les membres du personnel serait l’étape suivante de la procédure, y compris les agents qui peuvent être en pause dîner. Indiquant que le passé est garant de l’avenir, l’intimé a fait valoir devant la déléguée ministérielle et devant le soussigné que le nombre d’intervenants immédiats présents dans les aires d’administration est adéquat puisque, dans le passé, ce nombre a été suffisant pour faire face aux incidents survenus sur l’aire, notant que les postes mobiles sont généralement placés là où se trouve à tout moment la majorité des déplacements des détenus.

[79]  Concernant le deuxième élément à savoir, la suffisance du personnel et des intervenants secondaires pour intervenir en temps utile à un incident survenu pendant la prestation de l’option de traitement au Suboxone à l’heure du dîner, il a été indiqué à la déléguée ministérielle et au soussigné que ce qui avait été soulevé lors du refus de travailler était la survenance de scénarios hypothétiques dans l’établissement et que la direction de l’établissement de Matsqui avait précisément déterminé comme options d’intervention pour cette option de traitement que le personnel disposait d’intervenants immédiats intégrés dans le personnel adjoint ou assurant la surveillance de l’option de traitement au Suboxone, à savoir les agents P15, P17, les CO-2 de l’aire des visites et de la correspondance, les CO-1 et les agents de l’aire d’admission et d’élargissement ou de l’aire des visites et de la correspondance. En plus des 4 postes principaux, des postes d’escorte sont disponibles en cas d’intervention et de supervision des aires d’administration lorsqu’ils ne sont pas sous escorte, tout comme le poste P9 lorsqu’ils ne supervisent pas une suerie.

[80]  En ce qui concerne la prestation de l’option de traitement à la méthadone le matin et l’intervention immédiate à l’UR, il a été avancé que l’option de traitement du déjeuner est surveillée par 3 des 6 AC assignés aux UR et que les postes des aires de surveillance des repas et d’administration des médicaments sont visibles les uns par rapport aux autres depuis leur emplacement dans le couloir extérieur. En outre, l’aire d’administration des médicaments peut être fermée rapidement dans le cas où l’AC qui surveille l’option de traitement doit intervenir à un autre endroit de l’établissement, les agents P16 étant également désignés comme intervenants dans les UR ainsi que le poste multifonctionnel P24 qui, tout en aidant aux fouilles sommaires dans les aires d’administration, est disponible pour une intervention immédiate à l’UR 5.

[81]  De plus, les jours de semaine, les agents de l’aire d’admission et d’élargissement ou d’analyse d’urine sont désignés pour se rendre à l’aire de prestation de l’option de traitement à la méthadone, et l’agent du poste P17 n’est pas laissé seul dans l’aire de visite pendant la durée de la prestation de cette option de traitement, car l’agent CX-2 du poste de contrôle de l’aire des visites et de la correspondance l’observe directement, tout comme les agents P24 et ceux affectés aux aires d’admission et d’élargissement ou d’analyse d’urine, car ils fouillent sommairement les détenus. Ces postes sont décrits comme étant dynamiques et permettent le déplacement et la réaffectation des ressources en fonction des besoins de l’établissement.

[82]  L’intimé soutient que les éléments ci-dessus, qui ont été présentés à la déléguée ministérielle Morden et qui font partie de ses observations au soussigné, ont abouti à une conclusion d’absence de danger de la part de la déléguée ministérielle, qui a conclu que cette conclusion était fondée sur son acceptation de la stratégie d’atténuation de l’employeur et sur sa constatation que les employés disposaient d’outils de communication, d’une formation et d’une souplesse adéquates dans la manière d’exercer leurs fonctions afin d’assurer leur sécurité. En outre, la déléguée ministérielle a constaté qu’il y avait eu consultation avec le comité de santé et de sécurité qui avait approuvé les changements proposés et l’intimé a noté que le témoin principal de l’appelante (M. Wright) avait convenu, lors du contre-interrogatoire, que le calendrier qui avait été établi était la meilleure option à ce moment-là.

[83]  L’intimé reconnaît que le droit général de refuser de travailler est décrit aux paragraphes 128(1) et (2) du Code et que le terme « danger » est défini au paragraphe 122(1) du Code. Comme il ressort de l’examen des observations des 2 parties, celles-ci partagent le même point de vue quant à la définition actuelle du terme « danger » dans le Code, définition qui découle des modifications apportées à la législation en 2014. Toutefois, l’intimé décrit le critère à utiliser pour analyser si un « danger » est présent dans une situation donnée comme celui qui a été défini en 2008 par la Cour d’appel fédérale dans la décision Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305, confirmant le jugement rendu par la Cour fédérale dans la décision Société canadienne des postes c. Pollard, 2007 CF 1362, qui porte sur la même affaire, mais qui se fonde sur la définition précédente du terme « danger ». Ce critère a été divisé en 4 éléments qui se lisent comme suit :

  • la situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel – en question se présentera probablement;
  • un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;
  • l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;
  • la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.

[84]  En fait, ce critère diffère du critère à 3 volets qui a été élaboré dans la décision Ketcheson qui était fondée sur la définition de « danger » de 2014 et qui a été invoquée par l’appelante comme étant le critère applicable. Selon l’intimé, la Cour fédérale dans la décision Verville a estimé en 2004 que la définition du terme « danger », soit celle qui précède la définition de 2014, exige la preuve que [TRADUCTION] « [...] de telles circonstances se produiront à l’avenir, non pas comme une simple possibilité, mais comme une possibilité raisonnable ». L’intimé déclare en outre que la Cour, dans la même décision, a jugé qu’une attente raisonnable de préjudice ne peut être fondée sur une hypothèse ou une conjecture. En outre, l’intimé note que les dispositions du Code relatives au refus de travailler ont été reconnues comme une mesure d’urgence.

[85]  Selon l’intimé, l’approche susmentionnée se fonde sur la disposition transitoire accompagnant les révisions de 2014 du Code qui, selon elle, [TRADUCTION] « rend évident le fait que le législateur entendait que l’ancienne définition de danger (avant 2014) continue de s’appliquer aux procédures existantes » comme l’appel envisagé en l’espèce (sans doute en dépit du fait que la présente affaire ou le présent appel a été introduit après l’entrée en vigueur des révisions de 2014 du Code). L’intimé soutient donc que les révisions ultérieures du paragraphe 122(1) du Code (et l’on suppose ici que cela concerne directement la définition de « danger »), et les nouveaux critères relatifs au danger qui découlent de ces révisions (vraisemblablement les critères élaborés dans la décision Ketcheson) ne s’appliquent pas dans les circonstances actuelles.

[86]  En bref, selon l’intimé, les anciens critères confirmés par la Cour, tels qu’ils sont décrits ci-dessus, continuent de s’appliquer. Il en résulte, toujours selon l’intimé, que le critère approprié à appliquer dans l’examen du présent appel est celui de la « possibilité raisonnable » et non celui de la « simple possibilité ». Le fait que le côté imprévisible du comportement humain ne puisse pas exclure complètement la possibilité d’une agression ou d’un autre incident n’amplifie pas en soi les préoccupations soulevées par l’appelante au-delà du seuil spéculatif de la « simple possibilité ». Bien qu’un certain risque soit inhérent au travail des employés des établissements correctionnels, en particulier ceux qui occupent des postes de sécurité, les nombreuses mesures de sécurité dynamiques et statiques prises par l’employeur, y compris le fait que les AC sont formés professionnellement pour intervenir face à ces risques, atténuent tout risque spéculatif connexe découlant de l’imprévisibilité du comportement humain.

[87]  En outre, à la lumière du fait que l’appelante cherche à obtenir une instruction par défaut concernant une violation du Code si le soussigné devait conclure à l’absence de danger, l’intimé soutient qu’un agent d’appel agissant en vertu de l’article 146.1 du Code est empêché de conclure à une violation particulière du Code, essentiellement parce qu’il n’a pas le pouvoir de tirer une conclusion autre que celle de « danger » ou d’« absence de danger ».

[88]  L’intimé a bâti ses observations sur le bien-fondé des 5 points suivants :

  • au moment du refus de l’appelante de travailler le 12 décembre 2017, tout se passait comme d’habitude à l’établissement de Matsqui;
  • un risque hypothétique et spéculatif ne constitue pas un « danger » au sens du Code;
  • tout danger résiduel, à savoir un danger qui subsiste après que l’employeur a pris « toutes les mesures raisonnables d’atténuation », est une condition normale de l’emploi;
  • les politiques et la formation permettent d’atténuer les risques;
  • les refus de travailler ne sont pas destinés à régler des conflits politiques.

[89]  Sur le premier point, l’intimé note qu’il faut d’abord déterminer le délai pertinent auquel la décision d’appel doit s’appliquer. À cet égard, ce dernier souligne qu’il est reconnu par la jurisprudence qu’un délégué ministériel doit déterminer si le danger soulevé par le refus de travailler existe toujours au moment de l’enquête de ce dernier, et que cette enquête sur la situation de fait existant au moment de l’enquête doit exclure les situations spéculatives et hypothétiques, étant donné que le droit de refuser de travailler est une mesure d’urgence qui n’est pas destinée à résoudre des problèmes anciens pouvant trouver une justification dans des circonstances précises et exceptionnelles qui vont au-delà des conditions normales d’emploi.

[90]  À l’appui de cette affirmation, l’intimé renvoie au paragraphe 51 de la décision Stone c. Service correctionnel du Canada, décision n° 02-019 (décision Stone) :

[51]  [...]  Le droit de refuser de travailler prévu par le Code reste une mesure d’urgence prévue pour composer avec des situations où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employé soit blessé lorsqu’il sera exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Toutefois, il ne peut s’agir d’un danger qui fait partie intégrante des conditions de travail normales ou des conditions normales d’emploi. Cette déclaration, à elle seule, est lourde de conséquences pour les agents de correction. Étant donné que la probabilité de violence fait partie des conditions d’emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d’envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.

[91]  S’alignant sur cette proposition, l’intimé soutient que dans le « milieu carcéral », il est bien établi dans la jurisprudence que les possibilités pour un AC d’être aux prises avec des actes de violence, des agressions armées ou autres de la part des détenus sont toutes des conditions normales d’emploi « au sens du Code », ceci étant lié à l’imprévisibilité du comportement humain et au contexte particulier de se trouver dans un milieu carcéral.

[92]  Compte tenu de ce qui précède, l’intimé soutient donc que la date qui doit être prise en considération est celle du refus effectif de travailler, à savoir le 12 décembre 2017 (même si elle affirme également que le moment pertinent pour l’évaluation de la validité du refus de travailler doit englober la date de l’enquête de la déléguée ministérielle, qui est le 14 décembre 2017). Quoi qu’il en soit, l’intimé soutient qu’à la ou aux dates en question, les éléments de preuve présentés au Tribunal montrent clairement qu’il ne se passait rien d’extraordinaire à l’établissement et, en outre, que si les changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO avaient été mis en œuvre le 27 novembre 2017, le ou les employés ont travaillé pendant 2 semaines selon le nouvel horaire sans soulever de problème et le refus de travailler n’est intervenu que le 12 décembre 2017.

[93]  L’intimé fait valoir que les éléments de preuve présentés au Tribunal, y compris les témoignages de vive voix fournis par l’appelante, démontrent que rien d’extraordinaire ne se produisait dans l’établissement au moment du refus de travailler et qu’aucune préoccupation particulière n’avait été soulevée au sujet des détenus ou des activités de sécurité qui aurait pu entraîner un incident particulier, laissant comme seul motif du refus de travailler la modification de l’horaire de prestation des options de traitement du programme de TSO, modification qui avait été approuvée par le comité de santé et de sécurité le 21 novembre à la suite de sa réunion du 14 novembre 2017. L’intimé soutient finalement qu’après le refus de travailler, l’employeur a poursuivi la mise en œuvre des compléments d’effectifs révisés pour les aires de prestation des options de traitement du programme de TSO, les employés continuant à travailler aux postes qui leur avaient été attribués au cours des 3 dernières années sans qu’aucune preuve ne soit fournie d’un quelconque incident résultant de ce changement dans les effectifs de l’établissement.

[94]  L’intimé soutient que le refus de l’appelante de travailler n’est pas fondé sur une quelconque préoccupation concernant un détenu particulier ou une situation particulière se produisant dans l’établissement au moment du refus, mais plutôt sur la conviction que l’établissement devrait être doté d’un plus grand nombre d’agents pendant les heures de surveillance des aires de prestation des options de traitement du programme de TSO, et qu’en raison des niveaux de dotation existants, un danger pourrait se produire si des agents multifonctionnels étaient impliqués dans un incident nécessitant davantage qu’une intervention principale. Un tel risque hypothétique et spéculatif ne peut constituer un danger selon l’intimé, qui soutient que les éléments de preuve ne suggèrent pas qu’un tel incident est susceptible de se produire et que, de plus, la possibilité de redéployer le personnel au sein de l’établissement atténue un tel risque. Les scénarios et situations spéculatifs et hypothétiques qui sont dépeints par l’appelante, tels qu’ils sont tirés de l’expérience des employés dans l’établissement, soit ne relèvent pas du champ d’application du Code, soit ne peuvent constituer un motif de refus de travailler approprié, comme l’a souligné le Tribunal dans la décision Arva Flour Mills ltd. c. Matthews, 2017 TSSTC 2.

[95]  L’intimé fait valoir que le fait qu’il y ait simultanément la prestation de l’option de traitement à la méthadone, la surveillance du déjeuner et l’administration des médicaments rend les agents disponibles pour intervenir dans les UR lorsque l’on considère le plan d’intervention et les postes dynamiques qui ne sont pas statiques. Dans le même ordre d’idées et en ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’aire de surveillance des repas est à court de personnel lorsque les AC retournent à l’UR, l’employeur estime qu’au moment où un AC retourne à l’UR, la plupart des détenus ont terminé leur repas et qu’il reste des postes disponibles pour répondre à un incident qui pourrait survenir au sein de l’établissement. En outre, l’intimé soutient que l’appelante n’a pas démontré l’existence d’un comportement agressif à l’égard du personnel pendant le quart de travail du matin du 12 décembre 2017. Au contraire, il n’y a pas eu de troubles, pas de tensions particulières dans l’établissement et pas de menaces envers le personnel.

[96]  En ce qui concerne l’allégation de l’appelante selon laquelle plusieurs postes d’intervenants ne sont pas remplacés ou sont utilisés pour répondre aux besoins en matière d’adaptation des employés, l’intimé soutient qu’aucune preuve n’a été apportée que tel était le cas le jour du refus de travailler et ajoute que les employés faisant l’objet de mesures d’adaptation échangent leur poste avec des AC capables d’intervenir à leur place. Quant au risque d’agression de la part de détenus, l’intimé affirme que ce risque est atténué par l’utilisation d’avertisseurs portatifs (AP) et de radios portatives et de l’application de protocoles de patrouille qui exigent que les agents multifonctionnels effectuent des tournées en tandem et en contact permanent.

[97]  En ce sens, bien que le risque d’agression ne puisse jamais être totalement atténué, la personne interrogée estime qu’un agent supplémentaire dans l’établissement n’améliorerait pas l’atténuation des risques, en particulier lorsque la stratégie d’atténuation prévoit manifestement que lorsqu’une intervention tierce est nécessaire pour aider les agents multifonctionnels, le PPCC déploiera des agents supplémentaires pour aider à la situation, et que la sécurité dynamique (présence de personnel là où les détenus sont présents) assure des interventions prenant la forme d’observations, de communications et de promotions d’un comportement responsable. En bref, la personne interrogée est d’avis que l’atténuation des risques pour faire face à la violence et à l’imprévisibilité des comportements humains dans un établissement à sécurité moyenne est obtenue par le placement des détenus et la sécurité dynamique, et non par les niveaux de dotation.

[98]  Au centre de la position avancée par l’intimé se trouve la suggestion que ce que l’appelante prétend être un « danger » relève uniquement de la nature de dangers, conditions ou activités simples ou hypothétiques. Bien que les éléments de preuve présentés à l’audience aient pu établir que les détenus de l’établissement de Matsqui ont été condamnés pour des infractions violentes, le fait qu’ils soient classés en fonction d’antécédents démontrés de comportement prosocial et placés dans des établissements à sécurité moyenne tels que l’établissement de Matsqui, parce qu’ils présentent un risque moyen pour les employés et le public et qu’ils sont motivés à se conformer volontairement aux règles de l’établissement, permet d’atténuer le danger.

[99]  À cet égard, l’intimé note qu’aucun des employés ayant refusé de travailler ou l’appelante n’a soulevé de problème particulier lié au contact avec les détenus ou avec certains détenus au-delà de la simple conjecture, que ce soit lors de l’enquête de la déléguée ministérielle ou dans le cadre de leur témoignage ou de leurs observations devant le Tribunal. L’intimé soutient que pour que la déléguée ministérielle ou le Tribunal puisse conclure à l’existence d’un danger en vertu du Code, ce danger doit être [TRADUCTION] « réel et effectif » (actual and real) (Canada (Procureur général) c. Lavoie, [1998]  A.C.F. no 1285 (décision Lavoie)), plus que le risque inhérent au travail en cause, donc au-delà de ce qui serait déjà pris en compte dans les conditions normales de travail d’un AC, et être justifié.

[100]  L’intimé fait valoir que les préoccupations décrites lors de l’audition comprennent des scénarios spéculatifs qui ne se sont pas produits au moment du refus de travailler, qui ne se sont pas produits avant le refus de travailler et qui ne se sont pas produits depuis, et que ces risques hypothétiques ne peuvent raisonnablement pas être considérés comme un danger. Si l’inquiétude porte sur des dangers qui pourraient ne se matérialiser qu’à l’avenir, il incombe de démontrer qu’un tel événement aurait plus de chances qu’autrement de se produire à l’avenir. À cet égard, l’intimé soutient que les éléments de preuve versés au dossier ne sont que des spéculations et ne permettent pas de déduire qu’un incident se produira à l’avenir, ce qui ne constitue donc pas un danger.

[101]  En vertu du Code, un employé ne peut refuser de travailler lorsque le danger allégué représente une condition normale d’emploi, telle qu’un « risque résiduel » (voir la décision Stone), qui subsiste après que l’employeur a pris toutes les « mesures raisonnables » pour atténuer le risque. L’intimé fait valoir qu’il est bien établi par la jurisprudence que la possibilité qu’un AC soit aux prises avec des actes violents, des agressions armées ou autres de la part de détenus sont toutes des conditions normales d’emploi au sens du Code, liées à l’imprévisibilité du comportement humain et au contexte particulier du milieu carcéral, ce risque étant atténué par de nombreux contrôles, politiques et procédures de sécurité mis en place par l’employeur.

[102]  En conséquence, l’intimé soutient qu’en l’espèce, il n’y a aucune preuve que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des AC. Contrairement à ce que l’appelante a fait valoir, l’intimé soutient que toutes les mesures de protection mises en place par l’employeur constituent des mesures raisonnables visant à assurer la santé et la sécurité du personnel travaillant en présence de détenus dans l’établissement, tout danger résiduel étant une condition normale d’emploi.

[103]  En outre, l’intimé soutient que les politiques de l’employeur ainsi que la formation obligatoire dispensée aux AC et GC servent à empêcher que les risques décelés par l’appelante ne deviennent effectivement un danger. La personne interrogée décrit ces politiques comme un système complexe et interconnecté très efficace pour détecter, évaluer et contrôler en permanence les dangers et réduire les risques grâce aux activités quotidiennes du personnel au sein de l’établissement, guidé par les directives du commissaire et les ordres permanents et les processus locaux qui orientent la prise de décision à tous les échelons.

[104]  En ce qui concerne ces politiques, la personne interrogée souligne leur souplesse, pour autant que les mesures soient justifiables et jugées nécessaires. En plus de ces politiques, l’intimé soutient que la fourniture et l’utilisation obligatoire d’EPI (bottes de sécurité, gants, AP, radios, menottes, gaz poivré et gilet pare-lames) servent à réduire les risques, et sont justifiées par la présence des quelque 200 caméras couvrant l’établissement et sous la surveillance constante de l’agent du PPCC. À ce titre, et contrairement aux préoccupations soulevées par l’appelante, le GC en place pendant une urgence a le pouvoir d’ordonner à un agent occupant un poste précis ou à tout agent de l’établissement d’aider les agents multifonctionnels en cas de besoin. Dans l’ensemble, l’intimé soutient donc que, compte tenu de toutes les circonstances atténuantes existantes et des besoins de l’établissement, aucun danger n’existait au moment du refus de travailler.

[105]  En dernier lieu, l’intimé affirme que les refus de travailler ne visent pas à régler les différends politiques et, en affirmant ceci, elle suggère une limite à l’autorité d’un agent d’appel en déclarant qu’interjeter appel n’est pas un moyen de contester les [TRADUCTION] « décisions politiques de haut niveau du SCC ». L’intimé est d’avis que les appels doivent être propres aux circonstances et que le présent appel est une contestation de la politique en ce sens qu’il se fonde sur une affirmation générale selon laquelle la politique de dotation pour les quarts de travail du matin et du midi dans un établissement à sécurité moyenne devrait prévoir la présence des agents supplémentaires.

[106]  L’intimé trouve un appui à cet égard dans la décision de 2002 de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424 (arrêt Fletcher), et dans le jugement rendu par la Cour fédérale dans la décision Lavoie pour soutenir que le processus de refus de travailler devrait être réservé aux situations d’urgence et non utilisé comme un outil pour résoudre des désaccords de longue date. L’intimé estime que l’appelante, en l’espèce, conteste les décisions politiques de l’employeur relatives à la prestation des options de traitement du programme de TSO et les changements correspondants des structures de gestion du lieu de travail ainsi que l’interprétation par l’employeur de ses propres politiques de gestion et l’obligation de l’employeur de répondre aux besoins d’adaptation des employés. Sur ce dernier point, l’intimé soutient que le fait que les employés bénéficiant de mesures d’adaptation soient affectés à des postes particuliers n’est pas une question soulevée par l’appel et que cette question représente une remise en cause des procédures et des politiques générales qui n’est pas une question relevant du Code pouvant servir de base à un refus de travailler.

[107]  Dans l’ensemble, l’intimé conclut que, comme l’a déterminé la déléguée ministérielle, l’appelante n’a pas réussi, au stade actuel, à démontrer qu’il existait un danger réel dans l’établissement le 12 décembre 2017. Aucune circonstance unique n’a créé de risque au moment du refus de travailler, et les risques présents ont été correctement atténués par la formation, les politiques, les procédures et les pratiques ainsi que par les outils de communication mis à la disposition de l’appelante et des employés ayant refusé de travailler. L’intimé a donc conclu que tout risque restant était résiduel et faisait partie intégrante de l’environnement de travail, ce qui fait que le refus de travailler est, en substance, un désaccord global avec la politique.

[108]  En bref, l’intimé demande donc au Tribunal de parvenir à la même conclusion que la déléguée ministérielle Morden, à savoir que la modification des conditions de travail ne constituait pas une menace imminente ou grave, compte tenu des mesures d’atténuation en vigueur.

Réplique

[109]  L’appelante ne s’oppose pas à ce qu’une ordonnance de mise sous scellés soit rendue dans la présente cause et a suggéré d’inclure des pièces supplémentaires.

[110]  Comme on pouvait s’y attendre, l’appelante a fait valoir en réplique que l’intimé a commis une erreur dans sa suggestion du droit et de la jurisprudence applicables, et donc des critères que le soussigné devrait appliquer pour déterminer la ou les questions soulevées par le présent appel, notamment en ce qui concerne la définition de l’application de la conclusion de « danger » dans la présente cause et le critère d’interprétation approprié.

[111]  Compte tenu de l’origine de la présente cause, l’appelante considère comme une aberration la suggestion selon laquelle les critères de définition et d’interprétation applicables devraient être ceux qui ont précédé les modifications de 2014 apportées au Code par l’effet des dispositions transitoires qui en ont découlé, en particulier si l’on considère que la présente affaire a vu le jour après l’entrée en vigueur des modifications du Code et donc plus particulièrement, pour les besoins de l’espèce, l’entrée en vigueur de la définition modifiée du terme « danger ».

[112]  L’appelante soutient donc que le critère d’interprétation approprié est celui qui a été développé par le Tribunal dans la décision Ketcheson. L’interprétation de l’agent d’appel a été examinée avec l’approbation de la Cour fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Laycock, 2018 CF 750 (décision Laycock 2) dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit :

[9]  [...] Le retrait de la référence antérieure à une « situation, tâche ou risque [...] éventuel » ne modifie pas de manière significative la disposition actuelle. Les dispositions portent toutes deux sur les risques éventuels pour la vie ou la santé des employés exposés à une condition dangereuse.

[113]  Selon l’appelante, l’application pratique de ces termes employés par la Cour permettrait de comprendre que la jurisprudence développée depuis le jugement rendu par la Cour dans la décision Verville est applicable et donc, permet de prendre en considération le risque éventuel ou futur, ce qui ne serait pas le cas pour les décisions rendues avant la décision Verville puisque la définition de danger avant 2000 n’incluait pas les risques éventuels. Dans le même ordre d’idées, l’appelante estime que le fait de prétendre qu’un danger doit être « réel et effectif », comme le prétend l’intimé sur la base d’un précédent datant de 1998, constitue un critère d’une autre époque puisqu’il était fondé sur la définition du terme « danger » d’avant 2000.

[114]  Quant à l’affirmation continue de l’intimé selon laquelle il existe une ligne de visée entre l’aire d’administration des médicaments et l’aire de collecte de la cuisine ou des repas, ce qui améliorerait la capacité d’intervention ou de réaction, l’appelante soutient que cela représente une impossibilité physique, puisque les 2 endroits se trouvent à l’intérieur de bâtiments séparés qui ne sont même pas adjacents ou en face l’un de l’autre et que, par conséquent, un agent se trouvant à un endroit n’aurait absolument aucune vue sur l’autre endroit.

[115]  L’appelante qualifie également de fausse, comme l’attestent les éléments de preuve non contestés qu’elle a apportés, l’affirmation de l’intimé selon laquelle les aires de surveillance des repas ou d’administration des médicaments peuvent être fermées rapidement afin d’assurer une intervention rapide, et ajoute que, contrairement à ce que l’intimé a affirmé, les agents chargés des analyses d’urine et de surveiller l’aire d’admission et d’élargissement ne sont pas remplacés et sont souvent indisponibles pour répondre aux appels de l’aire de prestation des options de traitement du programme de TSO, que l’agent P17 dans l’aire des visites et de la correspondance est le plus souvent seul et n’a pas de vue sur l’agent P24 ou sur les agents chargés des analyses d’urine ou de surveiller l’aire d’admission et d’élargissement qui seraient dans le couloir, rien ne prouvant que ces agents ont une vue.

[116]  Se reportant à l’affirmation de l’intimé selon laquelle les quelque 200 caméras et plus réparties dans l’établissement représentent une mesure d’atténuation du danger, l’appelante fait une distinction entre le nombre de caméras et la capacité de surveillance d’un petit nombre d’entre elles seulement en temps réel par un agent du PPCC, comme cela a pu être observé à l’occasion lors de la visite sur place. De même, l’affirmation de l’intimé selon laquelle le même PPCC peut contrôler les cloisons pour isoler une zone problématique n’est vraie que dans le cas de la passerelle, laissant ainsi de côté les zones adjacentes ou les bâtiments tels que les UR, la cour, le gymnase, les centres d’artisanat et de bricolage des détenus ou les zones de travail.

[117]  Quant à la suggestion de l’intimé selon laquelle les employés et l’appelante ont fait usage de la procédure de refus pour contester la politique concernant l’aire ou les aires de prestation des options de traitement du programme de TSO, l’appelante considère que cela est non seulement offensant, mais non factuel, car la préoccupation porte véritablement sur l’exposition à un risque. L’appelante estime qu’en dehors de la suggestion, l’intimé n’a jamais vérifié l’intention de l’appelante lors de l’audience et n’a fourni aucune preuve à l’appui, ce qui rend cette suggestion inappropriée et sans fondement.

[118]  Quant à l’« algorithme » utilisé par le SCC pour déterminer les niveaux de personnel, l’appelante soutient que les preuves obtenues du propre témoin de l’intimé montrent que les niveaux ont été déterminés sans tenir compte des détails concernant les incidents ou les blessures, les agressions ou, d’une manière générale, la santé et la sécurité des employés. Notant qu’en fait, l’outil qu’est la norme de déploiement a été créé, il est vrai, pour normaliser/niveler le nombre d’agents dans les établissements, l’appelante soutient que le refus de travailler ne concernait pas les niveaux d’effectifs établis par la norme de déploiement.

[119]  Lorsque l’intimé a fait valoir que le danger est inhérent au travail de l’AC, conformément à sa description de poste qui fait référence à de nombreux risques, et donc que la décision d’absence de danger devrait être maintenue, l’appelante note que cet argument a été avancé à de nombreuses reprises devant le Tribunal, sans grand succès, et attire l’attention sur les propos de l’agent d’appel dans la décision Laycock qui exhortent à aller au-delà des termes de la description de poste :

[129]  Il est vrai que la description du poste d’agent correctionnel met en évidence les risques et les dangers inhérents au poste. Toutefois, à mon avis, l’analyse doit aller plus loin : la question est alors de savoir si l’appelant a, dans l’esprit de l’article 122.2 du Code, pris toutes les mesures appropriées pour minimiser ou atténuer cette menace particulière pour la santé ou la vie des employés, en acceptant le fait que le risque ne peut pas être complètement éliminé, à moins, bien sûr, dans l’affaire qui nous occupe, de retrouver le coupe-fil.

[120]  En ce qui concerne l’argument de l’intimé selon lequel ce refus de travailler était fondé sur une situation hypothétique, l’appelante répond d’abord que l’affaire ne repose pas sur des menaces purement hypothétiques et que ces menaces présentent un risque raisonnable de causer des blessures. En outre, l’appelante fait valoir qu’elle n’est pas tenue d’établir que les incidents et les préjudices subis en conséquence se sont produits exactement dans les mêmes circonstances que celles potentiellement invoquées dans la présente affaire.

[121]  En d’autres termes, si l’appelante affirme qu’il serait faux de prétendre que tel n’a pas été le cas et si elle prétend avoir été empêchée à tort d’en apporter la preuve a posteriori (refus de travailler) par les objections de l’intimé et une décision du soussigné à cet égard, l’appelante fait principalement valoir que pour satisfaire au critère, il n’est pas obligatoire de démontrer que des blessures ont été subies dans les mêmes circonstances que celles invoquées dans la présente affaire, un critère qui, selon l’appelante, appartient à une autre époque, et qu’il suffit d’établir un ensemble de faits dont on pourrait attendre qu’ils causent un préjudice plus qu’une simple possibilité.

[122]  La sécurité dynamique, qui se traduit par la présence de personnel là où les détenus sont présents, a été invoquée par l’intimé comme un concept important dans le milieu carcéral et qui fait partie d’un certain nombre de facteurs qui justifieraient un rejet du présent appel. L’appelant reconnaît l’importance du concept et convient que plus le personnel est présent, plus la sécurité dynamique est efficace. Toutefois, elle ajoute en réplique que la sécurité dynamique ne réprime pas tous les incidents de sécurité ni ne prévient les agressions, et que l’expérience n’a pas montré qu’il n’y a pas de relation entre le nombre d’intervenants et la gravité et la durée des incidents.

[123]  L’appelante est d’avis que des agents supplémentaires réduisent absolument le risque, position renforcée par la propre politique de l’employeur qui consiste à s’assurer de la présence d’un minimum de 2 agents circulant dans les rangées à tout moment. L’appelante soutient qu’il y a eu unanimité dans les témoignages des AC lors de l’audience quant au fait que la présence du personnel et le nombre d’agents sont des variables déterminantes pour raccourcir la durée d’un incident impliquant des actes de violence de la part des détenus contre des employés, un facteur qui est corroboré par les propres politiques de l’intimé sur l’usage de la force qui désignent la présence du personnel comme l’une des premières étapes du recours progressif à la force.

[124]  En formulant sa réponse, l’appelante fait également valoir un certain nombre d’éléments qui, selon elle, n’ont pas été contestés par l’employeur. Parmi ceux-ci, il y a le fait que les agents incapables d’intervenir (agents faisant l’objet de mesures d’adaptation) sont fréquemment affectés à des postes d’intervention, et que les agents chargés de déployer l’intervention (PPCC) ne savent pas quels sont ces agents et ces postes. Contrairement à ce qui a été suggéré par l’intimé, l’appelante ne conteste pas le droit des employés à bénéficier de mesures d’adaptation, mais plutôt le fait que des mesures d’adaptation dans un poste d’intervention représentent un danger dont la déléguée ministérielle aurait dû tenir compte dans sa décision, ceci étant rendu plus pertinent par le fait que les éléments de preuve ont démontré que les AC ne sont pas tenus de satisfaire à un niveau minimum d’aptitude.

[125]  L’appelante note également que l’intimé n’a pas contesté lors de l’audience que les changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO et l’ajout simultané d’autres activités des détenus ont entraîné une diminution du nombre d’intervenants disponibles, ni que cette dernière a contesté le nombre d’intervenants disponibles avant et après la prestation des options de traitement du programme de TSO, ni le fait qu’une partie importante des postes d’intervenants sont déjà affectés aux options de traitement du programme de TSO et ne sont pas occupés pendant la pause dîner ni équipés d’une radio pour être avertis de la nécessité d’intervenir, ce qui montre que le nombre d’intervenants sur papier ne correspond pas à la réalité.

[126]  En outre, l’appelante fait valoir que les modifications apportées au programme de TSO n’ont pas entraîné de révision du plan d’intervention, témoignage qui n’a pas été contredit, et que le document de l’intimé intitulé [traduction] « Premier agent sur les lieux de l’intervention », document générique dont l’incidence pratique est limitée, ne peut être considéré comme représentant un tel plan d’intervention, car il n’indique pas qui intervient et où, ce qui nuit à la tâche du PPCC qui doit envoyer les intervenants sur les lieux d’une alarme et qui manque de renseignements ou de directives claires sur qui appeler, compte tenu des rotations de postes, des pauses-dîner, de même que des affectations aux aires de surveillance des repas et d’administration des médicaments.

[127]  L’appelante soutient également en réplique que l’intimé n’a pas contesté qu’aucune mesure supplémentaire ou atténuante n’a été mise en place après les modifications de la prestation des options de traitement du programme de TSO. L’EPI, les politiques et les ordres permanents existaient tous auparavant et non seulement rien de nouveau n’a été mis en place, mais les témoignages des propres témoins de l’intimé ont démontré que les changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO n’ont pas entraîné l’examen, la discussion ou même la révision de la stratégie d’atténuation.

[128]  Sur ce dernier point concernant l’examen de la stratégie d’atténuation, l’appelante renvoie aux jugements rendus par le Tribunal dans 2 décisions particulières, Laycock et Zimmerman, en affirmant que toutes 2 défendent le même argument de la révision nécessaire des plans ou politiques d’atténuation. Dans la décision Laycock, l’agent d’appel a affirmé ce qui suit :

[123]  Comme je l’ai fait remarqué [sic] précédemment, les mesures d’atténuation que l’employeur a prises portent plus généralement sur le fonctionnement du pénitencier et sur des choses plus génériques, comme la sécurité statique et dynamique et le contrôle des déplacements des détenus. Par exemple, le système de classification des outils et les exigences de supervision correspondantes ainsi que les fouilles par palpation au détecteur de métal des détenus travaillant à l’atelier sont conçus pour atténuer le risque que des outils sortent de l’atelier. Il y a des clôtures et des caméras vidéo surveillant le périmètre et les zones intérieures de l’établissement, mais il existe des zones, comme celle dont il est question dans le présent appel, où il n’y a aucune surveillance vidéo et où un détenu pourrait accéder aux unités résidentielles ou passer un coupe-fil par la clôture sans être vu. Bien que les mesures de sécurité dynamiques se soient montrées efficaces, elles ne parviennent pas toujours à avertir efficacement de l’imminence d’une agression.

Il reste que, malgré ces mesures, le coupe-fil a disparu le 30 octobre 2014 et qu’il n’avait pas été retrouvé le jour du refus de travailler. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les diverses politiques et procédures, et les ordres permanents portant sur la sécurité dynamique et statique, le contrôle des déplacements des détenus et l’équipement de protection atténuent le risque de présence possible du coupe-fil dans l’établissement, entre les mains d’un détenu.

[129]  Constatant que l’existence générale de mesures générales ou génériques telles que les politiques, les ordres permanents et autres ne doit pas être remise en question, l’appelante cite les propos suivants de l’agent d’appel dans la décision Zimmerman :

[99]  L’intimé affirme qu’il y a peut-être du danger, mais que celui-ci est atténué par les facteurs suivants : l’unité d’habitation 1 est aménagée comme un vase clos et cette conception unique a pour effet de limiter les déplacements des détenus et d’accroître la sécurité dynamique; les politiques de SCC ainsi que les directives du commissaire, les ordres permanents, les consignes de postes et les descriptions de tâches permettent d’encadrer ce genre de situation; et les AC portent de l’équipement protecteur.

[100]  À cet égard, je constate que l’intimé n’a pas démontrer comment les nombreuses politiques et procédures, les nombreux ordres permanents relatifs à la sécurité dynamique, la gestion des déplacements des détenus, la formation des AC et l’équipement de protection individuelle porté par les AC permettent d’atténuer les conséquences de la non-transmission de l’alimentation en direct de la CCTV de l’unité d’habitation 1 au PPCC, surtout après qu’une agression ou un incident soit survenu en dépit de l’application de toutes les mesures de sécurité existantes. [...]

[130]  En guise de conclusion générale, l’appelante soutient par conséquent que l’on ne peut pas dire que l’intimé a pris toutes les mesures pour éliminer, réduire ou contrôler les risques. Selon l’appelante, si le nombre d’intervenants avait été rétabli à son niveau d’avant novembre 2017 ou si options de traitement du programme de TSO avaient été administrées à un autre moment, et non en même temps que la surveillance des repas, si l’administration des médicaments avait été révisée ou si les services infirmiers avaient été prolongés, alors l’employeur aurait pu potentiellement faire valoir que le risque était résiduel, ce qui n’est pas le cas, comme cela a été démontré.

Analyse

Ordonnance de mise sous scellés

[131]  Avant d’aborder le bien-fondé de l’affaire, j’aborderai la demande conjointe des parties visant à obtenir une ordonnance de mise sous scellés de certaines pièces contenant des renseignements confidentiels liés aux opérations de sécurité des établissements correctionnels fédéraux.

[132]  Le critère juridique applicable établi par la Cour suprême du Canada et réaffirmé dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. prévoit ce qui suit :

[26]  [...] une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :

  1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
  2. ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

[133]  En appliquant ce critère à la présente affaire, j’estime que les avantages du maintien de la confidentialité des éléments de preuve demandés l’emportent sur les effets néfastes sur les droits des parties et du public.

[134]  En conséquence, je rends par la présente une ordonnance scellant les pièces suivantes : E-1 (onglets 1, 2 et 9), E-2 (pages 81 à 94, ordre permanent sur les interventions en cas d’alarme), E-3 (onglet 18), E-4 et E-7.

Fond

[135]  Les appelants ont exercé des refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code :

[136]  Ce paragraphe est rédigé ainsi :

128 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

  1. l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
  3. l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[137]  En l’espèce, le danger invoqué concerne une condition sur le lieu de travail, cette condition étant, pour reprendre les termes de la déléguée ministérielle, la [TRADUCTION] « pratique consistant à administrer les options de traitement au Suboxone et à la méthadone du programme [de TSO] à des moments distincts », que les employés et l’appelante ayant refusé de travailler considèrent [TRADUCTION] « dangereuses, car cela ne prévoit pas la disponibilité d’un nombre suffisant de membres du personnel pour intervenir en cas d’urgence pendant les périodes où les options de traitement sont administrées ».

[138]  J’aborderai d’abord 2 questions soulevées par l’intimé, dont la résolution influe directement sur l’issue du présent appel, de mon point de vue. La première question concerne la définition du terme « danger » dans le Code, et plus particulièrement le critère applicable à l’analyse de l’existence d’un « danger » tel que défini dans le Code dans les circonstances qui ont été décrites comme ayant donné lieu au refus de travailler par l’appelante.

Le critère applicable pour déterminer l’existence d’un danger

[139]  Il va de soi que mon examen de cette question particulière n’a pas pour but de formuler une interprétation qui s’appliquerait uniquement à la présente cause. Il ressort clairement des observations des parties que toutes 2 partagent l’avis qu’au moment du refus de travailler en l’espèce, la définition du terme « danger » qui a été appliquée était celle qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014, au moyen des modifications apportées au Code par la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40). Cette législation contenait des dispositions transitoires relatives aux modifications apportées au Code par cette loi qui prévoyait, sous le titre « Procédures pendantes », que :

199. (1) Le Code canadien du travail, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du présent article, s’applique à :

  1. toute procédure — commencée avant cette entrée en vigueur — à l’égard de laquelle un agent de santé et de sécurité ou un agent régional de santé et de sécurité peut, sous le régime de la partie II de cette loi dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur, exercer des attributions;
  2. toute procédure — commencée avant cette entrée en vigueur — relative à un refus de travailler sous le régime des articles 128 à 129 de la même loi, dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur.

[Soulignement ajouté]

[140]  C’est en ce qui concerne le sens et l’incidence de la disposition ci-dessus, et en particulier les mots de la disposition que j’ai soulignés, que les parties ne s’entendent plus. En ce qui concerne l’intimé, s’il a reconnu dans ses observations que la définition de « danger » en vigueur au moment du ou des refus de travailler était la définition actuelle (postérieure à 2014), il a, de manière tout à fait inexplicable selon le soussigné, tiré de la disposition transitoire précitée la conclusion que le législateur avait voulu, par cette disposition, que l’ancienne définition (antérieure à 2014) de « danger » continue de s’appliquer aux procédures existantes « comme les appels examinés dans la présente affaire » [c’est moi qui souligne] et que, par conséquent, les révisions ultérieures (2014) de la définition et des critères d’interprétation du terme « danger » élaborés à la lumière de cette définition de 2014 ne s’appliqueraient pas en l’espèce, ce qui amène l’intimé à conclure que les « anciens » critères d’interprétation (antérieurs à 2014) continueraient de s’appliquer.

[141]  J’ai fait le commentaire ci-dessus selon lequel la conclusion à laquelle est parvenu l’intimé était tout à fait inexplicable pour moi, pour la raison que lorsque la disposition transitoire de 2014 parle de « procédures existantes », sous le titre « Procédures pendantes », cela ne pouvait à mon avis pas s’appliquer à la présente affaire puisque le refus de travailler qui a finalement conduit au présent appel est survenu le 12 décembre 2017, soit quelque 3 ans après l’entrée en vigueur de la définition de 2014 et cela, par conséquent, ne pouvait pas être considéré comme étant des « procédures existantes » au sens de la disposition transitoire et, donc, le critère d’interprétation élaboré concernant la définition de « danger » d’avant 2014 qui s’appliquerait à l’interprétation des « procédures existantes », ne peut pas être appliqué dans le cas de procédures qui ne satisfont pas au sens de l’expression « procédures existantes » dans la disposition transitoire.

[142]  Toutefois, si l’on peut assez facilement conclure que l’intimé a commis une erreur en suggérant d’interpréter ou d’examiner la présente affaire et les faits et circonstances de celle-ci en utilisant un critère défini dans le cadre d’une législation qui ne s’applique plus, il faut néanmoins aussi admettre que l’intimé ne s’est pas entièrement trompé lorsqu’il a suggéré que, pour évaluer la possibilité d’un préjudice dans les circonstances constatées ou soulevées par le refus de travailler, il faut garder à l’esprit la distinction nécessaire à observer entre la simple possibilité et la possibilité raisonnable de survenance d’un dommage, distinction établie par la Cour fédérale dans la décision Verville; cette décision, rendue avant la définition de danger de 2014, conserve, selon ce que la même Cour a estimé dans la décision Laycock 2, une certaine légitimité en vertu de la nouvelle définition en fournissant des indications utiles pour l’interprétation de la notion d’« attente raisonnable » qui est au cœur de la définition actuelle du terme « danger ». Dans cette décision, la Cour a reconnu que la notion de risque ou de situation éventuel qui était présente dans la définition antérieure à 2014 avait été supprimée dans la présente définition, mais a déclaré que cela « ne modifie pas de manière significative la disposition actuelle », puisque les 2 définitions concernent les risques éventuels pour la vie ou pour la santé des travailleurs exposés à une situation dangereuse.

[143]  Compte tenu de ce qui précède, il ne fait donc aucun doute que la définition de 2014 doit s’appliquer pour déterminer si la situation décrite dans les éléments de preuve présentait un danger et que le critère à appliquer pour cette détermination est celui qui a été élaboré dans la jurisprudence du Tribunal postérieure à 2014, notamment dans la décision Ketcheson, comme le soutient l’appelante. Dans cette décision, l’agent d’appel a noté la différence quant à la nature entre la définition antérieure à 2014 et celle postérieure à 2014, ajoutant que la nouvelle définition ajoute à la notion de probabilité un délai pour cette probabilité :

[193]  La jurisprudence établie pendant la période comprise entre 2000 à 2014 comporte de nombreuses expressions de probabilité : « plus probable qu’improbable »; « probable »; « possibilité raisonnable »; « simple possibilité ». Le laps de temps pendant lequel la probabilité doit être évaluée était toutefois rarement mentionné : le jour du refus de travailler; l’avenir prévisible le jour du refus de travailler; une année à compter du refus de travailler? Est-ce qu’une chose est probable? Il peut être presque certain qu’une chose se produise au cours des cinq prochaines années, raisonnablement prévisible qu’elle se produise dans la prochaine année, mais qu’il n’y ait qu’une simple possibilité qu’elle se produise dans les cinq prochaines minutes. [...]

[144]  C’est la conclusion de l’agent d’appel dans la décision Ketcheson, à laquelle je souscris, que le délai de probabilité a été atteint dans la définition en établissant une distinction entre la menace imminente et la menace sérieuse. Dans cette même décision, l’agent d’appel a également noté que la nouvelle définition de danger tient compte de 2 types de « danger » qui comportent « tous 2 des risques élevés, mais pour des raisons différentes », ajoutant à la notion de délai précédemment mentionnée le concept de gravité du préjudice, concluant généralement que « [d]ans le contexte du reste du Code, un “danger” est une cause directe de préjudice plutôt qu’une cause profonde ».

[145]  Compte tenu de ce qui précède, il ne fait aucun doute, à mon avis, que le critère juridique à appliquer aux faits de la présente affaire en vue de déterminer si l’appelante a été exposée à un danger, tel qu’il est actuellement défini dans le Code, peut être énoncé comme suit :

  1. Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?
    1. Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
    2. Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il ou pourrait-elle vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
  2. La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

Politique de dotation

[147]  L’intimé a également fait valoir que le présent appel a été introduit pour des raisons qui n’ouvrent pas la porte à un appel, à savoir, selon les termes de l’intimé, [TRADUCTION] « une affirmation générale selon laquelle la politique de dotation pour les quarts de travail du matin et du midi dans un établissement à sécurité moyenne devrait prévoir la présence d’agents supplémentaires », alors que les appels doivent être propres à chaque circonstance. L’intimé fait valoir qu’un appel ne peut pas servir de moyen de contestation des décisions politiques de haut niveau du SCC.

[148]  Je m’empresse de noter ici que, alors que l’intimé a présenté l’affaire en cause comme une revendication générale concernant la politique de dotation pour les quarts de travail du matin et du midi dans un établissement à sécurité moyenne et l’assimilant à une décision politique de haut niveau du SCC, la déléguée ministérielle Morden a, avec plus de réserve et de précision, à mon avis, décrit l’affaire comme concernant la pratique mise en place à l’établissement de Matsqui et dans ses murs d’administrer les options de traitement du programme de TSO à des moments distincts, une pratique qui n’a pas été généralisée dans l’ensemble du SCC, du moins au moment du refus de travailler, puisqu’il apparaît, encore là comme l’attestent les témoignages, que l’établissement de Matsqui a été parmi les premiers, sinon le premier, à prendre des mesures localement pour répondre à la demande du SCC faite auprès des établissements d’élaborer leurs propres mesures ou procédures pour éliminer ou réduire les listes d’attente du programme de TSO, et qu’aucune preuve n’a été présentée quant à savoir si le même type de mesures que celles prises à l’établissement de Matsqui a été pris ailleurs.

[149]  Si la résolution de cette apparente divergence de perception ne doit pas reposer uniquement sur la sémantique, compte tenu de l’utilisation par l’intimé de l’expression « politique de dotation », il convient d’être clair quant à la signification correcte du mot « politique », un mot souvent utilisé pour qualifier une grande variété de termes. Ainsi, dans le Canadian Oxford Dictionary, le terme « politique » est défini comme [TRADUCTION] « un plan ou une ligne d’action adopté ou proposé par un gouvernement, un parti politique, une entreprise ou une personne ». À partir de cette définition, on peut d’abord désigner comme « politique » générale le programme de TSO du SCC (Lignes directrices spécifiques pour le traitement de la dépendance aux opiacés, avril 2015), et plus précisément l’ordre permanent 800.1 de l’établissement de Matsqui, sous le titre « Programme de traitement de substitution aux opiacés », et qui a pour objectif de fournir des programmes et des services conformément aux Lignes directrices précises du SCC mentionnées précédemment, et aussi de définir clairement le processus et les procédures d’administration dudit programme de TSO à l’établissement de Matsqui.

[150]  Il est important de noter qu’aucune de ces soi-disant « politiques » n’est contestée par l’appelante et, plus important encore, le programme de TSO avait été mis en œuvre dans l’ensemble du SCC pendant une période considérable avant la décision du SCC de réduire ou d’éliminer les listes d’attente pour la participation audit programme de la manière déterminée par les établissements de façon individuelle. Dans ce dernier document, le seul poste d’AC qui est mentionné est le poste P-17, et ce, pour la raison évidente que ledit poste/personnel fait clairement partie du programme et est essentiel à son exécution. Aucun de ces documents ne fait mention de l’affectation ou du déploiement de personnel dans l’ensemble de l’établissement lors de l’exécution du programme de TSO à l’établissement de Matsqui qui, pour reprendre les termes de l’intimé, est à la discrétion du GC local; cette décision s’écarte largement des décisions politiques de haut niveau qui, selon l’intimé, sont contestées par l’appelante.

[151]  L’intimé cite à l’appui de cet argument la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fletcher, qui, selon l’intimé, a jugé que ni l’agent de santé et sécurité [(ni la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission)] ne pouvaient envisager une « politique de dotation minimale » puisque le mécanisme prévu par le Code prévoyait une enquête précise d’établissement des faits pour traiter une situation précise qui n’était pas destinée à devenir une tribune d’analyse d’une politique de l’employeur, indépendamment du fait que ledit arrêt a été jugé en fonction d’une version du Code et donc, d’une définition de « danger » antérieure aux modifications apportées à cette législation en 2000 et, par conséquent, très différente de la législation actuelle dans les termes qu’elle emploie et leur signification, et indépendamment de la question de savoir si le refus de travailler de l’appelante se rapporte à une politique de dotation ou constitue une contestation d’une politique de l’employeur, qu’il s’agisse de dotation minimale ou autre.

[152]  En se rapportant à l’arrêt Fletcher pour appuyer ses dires, l’intimé n’a pas précisé que, tout en confirmant en fait que le droit de refuser de travailler est un droit limité devant être exercé conformément au contexte particulier d’une affaire et non destiné à être utilisé comme un outil pour obtenir une décision d’un agent de santé et sécurité (comme le Code les désignait à l’époque), ce avec quoi je suis d’accord, la Commission (qui était compétente à l’époque) et même la Cour d’appel fédérale (la majorité) avaient choisi de ne pas se prononcer lorsqu’une politique, dans cette affaire, une politique de « dotation minimale », n’avait pas été mise en œuvre au moment de l’enquête, et donc, aucun moyen ou mode d’application n’avait été formulé ou établi, ce qui exclut de ma compétence, à tout le moins de façon non concluante, l’examen de la contestation d’une « politique » de l’employeur lorsqu’elle comporte des éléments de santé et de sécurité au travail, la Cour ne se prononçant même pas sur la question de savoir si un agent de santé et sécurité a été privé d’exercer sa compétence. Selon les propres mots de la Cour :

[22]  [...] Un agent de sécurité pourrait-il conclure qu’une politique qui n’est pas appliquée au moment de l’enquête constitue néanmoins un « danger », donnant ainsi à un employé le droit de refuser de travailler parce que l’employeur est de mauvaise foi ou parce qu’il est vraisemblable que la politique sera appliquée dans un avenir proche? C’est là un point qu’il n’est pas opportun de décider, car il ne se pose pas dans le cas qui nous occupe. [...]

[153]  Cela étant dit, la question en cause n’est pas, à mon avis, une question de « dotation minimale », comme le prétend l’intimé, ni d’affectation de personnel pour surveiller la prestation du programme de TSO préétabli par la politique, mais plutôt une question concernant une condition potentiellement créée par la modification, décidée localement, de la méthode de mise en œuvre dudit programme qui pourrait avoir des répercussions négatives sur le personnel de l’établissement et donc sur la partie de ce personnel (employés et appelante) qui refuse de travailler.

[154]  Étant donné la nature et le fonctionnement d’un établissement carcéral, il n’est pas réaliste d’envisager une séparation ou une distinction complète entre les éléments de santé et de sécurité et les aspects de l’administration qui sont liés d’une manière ou d’une autre à la politique. Toutefois, lorsque ces éléments et aspects concernent l’organisation du travail qui peut évidemment se rapporter à l’affectation locale, voire à la répartition du personnel, laquelle est clairement liée à la sécurité de l’établissement, et par extension, à la sécurité du personnel, ils peuvent faire l’objet d’un refus de travailler et d’un appel compte tenu de la définition de « danger » et de son élément temporel. À mon avis, il n’y a donc aucune validité à l’argument soulevé par l’intimé pour empêcher un réexamen de la présente affaire en appel.

Menace sérieuse

[155]  Cela étant dit, et après avoir dûment noté que l’appelante ne prétend pas que le refus de travailler était fondé sur l’existence d’une menace imminente, la question qui reste à poser, selon le critère de la décision Ketcheson, est de savoir si la condition soulevée par le refus de travailler pouvait être considérée comme une menace grave pour la vie ou la santé de l’appelante et, dans l’affirmative, si cette condition pouvait être corrigée avant de devenir une menace.

[156]  En résumé, les parties ne contestent généralement pas les faits circonstanciels de l’affaire – ces faits ont été décrits à la fois à la déléguée ministérielle Morden et par elle et lors de l’audience d’appel. En résumé, et sans vouloir simplifier à l’excès la position de chacune des parties vis-à-vis de ces faits, l’appelante soutient que ces faits illustrent un changement de la situation de travail susceptible de générer une menace pour sa santé et sa sécurité, car cette situation n’a pas été évaluée ou analysée, alors que pour l’intimé, sa position générale est que l’ensemble des systèmes, des méthodes, des équipements, du personnel et des politiques mis en place pour répondre à un danger et à une menace, qui étaient en place avant les changements dans la prestation du programme de TSO et qui n’ont pas été modifiés par rapport aux changements dans la méthode d’exécution du programme de TSO, est suffisant pour atténuer l’occurrence d’une telle menace, qu’elle soit minimale ou grave. Bien que je n’aie pas l’intention de passer en revue de manière supplémentaire et détaillée les faits qui caractérisent la situation et qui ont été longuement décrits dans le rapport de la déléguée ministérielle Morden ainsi qu’à l’audience d’appel et par les 2 parties dans leurs observations, il y en a toutefois un certain nombre dont j’ai pris note en particulier.

[157]  Pour commencer, il ressort clairement du rapport de la déléguée ministérielle ainsi que des éléments de preuve reçus lors de l’audience que la décision du SCC de faire supprimer les listes d’attente du programme de TSO à court préavis a laissé peu de temps aux établissements individuels, comme celui de Matsqui, pour élaborer leur plan à cette fin et, par conséquent, pour l’établissement de Matsqui, bien qu’une certaine consultation du comité de santé et de sécurité ait eu lieu, conformément aux témoignages entendus lors de l’audience, et il y a à ce sujet une différence d’opinion quant à l’ampleur de celle-ci entre ce que la déléguée ministérielle a déclaré dans son rapport d’enquête et la position formulée par l’appelante, il est clair qu’aucune analyse commune des dangers ou des risques n’a été menée pour évaluer l’incidence de ces changements.

[158]  Il convient de noter que lorsque la déléguée ministérielle Morden indique que l’établissement de Matsqui a été mandaté au début du mois d’octobre 2017 pour traiter la question de la ou des listes d’attente avant le 15 octobre 2017, dans ses observations écrites, l’appelante note le contraire, en indiquant que la décision d’éliminer les listes d’attente est intervenue au début du mois de novembre 2017, avec une date d’entrée en vigueur au plus tard le 16 novembre 2017. Quoi qu’il en soit, ce qui ressort des faits, c’est la brièveté du délai d’élaboration d’un plan, qui sert à illustrer, jusqu’à un certain point, le sentiment d’urgence qu’il y a à traiter la question.

[159]  En outre, la dernière division de la prestation des options de traitement du programme de TSO qui a été mise en œuvre n’était pas la seule qui avait été initialement suggérée, la ou les suggestions précédentes, à d’autres moments de la journée, ayant été rejetées par la direction, même si cela avait signifié la disponibilité d’un personnel d’intervention plus ou moins disséminé, parce que le changement de prestation des options de traitement ne pouvait pas avoir d’incidence sur d’autres aspects du fonctionnement de l’établissement, y compris les niveaux de personnel, le fonctionnement du Corcan ou les horaires de travail des soins de santé/médicaux (infirmiers), pour ne citer que ceux-là.

[160]  Les parties, et principalement l’appelante, ont discuté à plusieurs reprises du nombre de membres du personnel CX ayant des fonctions ou des capacités d’intervention au sein de l’établissement aux heures de prestation du programme de TSO, mais à aucun moment elles n’ont non plus indiqué quel est l’effectif total des CX au sein de l’établissement, laissant le soussigné se rabattre sur les chiffres énoncés dans le rapport de la déléguée ministérielle Morden, qui fixe le nombre de postes CX au sein de l’établissement à 36. Parmi ceux-ci, le rapport indique que 10 d’entre eux sont des postes statiques qui ne répondent pas aux incidents en dehors de leur lieu d’affectation, laissant en principe 26 postes mobiles, un nombre difficilement conciliable avec les différents intervenants disponibles mentionnés par les 2 parties comme pouvant intervenir à divers moments.

[161]  Quoi qu’il en soit, la déléguée ministérielle Morden et les 2 parties ont un point de vue commun : sur les 26 postes restants (ou peut-être un peu moins), certains peuvent ne pas être en mesure d’intervenir ou d’intervenir à temps, soit parce que certains sont en dehors de l’établissement pour des tâches d’escorte (2), soit parce qu’ils ne peuvent pas intervenir parce qu’ils font l’objet de mesures d’adaptation pour des raisons médicales (dans ce cas, le nombre de ces postes passe d’un agent à éventuellement un tiers des postes d’intervention, ce qui n’est pas contesté par l’intimé) ou certains postes tels que les postes P-9 supervisant une suerie dans l’aire de sudation, donc à l’extérieur du bâtiment même si elle se trouve dans le périmètre de la réserve, les postes P-17 lorsqu’ils observent les détenus dans l’aire des visites et de la correspondance, un agent affecté aux détenus à risque qui attendent de recevoir leurs médicaments aux termes du programme de TSO, ou même des agents en pause dîner à l’extérieur du bâtiment, mais dans le périmètre, et qui peuvent ne pas être munis de radios.

[162]  J’ai trouvé particulièrement intéressant le fait, non contesté par l’intimé, que les officiers faisant soi-disant l’objet de « mesures d’adaptation », qui ne peuvent pas intervenir en cas d’urgence, sont souvent affectés à des postes d’intervenants principaux et secondaires, dont le nombre et l’identité sont inconnus des AC qui dirigent le PPCC et qui sont chargés de déployer des intervenants en cas d’urgence. Bien que je reconnaisse que les agents faisant l’objet de mesures d’adaptation qui sont incapables d’intervenir peuvent échanger leur poste avec un poste de non-intervention, comme le soutient l’intimé, il s’agit à mon avis d’une situation génératrice de retards, donc, de risques, si l’on considère l’environnement, et aussi le fait, comme le soutient l’appelante, que les agents de la PPCC peuvent ne pas avoir connaissance d’un tel échange.

[163]  L’argument principal de l’appelante est que le passage à 2 options de traitement distinctes du programme de TSO a eu pour conséquence de réduire le nombre d’intervenants disponibles, principalement, mais pas uniquement, pendant la prestation de l’option de traitement du programme de TSO de midi et lors de la pause dîner des agents, les éléments de preuve à cet égard, non contestés, établissant qu’avant le changement de prestation des options de traitement, 23 intervenants (à l’exclusion de ceux mentionnés précédemment comme étant incapables d’intervenir) étaient disponibles, alors que le nombre a été réduit à 20, puis remonte à 24 lorsque les déplacements des détenus cessent, la prestation de l’option de traitement du programme de TSO étant terminée, tout comme la surveillance des repas et l’administration des médicaments) et que les détenus assistent à leur programme, ou sont retournés dans leur unité et qu’ils sont sécurisés dans leur cellule ou derrière la cloison.

[164]  Il semblerait également que certaines activités ou certains programmes pour les détenus soient menés avec la présence d’un nombre moins élevé d’AC qu’avant le 27 novembre 2017. La déléguée ministérielle Morden a indiqué dans son rapport, et cela a été confirmé lors de l’audience d’appel, que le SCC utilise un algorithme pour déterminer le nombre d’AC nécessaire pour doter l’établissement en personnel. Comme on peut le déduire des témoignages entendus lors de l’audience, il s’agit d’une méthode de base appliquée à l’échelle nationale pour déterminer et normaliser le niveau des ressources nécessaires pour satisfaire le niveau de sécurité d’un établissement en fonction du niveau de sécurité désigné pour cet établissement, mais non pour déterminer la capacité d’un établissement donné à intervenir en cas d’incidents ou d’alarmes.

[165]  L’appelante a également fait valoir, ce que l’intimé n’a pas contesté pour l’essentiel, que non seulement il peut y avoir moins d’intervenants disponibles à certains moments de la prestation du programme de TSO, et là encore la prestation du midi de l’option de traitement du programme de TSO semble plus directement concernée, mais aussi que les postes d’intervention peuvent parfois être plus disséminés dans tout l’établissement, ce qui pourrait nécessiter plus de temps pour intervenir en cas d’alarme. À cet égard, les éléments de preuve reçus de l’intimé dans le cadre du témoignage du sous-directeur, Opérations de sécurité du SCC indiquaient que, du point de vue de l’intervention en cas d’alarme, il appartient au directeur d’un établissement d’élaborer des ordres permanents pour l’intervention principale et secondaire face aux alarmes et qu’à cet égard, certains établissements ont élaboré des procédures d’intervention qui évitent aux agents d’avoir à sillonner tout un établissement, ce qui ne semble pas avoir été fait à l’établissement de Matsqui.

[166]  L’appelante a beaucoup insisté sur le fait que, outre le fait qu’il y a moins d’intervenants, il arrive qu’un certain nombre d’entre eux ne soient pas disponibles pour intervenir pour diverses raisons autres que médicales, et que leur poste n’est pas nécessairement pourvu pour tenir compte de cette indisponibilité. Par exemple, des témoignages non contestés ont fait état d’AC désignés pour intervenir qui se trouveraient déjà dans les aires de prestation des options de traitement du programme de TSO, de surveillance du dîner, d’admission et d’élargissement et dans l’aire des escortes ainsi que d’un agent P9 assistant à une cérémonie de la suerie 2 ou 3 fois par semaine et même d’un agent P17 supervisant les détenus qui ont reçu la médication en vertu du programme de TSO.

[167]  En ce qui concerne les précédents, on peut assurément conclure que tous ces éléments ne se produisent pas nécessairement en même temps à chaque fois. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, le soussigné a eu l’occasion de participer à une visite complète du site de l’établissement le premier jour de l’audience et, de cette manière, tout en ne tirant pas la conclusion que la situation qui prévalait au moment de la visite pouvait être considérée comme reproduisant la situation qui prévalait au moment du refus de travailler et de l’enquête, on peut confirmer que ces éléments étaient réalistes. À l’occasion de cette visite, le soussigné a vu l’agent P9 assister à la cérémonie de la suerie sur un site éloigné du bâtiment principal de l’établissement et il était donc empêché d’intervenir, 2 agents dînant à l’extérieur dans le périmètre et qui ne semblaient pas porter de radio, 2 agents ramenant de l’aire de prestation des options de traitement du programme de TSO en vue de l’escorter un détenu transféré dans un établissement à sécurité maximale.

[168]  Cette visite a également permis au soussigné de se promener le long de ce qui est appelé dans le rapport de la déléguée ministérielle Morden le couloir extérieur situé entre la cuisine des détenus et l’aire des soins de santé et de vérifier ainsi l’exactitude des affirmations de l’appelante selon lesquelles il s’agit de 2 « bâtiments » distincts, et l’exactitude partielle du rapport de la déléguée ministérielle selon lequel ces 2 lieux/« bâtiments » sont visibles l’un par rapport à l’autre tout en confirmant que d’un endroit, l’un ne peut pas voir l’intérieur de l’autre, ce qui se traduit par une faible visibilité entre les 2 emplacements des postes. Cette même visite a également permis au soussigné de s’assurer, contrairement à la conclusion de la déléguée ministérielle Morden selon laquelle l’administration des médicaments peut être fermée rapidement, l’aire étant fermée lorsque l’agent surveillant la prestation est appelé à intervenir à un autre endroit de l’établissement, que cela peut ne pas être le cas, car cette fermeture doit être autorisée et que les détenus se trouvant dans l’aire pour recevoir leurs médicaments doivent être renvoyés dans un endroit sécurisé et ne pas être laissés à eux-mêmes en train de flâner sans surveillance.

[169]  Compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés ou qu’elle a obtenus grâce à son enquête, la déléguée ministérielle Morden a d’abord conclu à la possibilité qu’il existe une condition dangereuse dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle représente une menace, s’exprimant ainsi :

[TRADUCTION] Dans le cas où un incident se produit dans une autre aire de l’établissement pendant la prestation des options de traitement du programme de TSO qui nécessite une intervention secondaire, un retard peut se produire lorsqu’une demande d’intervention secondaire est lancée, ce qui peut entraîner une condition dangereuse (source de préjudice). On peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une menace existe dans des circonstances précises lorsqu’un agent de l’établissement est impliqué dans un incident qui nécessite l’assistance du personnel et que celui-ci n’est pas immédiatement déployé sur les lieux.

[170]  Ce risque (« condition dangereuse ») est clairement l’intervention tardive à une demande d’assistance, certes dans les circonstances précises de la prestation en cours des options de traitement du programme de TSO, considérée comme une source de préjudice. Dans cette première étape de sa conclusion, la déléguée ministérielle Morden a simplement fait référence au concept singulier de « menace » sans qualificatif. De ce point de vue très limité et compte tenu des éléments de preuve fournis au soussigné lors de l’audience, je conclus que la déléguée ministérielle Morden n’a pas commis d’erreur en arrivant à cette conclusion. Toutefois, pour qu’une menace constitue un « danger » au sens du Code, elle ne peut pas représenter uniquement un concept autonome et doit pouvoir être qualifiée d’« imminente » ou de « sérieuse ».

[171]  La notion de menace telle qu’elle figure dans la définition de danger a été examinée en détail par les agents d’appel dans les décisions Ketcheson et Keith Hall and Sons Transport Limited. L’agent d’appel a précisé ce qui suit dans la décision Ketcheson :

[198]  Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (1993), le mot « threat » est défini comme suit [TRADUCTION] : « une personne ou une chose considérée comme étant susceptible de causer un préjudice ». On peut donc dire que, selon cette définition, la menace indique la probabilité d’un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des menaces et d’autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible probabilité ou de sa faible gravité, n’est pas une menace. La probabilité et la gravité doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une menace. Il est clair qu’un risque faible n’est pas un danger. Un risque élevé est un danger.

[172]  Il est intéressant de noter que si l’agent d’appel en l’espèce a fondé son raisonnement sur la définition du mot « threat » dans la version anglaise du Code, ce mot est rendu dans la version française par le mot « menace », qui est défini ainsi dans Le Petit Larousse Illustré : « parole, geste, acte par lesquels on exprime la volonté qu’on a de faire du mal à quelqu’un » et « signe, indice qui laisse prévoir un danger », et dans Le Petit Robert : « signe par lequel se manifeste ce qu’on doit craindre de quelque chose », définitions qui peuvent clairement soutenir le même raisonnement que celui qui a été appliqué au terme « menace » dans la décision Ketcheson.

[173]  Dans le même ordre d’idées, dans la décision Keith Hall & Sons Transport Limited, l’agent d’appel a fait les commentaires suivants :

[40]  Il convient également de noter que le concept d’attente raisonnable (c’est-à-dire, les mots « pourrait vraisemblablement ») demeure inclus dans la définition modifiée. Tandis que l’ancienne définition exigeait que l’on tienne compte des circonstances aux termes desquelles une situation, une tâche ou un risque est susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, la nouvelle définition exige plutôt que l’on examine si la situation, la tâche ou le risque pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée. À mon avis, pour conclure qu’il y a présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait plus qu’une menace hypothétique. Une menace n’est pas hypothétique si elle peut vraisemblablement causer un préjudice, ce qui signifie, dans le contexte de la Partie II du Code, qu’elle peut causer des blessures à des employés ou les rendre malades. »

[41]  Pour qu’il y ait présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait une possibilité raisonnable que la menace alléguée se matérialise, c’est-à-dire que la situation, la tâche ou le risque causeront bientôt des blessures à une personne ou la rendront malade (en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures) dans le cas d’une menace imminente; ou qu’elle causera des blessures sévères à une personne ou la rendra gravement malade à un moment donné dans l’avenir (que ce soit dans les jours, les semaines ou les mois, voire peut-être les années, à venir) dans le cas d’une menace sérieuse. Il convient de mettre l’accent sur le fait que, dans le cas d’une menace sérieuse, il faut évaluer non seulement la probabilité que la menace puisse entraîner un tort, mais également la gravité des conséquences indésirables potentielles de la menace. Seules les menaces susceptibles de causer des blessures sévères à une personne ou de la rendre gravement malade peuvent constituer des menaces sérieuses à la vie et à la santé des employés.

[174]  Et encore au paragraphe 52 de la même décision :

[52]  [...] Encore une fois, pour conclure à l’existence d’une menace sérieuse, il n’est pas nécessaire de déterminer précisément le moment où la menace se matérialisera. On doit évaluer la probabilité que la situation, la tâche ou le risque allégué cause des blessures sérieuses (c’est-à-dire, sévères) à une personne ou la rende gravement malade à un moment donné dans l’avenir. La question en litige consiste à déterminer si les circonstances sont telles que la menace peut vraisemblablement causer des blessures sérieuses à l’employé ou le rendre gravement malade, même si le tort causé à sa vie ou à sa santé pourrait ne pas être imminent.

[175]  Comme il a été indiqué ci-dessus, l’appelante a choisi de ne pas faire valoir que l’affaire concerne une menace imminente et je n’aborderai donc pas cette question. Quant à la question de savoir si la menace détectée par la déléguée ministérielle Morden pouvait être considérée comme une menace sérieuse, la déléguée ministérielle a choisi de conclure par la négative en raison des [TRADUCTION] « mesures de contrôle établies qui atténuent le risque de blessure grave ou substantielle », ainsi que de la [TRADUCTION] « formation à l’utilisation de la force et à la protection personnelle par des équipements de sécurité », en laissant sous silence le fait important que toutes ces mesures avaient été mises en place et ce, antérieurement aux changements apportés par la division de la prestation des options de traitement du programme de TSO et le défaut évident de l’intimé d’analyser correctement le risque ou le danger qui pourrait découler de ce changement.

[176]  Par conséquent, je ne partage pas l’opinion de la déléguée ministérielle Morden et je trouve donc qu’elle a commis une erreur en concluant que les AC n’étaient pas exposés à une menace sérieuse. J’ajouterai à cet égard que le fait de reconnaître, voire d’accepter, qu’à la suite des changements apportés à la prestation des options de traitement du programme de TSO et des modifications nécessaires qui en découlent en matière de répartition et de déploiement du personnel, il pourrait y avoir un certain retard dans l’intervention face aux demandes d’assistance dans un environnement certes propice aux agressions spontanées, dont il a été reconnu qu’elles entraînent régulièrement des blessures graves, satisfait, à mon avis, à la deuxième partie du critère de la décision Ketcheson.

[177]  Le Tribunal a eu de nombreuses occasions au fil des ans de reconnaître que les agressions de détenus représentent un risque distinct pour les AC, ce risque étant même reconnu comme pouvant entraîner des blessures graves, voire la mort, dans le cadre de leur description de poste, et que cela peut se produire au cours d’une confrontation entre un ou plusieurs agents et un ou plusieurs détenus ou au cours d’une intervention lors d’agressions contre un employé ou entre détenus nécessitant l’intervention des AC, et que cela peut, dans de nombreux cas, être considéré comme spontané ou, pour reprendre les mots de l’agent d’appel dans la décision Laycock, « peut survenir sans avertissement, en quelques secondes et sans avoir reçu de renseignements ou d’indicateurs qu’une telle agression était envisagée ».

[178]  Il existe des éléments de preuve incontestés et une jurisprudence constante du Tribunal selon lesquels les conséquences d’une agression sur un AC peuvent représenter une menace sérieuse pour la vie ou la santé des agents qui ont le devoir de réagir avec précipitation aux incidents, de fournir les premiers secours et, dans de nombreux cas, de recourir à la force. En fait, il faut reconnaître l’uniformité pratique de l’opinion ou du témoignage fondé sur l’expérience professionnelle ou fourni lors de l’audience par les AC ayant une expérience opérationnelle, selon lesquels une réponse tardive à une urgence peut signifier des blessures mortelles pour un AC malgré tout l’équipement de protection fourni, ce qui renforce, de l’avis de soussigné, la nécessité de disposer de consignes de postes locales régissant les conditions de travail locales, dûment adaptées à ces conditions locales et donc révisées lorsque ces conditions sont modifiées, comme dans le cas présent, et de préciser qu’il ne suffit pas de promouvoir l’acceptabilité des changements en invoquant la nature même de l’environnement carcéral comme étant un environnement à risque plus élevé que la plupart des lieux de travail. Je suis donc convaincu que dans les circonstances qui ont été décrites, il a été établi qu’il existait une condition dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle constitue une menace sérieuse pour la santé ou la vie de l’appelante.

La menace pour la vie ou la santé existera-t-elle avant que la situation puisse être corrigée

[179]  Compte tenu de ce qui précède, il reste une question à régler pour finaliser l’application du critère, à savoir si la menace pour la vie ou la santé existera avant que le risque ou la situation puisse être corrigé (ou la tâche modifiée), la « situation » impliquée en l’espèce étant l’insuffisance de l’intervention, plus précisément pendant la prestation, active ou non, des options de traitement du programme de TSO, où une assistance à un AC est requise.

[180]  Tout en plaidant l’affaire en fonction d’un critère différent de celui de la décision Ketcheson, l’essentiel de l’argument de l’intimé à cet égard repose sur le fait que les politiques de l’employeur en place, dictées par les directives du commissaire et les ordres permanents locaux, la fourniture et l’utilisation obligatoire d’EPI et la souplesse des politiques pour faire face aux situations jugées justifiables et nécessaires, comme le reflète le pouvoir du GC de déplacer le personnel en cas d’urgence, servent à empêcher que les risques deviennent des dangers.

[181]  L’appelante n’a pas contesté que tous ces éléments sont présentement en place, ils l’étaient en fait avant le changement, tout en notant leur nature générique dans de nombreux cas. Sa position, cependant, est que ces mesures ne peuvent pas être considérées comme une réponse automatique à chaque question et qu’il faut réévaluer celles qui entraînent un changement dans le fonctionnement de l’établissement. Je suis également d’accord avec cette conclusion.

[182]  J’ajouterai à cela que si toutes ces mesures d’atténuation peuvent être très appropriées dans le monde particulier qu’est un pénitencier, elles ne concernent que le cadre de base dans lequel les AC exercent leurs fonctions, dans l’ordre normal des choses et dans le cadre des activités quotidiennes du pénitencier. À mon avis, ces mesures ne servent pas à atténuer les conséquences potentiellement graves d’un retard dans l’organisation du travail qui aurait, ou pourrait avoir, une incidence sur la rapidité d’intervention à l’assistance nécessaire dans un environnement où les délais caractérisent cette assistance nécessaire et où de graves conséquences pour la santé ou la vie peuvent être subies en quelques secondes.

[183]  Au risque de me répéter, un pénitencier, « est un monde à part » pour reprendre les termes de mon collègue Hamel dans la décision Laycock, au paragraphe 109, selon lequel « dans ce contexte, la Cour fédérale a reconnu dans la décision Verville l’importance de l’opinion de certains témoins ayant plus d’expérience que l’agent d’appel concernant la question en litige ». En l’espèce, alors que l’employeur a centré son argumentation sur les mesures d’atténuation déjà en place avant que ne se produise la division de la prestation des options de traitement du programme de TSO, tous les AC qui ont témoigné étaient d’accord sur l’importance d’une intervention rapide pour éviter de graves conséquences sur la santé, voire la vie. Par conséquent, en reconnaissant la possibilité d’un retard dans les circonstances soulevées par la présente affaire, il s’ensuit que la situation invoquée comme fondement du refus de travailler et qui est également décrite dans la présente décision pourrait poser une menace sérieuse pour la santé ou pour la vie avant que la situation puisse être modifiée et il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur ce point ici.

Condition normale de l’emploi

[184]  La partie suivante de mon analyse aux fins du présent appel est la question de savoir si la situation susmentionnée, et le danger qu’elle présente, est une condition normale de l’emploi? Dans la décision Laycock, l’agent d’appel a expliqué la notion que constitue la « condition normale » comme suit :

[121]  La question est donc de savoir si l’employeur a pris les mesures appropriées pour se prémunir contre le danger établi ci-dessus et ramener le risque à un niveau acceptable de sorte que la tâche et le risque résiduel qu’elle présente (le danger) puissent être considérés comme une condition normale de l’emploi [...]

[185]  Cette notion a été longuement débattue dans de nombreuses décisions du Tribunal ainsi que dans des décisions de la Cour fédérale. Dans la décision P&O Ports inc. c. Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (Section Locale 500), 2008 CF 846, la Cour fédérale a cité avec approbation la description faite par l’agent d’appel de l’analyse appropriée quant à la question de savoir si un danger constituait une condition normale de l’emploi :

[46]  L’agent d’appel a conclu au paragraphe 152 :

[152]  Je crois qu’avant qu’un employeur puisse affirmer qu’un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le danger, la situation ou l’activité; s’il ne peut l’éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l’activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s’assurer que ses employés sont munis de l’équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le danger, la situation ou l’activité. [...]

[153]  Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risque « résiduel » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition de travail normale. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition de travail normale, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

[...]

[186]  Cette analyse reprend en substance, dans des formulations différentes, ce que l’on appelle communément la hiérarchie des mesures de contrôle formellement énoncée à l’article 122.2 du Code. Ce n’est que lorsque toutes les mesures et les dispositions de sécurité relatives au danger décelé ont été prises que le risque qui reste, qui peut alors être considéré comme « résiduel », peut être considéré comme une condition normale de l’emploi. Il est important de rappeler que dans la présente affaire, aucun élément de preuve n’a été présenté que l’intimé a procédé à une analyse ou à une évaluation des risques particulière en rapport avec le changement dans la prestation du programme de TSO à l’établissement de Matsqui.

[187]  L’analyse qui doit être menée pour déterminer si la menace détectée qualifiée de sérieuse représente une condition normale de l’emploi, nécessite également la prise en compte du principe de « faible fréquence, risque élevé ». Dans son jugement rendu dans la décision Martin-Ivie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 772, la Cour fédérale a expliqué la pertinence de ce principe pour l’analyse de la « condition normale » en déclarant ce qui suit :

[47]  Quant aux agents d’appel, ils appliquent dans leurs décisions le principe en question non pas pour déterminer s’il existe un « danger », mais plutôt pour évaluer si le refus de travailler est autorisé au titre de l’alinéa 128(2)b) du Code; cette disposition interdit d’invoquer ce refus, même s’il existe un « danger », lorsque celui-ci constitue une condition normale de l’emploi du travailleur. Ces décisions, tout comme la décision Verville, ont établi qu’avant de pouvoir qualifier le danger de condition normale de l’emploi, l’employeur doit avoir pris toutes les mesures raisonnables pour l’atténuer. Dès lors, le caractère raisonnable de ces mesures dépendra en partie de la gravité du risque : plus il est important, plus l’employeur doit s’efforcer de l’atténuer (voir p. ex. Armstrong, aux paragraphes 62 et 63; Éric V, aux paragraphes 295 à 297, et 301). Le principe de « faible fréquence, risque élevé » s’applique donc à l’examen fondé sur l’alinéa 128(2)b) du Code, mais ne peut servir à déterminer s’il existe un danger. [...]

[188]  Indépendamment des risques pour les agents qui sont décrits dans leur description de poste, tous les AC qui ont témoigné et même les témoins de l’intimé étaient d’avis que les blessures graves sont un risque permanent pour les agents dans le milieu carcéral. Bien que je reconnaisse que, comme l’a fait valoir l’intimé, il se peut qu’il n’y ait eu aucun signe d’incident potentiel le jour du refus de travailler où le personnel aurait pu être mis en danger, cela n’est pas déterminant, à mon avis, en particulier dans le contexte de l’analyse d’une menace éventuelle sérieuse, puisque la preuve d’agressions contre les AC, considérées comme une possibilité raisonnable dans le cadre de leur travail, se caractérise par la spontanéité et l’absence d’avertissement, et considérant également que la demande de l’appelante ne se limite pas à une éventuelle agression dirigée contre un AC, mais aussi à des blessures subies lors d’interventions dans des incidents qui se sont produits entre détenus.

[189]  L’intimé a renvoyé à un certain nombre de mesures d’atténuation en place qu’il présente comme visant à minimiser les risques d’agressions contre les AC. Ces mesures d’atténuation concernent plus généralement le fonctionnement d’un établissement pénitentiaire et, en outre, des mesures plus génériques telles que la sécurité statique et dynamique, le contrôle des déplacements des détenus, etc. À mon avis, bien qu’elles soient tout à fait appropriées pour aborder de manière générale le cadre de base dans lequel les AC ont tendance à fonctionner au quotidien dans un établissement pénitentiaire, le fait est que ces mesures génériques ne sont pas particulières à un lieu et à ses circonstances où le modus operandi a entraîné un potentiel intégré de réponse tardive à une intervention nécessaire, qui n’a pas été analysé avant son établissement pour évaluer l’existence ou la gravité du risque.

[190]  Cette situation, qui, à mon avis, se distingue des « causes profondes » examinées par l’agent d’appel dans la décision Ketcheson, représente un système ou un processus inculqué localement qui est générateur de risque et qui ne constitue pas une condition normale de l’emploi étant donné que, du moins à première vue, l’intimé n’a pas pris toutes les mesures qui auraient pu réduire ce risque posé à une condition normale de l’emploi.

Décision

[191]  Pour les raisons susmentionnées, je conclus qu’au moment du refus de travailler, il existait une condition qui constituait un danger pour l’appelante. Par conséquent, la décision d’absence de danger émise par la déléguée ministérielle Melissa Morden le 15 décembre 2017 est modifiée.

[192]  Ayant conclu à l’existence d’un danger qui ne constitue pas une condition normale de l’emploi, je suis habilité par l’alinéa 146.1(1)b) du Code à émettre toute instruction que je juge appropriée en vertu du paragraphe 145(2) ou (2.1). Toutefois, étant donné qu’un temps considérable s’est écoulé depuis le refus initial de travailler et la décision de la déléguée ministérielle Morden, il serait judicieux de permettre aux parties de résoudre la question conjointement. Je n’émettrai pas d’instruction pour le moment, mais je resterai saisi de la présente affaire pour donner une instruction que je juge appropriée au cas où les parties ne parviendraient pas à se mettre d’accord dans un délai de 60 jours à compter de la date de la présente décision. Si tel est le cas, je peux trancher cette question en fonction d’observations écrites et de manière accélérée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d'appel

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