2020 TSSTC 1

Date : 2020-01-30

Dossier : 2019-08

Entre :

Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd., appelante

Indexé sous : Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd.

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est confirmée

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Mme Melissa Ryan, généraliste, Ressources humaines,

Menzies Aviation Fuelling Ltd.

Référence : 2020 TSSTC 1

Motifs de la décision

[1] Le présent appel a été interjeté en vertu du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le « Code ») par Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd. (« Menzies » ou l’« appelante »), à l’encontre d’une instruction émise par Peter Mahase, en sa qualité de représentant délégué par le ministre du Travail (le « délégué ministériel »), le 8 février 2019. L’instruction en cause a été émise à l’issue de l’enquête de ce dernier au sujet d’une situation comportant des risques datant du 16 juillet 2018 à l’Aéroport international Pearson de Toronto. Il s’agissait du renversement d’un camion-citerne à carburant exploité par Menzies, causant pour le conducteur dudit camion (M. Senthuran Sivapalan) des blessures invalidantes.

[2] À l’issue de son enquête sur cette situation, le délégué ministériel a émis une instruction à l’appelante en vertu du paragraphe 145(1) du Code, faisant état de trois contraventions au Code.

[3] L’instruction se lit comme suit :

Dans l’affaire du Code canadien du travail

Partie II – Santé et sécurité au travail

Le 16 juillet 2018, le représentant délégué par le ministre du Travail a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 5600 Silver Dart Dr, C.P. 6058 AMF, Mississauga (Ontario) L5P 1B, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd.

Ce représentant délégué par le ministre du Travail est d’avis qu’il a été contrevenu aux dispositions de la partie II du Code canadien du travail qui suivent :

No/No : 1

Alinéa 125(1)q) – Partie II du Code canadien du travail; Alinéa 14.23(1)c) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

Un employé conduisant un camion-citerne à carburant portant l’identification T55 (NIV : 2FZHCHCS63ALO3236) n’a pas reçu la formation nécessaire en matière de conduite sécuritaire, particulièrement en ce qui concerne les facteurs de vitesse dans une courbe ou la manière d’éviter le renversement d’un camion.

No/No : 2

Alinéa 125(1)k) – Partie II du Code canadien du travail; paragraphe 14.29(1) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

Un camion-citerne à carburant portant l’identification T55 (NIV : 2FZHCHCS63ALO3236) qui présentait un risque pour la santé et la sécurité en raison de plusieurs défectuosités mécaniques n’a pas été mis hors service.

No/No : 3

Alinéa 125(1)k) – Partie II du Code canadien du travail; paragraphe 14.29(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

Une modification du levier de direction du camion T55 (NIV : 2FZCHCS63ALO3236) a été effectuée sans que ne soit conservé le facteur de sécurité de l’original.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin aux contraventions le 22 février 2019 au plus tard.

Il vous est aussi ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émis à Mississauga, ce 8 février 2019

[Signé]

Peter Mahase
Représentant délégué par le ministre du Travail
Agent de santé et de sécurité

[4] La première contravention, fondée sur l’alinéa 125(1)q) du Code et sur l’alinéa 14.23(1)c) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement), ne fait pas l’objet du présent appel. Les deux autres contraventions faisant l’objet de l’appel visent une violation de l’alinéa 125(1)k) du Code et, respectivement, des paragraphes 14.29(1) et (2) du Règlement. L’alinéa 125(1)k) du Code édicte que l’employeur est tenu de veiller à ce que les véhicules et l’équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires. Les deux contraventions se fondent sur la conclusion non contestée du représentant délégué, selon laquelle le type de véhicule impliqué dans l’accident, un camion de ravitaillement en carburant pour avions non autorisé à circuler sur les voies publiques, peut être considéré comme un appareil de manutention motorisé.

[5] Aucune partie n’a fait de démarches pour qu’on lui permette d’agir comme partie intimée et, parconséquent, le soussigné a décidé d’appeler le délégué ministériel à témoigner. L’appelante a appelé deux témoins à comparaître : M. Brian Keys, surveillant de la maintenance de Menzies, et M. Stephen Christopher Missuna, technicien de maintenance de Menzies. Ni l’employé qui conduisait le camion en cause ni le mécanicien indépendant ayant examiné ledit camion à la suite de l’accident n’ont été appelés à témoigner. Ce dernier a également remis au délégué ministériel et à l’appelante un rapport concernant l’état du véhicule qui constitue le fondement de la décision du délégué ministériel d’émettre l’instruction qui fait l’objet du présent appel.

Contexte

[6] L’appelanteest une entreprise fédérale qui exerce ses activités dans l’avitaillement ou le ravitaillement en carburant des aéronefs. À cette fin, elle exploite un parc de camions-citernes à carburant à l’Aéroport international Pearson de Toronto. L’un de ces véhicules (T55) a été impliqué dans une situation comportant des risques existant dans un lieu de travail qui fait l’objet du présent appel, puisqu’elle a donné lieu à une enquête qui a mené à l’émission de l’instruction précitée.

[7] Les circonstances de la situation comportant des risques sont bien simples et clairement décrites dans le rapport d’enquête du délégué ministériel. Elles ne sont pas contestées.  Le 16 juillet 2018, une situation comportant des risques à l’Aéroport international Pearson de Toronto a été rapportée au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada par un membre de la Peel Regional Police. Elle impliquait un véhicule et un employé de l’appelante. L’employé, Senthuran Sivapalan, le conducteur/essencier, a été interrogé par le délégué ministériel. Le rapport d’enquête ainsi que le témoignage du délégué ministériel indiquent que c’est M. Sivapalan qui conduisait le camion-citerne à carburant T55 de Menzies (un Sterling Acterra 2002 affichant 146 919 km sur l’odomètre), le 16 juillet 2018. Il avait terminé de ravitailler un aéronef à l’aire de trafic de Federal Express (Fed Ex) de l’aéroport et il conduisait ledit camion pour l’éloigner de l’aéronef et l’amener dans une zone de rassemblement afin d’attendre un autre vol à avitailler. Pour ce faire, il a suivi une voie marquée pour se rendre à la zone de rassemblement et a essayé de tourner le camion pour qu’il soit face à l’aéronef. L’employé a donc essayé de faire un demi-tour vers la gauche et le camion s’est renversé sur son côté droit. Interrogé par le délégué ministériel après le fait, l’employé qui conduisait le camion a indiqué qu’il faisait tourner le camion vers la gauche afin de faire face à l’avion lorsque le camion a commencé à s’incliner sur son côté droit. Il semblerait qu’il a essayé de corriger la position du volant, mais celui-ci était coincé (verrouillé) et il ne pouvait pas être tourné vers la droite.

[8] Comme il est indiqué ci-dessus, le délégué ministériel a été appelé à témoigner par le Tribunal et il a principalement répété les renseignements contenus dans son rapport d’enquête. Le délégué ministériel Mahase, a indiqué qu’il est un agent de santé et sécurité au travail depuis trois ans et qu’il a reçu toutes les formations requises relatives à la partie II du Code, en particulier celles portant sur les rapports d’enquête, la santé au travail, la sécurité incendie et les entrevues. Une de ses tâches consiste à répondre à des avis de situations comportant des risques et c’est ainsi qu’il est arrivé à mener une enquête dans la présente affaire.

[9] À son arrivée sur la scène, le délégué ministériel a été escorté au côté piste de l’aéroport où il a vu le camion-citerne à carburant sur son côté droit, puis il a été rejoint par un agent de la sécurité aéronautique. Cette personne était apparemment la première à arriver sur le site et elle avait recueilli la déclaration du conducteur, qu’elle a remise au délégué ministériel.

[10] Le délégué ministériel Mahase a pris de nombreuses photographies du véhicule, qui font partie du rapport d’enquête qui a été déposé en preuve, ainsi qu’un certain nombre de séquences vidéo, qui ont également été déposés en preuve. Il a donné comme directive à l’employeur Menzies de sécuriser et de retirer le camion et de le remorquer à son parc de camions-citernes. Il a également demandé à l’appelante de fournir certains documents (des dossiers de maintenance et de formation, un manuel d’utilisation, une formation sur le retournement des camions-citernes et les procès-verbaux des réunions du comité local des six derniers mois) en plus des vidéos de surveillance de Fed Ex de la zone où l’accident est survenu.

[11] Au cours de son entrevue du 18 juillet 2018, deux jours après la situation, le conducteur a indiqué qu’il croyait que c’était un problème mécanique avec le système de direction du camion-citerne à carburant. Il a indiqué que le volant s’est barré lorsqu’il l’a tourné complètement vers la gauche pour faire demi-tour, que le véhicule avait commencé à s’incliner vers la droite et qu’il ne pouvait pas ramener le volant en position droite et qu’il avait donc pesé sur le frein du camion-citerne à carburant, puis que le camion s’était renversé sur son côté droit.

[12] Lorsque le délégué ministériel a passé en revue le manuel d’utilisation du camion, il a remarqué, dans un avertissement sous le titre « Power Steering System » (Direction assistée), qu’il était indiqué qu’à faible vitesse ou lors de virages brusques (tels qu’un demi-tour), une plus grande force devait être utilisée pour tourner, même avec la direction assistée. De l’avis du délégué ministériel, ce renseignement ne concordait pas complètement avec la déclaration du conducteur. Le délégué ministériel a examiné le véhicule, mais n’étant pas un mécanicien breveté, il a finalement demandé à l’appelante d’obtenir une évaluation du véhicule par un spécialiste en mécanique indépendant. L’appelante a retenu les services d’un tel mécanicien à la demande du délégué ministériel. L’inspection a été réalisée par les employés de Mississauga Bus, Coach and Truck Repairs Inc. (Mrs Persaud, technicien en inspections et Varasammy, mécanicien breveté) entre le 20 et le 21 septembre 2018, et 21 défectuosités, au total, ont été trouvées.

[13] Le délégué ministériel a assisté à une partie de l’inspection indépendante du véhicule qui a duré huit heures. Par conséquent, il a une connaissance directe des conclusions tirées par le mécanicien qui a inspecté le véhicule. Il semble qu’une liste de défectuosités techniques du véhicule ait aussi été remise à M. Mahase. Lors de son témoignage, le délégué ministériel a indiqué qu’il avait été rappelé sur le site de l’inspection pour observer une défectuosité importante : le levier de direction frottait sur le châssis intérieur du pare-chocs de devant lorsque le volant était complètement tourné vers la gauche, une situation qui se produit lors d’un demi-tour. Le mécanicien a montré à M. Mahase que l’intérieur du pare-chocs de devant avait été modifié, coupé (comme le montrent les photographies fournies en preuve) pour qu’il fasse de la place au levier de direction, et que ce dernier n’était pas une pièce d’équipement originale.

[14] Selon le délégué ministériel, le mécanicien lui a montré que, même avec une telle modification, il y avait encore un contact lorsque le volant était complètement tourné. Le mécanicien lui a également fourni un dessin (croquis) d’un levier de direction original dont l’une des extrémités est légèrement pliée, accompagné du commentaire [traduction] « selon la défaillance, le levier de direction ne semble pas être le même » que celui sur le camion T55, qui n’est pas plié. Le délégué ministériel Mahase a donc accepté et partagé l’avis du mécanicien qui a inspecté le véhicule selon lequel le levier de direction installé sur le véhicule n’était pas une pièce originale, et que le châssis du camion ou le support du pare-chocs avait été modifié, comme l’illustrent les photographies présentées en preuve. Cette modification a été faite pour installer la pièce, mais elle n’a pas été entièrement réussie puisque, lorsque le volant est tourné complètement vers la gauche, comme lors d’un demi‑tour, il y avait encore du frottement, comme l’a démontré le mécanicien au délégué ministériel au moment de l’inspection et comme la vidéo fournie en preuve le démontre de façon évidente. La personne qui a mené l’inspection a émis l’opinion, qui a été transmis au délégué ministériel, que le levier de direction frappant sur le châssis pourrait nuire aux mouvements de direction, puisque le joint à rotule pouvait bloquer sur le châssis. Cette opinion concorde avec la déclaration du conducteur selon laquelle le volant bloquait, puisque le volant aurait été tourné vers la gauche en faisant demi-tour. Ayant montré au délégué ministériel qu’une pièce du châssis avait été coupée pour permettre de déplacer le levier de direction, le mécanicien qui a mené l’inspection du véhicule a estimé que ledit levier de direction ne respectait pas les spécifications de l’équipement original du fabricant.

[15] À la fin de son enquête, le mécanicien, M. Varasammy, a fourni au délégué ministériel Mahase un rapport d’inspection qui fait partie du rapport d’enquête du délégué ministériel qui a été déposé au Tribunal, dans lequel il est confirmé, en plus d’autres défectuosités, que le levier de direction du camion T55 n’était pas une pièce d’équipement originale du fabricant.  Il a fourni au délégué ministériel un croquis imprimé d’un levier de direction original provenant d’un fournisseur de pièces illustrant la forme d’un levier avec un coude à l’une des extrémités, une caractéristique qui n’est pas présente sur le levier de direction du camion T55, comme le prouve les photos recueillies par le délégué ministériel et qui font partie de la preuve. Ledit rapport d’enquête, signé par M. Persaud et M. Varasammy, indique que l’inspecteur [traduction] « a découvert que le pare-chocs du devant avait été modifié et remplacé par le nouveau levier de direction » et, comme l’a déclaré le délégué ministériel à l’audience, que le levier de direction sur le camion T55 n’était pas aligné correctement, ce qui faisait qu’il frappait un composant structurel du pare-chocs ou du châssis du devant, même si une pièce dudit composant avait été coupée pour permettre de régler le désalignement. Au verso, dans la liste des défectuosités trouvées, le rapport indique ce qui suit :

  1. châssis coupé pour permettre au levier de direction d’être bougé (crochets de bras sur le châssis), joint à rotule du volant pendant;
  2. supports de pare-chocs lâches du côté gauche du pare-chocs (pare-chocs tombé);
  3. le levier de direction a été remplacé.

[16] Lorsqu’il a été questionné par l’appelante, le délégué ministériel Mahase a reconnu que c’était lui qui avait demandé que l’inspection soit menée par un mécanicien qualifié indépendant choisi par l’employeur, mais qu’il n’avait pas demandé de voir les références du mécanicien, même si des renseignements quant à l’expérience de ce dernier lui avaient été fournis de vive voix. En outre, le mécanicien certifié lui a donné des renseignements sur une inspection relative à un renversement. Cette inspection portait sur les éléments suivants : système de freinage antiblocage (ABS), composants et système de freins, système complet de direction, défaillance de la structure, mode de commande électronique mis à jour du moteur, suspension, gonflage des pneus, stabilisateurs et barres antiroulis, dynamique de chargement et surfaces de logistique.

[17] Le délégué ministériel a également reconnu que lorsqu’il a rencontré le mécanicien, ce dernier ne pouvait pas faire la différence entre l’état du véhicule avant et après l’accident, que deux mois s’étaient écoulés entre l’accident et l’inspection réelle du 20 septembre 2018, et qu’il ne pouvait pas dire si le renversement avait causé les dommages au pare-chocs du camion. De plus, il a reconnu qu’un différent diagramme provenant du manuel d’utilisateur illustrait un levier de direction droit, même si l’objectif du diagramme était d’illustrer des « attaches de boîtier de direction » et non un levier de direction en tant que tel. En fin de compte, le délégué ministériel Mahase a réitéré que le rapport du technicien en inspections a conclu que le [traduction] « pare-chocs du devant [avait été] modifié et remplacé par le nouveau levier de direction » et que les photographies fournies dans le rapport d’enquête du délégué ministériel, ainsi qu’une vidéo, illustraient le contact entre le levier de direction et le support du pare-chocs, même après la modification, lorsque le volant était complètement tourné vers la gauche. La vidéo démontrait également que lors du contact, le support du pare-chocs bougeait légèrement.

Question en litige

[18] La question en litige que je dois trancher dans le présent appel consiste à déterminer si l’instruction émise par le délégué ministériel faisant état des contraventions à l’alinéa 125(1)k) du Code et aux paragraphes 14.29(1) et (2) du Règlement est bien fondée.

Observations de l’appelante

[19] Les observations de l’appelante sont fondées sur deux arguments qui découlent du témoignage de ses deux témoins : Brian Keys, superviseur de la maintenance de Menzies et Stephen Christophe Missuna, technicien de maintenance de Menzies.

[20] M. Keys soutient que le véhicule n’a pas été modifié, qu’il a été examiné peu de temps avant l’accident dans le cadre du programme de maintenance préventive mensuelle de l’employeur, que toutes les défectuosités décelées par le technicien inspecteur indépendant sont dues à l’accident en soi, qu’il n’y avait aucun signe indiquant un problème de direction au moment de l’inspection mensuelle de l’employeur (même si aucun essai sur route n’avait été effectué) et que le levier de direction du camion T55, qu’il avait vérifié, était le même que celui des deux autres camions analogues Sterling utilisés par Menzies. M. Keys ne pouvait pas affirmer, toutefois, si le mécanisme de direction en cause avait été testé ou examiné pendant la maintenance. Il a indiqué que lorsque des pièces doivent être changées, elles sont commandées auprès du fabricant du véhicule et sont donc des pièces originales du fabricant. Quant au pare-chocs ou au support de pare-chocs « lâche », M. Keys l’a remarqué lorsqu’il a examiné le véhicule après l’accident et il est d’avis que ce relâchement est dû au renversement, comme toutes les autres défectuosités décelées par le mécanicien qui a inspecté le véhicule.

[21] Selon le témoignage de M. Missuna, c'est la vitesse, combinée à un rayon de virage qui était trop court, qui était la principale cause du renversement du véhicule. La conclusion du témoin était fondée sur des données récupérées du module de gestion du moteur du véhicule, données qui n’ont pas été obtenues par le délégué ministériel Mahase. M. Missuna a déclaré que ces données indiquent que le camion roulait à 35 km/h au moment de l’accident. Selon le rayon de virage démontré par les traces de freinage du véhicule (un rayon faisant 10 mètres de long), M. Missuna a calculé qu’une vitesse de virage de 20 km/h n’aurait pas causé un renversement, mais qu’à 35 km/h, pour éviter un tel accident, un rayon de virage d’au moins 30/31 mètres était nécessaire. Par conséquent, le témoin était d’avis que le rayon de virage et la vitesse combinés auraient joué un rôle très important dans l’accident, tous les autres éléments étant égaux et le véhicule ne présentant aucune autre défectuosité. Il ne pouvait pas, toutefois, conclure que c’était la cause du renversement, et il n’a émis aucun avis sur des défectuosités du véhicule.

[22] L’appelante est d’avis qu’aucune modification n’a été apportée au levier de direction du véhicule T55 impliqué dans l’accident, et que les défectuosités trouvées par le mécanicien qui a inspecté le véhicule après l’accident étaient dues directement à l’accident et qu’elles n’en étaient pas la cause.

[23] L’une des défectuosités trouvées après l’accident par le mécanicien qui a mené l’inspection était un « pare-chocs pendant ». Le délégué ministériel a indiqué, qu’ « à sa connaissance », le pare-chocs n’avait pas été replacé avant l’inspection. L’appelante soutient que si, en fait, le pare-chocs n’avait pas été replacé, il y aurait eu contact entre le pare-chocs lâche et le levier de direction et il aurait aussi été difficile de vérifier le taux de virage avec le pare-chocs mal placé. À cet égard, l’appelante affirme qu’il n’y a aucune preuve pour démontrer un contact avant l’accident puisque ni le levier de direction ni le pare-chocs ou le support du pare-chocs n’avaient de marques de frottement ou d’usure visibles. Quant au pare-chocs avant ou au support de pare-chocs avant « coupé » noté par le soussigné au cours de l’audience, l’appelante soutient que la « coupe » a été faite à la fabrication et qu’elle faisait partie du processus pour adapter l’échappement redirigé pour l’équipement spécialisé, comme le camion T55, qui roule sous et près des moteurs d’aéronef. L’appelante soutient que l’objectif d’une telle « coupe » n’est pas de faire de la place à un levier de direction modifié et que tout l’équipement et toutes les pièces achetés par l’employeur proviennent du fabricant d’équipement d’origine (FEO) et sont obtenus directement du distributeur.

[24] Relativement à l’annexe E-3, qui présente deux photos côte à côte de deux véhicules différents que l’appelante décrit comme des camions « analogues », le premier a été impliqué dans l’accident (T55) et le deuxième est sur le site en état de marche (T54), l’appelante soutient que les leviers de direction des deux camions sont identiques. Il remarque, cependant, que dans le cas du véhicule impliqué dans l’accident, la photo a été prise lorsque le camion était encore sur le côté sur la scène de l’accident alors que dans le cas du camion « analogue », la photo a été prise d’un angle différent, c’est-à-dire lorsque le camion était debout.

[25] L’appelante est d’accord avec la déclaration rapportée par le conducteur impliqué dans l’accident selon laquelle il s’avérait impossible pour ce dernier de redresser le véhicule une fois que le demi-tour a été entamé. Toutefois, l’appelante soutient que l’accident ne pouvait pas être lié au problème du levier de direction, mais qu’il serait plutôt lié à la « haute » vitesse à laquelle le camion roulait en tournant, un facteur auquel s’ajoute l’effet d’un réservoir rempli au quart de carburant ondulant, qui ont fait que le véhicule a basculé sur le flanc des pneus, rendant impossible pour le conducteur de corriger sa vitesse et son ratio de virage.

[26] L’appelante est, par conséquent, d’avis qu’un examen des faits mènera à une conclusion selon laquelle l’instruction émise par le délégué ministériel est fondée sur des éléments peu concluants. En outre, l’appelante suggère que, même si le délégué ministériel a demandé au mécanicien qui a mené l’inspection de dresser une liste de « toutes » les défectuosités du véhicule, cette liste ne faisait pas de distinction entre les défectuosités présentes avant et après l’accident. Quant au dossier de maintenance qui précède l’accident, ledit dossier faisant partie de la preuve et ayant également été reçu par le délégué ministériel, l’appelante souligne particulièrement le fait que ce dossier ne mentionne aucun pare-chocs lâche ou pendant, et qu’il indique qu’il n’y a aucune trace de contact entre le pare-chocs et le levier de direction.

[27] L’appelante conclut que, compte tenu de ce qui précède, l’instruction émise par le délégué ministériel Mahase n’est pas bien fondée et devrait être annulée.

Analyse

[28] Avant de prendre une décision dans cette affaire, Il est important de souligner que l’analyse des contraventions relevées par le délégué ministériel dans son instruction ne dépend pas du fait de trouver la cause de l’accident. Il est important de noter que, même s’il a pu indiquer que les contraventions au Code et à son Règlement sur lesquels l’instruction portée en appel est fondée peuvent avoir été une ou des causes du renversement, le délégué ministériel Mahase n’a jamais dit ou conclu qu’il y avait un lien de causalité direct entre les contraventions et l’accident qui a causé le renversement, et par conséquent, mon examen de la validité de l’instruction doit être, et a été effectivement, effectué sans tenir compte de cet accident, tout en reconnaissant que la survenance actuelle du renversement aurait été l’élément déclencheur de l’enquête par le délégué ministériel. Ma position est renforcée par le libellé de l’une des dispositions du Code qui constitue le fondement des contraventions dans l’instruction portée en appel, l’alinéa 125(1)k), qui dispose que les véhicules ou l’équipement mobile doivent être conformes aux normes réglementaires et non que leur utilisation soit conforme aux normes réglementaires.

[29] Le soussigné souhaite également souligner que, bien qu’une grande partie des éléments de preuve soumis par l’appelante à l’audience portait sur la vitesse du véhicule et son rayon de virage sur le site de l’accident, ces éléments de preuve ne sont pas pertinents à l’examen des contraventions sous analyse dans l’appel. Ces contraventions étant les suivantes : (1) le camion-citerne à carburant T55, qui présentait un risque pour la santé et la sécurité en raison des nombreuses défectuosités mécaniques, n’a pas été mis hors service, et (2) une modification au levier de direction sur ledit camion-citerne à carburant faisait qu’il n’était pas aussi sécuritaire que le levier original.

[30] Il est aussi important de noter que, même si une grande partie des prétentions de l’appelante remet en cause, les conclusions tirées par le mécanicien indépendant ou l’entreprise indépendante que Menzies a lui-même choisi pour mené l’inspection, l’appelante n’a pas jugé approprié, en réalité, d’appeler le mécanicien ou l’entreprise qui a mené l’inspection à témoigner, pour l’opposer aux conclusions de l’inspection ou voir s’il contredisait les conclusions de l’inspection, ni même le conducteur/essencier impliqué dans l’accident, laissant au soussigné le soin de trancher cette question essentiellement à partir de la preuve tirée à partir du rapport et du témoignage du délégué ministériel, à l’exception des déclarations faites par le témoin Keys. Ceci étant dit, il est noté que le délégué ministériel a lui-même enregistré la déclaration du conducteur, mais surtout, qu’il a assisté à l’inspection et qu’il a été informé en personne des conclusions du mécanicien qui a inspecté le véhicule.

[31] Arriver à une conclusion dans la présente affaire ne nécessite pas l’examen de questions de droit et une conclusion peut être tirée uniquement en examinant les faits présentés au soussigné, en évaluant toute la preuve, et en appliquant le critère usuel de la prépondérance des probabilités.

A) Contravention no 3 : modification du levier de direction du camion-citerne à carburant T55

[32] Concernant la contravention relative à la modification du levier de direction, l’argument de l’appelante repose entièrement sur le fait qu’elle n’utilise que les pièces originales du fabricant, que tous ses véhicules du même modèle sont identiques (voir la photo du camion analogue T54) et que ce qui peut sembler être des différences entre des véhicules s’explique par les différents angles dans lesquels les photos comparatives ont été prises. L’appelante ajoute que ce qui est appelé la coupe sur le pare-chocs avant du camion T55, présentée comme ayant été faite pour faire de la place à un levier de direction modifié ou différent, a été faite pendant le processus de fabrication pour accueillir un échappement redirigé.  

[33] J’ai examiné ces allégations et toute la preuve provenant du rapport et du témoignage du délégué ministériel Mahase, ainsi que les éléments offerts à l’audience par l’appelante, en particulier une photo comparative (E-2) du camion impliqué dans l’accident avec ce qui est décrit par le témoin de l’appelante, M. Keys, comme un camion « analogue » (T54). Je dois préciser que, contrairement à ce que l’appelante allègue, de nombreuses photos et vidéos prises lors de l’inspection du levier de direction et de son fonctionnement sur le camion T55 ont été prises alors que le véhicule était sur ses roues, y compris sur les lieux de l’inspection indépendante.

[34] Je pense que l’intégralité de la preuve, y compris celle qui a été fournie par l’appelante (photo côte à côte), m’amène à conclure que le levier de direction sur le camion T55 au moment de l’accident et de l’inspection n’était pas la pièce appropriée pour le modèle et que, ce faisant, il était une pièce modifiée ou remplacée qui ne maintenait pas le facteur de sécurité de l’équipement. Pour arriver à cette conclusion, je n’ai pas seulement utilisé les conclusions du mécanicien, qui n’ont pas été vérifiées à l’audience, mais j’ai aussi utilisé le fait que la composante structurelle, c’est-à-dire le châssis ou le support du pare-chocs, avait été actuellement coupée pour que le levier soit réaligné. Toutefois, selon moi, cette coupe n’a pas empêché le contact, que le support soit lâche ou non, comme la vidéo et les photos déposées en preuve le démontrent, qui, contrairement aux allégations de l’appelante, ont aussi été prises lorsque le véhicule était de retour sur ses roues.

[35] Ma conclusion est fondée aussi sur mon propre examen des photos côte à côte (E-3) des soi-disant camions analogues où, contrairement à l’allégation de similarité entre les deux leviers de direction, le levier du camion analogue T54 est perceptiblement différent : l’une des extrémités semble découpée et aucune partie du châssis ou du support du pare-chocs n’est coupée. Cela ne donne également aucune crédibilité à l’allégation de l’appelante selon laquelle la coupe sur le camion T55 a été effectuée lors de la fabrication pour faire de la place à l’échappement modifié, puisque sur le camion T54, on peut facilement voir que le tuyau d’échappement passe sous le support non coupé, alors que sur le camion T55, on peut voir sur cette photo et sur les autres que le tuyau d’échappement est dirigé dans l’autre direction.

[36] La seule conclusion qui peut être tirée de la photo (E-3) est qu’il y une similarité entre les leviers de direction du camion T55 et du camion T54, et non que la pièce est la pièce originale appropriée du fabricant, comme l’allègue le témoin Keys dans sa simple déclaration selon laquelle l’appelante n’utilise que des pièces originales du fabricant.

[37] Pour arriver à la conclusion demandée par l’appelante à cet égard, il aurait fallu davantage de preuve concluante et certainement que le mécanicien choisi originalement par l’appelante, dont la conclusion est diamétralement opposée à celle de l’appelante, soit appelé à témoigner et que sa conclusion soit opposée à celle de l’appelante. Cela ne s’est pas produit et, dans l’ensemble, je suis d’avis que la conclusion du mécanicien, démontrée au délégué ministériel in persona accompagnée des documents justificatifs, doit être conservée. Ce faisant, je n’oublie pas aussi la déclaration enregistrée du conducteur qui a été donnée au délégué ministériel au cours de l’enquête de ce dernier. Cette déclaration fait partie de la preuve, elle a été écoutée par le soussigné, et sa déclaration concernant la présence d’une défectuosité mécanique n’a jamais été vérifiée à l’audience.

B) Contravention no 2 : le camion-citerne à carburant T55 qui présentait un risque pour la santé et la sécurité en raison des nombreuses défectuosités mécaniques n’a pas été mis hors service

[38] Quant à la deuxième contravention mentionnée dans l’instruction et qui concerne les défectuosités mécaniques qui feraient que le camion T55 présentait un risque pour la santé et la sécurité et qui auraient nécessité que le véhicule soit mis hors service, je suis d’avis que ma conclusion se rapportant au levier de direction ci-dessus représente une telle défectuosité mécanique, cette défectuosité étant présente sur le véhicule avant l’accident. Bien que je sois d’accord, toutefois, avec la position de l’appelante selon laquelle d’autres défectuosités peuvent avoir été causées par l’accident et que des défectuosités étaient présentes avant l’accident, je ne crois pas que ce soit le cas pour toutes les défectuosités énumérées dans le rapport du mécanicien qui a inspecté le véhicule. Bien qu’une personne puisse immédiatement accepter, sans l’ombre d’un doute, que les dommages à la porte et au miroir du côté droit du véhicule peuvent avoir été causés par le renversement, ce n’est pas la même chose pour certaines autres défectuosités qui apparaissent sur la liste et qui démontrent une usure importante de l’équipement qui n’a vraisemblablement pas été causée par l’accident.

[39] Je reconnais également que le mécanicien indépendant n’était pas en position de faire la différence entre ce qui existait avant l’accident et ce qui découlait de l’accident, mais ce mécanicien n’a jamais été appelé à témoigner par l’appelante, et, par conséquent, ses conclusions n’ont jamais été vérifiées ni expliquées. Ceci étant dit, le seul élément de preuve à cet égard, hormis un certain nombre de rapports de maintenance faisant partie du rapport du délégué ministériel, est le dernier rapport de maintenance qui précède l’accident et l’allégation par un témoin de l’appelante selon laquelle l’employeur a un programme de maintenance préventive en place qui permet de veiller à ce que les camions soient examinés une fois par mois. Dans le cas du camion T55, la dernière maintenance semble avoir eu lieu treize jours avant l’accident. Le rapport a été déposé en preuve et porte la signature et les initiales de deux personnes. Toutefois, aucune de ces personnes n’a été appelée à témoigner concernant leurs conclusions selon lesquelles, de manière générale, tout fonctionnait bien sur le véhicule, et pour expliquer la façon dont la maintenance préventive est effectuée et dans quelle mesure elle est effectuée, des renseignements qui auraient pu mener le soussigné à partager les allégations et les conclusions de l’appelante. Le soussigné ne peut arriver qu’à une conclusion fondée sur une allégation d’une personne qui n’a pas procédé à une telle maintenance et dont la seule allégation relative à la deuxième contravention est que l’employeur a un programme de maintenance préventive et que toutes les défectuosités doivent découler de l’accident. Dans l’ensemble, ce qui précède est insuffisant pour permettre au soussigné de déterminer que la conclusion du délégué ministériel selon laquelle une contravention est survenue n’est pas fondée, comme l’allègue l’appelante.

[40] Ceci étant dit et à la lumière de mes conclusions susmentionnées, je conclus que l’instruction émise par le délégué ministériel Mahase relativement aux deux contraventions indiquées précédemment est bien fondée et l’appel est rejeté.

Décision

[41] Pour ces motifs, je confirme l’instruction émise par le délégué ministériel Peter Mahase le 8 février 2019.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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