2017 TSSTC 19

Date : 2017-09-06

Dossier : 2016-03

Entre :

William Tretiak, appelant

et

Société canadienne des postes, intimée

Indexé sous : Tretiak c. Société canadienne des postes

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’appel est rejeté en raison de son caractère théorique.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Lui-même

Pour l'intimée : Me Rebecca M. Atkinson, Cox & Palmer

Pour l’intervenant : Me David Bloom, Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Référence : 2017 TSSTC 19

Motifs de la décision

[1] La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une décision concluant à l’absence de danger rendue le 25 janvier 2016 par M. Joseph S. Swann en qualité de représentant délégué par le ministre du Travail (le délégué ministériel). Le délégué ministériel a rendu sa décision à l’issue de son enquête sur le refus de travailler exercé le 18 janvier 2016 par l’appelant, M. William Tretiak, facteur rural et suburbain (FFRS ou conducteur de relève) en fonction au poste de facteurs de la Société canadienne des postes (Postes Canada ou SCP) de Fredericton (Nouveau-Brunswick), relativement à l’utilisation et à la conduite par ce dernier d’un véhicule à conduite à droite Grumman Long Life Vehicle (LLV) assigné (no 48 321) aux fins de la livraison du courrier selon l’itinéraire SS50, un itinéraire comportant des segments urbains, d’autoroute et ruraux.

[2] Comme il est indiqué à la première page de la présente décision, l’appelant s’est représenté lui-même tout au long du processus d’appel, tandis que la partie adverse et l’intervenant étaient représentés par des avocats d’expérience. Il est rapidement apparu évident, au cours des étapes procédurales préparatoires et des étapes initiales de l’audience, que M. Tretiak n’avait aucune expérience du processus d’audience et des règles usuelles régissant la justice administrative et la présentation d’éléments de preuve et d’arguments juridiques.

[3] Pour faciliter le déroulement de l’audience, j’ai indiqué à l’appelant et aux deux avocats que je m’efforcerais de faciliter, dans la mesure du possible et sans violer les règles fondamentales, la présentation par M. Tretiak de sa cause et j’ai obtenu la collaboration des avocats à cet égard.

[4] De plus, à la suite de certains avertissements qui lui auraient prétendument été donnés dès le début de son refus de travailler par une source qu’il n’est pas nécessaire d’identifier en l’espèce puisqu’aucune preuve corroborante n’a été présentée, selon lesquels son refus pourrait avoir des conséquences sur son emploi au sein de Postes Canada, l’appelant a demandé la confirmation, que j’ai donnée, que l’exercice de son droit de refuser de travailler était protégé par le Code. Par ailleurs, l’avocate de l’employeur et l’avocat de l’intervenant ont donné les mêmes garanties à l’appelant. Il convient en outre de noter que tous les témoins présentés par l’appelant ont demandé et obtenu les mêmes garanties auprès de moi et des avocats des autres parties.

Contexte

[5] Au moment de formuler la décision d’absence de danger faisant l’objet de l’appel, le délégué ministériel a indiqué dans son rapport d’enquête avoir établi les faits suivants :

L’employé appelant avait utilisé un autre véhicule (Dodge Town and Country, conduite à gauche) pour l’itinéraire SS50 pendant environ un an et demi avant d’utiliser le Grumman (no 48 321). Comme ce véhicule appartenait à une autre région (Oromocto) et qu’il devait être renvoyé au site d’origine, M. Tretiak était tenu d’utiliser le Grumman no 48 321 pour son itinéraire puisque ce véhicule était celui qui était normalement assigné à celui-ci;

En raison d’un accident évité de justesse pendant qu’il conduisait le Grumman, le RDMT Swann a indiqué que l’employé était anxieux et qu’il ne se sentait pas tout à fait en contrôle quand il conduisait le véhicule;

Tous les employés ont reçu une formation sur ce type de véhicule;

Un fournisseur externe (Everett Car Care) a inspecté le véhicule et aucun problème de mécanique ou de sécurité n’a été relevé;

D’après les déclarations de Duncan Gillis, formateur de conducteurs pour l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick, de Marc Gaudet, surintendant de secteur et Kevin Saindon, surveillant des facteurs, aucune inquiétude n’a été soulevée quant à la maniabilité du Grumman no 48 321;

L’appelant avait reçu une formation supplémentaire sur le véhicule Grumman dispensée par le formateur de conducteurs;

Les discussions qui ont eu lieu entre le RDMT Swann et le directeur de la santé et sécurité n’ont pas révélé que des plaintes avaient été reçues concernant le véhicule Grumman. 

[6] Dans son témoignage à l’audience, le délégué ministériel a indiqué qu’il travaillait au bureau d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) de Dartmouth (Nouvelle-Écosse) desservant toutes les provinces maritimes et qu’il occupait le poste d’agent des affaires du travail (SST) depuis trois ans au moment de l’audience. Il avait toutefois déjà travaillé à titre de consultant en santé et sécurité au ministère de la Défense nationale pendant 17 ou 18 ans. Il a indiqué qu’il avait mené l’intégralité de son enquête exclusivement par téléphone, dont un entretien de 23 minutes avec l’appelant, et qu’il n’avait donc jamais rencontré M. Tretiak, l’employé ayant refusé de travailler, qu’il n’avait jamais vu l’itinéraire effectué par ce dernier lors de sa distribution rurale de courrier ni vu le véhicule en question (le Grumman no 48 321) que M. Tretiak utilisait à cette fin.

[7] Le délégué ministériel a affirmé dans son témoignage que M. Tretiak n’avait jamais indiqué de véhicule en particulier ni précisé qu’il utilisait toujours le même véhicule. Le délégué ministériel a indiqué dans son témoignage que l’appelant lui avait appris qu’il était employé du même bureau de Postes Canada à Fredericton depuis 4 ans, qu’il avait utilisé un véhicule Grumman pour différents itinéraires à ses débuts de conducteur de relève FFRS, que dans la région de Fredericton, cinq itinéraires sont réservés au véhicule de livraison Grumman, que M. Tretiak avait été affecté à l’itinéraire SS50 (en utilisant le véhicule Town and Country) pendant la période comprise entre août 2015 et janvier 2016, soit le moment où un Grumman a été réaffecté à cet itinéraire et qui marque la date du refus de travailler de ce dernier. Selon le délégué ministériel, les inquiétudes de M. Tretiak concernant le véhicule, outre les questions ergonomiques, se rapportaient essentiellement à l’utilisation du véhicule pendant les mois d’hiver, bien que le véhicule soit muni de pneus d’hiver et que les conducteurs aient reçu l’instruction d’ignorer les voies d’accès à la propriété et les boîtes aux lettres en bordure de route considérées comme présentant un risque en raison des conditions routières.

[8] Dans son témoignage, le délégué ministériel a précisé que dans son entretien avec l’appelant, M. Tretiak n’avait soulevé que la question de son niveau de confort en conduisant le véhicule, qu’il n’avait soulevé aucun problème quant aux miroirs, aux ceintures de sécurité, aux phares diurnes posant un risque d’incendie et qu’il n’a donné aucun détail ni aucune description des prétendus accidents évités de justesse ni aucune précision quant aux conditions ou risques routiers particuliers.

[9] Le formulaire d’enregistrement du refus de travailler qui a servi à engager le refus de travailler officiel de M. Tretiak fait partie du rapport du délégué ministériel et comporte une description détaillée de ce qui est décrit dans le rapport de risque/rapport interne d’enquête du comité de santé et sécurité, soit que l’employé ne se sentait pas [traduction] « en contrôle du véhicule à conduite à droite Grumman assigné à son itinéraire de livraison ». Longuement cité, le formulaire brosse, dans les mots de M. Tretiak, un tableau complet de la question soulevée par l’appelant tant à l’étape de l’enquête que dans son témoignage et, dans une certaine mesure, soulevée par ses témoins à l’audience :

[Traduction] Quand j’utilise le véhicule d’entreprise « Grumman » pour livrer le courrier sur l’itinéraire SS50 pendant les mois d’hiver, je ne me sens pas en sécurité. L’augmentation du niveau de risque s’ajoute au stress de ne pas pouvoir atteindre mes objectifs de production de livrer le courrier sur l’itinéraire en intégralité et en toute sécurité.

Je suis conscient que je suis un conducteur professionnel et que je suis tenu de conduire dans diverses conditions d’une manière efficace et en toute sécurité. Je suis heureux de travailler chez Postes Canada et j’aime beaucoup mon travail en tant que FFRS. Je suis pleinement capable d’accomplir mes tâches lorsque je me sens en sécurité avec l’équipement qui m’est fourni. C’est seulement avec le « Grumman » pendant les mois d’hiver lorsqu’il y a de la glace ou de la neige que je me sens en danger et incapable d’accomplir mes tâches.

Mon but en soulevant mes préoccupations en matière de sécurité est de parvenir à un accord avec la direction selon lequel je n’ai pas à utiliser le « Grumman » sur cet itinéraire pendant les mois d’hiver lorsqu’il y a présence de glace et de neige. Si je ne peux pas obtenir un autre véhicule d’entreprise ou un autre itinéraire, j’aimerais avoir la permission d’utiliser mon véhicule personnel.

Un véhicule d’entreprise Dodge Town and Country à conduite à droite est habituellement assigné à mon itinéraire. À de nombreuses occasions, mon véhicule d’entreprise a été remplacé par un « Grumman ». À de nombreuses reprises lorsque je conduisais le « Grumman » pendant les mois d’hiver, j’ai perdu le contrôle du véhicule et j’ai évité de justesse des accidents. J’ai signalé chacun de ces accidents évités à mes superviseurs. Les accidents évités sont survenus pendant que je conduisais le « Grumman » en livrant le courrier aux boîtes aux lettres situées en bordure de route ou en entrant ou sortant des entrées. Quand je suis au volant, je n’ai pas l’impression que je peux conserver la maîtrise du véhicule en tout temps. J’ai évité des accidents en roulant à au plus 50 km/h et au moment de démarrer ou d’arrêter le véhicule. J’ai fait part de mes inquiétudes en matière de sécurité à de nombreuses reprises à mes superviseurs, qui m’ont aussi parlé de leurs expériences de conduite du « Grumman » et de leur sentiment d’insécurité. [...] [Il faut souligner que cette déclaration de M. Tretiak n’a pas été corroborée par le témoignage des superviseurs en question qui ont noté que l’appelant n’a pas suivi la procédure établie de signalement des incidents.]

Après avoir évité plusieurs accidents, qui auraient pu me blesser ou blesser la population, je n’ai pas confiance en ma capacité d’avoir la maîtrise du véhicule en tout temps. Lorsque j’ai essayé de refuser d’utiliser le véhicule pour ma sécurité personnelle, on m’a répété qu’il me faudrait utiliser le véhicule sur la route avant de dire que je ne suis pas en sécurité. Le lundi 11 janvier 2016, après avoir tenté de refuser de conduire le « Grumman », on m’a dit de faire un essai. À ce moment-là, je suis devenu très stressé, dépassé, essoufflé et étourdi et ces sentiments se sont transformés en une crise de panique caractérisée. L’idée de conduire le « Grumman » et de mettre ma sécurité personnelle à risque m’occasionne (...) un grand stress, qui me rend incapable d’accomplir mes tâches. C’est un risque psychosocial qui me suit après le travail et dans ma vie personnelle.

Quand j’utilise le Dodge Town and Country pour accomplir mes tâches, j’ai en tout temps la parfaite maîtrise du véhicule et je ne me sens jamais en danger. Il dispose d’équipements de sécurité modernes comme [...] la direction assistée.

[non souligné dans l’original]

[10] À la suite de la décision du délégué ministériel concernant son refus, M. Tretiak a accepté de suivre la formation complémentaire qui lui avait été auparavant proposée et a déposé auprès du Tribunal une demande d’interjeter appel accompagnée d’une déclaration assez longue de ses motifs d’appel. À la lecture de ce document, on ne peut qu’avoir l’impression qu’à l’étape de l’appel, la portée des problèmes que l’appelant pouvait avoir eus avec le véhicule Grumman semble s’être élargie pour inclure certains éléments ou certaines caractéristiques du véhicule qui n’avaient pas été mentionnés au départ ou qui ne semblent pas avoir été mentionnés au délégué ministériel et qui, par conséquent, ne peuvent pas être dûment examinés dans le cadre de l’appel. La déclaration d’appel se lit comme suit :

[...]

Je souhaite interjeter appel de la décision que Joseph Swann a rendue le lundi 25 janvier selon laquelle le véhicule d’entreprise « Grumman » est adéquat et sécuritaire pour être utilisé sur l’itinéraire SS50 au poste de facteurs de Postes Canada situé au 203, Waggoners Lane, à Fredericton (Nouveau-Brunswick). Je me sens obligé d’interjeter appel de cette décision à la lumière des conclusions de l’enquête, notamment le paragraphe 5e) qui porte sur les déclarations recueillies auprès de Duncan Gillis, de Marc Gaudet et de Kevin Saindon. Ces trois employés conduisent le véhicule du point A au point B en tant que superviseur ou directeur et non de façon quotidienne sur un itinéraire complet. À mon avis, il suffirait de s’entretenir avec des employés qui utilisent le Grumman régulièrement pour la livraison rurale du courrier aux domiciles et aux boîtes aux lettres situées en bordure de route pour démontrer que l’ergonomie du Grumman et sa capacité à affronter les routes rurales en cas de glace, de neige, de vent, de pluie et lorsqu’elles sont en mauvais état posent de sérieux problèmes. Il existe une grande différence entre un trajet de 20 minutes ou celui de deux heures d’un point à l’autre et un itinéraire rural de 4 à 6 heures comportant un minimum de 200 à 300 arrêts. J’estime que la conduite du Grumman sur ces itinéraires ruraux en hiver peut poser un risque psychosocial qui doit faire l’objet d’une enquête complète.

Également, en ce qui concerne le paragraphe 5g), selon lequel aucune plainte n’a été formulée à l’égard du véhicule. Cette affirmation est complètement fausse. Je me suis déjà plaint et j’ai été témoin des plaintes présentées par mes collègues qui tentaient d’exercer leur droit de refuser de travailler. À ce moment-là, il s’agissait d’une évaluation verbale des risques et la réponse était d’utiliser le véhicule jusqu’à ce que l’on se sente en danger, puis de revenir au poste de facteurs et de poursuivre notre itinéraire avec notre véhicule personnel. Face à la frustration et à l’indifférence de la direction et des représentants syndicaux de notre poste de facteurs, j’estime qu’une enquête externe doit être menée afin d’assurer ma sécurité et celle de mes collègues.

Je crois aussi que la conduite du Grumman présente des dangers ergonomiques. Le siège du conducteur est mal fixé et se balance pendant la conduite du véhicule. Il n’y a pas de direction assistée, le volant a beaucoup de « jeu », ce qui exige des ajustements constants pendant la conduite, et le dossier du siège ne peut pas être ajusté. Un ou plusieurs de ces facteurs me causent une sensation de brûlure entre les omoplates et dans le dos lorsque j’utilise le Grumman pour faire la livraison. J’ai consulté un professionnel de la santé à propos de la douleur et il m’a recommandé de limiter ma conduite pour éviter des blessures.

Je vous invite à faire une inspection visuelle et plus approfondie du véhicule pendant qu’il parcourt les itinéraires de travail. [...]

[non souligné dans l’original]

[11] Au début de l’audience, j’ai indiqué qu’à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, il serait utile que j’examine un Grumman LLV afin de mieux comprendre les problèmes soulevés par l’appelant à son sujet.

[12] J’ai effectué un tel examen en deux étapes distinctes. Premièrement, au poste de facteurs de Fredericton, deux véhicules du genre ont été mis à ma disposition. Deuxièmement, à une date ultérieure, pendant l’audience et à ma demande, j’ai pris place en tant que passager dans un Grumman LLV pendant la majeure partie de l’itinéraire SS50 de l’appelant et j’ai fait l’expérience des segments urbains, d’autoroute et ruraux de cet itinéraire.

[13] L’examen du véhicule à l’arrêt a révélé que le Grumman était un véhicule fonctionnel peu confortable, sans isolation, sans climatisation, avec un siège pivotant unique (sauf quand il s’agit d’un véhicule de formation), sans dossier réglable et avec un empattement avant plus étroit que l’empattement arrière.

[14] Étant donné les affirmations de l’appelant, j’ai porté une attention particulière à la modification effectuée au compartiment arrière du LLV, sous la forme de paniers au-dessus des roues arrière permettant d’y mettre 300 livres de sable afin d’améliorer la traction et la tenue de route du véhicule en hiver. L’essai du véhicule en mouvement sur les divers segments de l’itinéraire de livraison a révélé un véhicule très bruyant, une direction devant être constamment corrigée par le conducteur assigné à la tâche et une tenue de route sérieusement influencée par le passage de véhicules en sens inverse, en particulier quand il s’agit de gros véhicules roulant rapidement, forçant ainsi le conducteur à réduire sa propre vitesse.

[15] L’appelant avait affirmé qu’un tel essai sur route serait encore plus instructif s’il avait lieu pendant les mois d’hiver et dans des conditions routières hivernales. Toutefois, cela aurait retardé la poursuite de l’audience pendant plusieurs mois et j’ai décidé que cela ne serait pas nécessaire.

Question en litige

[16] La question à trancher dans le cadre du présent appel se rapporte de toute évidence, en termes généraux, à l’utilisation du véhicule appelé Grumman LLV (conduite à droite) aux fins de la livraison du courrier. Toutefois, pour bien définir la question en litige, on ne peut ignorer la description faite par l’appelant, aux diverses étapes du processus, des questions de santé et de sécurité, soit le « danger », pour reprendre la terminologie du Code, que l’appelant a présenté pour justifier son refus de travailler.

[17] À cet égard, on ne peut ignorer le fait qu’au moment de son refus, M. Tretiak avait utilisé le Grumman LLV no 48 321 et que les problèmes et incidents liés à ce véhicule que l’appelant a fait valoir pour justifier son refus de travailler se rapportaient à son utilisation de ce véhicule en particulier. A cet égard, l’appelant a affirmé dans sa déclaration initiale de refus que [traduction] « [c]e n’est que dans le « Grumman » pendant les mois d’hiver lorsqu’il y a de la glace et de la neige que je me sens en danger ».

[18] Dans son rapport d’enquête et à l’audience, le délégué ministériel a mentionné que l’appelant avait, avant son refus, utilisé un véhicule Grumman à plusieurs reprises, mais rien n’indiquait que le Grumman utilisé était le même que celui en cause dans les événements ayant mené au refus (le no 48 321). Selon les témoignages recueillis à l’audience concernant l’utilisation par l’appelant d’un Grumman LLV, bien que l’appelant travaillait pour la SCP depuis 2012, son utilisation de ce véhicule au fil des ans, jusqu’au moment où il a refusé de travailler, s’élevait à quelques journées en 2014 et aux 7 et 8 janvier 2016, pour une partie de l’itinéraire SS50, et au 28 janvier 2016 où, après avoir terminé la livraison sur tout l’itinéraire, il a signalé une blessure au travail en raison du siège et de la direction qui lui faisaient mal au dos et au cou. En conséquence, on lui a confié le 2 février un itinéraire plus court en lui permettant d’utiliser son véhicule personnel jusqu’au 21 février 2016. Le 22 février 2016, l’appelant est affecté en permanence à l’itinéraire SS 21, qui n’est pas un itinéraire exigeant un véhicule à conduite à droite, permettant ainsi l’utilisation d’un véhicule personnel.

[19] Dans sa déclaration d’appel, toutefois, M. Tretiak semble élargir quelque peu la portée de ses motifs de refus lorsqu’il mentionne que [traduction] « l’ergonomie du Grumman et sa capacité à affronter les routes rurales en cas de glace, de neige, de vent, de pluie et lorsqu’elles sont en mauvais état posent des problèmes ».

[20] Pour ce qui est de l’aspect « ergonomique » du motif de refus, le témoignage du délégué ministériel à l’audience indique que cette question a été au moins soulevée par M. Tretiak dans le cadre de son enquête sur le refus de travailler de l’appelant. Comme c’est la décision du délégué ministériel qui fait l’objet de l’appel et non l’avis de refus de travailler de M. Tretiak, l’appel vise tous donc les éléments dont le délégué ministériel a tenu compte, y compris ceux liés à ce qui a été décrit comme les problèmes ergonomiques que l’appelant aurait rencontrés.

[21] Cela étant dit, très probablement en raison du manque d’expérience de l’appelant, celui-ci a, à plusieurs reprises tout au long de l’audience, mentionné que d’autres aspects du véhicule présentaient un risque, comme la ceinture de sécurité, les miroirs mal fixés, les phares et même l’utilisation générale d’un quelconque Grumman LLV sur n’importe quelle route rurale dans le pays. À tout le moins, on ne peut absolument pas dire avec certitude que l’appelant a soulevé ces questions dès le début ou devant le délégué ministériel.

[22] Il est vrai qu’en tant qu’agent d’appel, procéder de manière de novo permet de recevoir des éléments de preuve et des renseignements qui n’auraient peut-être pas été accessibles au délégué ministériel ou dont il n’aurait pas tenu compte lors de son enquête sur le refus de travailler de l’employé, ou dans une certaine mesure, au comité local qui a effectué l’examen initial du dossier. Ce principe ne me permet toutefois pas de tenir compte d’éléments plus larges qui entraîneraient une modification du fond du refus.

[23] Par conséquent, je suis d’avis que les éléments qui surgissent, de n’importe quelle source, pour la première fois pendant le processus d’appel et l’audience se trouvent hors de la portée de l’appel. En revanche toutefois, je suis d’avis que si l’on examine la question dans son ensemble, l’essence du refus concerne l’utilisation du véhicule Grumman par l’appelant et, en reconnaissant que, dans l’instantanéité du refus, l’appelant avait utilisé le véhicule no 48 321, j’estime que la question à trancher dans le cadre de l’appel est de savoir si l’utilisation d’un Grumman LLV au moment du refus de travailler, en hiver, et dans les conditions qui régnaient au moment où l’appelant a utilisé le véhicule, constituait un danger pour l’appelant au sens du Code.

Observations des parties

A) Observations de l’appelant

[24] En plus de son propre témoignage, l’appelant a présenté quatre témoins à l’appui de sa demande. Ces témoins (Krista Steven, Wilma Perkins, Tawnia Moorehouse et Kim Laforest) travaillent tous comme FFRS sur divers itinéraires de livraison, qui sont tous différents de celui attribué à M. Tretiak. En outre, à l’exception de Mme Steven qui livre le courrier du poste de facteurs de Fredericton, les itinéraires desservis par les autres témoins sont situés dans d’autres régions du Nouveau-Brunswick (Burts Corner et Keswick Ridge).

[25] Mme Steven a indiqué dans son témoignage qu’elle avait accompagné l’appelant à une réunion avec son superviseur (Wendy Gibson) le 15 janvier 2016, pour trouver un arrangement aux termes duquel l’appelant aurait remplacé son itinéraire par un itinéraire libre (SS 19), qui ne requiert pas un Grumman, ou aurait été autorisé à utiliser son véhicule personnel sur l’itinéraire SS 50. Cet arrangement a été refusé. Dans leurs témoignages, tous les autres témoins ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas en sécurité au volant d’un Grumman pendant l’hiver, que la tenue de route du véhicule est affectée par le vent, nécessitant d’ajuster constamment la direction et la vitesse et qu’il est difficile à conduire en hiver, même lorsque des poches de sable sont ajoutées aux roues arrières.

[26] Mme Moorehouse a repris, en ajoutant quelques détails, tous les éléments mentionnés par les autres témoins. Elle a indiqué que l’empattement avant plus étroit du véhicule nuisait à sa tenue de route, particulièrement en hiver. Cette dernière et Mme Laforest ont indiqué que la direction du véhicule était relâchée, rendant le maintien du véhicule sur la route plus difficile.

[27] Enfin, Mme Laforest a indiqué dans son témoignage que ses problèmes ergonomiques revenaient chaque fois qu’elle devait reprendre la conduite d’un Grumman.

[28] Dans son témoignage quelque peu plus détaillé, M. Tretiak a en général réitéré les divers éléments apportés par ses quatre témoins, qui se retrouvent généralement aussi dans le rapport et le témoignage du délégué ministériel. Il note que le 11 janvier 2016, à la suite d’un accident évité de justesse survenu le 8 janvier au cours duquel il a glissé le long d’une entrée de maison jusque dans une voie où approchaient des véhicules, il s’est renseigné à propos du processus de refus de travailler et, comme cela s’est également produit plus tard dans le processus, on l’a découragé de le faire et averti des répercussions possibles sur son emploi.

[29] Cela étant dit, en tant que conducteur de relève FFRS depuis 2012 et permanent depuis janvier 2016, il se considère comme un conducteur professionnel capable de conduire à n’importe quelle saison et comme un conducteur de relève qui devrait pouvoir conduire n’importe quel véhicule de Postes Canada au poste de facteurs, que la conduite soit à droite ou à gauche. Comme c’est toutefois le cas, particulièrement après son accident évité de justesse du 8 janvier 2016, il a indiqué que selon lui, le Grumman n’était pas un véhicule approprié à l’itinéraire SS 50 et au moment de reprendre son travail le 14 janvier (n’ayant pas travaillé les 12 et 13 janvier), il a choisi de refuser de travailler lorsqu’il a été informé qu’il ferait l’itinéraire SS 50 avec un Grumman (le Programme du travail a été avisé de son refus le 18 janvier 2016).

[30] Il a aussi refusé la formation supplémentaire qui lui a été offerte le 18 janvier 2016 au motif qu’il s’attendait à ce que sa plainte et son refus fassent l’objet d’une enquête complète. Il a toutefois accepté de recevoir cette formation supplémentaire après que son refus a été acheminé au Programme du travail et après que le délégué ministériel a rendu sa décision d’absence de danger.

[31] Il a affirmé à plusieurs reprises que sa plainte n’avait pas fait l’objet d’une enquête complète à l’interne ou par le délégué ministériel; à chaque étape, il s’attendait à avoir l’occasion d’expliquer son point de vue en détail après avoir transmis des renseignements préliminaires et qu’en fait, c’est dans le cadre du présent appel, dans son témoignage et dans les diverses observations qu’il m’a faites, qu’il a pu expliquer en détail les motifs de son refus pour la première fois, y compris donner des éléments d’information qu’il n’avait pas eu l’occasion de communiquer auparavant.

[32] Les réponses de M. Tretiak aux questions de l’avocate de l’intimée et de l’avocat de l’intervenant ont servi à établir ce qui suit. Pendant qu’il occupait la fonction de FFRS depuis 2012, il n’a été appelé à conduire un Grumman qu’à compter de février 2014, soit l’année où ce véhicule est entré en service au poste de facteurs de Fredericton. En tant que conducteur de relève FFRS, il n’avait utilisé que son véhicule personnel jusqu’à cette date et pendant la période comprise entre 2014 et 2016, on lui a parfois attribué des itinéraires pour lesquels le Grumman n’était pas utilisé pendant l’hiver 2014 (il n’était tenu d’utiliser un Grumman que durant de courtes périodes); il n’a jamais utilisé de Grumman pendant toute l’année 2015 étant donné que son itinéraire était associé à un véhicule Town and Country à conduite à gauche. Par conséquent, en janvier 2016, quand on lui a attribué l’itinéraire SS 50 et qu’il n’avait plus le Town and Country à sa disposition, M. Tretiak n’avait pratiquement pas utilisé de Grumman depuis presque deux ans et seulement à quelques reprises en 2014.

[33] En janvier 2016, en raison des pannes, des problèmes ergonomiques et/ou d’un accident évité de justesse le 8 janvier, M. Tretiak a effectivement utilisé le Grumman à très peu d’occasions et, après le 29 janvier, pour des raisons médicales, on lui a attribué l’itinéraire SS19, pour lequel il pouvait utiliser son véhicule personnel. Cette situation s’est poursuivie jusqu’au 21 février 2016, lorsque l’appelant est devenu un conducteur régulier et permanent (titulaire de l’itinéraire), affecté en permanence à l’itinéraire plus court SS 21 (non désigné comme étant un itinéraire à conduite à droite), nécessitant moins de conduite et permettant l’utilisation d’un véhicule personnel, ce qui signifie que l’appelant ne serait plus tenu de conduire un Grumman dans le cadre de ses fonctions régulières.

[34] Concernant l’exigence de consigner dans le carnet de route du véhicule tous les problèmes et de signaler tous les incidents impliquant le conducteur et l’utilisation du véhicule, M. Tretiak était au courant de cette exigence, mais il l’a rarement respectée, choisissant, dans de nombreux cas, de signaler les problèmes verbalement. Selon son témoignage et celui de certains de ses témoins, la direction ne regarde pas les carnets de route.

[35] En présentant ses arguments finaux, l’appelant a souligné sa frustration devant la difficulté de se faire entendre et, en remarquant que la situation était devenue quelque peu complexe, il a exprimé tardivement ses craintes à l’idée de ne pas s’être fait représenter par un avocat pour l’aider à présenter un dossier plus clair et plus complet, vu que l’intimée et l’intervenant sont tous deux représentés par un avocat d’expérience. Puisqu’il en est ainsi, et puisque ces arguments ont été présentés d’une manière peu orthodoxe, j’ai choisi de les recopier intégralement :

[Traduction] J’ai décelé des problèmes de santé et sécurité avec le véhicule d’entreprise Grumman fourni par Postes Canada. Postes Canada m’a formé pour reconnaître, identifier et signaler de tels dangers. J’ai déposé mon refus de travailler au moment où on m’a attribué le Grumman no 48 321 pour effectuer la livraison sur l’itinéraire SS 50; toutefois, mes inquiétudes concernaient aussi d’autres Grumman utilisés pour d’autres itinéraires. J’ai exercé mon refus de travailler parce que je trouvais que le véhicule était imprévisible et qu’il était difficile à maîtriser pendant les mois d’hiver. J’ai évité plusieurs accidents de justesse entre 2014 et 2016 (perte de contrôle, glissement et croisement de route). J’ai aussi eu des maux de dos après avoir utilisé le Grumman. À mon avis, la douleur est causée par le siège du conducteur, qui est mal fixé et qui bouge, le relâchement de la direction, la mauvaise suspension ou une combinaison de ces facteurs. Les fois où j’ai essayé d’aborder ces préoccupations de santé et de sécurité, 1) on a refusé ma première demande d’exercer mon droit de refuser de travailler, entraînant une crise de panique (je n’avais jamais eu de crise de panique); 2) on m’a dit que je ne pouvais pas tout simplement refuser d’utiliser le Grumman, qu’une tentative de l’utiliser devait être faite (Desmond Downey, président de la section locale); on m’a demandé à plusieurs reprises d’essayer d’utiliser le Grumman, même après l’exercice de mon refus de travailler; 3) on m’a dit que je pouvais « me mettre au chômage de par la santé et sécurité » (Rob Garnier, représentant syndical régional); 4) j’ai été complètement exclu de l’enquête interne, où les personnes chargées de l’enquête n’ont même pas examiné le Grumman faisant l’objet de mes plaintes; 5) j’ai été abandonné par les représentants du STTP. Toni MacAfee (représentant syndical régional) m’a dit que des éléments de preuve à l’appui de mon dossier avaient été recueillis et que le syndicat m’épaulait; après que le statut limité d’intervenant ait été obtenu, j’ai été laissé à moi-même; 6) on m’a fait sentir seul face à mes préoccupations de santé et de sécurité. La superviseure, Wendy Gibson, a déclaré : « il y en a 6 000 sur la route et tout le monde les aime ». Je savais que je n’étais pas le seul à avoir de telles inquiétudes; j’ai discuté avec des collègues de leurs expériences semblables de perte de contrôle. Si d’autres employés ont été confrontés à ce genre de résistance en soulevant des préoccupations de santé et de sécurité, on peut comprendre qu’aucun autre refus de travailler n’ait été déposé. À qui puis-je m’adresser pour obtenir de l’aide lorsque je fais face à ce type de résistance? Comment Nina Mankovitz peut-elle savoir si des inquiétudes persistantes en matière de santé et de sécurité concernant ces véhicules continuent d’exister si les superviseurs de Postes Canada, à l’unisson avec le STTP, étouffent les inquiétudes de leurs employés de première ligne en matière de santé et de sécurité?

J’estime que je me mettais en danger lorsque j’utilisais le Grumman sur l’itinéraire SS 50. J’avais mal au dos (risque ergonomique) et je ne pouvais pas garder la maîtrise du véhicule en tout temps (risque psychosocial). Je n’ai jamais eu de problème (perte de contrôle ou douleur) lorsque j’utilisais le Town and Country. J’ai fait l’itinéraire SS 50 pendant l’hiver 2015. Sur mon itinéraire, des véhicules provenaient d’une carrière de gravier et aussi d’une scierie. Une perte de contrôle au mauvais endroit pourrait avoir des conséquences mortelles. J’étais une personne parmi d’autres à mentionner les problèmes que je rencontrais. D’après la réponse que j’ai reçue, c’est comme si j’essayais de dire que tous les véhicules Grumman étaient partout dangereux. Je sais que je ne peux pas parler de tous les Grumman, où qu’ils soient. Je peux parler de mon expérience d’utilisation des Grumman et je continuerai de le faire. Si l’enquête sur mon dossier se traduisait par la mise en œuvre de pratiques opérationnelles plus sécuritaires, ce serait une bonne chose. Le témoignage de Ted Tebele donne de la crédibilité à mon point de vue selon lequel les Grumman ne sont ni sécuritaires ni adaptés à la livraison sur certaines routes rurales. M. Tebele a indiqué dans son témoignage qu’avant de déployer les Grumman aux routes rurales, un projet pilote avait été mené pour vérifier si les véhicules à conduite à droite (en général) convenaient à la livraison du courrier en milieu rural. Ce projet pilote a duré une année et a visé environ 32 véhicules Jeep Patriot et Dodge Town and Country plus récents, modèles 2008-2009. Il y avait un tiers observateur et un suivi mensuel a été fait auprès des conducteurs qui utilisaient ces véhicules pour livrer le courrier. Le projet pilote a été considéré comme une réussite, mais Postes Canada n’a pas pu acheter ces types de véhicules en raison de problèmes d’approvisionnement. En conséquence, Postes Canada a remis en état des véhicules Grumman LLV (dont certains avaient déjà atteint leur durée de bon fonctionnement de 20 ans) jusqu’en 2014, puis les a réaffectés aux routes rurales pour la première fois au Canada (avant 2012, ils servaient à la livraison du courrier en milieu urbain). Aucun test n’a eu lieu avant 2014, soit deux années après avoir déployé les premiers Grumman, en 2012. Les véhicules ont été essayés pendant deux jours sur deux itinéraires. Une partie des essais visait à vérifier si leur système de bacs de sable parvenait effectivement à les rendre plus faciles à maîtriser sur la glace et la neige. Pour moi, cela démontre que Postes Canada reconnaissait l’existence d’un problème d’utilisation des Grumman pendant l’hiver et a réagi au problème en appliquant une « solution de fortune », en mettant des bacs de sable à l’arrière pour améliorer la traction. J’estime que nous méritons mieux que des « solutions de fortune » pour des problèmes structurels. Les premiers Grumman déployés en 2012 étaient au nombre de 60; ils sont aujourd’hui plus de 600 à sillonner les routes rurales. Postes Canada a investi massivement dans la remise en état de ces véhicules et je peux la comprendre de vouloir protéger son investissement. Toutefois, les inquiétudes des employés de première ligne qui utilisent ces véhicules doivent être entendues. De l’avis général des titulaires d’itinéraire et des employés de relève qui conduisent ces véhicules, ils se sentent en danger lorsqu’ils se trouvent sur une route rurale et particulièrement en danger pendant les mois d’hiver. On m’a toujours dit que si je croisais un secteur dangereux sur mon itinéraire, je devais contourner ce secteur et le signaler à mon superviseur. Cette procédure de sécurité au travail est imparfaite puisqu’elle suppose que l’on puisse repérer tous les secteurs dangereux avant de s’y trouver. Lorsque l’on parcourt des centaines de kilomètres chaque semaine en faisant des milliers de démarrages et d’arrêts, on doit disposer d’un équipement qui puisse affronter toutes les conditions en tout temps. Pour la santé et la sécurité des employés de première ligne qui utilisent cet équipement, il est nécessaire qu’il les protège contre les blessures en cas d’accident. Certains dirigeants de Postes Canada ont exprimé des inquiétudes en matière de santé et de sécurité lors de l’utilisation de ces véhicules, des employés ayant fait part de leurs expériences de perte de contrôle et de conduite dangereuse des Grumman. Ce débat continuera de prendre de l’ampleur avec le temps et j’espère que des mesures seront prises avant qu’un employé de Postes Canada ou un membre de notre collectivité soit blessé ou tué par l’un de ces Grumman.

Merci d’accorder une place prioritaire à la santé et à la sécurité. Protégez les employés et les collectivités qui sont régulièrement confrontés à ces véhicules. Compte tenu de tout ce que je décris ci-dessus, j’estime que la présente affaire est extraordinaire et qu’une inaction ou une décision de caractère théorique pourrait coûter cher à la société. Si une décision de caractère théorique est rendue, le prix pourrait être terrible et pourrait encourager Postes Canada à continuer de refuser des droits et à se soustraire aux procédures de refus de travailler standard à l’avenir.

B) Observations de l’intimée

[36] Pour étoffer la preuve qu’elle a présentée dans son témoignage, l’intimée a fourni les renseignements suivants concernant la restructuration des itinéraires postaux au poste de facteurs de Fredericton. À cet égard, il semblerait que le 17 octobre 2016, ou vers cette date, Postes Canada ait mis en œuvre une restructuration des itinéraires des FFRS. La planification a commencé plusieurs mois plus tôt, soit bien avant le refus de travailler de l’appelant et cette restructuration a donné lieu à une diminution du nombre d’itinéraires exigeant une conduite à droite, passant de cinq à trois au poste de facteurs de Fredericton.

[37] En l’espèce, cette restructuration d’itinéraires a fait en sorte que l’itinéraire SS50 n’existe plus et que tous les points de remise qui composaient auparavant cet itinéraire sont maintenant répartis sur quatre itinéraires distincts, soit les SS 3, 15, 22 et 24, aucun de ceux-ci n’exigeant une conduite à droite. De plus, dans le cadre de cette restructuration, l’appelant a demandé et obtenu d’être le conducteur permanent titulaire de l’itinéraire SS4, qui n’est pas un itinéraire à conduite à droite et pour lequel M. Tretiak utilise son véhicule personnel et non un Grumman LLV.

[38] Les observations finales de l’intimée comportent trois points ou questions. Premièrement, l’intimée est d’avis que l’appel de M. Tretiak devrait être rejeté en raison du caractère théorique de celui-ci. Deuxièmement, l’intimée soutient qu’il devrait être interdit à l’appelant d’élargir la portée de son appel. Enfin, sur le fond de la cause de l’appelant, l’intimée est d’avis que les faits, tels qu’ils ont été présentés, ne justifient pas une conclusion de « danger » au sens du paragraphe 122(1) du Code et que, à titre subsidiaire, si le soussigné concluait que l’utilisation d’un Grumman LLV pose un danger, celui-ci devrait être considéré comme une « condition normale de son emploi ».

[39] Concernant la portée de l’appel, avant de présenter son argument, l’intimée a reconnu que M. Tretiak n’était pas représenté par un avocat et a semblé accepter dans une certaine mesure la manière dont l’appelant exposait sa cause. L’intimée souligne toutefois le manque général de cohérence quant à la portée de la position de l’appelant dans le cadre de présente procédure. En évoquant les diverses étapes du processus, de la plainte initiale jusqu’au processus de refus, puis les diverses étapes ou parties de l’audience d’appel, l’avocate de l’intimée souligne que la plainte initiale de M. Tretiak portait sur sa capacité à maîtriser le Grumman LLV assigné à l’itinéraire SS50 en hiver en présence de neige et de glace sur la route et que son document d’enregistrement du refus indiquait que le résultat visé était de ne plus avoir à utiliser le Grumman LLV sur l’itinéraire SS50 pendant les mois d’hiver lorsqu’il y a avait de la neige et de la glace. Toutefois, l’avocate fait remarquer que pendant l’enquête sur le refus du délégué ministériel Swann, M. Tretiak a formulé pour la première fois des plaintes liées à l’ergonomie.

[40] Pour ce qui est de l’audience d’appel en soi, l’intimée souligne que pendant la visite sur les lieux survenue le premier jour lorsque j’ai eu l’occasion d’examiner attentivement deux Grumman LLV, l’appelant a soulevé pour la première fois de nouvelles inquiétudes concernant la ceinture de sécurité et les miroirs mal fixés. Par la suite, au début de l’audience, M. Tretiak a indiqué que ses problèmes concernaient le Grumman no 48 321 sur l’itinéraire SS50, ajoutant plus tard qu’il ne voulait plus jamais conduire un autre Grumman LLV sans égard à l’itinéraire en question ou à la période de l’année.

[41] L’avocate de l’intimée note néanmoins qu’au cours de la deuxième partie de l’audience, après la reprise du 31 octobre 2016, l’appelant a indiqué que ses préoccupations concernaient l’utilisation générale du Grumman LLV sur toutes les routes rurales à travers le Canada, tout en indiquant ceci dans ses observations finales écrites : [traduction] « [j]e sais que je ne peux pas parler de tous les Grumman, où qu’ils soient. » L’intimée fait valoir que M. Tretiak semble essayer d’établir un refus de travailler collectif au bénéfice de ses collègues, qui n’ont pas eux-mêmes procédé à un refus de travailler et qui pourraient même avoir choisi un itinéraire à conduite à droite en exerçant le droit de choisir que leur ancienneté leur confère.

[42] En résumé, l’avocate souligne que bien que le refus de travailler initial de M. Tretiak se rapporte au véhicule assigné à l’itinéraire SS50 pendant les mois d’hiver et en particulier son sentiment personnel de confort et la confiance de celui-ci dans sa capacité de maîtriser le véhicule, une grande partie des éléments de preuve que M. Tretiak a cherché à apporter à l’audience sont liés à des questions qui n’ont pas été soulevées au moment de déposer le refus de travailler initial ou qui n’y sont pas directement liées, y compris les questions ergonomiques, qui n’ont rien à voir avec la maîtrise du véhicule.

[43] En faisant valoir qu’il ne devrait pas être permis à l’appelant d’élargir la portée de son appel de cette façon, l’intimée s’appuie sur la décision Schmahl c. Service correctionnel du Canada, 2016 CarswellNat 3023, 2016 TSSTC 6, où l’agent d’appel indiquant qu’il agissait de manière de novo et qu’il bénéficiait donc de beaucoup de souplesse pour recevoir des éléments de preuve et des renseignements qui n’étaient peut-être pas accessibles à l’agent de SST dont la décision est portée en appel aux fins de révision, a affirmé ce qui suit : « Toutefois, cette preuve doit porter sur l’élément qui a donné lieu au refus de travailler; elle ne peut porter sur des éléments plus larges qui y sont logiquement liés, mais qui n’ont pas été soulevés au départ. »

[44] En ce qui concerne le caractère théorique, l’intimé fait valoir qu’il n’existe pas ni ne subsiste à l’heure actuelle de litige entre les parties et que les circonstances ayant donné lieu au refus de travailler de M. Tretiak n’existent plus.

[45] Selon l’avocate, mon examen de cette question doit s’appuyer sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada énoncé dans l’arrêt de principe en la matière, Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CarswellSask 241, [1989] 1 RCS 342, qui illustre le principe en vertu duquel un tribunal (le principe s’applique aussi à un tribunal administratif) peut refuser de trancher une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire.

[46] Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. La démarche à suivre vis-à-vis d’une telle question comporte l’analyse en deux temps décrite par la Cour :

En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique.  En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire.

Pour étayer ses arguments quant aux circonstances particulières de la présente question du caractère théorique, l’intimé renvoie à un certain nombre de décisions rendues par notre Tribunal qui ont traité de cette question. Il s’agit des décisions Maureen Harper c. L’Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 CarswellNat 6539, 2011 TSSTC 19; Robert J. Wellon c. Agence des services frontaliers du Canada, 2011 CarswellNat 7277, 2011 TSSTC 28; Schmahl c. Service correctionnel du Canada, précitée, et Gauthier c. Service correctionnel du Canada, 2016 CarswellNat 4043, 2016 TSSTC 12.

[47] En appliquant les motifs de ces décisions à l’espèce, l’avocate a fait valoir, comme premier argument, que bien que la requête en rejet fondée sur le caractère théorique ait été présentée pour la première fois à l’audience de vive voix, à la conclusion de l’exposé de l’appelant, j’ai alors choisi de ne pas statuer sur la requête tant que toutes les parties en cause n’avaient pas présenté leur position, M. Tretiak a choisi de ne pas contre-interroger Nancy Blizzard, témoin de l’intimée, concernant la requête de l’intimée demandant le rejet de l’appel en raison du caractère théorique de celui-ci, préférant plutôt, à l’étape des conclusions finales, présenter des observations sur des points non étayés par des éléments de preuve, dont notamment, l’ancienneté et les détails des restructurations d’itinéraires futures, qui auraient pu être portés à l’attention dudit témoin. L’avocate fait valoir que les observations de M. Tretiak ne devraient pas être prises en compte dans les circonstances. Quant aux circonstances particulières de l’espèce qui permettraient de conclure au caractère théorique, l’intimée avance ce qui suit.

[48] Avant sa mise en œuvre le 17 octobre 2016, la restructuration des itinéraires du poste de facteurs de Fredericton, mentionnée précédemment, avait été planifiée pendant plusieurs mois. La restructuration a entraîné la suppression de l’itinéraire SS50 et la répartition des points de remise composant cet itinéraire sur quatre nouveaux itinéraires (3, 15, 23 et 24), aucun n’étant un itinéraire à conduite à droite, ce qui signifie que les FFRS affectés à ces itinéraires utilisent tous leur véhicule personnel et aucun d’entre eux n’est tenu d’utiliser un Grumman LLV.

[49] M. Tretiak est maintenant le titulaire permanent de l’itinéraire SS4, qui n’est pas non plus un itinéraire à conduite à droite. Par conséquent, il dessert l’itinéraire avec son véhicule personnel et n’est pas tenu d’utiliser un Grumman LLV. Même en considérant la possibilité d’une autre restructuration d’itinéraires à un moment donné à l’avenir, un fait que l’intimée admet comme étant une possibilité, cette dernière fait valoir qu’il n’existe aucune preuve, aucun motif ni aucune intention permettant de conclure que si cela devait arriver, l’appelant serait tenu de conduire un Grumman LLV sur le même itinéraire ou un itinéraire similaire.

[50] L’intimée ajoute que la récente restructuration d’itinéraires a fait passer de 5 à 3 le nombre d’itinéraires à conduite à droite. La postulation et l’attribution des itinéraires s’effectuent selon l’ancienneté. Puisque l’ancienneté de l’appelant continuera de s’accumuler, en cas d’une autre future restructuration d’itinéraires, l’intimée soutient que M. Tretiak aurait alors la possibilité de postuler pour son itinéraire préféré selon son ancienneté, comme il l’a fait pour obtenir l’itinéraire SS4 dans le cadre de la récente restructuration.

[51] L’avocate souligne à cet égard que les autres FFRS pourraient préférer un itinéraire à conduite à droite, que des FFRS ayant plus d’ancienneté que l’appelant ont effectivement choisi de tels itinéraires au cours de la dernière restructuration et que cela pourrait se reproduire à l’avenir. Quant aux caractéristiques réelles des itinéraires à conduite à droite, l’avocate soutient que ces itinéraires comptent, en raison de leur nature, parmi les plus longs, et qu’en ce qui concerne M. Tretiak, lorsqu’il a fourni à l’employeur un certificat médical indiquant que [traduction] « la conduite pourrait devoir être limitée en raison de douleurs », des aménagements ont tout de suite été apportés et il s’est vu confier un itinéraire plus court à conduite à gauche.

[52] De plus, en faisant allusion à l’éventualité d’une nouvelle restructuration, l’intimée fait valoir que dans l’éventualité peu probable où M. Tretiak soit tenu de conduire un Grumman LLV sur un itinéraire similaire à l’avenir, il conserverait malgré tout le droit de refuser de travailler en vertu du Code, comme tout autre employé du poste de facteurs de Fredericton.

[53] Quant à la deuxième partie de l’analyse de l’arrêt Borowski (précité), qui permet un examen discrétionnaire du fond d’une affaire, nonobstant son caractère théorique, l’intimée soutient que je ne devrais pas perdre de vue la différence entre une affaire de grande importance pour le public comme Borowski, pouvant toucher un grand nombre de personnes, et une affaire comme celle en l’espèce, qui doit être tranchée dans le contexte du paragraphe 128(1) du Code, qui concerne le refus de travailler d’« un employé » et non des « employés en général », ce droit de refus étant « irréfutablement un droit individuel ».

[54] Par conséquent, l’intimée est d’avis que je dois examiner la question de savoir si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire pour examiner le fond de cette affaire dans l’optique du scénario législatif du refus de travailler, en gardant à l’esprit que dans l’arrêt Borowski, sans égard à la grande importance pour le public de la question soulevée dans cette affaire, la Cour suprême a choisi de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire sur le fond.

[55] Étant donné l’impact limité de la question soulevée par l’exercice, par M. Tretiak, de son droit irréfutablement individuel, l’intimée est d’avis que je devrais m’abstenir d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire au fond.

[56] En outre, et même si les facteurs que la Cour a établis (contexte contradictoire, économie des ressources judiciaires et fonction juridictionnelle) pour envisager d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond étaient appliqués, l’intimée est d’avis que je ne devrais pas exercer ce pouvoir discrétionnaire pour les motifs suivants : il n’existe aucun débat contradictoire ni aucune conséquence indirecte pour M. Tretiak; en ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires et la fonction juridictionnelle du Tribunal, il n’est pas nécessaire de trancher une question qui est essentiellement abstraite ou théorique et la présente affaire ne présente aucune circonstance particulière.

[57] Essentiellement, l’intimée est d’avis que même si des éléments justifiaient de soulever cette question du caractère théorique au début de la procédure en l’espèce, la restructuration des itinéraires invoquée ci-dessus a renforcé la justification d’une telle conclusion, surtout qu’au moment d’examiner la question du caractère théorique, un litige actuel doit subsister au moment où la décision est rendue.

[58] En résumé sur cette question particulière, l’avocate est d’avis que puisqu’il n’existe pas de litige actuel et que le droit de refuser de travailler est irréfutablement un droit individuel, l’appel de M. Tretiak devrait être rejeté en raison de son caractère théorique. Une décision sur le fond n’aurait aucun effet pratique sur les droits des parties et la présente affaire ne présente aucune situation extraordinaire dans laquelle il serait dans l’intérêt public de statuer sur la question.

[59] Sur le fond, l’intimée repose ses arguments sur le fait que la situation que l’appelant décrit ne constitue pas un « danger » au sens du Code ou, si elle en constituait un, il s’agit d’une condition normale de son emploi, en passant en revue les différentes définitions du terme « danger » au fil des ans allant de la définition initiale en 1984 à celle qui s’applique en l’espèce et qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014.

[60] L’avocate renvoie aussi à la version de 1978 du Code, qui ne définissait pas précisément le terme « danger » ou « danger imminent », mais qui offrait essentiellement les premiers éléments de base de la définition à venir en formulant une disposition sur le refus de travailler centrée sur la notion de l’imminence d’un danger pour la santé ou la sécurité d’une personne. La définition actuelle du mot « danger », et donc celle qui s’applique, est la suivante : Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[61] L’intimée est d’avis que même si le législateur a voulu, dans la définition du Code de l’an 2000 du mot « danger », en élargir sa portée car la définition précédente (1984) et la disposition antérieure sur le refus de travailler (1978) offraient une notion trop étroite, la définition la plus récente et en vigueur [traduction] « semble repencher la balance dans le sens de la définition d’origine du mot danger, restreignant encore une fois sa portée ».

[62] L’avocate souligne alors que la définition actuelle ne comporte plus les mots « existant ou éventuel » qui figuraient dans la définition précédente, suggérant ainsi que le risque ou la situation doit exister au moment du refus de travailler. Aussi, selon l’avocate, la suppression des mots « tâche éventuelle », suggère que le risque doit exister au moment du refus, en s’appuyant sur la décision que l’agent d’appel a rendue dans Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée, CAO, décision no 01-008, qui affirme, au sujet de la définition du mot « danger » qui était en vigueur avant 2000, que le danger devait exister au moment de l’enquête de l’agent de SST.

[63] De plus, l’avocate remarque aussi que la nouvelle définition ne mentionne pas, comme c’était le cas dans la définition précédente, les blessures ou maladies qui pourraient survenir à l’avenir en raison de l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque. Selon l’avocate, il convient de noter en particulier, concernant la nouvelle définition, la réapparition du mot « imminent » pour qualifier la notion de menace.

[64] L’intimée est donc d’avis que la définition la plus récente, et donc la définition en vigueur, est plus restrictive, et renvoie en même temps à l’observation faite par le gouvernement (Programme du travail) selon laquelle, au moment d’établir s’il existe un danger, un représentant officiel mandaté pour enquêter sur un refus de travailler doit « déterminer [...] si le risque, la situation ou la tâche en question est raisonnablement considéré comme une menace imminente ou une menace sérieuse avant que la situation ou le risque soit corrigé ou la tâche modifiée ».

[65] En bref, l’intimée est d’avis que la nouvelle définition du mot « danger » est similaire à celle qui existait avant 1985 et qu’en tenant compte de la jurisprudence de cette période (Alan Miller c. Chemins de fer nationaux du Canada, 1980 CarswellNat 728), l’expression « danger imminent » doit être interprétée comme un événement susceptible de se produire à tout moment, restreignant ainsi considérablement la portée de la définition.

[66] Pour ce qui est des particularités de l’espèce, bien que l’intimée ne soit pas d’accord que la portée de l’appel devrait être étendue à tous les Grumman LLV, elle estime utile d’examiner certains éléments historiques à propos de ce type de véhicule avant d’aborder les préoccupations particulières de l’appelant.

[67] Par conséquent, bien que la SCP n’ait pas toujours eu des itinéraires FFRS à conduite à droite, avec le courrier livré généralement au moyen de véhicules personnels à conduite à gauche, au fil du temps, des questions ergonomiques et liées à la sécurité se sont posées avec l’utilisation de ces véhicules lorsque les boîtes aux lettres sont du côté droit de la rue, ce qui a amené l’intimée à entreprendre un projet pilote de conduite à droite en 2009 et à acquérir 36 véhicules (Jeep Patriot, fourgonnette Town and Country et GMC Savanna) pour mettre à l’essai la livraison du courrier à droite. Ce projet pilote a duré 12 mois et a suscité des réactions positives. Toutefois, à ce moment-là, il n’était plus possible d’acheter un grand nombre de ces véhicules auprès des fabricants, ce qui a amené l’intimée à se rabattre sur un certain nombre de Grumman LLV disponibles, qui ont par conséquent été mis à la disposition des FFRS.

[68] Étant un véhicule à usage spécial, le Grumman a d’abord été conçu pour le service postal des États-Unis, et un certain nombre d’entre eux a aussi été vendu au Canada, au Mexique et dans plusieurs autres pays. L’intimée est d’avis que suggérer que le Grumman a été principalement conçu pour la ville est tout simplement inexact. Se conduisant à droite et étant connu pour être un véhicule globalement économique, facile à réparer et à manœuvrer dans des passages étroits, l’intimée décrit le Grumman comme un véhicule commercial dont les caractéristiques diffèrent de celles d’un véhicule personnel, particulièrement en ce qui concerne la direction et la suspension, ce qui n’indique pas des problèmes de sécurité inhérents. En fait, c’est le véhicule le plus utilisé par les facteurs pour la livraison du courrier en bordure de trottoir et aux maisons aux États-Unis.

[69] Le service postal des États-Unis en utilise plus de 100 000, y compris en milieu rural, comme dans le Maine et en Alaska. Le Grumman LLV a été fabriqué entre 1987 et 1994 avec une durée de bon fonctionnement initiale de 24 ans. Par conséquent, pour prolonger sa durée, l’intimée a engagé un projet de reconditionnement (de 2012 à 2014) en consultation avec l’intervenant, le Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes (STTP), ce qui a porté à 30 ans la durée de vie de tous les Grumman LLV reconditionnés que les FFRS utilisent à l’heure actuelle, y compris le no 48 321. En outre, Postes Canada, en consultation avec le STTP, a mis en œuvre un système de rétention de bacs permettant l’installation de bacs de sable pouvant atteindre 300 lb à l’arrière des LLV afin d’augmenter le poids et d’améliorer la traction en conditions hivernales. Étant donné la capacité maximale du LLV (2 700 lb), la capacité de chargement du véhicule est passée à 2 400 lb et, après l’installation du système, aucune inquiétude quant à l’utilisation ou la maîtrise n’a été exprimée. Le véhicule est effectivement plus facile à maîtriser lorsque peu de courrier se trouve à bord.

[70] À compter de 2012, les Grumman LLV ont été mis en circulation, dont soixante d’entre eux ont été déployés jusqu’à l’hiver 2012-2013. En mars 2014, une évaluation conjointe de la SCP et du STTP a été effectuée concernant l’utilisation de ces véhicules par les FFRS, principalement afin d’évaluer les améliorations apportées à ces véhicules (système de bacs, pneus d’hiver) et leur performance dans les diverses conditions hivernales. Choisi par le STTP, l’itinéraire d’évaluation comportait des scénarios de conduite hivernale divers, notamment des routes de gravier, des terrains montagneux, des pentes, des surfaces glacées et des routes comportant des courbes à différents degrés, et les essais ont été effectués avec et sans le système de bacs de sable. Cette évaluation a confirmé, pour les deux parties, le caractère adéquat de ces véhicules pour la livraison par les FFRS et le caractère approprié des améliorations apportées aux Grumman. Toutefois, lorsque les itinéraires à conduite à droite pour les FFRS exigent un véhicule 4x4, comme il est établi par le comité de représentants locaux, la désignation de l’itinéraire est modifiée de manière à exiger un véhicule 4x4.

[71] Sur le plan de l’entretien, les éléments de preuve présentés par l’intimée indiquent que celle-ci est dotée d’un programme d’entretien préventif complet faisant en sorte que tous les véhicules de la flotte sont assujettis à une inspection d’entretien préventif obligatoire effectuée par un mécanicien agréé et visant à s’assurer que tous les problèmes d’entretien sont décelés et corrigés en temps utile.

[72] En outre, au Nouveau-Brunswick, les Grumman LLV doivent se soumettre à une inspection annuelle provinciale des véhicules motorisés effectuée par un mécanicien agréé. Dans le cas du poste de facteurs de Fredericton, ce mécanicien est Everett Car Care, dont le représentant, Ryan Everett, a témoigné qu’il avait toujours été chargé de faire toutes les réparations nécessaires afin de garantir la sécurité des véhicules de la SCP et d’équiper les Grumman LLV de Fredericton de nouveaux pneus d’hiver au début de chaque saison hivernale.

[73] Quant à la communication des renseignements nécessaires pour que des réparations soient faites, les éléments de preuve de l’intimée, comme le fait valoir son avocate, indiquent que les employés de la SCP sont tenus d’effectuer une inspection quotidienne de leur véhicule et de porter tout défaut à l’attention d’un superviseur, verbalement et aussi en remplissant le rapport requis de défectuosités du véhicule du conducteur. L’avocate a fait valoir que bien que M. Tretiak ait indiqué dans son témoignage que les superviseurs ne lisent pas les carnets de route, où ces défectuosités sont habituellement consignées, et où très peu de renseignements sont notés de nos jours, ces rapports de défectuosités ne sont pas conservés ou gardés dans les carnets de route du véhicule. Une fois remplis, ils doivent être remis à un superviseur, les superviseurs ayant reçu l’instruction de faire réparer le véhicule dès qu’ils ont connaissance d’un problème d’entretien. De plus, contrairement à ce qu’affirme l’appelant, les éléments de preuve présentés par l’intimé indiquent que seules des pièces neuves ou reconditionnées (de qualité équivalente à celle des pièces neuves) sont utilisées pour réparer les Grumman.

[74] L’intimée soutient également qu’elle est dotée d’un certain nombre de politiques obligatoires en matière de sécurité. Les plus notables sont les politiques [traduction] Ajustement du service en cas de mauvais temps (Service Adjustment-Adverse Weather) (1202,18), [traduction] Dangers et obstacles sur l’itinéraire de livraison (Hazards and Impediments to Delivery on Route) (1202,05) et [traduction] Procédures de travail sécuritaires destinées aux factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) (Rural and Suburban Mail Carrier Delivery (RSMC) Safe Work Procedures). Ces politiques s’appliquent au poste de facteurs de Fredericton. En particulier, lorsque la météo est mauvaise, la livraison du courrier est suspendue. De plus, si un employé fait face à un risque ou un obstacle, y compris en raison des conditions météorologiques hivernales comme la neige ou la glace, au moment d’approcher une boîte aux lettres en milieu rural, et estime qu’il ne peut pas livrer le courrier en toute sécurité, il a instruction d’éviter cette situation et de la signaler à son superviseur. D’un point de vue général, l’avocate a fait valoir qu’une grande attention est portée à la sécurité au poste de facteurs de Fredericton, qui a d’ailleurs été reconnu pour ses excellents résultats à cet égard.

[75] En réponse aux préoccupations particulières de l’appelant, l’intimée souligne que le LLV no 48 321 a été reconditionné avant d’être déployé et que d’après l’examen de son historique d’entretien, il est considéré comme un véhicule normal ayant un historique normal. Comme il a été révélé par la preuve, le véhicule a été envoyé à Everett ’s Car Care le 12 janvier 2016, a subi une inspection d’entretien préventif et une inspection annuelle provinciale, était en bon état de fonctionnement au moment des faits et de nouveaux pneus d’hiver avaient été posés. Quant à l’itinéraire SS50, il n’avait pas été désigné comme un itinéraire nécessitant un véhicule 4x4 et aucune plainte n’a été formulée à propos des caractéristiques de cet itinéraire ou du caractère approprié du Grumman LLV pour cet itinéraire par le titulaire de l’itinéraire précédant l’appelant ou par la personne ayant remplacé M. Tretiak après son refus de travailler.

[76] De plus, l’intimée est d’avis que la preuve que l’appelant a présentée ne permet pas de conclure à l’existence de multiples accidents évités de justesse et de pannes. Plus particulièrement, bien que M. Tretiak ait indiqué qu’il avait évité plusieurs accidents, en contre-interrogatoire, il a admis n’avoir conduit un Grumman LLV que deux jours en 2016 et uniquement pendant une petite partie de l’itinéraire SS50. Auparavant, son expérience avec un Grumman LLV s’était limitée à quelques occasions en 2014, rendant improbable qu’il ait pu éviter de justesse plusieurs accidents. De même, les possibilités de « pannes » sont limitées. Au contre-interrogatoire, l’appelant a expliqué qu’il considérait comme une « panne » le fait que le moteur ne démarre pas au début d’un quart de travail.

[77] L’intimée a fait valoir que l’appelant a soulevé un certain nombre de préoccupations ou de questions à l’audience qui, à son avis, semblent dépasser la portée initiale du refus de travailler. Il s’agit notamment des préoccupations relativement à la conception du véhicule. L’intimé a néanmoins choisi d’aborder ces préoccupations brièvement dans ses observations.

[78] Concernant le siège mal fixé, l’intimée soutient que le siège d’un Grumman est conçu pour pivoter et qu’un certain mouvement est donc nécessaire et que lorsque le siège du véhicule est vérifié avec succès dans le cadre de l’inspection d’entretien préventif et de l’inspection annuelle provinciale, il est sécuritaire. Un tel petit mouvement ne constitue pas un « danger » au sens du Code.

[79] Pour l’appelant, le « jeu au niveau de la direction » était une préoccupation, et contrairement à ce qu’il affirme, le Grumman est équipé de la direction assistée. Toutefois, comme le LLV est un véhicule commercial, et ainsi comme tous les autres véhicules commerciaux, sa direction est différente de celle d’un véhicule personnel. Un « jeu » trop important dans la direction empêcherait le véhicule de réussir l’inspection d’entretien préventif ou l’inspection annuelle provinciale. La direction du Grumman LLV est telle qu’elle a été conçue et ne constitue donc pas un « danger » au sens du Code.

[80] En ce qui concerne l’empattement arrière du Grumman, l’intimée fait remarquer qu’environ la moitié des véhicules de la SCP ont un empattement similaire. Un tel empattement signifie que le véhicule se manœuvre différemment d’un véhicule à traction avant ou intégrale, ce qui ne constitue pas un « danger » au sens du Code. L’intimée soutient que les FFRS sont des conducteurs professionnels, qu’elle s’attend à ce qu’ils adaptent leur conduite aux conditions routières et à ce qu’ils se conforment aux politiques de sécurité, qui portent notamment sur les conditions hivernales. Comme les autres éléments indiqués ci-dessus, la
« suspension » du Grumman est similaire à celle d’autres véhicules ou camions commerciaux et on ne peut s’attendre à ce qu’il roule avec autant de souplesse qu’un véhicule personnel. L’intimée est d’avis qu’une conduite plus dure ne signifie pas que le véhicule présente un « danger » au sens du Code.

[81] Quant à la tenue de route, la preuve que l’intimée a présentée indique que le Grumman est un véhicule de livraison léger et donc qu’il se manie comme d’autres véhicules de livraison légers ou à grand volume, y compris par temps venteux, et que la résistance au vent n’a pas été identifiée comme étant un problème de sécurité pour ce véhicule.

[82] Quant à l’empattement avant plus étroit du Grumman, les témoignages recueillis ont indiqué que cette caractéristique de conception permettait au véhicule de mieux tourner et que des facteurs comme le vent et l’empattement plus étroit ne devraient pas entraîner une perte de contrôle, qui est essentiellement causée par l’association vitesse-conduite, sans égard aux conditions.

[83] En ce qui concerne la preuve testimoniale corroborante présentée par l’appelant, l’intimée fait valoir qu’il faut lui accorder peu de poids étant donné les différents véhicules (même lorsqu’il s’agit de Grumman) utilisés par ces témoins, les différents itinéraires desservis et le fait que, lorsqu’ils ont eu l’occasion de postuler pour des itinéraires à conduite à gauche au moment de la restructuration des itinéraires selon leur ancienneté, ils ont choisi de postuler pour des itinéraires associés à des Grumman LLV.

[84] En règle générale, ni le directeur de la flotte de véhicules de la SCP ni le directeur général de la santé et sécurité de la SCP n’ont indiqué dans leur témoignage avoir eu connaissance de problèmes de sécurité ou mécaniques persistants ou systémiques avec le Grumman LLV; si cela avait été le cas, ils en auraient été informés de diverses façons. Selon les statistiques de la SCP, un employé de la SCP a cinq fois plus de chances d’avoir une collision dans l’un des autres véhicules de la flotte de la SCP. L’intervenant, le STTP, n’a pas soulevé de préoccupations systémiques quant à la sécurité du Grumman LLV et n’a pas remis en question la pertinence de son utilisation par les FFRS. Il a toutefois mentionné le manque d’uniformité dans l’installation du système de sacs de sable aux étapes initiales, mais le problème a été soulevé et corrigé et n’a fait l’objet d’aucune autre préoccupation de l’intervenant.

[85] Quant aux problèmes ergonomiques ou à l’alerte à la sécurité concernant les phares de jour que l’appelant mentionne pour étayer son allégation de danger, l’intimée fait remarquer que bien que l’appelant ait témoigné à propos de ses maux de dos, il n’a présenté aucune preuve quant aux problèmes « ergonomiques » du Grumman LLV. De plus, l’intervenant, soit le STTP, n’a jamais soulevé de questions du genre et n’a jamais demandé d’évaluations ergonomiques du Grumman. Quant à l’alerte concernant les phares de jour, l’intimée reconnaît que cette alerte a été en effet déclenchée, mais celle-ci se rapportait à un seul incident d’incendie qui ne s’est pas reproduit.

[86] En résumé, l’intimée fait valoir que l’appelant n’est pas parvenu à établir la situation, la tâche ou le risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. L’appelant est un conducteur professionnel utilisant un grand véhicule de transport en bon état mécanique et ni ses sentiments personnels à l’égard du LLV no 48 321 en particulier ou des Grumman LLV en général, ni ses plaintes à propos de l’ergonomie du véhicule ne constituent un « danger » au sens du Code. Même s’il existait un « danger », une conclusion qui n’est pas celle de l’intimée, l’intimée fait valoir que dans les circonstances établies en l’espèce, ce danger constituerait une condition normale de son emploi, auquel cas le refus de travailler n’est pas autorisé par le Code. Pour affirmer ceci, l’intimée s’appuie sur la jurisprudence du Tribunal et de la Cour fédérale, plus particulièrement les affaires Morrison et Société Postes Canada, 2009 CarswellNat 6830, décision no TSSTC-09-032, et P & O Ports inc. c. Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (Section Locale 500), 2008 CF 846.

C) Observations de l’intervenant

[87] Pour commencer, l’intervenant décrit généralement l’appel de M. Tretiak comme un appel soulevant deux sujets généraux de préoccupation concernant le Grumman LLV, soit l’incapacité du véhicule d’affronter les routes recouvertes de glace, de neige ou de pluie et les routes en mauvais état ainsi que les problèmes ou risques de nature ergonomique. Il commence aussi ses observations en soulignant qu’en tant qu’intervenant, il s’est vu accorder le droit de
contre-interroger les témoins appelés par les autres parties et de présenter des observations finales, ce qui l’a empêché de présenter ses propres témoins.

[88] À cet égard, l’intervenant souligne que l’appelant a fait différentes affirmations à propos de son comportement et a attribué certaines déclarations à certains de ses représentants et dirigeants. Il fait valoir que ces affirmations et déclarations ne seraient pas pertinentes pour trancher cette affaire et que compte tenu de son rôle limité en l’espèce, il serait déraisonnable et injuste que je me fonde sur les affirmations de l’appelant concernant les représentants du STTP.

[89] D’un point de vue général, la position de l’intervenant concernant cet appel peut être résumée aux mêmes deux arguments de l’intimée, soit que l’appel devrait être rejeté étant donné le caractère théorique de celui-ci (il n’existe plus de litige actuel entre les parties qui doit être tranché sur le fond) et que l’appelant n’a pas établi que l’utilisation du Grumman LLV pour la livraison du courrier par un FFRS constitue un « danger » au sens du Code.

[90] À l’appui de cette conclusion, l’intervenant a résumé les faits essentiellement de la même manière que l’intimée et a essentiellement formulé des observations ayant le même effet que celles de l’intimée, ce qui rendrait un tel résumé plutôt redondant et quelque peu inutile dans les circonstances.

[91] Cela étant dit, pour ce qui est de la question du caractère théorique, l’intervenant souligne que l’appel de la décision d’absence de danger du délégué ministériel n’est l’initiative que de M. Tretiak et qu’aucun autre FFRS n’est intervenu dans les procédures; le refus de travailler n’est fondé que sur la situation personnelle de M. Tretiak, situation qui n’existe plus. Ces arguments amènent l’intervenant à conclure que la présente affaire justifie manifestement l’application du principe du caractère théorique; une décision contraire serait complètement incompatible avec la jurisprudence du Tribunal.

[92] Concernant la deuxième partie du principe du caractère théorique exigeant qu’il existe des circonstances extraordinaires faisant en sorte qu’il soit dans l’intérêt public que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de juger l’affaire sur le fond, l’intervenant fait valoir que cette affaire ne présente aucune circonstance extraordinaire et qu’aucun élément de preuve déposé devant le Tribunal n’indique que cette question devrait être tranchée.

[93] Concernant la décision éventuelle du soussigné d’examiner la question du « danger », l’intervenant, en plus de formuler les mêmes observations que l’intimée, fait valoir que le Grumman LLV est utilisé par la SCP en milieu urbain depuis 1998 et en milieu suburbain et rural depuis 2012 et qu’il n’existe tout simplement aucune preuve se rapportant à l’utilisation de ce véhicule par la SCP qui appuierait la conclusion selon laquelle le véhicule présente un danger. L’intervenant avance que le refus de M. Tretiak semble être le seul cas, à la SCP, ayant exigé l’intervention d’un agent de SST, qu’il n’existe aucun historique documenté de problèmes concernant l’utilisation du Grumman LLV en hiver et qu’aucune donnée ne permet de conclure que le Grumman LLV est moins sécuritaire que les autres véhicules de la SCP. L’intervenant affirme que, selon les statistiques, un employé de la SCP a plus de chances d’avoir un accident en utilisant un autre véhicule.

[94] En ce qui concerne les problèmes ergonomiques, l’intervenant complète les observations de l’intimée en affirmant que, selon la jurisprudence, l’employé a le fardeau de présenter des attestations médicales prouvant que le travail constitue un danger. Une telle preuve n’ayant pas été présentée, à l’exception d’un court certificat médical suggérant de conduire moins, l’appelant ne s’est donc pas acquitté de ce fardeau. De plus, l’intervenant note que la demande d’indemnité pour accident du travail que l’appelant a présentée a été refusée parce que ce dernier n’a pas fourni de renseignements supplémentaires à l’appui de sa demande. L’intervenant avance que les affirmations de M. Tretiak liées au danger de nature ergonomique sont compromises par le fait qu’il n’a pas conduit le véhicule après le 28 janvier et qu’il n’a jamais établi s’il existait des mesures à prendre afin de limiter les effets ergonomiques éventuels, comme le rembourrage du siège ou l’utilisation d’un équipement en « forme d’obus ». L’intervenant fait valoir qu’il n’existe dans la preuve aucun historique documenté à l’effet que le Grumman LLV causerait des problèmes ergonomiques, même si les employés de la SCP utilisent quotidiennement 1 600 Grumman LLV.

[95] L’intervenant est donc d’avis que l’appel devrait être rejeté en raison de son caractère théorique et qu’aucune circonstance extraordinaire ne fait en sorte que le Tribunal devrait rendre une décision sur le fond. Subsidiairement, la preuve est insuffisante pour permettre une conclusion d’absence de danger.

D) Réplique

[96] Comme je l’ai indiqué au début des présentes, l’appelant n’a pas été représenté par un avocat durant ces procédures. Par conséquent, et étant donné son manque d’expérience, M. Tretiak a bénéficié d’une très grande marge de manœuvre relativement à la manière d’exposer sa preuve et même en ce qui concerne la substance de celle-ci; toutes les parties se sont entendues pour que le Tribunal fasse le tri des éléments d’information reçus et leur accorde la pondération et la pertinence appropriées, en tenant compte de la portée de l’appel.

[97] Je réitère ce fait à cette étape-ci à la lumière de la réplique de l’appelant, qui excède les limites d’une réplique appropriée et qui semble présenter de nouveaux éléments de preuve et formuler des questions nouvelles ou plus larges susceptibles de modifier la portée de l’affaire. Après avoir exprimé cette réserve, j’ai toutefois choisi de recopier l’intégralité de la réplique de l’appelant, par souci de conformité à la décision prise au début des présentes selon laquelle je permettrais, avec la collaboration de toutes les parties en cause, à l’appelant inexpérimenté d’exprimer pleinement sa position.

[98] La réplique de M. Tretiak se lit donc comme suit :

[Traduction] Il est inacceptable d’essayer de discréditer mon témoignage et d’affirmer que je n’ai jamais évité d’accident de justesse au volant des véhicules d’entreprise Grumman fournis par Postes Canada. J’ai évité des accidents de justesse. Je les ai signalés à mon superviseur. J’ai évité les secteurs où je perdais la maîtrise du véhicule, et on m’a ensuite dit que je ne pouvais pas éviter le secteur en question et que je devais faire tout l’itinéraire. À la lumière de mon expérience, du début à la fin, il est évident pour moi que le véhicule Grumman n’est pas adapté à la livraison du courrier en milieu rural. Ce sont des véhicules imprévisibles, peu fiables et non sécuritaires. Je suis resté bloqué sur des surfaces planes, j’ai cogné le véhicule et j’ai glissé latéralement, j’ai perdu le contrôle et j’ai fait un 360 sur le chemin Lord et la promenade Prices. J’ai aussi glissé dans une voie où des véhicules circulaient sur le chemin Woodstock. Le véhicule est tombé en panne à de nombreuses reprises sur l’itinéraire. Tous ces incidents se sont produits alors que je n’ai utilisé le Grumman qu’une vingtaine de fois. Mes collègues ont vécu des expériences similaires et nous nous les racontons dans nos conversations. Mes superviseurs ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas en sécurité lorsqu’ils conduisaient un Grumman. Aaron Moran l’a confirmé dans son témoignage (sentiment d’appréhension) tout comme la direction qui n’a pas témoigné. De plus, je n’ai pas inclus les employés ou les employés de relève, qui n’étaient pas à l’aise de participer à mon exposé. Même si cela aurait pu aider ma cause, je n’ai voulu mettre en péril l’emploi de quiconque. Je n’ai peut-être pas présenté ma position complètement et de manière professionnelle, mais elle est très simple. J’ai essayé de soulever mes préoccupations en matière de santé et de sécurité, mais on m’a refusé le droit de refuser de travailler. J’ai été victime d’une crise de panique au travail. La direction est consciente du danger auquel sont exposés les employés qui utilisent ces véhicules; toutefois, en insistant pour que nous les utilisions, elle nous pousse à nos limites, et quand nous sommes en situation non sécuritaire, elle dit que c’est de notre faute d’avoir essayé de passer quand même et de ne pas avoir évité le danger.

J’ai consulté mon médecin après la crise de panique. Je n’ai pas remis de certificat médical à Postes Canada, parce qu’on ne m’avait jamais demandé un tel certificat par le passé. Le médecin a dit que mon corps a eu une réaction de lutte ou de fuite pour éviter la situation stressante. Elle m’a aussi suggéré, si mon employeur continuait d’insister pour que j’utilise le véhicule et que je ne pouvais pas éviter la situation, de m’adresser aux médias ou aux médias sociaux à propos de mes préoccupations en matière de santé et de sécurité. Je n’ai pas voulu emprunter cette voie parce que j’estime que des mécanismes appropriés sont en place pour me protéger et que je dois d’abord les utiliser.

À mon avis, mon témoignage, celui de mes témoins et celui des témoins de Postes Canada soutiennent mon point de vue selon lequel les véhicules d’entreprise Grumman sont dangereux pour la livraison du courrier en milieu rural, particulièrement en hiver. Ils ont été déployés sans qu’aucun essai ne soit effectué, leur durée de bon fonctionnement initiale été prolongée et leur utilité a été modifiée afin de pouvoir les utiliser en milieu rural. Juger que la question est théorique reviendrait à ignorer des préoccupations liées à la santé et à la sécurité et constituerait un gaspillage complet des ressources investies dans l’enquête jusqu’à présent. Le fait de limiter les renseignements que j’ai fournis et ceux de mes témoins empêcherait la documentation de notre expérience de conduite avec les véhicules d’entreprise Grumman à Postes Canada. En me refusant le droit de participer à l’enquête interne, Postes Canada a limité la portée de ma plainte et limité la preuve que j’avais à présenter pendant les deux enquêtes suivantes. Personne n’a examiné le véhicule [no 48 321] après mon refus de travailler. Toutes les parties se sont appuyées sur le fait que le Grumman avait réussi une inspection pour étayer leur point de vue selon lequel aucun danger n’existait. Personne n’a essayé le véhicule no 48 321 ni vérifié sa capacité à faire face aux conditions routières de l’itinéraire SS50. Le 25 janvier, Joseph Deann (sic) a jugé qu’aucun danger n’existait; le même jour, le véhicule no 48 321 a été impliqué dans un accident et est tombé dans le fossé, du côté du conducteur. En raison de cet accident, Postes Canada n’a pas fait inspecter ce véhicule dans le cadre de l’enquête. On pensait au départ que le véhicule no 48 321 avait été déclaré perte totale et mis hors service chez Postes Canada. Ce n’est toutefois pas le cas, puisque nous avons appris, juste avant l’enquête commencée en juillet 2016, que le véhicule était en service à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Postes Canada a plutôt fait la démonstration que le Grumman ne présentait aucun des signes d’usure du véhicule no 48 321.

Mes droits n’ont pas été respectés au cours de ce processus et j’espère qu’ils le seront à l’avenir. J’adore mon travail de FFRS et je suis fier de servir la collectivité en portant l’uniforme de Postes Canada. J’espère ne pas avoir mis ma carrière en péril en faisant ce que j’estimais être la bonne chose à faire et j’espère que je pourrai continuer de servir la collectivité pendant les années à venir. [...]

Analyse

[99] Fondamentalement, lorsqu’on se penche sur les observations formulées par toutes les parties, il semble y avoir trois éléments à examiner dans le cadre de la présente analyse pour tirer une conclusion en l’espèce : quelle est la portée de l’appel? L’appel a-t-il un caractère théorique et, dans l’affirmative, dois-je exercer mon pouvoir discrétionnaire de juger l’affaire sur le fond? Enfin, les faits présentés permettent-ils de conclure à l’existence d’un « danger » au sens du Code?

[100] La première question a trait à la portée de l’appel et la question de savoir si au cours des diverses étapes du processus, l’appelant peut être considéré comme ayant tenté d’élargir la portée de son appel entre ce qui avait été initialement soulevé au stade du refus de travailler et ce qui a été formulé dans le cadre de l’audience et au moment de la présentation des éléments de preuve et, enfin, dans ses observations finales. L’intimée a brièvement indiqué par écrit que je devrais conclure par l’affirmative quant à cette question et a fourni un certain nombre de points de référence pour appuyer ses affirmations à cet égard. L’appelant, en revanche, n’a pas abordé précisément cette question particulière, mais on peut probablement établir, d’après sa réplique, qu’il est d’avis contraire. Ceci étant dit, toutefois, je ne considère pas qu’il soit particulièrement nécessaire d’aborder cette question d’une quelconque manière, puisque j’ai défini en détail ci-dessus, ce que j’ai considéré être la question en litige à trancher au cours de cette instance.

[101] Par conséquent, ma compétence de novo dans cette procédure d’appel, bien qu’elle me confère une grande souplesse pour recevoir et tenir compte des éléments de preuve et des renseignements, doit être exercée à l’égard des questions qui ont d’abord été soulevées par le refus de travailler et, à mon avis, qui sont abordées dans la décision du délégué faisant l’objet de l’appel et qui ne portent pas « sur des éléments plus larges qui y sont logiquement liés, mais qui n’ont pas été soulevés au départ ». Cela empêche essentiellement l’ajout continuel de détails et d’éléments au cours des différentes étapes de la procédure, et permet de s’assurer qu’aucune partie ne soit surprise par des affirmations supplémentaires auxquelles elles pourraient ne pas avoir eu l’occasion de répondre.

[102] L’affirmation de l’intimée et de l’intervenant sur le caractère théorique, par contre, constitue une question complètement différente. J’ai pleinement examiné les arguments avancés par l’intimée et l’intervenant selon lesquels je devrais conclure que l’appel est théorique et ceux de l’appelant, pour lesquels j’ai adopté une méthode d’interprétation eu égard à sa connaissance limitée des éléments de fond du principe du caractère théorique, en sollicitant une réponse négative de ma part aux affirmations de l’intimée et de l’intervenant.

[103] Lorsque l’intimée et l’intervenant ont formulé leurs arguments de manière similaire concernant le caractère théorique en s’appuyant sur les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Borowski (précité), les faits liés à la situation se rapportant à l’appelant en particulier et l’absence de motifs, comme le décrit de manière générale la Cour, pour que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire d’examiner et de trancher l’affaire au fond malgré une éventuelle conclusion selon laquelle l’appel serait théorique, l’appelant n’a pas contesté l’application de ce principe en général ou aux faits ni ma compétence étendue d’agir de manière discrétionnaire, choisissant plutôt de qualifier seulement mon éventuelle conclusion quant au caractère théorique comme ne tenant pas compte des préoccupations en matière de santé et de sécurité soulevées, constituant un « gaspillage complet des ressources » investies dans l’enquête jusqu’à présent, entraînant éventuellement un prix élevé et terrible pour la société et encourageant éventuellement [traduction] « Postes Canada à continuer de priver les employés de leur droit et à ne pas respecter les procédures de refus de travailler à l’avenir », ce dernier élément ayant été soulevé par l’appelant pendant l’audience sans toutefois être corroboré ou étayé par une source indépendante.

[104] Le juge Sopinka énonce comme suit le principe du caractère théorique dans l’arrêt Borowski (précité) :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal puisse refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

[non souligné dans l’original]

[105] Quant au deuxième élément du principe relatif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’examiner le bien-fondé, malgré une conclusion de caractère théorique, la Cour a précisé que trois facteurs devront alors être pris en compte, à savoir : l’existence d’un contexte contradictoire, la question de l’économie des ressources judiciaires, et la nécessité pour le tribunal (en l’espèce le Tribunal) d’être sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique, en établissant en fin de compte un équilibre entre le degré d’importance de l’affaire pour le public et la pertinence, dans l’intérêt public, d’examiner le bien-fondé.

[106] En tranchant les nombreux appels qui ont été portés devant lui, le Tribunal a eu à examiner la question du caractère théorique dans un certain nombre d’affaires et a ainsi élaboré ou fait siens un certain nombre d’éléments permettant de trancher la question du caractère théorique.

[107] Premièrement, dans la décision Maureen Harper c. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (précitée), l’agent d’appel a qualifié le droit de refuser de travailler comme étant irréfutablement un droit individuel ne s’appliquant qu’à l’employé qui l’exerce. Dans cette affaire, la décision selon laquelle l’appel avait un caractère théorique reposait en grande partie sur le fait que l’employée qui avait initialement refusé de travailler ne travaillait plus pour l’employeur; ce qui voulait dire que puisque l’employée n’était plus exposée à la présumée situation dangereuse, il n’y avait plus aucune raison de poursuivre l’audience d’appel.

[108] En l’espèce, toutefois, M. Tretiak est toujours un employé de la SCP. Il a néanmoins affirmé à de nombreuses reprises reconnaître que dans son cas, il ne pouvait pas parler des « autres Grumman », ce qui signifiait à mon avis que son refus de travailler et l’appel ne concernaient que sa propre situation et les circonstances l’entourant.

[109] Dans la décision Robert J. Wellon c. Agence des services frontaliers du Canada (précitée), la conclusion de caractère théorique de l’agent d’appel reposait essentiellement sur la disparition, avant l’audience d’appel, des circonstances qui avaient justifié l’existence d’un litige actuel entre les parties au départ. Dans cette affaire, l’agent d’appel a fait siens les motifs de la Cour dans l’arrêt Borowski (précité), selon lequel ce que la Cour appelle un élément essentiel, soit un litige actuel, « doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées », ce qui, dans une affaire comme la nôtre, signifierait le dépôt d’un refus de travailler, « mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision ».

[110] Dans la décision Tanya Thiel c. Service correctionnel Canada, 2012 TSSTC 39, le fait que l’employé ayant refusé de travailler n’était plus exposé au prétendu danger sur le lieu de travail a amené le Tribunal à conclure au caractère théorique du litige puisque, en fin de compte, la décision n’aurait aucun effet concret sur les parties.

[111] Plus récemment, dans Gordon c. Service correctionnel du Canada, 2017 TSSTC 8, le Tribunal a encore une fois statué que la disparition des circonstances ayant donné lieu au refus de travailler signifiait que la décision n’aurait aucun effet concret sur les droits des parties et que, par conséquent, le litige était théorique.

[112] En l’espèce, les faits liés à la situation de M. Tretiak parlent d’eux-mêmes. Sauf pour ce qui a été décrit comme [traduction] « quelques occasions » en 2014, lorsque l’appelant a dû utiliser un LLV dans le cadre de son travail, la preuve a indiqué que M. Tretiak a conduit un Grumman LLV (no 48 321) à deux occasions seulement en janvier 2016 (les 7 et 8 janvier) avant de refuser de travailler, et qu’à une seule occasion, après que le délégué ministériel a rendu sa décision d’absence de danger (le 28 janvier), avant d’être affecté à un autre itinéraire lui permettant d’utiliser son véhicule personnel; ensuite en acquérant son statut permanent et en invoquant son ancienneté et son droit de postuler, il est devenu le titulaire permanent de l’itinéraire SS21 (le 22 février) et, ultérieurement, à l’issue d’une restructuration des itinéraires où l’itinéraire d’origine desservi au moment du refus de travailler de l’appelant a cessé d’exister, de l’itinéraire SS4, ces deux itinéraires permettant à l’appelant d’utiliser son véhicule personnel.

[113] Bien qu’au moment de cette audience et de la décision, l’appelant ne soit plus tenu de conduire un véhicule à conduite à droite Grumman pour l’itinéraire postal dont il est actuellement titulaire, il a été avancé qu’advenant une autre restructuration, l’appelant pourrait à nouveau devoir conduire un tel véhicule. À ce sujet, il faut accorder un poids approprié à l’argument de l’intimée selon lequel en cas de restructuration future, comme rien n’indique que cela soit l’intention de l’employeur, il n’existe aucune raison de conclure que dans un tel cas, l’appelant serait à nouveau tenu de conduire un tel véhicule et que, outre la diminution du nombre d’itinéraires à conduite à droite, l’ancienneté de M. Tretiak, qui va en augmentant, lui permettrait de postuler pour ses itinéraires préférés et ainsi à conduite à gauche. Cet argument sert à mettre en perspective le principe supplémentaire adopté dans la jurisprudence du Tribunal selon lequel le droit de refuser de travailler est un droit continu et permanent qui accompagne l’employé au cours des diverses étapes de son emploi.

[114] À cet égard, dans la décision Manderville c. Service correctionnel Canada, 2015 TSSTC 3, après avoir réitéré le caractère individuel du droit de refuser de travailler et la nécessité d’une évaluation indépendante par un agent de santé et de sécurité, l’agent d’appel a affirmé : « De plus, étant donné ma décision selon laquelle la cause est théorique, rien n’empêche d’autres refus futurs de travailler dans des circonstances similaires. Chaque refus de travailler est évalué au cas par cas, et les appels sont entendus à la lumière des circonstances de chaque cause ». [non souligné dans l’original]

[115] Cela étant dit, certains éléments de preuve doivent être soulignés, en plus de la situation particulière de l’appelant qui a changé entre le moment de son refus de travailler et le moment où l’appel doit être tranché en l’espèce. Il a été affirmé, sans contestation, que la restructuration des itinéraires était prévue depuis plusieurs mois avant d’être éventuellement mise en œuvre le 17 octobre 2016, entraînant au sujet de l’itinéraire SS50, qui était au cœur de l’affaire au moment du refus de travailler, sa suppression. Les points de remise de l’ancien itinéraire SS50 se trouvent maintenant sur les nouveaux itinéraires SS3, 15, 23 et 24, où aucun de ces itinéraires n’étant désigné comme étant à conduite à droite, tous les FFRS affectés à ces nouveaux itinéraires utilisent leurs véhicules personnels et ne sont pas tenus de conduire des Grumman LLV. En outre, on ne saurait ignorer l’expérience limitée de l’appelant avec les véhicules Grumman en général ou avec le Grumman no 48 321 en particulier avant et après son refus de travailler et son accès ultérieur aux itinéraires à conduite à gauche.

[116] Enfin, bien que l’appelant ait présenté des témoins, des collègues, qui, à divers degrés, ont témoigné de leur insatisfaction ou de leur sentiment d’insécurité relativement au véhicule Grumman, aucun élément de preuve n’a été présenté démontrant que des refus de travailler pour des raisons similaires à celles de l’appelant ont été enregistrés.

[117] Après avoir pris en considération tous les arguments et éléments de preuve, je parviens à la conclusion, à l’égard de la première étape de l’analyse énoncée dans l’arrêt Borowski (précité) appliquée aux circonstances de l’appelant, qu’il ne subsiste manifestement aucun litige actuel en l’espèce au moment où je formule la présente conclusion. En résumé, les circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler de l’appelant n’existent plus et, par conséquent, je dois conclure que les questions soulevées sont devenues théoriques et que l’appel l’est par conséquent.

[118] Compte tenu de la conclusion ci-dessus, il reste à établir si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de juger malgré tout l’affaire sur le fond. Pour ce faire, trois facteurs doivent être pris en considération, tout en demeurant conscient de la question de savoir si l’intérêt public imposerait que je décide du
bien-fondé de l’affaire. Comme il est indiqué ci-dessus, ces facteurs se rapportent à la présence d’un contexte contradictoire, à l’économie des ressources judiciaires et à la nécessité pour le Tribunal d’être sensible à sa fonction juridictionnelle.

[119] En ce qui concerne le premier facteur, je ne peux pas ignorer le caractère singulier de l’action et de la demande de l’appelant, le caractère individuel du droit de refuser de travailler et le fait que, dans l’ensemble, la situation de l’appelant a changé de telle sorte qu’il utilise maintenant son véhicule personnel et non un véhicule à conduite à droite pour effectuer son itinéraire. En bref, la source de danger a été éliminée et des mesures correctives acceptables pour corriger la situation de l’appelant ont été mises en œuvre. Compte tenu de tous ces facteurs, il me serait difficile de conclure à l’existence continue d’un débat contradictoire.

[120] Quant à l’économie des ressources judiciaire et à la fonction juridictionnelle du Tribunal, il est évident que l’appelant souhaiterait que je tranche l’affaire sur le fond, ne serait-ce que pour contrer le « gaspillage de ressources » qu’il voit dans une conclusion de caractère théorique à ce stade, alors que l’intimée et l’intervenant considèrent, relativement à ces deux facteurs, qu’il n’est aucunement nécessaire de trancher une question qui est essentiellement abstraite et théorique, en l’absence de circonstances particulières.

[121] Bien que je partage l’avis de l’intimée et de l’intervenant à cet égard, il convient toutefois de souligner en l’espèce que la fonction juridictionnelle du Tribunal, pour être utile, demande qu’elle soit exercée de manière à équilibrer les positions ou points de vue opposés qui sont appuyés par des éléments de preuve et argumentaires suffisants. En l’espèce, je conclus que les renseignements et les éléments de preuve concernant le véhicule en litige sont incomplets et qu’ils n’ont pas été présentés d’une manière qui m’aurait permis de tirer des conclusions définitives concernant la sécurité ou l’absence de sécurité.

[122] Je m’exprime de cette manière parce que tout au long de l’audience, j’ai eu l’occasion d’examiner intégralement un véhicule Grumman à l’arrêt et j’ai également pu expérimenter quelque peu en profondeur la conduite de ce véhicule sur l’itinéraire SS50, mais pas dans des conditions routières hivernales, ce qui m’a permis de constater non seulement le manque évident de confort matériel offert par ce véhicule commercial, mais aussi de soulever certaines questions liées à la validité éventuelle des affirmations de l’appelant et à certains problèmes apparents concernant la conduite sécuritaire du véhicule sur l’itinéraire en question. Toutefois, comme ces questions n’ont pas été suffisamment abordées dans les renseignements fournis par l’une ou l’autre des parties et que, quoi qu’il en soit, les affirmations de l’appelant n’étaient pas soutenues par des éléments de preuve convaincants, je serais loin de faire avancer la question en tentant de statuer sur la sécurité à la lumière de la preuve qui m’a été présentée.

[123] Enfin, je suis d’avis que la présente affaire ne constitue pas une situation extraordinaire exigeant une décision sur le fond pour clarifier l’étendue d’un droit (à savoir, le droit de refuser de travailler) ou une situation où il serait dans l’intérêt public de statuer sur une question d’importance primordiale pour les employeurs et les employés assujettis au Code. La question soulevée dans le présent appel est essentiellement une question fondée sur une évaluation des faits. En l’espèce, la question est devenue théorique et aucun intérêt public suffisant n’a été démontré qui ferait en sorte qu’il me soit néanmoins nécessaire d’examiner son bien-fondé. Bien au contraire, une décision selon laquelle un danger existait au moment du refus n’aurait aucune incidence pratique dans le présent contexte, seulement une incidence préventive éventuelle à l’égard de possibles situations futures, sans même savoir, à ce moment-ci, de quelles situations ou circonstances il pourrait s’agir. À mon avis, un tel exercice serait déconseillé.

[124] À la lumière de tout ce qui précède, de ma conclusion selon laquelle la cause de l’appelant est théorique et de ma décision de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire quant à son bien-fondé, l’appel est par conséquent rejeté.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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