2016 TSSTC 4
Date : 2016-04-18
Dossier : 2014-69
Entre :
Steven Somers, Appelant
et
Société canadienne des postes, Intimée
Indexé sous : Somers c. Société canadienne des postes
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par une représentante déléguée par le ministre du Travail
Décision : L’appel est rejeté en raison de son caractère théorique
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelant : Lui-même
Pour l’intimée : Me Stephen Bird, avocat Bird, Richard
Référence : 2016 TSSTC 4
MOTIFS DE LA DÉCISION
[1] Ces motifs portent sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) par M. Steven Somers à l’encontre d’une décision d’absence de danger rendue le 3 décembre 2014 par Mme Fancy Smith à titre de représentante déléguée par le ministre du Travail (représentante déléguée). La décision d’« absence de danger » de Mme Smith a été rendue à la suite de l’enquête qu’elle a menée au sujet du refus de travailler invoqué par l’appelant le 3 novembre 2014.
[2] M. Somers travaille comme facteur pour la Société canadienne des postes (« Postes Canada » ou l’« employeur ») à Sudbury, en Ontario. Il se représente seul dans la présente procédure.
[3] J’ai convoqué les parties dans le cadre d’une conférence téléphonique tenue le 28 septembre 2015 pour fixer la procédure d’examen de l’appel. Les deux parties ont convenu de traiter l’appel au moyen d’observations écrites, sur le fondement des renseignements et de la documentation figurant dans le rapport de la représentante déléguée et daté du 12 décembre 2014.
[4] Une déclaration faite par M. Somers au cours de la conférence téléphonique, selon laquelle la méthode de travail à l’origine de son refus de travailler n’était plus utilisée au centre de dépôt de Sudbury, a amené l’avocat de l’employeur à explorer plus à fond la question afin de déterminer si elle était devenue théorique. M. Bird a demandé que l’affaire soit suspendue afin de lui permettre de discuter avec ses clients et avec l’appelant pour obtenir des renseignements plus précis sur l’état actuel des choses.
[5] Peu après, le 2 octobre 2015, l’avocat de l’employeur a informé le Tribunal qu’il n’y avait plus lieu de suspendre l’affaire et qu’il souhaitait que l’audience se poursuive conformément à la procédure déterminée et convenue lors de la conférence téléphonique. Les parties ont déposé des observations écrites auprès du Tribunal conformément au calendrier que j’avais établi. Les observations finales de M. Somers à titre de réplique ont été reçues le 23 novembre 2015.
[6] Le premier argument soulevé par l’intimée dans ses observations écrites est que la question est désormais théorique et que l’appel de M. Somers devrait être rejeté pour ce motif.
Contexte
[7] Le contexte factuel du présent appel est tiré du rapport de Mme Smith et des pièces jointes qui l’accompagnent. Le 3 novembre 2014, M. Somers s’est prévalu de son droit de refuser d’accomplir son travail, estimant ce dernier dangereux en vertu du paragraphe 128(1) du Code. Il convient de signaler que le refus de M. Somers est fondé sur les dispositions du Code qui venaient d’être modifiées par la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 40, y compris une nouvelle définition du terme « danger », et qui sont entrées en vigueur le 31 octobre 2014.
[8] Les motifs allégués par M. Somers pour refuser de travailler sont les suivants :
[Traduction] Je, Steve Somers, en vertu de la Partie II du Code canadien du travail, revendique mon droit de refuser un travail que j’estime dangereux.
Les [traduction] « Normes nationales » que Postes Canada a adoptées nous exposent à un risque de blessure dans de nombreux aspects de ce nouveau modèle de livraison.
Pendant des années, nous avons reçu instruction de ne pas feuilleter le courrier quand nous marchions en raison du danger qui en résultait ; maintenant, on nous dit de faire le contraire. Nous avons toujours préparé notre courrier à livrer dans le centre de dépôt ; maintenant, nous sommes maintenant contraints d’accomplir une grosse partie de cette tâche en cours d’itinéraire. Notre courrier avait l’habitude d’être organisé de manière à ce que le courrier de chaque point de remise soit prétrié et prêt à être livré. Maintenant, nous devons transporter de multiples liasses de courrier et de circulaires ainsi que des colis séparément, et nous sommes contraints de les organiser en cours d’itinéraire. Feuilleter le courrier et tenter d’organiser notre prochain point de remise tout en marchant est très dangereux ; les risques de blessure s’accroissent au fur et à mesure que les conditions météorologiques changent.
En outre, certains de nous utilisent maintenant les fourgonnettes Ford Transit sur nos itinéraires afin de remplacer les [traduction] « armoires de relais ». C’est à l’arrière de ces véhicules que nous devons préparer notre courrier pour la livraison. Nous y rassemblons le courrier trié de façon manuelle, les colis et les circulaires, et nous feuilletons le courrier prétrié tout en le fixant ensemble à l’aide de bandes élastiques. Effectuer ce travail à l’extérieur tout en étant exposés aux intempéries nous met à risque de blessure et même de mort, faute de protection au cours de notre travail : notre vision est entravée en raison des portes arrière du véhicule qui sont ouvertes, et le dos exposé à des risques potentiels, à savoir les véhicules, le public, les animaux, etc.
Si nous pouvions limiter le temps consacré à rassembler le courrier à l’arrière du véhicule, nous pourrions réduire au minimum les risques de blessures potentielles.
[9] Au moment d’invoquer son refus de travailler, M. Somers était censé effectuer ses tâches normales de facteur, conformément à un nouveau modèle de livraison appelé [traduction] « SCP, Trois options de transport du courrier dans le cadre de la méthode de livraison du courrier à deux liasses ». Il était assigné à l’itinéraire 201 de la SCP qui est classé comme un itinéraire en « U » motorisé par un [traduction] véhicule doté du Système de plateaux (« Vehicle Tray System »). L’employé a utilisé une fourgonnette Ford Transit lors de l’exécution de son travail. Il devait stationner son véhicule, effectuer sa livraison à pied dans une boucle, retourner à son véhicule, se déplacer et répéter cette procédure à divers endroits tout au long de cet itinéraire.
[10] Après avoir mené son enquête relative au refus, l’employeur a conclu que M. Somers n’était pas exposé à un danger. Le rapport d’enquête de l’employeur indique que l’employé, tout en comprenant que l’exécution de ses fonctions normales comporte des risques, estime que le fait d’enliasser le courrier séquencé et manuel dans le centre de dépôt limite le temps passé à l’arrière du véhicule à cette fin et atténue ainsi au maximum ses risques de blessures dans la rue. Cela réduit également la période de temps au cours de laquelle il est exposé aux intempéries. En outre, l’employé avait été informé qu’il devait [traduction] « récupérer » son courrier du véhicule seulement, et qu’il n’était pas censé [traduction] « travailler » à l’arrière du véhicule. Il comprend également qu’il devra toujours se trouver à l’arrière du véhicule plusieurs fois pendant sa journée de travail pour accomplir ses tâches normales. L’employeur a réitéré un certain nombre de mesures de sécurité qu’un employé devrait respecter lorsqu’il récupère le courrier de l’arrière du véhicule, mais a conclu ultimement qu’il n’y avait aucun danger.
[11] M. Somers n’était pas d’accord avec cette conclusion. La question a donc été soumise au comité aux fins d’examen, conformément à la procédure établie aux paragraphes 128(10) à (10.2) du Code. Le comité a déterminé qu’un danger existait, mais qu’il faisait partie des conditions normales de travail de l’employé. Selon le comité, le danger pourrait être réduit au minimum en enliassant le courrier à l’intérieur du centre de dépôt, en posant des cônes autour du véhicule lorsqu’il est arrêté, en portant des vestes de sécurité hors du véhicule et en ajoutant un feu clignotant au véhicule.
[12] L’employeur a indiqué qu’il transmettrait ces recommandations au Comité national mixte sur la santé et la sécurité (le comité national) afin de profiter de cette occasion pour renforcer la sécurité. Toutefois, il demeurait convaincu que la procédure était sécuritaire et a réitéré sa position selon laquelle il n’existait pas de danger.
[13] La question n’étant pas résolue, M. Somers a demandé à Ressources humaines et Développement des compétences Canada de désigner un représentant afin de mener une enquête sur le refus. Mme Smith s’est présentée au lieu de travail de M. Somers le 4 novembre 2014 et a mené son enquête, notamment en accompagnant les factrices et les facteurs sur leurs itinéraires et en examinant la documentation fournie par l’employeur concernant la mise en œuvre de son nouveau modèle de livraison du courrier, y compris le matériel destiné aux employés en formation.
[14] Au cours de son enquête, Mme Smith a noté que l’employeur et le comité local de santé et de sécurité au travail (le comité) n’avaient pas mené une enquête sur les deux motifs invoqués par l’employé pour justifier son refus de travailler. Seul le second motif, relatif au rassemblement (à la récupération) du courrier à l’arrière du véhicule, avait fait l’objet d’une enquête.
[15] Le premier motif au soutien du refus se rapporte à la méthode de travail que les factrices et les facteurs sont tenus d’utiliser pour transporter de multiples liasses de courrier et de circulaires ainsi que des colis séparément et qui les oblige à les organiser en cours d’itinéraire. Auparavant, le courrier de chaque point de remise avait l’habitude d’être prétrié et prêt à être livré. La méthode de livraison à deux liasses peut être brièvement décrite comme suit : des équipements et des systèmes de tri postal de dernière génération permettent à Postes Canada d’automatiser le tri du courrier de façon séquentielle, alors qu’il est maintenant effectué manuellement par les factrices et les facteurs à l’intérieur du centre de dépôt. Grâce à cette nouvelle technologie, le courrier mécaniquement trié de manière séquentielle arrive au centre de dépôt dans des conteneurs, prêt à être chargé dans le véhicule, ou les sacs de relais dans le cas d’un itinéraire à pied, avec le courrier trié manuellement correspondant.
[16] L’employeur a justifié sa décision de ne pas mener une enquête au sujet de ce premier motif en indiquant qu’il était examiné séparément à l’échelle nationale, selon la procédure de règlement des griefs de la convention collective. Le rapport d’enquête de Mme Smith établit que cette méthode avait fait l’objet d’un long litige entre l’employeur et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes devant l’arbitre Kevin Burkett. Dans une sentence datée du 17 octobre 2013, prononcée après une audience de 18 jours, l’arbitre Burkett a statué que les risques associés à la méthode initialement utilisée par Postes Canada pour effectuer la livraison à deux liasses n’avaient pas été évalués correctement et que cette méthode présentait un risque accru de blessures par glissade, trébuchement et chute pour les factrices et les facteurs. Conformément à cette méthode, les factrices et les facteurs devaient placer le courrier à l’horizontale sur l’avant-bras lorsqu’ils parcouraient leur itinéraire à pied. Aucune mesure de redressement particulière n’a été élaborée par l’arbitre Burkett à ce stade. Il a laissé aux parties le soin de s’entendre sur une mesure adéquate.
[17] Les parties n’y étant pas parvenues, l’arbitre Burkett a rendu une sentence supplémentaire le 24 février 2014, ordonnant à Postes Canada d’abandonner la méthode initiale de livraison à deux liasses. Néanmoins, l’arbitre Burkett a confirmé que trois options de transport du courrier dans le cadre de la méthode de livraison du courrier à deux liasses étaient sécuritaires et acceptables dans l’intervalle. Le nouveau modèle de livraison a été mis en œuvre à Sudbury le 20 octobre 2014. À cette date, les factrices et les facteurs ont commencé à utiliser les [traduction] « Trois options de transport du courrier dans le cadre de la méthode de livraison à deux liasses » du courrier trié et environ 15 itinéraires de livraison à pied sont devenus des livraisons motorisées, dont l’itinéraire 201 auquel M. Somers a été affecté le 3 novembre 2014.
[18] Mme Smith a demandé qu’on lui remette la documentation relative à l’évaluation des risques concernant le modèle de livraison du courrier à liasses multiples. L’employeur l’a avisée que cette évaluation figurait à l’ordre du jour du comité national et que les deux parties s’efforçaient de parachever l’évaluation conjointe des risques en temps opportun. Mme Smith a également demandé qu’on lui remette la documentation relative à l’évaluation des risques associés à la tâche de récupérer le courrier d’un véhicule de Postes Canada. Elle a été avisée que cette évaluation n’avait pas été réalisée. Mme Smith a aussi obtenu une grande variété de documents de l’employeur concernant les procédures de travail sécuritaires, les évaluations de risques et l’analyse de la sécurité des tâches relatives aux préoccupations soulevées par le refus de M. Somers.
[19] Mme Smith a conclu que l’employeur avait fourni des informations, des directives et une formation détaillées sur la santé et la sécurité aux factrices et aux facteurs concernant le nouveau modèle de livraison mise en œuvre à Sudbury en octobre 2014. Étant donné que l’évaluation des risques concernant les [traduction] « Trois options de transport du courrier dans le cadre de la méthode de livraison à deux liasses » faisait déjà l’objet d’un examen dans le contexte de la procédure de règlement des griefs, et que l’arbitre continuait d’être saisi du dossier, elle n’a pas traité cette question. Cependant, elle vérifierait régulièrement l’état d’avancement de l’évaluation des risques. Elle a toutefois conclu que les employés, y compris M. Somers, avaient reçu une formation adéquate à l’égard cette méthode de travail.
[20] Mme Smith a néanmoins relevé un certain nombre de contraventions au Code. Ces contraventions portaient sur le défaut de l’employeur d’enquêter sur les deux motifs à l’origine du refus de travailler, l’attribution de l’itinéraire de livraison de M. Somers à un autre collègue sans lui mentionner le fait que M. Somers avait refusé d’accomplir ce travail en raison d’un danger au sens du Code, et l’absence d’une évaluation des risques professionnels associés à la procédure de livraison motorisée relativement à la récupération du courrier d’un véhicule de Postes Canada. À son avis, bien que les factrices et les facteurs aient reçu de l’information et une formation détaillées sur la manière de travailler à l’intérieur et autour d’un véhicule, la formation ne traitait pas de la tâche relative à la récupération du courrier de l’intérieur du véhicule. Par conséquent, conformément au paragraphe 145(1), Mme Smith a émis des instructions à l’employeur lui ordonnant de mettre fin aux contraventions qu’elle avait relevées. Ces instructions n’ont pas fait l’objet d’un appel et je n’en suis pas saisi.
[21] En ce qui concerne l’allégation de danger soulevée par M. Somers, Mme Smith a conclu que l’employé n’avait pas fourni une preuve suffisante permettant d’établir que le nouveau modèle de livraison désigné sous le nom de [traduction] « Trois options de transport du courrier dans le cadre de la méthode de livraison à deux liasses » et que l’exécution du travail à l’arrière du véhicule constitueraient un danger du moment que l’information, les directives, la formation et l’équipement de protection personnelle en matière de santé et de sécurité sont utilisés. Elle n’a pas été convaincue par l’argument de M. Somers selon lequel la récupération du courrier enliassé du véhicule, par la porte latérale ou par l’arrière du véhicule, l’exposait à un danger au sens du Code. Mme Smith a conclu que ces activités ne « pourraient vraisemblablement pas présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté », paraphrasant la (nouvelle) définition de danger prescrite par le Code.
Portée de l’appel
[22] Dans son avis d’appel daté du 11 décembre 2014, M. Somers expose les motifs sur lesquels il fonde sa contestation de la décision d’absence de danger de Mme Smith. Après avoir invoqué que Mme Smith avait relevé un certain nombre de contraventions au Code par l’employeur, M. Somers a limité ses motifs d’appel à ceux qu’il avait initialement invoqués au soutien de son refus de travailler :
[...]
[Traduction] Les risques sont ces éléments mêmes qui rendent une situation dangereuse. Postes Canada a reçu instruction d’effectuer une évaluation des risques associés au travail effectué à l’extérieur des véhicules. Comment une décision « d’absence de danger » peut-elle être rendue si une évaluation des risques n’a pas été réalisée, voire commencée ? Cette décision permet à Postes Canada de continuer à mettre en danger la vie de ses employés. Je crois comprendre que la notion de « santé et sécurité » s’inscrit dans une démarche préventive, et vise à réduire ou à éliminer les risques potentiels.
Il me semble raisonnable de croire que le fait de travailler à l’arrière d’un véhicule sur le bord de la route pendant de longues périodes, alors que les portes entravent votre vision périphérique et que vous ne pouvez rien voir derrière vous, peut entraîner de graves blessures ou la mort. Le travail accompli à l’arrière du véhicule peut être réalisé sans danger à l’intérieur de l’installation postale, comme c’était le cas auparavant. Un arbitre a ordonné à Postes Canada d’envisager des méthodes de livraison de remplacement au modèle de livraison actuellement en vigueur. Une année s’est écoulée sans qu’il n’y ait eu aucun progrès.
Postes Canada est autorisée à faire fi de la santé et de la sécurité de ses employés pendant qu’ils achèvent leur transformation postale. De nombreux dangers associés à nos méthodes de livraison actuelles seront éliminés lorsque la transformation postale sera terminée, mais entre-temps nous sommes contraints de travailler dans des conditions dangereuses.
[23] Sur le fondement de ce qui précède et ainsi que les parties l’ont confirmé dans leurs observations que je vais exposer sous peu, j’estime que cet appel porte uniquement sur la méthode de travail que M. Somers est appelé à utiliser pour récupérer le courrier du véhicule de Postes Canada, en particulier de l’arrière du véhicule. Toutes les questions liées à la livraison du courrier enliassé effectuée à pied étaient pendantes devant un arbitre au moment de la survenance des événements ; il ne serait donc pas opportun qu’un agent d’appel les examine concurremment. Un tel chevauchement engendrerait de la confusion ainsi qu’une dépense de ressources inutile et ne servirait pas l’intérêt plus général des parties que leurs différends soient résolus de manière définitive et uniforme. Ma conclusion est étayée par le fait qu’aucune des parties n’a traité de ce sujet dans ses observations écrites.
Questions en litige
[24] La première question a pour objet d’établir si l’appel est théorique en raison du fait que la méthode de travail à l’origine du danger allégué n’est plus appliquée au centre de dépôt de Sudbury où l’appelant travaille.
[25] Dans le cas où je conclue que cette question n’est pas théorique, je devrai statuer sur le fond et déterminer si l’appelant a été exposé à un danger au sens du Code dans les circonstances prévalant le 3 novembre 2014 lorsqu’il devait récupérer le courrier enliassé à l’arrière du véhicule de Postes Canada.
Observations des parties
Observations de l’appelant
[26] Les observations de l’appelant sont reproduites textuellement dans les paragraphes qui suivent :
[Traduction] « Au cours de la conférence téléphonique, j’ai mentionné que j’étais seulement un facteur et que je me sentais dépassé par cette situation. Il y a près d’un an, lorsque j’ai déposé ma déclaration de refus de travailler, l’employeur, le représentant du syndicat, des collègues et ensuite l’agente de SST Fancy Smith ont participé à la procédure ; aujourd’hui, il y a moi-même, l’agent d’appel et un avocat. Il ne me semble pas juste que Postes Canada soit représentée par un avocat au lieu et place des gestionnaires associés au refus de travailler, à l’enquête et aux contraventions au Code du travail, alors qu’aucun avocat ne me représente. »
[Traduction] « L’employeur a conclu qu’aucun danger n’existait. Sur quelle preuve d’enquête se sont-ils appuyés pour arriver à cette conclusion ? Cette décision a été prise dans une salle de conférence située au 122, rue Dell, par l’employeur ; ce dernier n’a jamais quitté l’immeuble pour enquêter sur la question des véhicules sur un itinéraire. »
[Traduction] « L’employeur a formulé les recommandations suivantes :
- Utiliser les clignotants d’urgence à l’arrêt (cette manœuvre n’est pas permise, car un nombre considérable de batteries se déchargeraient sur l’itinéraire de la fourgonnette Ford Transit
- [Traduction] « Les terminaux de données portatifs (TDP) sont dotés des fonctionnalités d’envoi de messages textes et de service 911 »
- Les TDP ne sont généralement pas suffisamment fiables pour accomplir les tâches pour lesquelles ils ont été conçus, comme balayer des codes-barres et enregistrer des signatures. Les TDP présentent des problèmes continus ; en outre, leurs batteries se déchargent avant la fin d’un quart de travail.
- Les TDP ne seraient utiles qu’en cas d’accident
- L’envoi de messages textes au moyen d’un TDP exige beaucoup de temps ; la plupart des factrices et des facteurs utilisent plutôt leurs téléphones cellulaires, et nos superviseurs communiquent avec nous en nous joignant sur nos téléphones cellulaires et non sur nos TDP
- Comment un TDP va-t-il m’éviter d’être happé par un véhicule que je ne peux pas voir venir ?
- [Traduction] « Veiller à être attentif à ce qui vous entoure avant de sortir de votre véhicule » (gros bon sens)
Lorsque vous travaillez à l’arrière du véhicule, votre environnement change constamment, à votre insu, car votre vision est entravée et vous êtes absorbé par vos tâches. »
[Traduction] « Le Comité local conjoint de la santé et de la sécurité (CLCSS), qui est composé de l’employeur et d’employés, a déterminé qu’un danger existait et a établi que le fait d’enliasser le courrier à l’intérieur pourrait réduire au minimum le danger, entre autres recommandations.
Au cours de l’enquête de l’agente de SST Smith, j’ai été réaffecté à la livraison sur des [traduction] « itinéraires à pied » ; je n’ai pas été autorisé à me prévaloir de mon ancienneté de 21 ans pour postuler à des postes vacants, puisque des mesures [traduction] « d’accommodement » avaient été prises à mon endroit. Contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport de l’agente de SST Smith, je n’ai pas continué à appliquer le nouveau modèle de livraison et je ne l’applique toujours pas à ce jour, à l’instar de tous les autres employés dans mon centre de dépôt. »
[Traduction] « Il a été établi que Postes Canada a contrevenu au Code du travail. L’employeur n’avait pas effectué une analyse des risques professionnels en vue d’atténuer les risques associés à la récupération du courrier de l’arrière d’un véhicule de Postes Canada dans le cadre de la transition de la livraison à pied à la livraison motorisée. Il me semble logique que les risques soient les éléments qui déterminent si un danger existe ou n’existe pas. Comment une décision peut-elle être prise en l’absence d’une telle évaluation, sans prendre en compte tous les faits ? »
[Traduction] « L’arbitre Kevin M. Burkett a indiqué que Postes Canada avait fait défaut de réaliser une évaluation complète des risques du lieu de travail liés à l’instauration de la méthode de livraison à deux liasses. Postes Canada apporte constamment des changements qui touchent ses employés sans d’abord mener des évaluations adéquates des risques, et ce, à moins qu’elle n’y soit forcée, et les employés continuent d’accomplir des tâches dont le caractère sécuritaire n’a pas été démontré, vu l’absence de ces rapports. »
[Traduction] « À mon avis, la notion de santé et sécurité s’inscrit dans une démarche préventive, et vise à éviter ou à atténuer le risque d’un accident évitable. Cette tâche a toujours été accomplie à l’intérieur, où les employés et le courrier sont protégés contre les intempéries ! »
[Traduction] « Il existe une méthode plus sécuritaire pour accomplir cette tâche ! Cet élément devrait être le seul à prendre en compte. Des changements semblent être envisagés dans le seul cas où une personne est blessée ou tuée. Il s’agit clairement d’une blessure ou d’un décès potentiel qui peut être évité ! Je vous prierais de considérer ces arguments ainsi que mon appel initial du 11 décembre 2014 comme étant mes observations. [...] »
Observations de l’intimée
[27] L’intimée a d’abord signalé que Postes Canada n’a pas exigé que M. Somers ou d’autres employés dans son installation postale enliassent le courrier à l’extérieur du véhicule. En fait, des directives leur avaient été données de ne pas accomplir le tri et l’enliassement derrière le véhicule ; par conséquent, les circonstances ayant conduit M. Somers à refuser de travailler n’existent pas en ce moment.
[28] L’avocat de l’intimée affirme donc que cette question est théorique. Il renvoie au critère juridique établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Borowski c. Canada (Procureur général) [1989] 1 R.C.S. 342, aux pages 353-354 et 360-362 (Borowski) pour déterminer si une question est théorique. Il faut se demander si le différend tangible et concret a disparu de manière à rendre la question théorique. Dans l’affirmative, la question suivante que doit se poser le Tribunal est celle de savoir s’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire; sa décision se fondera sur trois éléments : l’existence d’un contexte contradictoire ; l’économie des ressources judiciaires ; la nécessité pour le Tribunal de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique. (Service correctionnel du Canada c. Mike Deslauriers, 2013 TSSTC 41 ; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2013 CAF 35).
[29] Ce critère a été adopté par le Tribunal dans Robert J. Wellon c. Agence des services frontaliers du Canada, 2011 TSSTC 28 (Wellon), où l’agent d’appel a conclu que l’appel était théorique, car aucun litige actuel n’existait au moment de l’audience. Un correctif avait été apporté par le retrait de la pratique sous-jacente au refus de travailler, de sorte que toute instruction qui serait émise à l’issue de cette procédure n’aurait plus d’objet et serait vide de sens. Le fait que l’employeur puisse, en tout temps, décider de réinstaurer son ancienne pratique a été considéré comme n’ayant pas d’incidence, car les employés pourraient se prévaloir de leur droit de refuser de travailler si tel était le cas.
[30] En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’appel de tout de même entendre l’affaire, l’intimée soutient que l’obligation relative à l’économie des ressources judiciaires a été remplie. Les droits futurs de l’appelant ne sont pas touchés. Statuer sur une situation factuelle qui n’existe plus et risque de ne plus jamais exister (ou, si elle devait exister à nouveau, dans un contexte différent) n’est pas dans l’intérêt des parties ni du public en général.
[31] Les observations de l’intimée sur le fond de l’appel se résument comme suit. Une nouvelle définition de « danger » a été introduite dans le Code et elle est entrée en vigueur le 31 octobre 2014. La nouvelle définition est plus restrictive ; elle est semblable à la notion de [traduction] « danger imminent » contenue dans une version antérieure (d’avant 1985) du Code. L’avocat de l’intimée établit une distinction entre cette définition de danger d’avant 1985 (telle qu’appliquée dans Re : CP Air [1983] 52 di 26 [CCRT no 411 (Re : CP Air)] et la définition dans sa version antérieure aux modifications de 2014 (telle qu’appliquée dans Verville c. Canada [Service correctionnel], 2004 CF 767).
[32] Postes Canada soutient que les sources de préoccupation évoquées ne pourraient vraisemblablement pas présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de M. Somers. Il ne se trouvait pas dans une [traduction] « situation où quelque chose d’inhabituel allait vraisemblablement se produire presque immédiatement et inopinément » au point de devoir « se retirer du lieu de travail », comme indiqué dans Re : CP Air.
[33] L’intimée insiste sur le fait qu’il incombe à M. Somers de convaincre le Tribunal que la décision de Mme Smith est erronée. Toutefois, ce dernier ne fournit aucune information ou observation supplémentaire qui permettrait au Tribunal de tirer cette conclusion. L’avocat fait valoir que les préoccupations de M. Somers, soit qu’il se sente non protégé lorsqu’il exécute son travail parce que sa vision est entravée par les portes arrière ouvertes du véhicule et que son dos est exposé aux intempéries et à des risques potentiels, à savoir les véhicules, le public, les animaux, etc., ne se rapportent pas directement à l’enliassement du courrier derrière son véhicule. Il aurait été exposé à tous ces dangers en accomplissant ses tâches de livraison à pied, puisque ce sont des conditions normales de son emploi.
[34] Même si déclaration de M. Somers est juste, la procédure relative au droit de refuser de travailler n’a pas pour objectif de faire réviser les politiques de l’employeur ni de demander des instructions ou des recommandations à leur égard. Cette procédure vise à permettre à un employé de se protéger ou de protéger autrui d’un préjudice important qui lui semble être imminent. Ainsi, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’enliassement du courrier à l’arrière du véhicule constituait un danger au sens du Code. Les préoccupations de l’appelant reposent sur des hypothèses et des conjectures ; par conséquent, elles ne peuvent appuyer une conclusion de danger [Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, au paragr. 37 ; Martin-Ivie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 772, au paragr. 49].
Réplique de l’appelant
[35] J’ai choisi de reproduire intégralement la réplique de l’appelant, car elle est déterminante dans l’issue de cet appel.
[Traduction] « En premier lieu, je souhaiterais corriger M. Bird qui a cité de façon erronée les propos de l’agente de SST Smith en déclarant :
[Traduction] « De plus, l’employé avait été informé qu’il devait [traduction] « récupérer » son courrier du véhicule seulement, et qu’il n’était pas censé [traduction] « travailler » à l’arrière du véhicule. Il comprend également qu’il devra toujours se trouver à l’arrière du véhicule plusieurs fois pendant sa journée de travail pour accomplir ses tâches normales. » Ce passage est extrait de la description des événements par l’Employeur ! En fait, au cours d’une réunion avec l’agente de SST Smith, moi-même, l’employeur et le représentant du syndicat, l’agente de SST Smith avait corrigé explicitement l’employeur en précisant que la récupération du courrier ou toute autre tâche ou fonction accomplie par un employé constitue du travail ! Je suis certain que l’agente de SST Smith ainsi que toute autre personne présente confirmeraient cela. »
[Traduction] « M. Bird soutient que Postes Canada n’a pas exigé de moi ou d’autres employés que l’enliassement du courrier soit effectué à l’extérieur du véhicule et n’a jamais instauré ni autorisé cette méthode. Si cela était exact, il n’aurait pas été nécessaire de refuser d’accomplir une tâche que nous n’étions pas tenus d’exécuter ! Actuellement, quelques employés continuent d’utiliser cette méthode de récupération du courrier à l’arrière du véhicule. Le vendredi 20 novembre 2015, certains employés ont été informés par l’employeur qu’il appliquerait la [traduction] « règle interdisant de commencer à travailler avant l’heure prescrite », et que nous serions également obligés d’enliasser et de récupérer le courrier à l’extérieur du centre de dépôt ! Dans les observations de Postes Canada, au paragraphe 3 sous la rubrique « Contexte », l’employeur affirme que [traduction] « [...] comme des directives avaient été données à M. Somers et à d’autres employés de ne pas effectuer le tri et l’enliassement du courrier à l’arrière du véhicule, les circonstances ayant conduit M. Somers à refuser de travailler n’existent pas en ce moment. » Si cela était exact, il n’aurait pas été nécessaire de soumettre ces observations puisque j’avais demandé que Postes Canada confirme que nous n’étions pas obligés de récupérer le courrier de l’arrière du véhicule, et que les méthodes actuellement utilisées sont toujours en place et le demeureront tant que le modèle de livraison actuel n’aura pas été modifié. Le modèle de livraison actuel a été créé en tant que pratique provisoire, lequel est censé demeurer en vigueur jusqu’à ce que tout le service de livraison du courrier à domicile passe à la livraison aux boîtes aux lettres communautaires. Cette conversion a maintenant été suspendue avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement Libéral qui a promis de maintenir le service de livraison du courrier à domicile.
L’hiver dernier, au cours d’une tempête de neige, notre gestionnaire locale, Melissa Levesque, a annoncé sur le lieu de travail qu’elle interdisait à quiconque de récupérer le courrier de l’arrière de son véhicule pour des raisons de [traduction] « sécurité ». C’est vers cette période que la procédure a cessé d’être appliquée. »
[Traduction] « Au moment où j’ai exercé mon refus de travailler, j’étais pompier bénévole depuis cinq ans et, dans le cadre de ma formation, j’ai appris qu’il y avait eu plusieurs cas de véhicules de secours dotés de feux clignotants qui ont été heurtés et d’employés qui ont été blessés ou tués. Les véhicules de secours d’entreprises telles que Bell et Hydro sont dotés de feux clignotants et de cônes orange qui servent à délimiter le périmètre autour du véhicule à l’arrêt. Ces dispositifs ne fournissent pas de protection physique, mais ils signalent visuellement votre présence à autrui. Les camions d’incendie, tout comme les véhicules de Bell et de Hydro, sont utilisés pour entreposer les outils et l’équipement nécessaires à l’exécution du travail, et non pas pour effectuer du travail à partir du véhicule, tandis que dans le cas de Postes Canada, le travail est exécuté à l’arrière du véhicule et sans protection personnelle ou système d’alerte permettant de signaler votre présence à autrui. »
[Traduction] « Dans mes observations, j’ai demandé quels étaient les éléments de preuve ayant conduit Postes Canada à conclure à l’absence de danger. L’agente de SST Smith a clairement présenté son enquête et ses conclusions. J’ai soulevé des doutes sur la capacité de l’employeur de conclure à l’absence de danger dans son enquête sans jamais quitter sa salle de conférence. »
[Traduction] « En ce qui concerne le paragraphe 31 des observations de Postes Canada, je reconnais que lorsque j’effectue une livraison à pied, je cours les même risques. Cependant, je n’ai pas la tête à l’intérieur d’une fourgonnette dont les deux portes latérales entravent ma vision, et mon attention n’est pas détournée par mes efforts pour enliasser le courrier. Lors de la livraison à pied, nous sommes en mesure de réagir à certains dangers et avons la possibilité de les éviter. Cela devient beaucoup plus difficile lorsque vous n’avez aucun avertissement de la présence d’un danger. »
[Traduction] « Il a été dit que les scénarios que j’ai envisagés reposaient sur des hypothèses et des conjectures. Si ces scénarios n’étaient pas de nature hypothétique ou conjecturale, l’enquête aurait porté sur un cas de blessure ou de décès. Nous ne laissons pas nos enfants jouer dans la rue, car nous ne voulons pas qu’ils perdent la vie après avoir été heurtés par un véhicule. Cela signifie non pas que jouer dans la rue conduit nécessairement à la mort, mais qu’il s’agit d’un comportement dangereux ou non sécuritaire. »
[Traduction] « Bon nombre de situations potentiellement dangereuses sont « hypothétiques » aussi longtemps qu’elles n’aboutissent pas à une blessure ou à un décès. Elles pourraient subsister jusqu’à ce qu’une blessure ou un décès survienne. Si de telles situations sont évitables toutefois, il faudrait les prévenir ! S’il existe une méthode assurant une sécurité accrue, c’est cette méthode qui devrait être privilégiée. »
[Traduction] « Est-il invraisemblable de penser qu’une personne perdant le contrôle de son véhicule en raison de sa négligence ou des conditions météorologiques puisse, à l’instar de tout autre risque dont je n’ai pas connaissance, constituer une menace imminente ou sérieuse pour la vie, alors que je suis occupé à travailler à l’arrière de mon véhicule et que ma vision est entravée. Est-il nécessaire d’attendre qu’une blessure ou un décès survienne pour faire en sorte que le travail soit accompli de manière plus sécuritaire et plus intelligente, en particulier quand nous disposons des moyens pour ce faire ? »
[Traduction] « Je me suis engagé dans cette procédure en raison d’une réelle préoccupation pour ma sécurité et celle de mes collègues de travail, et avec l’espoir de provoquer des changements positifs. Je n’avais aucune idée que je me retrouverais dans ce qui semble être une bataille juridique que je livre contre une société.
[Traduction] « Cette cause n’est pas théorique, car la méthode a été mise en œuvre et, maintenant, elle risque d’être appliquée à nouveau, et certains employés l’appliquent encore. »
[Traduction] « Un danger existe, car affirmer qu’il n’existe pas de risque potentiel associé à l’accomplissement d’un travail sur la chaussée, à l’arrière d’un véhicule, avec une vision réduite et sans moyen de se protéger est ridicule ! Lors de la livraison à pied, vous vous déplacez et êtes en mesure de vous protéger ; ce n’est pas le cas lorsque vous travaillez à l’arrière d’un véhicule, dépourvu de visibilité et de protection. »
Analyse
[36] Le présent appel a été interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code, à l’encontre de la décision de Mme Smith qui, à titre de représentante déléguée par le ministre du Travail, a conclu que M. Somers n’était pas exposé à un danger au sens du Code.
[37] La décision de Mme Smith a été rendue après avoir réalisé son enquête à l’égard du refus de travailler de M. Somers le 3 novembre 2014. M. Somers a refusé d’accomplir ses tâches relatives à la récupération de son courrier enliassé à partir de la porte arrière de son véhicule de Postes Canada, selon le Système de plateaux mis en place au centre de dépôt de Sudbury où il travaillait au moment des faits. Le refus de M Somers a été exercé en vertu du paragraphe 128(1) du Code qui se lit comme suit :
128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé ;
b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu ;
c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.
[38] L’article 122 définit le terme « danger » de la manière suivante :
122. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
« danger » Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
[39] Le paragraphe 129(7) se lit comme suit :
129. (7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus ; il peut toutefois - personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin - appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.
[40] Je dois d’abord examiner le premier argument de l’intimée selon lequel l’appel devrait être rejeté en raison de son caractère théorique.
[41] Après avoir examiné la documentation figurant dans le dossier du Tribunal et les observations écrites des parties, j’ai conclu que les conditions ayant conduit M. Somers à se prévaloir de son droit de refus n’existent plus ; par conséquent, le présent appel n’a plus d’objet et il est donc théorique. Je présente ci-après les motifs de ma décision.
[42] L’argument selon lequel une question est théorique est fondé sur le principe selon lequel il n’est peut-être pas approprié pour un tribunal d’entendre une affaire sur le fond si, au stade de l’audience, la cause du différend a cessé d’exister, auquel cas la question devient théorique.
[43] Le pouvoir d’un agent d’appel en vertu du Code de refuser d’entendre un appel sur le fond en raison de son caractère théorique est régulièrement reconnu depuis bon nombre d’années. Les principes sous-jacents au caractère théorique ont été formulés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Borowski, citée par l’intimée. Dans ce jugement, la Cour a établi ce qui suit, à la page 353 :
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.
[44] La Cour explique ensuite dans quelles circonstances un tribunal choisirait d’entendre une cause en dépit de son caractère théorique :
La première raison d’être de la politique ou de la pratique en question tient à ce que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire. (à la page 358)
[…]
La deuxième grande raison d’être de la doctrine du caractère théorique tient à l’économie des ressources judiciaires. […] La saine économie des ressources judiciaires n’empêche pas l’utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d’un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l’affaire le justifient. (à la page 360)
[…]
[…] Le simple fait, cependant, que la même question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas à lui seul l’audition de l’appel s’il est devenu théorique. Il est préférable d’attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu’il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d’être résolu.
On justifie également de façon assez imprécise, l’utilisation de ressources judiciaires dans des cas où se pose une question d’importance publique qu’il est dans l’intérêt public de trancher. […] (à la page 361)
[45] Afin de trancher la question de savoir si un litige actuel continue d’exister, nous devons examiner l’objet de la présente procédure. L’appel d’une décision d’absence de danger rendue par Mme Smith se présente dans le contexte d’un refus de travailler exercé par M. Somers en vertu du paragraphe 128(1) du Code. Le droit de refuser d’accomplir une tâche dangereuse est un droit individuel conféré par le Code ; son application est largement tributaire des faits précis et des circonstances particulières de chaque cas.
[46] La décision rendue par un représentant délégué dans ce contexte n’est généralement pas [traduction] « fondée sur des politiques ». Elle repose sur une analyse des circonstances prévalant au moment du refus et sur l’enquête menée par ce représentant. Ainsi, une détermination de l’existence d’un danger en vertu du Code est une question qui repose sur des faits particuliers.
[47] De la même façon, une procédure d’appel est peu utile s’il est établi que la source du danger allégué n’existe plus au moment où l’appel est entendu. Toute instruction qu’un agent d’appel pourrait émettre en vertu du paragraphe 146.1(b) du Code, à savoir ordonner à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour éliminer le danger immédiatement, n’aurait pas d’objet. Le but des dispositions du Code est de permettre à un employé de refuser de travailler dès qu’une situation, une tâche ou une méthode de travail lui semble présenter un danger. L’objectif même de la procédure de refus est atteint lorsque la source du danger disparaît, sitôt que les circonstances à l’origine du danger allégué cessent d’exister. Une décision qui équivaudrait essentiellement à un jugement déclaratoire serait inutile et n’aurait aucune raison d’être, dans le présent contexte statutaire.
[48] Je reprends à mon compte les propos de l’agent d’appel dans l’affaire Wellon, au paragraphe 17 de sa décision :
[17] […] Eu égard à ce qui précède, il devient nécessaire de se pencher sur les particularités de cette affaire, laquelle comporte une décision d’absence de danger donnée en conclusion à la prétention qu’une pratique de l’employeur présentait un danger, où la conclusion que recherche l’appelant est justement que ladite pratique qui avait cours au moment du refus de travail présentait un danger et où il a été mis fin à cette pratique suite à la décision d’absence de danger rendue par l’agente de SST de sorte que ledit danger semblerait ne plus exister. Je n’aurais aucune difficulté, devant une telle situation, à conclure que l’annulation d’une pratique qui aurait été perçue comme présentant un danger constituerait le meilleur et le plus complet des correctifs. Eu égard à la présente affaire, dans l’éventualité où, ayant entendu l’affaire au fond et conclu à danger, tel que souhaité, conclusion qui devrait en principe se traduire par une ordonnance correctrice, je suis d’avis qu’une telle ordonnance constituerait un exercice vide de sens puisque le correctif aurait déjà été apporté.
[Soulignement ajouté]
[49] De même, dans l’affaire Manderville c. Service correctionnel Canada, 2015 TSSTC 3, l’agent d’appel s’exprime de la façon suivante, aux paragraphes 16 à 19 :
[16] Dans l’affaire Borowski, la Cour suprême du Canada a déclaré que « si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. »
[17] En l’espèce, il n’est pas contesté que le détenu qui présenterait un danger potentiel ayant occasionné le refus de travailler ne se trouve plus sur les lieux de travail. La source du soi-disant danger ayant été supprimée, l’employée qui refusait de travailler n’est donc plus exposée au danger allégué.
[18] De plus, si je devais me pencher sur le fond du présent appel et reconnaître qu’un danger existait, comme l’a demandé l’appelante, je suis d’avis qu’il serait futile d’émettre des instructions sur le danger étant donné que la situation a déjà été corrigée par le déplacement du détenu en question.
[19] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il n’existe plus de litige actuel pouvant avoir des conséquences sur les droits des parties et que l’appel est donc devenu théorique. […]
[Soulignement ajouté]
[50] Je dois maintenant examiner les faits en l’espèce, tels que présentés dans le rapport de la représentante déléguée, ainsi que les observations des parties afin de déterminer si la cause est théorique ou si un « litige actuel » existe encore entre les parties, dans le contexte juridique entourant le présent appel.
[51] Dans ses observations datées du 22 octobre 2015, l’appelant déclare ce qui suit, à la page 2 :
[...]
[Traduction] Contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport de l’agente de SST Smith, je n’ai pas continué à appliquer le nouveau modèle de livraison et je ne l’applique toujours pas à ce jour, à l’instar de tous les autres employés dans mon centre de dépôt.
[Soulignement ajouté]
[52] Dans ses observations, l’avocat de l’employeur soutient ce qui suit, aux paragraphes 3 et 11 :
[Traduction] [3] Postes Canada n’a pas exigé que M. Somers ou d’autres employés dans son installation postale enliassent le courrier à l’extérieur du véhicule. En fait, la façon de faire des employés n’a jamais été instaurée ni autorisée par Postes Canada. Ainsi que l’agente de SST l’a noté, « l’employé avait été informé qu’il devait [traduction] « récupérer » son courrier du véhicule seulement, et qu’il n’était pas censé [traduction] « travailler » à l’arrière du véhicule. Il comprend également qu’il devra toujours se trouver à l’arrière du véhicule plusieurs fois pendant sa journée de travail pour accomplir ses tâches normales. » Une directive ayant été donnée à M. Somers et à d’autres employés de ne pas effectuer le tri et l’enliassement à l’arrière du véhicule, les circonstances ayant conduit M. Somers à refuser de travailler n’existent pas en ce moment.
[11] […] M. Somers n’est pas tenu d’enliasser le courrier à l’arrière de son véhicule.
[Soulignement ajouté]
[53] Dans sa réplique, l’appelant déclare ce qui suit :
[Traduction] Actuellement, quelques employés continuent d’utiliser cette méthode de récupération du courrier à l’arrière du véhicule. (page 1)
Dans les observations de Postes Canada, au paragraphe 3, sous la rubrique « Contexte », l’employeur affirme que [traduction] « [...] comme des directives avait été données à M. Somers et à d’autres employés de ne pas effectuer le tri et l’enliassement du courrier à l’arrière du véhicule, les circonstances ayant conduit M. Somers à refuser de travailler n’existent pas en ce moment. » Si cela était exact, il n’aurait pas été nécessaire de soumettre ces observations puisque j’avais demandé que Postes Canada confirme que nous n’étions pas obligés de récupérer le courrier de l’arrière du véhicule, et que les méthodes actuellement utilisées sont toujours en place et le demeureront tant que le modèle de livraison actuel n’aura pas été modifié. Le modèle de livraison actuel a été créé en tant que pratique provisoire, lequel est censé demeurer en vigueur jusqu’à ce que tout le service de livraison du courrier à domicile passe à la livraison aux boîtes aux lettres communautaires. Cette conversion a maintenant été suspendue avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement Libéral qui a promis de maintenir le service de livraison du courrier à domicile. (page 1)
L’hiver dernier, au cours d’une tempête de neige, notre gestionnaire locale, Melissa Levesque, a annoncé sur le lieu de travail qu’elle interdisait à quiconque de récupérer le courrier de l’arrière de son véhicule pour des raisons de [traduction] « sécurité ». C’est vers cette période que la procédure a cessé d’être appliquée. (page 2)
Cette cause n’est pas théorique, car la méthode a été mise en œuvre et, maintenant, elle risque d’être appliquée à nouveau, et certains employés l’appliquent encore.
[Soulignement ajouté]
[54] Cet échange de points de vue dans les observations des parties me persuade que la cause est théorique, car il n’y a plus de litige actuel en l’absence d’un différend tangible et concret. De toute évidence, il semble établi que, depuis un moment au cours de l’hiver 2015 à tout le moins, la méthode d’enliasser le courrier ou de le récupérer de l’arrière d’un véhicule Ford Transit de Postes Canada n’est plus appliquée au centre de dépôt de Sudbury où M. Somers travaille. La possibilité que cette méthode soit réinstaurée dans le futur est, en ce moment, hypothétique. Si cette méthode devait être réinstaurée à un moment donné dans le futur, M. Somers bénéficierait de la pleine protection du Code, y compris le droit de refuser de travailler s’il estime être exposé à un danger. Cette situation serait alors évaluée sur le fondement des circonstances prévalant à ce moment.
[55] J’étaye ma conclusion en reprenant les propos suivants de l’agent d’appel dans l’affaire Wellon, au paragraphe 18 :
[18] On a également fait valoir que l’action prise par l’employeur en l’instance et qui a eu pour effet de mettre un terme à la pratique de prêter assistance hors du mandat de l’ASFC, se voulait au fond une mesure de protection contre les contestations et que rien n’empêche l’employeur de la réinstaurer en tout temps. L’intimé à la requête, sans doute pour empêcher qu’une telle situation ne survienne, souhaite en conséquence que je la rejette et instruise l’appel au fond, agissant ainsi essentiellement de manière préventive. En réponse, il importe de préciser que le Code prévoit que l’autorité et la compétence d’un agent d’appel visent uniquement les instructions ou décisions qui émanent d’un agent de santé et de sécurité et donc que l’agent d’appel ne peut lui-même être à l’origine d’une instance. [...] Il n’est donc pas faux de prétendre que l’employeur pourrait en tout temps décider de réinstaurer son ancienne pratique ou politique. Ceci n’aurait toutefois aucun effet sur la protection offerte aux employés par le Code puisque la décision de l’employeur de réinstaurer sa politique d’aide n’aurait aucune influence sur le droit de recourir au refus d’effectuer un travail vu comme dangereux. Je suis renforcé sur ce point par les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fletcher (cité précédemment) voulant qu’il « s’agit d’un mécanisme permanent auquel un employé peut recourir dès lors qu’il a des motifs raisonnables de se retirer du lieu de travail. » Je reprends donc mes propos précédents selon lesquels l’examen d’affaires telles que la présente est lié aux faits de l’affaire et conséquemment, l’examen qu’en fait tant l’agent de santé et de sécurité que l’agent d’appel doit se limiter aux circonstances factuelles présentes lors du refus et de l’enquête, et ignorer celles qui sont encore en devenir.
[Soulignement ajouté]
[56] Le fait que d’autres employés puissent avoir appliqué la procédure contestée de leur propre chef n’est pas pertinent en ce qui concerne le refus de M. Somers, mais pourrait signifier qu’ils estimaient que cette méthode de travail ne présentait pas de danger pour eux. Quoi qu’il en soit, le droit de refuser de travailler est un droit individuel et sa portée est limitée à la situation de M. Somers.
[57] Ayant conclu, sur le fondement des observations des parties, que la méthode de travail que M. Somers allègue être la source du danger n’est plus en vigueur dans son lieu de travail, et ce depuis un certain temps, je dois maintenant décider si l’intérêt général des parties et de la justice justifie que cet appel soit jugé sur le fond.
[58] J’ai décidé de ne pas exercer ma discrétion d’entendre le fond de cette cause, par ailleurs théorique, pour les motifs suivants.
[59] En premier lieu, le contexte dans le cadre duquel le litige est survenu, un refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code, est fondé essentiellement sur des faits et a pour objet de prendre des mesures correctives à l’égard d’un danger auquel un employé peut être exposé. Une décision sur le bien-fondé du présent appel n’aurait qu’un effet déclaratoire, puisque la situation invoquée à l’appui du refus n’existe plus. En d’autres mots, la source du danger a été éliminée et la mesure corrective demandée par l’appelant a été satisfaite. Une décision selon laquelle un danger existait au moment du refus n’aurait aucune incidence pratique dans un tel contexte, seulement une incidence préventive à l’égard de situations futures éventuelles, sans même savoir, à ce moment-ci, de quelles situations il pourrait s’agir. À mon avis, il serait inutile et non souhaitable de s’engager dans un tel exercice.
[60] En second lieu, le droit de M. Somers et d’autres employés de refuser de travailler, dans l’hypothèse où la méthode de livraison du courrier était remise en vigueur, n’est ni touché ni diminué du fait de rendre une décision selon laquelle le présent appel est théorique. En d’autres mots, rien n’est perdu pour M. Somers ou toute autre personne travaillant au centre de dépôt de Sudbury de Postes Canada.
[61] En troisième lieu, j’ai souligné que Mme Smith a également émis une instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1) du Code, dans laquelle elle renvoie à l’alinéa 125(1)(z.03) du Code et au paragraphe 19.7(1) b) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail. L’instruction découle des mêmes circonstances. Elle ordonne à l’employeur de mener une [traduction] « Analyse des risques liés professionnels en vue d’atténuer les risques associés à la récupération du courrier de l’arrière d’un véhicule de Postes Canada, dans le cadre de la transition de la livraison à pied à la livraison motorisée ». Cette instruction vise à éliminer la source du danger allégué et à résoudre une des causes d’action invoquées par M. Somers dans son avis d’appel.
[62] Les dispositions relatives au refus de travailler sont l’un des nombreux moyens d’atteindre l’objectif du Code de prévenir les blessures et d’assurer un lieu de travail sécuritaire. L’employeur n’a pas interjeté appel de cette instruction devant le Tribunal, et il est tenu de se conformer à une instruction émise par le ministre du Travail ou son représentant délégué. Je présumerai donc que cette analyse, dont l’objet est de déterminer tous les risques associés à une tâche particulière ainsi que les mesures d’atténuation correspondantes, a été effectuée, ou fait l’objet d’un suivi par la représentante déléguée, dans le cadre du processus de conformité du Programme du travail. Si cette analyse ne réussit pas à rassurer M. Somers et s’il estime être exposé à un danger advenant le rétablissement éventuel de la méthode de livraison du courrier contestée dans son lieu de travail, il aura toute latitude pour se prévaloir de la protection du Code.
[63] Avant de conclure, je soulignerai que l’analyse sur le fond des circonstances qui prévalaient au moment du refus de travailler de M. Somers serait réalisée à la lumière de la nouvelle définition de « danger » du Code, entrée en vigueur le 31 octobre 2014. Le Tribunal n’a pas encore eu la possibilité d’interpréter et d’appliquer cette nouvelle définition, qui est déterminante d’un aspect important de l’architecture de la protection accordée par le Code. L’avocat de l’employeur a présenté des observations exhaustives à propos de l’évolution de la définition de « danger » et de l’interprétation qui devrait être donnée au libellé actuel de la définition du terme. L’appelant n’est pas représenté par un avocat ni par son syndicat et, on le comprendra, n’a pas abordé ces aspects juridiques dans ses observations. Bien que ce facteur ne soit pas déterminant dans ma décision de ne pas examiner le présent appel sur le fond, je suis d’avis qu’il serait préférable qu’une question juridique aussi importante que celle-ci et susceptible de créer un précédent soit analysée dans le cadre d’un litige actuel entre les parties et, dans la mesure du possible, à l’occasion duquel toutes les parties auraient la possibilité d’aborder les aspects juridiques dans leurs observations.
Décision
[64] Pour ces motifs, l’appel est rejeté en raison de son caractère théorique.
Pierre Hamel
Agent d’appel
Détails de la page
- Date de modification :