2014 TSSTC 7
Date : 2014-06-06
Dossiers : 2010-40 et 2010-41
Entre :
Aquiles Vergara, Olivier Waché et Catherine Caron, appelants
Et
Air Canada, intimée
Indexé sous : Vergara, Waché et Caron c. Air Canada
Version caviardée
Affaire : Appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l'encontre de décisions rendues par une agente de santé et de sécurité
Décision : Les décisions sont annulées.
Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour les appelants : Me James Robbins, Cavalluzzo Shilton McIntyre & Cornish LLP, Barristers & Solicitors
Pour l’intimée : Me Stephen Bird, Bird Richard, avocats pour les employeurs
Référence : 2014 TSSTC 7
Motifs de la décision
[1] La présente décision concerne des appels déposés aux termes du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre de décisions d'absence de danger qui ont été rendues par l'agente de santé et de sécurité (l'agente de SST) Mary Pollock le 28 septembre 2010 relativement à un refus de travailler exercé le 14 septembre 2010 par trois employés d'Air Canada affectés, en tant que membres du personnel de cabine (agents de bord), au vol AC362 d'Air Canada reliant Toronto à Boston sur un aéronef Embraer 175 portant la désignation FIN #380.
[2] L'un des employés ayant refusé de travailler, M. Aquiles Vergara, devait agir comme directeur du service sur ce vol avec l'agent de bord M. Olivier Waché. Le rapport d'enquête de l'agente de SST Pollock indique qu'à titre de directeur du service, les tâches et responsabilités de M. Vergara étaient d'assurer la sécurité de la cabine, de superviser le travail d'un agent de bord, de voir à la sécurité des passagers et de leur fournir des services. À la suite du refus de M. Vergara, une autre employée a été appelée pour remplacer le directeur du service sur ce vol. Lorsqu'on lui a indiqué les raisons pour lesquelles Vergara et Waché avaient refusé de travailler, ladite remplaçante/directrice du service, Mme Catherine Caron, a aussi exercé son droit de refus. En plus du personnel de cabine, ce vol devait être assuré par un équipage formé de deux pilotes au poste de pilotage, soit un commandant de bord et un premier officier, et il n'y a aucune preuve démontrant qu'il devait y avoir une autre personne au poste de pilotage durant ce vol. Les appels interjetés par les trois employés ont été regroupés aux fins d'une audience et décision.
Contexte
[3] Tel qu'on peut le déduire pour l'essentiel du rapport d'enquête de l'agente de SST ainsi que de son témoignage à l'audience, les trois refus étaient surtout fondés sur le simple fait que ce jour-là, pour le vol en cause, le système de verrouillage automatique (SVA) de la porte de sécurité du poste de pilotage du Fin #380 était non fonctionnel, ce système étant conçu, depuis les événements de 11 septembre 2001, [texte caviardé].
[4] Le rapport de l'agente de SST révèle que l'un des employés ayant refusé de travailler, Aquiles Vergara, a parlé de plusieurs aspects du danger évoqué, qui ont été résumés par l'agente de SST comme suit : [traduction] [texte caviardé] le personnel de cabine (agents de bord) n'aura aucun moyen d'appliquer les PUN (procédures d'utilisation normalisées) [texte caviardé]. Par conséquent, il y a un danger et ce ne serait pas sécuritaire d'effectuer ce vol. »
[5] Dans les trois cas, l'employeur a communiqué la même réponse aux employés ayant refusé de travailler, à savoir que le vol pourrait se poursuivre tel que prévu en vertu des dispositions de la liste d'équipement minimal (MEL) reconnue par Transports Canada, l'aéronef pourrait voler en dépit du non-fonctionnement du mécanisme de verrouillage automatique de la porte du poste de pilotage, et l'exploitant de l'aéronef disposait de deux jours de vol aux termes de ladite MEL pour faire les réparations appropriées.
[6] L'agente de SST Pollock est agente de santé et de sécurité en aviation civile à Transports Canada. Avant de se joindre à Transports Canada, elle a travaillé pour des lignes aériennes durant 27 ans en tant qu'agente de bord, directrice du service, gestionnaire de base et responsable de la formation. À Transports Canada, elle a commencé à travailler en tant qu'inspectrice des normes applicables aux cabines et a été mutée au service d'inspection des lignes aériennes en 1995. En 2008, lorsque la direction générale de l'inspection des cabines a fusionné avec la division de la SST (aéronefs), elle est devenue agente de santé et de sécurité. Elle a reçu une formation relative à la santé et sécurité en aviation civile et a aussi suivi la formation récurrente (aux 2 ans) de Transports Canada sur la SST (aéronefs), y compris en ce qui concerne le Code, le récent Règlement sur la SST (aéronefs) ainsi que la formation de niveaux 1 et 2 offerte par la GRC en matière de réalisation d'enquêtes.
[7] Compte tenu de la nature délicate de certains des renseignements recueillis par l'agente de SST et de la nécessité de s'assurer qu'ils soient protégés, on a demandé au soussigné de voir à ce que l'agente de SST Pollock puisse se faire représenter par un avocat aux fins de son témoignage à l'audience, et les deux parties ont approuvé cette demande. Cela explique la désignation plutôt exceptionnelle de Me Sid Restall en tant qu'avocat mandaté pour représenter l'agente de SST Pollock. Il est important de noter, cela dit, que le rôle et la participation de Me Restall étaient strictement limités au témoignage de l'agente de SST et à la protection de la documentation recueillie et utilisée par l'agente de SST aux fins de l'établissement de sa décision. Les éléments factuels sur lesquels reposent la décision d'absence de danger de l'agente de SST Pollock dans les trois cas peuvent être tirés de son rapport d'enquête ainsi que de son témoignage à l'audience. Ces éléments factuels sont les suivants :
- l'aéronef Embraer 175 associé à ces trois refus de travailler (Fin #380) a été homologué en vertu des règlements de Transports Canada;
- la liste d'équipement minimal est approuvée par Transports Canada et l'aéronef Embraer 175 était exploité en vertu de ses exigences;
- le 14 septembre 2010, le système de verrouillage automatique de la porte de sécurité du poste de pilotage du Fin #380 était non fonctionnel, car il avait été désactivé par le préposé à l'entretien d'Air Canada;
- Lorsqu'une pièce d'équipement à bord d'un aéronef est non fonctionnelle, le manuel des agents de bord et le manuel d'exploitation des aéronefs (FOM) prévoient des procédures exigeant qu'il y ait un exposé avant vol entre le pilote et le directeur du service afin d'établir d'autres procédures et modes de communication. Dans le cadre de son témoignage à l'audience, l'agente de SST Pollock a fait mention de cette exigence, mais n'a pas indiqué si un tel exposé avant vol avait eu lieu pour établir d'autres mesures de sécurité, modes de communication et procédures pour effectuer le vol sans un SVA fonctionnel. [Texte caviardé].
- [Texte caviardé]. Dans le cadre de son témoignage, l'agente de SST Pollock a mentionné les procédures opérationnelles aux termes des exigences de la MEL [texte caviardé];
- [Texte caviardé];
- dans le cadre du programme de formation approuvé pour les agents de bord, on initie les participants aux procédures d'utilisation de la porte du poste de pilotage et cela avait été fait en l'espèce. De plus, les dossiers de formation des employés en cause démontrent que tous les membres de l'équipage avaient reçu la formation relative à l'aéronef Embraer;
- [Texte caviardé];
- Aucune autre défectuosité n'a été recensée qui aurait empêché d'effectuer le vol en conformité avec les modalités de la MEL, sauf en ce qui concerne le SVA de la porte de sécurité du poste de pilotage. [Texte caviardé];
- [Texte caviardé];
- [Texte caviardé].
[8] À l'audience, les parties ont présenté d'abondantes preuves par l'entremise de leurs quatre témoins ainsi que sous forme documentaire, et bien que j'aie tenu compte de tous les témoignages et parcouru toute cette documentation, et que je les citerai dans une large part lorsque je résumerai les observations des parties et rendrai ma décision, il est important de noter à ce stade-ci que, pour l'essentiel, l'information recueillie à titre de preuve par l'agente de SST Pollock s'est révélée exacte. [Texte caviardé].
[9] [Texte caviardé]. Bien que j'estime qu'il est nécessaire pour le soussigné de disposer de toute l'information pertinente avant de rendre une décision, je ne crois pas qu'il soit essentiel que de tels renseignements de nature délicate soient divulgués aux présentes de façon autre que générale aux fins du processus en cause, qui est de trancher la question de savoir s'il existait une situation qui constituait un danger pour la santé et la sécurité des employés, ce qui éliminera par ailleurs la nécessité de caviarder de grandes parties de ladite décision.
Question en litige
[10] Tel qu'indiqué plus haut, les présents appels visent à contester les décisions rendues par l'agente de SST Pollock relativement à un ensemble de faits et de circonstances associés à un vol d'Air Canada devant relier Toronto à Boston le 14 septembre 2010, lesquels faits et circonstances sont considérés par trois membres du personnel de cabine comme ayant représenté un danger pour leur santé et leur sécurité, et comme ayant justifié leur refus de travailler. À la fin de son enquête sur cette affaire, l'agente de SST Pollock a déclaré dans ses décisions que ces faits et circonstances ne pouvaient pas être assimilés à un « danger » au sens du Code, une conclusion que les appelants voudraient faire infirmer dans le cadre de leurs appels. Compte tenu de l'essence de ces dites décisions « d'absence de danger », il devrait être plutôt simple de formuler la ou les questions en litige qui, compte tenu de la nature de novo du présent appel, pourraient se résumer à la simple question de savoir si, compte tenu de ces faits et circonstances, il existait un « danger » pour les trois employés au moment où ils ont exercé leur droit de refuser de travailler.
[11] Alors qu'ils débattaient de cette question générale, les parties ont toutefois présenté des interprétations quelque peu différentes au sujet de ce « danger » que je dois déterminer qu'il existait ou non. Ainsi, les appelants décrivent le « danger » comme étant la combinaison de la présence d'une pièce d'équipement défectueuse dans l'aéronef et des circonstances éventuelles en vol qui pourraient entraîner des blessures ou pire. Selon les appelants, la question en litige est donc de savoir si la pièce d'équipement de sécurité non fonctionnelle, soit le système de verrouillage automatique (SVA) de la porte de sécurité du poste de pilotage de l'aéronef Embraer 175, engendre un « danger » dans la mesure où ce système sert à maintenir la sécurité [texte caviardé] en soupesant des exigences concurrentes en matière de sécurité.
[12] L'intimée, en revanche, souhaiterait que je maintienne les décisions de l'agente de SST et elle a une conception plus étroite du « danger » qui, selon elle, n'existe pas, et ce, non pas en tant qu'ensemble d'éléments très divers et non pas en ce qui a trait au verrou de porte inopérant, mais qui serait plutôt lié à la crainte de ce qui pourrait se passer si quelque chose d'autre se produit en raison du fait que le SVA est non fonctionnel; [texte caviardé] certains des événements décrits par l’intimé sont des situations couvertes par la formation reçue par les employés pour gérer ces dernières, dont le dénouement final pourrait être un événement catastrophique.
[13] Afin de déterminer si un « danger » existait à l'époque, je vais donc prendre en considération ces deux interprétations quelque peu divergentes, tout en gardant à l'esprit la définition de « danger » figurant au paragraphe 122(1) du Code, à savoir :
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;
et que la loi contenant cette définition précise que son objet est de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi auxquels elle s'applique, ce qui implique qu'elle privilégie une approche prospective plutôt que réactive lorsqu'on doit gérer des circonstances et des situations ayant cours en milieu de travail.
Observations des parties
[14] Les parties ont modelé leurs positions respectives selon le résultat qu'elles souhaitent obtenir dans le cadre de ces appels, le tout en s'appuyant sur le témoignage de l'agente de SST Pollock et celui de quatre témoins, ainsi que sur une abondante documentation. Ces témoins étaient M. Aquiles Vergara, l'un des employés ayant été interjeté appel, Mme Julie Pelletier, coprésidente (pour les employés) du comité d’orientation en matière de santé et de sécurité d'Air Canada, Mme Annette Anand, gestionnaire de la formation relative à la conception des programmes et à la prestation des programmes en vol, et M. William De Savigny, spécialiste de la flotte Embraer d'Air Canada.
[15] Les deux avocats ont présenté leur plaidoyer final verbalement le 29 mai 2013 et les ont respectivement complétés par des arguments écrits étoffés livrés au soussigné le 28 juin et les 15 et 24 juillet 2013. Ces documents font partie du dossier. Les principaux faits ayant dicté l'établissement de la décision de l'agente de SST sont bien connus et ont été décrits en détail ci-dessus dans la présentation du contexte de l'affaire. Il n'est donc pas nécessaire de les réexaminer. De même, et au risque d'être un peu trop concis, les positions des parties sont formulées de manière claire et simple.
[16] Les appelants soutiennent qu'au regard de toutes les circonstances qui étaient réunies au moment des refus, un danger existait pour eux, tel que démontré par les circonstances factuelles associées à leur formation et à l'objet de celle-ci, ainsi que par l'absence d'autres procédures opérationnelles [texte caviardé], et les décisions de l'agente de SST devraient donc être annulées. En revanche, l'intimée est d'avis que les mêmes faits et circonstances ne fondent pas une telle conclusion, qu'au regard de la preuve, les incidents décrits par les employés ayant refusé de travailler en raison d'un SVA inopérant sont entièrement hypothétiques et spéculatifs, que même s'il y a de la formation pour gérer de telles situations craintes par les appelants, cette formation n'implique pas que l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que de tels incidents surviennent, et que les présents appels visent plutôt à poursuivre certains objectifs du syndicat. L'intimée voudrait donc que les décisions de l'agente de SST soient confirmées par le soussigné. On trouvera dans les lignes qui suivent une présentation plus détaillée de leurs observations, même si celles-ci ont nécessairement été résumées.
A) Observations des appelants
[17] L'avocat des appelants offre une simple description des principaux faits liés aux circonstances dans lesquelles les refus ont été exercés. Le SVA ne fonctionnait pas et le vol sur lequel les agents de bord ont refusé de travailler avait pour destination une grande ville américaine, les États-Unis étant un pays où d'importantes activités terroristes impliquant des aéronefs ont eu lieu dans le passé. Les agents de bord eux-mêmes étaient préoccupés par [texte caviardé], l'incapacité d'utiliser ledit SVA [texte caviardé], du même coup, l'incapacité de suivre les procédures d'utilisation normalisées liées à l'utilisation d'un SVA fonctionnel, ou d'autres procédures d'utilisation. En dépit du SVA non fonctionnel, il n'avait été question d'aucune autre procédure durant l'exposé avant vol requis. À ce sujet, l'avocat a cité le témoignage non contesté du directeur du service Vergara, selon lequel durant l'exposé avant vol standard et obligatoire avec le commandant de bord, aucune procédure n'a été décrite qui aurait pu servir à effectuer le vol sans un SVA fonctionnel, [texte caviardé] M. Vergara a déclaré lors de son témoignage que le commandant de bord avait tout simplement mentionné que le SVA n'était pas fonctionnel, et décrit les modalités applicables de la MEL.
[18] Les arguments de l'avocat des appelants portent dans une large part sur la nature et l'utilité du SVA, [texte caviardé]. À cet égard, un témoignage veut qu'avant les incidents du 11 septembre à New York, il n'existait pas de problème réel relativement aux portes du poste de pilotage et que c'est seulement à la suite de ces incidents que l'on a mis au point des portes renforcées ou « en métal trempé » pour le poste de pilotage [texte caviardé].
[19] [Texte caviardé].
[20] [Texte caviardé].
[21] [Texte caviardé]. De fait, l'avocat a soutenu qu'une conclusion découle de la déposition de tous les témoins entendus dans cette affaire, peu importe leur statut, à savoir qu'il n'y a pas de procédures d'utilisation normalisées pouvant être appliquées par le personnel de cabine lorsqu'un avion fonctionne avec un SVA inopérant, [texte caviardé].
[22] L'avocat des appelants s'est appuyé sur plusieurs indicateurs pour déduire que l'on s'attend généralement à pouvoir compter sur le SVA pour profiter de ses fonctions de sécurité, tel que cela est confirmé au moins par les mesures prises par l'industrie et le simple fait que l'employeur donne de la formation, y compris de la formation récurrente sur cette procédure, et par le fait que d'un point de vue général, on peut soutenir que des situations dangereuses se produiront s'il n'existe pas de mesures de secours pour un dispositif de sécurité qui ne fonctionne pas. Ce faisant, l'avocat a noté que De Savigny, le témoin d'Air Canada, a répondu au soussigné que dans l'éventualité de certaines situations hypothétiques où [texte caviardé] alors que le SVA a cessé de fonctionner [texte caviardé], le résultat logique serait une catastrophe, c'est-à-dire un écrasement. Cela étant dit, les indicateurs notés par l'avocat selon lesquels un SVA fonctionnel est indispensable, sont les suivants.
[23] On a d'abord soutenu que les mesures prises par l'organisme de réglementation et l'industrie démontrent que ces gens s'attendent à ce qu'il soit nécessaire d'utiliser un SVA afin de pouvoir profiter de ses fonctions de sécurité. Cela est corroboré par le fait que les règlements et les normes régissant l'aviation commerciale, l'accès au poste de pilotage et le SVA prévoient [texte caviardé] des menaces à la sécurité auxquelles le SVA et les PUN qui y sont reliées visent à répondre, ce qui aux yeux de l'agente de SST constitue [traduction] « des choses que l'on doit absolument prendre au sérieux. » Ainsi, les règlements pertinents comprennent le Règlement de l'aviation canadien (RAC), lequel traite de l'accès au poste de pilotage (art. 705.27), de la fermeture et du verrouillage de la porte du poste de pilotage (art. 705.45), des portes et verrous (art. 705.80), de la formation (art. 705.124) et des procédures d'utilisation normalisées (art. 705.138). De plus, le paragraphe 725.124(14) de la norme 725 établie en application du RAC prévoit que l'on doit initier les membres de l'équipage aux procédures d'urgences relativement [texte caviardé] aux menaces à la sécurité auxquelles le SVA et les PUN qui y sont reliées visent à répondre, ce qui a incité l'avocat à conclure que si l'on ne peut raisonnablement s'attendre à ce que ces possibilités se matérialisent, on devrait alors considérer que l'organisme de réglementation, l'industrie et Air Canada (qui n'a pas demandé que l'on modifie les règlements) doivent être perçus comme étant déraisonnables. Relativement à ce premier indicateur, l'avocat note que Mme Anand, témoin d'Air Canada, a déclaré que les exigences du RAC en ce qui concerne la formation pour gérer ces éventualités avaient été établies parce que [traduction] « l'industrie soupçonne que ces situations peuvent se produire. »
[24] Un deuxième ensemble d'indicateurs relevés par les appelants se rapporte aussi au fait qu'Air Canada s'attend à ce que l'on ait besoin du SVA en raison des fonctions de sécurité qu'il offre, tel que révélé par la formation et les procédures d'utilisation normalisées (PUN) de cette société aérienne. En ce qui concerne la question de la formation pertinente, l'avocat note que la preuve révèle que les agents de bord d'Air Canada reçoivent une formation rigoureuse en ce qui a trait aux procédures de sécurité, y compris relativement aux procédures d'urgence et de sécurité, et ce, tant au début de leur emploi que dans le cadre de la formation annuelle récurrente obligatoire. Les agents de bord apprennent donc à composer avec [texte caviardé] certaines situations tel que révélé par la matrice de formation d'Air Canada déposée en tant que pièce et démontrant la mise en application des exigences de Transports Canada en matière de formation.
[25] Entre autres choses, cette matrice traite de [texte caviardé]. (La partie caviardée ci-dessus identifie certaines menaces à la sécurité.) La formation reçue par les agents de bord couvre aussi un examen des accidents survenus chez Air Canada et d'autres exploitants, et traite des risques que présentent des communications inefficaces pour la sécurité des vols. L'avocat insiste aussi pour dire que Mme Anand, qui a témoigné pour Air Canada, a soutenu que la formation qu'Air Canada fournit à ses agents de bord relativement aux sujets susmentionnés est conforme au RAC et aux Normes de service aérien commercial et que l'on tente de faire en sorte que cette formation dépasse les exigences prévues dans ce règlement et ces normes. De plus, le RAC rend obligatoire la formation annuelle récurrente sur [texte caviardé].
[26] [Texte caviardé].
[27] [Texte caviardé].
[28] [Texte caviardé]. (Ces paragraphes décrivent les procédures d’utilisation normalisées (« PUN ») à l’intention des agents de bord et la formation qui leur est donnée par Air Canada relativement aux questions pertinentes en matière de sécurité et d’urgence.)
[29] Bien que l'avocat de l'intimée Air Canada ait tourné en dérision de telles mesures comme n’était pas réalistes dans un contexte aussi menaçant, l'avocat des appelants a insisté au contraire pour dire qu'en dépit des doutes soulevés par l'avocat d'Air Canada, l'employeur croyait manifestement en de telles procédures puisqu'il a dispensé de la formation à ses employés à leur sujet, tout comme il offre de la formation sur l'utilisation du SVA [texte caviardé].
[30] Dans le cadre de la formation donnée aux agents de bord qui porte sur les exemples d’accidents et incidents en cours de vol tels que les cas Helios et Peach Air, etc. [traduction] « la gestion des ressources d'équipage » (GRE) a été jugée cruciale car elle témoigne clairement de l'importance des procédures d'utilisation normalisées et des communications entre tous les membres de l'équipage. À cet égard, l'avocat a mentionné que Mme Anand, témoin d'Air Canada, a insisté pour dire que dans le cadre de la formation sur la GRE, il est essentiel d'apprendre à être conscient de la situation en cause ou, en d'autres mots, de bien comprendre les attributions de chaque membre de l'équipage et comment agir ou réagir si ces employés ne suivent pas la procédure, la communication étant essentielle en pareil cas. La formation donnée par Air Canada ne comprend pas, cela dit, de formation [texte caviardé] sur des procédures d’utilisation normalisées alternatives.
[31] En ce qui concerne l'importance de fournir de la formation et de l'équipement et d'établir des procédures, et les coûts que cela entraîne pour l'employeur, l'avocat des appelants cite une fois de plus le témoignage du témoin de l'intimée (Anand), selon lequel la formation des agents de bord repose sur des questions de jugement en ce qui a trait au choix et à la priorisation du matériel à fournir, et que la probabilité que des événements surviennent jouera un rôle dans le cadre de la décision de ce qu'il faut inclure dans cette formation. Ainsi, l'avocat a soumis qu'en raison des coûts élevés que doit assumer l'employeur pour acquérir l'équipement, pour donner de la formation sur son utilisation, pour le matériel de formation lui-même et pour établir des procédures, la décision d'Air Canada de consacrer ces ressources au SVA démontrerait son sérieux et le fait que cela a été fait en raison des questions de sécurité importantes qui sont en cause. En d'autres mots, l'avocat en arrive à la conclusion, à cet égard, qu'Air Canada offre cet équipement, cette formation et ces procédures parce qu'elle s'attend à ce qu'on en ait besoin.
[32] [Texte caviardé]. (La partie caviardée de ce paragraphe décrit une recommandation du comité de santé et sécurité au travail de Montréal qui a été signée par les deux co-présidents que l’aéronef ne soit pas mobilisé lorsque le SVA n’est pas fonctionnel. La recommandation indiquait l’absence de mention de cette situation dans le manuel 356 ou le manuel d’exploitation de aéronefs) La réponse de l'employeur à cet égard était cependant la même que celle qui a été fournie aux employés ayant refusé de travailler ou à l'agente de SST Pollock, à savoir que la procédure prévue dans la MEL était acceptable, et l'employeur n'a donc pas donné suite à la recommandation.
[33] [Texte caviardé]. (La partie caviardée de ce paragraphe et de ceux qui suivent décrit les éléments de preuve relatifs à certaines situations dans lesquelles l’utilisation du SVA pourrait être requise, de même que les procédures d’utilisation normalisées qui y sont reliées, afin d’éliminer ou de mitiger les menaces à la sécurité.) Bien qu'elle n'ait pas été contestée par l'intimée, la preuve fournie par les appelants à l'agente de SST ainsi que dans le cadre de l'audience tenue par le soussigné est, que ce soit des façon générale en ce qui concerne tous les transporteurs aériens ou seulement Air Canada, qu’il y a eu des cas [texte caviardé]dans le passé, et l'avocat estime qu'il n'y a pas de raison de croire que de tels cas ne surviendront pas à l'avenir, même lorsque l'employeur prend des mesures pour prévenir ou limiter le plus possible ce genre de problème.
[34] [Texte caviardé].
[35] [Texte caviardé].
[36] [Texte caviardé]. (La partie caviardée de ce paragraphe décrit les éléments de preuve d’un certain type de cas qui pourraient requérir l’utilisation du SVA et PUN associées afin d’éliminer ou de mitiger des menaces à la sécurité.) Ces incidents, qui impliquaient Air Canada et de nombreux autres transporteurs aériens, tel qu'établis dans divers rapports et études provenant de sources variées telles que la FAA (Federal Aviation Administration), l'AAIB (Air Accidents Investigation Branch [R.-U.]), l'ATSB (Australian Transportation Safety Board), Air Canada et Transports Canada, permettent d'établir, dans un premier temps, [texte caviardé] Cela étant dit, le détail de chacun ou de plusieurs de ces incidents, qui présente peut-être un intérêt sur le plan informatif, n'est pas essentiel pour comprendre et évaluer les observations de l'avocat.
[37] [Texte caviardé]. Le contraire signifierait qu'il n'est plus nécessaire de maintenir en vigueur les procédures restreignant l'accès au poste de pilotage. En l'espèce, la destination du vol était Boston et le témoin d'Air Canada De Savigny a reconnu, selon l'avocat, que des menaces à la sécurité subsistent et visent de grandes villes américaines comme Boston, tel que révélé par le récent attentat à la bombe durant le marathon de Boston et, en ce qui concerne le secteur canadien des transports, tel que démontré par la récente arrestation d'un groupe accusé d'avoir planifié une attaque à la bombe contre un train de Via Rail. Selon l'avocat, il n'y a eu aucune suggestion dans toute la preuve présentée que les menaces à la sécurité ne sont plus importantes en aviation commerciale, et même si aucune donnée n'a été fournie au sujet des passagers turbulents ou des menaces à la sécurité plus graves, l'avocat a affirmé que les agents de bord reçoivent de la formation qui leur permet de gérer ces deux types de cas.
[38] L'avocat a abordé la réponse de l'agente de SST ainsi que la position de l'intimée sur la MEL en déclarant que la MEL n'est pas un guide de sécurité exhaustif, qu'elle ne permet pas de déterminer si un aéronef est en état de navigabilité et qu'elle ne traite pas des questions de santé et sécurité au travail en vertu du Code. Faisant référence au RAC et à la norme 625, l'avocat souligne que selon Transports Canada, [traduction] « l'application de la MEL n'élimine pas la nécessité pour le pilote de faire sa propre évaluation de la navigabilité de l'aéronef, mais elle permet d'établir certaines des circonstances dans lesquelles l'utilisation de cet aéronef n'est définitivement pas permise », et il soutient donc que si un aéronef comporte une pièce d'équipement qui n'est pas en état de fonctionner et n’est pas conforme à la MEL, il ne peut être utilisé, alors qu'un pilote peut décider qu'un aéronef n'est pas en état de navigabilité même s'il est conforme à la MEL.
[39] De fait, l'avocat avance que les procédures énoncées dans la MEL se rapportent d'abord à l'entretien et à l'utilisation, et qu'elles sont donc peu pertinentes pour les agents de bord. Selon l'avocat, cette conclusion est corroborée par la MMEL (liste principale d'équipement minimal) approuvée par Transports Canada en conformité avec l'article 605.07 du RAC et qui sert à habiliter les exploitants individuels à créer leur propre MEL adaptée à la configuration des pièces d'équipement de leurs propres aéronefs et à leurs conditions d'exploitation, tout en n'étant pas moins restrictive que la MMEL. À cet égard, l'avocat a mentionné que dans la MMEL et les dispositions de la MEL, les employés concernés sont désignés par la lettre « M » pour ce qui est de l'entretien alors que la lettre « O » désigne principalement les pilotes. En ce qui concerne le fait que l'agente de SST a reconnu que la réparation du SVA pouvait être reportée de deux jours et la position de l'intimée à ce sujet, l'avocat a noté qu'il n'y a aucune procédure dans la MEL pour les agents de bord qui effectuent un vol sans SVA fonctionnel et aucune preuve quant à la justification qui permet à un aéronef de fonctionner pendant deux jours de cette façon-là. L'avocat a terminé ses observations sur cette question en ajoutant qu'en l'espèce, il n'y avait aucune preuve donnant à penser que les raisons invoquées par les employés ayant refusé de travailler à l'appui de leur affirmation voulant que le SVA doit être fonctionnel [texte caviardé] ont été ou auraient été suspendues pour la période de vol de deux jours alors que l'aéronef a ou aurait fonctionné sans SVA fonctionnel.
[40] L'avocat a mentionné le fait qu'Air Canada a adopté, afin de tenter de gérer les risques liés aux accidents organisationnels, un modèle théorique appelé « fromage suisse », en vertu duquel la présomption justifiant le besoin d'avoir des [traduction] « moyens de défense élaborés » contre les accidents potentiels veut que chaque niveau de défense comporte des lacunes (ou des trous, comme dans un gruyère) qui ne sont pas statiques et qui changent donc chaque fois que l'on élimine un niveau, ce qui fait croître la possibilité d'un accident. En vertu de ce modèle, le fait de ne pouvoir compter sur un dispositif de sécurité ferait augmenter la probabilité d'un accident, ce qui est en accord avec les indications figurant dans le matériel de formation de l'employeur, à savoir que les probabilités d'accidents s'accroissent au fur et à mesure que les ressources sont assiégées. Notant que Mme Anand, qui témoignait pour Air Canada, avait reconnu que les circonstances de ces affaires révélaient plusieurs manquements, soit un équipement de sécurité non utilisable et l'absence de procédures pour l'utilisation d'un aéronef avec de l'équipement non utilisable, l'avocat a proposé que le vol que les appelants ont refusé d'assurer aurait, dans leur cas, été effectué (il l'a en fait été avec d'autres employés) malgré l'élimination d'importants niveaux de défense, et ce, dans des circonstances où l'on aurait pu raisonnablement s'attendre à ce que ces niveaux de défenses soient requis. Ainsi, lorsqu'on applique le modèle « fromage suisse » utilisé par l'intimée Air Canada pour analyser les causes d'accidents, ce vol aurait dû être considéré comme dangereux.
[41] S'appuyant sur la définition de la notion de danger figurant au paragraphe 122(1) du Code pour étayer ses observations sur le droit, l'avocat des appelants a défini de façon sommaire la question de fond à trancher comme étant de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce que la pièce d'équipement de sécurité en cause et les procédures s'y rapportant pourraient être requises pour empêcher que des personnes à bord de l'aéronef, y compris les agents de bord en cause, subissent des blessures. Si l'on s'en tient aux faits et en accord avec la définition de « danger », l'avocat affirme que l'affaire en cause concerne une situation existante, à savoir que le SVA, une pièce d'équipement de sécurité, n'était pas fonctionnel dans l'aéronef auquel étaient affectés les employés ayant refusé de travailler. À cet égard, l'avocat a noté que le fait que le SVA n'était pas fonctionnel ou que sa seule fonction consiste à assurer le maintien de la sécurité n'est pas contesté. [Texte caviardé]. À cet égard, l'avocat a souligné que personne n'avait laissé entendre que le SVA aurait pu être remis en marche au besoin durant le vol
[42] Après avoir tenu compte de cela et s'être inspiré de nombreux renvois à la jurisprudence applicable, l'avocat a structuré ses observations d'ordre juridique en fonction de trois éléments :
- 1) le critère de danger est satisfait lorsque les mesures de sécurité sont déficientes. Lorsqu'une pièce d'équipement ou des procédures de sécurité sont retirées ou ne sont pas disponibles, un danger existe au sens du Code, et cette préoccupation surgit lorsque des employés ne sont pas en mesure de mettre en pratique leur formation relative aux procédures de sécurité à cause d'une pièce d'équipement de sécurité qui n'est pas disponible.
- 2) le Code a une vocation préventive et il n'est donc pas nécessaire que des risques ou blessures surviennent fréquemment, mais plutôt seulement qu'il soit raisonnablement possible qu'ils surviennent.
- 3) la mise en application d'un régime de réglementation (la MEL, ici) ne permet pas d'éliminer le danger.
[43] Tel qu'indiqué plus haut, afin d'étayer ses observations sur les questions de droit, l'avocat a cité une jurisprudence abondante. Relativement à Verville c. Canada (Service correctionnel) 2004 CF 767, l'avocat a noté que la Cour avait énoncé les points suivants :
- le Code ne s'applique pas seulement à certaines situations factuelles qui existaient au moment du refus;
- la situation ou tâche liée au refus ne pas doit pas causer de blessure chaque fois qu'elle survient ou qu'elle est accomplie; elle doit plutôt pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois;
- il n’est pas nécessaire d’établir précisément le moment auquel le risque, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances le risque, la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable;
- les risques ou situations liés à l'imprévisibilité du comportement humain sont visés par la définition. Tel que l'affirme la Cour, « [s]i un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition » (par. 41).
[44] De plus, l'avocat a aussi noté que la Cour avait reconnu qu'il y a plus d'une façon d'établir qu'il y a des chances raisonnables que des blessures surviennent dans des circonstances données, et que ces blessures pourraient aussi survenir dans d'autres circonstances plus ou moins différentes. Ainsi, l'affirmation suivante, faite par la Cour, figure au paragraphe 51 de la décision : « Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l'opinion. » Appliquant ce principe à l'affaire en cause, l'avocat note que les opinions des organismes de réglementation, des membres de l'industrie, d'Air Canada et du comité de santé et sécurité au travail de Montréal sont unanimes en ce qui concerne la nécessité d'utiliser le SVA en tant que dispositif de sécurité et d'appliquer les procédures s'y rapportant. [Texte caviardé].
[45] L'avocat a également affirmé que la Cour d'appel fédérale avait statué que l'absence d'une pièce d'équipement de sécurité nécessaire pour se prémunir contre un danger éventuel représente un danger au sens du Code. Un renvoi à cet égard est fait à la décision Martin c. Canada (Procureur général) 2005 CAF 156, où il est indiqué au paragraphe 37 :
Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.
Compte tenu de ce qui précède, et en l'appliquant à la présente affaire, l'avocat soutient que la question en litige est donc de savoir si le risque éventuel [texte caviardé] se fonde sur une simple spéculation ou hypothèse, ou s'il est plutôt susceptible de se produire dans le futur. L'avocat affirme qu'un tel risque s'est manifesté dans le passé et qu'il n'y a aucune preuve qui a été déposée démontrant que quoi que ce soit pourrait empêcher qu'il se manifeste dans le futur. Un système de réglementation élaboré est en place et le système de formation, d'équipement et de procédures d'Air Canada anticipe que de tels risques se manifesteront dans le futur. Le fait que l'employeur et l'organisme de réglementation ont déjà adopté le SVA en tant que mesure de sécurité permet d'atténuer le caractère spéculatif ou hypothétique de l'éventualité que les risques se manifestent.
[46] L'avocat considère que le Tribunal en est arrivé à une conclusion semblable dans Armstrong c. Canada (Service correctionnel), 2010 TSSTC 6, relativement à l'indisponibilité d'une pièce d'équipement de sécurité, ainsi que dans Frighetto c. Group 4 Securicor, (2011 TSSTC 7) en ce qui concerne la suspension de procédures de sécurité, ou la modification de celles-ci, ayant mené dans certains cas à leur élimination complète, le tout se fondant, en l'occurrence, sur la notion de l'imprévisibilité du comportement humain, ou encore la suppression d'un [traduction] « niveau de sécurité » sans remplacement adéquat, un cas qui est décrit dans Brazeau et Securicor Ltd. (2004) DAACCT no 49 et qui se fonde sur ce que l'on appelle communément la hiérarchie des contrôles ou des mesures de prévention prévue à l'article 122.2 du Code, et qui appuie le principe voulant que lorsque des mesures de prévention existent pour protéger les employés contre un risque, et que l'employeur omet de prendre ces mesures, cela engendre un danger.
[47] En l'espèce, l'avocat s'intéresse à la question précise de l'indisponibilité d'une pièce d'équipement de sécurité, soit le SVA, qui aurait fait en sorte qu'il aurait été impossible pour les employés en cause d'agir en s'appuyant sur leur formation et de suivre les procédures de sécurité, une situation que l'agent d'appel a jugé constituer un danger dans la décision Securicor Canada Limitée et Travailleurs canadiens de l'automobile, section locale 4266-A (décision no 06-002), dans laquelle on peut lire ce qui suit, au paragraphe 18 : [traduction] « Le fait qu'un employé n'a pu agir en s'appuyant sur sa formation constituait un danger au moment où cet employé a refusé de travailler. » De plus, dans la même décision, l'agent d'appel affirme au paragraphe 24 que « la façon de faire imposée aux agents différait des procédures [de sécurité] normales (...) et aucune mesure compensatoire n’avait été prise pour réduire au minimum le risque créé par la modification », et selon l'avocat, cela signifie que l'existence de procédures de sécurité ayant été établies par l'employeur et d'un programme de formation indiquent que si ces procédures et cette formation ne sont pas disponibles, cela constitue un danger. La conclusion tirée par l'avocat des appelants sur la foi de ce qui précède veut que la présente affaire s'apparente à la décision Securicor qui vient d'être citée, et tout comme dans cette affaire, les employés en cause ici ont reçu une formation relative à des procédures de sécurité appliquées à l'aide du SVA, mais on ne leur a pas appris à utiliser ces procédures lorsque le SVA n'est pas fonctionnel. De plus, aucune mesure d'atténuation n'a été prise pour minimiser le risque additionnel lié à l'absence d'un SVA fonctionnel, et un tel facteur mène à un constat de danger.
[48] [Texte caviardé]. L'avocat des appelants traite de cela dans la dernière partie de ses observations, mettant l'accent sur le principe et l'objet premier du Code qui permet de déterminer l'existence d'un danger, soit sa nature préventive, le tout tel qu'indiqué à l'article 122.1 du Code, où l'on peut lire que « [l]a présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions », ce qui revient à dire de façon générale qu'au regard de décisions antérieures rendues par des agents d'appel, un tel danger peut être constaté malgré l'absence ou le caractère peu fréquent de blessures ou de risques antérieurs, et qu'un risque est susceptible de se poser dans le futur même s'il ne s'est jamais manifesté dans le passé et il n'est pas nécessaire que sa fréquence soit démontrée par des statistiques, tel qu'indiqué dans Rathwell c. Air Canada, 2011 TSSTC 15, au paragraphe 66, comme suit : « (…) la définition du mot « danger » dans le Code n’exige pas qu’il soit fréquent », et de façon plus appuyée dans une décision antérieure du CCRI (Lequesne (Re), [2004] CCRI 276, au paragraphe 84), comme suit:
[L’] accident ou l’incident est un événement qui se produit par hasard ou sans cause apparente à un moment que l’on ne peut prévoir. (…) Une mince possibilité demeure néanmoins une possibilité. La partie II ne mentionne pas l’existence d’une mince possibilité comme justification de l’existence de conditions de travail dangereuses.
[49] Notant que le critère adopté dans la jurisprudence pour déterminer la présence d'un danger exige seulement qu'il y ait une [traduction] « possibilité raisonnable » qu'un risque puisse entraîner des blessures dans le futur, sans que cela soit une certitude ou une probabilité, et qu'une telle possibilité demeure raisonnable même si elle est peu fréquente, l'avocat note qu'en cas [texte caviardé] qui dicteraient l'utilisation du SVA, les blessures en cause seront probablement très graves et les agents de bord n'auront pas la possibilité de s'extirper de l'aéronef pendant qu'il est en vol. L'avocat en est donc arrivé à la conclusion que même si les cas pour lesquels un SVA fonctionnel est requis pour des raisons de sécurité sont peut-être peu fréquents, ce risque n'en est pas moins toujours existant, les conséquences peuvent être graves et à cause de ces circonstances, il y a de fortes chances que des blessures surviennent dans le futur lorsque le SVA d'un aéronef n'est pas fonctionnel.
[50] En guise de conclusion, l'avocat a fait référence à la position de l'intimée et à celle de l'agente de SST Pollock, à savoir qu'en vertu de la MEL, le SVA inopérant n'empêchait pas que le vol ait lieu tel que prévu. Soutenant que la conformité à un régime de réglementation n'élimine pas le danger, l'avocat a affirmé que la MEL n'est pas pertinente ici, car on y indique seulement [traduction] « certains des cas où l'utilisation de l'aéronef n'est définitivement pas permise »; de plus, cette liste n'empêche pas un pilote de déterminer qu'un aéronef conforme à la MEL n'est pas en état de navigabilité et même si la MEL peut s'appliquer à la navigabilité, elle ne tient pas compte des questions touchant à la santé et la sécurité au travail. Notant qu'un aéronef ne serait pas autorisé à voler s'il y avait des problèmes de sécurité en matière d'aviation, lorsqu'il ne serait pas conforme à la MEL, ce qui priverait les agents de bord de l'occasion de refuser de travailler, l'avocat souligne que des constats de danger ont été faits à la suite de refus de travailler exercés par des agents de bord sans qu'il n'y ait de problème de navigabilité et de question à savoir si l'aéronef était utilisé en conformité avec les exigences de la MEL (Rathwell, supra), et il affirme notamment que l'intimée n'avait pas réussi à présenter le même argument avec succès relativement à la conformité à la MEL dans la décision Syndicat Canadien de la Fonction Publique (SCFP), Composante D’air Canada c. Air Canada, 2008 CF 1299, aux paragraphes 3, 29 et 32, dans laquelle la Cour fédérale a reconnu que l'aéronef en cause répondait aux exigences de la MEL, mais a néanmoins renversé la décision « d'absence de danger » de l'agent d'appel en raison de la décision déraisonnable (« contradiction ») de ce dernier relativement au critère juridique du « danger ».
[51] L'avocat a noté qu'il est arrivé en d'autres occasions que le même argument relatif à la conformité aux règlements avait été présenté et rejeté, notant que ce rejet était principalement justifié par le fait que l'objet du Code et celui des règlements pris aux termes d'une autre législation étaient différents, et qu'en pareil cas, le Code avait préséance à l'égard des questions de santé et de sécurité au travail.
[52] Tel qu'indiqué ci-dessus, les appelants voudraient donc que les décisions de l'agente de SST soient annulées et remplacées par un constat de « danger », ce qui imposerait au soussigné d'établir et d'ordonner une mesure de réparation. À ce sujet, les appelants s'appuient sur les objectifs de prévention du Code pour laisser entendre que lorsqu'un « danger » existe en raison de mesures de sécurité déficientes, le recours approprié doit être prospectif afin de protéger les employés qui seront confrontés à circonstances comparables dans le futur. Les appelants estiment donc que dans la foulée d'un constat de « danger » qui serait effectué par le soussigné, des instructions devraient émises à Air Canada afin que les mesures suivantes soient prises :
- mettre fin à l'utilisation de l'aéronef FIN #380 jusqu'à ce que le SVA de sécurité du poste de pilotage soit fonctionnel;
- cesser et s'abstenir de mobiliser des aéronefs dont le SVA est non fonctionnel;
- ordonner les autres mesures de réparation et de redressement qui peuvent être suggérées par l'avocat ou que le soussigné juge appropriées;
et autrement, compte tenu du fait que les refus de travailler impliquent un aéronef Embraer 175 et que la preuve révèle que les Embraer 175 et 190 sont dotés du même SVA assorti des mêmes procédures, que j'émette une instruction à l'intimée Air Canada afin qu'elle :
- cesse et s'abstienne de mobiliser des Embraer 175 et 190 dont le système de verrouillage automatique de la porte sécurité du poste de pilotage est inopérant.
B) Observations de l’intimée
[53] Les observations de l'intimée se fondent sur le précepte voulant que le droit de refuser de travailler prévu à l'article 128 du Code est un droit entièrement personnel de l'employé qui refuse de travailler et qu'il doit être justifié par la composante à la fois subjective et objective selon laquelle cet employé doit avoir un motif raisonnable de croire que le danger invoqué à l'appui du refus existe bel et bien. Ainsi, cela permet d'aborder une opinion exprimée par la suite par l'avocat voulant qu'un tel droit personnel, même lorsque l'employé ayant refusé de travailler est représenté par un syndicat et que son cas est soutenu et est même présenté par le syndicat, ne peut pas servir à défendre une ou des positions fondées sur des éléments autres que ceux qui sont personnels à l'employé ayant refusé de travailler, ce qui signifie que ce que je peux considérer dans le cadre de mon examen de l'affaire est la situation telle que vécue par le ou les employés en cause au moment où ils ont refusé de travailler.
[54] Cela étant dit, bien que la notion générale de « danger » soit définie comme suit au paragraphe 122(1) du Code : « Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade (...) avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée (…) », l'avocat a insisté dès le départ pour souligner le fait que de nombreuses décisions de tribunaux ont permis de cerner les questions clés devant être réglées lorsqu'on cherche à établir l'existence d'un danger. Ainsi, on peut faire un constat de « danger » au sens du Code seulement lorsque le risque est réel par opposition à un risque purement hypothétique ou spéculatif. Selon l'avocat, ce point de vue est appuyé par la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Verville, qui renvoie elle-même à la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Martin, qui énonçait que même s'il n'est pas nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu pour faire un constat de danger, la définition de cette notion dans le Code exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque, est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
[55] Par ailleurs, selon l'avocat, l'état du droit en ce qui a trait aux critères servant à évaluer la présence d'un « danger », lesquels, toujours selon l'avocat, se résume au principe voulant qu'il n'est pas nécessaire que le risque se pose dans chaque cas mais plutôt qu'il y ait une possibilité raisonnable qu'il se manifeste à tout moment, est résumé par la Cour fédérale dans Société canadienne des postes c. Pollard, 2007 CF 1362, comme suit:
[66] En droit, pour que l’on puisse dire qu’un risque existant ou éventuel constitue un « danger » au sens de la partie II du Code, les faits doivent établir ce qui suit :
- la situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel – en question se présentera probablement;
- un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;
- l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;
- la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.
[67] L’élément final requiert un examen des circonstances dans lesquelles on pourrait s’attendre à ce que la situation, la tâche ou le risque entraîne une blessure ou une maladie. Il doit exister une possibilité raisonnable que de telles circonstances se produiront dans l’avenir. (...)
[68] Dans l'arrêt Martin, précité, la Cour d'appel fédérale a donné des indications additionnelles sur la méthode à employer pour savoir si l’on peut s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une tâche future entraîne une blessure ou une maladie. Au paragraphe 37 de ses motifs, la Cour d’appel faisait observer qu’une conclusion de « danger » ne saurait reposer sur des conjectures ou des hypothèses. La tâche d’un agent d'appel, de l’avis de la Cour d'appel, consistait à apprécier la preuve et à dire s’il était probable que les circonstances susceptibles de causer la blessure se produisent dans l’avenir.
[56] Selon l'avocat, parmi tous les facteurs énoncés par la Cour dans la décision Pollard, c'est le dernier d'entre eux (on doit s'attendre à ce que la blessure survienne avant d'éliminer le risque) qui est le plus crucial aux fins de la décision qui sera rendue au sujet des appels visés par les présentes. À cet égard, une composante essentielle de la position de l'intimée veut que la définition de « danger » figurant dans le Code fonde aussi une interprétation, que l'on pourrait qualifier d'interprétation a contrario, selon laquelle une situation par ailleurs potentiellement dangereuse peut persister (ce qui implique qu'elle ne serait pas perçue comme un « danger ») lorsqu'il n'y a pas de possibilité raisonnable qu'une blessure survienne avant que le risque soit éliminé, la partie fondamentale de la position de l'intimée étant que, puisque certains événements qui pourraient en soi causer des blessures, s'ils se produisent, ne sont pas susceptibles de se produire avant que le risque présenté par un SVA inopérant puisse être écarté, un constat de « danger » ne serait donc pas justifié. Reconnaissant le fait qu'il y a des dangers inhérents à tous les modes de transport, y compris des accidents d'avion donnant lieu à des images de conséquences catastrophiques, la réponse de ce dernier à la question visant à savoir pourquoi il serait acceptable, du point de vue de la santé et de la sécurité, que « l'on puisse encore prendre l'avion » illustre le fondement principal de sa position dans cette affaire, à savoir que « c'est parce que le risque réel que de tels événements catastrophiques surviennent est extrêmement faible et que ces événements sont habituellement imputables à des combinaisons rarissimes de scénarios divers n'ayant à peu près aucune chance de se réaliser. »
[57] Tel que déjà mentionné ci-dessus, les parties ne s'entendent pas sur la nature du danger que je dois évaluer. Selon l'avocat de l'intimée, il ne serait pas acceptable de considérer que ledit danger correspond au SVA inopérant, tel que le laissent entendre les employés. Au contraire et toujours selon l'avocat, ce n'est pas le verrou de porte automatique inopérant en tant que tel qui doit être évalué en tant que danger, mais la « crainte » de ce qui pourrait survenir si quelque chose d'autre se produisait alors que le SVA est inopérant. Ce quelque chose d'autre, pour reprendre les mots qu'emploie l'avocat au paragraphe 33 de ses observations écrites lorsqu'il parle de ce qui, selon lui, a été déterminé par les employés ayant refusé de travailler et [traduction] « articulé » par l'agente de SST Pollock, c'est le fait que le verrou de porte inopérant constituerait un danger [texte caviardé], puisque [traduction] « les membres du personnel de cabine ne pourraient alors rien faire pour appliquer les PUN et [texte caviardé].
[58] Selon l'avocat de l'intimée, même cela ne correspond pas au danger réel appréhendé par les employés puisqu'ils ont reçu de la formation pour gérer les cas d'incapacité soudaine du pilote et, présume-t-on, les menaces dirigées contre l'habitacle (même si cela n'a pas été mentionné). [Texte caviardé].
[59] Citant la décision Martin dans laquelle on affirme que pour justifier un constat de danger, il doit être plus probable que moins probable que ces événements surviendront avant que le risque lié au SVA inopérant soit écarté, l'avocat note que selon la MEL approuvée de Transports Canada, le délai dans lequel cela devrait se produire serait tout au plus les deux jours de vol, quoiqu'en réalité, ce délai serait beaucoup plus court étant donné que pour chaque agent de bord refusant de travailler, sa véritable exposition au risque aurait été la durée du vol, qui était d'environ 90 minutes, et même plus proche de soixante minutes, [texte caviardé].
[60] La question des deux jours de vol qui fonde pour l'essentiel la conclusion de l'agente de SST Pollock ainsi que la position de l'intimée à cet égard tire son origine des modalités de la liste principale d'équipement minimal (MMEL) établie par Transports Canada pour les Embraer et telle que créée par le constructeur de ces aéronefs, lesquelles autorisent l'utilisation de la cellule sous réserve de certaines restrictions, et des modalités de la MEL d'Air Canada, qui ont aussi été approuvées par Transports Canada. Si l'on se fie à ces modalités, un SVA inopérant doit être réparé dans les deux jours de vol subséquents, ce qui amène l'avocat à répéter que le risque devant être analysé correspond au risque que les événements appréhendés par les travailleurs surviennent lors du vol en question ou lors d'un vol subséquent effectué par le même aéronef durant les deux jours de vol suivant le moment où le problème de fonctionnement a été observé, ce qui corrobore donc la position de l'intimée voulant que cette possibilité est extrêmement faible au point d'en être hypothétique. Comme les considérations relatives à la MMEL et la MEL se retrouvent au cœur de la position de l'intimée dans les présentes affaires, l'avocat a donc consacré une grande partie de ses observations à l'examen de ces documents et de leur contenu dans le but, essentiellement, pour démontrer que même si en vertu des dispositions de ces documents, lesquels, a-t-il répété avec insistance, ont été approuvés par Transports Canada, il est possible qu'un aéronef (cellule) continue de voler en dépit d'une pièce d'équipement inopérante, ces documents traitent des problèmes de sécurité associés à l'utilisation de l'Embraer.
[61] Bien que l'avocat ait cité abondamment ces documents et que j'aie eu l'occasion de lire ces citations dans ses observations ainsi que dans les documents déposés à titre de pièces, il n'est pas nécessaire pour le soussigné de les reprendre intégralement ici et je n'en reprendrai en fait qu'une partie d'entre elles afin d'illustrer le point soulevé par l'avocat, lequel est, à l'évidence, fondé sur le fait que lesdits documents traitent à répétition de la [traduction] « sécurité » et du [traduction] « niveau de sécurité acceptable ». Il est important de noter que les commentaires de l'avocat sur la MMEL et la MEL se fondent sur la déclaration voulant qu'« un SVA inopérant n'a aucune incidence sur la navigabilité d'un aéronef. [Texte caviardé]. L'aéronef pourra voler et l'accès au poste de pilotage sera limité. Si la MEL ne traitait que de la navigabilité, un seuil fixe de « deux vols » ne serait pas nécessaire, ce qui nous ramène à nouveau à la position de l'intimée voulant que le danger appréhendé ou invoqué par les employés ayant refusé de travailler ne se rapporte pas à la pièce d'équipement inopérante en tant que telle mais plutôt à l'incapacité des employés d'appliquer les procédures d'utilisation normalisées au sujet desquelles ils ont reçu de la formation advenant le risque très limité que certains événements surviennent dans le poste de pilotage ou visent celui-ci.
[62] Le terme « navigabilité » est utilisé plusieurs fois dans les observations de l'avocat ainsi que dans les diverses citations tirées de la MMEL et la MEL, sans y être défini. Pour mieux comprendre ce qui suit, j'ai décidé d'introduire ici la définition de l'expression [traduction] « en état de navigabilité » (airworthy) qui figure dans le Canadian Oxford Dictionary et selon laquelle un aéronef est en état de navigabilité lorsqu'il est [traduction] « en état de voler », ce qui, à mon sens, signifie qu'il peut à tout le moins voler et se maintenir en vol. Cela dit, les considérations relatives à la sécurité et l'objet de la MMEL et de la MEL sont énoncées dans certaines des citations provenant de l'avocat, comme suit :
Le règlement sur la navigabilité exige que toutes les pièces d'équipement installées sur l'aéronef en conformité aux normes de navigabilité et les règles d'utilisation soient fonctionnelles. Mais ces règles autorisent aussi la publication d'une liste d'équipement minimal (MEL) lorsqu'il n'est pas nécessaire de se conformer à certaines exigences en matière d'équipement afin de préserver la sécurité dans toutes les conditions d'utilisation. L'expérience a démontré qu'en raison des divers niveaux de redondance entrant dans la conception d'un aéronef, il n'est pas toujours nécessaire d'utiliser chaque système ou composante installée lorsque les pièces d'équipement qui fonctionnent toujours peuvent assurer un niveau acceptable de sécurité. (...) La MMEL approuvée par la CTA/ANAC comprend les pièces d'équipement associées à la navigabilité et aux règles d'exploitation ainsi que d'autres pièces d'équipement que l'administrateur peut juger inopérantes, et elle n'en prévoit pas moins le maintien d'un niveau acceptable de sécurité par l'entremise de l'application de conditions et de restrictions appropriées; (...) la MMEL sert de point de départ aux MEL que les exploitants individuels établissent en tenant compte de la configuration des pièces d'équipement et des conditions d'utilisation de leurs aéronefs. (...)
La MEL d'un exploitant peut avoir un contenu différent de celui de la MMEL, mais ne peut pas être moins restrictive que celle-ci. Après avoir été approuvée et autorisée, la MEL de l'exploitant autorise l'utilisation de l'aéronef comportant de l'équipement inopérant.
(...)
Des conditions et restrictions appropriées (qui figureront sur des placards et dans des procédures d'entretien et des procédures d'utilisation de la cabine [le souligné est de nous]) et, au besoin, d'autres limites, sont indiquées dans la MEL afin d'assurer le maintien d'un niveau acceptable de sécurité.
(...) afin de maintenir un niveau acceptable de sécurité et de fiabilité, la MMEL impose des restrictions sur la durée et le contexte d'utilisation d'un aéronef comportant une pièce d'équipement inopérante. (...)
[63] On doit noter à ce stade-ci que ce qui précède représente, si l'on s'en fie à l'ensemble des observations de l'intimée, la situation qui avait cours au moment où les appelants ont refusé de travailler. Il est aussi mentionné dans le document, tel que l'avait indiqué l'agente de SST Pollock, que [traduction] « les conditions et restrictions énoncées dans la MEL ne soustraient pas l'exploitant de l'obligation de déterminer si l'aéronef est en état de fonctionner de manière sécuritaire sans l'équipement inopérant », ce qui, selon l'avocat, était le cas au moment des refus puisqu'il note, sous le descriptif « évaluation du pilote », qu'au moment des refus, trois pilotes différents avaient examiné la situation et déterminé que l'aéronef pouvait être utilisé de façon sécuritaire, non seulement du point de vue de sa navigabilité, mais aussi après avoir tenu compte des préoccupations des employés qui refusaient de travailler, et qu'il ne fallait tirer aucune inférence négative dans le fait que ces pilotes n'avaient pas témoigné à l'audience. L'avocat n'a toutefois pas précisé en quoi consisterait un système redondant pour un SVA non fonctionnel.
[64] De plus, l'intimée soutient que la supervision effectuée par Transport Canada aux fins du processus d'approbation de la MEL tient aussi intégralement compte de la sécurité et que l'ajout d'éléments aux MMEL et MEL approuvées a fait intervenir une évaluation complète de la sécurité, ou plutôt du niveau acceptable de sécurité, pour l'utilisation de l'aéronef selon les modalités de la MEL, de sorte qu'en ce qui concerne les éléments compris dans ces listes, comme le SVA, qui peuvent être inopérants, l'organisme de réglementation de l'aviation canadienne a déjà statué que l'utilisation de l'aéronef dans de telles conditions ne constitue pas en soi un risque inacceptable pour la sécurité.
[65] Afin d'approfondir ses observations à ce sujet, l'avocat renvoie le soussigné à la MMEL de l'Embraer et note qu'à la rubrique Dispatch with inoperative equipment, on peut lire que la [traduction] « MEL est un document d'atténuation » ne visant pas à encourager l'utilisation d'un aéronef comportant une pièce d'équipement inopérante, étant donné [traduction] « qu'il n'est jamais souhaitable qu'un aéronef comportant une pièce d'équipement inopérante soit mobilisé et cela devrait seulement être permis après qu'on aura analysé avec soin chaque élément visant à assurer le maintien du niveau de sécurité (...) »; lorsqu'il détermine quel équipement doit être fonctionnel pour assurer la sécurité dans tout contexte où une pièce d'équipement est inopérante, le groupe d'examen de la MMEL doit tenir compte de divers facteurs, dont [traduction] « la conséquence qu'auraient d'autres défaillances pour l'aéronef et ses occupants, la modification du volume de travail du personnel de cabine et/ou la diminution du niveau d'efficacité de ces employés et de leur capacité à gérer des conditions adverses internes et externes » et, en ce qui concerne l'approbation d'une MMEL donnée, le fait que ce groupe d'examen prendra sa décision en fonction du critère selon lequel le niveau de sécurité exigé en vertu des normes établies pour la conception et l'utilisation du type d'aéronef en cause peut être maintenu. Les éléments qui figurent sur une MMEL doivent avoir été évalués du point de vue d'un niveau acceptable de sécurité et cette évaluation peut être effectuée à l'aide de plusieurs méthodes de justification, y compris une analyse quantitative et une analyse qualitative de la sécurité.
[66] Dans le cas de l'analyse quantitative, le niveau acceptable de sécurité, lorsque l'on tient compte du fait que les pilotes d'aéronefs modernes s'en remettent de plus en plus à des systèmes complexes qu'ils doivent pouvoir utiliser de manière sécuritaire, est établi selon le principe voulant que le risque résultant d'un événement devrait être inversement proportionnel à la probabilité que ce risque se matérialise. Ainsi, une telle évaluation de la sécurité servirait à déterminer [traduction] « les principales situations dangereuses ou catastrophiques ou les défaillances que le système est susceptible de produire, et la probabilité tolérable qu'elles se produisent ». Une distinction doit être faite ici entre les défaillances de systèmes critiques et celles qui ne le sont pas. [traduction] « Dans les cas des systèmes touchés par une défaillance critique (menant, donc, à une situation dangereuse ou catastrophique), une analyse numérique des probabilités est habituellement exigée pour démontrer que l'on s'est conformé à la probabilité tolérable qu'elle se produise ». Pour ces fonctions critiques de systèmes, le fait qu'elles soient inopérantes doit être pris en considération aux fins de l'évaluation de la sécurité et lorsqu'il n'est pas possible d'établir les risques supplémentaires résultant des vols occasionnels effectués par des aéronefs comportant une pièce d'équipement inopérante au regard de la probabilité tolérable établie durant le processus de certification, [traduction] « une analyse de la sécurité doit être réalisée au moyen d'une analyse quantitative du risque probable que se matérialisent les pires effets pouvant résulter d'autres défaillances, événements et/ou conditions environnementales se manifestant durant un vol » avec un élément inopérant donné.
[67] En revanche, [traduction] « pour les composantes ou systèmes non critiques, on peut simplifier grandement l'évaluation de la sécurité étant donné que tout risque de défaillance précis est déterminé selon le taux d'occurrence s'y rapportant, le nombre de systèmes du genre en cause et la durée de l'exposition au risque ». Citant une fois de plus le même document (la MMEL de l'Embraer), l'avocat précise que si un élément est jugé acceptable pour figurer dans la MMEL, [traduction] « l'analyse qualitative doit être utilisée pour déterminer les conséquences que l'élément inopérant analysé a sur tous les autres aspects du fonctionnement de l'aéronef ». Cette analyse qualitative doit tenir compte des répercussions sur le volume de travail de l'équipage, de la possibilité de défaillance à plusieurs éléments figurant à la MMEL et de la complexité des procédures d'entretien ou d'utilisation. Bref, l'avocat a cité abondamment la MMEL de l'Embraer pour chercher à démontrer que le processus d'établissement de la MMEL par le constructeur de l'aéronef, ainsi que le processus d'approbation de Transports Canada, prennent en considération le volet sécurité de l'utilisation d'un aéronef dont certains éléments sont inopérants.
[68] Dans le cadre des nombreux renvois qu'il a faits à la MMEL de l'Embraer, l'avocat a aussi précisé que ce document renferme une définition générale de l'objet d'une MEL, comme la MEL d'Air Canada s'appliquant à ses aéronefs Embraer en général et à l'aéronef directement visé dans cette affaire. Une MEL est donc décrite comme suit :
un document relatif à l'utilisation et à l'entretien d'un aéronef préparé par ou pour un exploitant de ligne aérienne aux fins suivantes :
- déterminer l'équipement minimal et les conditions d'utilisation minimums devant être réunis pour qu'un aéronef demeure conforme aux normes de navigabilité et aux règles d'utilisation s'y appliquant;
- définir les procédures d'utilisation (le souligné est de nous) nécessaires pour maintenir le niveau de sécurité exigé et pour composer avec les pièces d'équipement inopérantes;
- définir les procédures d'entretien nécessaires pour maintenir le niveau de sécurité exigé et les procédures nécessaires pour sécuriser toute pièce d'équipement inopérante.
[69] À cet égard, l'avocat cite aussi les Règles générales d'utilisation et de vol des aéronefs de Transports Canada dans lesquelles les MEL sont décrites comme « des énumérations des systèmes et des équipements de bord; chaque article énuméré fait l'objet d'une annotation indiquant le degré de dégradation toléré pour une période donnée », et énonce une considération jugée primordiale au regard de la présente affaire par l'agente de SST Pollock ainsi que par l'intimée, à savoir que « l'utilisation de la MEL ne libère pas le pilote de l'obligation d'évaluer lui-même l'état de navigabilité de l'aéronef. La liste indique de fait les circonstances au cours desquelles l'exploitation est rigoureusement interdite. » En ce qui concerne la question de l'« évaluation du pilote », tel que noté plus haut, l'intimée a affirmé que trois pilotes différents avaient examiné la situation au moment du refus et déterminé que l'aéronef pouvait être utilisé de façon sécuritaire, et ce, pour citer l'avocat, [traduction] « du point de vue non seulement de la navigabilité, mais aussi en tenant compte des préoccupations des agents de bord qui ont refusé de travailler. » En ce qui a trait aux observations de l'avocat se rapportant à la MMEL et la MEL d'Air Canada, la position de l'intimée, telle que résumée par l'avocat, veut qu'Air Canada n'affirme pas que tout événement répondant aux exigences de la MEL, comme c'est le cas ici, ne peut jamais constituer un « danger » au sens de la loi, mais qu'en l'absence de certains facteurs externes précis (le souligné est de nous) pouvant être réunis un jour donné, les conséquences liées à la porte défectueuse du poste de pilotage ont été en fait considérées comme ne constituant pas un risque pour l'utilisation sécuritaire de l'aéronef durant la période limitée prévue dans la MEL.
[70] L'intimée croit que l'acceptation de la MMEL de l'Embraer par Transports Canada signifie qu'une décision a déjà été rendue par l'organisme de réglementation de l'aviation canadienne, à savoir que l'utilisation de l'aéronef sans SVA fonctionnel ne constitue pas automatiquement un risque inacceptable pour la sécurité. Bref, la position de l'intimée serait la suivante : durant le vol, si toutes les autres conditions, de naturelle matérielle ou humaine, demeurent comme elles le devraient ou, autrement dit, si aucun facteur externe n'intervient ou que la « prochaine pire défaillance » ne se produit pas, ou encore qu'il est peu probable qu'elle survienne, un SVA inopérant ne constituerait pas un problème de sécurité durant la période de report prévue à des fins de réparation en vertu de la MEL applicable. À cet égard, l'avocat a plaidé que l'avocat des appelants avait erronément affirmé que la Cour fédérale avait statué, dans la décision Syndicat Canadien de la Fonction Publique (SCFP), Composante D’air Canada c. Air Canada, 2008 CF 1299, que le respect de la MEL ne garantissait pas que l'on maintiendrait une conclusion « d'absence de danger » lorsque la contradiction apparente découlant de l'interprétation, par l'agent d'appel, de la définition de « danger » mènerait à un résultat déraisonnable. En fait, selon l'avocat, lorsque la Cour avait tiré une conclusion sur cette contradiction, elle n'avait traité d'aucune autre question, y compris les répercussions du respect de la MEL.
[71] Tel que mentionné plusieurs fois ci-dessus, la position de l'intimée Air Canada se fonde pour l'essentiel sur la notion de probabilité de la survenue d'un événement, dans la mesure où le danger invoqué par les employés ayant refusé de travailler englobe à la fois une pièce d'équipement inopérante et certains événements, [texte caviardé].
[72] À cet égard, l'avocat soutient que, contrairement à ce qu'affirment les appelants, les données statistiques doivent être considérées comme pertinentes et qu'ainsi, il ne suffit pas de déterminer qu'en raison du fait qu'il existe une possibilité connue que les événements tout juste mentionnés puissent survenir, cela doit automatiquement mener à un constat de « danger », et on ne doit pas non plus en arriver à la conclusion que le fait qu'un dispositif de « sécurité » reconnu fonctionne mal ou est inopérant constitue à première vue un danger. Notant que même si la sécurité s'est beaucoup améliorée au fil des ans, tous les modes de transport présentent des dangers inhérents et que tel qu'on le voit pour tous les autres modes de transport, « il y a des accidents d'avion », l'avocat pose et tranche la question de savoir pourquoi, du point de vue de la santé et de la sécurité, ces modes de transport demeurent acceptables, et pourquoi, dans le cas des aéronefs, ceux-ci « volent toujours », et il déclare à cet égard [traduction] « que c'est parce que le risque que de telles catastrophes surviennent est extrêmement faible et que de tels événements se matérialisent habituellement lorsque divers scénarios hautement improbables sont réunis, ce qui n'arrive à peu près jamais ». Compte tenu de cela, l'avocat de l'intimée Air Canada estime que la jurisprudence présentée par les appelants à l'appui de leur position est peu pertinente puisque la définition de « danger » dans le Code stipule que l'événement (soit « la situation, la tâche ou le risque ») doit vraisemblablement pouvoir se produire avant que des mesures correctives puissent être prises, et dans les affaires citées par les appelants, les employeurs avaient établi qu'on ne prévoyait pas éliminer le risque allégué, ce qui implique que l'analyse du risque que survienne une blessure « avant que ce risque soit écarté » n'avait même pas été envisagée dans ces affaires.
[73] Selon l'avocat, les étapes de l'analyse requise sont bien décrites dans la décision d'appel dans l'affaire Service correctionnel du Canada (SCC) Établissement Millhaven (décision no 06-026), où l'agent d'appel affirme ce qui suit au paragraphe 58 :
- (...) qu’il existe un danger dans les cas où l’employeur néglige, dans la mesure où la chose était raisonnablement possible :
- (a) d’éliminer une situation, une tâche ou un risque;
- (b) de maintenir une situation, une tâche ou un risque à un niveau sécuritaire;
- (c) de prendre les mesures nécessaires pour protéger personnellement les employés contre la situation, la tâche ou le risque;
et qu’il est établi que : - (d) des circonstances existent qui font que la situation, la tâche ou le risque résiduel est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée et que les circonstances se produiront dans l’avenir, non comme une simple possibilité ou une forte probabilité, mais comme une possibilité raisonnable.
Compte tenu de ce qui précède, l'avocat de l'intimée conteste, pour le motif que cela ne reflète pas les exigences du Code ou la définition de « danger » qui y figure, la proposition des appelants voulant que la simple existence de procédures et d'un programme de formation relatifs à la sécurité créés par l'employeur implique qu'il existerait un danger si ces procédures et cette formation n'étaient pas disponibles, et que le critère à appliquer pour trancher la question de savoir si un danger existe est donc satisfait [traduction] « dès lors que des mesures de sécurité sont déficientes », à savoir lorsque des procédures ou pièces d'équipement de sécurité sont éliminées ou ne peuvent pas être utilisées, et que les employés ne sont pas en mesure d'appliquer leur formation sur les procédures de sécurité en raison de ce manquement.
[74] L'intimée est d'avis que le simple fait qu'une mesure de sécurité peut ne pas être disponible n'équivaut pas en soi à un danger. Tel exigé aux fins de l'analyse appropriée décrite ci-dessus, il est encore nécessaire que le risque soit probable et non de nature spéculative, et que l'on s'attende raisonnablement à ce qu'il se manifeste avant qu'il puisse être écarté. De plus, le fait que des employés ont reçu de la formation relative à une procédure de sécurité et qu'ils ne sont pas en mesure de l'appliquer ne représente pas non plus un danger.
[75] [Texte caviardé].
[76] [Texte caviardé].
[77] En ce qui concerne le modèle « fromage suisse » utilisé par l'intimée pour analyser les causes d'accidents, l'avocat rejette l'affirmation des appelants voulant que [traduction] « lorsque quelque chose va mal, tout se met à débouler », et préfère le point de vue selon lequel si une chose fonctionne normalement, l'événement catastrophique ne surviendra pas. L'avocat a exprimé le point de vue que les appelants ont faussement affirmé que le vol en cause était « dangereux » au regard de ce modèle, étant donné qu'il avait ou aurait été assuré en l'absence d'importants niveaux de défense, dans des circonstances où l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ces niveaux de défense deviennent nécessaires, et les appelants ont donc mal interprété cette notion.
[78] Si l'on s'en fie aux observations de l'avocat, ledit modèle vise à démontrer qu'il y a plusieurs niveaux de défense pouvant empêcher la survenue d'un événement catastrophique, et qu'un niveau de défense de ce genre peut en soi assurer ce genre de prévention. Relativement à la présente affaire, soit le vol AC 362, l'avocat affirme qu'il manquait un seul niveau de défense (le SVA) et qu'un événement catastrophique n'aurait pu survenir que si d'autres niveaux de défense avaient été inopérants ou, pour reprendre la formulation de l'avocat, [traduction] « d'autres trous » (se seraient) ouverts et auraient [texte caviardé].
[79] Selon l'avocat, l'accident d'Helios cité dans le cadre de la formation donnée par Air Canada et se rapportant à un cas de décompression et d'hypoxie ayant mené à l'écrasement du Boeing 737-300 d'Helios Airways et au décès des 121 passagers et membres de l'équipage, est une bonne illustration, en vertu du modèle « fromage suisse », de l'ensemble des événements devant se produire pour qu'il y ait des conséquences aussi graves. Dans cette affaire, l'enquête post-accident a révélé que treize erreurs avaient été commises et avaient provoqué l'écrasement et, selon l'avocat, la rectification de toutes ces erreurs aurait probablement [traduction] « permis d'éviter ce résultat tragique. » À ce propos, l'avocat précise que la « décompression », rapide ou progressive, est en soi un phénomène rare et il cite la preuve documentaire fournie par les appelants à cet égard. Ainsi, une étude intitulée Quick Response by Pilots Remains Key to Surviving Cabin Decompression (Stanley R. Mohler, D.M.) et publiée par la Flight Safety Foundation révèle ce qui suit :
Les statistiques compilées par la Civil Aviation Authority du R.-U. démontrent que 77 cas de décompression avaient été signalés pour tous les types d'aéronefs pressurisés de 1990 à 1999. De 1985 à 1999, 164 cas de décompression ont été signalés au Bureau de la sécurité des transports du Canada et de 1990 à 1999, le Australian Bureau of Air Safety Investigation a été avisé de cinq cas de ce genre. Aux États-Unis, les statistiques compilées par le Civil Aeromedical Institute (CAMI) de la FAA démontraient que 355 cas de décompression d'aéronef avaient été signalés de 1974 à 1983, soit une moyenne de 35 par an.
Selon l'avocat, si l'on applique ces données américaines et que l'on extrapole en sachant qu'il y a eu 54,3 millions de vols durant la période de six ans allant de 1993 à 1998, on arrive au résultat suivant : aux États-Unis, il y a un cas de décompression à tous les 255 000 vols. De même, dans le cas des 1,7 million de vols réalisés par Air Canada de 2003 à 2010, cela donnerait environ sept cas de décompression, soit un par année.
[80] Toujours en ce qui concerne le modèle « fromage suisse » utilisé pour analyser les causes d'accidents, l'avocat affirme que la probabilité d’une certaine situation [texte caviardé] est complètement négligeable et que le scénario envisagé par les employés ayant refusé de travailler ne pourrait se réaliser que si plusieurs circonstances étaient réunies en plus du SVA inopérant. [Texte caviardé]. Si l'on applique le modèle d'analyse comme l'a fait Mme Anand, le témoin d'Air Canada, et que l'on postule qu'aucune de ces variables n'est présente pendant la courte durée du vol, le risque appréhendé ne serait pas susceptible de se matérialiser. [Texte caviardé]. L'avocat a reconnu qu'il pourrait y avoir d'autres facteurs qui pourraient augmenter la probabilité qu'un tel événement appréhendé survienne lors d'un jour donné.
[81] Il souligne cependant que le jour où ils ont refusé de travailler, les appelants n'ont cité aucun facteur du genre. [Texte caviardé] et il n'y avait rien d'intrinsèquement dangereux qui se rapportait à un SVA inopérant, cette possibilité étant du reste prévue dans la MEL où il y a une procédure d'utilisation pour gérer ce type de situation, même si aucun détail n'a été fourni à ce sujet.
[82] Concluant sur ce point, l'avocat affirme que la capacité limitée des agents de bord d'intervenir en cas de [texte caviardé] doit être prise en considération, étant donné que les agents de bord ont déclaré avoir refusé de travailler parce [texte caviardé].
[83] [Texte caviardé].
[84] Rappelant que la MMEL approuvée par Transports Canada énonce les considérations pertinentes pour déterminer si une pièce d'équipement inopérante peut entraîner l'écrasement d'un aéronef et indique que [traduction] « le risque que tout type de défaillance survienne est déterminé par le taux d'occurrence du type de défaillance en cause, le nombre de systèmes du genre et la durée de l'exposition au risque », l'avocat avance qu'en l'espèce, il n'y avait pas de possibilité raisonnable que le danger se matérialise étant donné qu'il était tout à fait négligeable en raison du fait qu'il aurait fallu que de nombreux facteurs produisent leur effet en même temps durant une période de temps d'une durée fixe et que par conséquent, le risque pour la sécurité est tellement négligeable que « l'organisme de réglementation de l'aviation » canadien a approuvé une fenêtre de deux jours pour les réparations. La conclusion de l'avocat à ce sujet reprend le principal argument présenté par l'intimée relativement à la possibilité entièrement négligeable que ces circonstances se matérialisent pendant que le SVA est inopérant. Selon l'avocat, si l'on a déterminé que le risque pour la sécurité est aussi négligeable, l'événement en cause ne peut pas, tant de façon implicite qu'intuitive, être considéré comme répondant aux critères associés à un « danger » au sens du Code.
[85] L'un des appelants, Mme Caron, a ajouté le risque d’une certaine situation [texte caviardé] alors que le SVA est inopérant, à titre de motif de refus de travailler. À cet égard, l'avocat de l'intimée avance que si l'on veut se conformer à la définition de « danger », il revenait à l'employé de démontrer qu'un tel risque était raisonnablement probable, en tenant compte, en tant que considération pertinente, de la durée du vol auquel cet employé était affecté. L'avocat croit tout simplement à ce sujet que personne n'a déposé de preuve concluante démontrant le caractère raisonnable d'un tel risque.
[86] [Texte caviardé].
[87] [Texte caviardé].
[88] [Texte caviardé]. C'est ainsi que s'est retrouvée à l'avant-plan la question de savoir si l'employeur avait établi des procédures d'utilisation normalisées ou écrites s'appliquant à une telle situation, une question à propos de laquelle l'avocat de l'intimée a ouvertement reconnu que les témoins cités avaient tous mentionné que l'employeur n'avait aucune procédure écrite précise en ce qui concerne un SVA inopérant.
[89] L'avocat a poursuivi sur ce point en citant les témoignages des témoins de l'intimée De Savigny et Anand, qui avaient déclaré que l’on s’attendrait à ce qu'une autre procédure pour traiter des questions se rapportant au SVA inopérant fasse l'objet d'un exposé avant vol par le commandant de bord, durant lequel on devait discuter des autres procédures [texte caviardé]. La preuve révèle que le commandant de bord a fondé sa décision d'effectuer le vol sur la MEL et le délai de deux jours prévus à des fins de réparation, et qu'il en a informé le directeur du service Vergara. L'avocat de l'intimée admet que d'autres protocoles de [texte caviardé] n'avaient probablement pas fait l'objet de discussions au moment des refus, ce qu'il tente d'expliquer par le fait que le directeur du service Vergara avait parlé avec le commandant de bord [texte caviardé]. Dans cette optique, l'avocat fait valoir qu'il est facilement observable qu'une telle conversation peut ne pas avoir eu lieu et il avance, de façon quelque peu gratuite, que cela n'aurait probablement pas dissuadé l'employé d'agir comme il l'a fait. L'avocat fait aussi une admission importante, à savoir qu'il est vrai qu'il n'existe pas d'autre alternative à une certaine fonction de la SVA en matière de sécurité [texte caviardé] qu'il n'y a pas de procédures d'utilisation normalisées s'appliquant en pareil cas.
[90] Un dernier point des observations de l'avocat de l'intimée porte sur ce que cette dernière a appelé « l'objet véritable de l'appel », et vise à prévenir le soussigné de s'assurer d'examiner seulement le contexte factuel dans lequel les travailleurs se trouvaient au moment où ils ont refusé de travailler ainsi que la façon dont ils ont eux-mêmes décrit le danger perçu ayant motivé leurs refus individuels. À cet égard, l'avocat fait valoir que même si des employés désignent un syndicat pour qu'il en appelle d'une décision en leur nom et pour qu'il les représente, cela n'implique pas que cet appel pourra s'étendre à des dangers ou soucis potentiels qui ne les préoccupaient pas au moment où ils ont exercé leur droit de refuser de travailler. En d'autres termes, l'avocat informe à nouveau le soussigné qu'il doit être prudent et s'assurer qu'un appel ne servira pas à favoriser les objectifs poursuivis par un syndicat en matière de relations de travail plutôt qu'à régler les soucis de santé et de sécurité soulevés par les employés ayant refusé de travailler, et que je dois agir de manière diligente, si j'accueille les appels, pour élaborer une mesure de réparation qui respecte ce principe.
[91] Bien que l'avocat ait déclaré que l'intimée n'a pas dit que les employés ayant refusé de travailler cherchaient à favoriser l'atteinte d'objectifs en matière de relations de travail, il soutient que les intérêts apparents du syndicat semblent avoir été confondus avec ceux des travailleurs et qu'il est important que l'on distingue les premiers des seconds. L'avocat fonde son opinion à ce sujet sur le fait que l'avocat des appelants a utilisé des formulations telles que [traduction] « le SCFP soutient (...) » par opposition à des formulations telles que [traduction] « les travailleurs affirment (...) » et sur certains documents déposés en preuve par ce dernier qui peuvent avoir une portée qui va au-delà des détails liés aux refus examinés ici.
[92] La décision demandée par l'intimée est, à l'évidence que je confirme les constats « d'absence de danger » faits par l'agente de SST Pollock. Subsidiairement toutefois, l'intimée est d'avis que les mesures de réparation additionnelles qui sont réclamées ne devraient pas être accordées. Plus précisément, le redressement demandé voulant qu'aucun aéronef de quelque type que ce soit ne soit autorisé à effectuer un vol alors que le verrou de la porte du poste de pilotage est inopérant ne tiendrait absolument pas compte du fait que des circonstances données peuvent nuire à la sécurité un jour donné, puisque que l'intimée n'a pas et, de fait, ne pouvait pas soutenir qu'une porte inopérante ne peut jamais constituer un danger, puisque cela devrait être examiné dans le contexte d'autres circonstances liées à d'autres situations et qui, sous l'effet conjugué desquelles, pourrait représenter un facteur qui pourrait transformer un événement par ailleurs sécuritaire en un risque prévisible.
[93] De plus, l'avocat note que le redressement pourrait s'appliquer exclusivement à la flotte d'avions de l'intimée et que cela n'aurait donc pas de conséquences pour les autres transporteurs qui utilisent des Embraer ou d’autres types dans l'espace aérien du Canada ou ailleurs dans le monde, et que par conséquent, on serait à bon droit de se demander si un verrou de porte défectueux pourrait être considéré comme un danger seulement lorsqu'un aéronef d'Air Canada est en cause. La solution de rechange qu'Air Canada proposerait au redressement demandé serait que, dans un délai déterminé, il lui soit enjoint de proposer des mesures qui réduiraient les conséquences négatives potentielles liées à un verrou de porte de poste de pilotage inopérant, telles qu'un protocole amélioré de communication entre le pilote et les agents de bord. Afin de résumer ses observations et la position voulant que les appels devraient être rejetés, l'avocat de l'intimée avance que la question que je dois trancher est celle de savoir si l'on aurait pu raisonnablement s'attendre à ce que les agents de bord ayant refusé de travailler se blessent avant que le verrou de la porte du poste de pilotage puisse être réparé. De l'avis de ce dernier, on devrait répondre à cette question par la négative. Selon l'avocat, il est capital de tenir compte des preuves fondées sur des statistiques [texte caviardé].
[94] [Texte caviardé].
[95] [Texte caviardé] Ainsi, par conséquent, la conclusion inévitable est qu'il n'était pas plus probable et, de fait, qu'il était hautement improbable que les agents de bord en cause se seraient blessés avant que le verrou de la porte du poste de pilotage puisse être réparé, ce qui ne répond pas à la définition de « danger ».
C) Réponse
[96] Dans ses contre-observations, l'avocat traite dans le détail des observations et conclusions de l'intimée en affirmant de manière générale qu'elles sont fondées sur une définition de « danger » plus étroite que celle qui se trouve dans le Code et contraires à l'interprétation que font les tribunaux et les agents d'appel de cette notion, ou qu'elles vont à l'encontre de la preuve relative au SVA et à ses procédures connexes, à leur efficacité et nécessité, et qu'elles ne tiennent donc pas compte des efforts déployés par les constructeurs aériens, les organismes de réglementation et les exploitants d'avions commerciaux pour mettre au point le SVA et ses procédures connexes ainsi que la formation relative à leur utilisation, qu'elles omettent de prendre acte du fait que les objectifs liés à la MMEL et à la MEL diffèrent de ceux associés au Code, et voudraient ainsi que le soussigné s'en remette à ces textes afin de trancher la question de savoir si une pièce d'équipement de sécurité non fonctionnelle représente un « danger », et s'en remette aussi aux évaluations faites par des pilotes qui n'ont pas témoigné à l'audience ainsi qu'à l'interprétation de ce qu'ils peuvent avoir dit. De plus, l'avocat des appelants affirme que l'intimée a fait des déclarations erronées en ce qui concerne la définition de « danger », le rôle de l'agent d'appel et certains éléments de preuve.
[97] En ce qui a trait à la définition plus étroite de la notion de « danger » proposée par l'intimée, les appelants notent que même si Air Canada prétend qu'un facteur cité dans la définition n'est pas présent en l'espèce, à savoir que ce facteur doit être « susceptible de causer des blessures (...) avant que (...) le risque soit écarté », cette définition a une plus grande portée dans la mesure où on y indique que l'on doit pouvoir s'attendre à ce que la blessure survienne « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. » Si l'on applique cela aux faits de l'affaire, le SVA ne peut être réparé en vol et à ce titre, si ce SVA ou ses procédures connexes sont nécessaires lors d'un vol pour prévenir des blessures, et qu'il n'est pas fonctionnel, des blessures « surviendront donc avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée », c'est-à-dire avant que le SVA soit réparé, et le facteur qui selon l'intimée était absent est en fait intervenu dans le contexte des refus. L'avocat des appelants souligne à cet égard que l'argument qui a vraiment été présenté par l'intimée n'implique pas qu'il y a un élément de la définition de « danger » qui est absent, mais plutôt qu'il est statistiquement improbable que surviennent, lors de tout vol, les événements catastrophiques qui pourraient être prévenus par le SVA ou l'application de ses procédures connexes, et qu'il n'est donc pas toujours nécessaire de pouvoir compter sur le SVA et ses procédures durant un vol, particulièrement dans le cas des vols de courte durée, ce qui revient à nier l'objet véritable dudit SVA et de ses procédures connexes, qui est d'assurer une protection contre des événements et des actes posés par des humains qui sont de par leur nature imprévisibles.
[98] De plus, les appelants qualifient de distinction qui n'en est pas une l'argument d'Air Canada voulant que ce n'est pas le SVA inopérant qui constitue un danger mais plutôt [traduction] « la crainte de ce qui pourrait se produire s'il arrive quelque chose d'autre » alors que le SVA est inopérant. Selon ces derniers, toute procédure ou pièce d'équipement de sécurité vise à assurer une protection contre [traduction] « quelque chose d'autre qui surviendrait », et c'est pourquoi toute préoccupation concernant une défaillance éventuelle ou l'indisponibilité d'une procédure ou d'une pièce d'équipement de sécurité se rapporte de ce fait à [traduction] « ce qui pourrait survenir si quelque chose d'autre se produisait » alors qu'on ne peut utiliser cette procédure ou pièce d'équipement de sécurité considérée comme efficace quand vient le moment de préserver la sécurité et que l'on reconnaît que cela représente en soi un danger. Dans leurs contre-observations, les appelants soutiennent que tout comme d'autres pièces d'équipement et procédures de sécurité telles que des ceintures de sécurité, des accoudoirs et des camions blindés dont l'exploitation est assurée par deux personnes, le SVA et ses procédures connexes existent parce qu'ils sont efficaces pour contrer des risques anticipés qui se sont manifestés dans le passé dans des aéronefs commerciaux et qui pourraient se manifester à nouveau.
[99] Pour ce qui est de la question de la nécessité et de l'efficacité du SVA et ses procédures connexes, les appelants affirment, dans le cadre de leurs contre-observations, qu'on peut déduire des arguments d'Air Canada que ceux-ci sont fondés sur une prémisse erronée voulant que le SVA et ses procédures connexes sont inutiles et inefficaces, ou qu'ils ne servent à rien, ce qui expliquerait pourquoi Air Canada tente de réduire la portée de la définition de « danger ». Mais selon les appelants, cela est contredit par le fait que des ressources et des fonds considérables sont investis dans l'installation du SVA, dans l'établissement de procédures d'utilisation normalisées s'appliquant à cet appareil, dans la formation relative à ces procédures et dans le respect des normes réglementaires qui imposent le recours à un SVA et des procédures connexes.
[100] [Texte caviardé].
[101] [Texte caviardé]. L’appelant soutient que les observations d’Air Canada impliquent que la formation et les PUN liées à l’utilisation du SVA sont « toutes frivoles », ce que contredisent directement tous les témoignages, y compris celui de Madame Anand d’Air Canada, à l’effet que ces procédures de sécurité sont sérieuses et importantes. Sur l’utilité ou non du SVA et ses procédures connexes en regard de questions liées à la sécurité, la preuve démontre que les agents de bord peuvent « faire un différence ».
[102] L'avocat des appelants fait aussi allusion à un argument d'Air Canada qu'il qualifie d'erroné et qui veut que le rôle de l'agent d'appel soit supplanté par la MMEL. L'avocat parle donc ici du fait que l'intimée s'en remet dans une forte mesure à la MMEL et qu'elle voudrait que le soussigné reconnaisse que le délai de deux jours de vol accordé [traduction] « à des fins de réparation » vise à tenir compte de considérations se rapportant à la sécurité et que, par conséquent, il ne peut y avoir de danger au sens du Code, puisque le vol était conforme à la MMEL ou à la MEL [traduction] « en l'absence de certains facteurs externes qui pourraient être présents un jour donné. » Cet argument n'est pas fondé selon l'avocat des appelants, étant donné que la pièce d'équipement et les procédures de sécurité en cause servent à gérer des événements imprévisibles et que les « facteurs externes qui pourraient être présents » de façon telle qu'un danger en résulterait ne peuvent être connus d'avance. Pour l'essentiel, l'argument d'Air Canada veut qu'un SVA inopérant ne constitue pas un danger pour un agent de bord sauf si cet agent de bord doit prendre les commandes de ce vol et qu'il subit des blessures ensuite à cause du SVA non fonctionnel, une position « après coup » qui, selon l'avocat, a été rejetée dans la jurisprudence, plus particulièrement dans les décisions Verville et Martin de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale qui ont déjà été citées.
[103] En ce qui concerne le Code par opposition aux modalités de la MMEL et de la MEL, l'avocat des appelants note qu'Air Canada soutient que la MMEL et la MEL ne traitent pas seulement de la question de la navigabilité, tel que démontré par plusieurs passages dans le préambule de la MELL de Transports Canada déjà cités, dans lesquels le mot « sécurité » est utilisé de nombreuses fois. Les appelants ne contestent pas le fait que l'objet de la MMEL est le maintien de la sécurité. L'avocat soutient toutefois que la MMEL traite de la sécurité ou de la sécurité du vol du point de vue de la navigabilité en vertu du Règlement de l'aviation canadien (RAC) et non du Code. Ce qui constitue un « niveau de sécurité acceptable » aux termes de la réglementation sur la navigabilité citée dans le préambule de la MMEL ou un « niveau de sécurité exigé » selon la Direction générale de l'aviation civile de Transports Canada, ne correspond pas nécessairement à ce qui est exigé ou acceptable aux termes du Code, lequel traite de la sécurité des personnes qui sont des employés. En ce qui concerne cette distinction, l'avocat des appelants cite la déclaration qu'a faite Transports Canada par l'entremise de son Comité réglementaire de l'Aviation civile (CRAC) :
Après avoir examiné la situation, le CRAC en est arrivé à la conclusion que le Code canadien du travail traite suffisamment des questions touchant à la SST dans le secteur de l’aviation civile et que la MMEL et la MEL ont été conçues pour traiter de la sécurité de vol et on ne devrait pas y ajouter inutilement des exigences qui sont adéquatement traitées par d'autres lois.
[104] L'avocat en arrive donc à la conclusion que même si Transports Canada a effectivement approuvé la MMEL, cela n'implique pas que la MMEL du constructeur est maintenant conforme aux exigences du Code. En ce qui concerne le raisonnement voulant que l'on pourrait accumuler deux jours de vol avant d'effectuer une réparation, l'avocat considère que ni la preuve ni les observations de l'intimée ne fournissent d'information fondant ce raisonnement. L'avocat estime qu'Air Canada n'est pas parvenue à tenir compte de la MMEL du point de vue du Code et que de ce point de vue, la question de fond devient celle savoir s'il y a une raison de considérer que le SVA est moins nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des agents de bord durant ces deux jours de vol prévu dans la MEL qu'à d'autres moments. Selon l'avocat des appelants, aucune raison de ce genre n'a été donnée dans la présente affaire.
[105] En ce qui concerne l'affirmation de l'intimée voulant que trois pilotes avaient jugé que le vol était sécuritaire tant à la lumière des modalités de la MEL (navigabilité) que du point de vue des employés ayant refusé de travailler, et que le soussigné devrait s'en remettre à cette évaluation, les appelants notent qu'aucun de ces pilotes n'a témoigné à l'audience relative aux présents appels, laquelle est une audience de novo et vise, en principe, à examiner de nouveau tous les renseignements reçus par l'agente de SST sans tenir compte des conclusions de cette dernière. Selon l'avocat, une approche de cette nature par l'intimée est tout simplement trompeuse et ne tient pas compte du fait qu'aucun de ces pilotes n'a justifié le délai de deux jours de vol accordé à des fins de réparation et qu'ils se sont contentés d'accepter tout simplement les modalités de la MEL et sa catégorisation du délai de réparation pour le SVA.
[106] Une autre contre-observation des appelants porte sur des déclarations de l'intimée que l'avocat qualifie d'inexactes en ce qui concerne la définition de danger et le rôle de l'agent d'appel, qui, selon l'avocat, constituent une tentative de limiter la portée de mon enquête, l'une de ces limites étant que j'en suis réduit à m'appuyer sur les documents examinés par l'agente de SST, alors que j'ai pourtant le pouvoir de tenir une audience de novo. Pour l'essentiel, les appelants affirment que contrairement à ce que prétend Air Canada, à savoir que je dois évaluer le caractère raisonnable du refus de travailler exercé par les employés au regard à la fois de la situation factuelle et de la façon dont ces employés ont eux-mêmes décrit le danger perçu, la véritable question à trancher dans le cadre de l'appel, si on lit bien les paragraphes 129(7) et 146.1(1) du Code, est celle de savoir si les circonstances liées à ce refus de travailler constituent un « danger » au sens du Code, et non pas si les travailleurs avaient un motif raisonnable de refuser de travailler, et je ne suis donc pas obligé de m'en tenir à la formulation précise des motifs de leurs refus par les employés, et je dois plutôt trancher la question en litige selon la prépondérance des probabilités, peu importe que les appelants aient utilisé des mots tels que « probable », « éventuel » ou « probablement » dans leurs observations, une terminologie qui, selon l'intimée, démontre la nature « hypothétique » et « spéculative » du danger invoqué par les employés qui ont refusé de travailler.
[107] Enfin, l'avocat des appelants cite plusieurs erreurs factuelles et descriptions inexactes figurant dans les observations de l'intimée. [Texte caviardé]. En ce qui a trait à la formation et aux procédures d'utilisation normalisées, même si Air Canada soutient que [traduction] « le fait que des employés ont reçu de la formation sur une procédure de sécurité et qu'ils ne sont pas en mesure de la mettre en application (parce que le SVA inopérant [texte caviardé] (…) ne représente pas un danger » et que« le simple fait de dispenser de la formation préventive ([texte caviardé]) ne fait pas augmenter le risque au-delà d'un risque potentiel ou possible », l'avocat des appelants affirme quant à lui que la formation relative aux procédures de sécurité et aux premiers soins vise à atténuer les risques et que la formation donnée par Air Canada porte sur des éventualités qu'elle considère importantes, selon son propre témoin Anand, et que l'on prépare les agents de bord à gérer des risques potentiels et possibles pour la raison précise qu'ils sont potentiels et possibles.
[108] Pour ce qui est des preuves cohérentes démontrant qu'il n'existe pas de procédure écrite précise (procédures d'utilisation normalisées) s'appliquant à un SVA inopérant, mais que l'exposé avant vol permettrait d'établir un autre protocole[texte caviardé], l'avocat des appelants note en premier lieu qu'on ne peut affirmer qu'une procédure d'utilisation normalisée équivaut à une procédure adoptée de manière ponctuelle, et en deuxième lieu, que la preuve démontre qu'aucune procédure de ce genre n'a fait l'objet de discussion lors de l'exposé avant vol du vol AC 362 et que même si l'intimée pourrait décider d'en faire porter le blâme à l'employé Vergara (l'un de ceux ayant refusé de travailler) et au fait qu'il s'est apparemment attardé à la question de ranimer les pilotes plutôt qu'à établir un autre protocole [texte caviardé], il ne faudrait pas oublier ici que c'est le pilote qui dirige l'exposé avant vol et qui, selon les propres témoins de l'intimée, a la responsabilité de se prononcer sur d'autres procédures, et troisièmement, l'avocat des appelants mentionne que l'intimée a admis explicitement par l'entremise de son avocat [traduction] « qu'il n'y a pas d'autre moyen [texte caviardé] dont le SVA est inopérant [texte caviardé] (et, par conséquent, il n'existe pas de PUN s'appliquant à ce genre de situation). »
[109] En ce qui concerne le modèle « fromage suisse » utilisé pour analyser les causes d'accidents et l'affirmation de l'intimée voulant que les conclusions tirées de ce modèle donnent à penser qu'il ne peut jamais y avoir d'accident sans ce qu'on appelle une « tempête parfaite », ce qui signifie que si un élément fonctionne bien, l'événement catastrophique ne pourra pas se produire, une affirmation qui, selon l'avocat, contredit directement les propos du témoin même d'Air Canada, Mme Anand, l'avocat des appelants soutient que cela constitue une description incorrecte du modèle, [texte caviardé].
[110] [Texte caviardé.] Notant qu'une variété de scénarios avait été ignorée par l'intimée, l'avocat a précisé que les circonstances liées à ces refus ont démontré qu'il y avait plus de défaillances connues que ce qui a été proposé par Air Canada. Le SVA ne fonctionnait pas et il n'était donc pas possible de mettre en œuvre les procédures d'utilisation normalisées applicables à un SVA fonctionnel, il n'y avait pas de procédures d'utilisation normalisées de secours et aucune autre procédure de communication ponctuelle n'avait fait l'objet de discussions lors de l'exposé avant vol.
[111] En ce qui concerne le fait que l'avocat de l'intimée a laissé entendre que le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) poursuivait sans le dire des objectifs en matière de relations de travail, et que le comité local de santé et sécurité au travail de Montréal avait fait une recommandation rejetée par l'employeur en raison de l'approche fondée sur la MEL, et selon laquelle un aéronef dont le SVA est inopérant ne devrait pas être mobilisé, l'avocat des appelants soutient qu'Air Canada est à l'évidence préoccupée par le fait qu'un syndicat représente ses employés en ce qui concerne les questions touchant à la santé et à la sécurité, et qu'elle reconnaît que cette forme de représentation suscite des différends entre les parties. Cela dit, de l'avis de ce dernier, ni cette observation ni celles d'Air Canada se rapportant à cette question ne sont pertinentes aux fins de la décision qui sera rendue relativement aux présents appels. En ce qui a trait à la recommandation faite par le comité de Montréal, bien qu'elle ait été rejetée, elle n'en représentait pas moins la reconnaissance, par un comité conjoint employeur-employés ayant une fonction de gestion de la santé et la sécurité, que le SVA et ses procédures connexes sont efficaces et nécessaires pour empêcher que les agents de bord subissent des blessures, une position qui est en accord avec les propres procédures et la formation d'Air Canada.
[112] Une dernière contre-observation se rapporte à l'une des preuves présentées à l'audience au sujet d'autres types d'aéronefs et de lignes aériennes. Bien que les refus examinés ici concernent la cellule d'un Embraer 175 d'Air Canada, d'abondantes preuves ont aussi été recueillies relativement à des événements et incidents impliquant diverses cellules et lignes aériennes ou transporteurs, et dans ses observations, Air Canada a laissé entendre que les incidents ayant impliqué d'autres aéronefs dans divers territoires ne concernaient pas des employés ayant refusé de travailler, qu'ils ne sont pas vraiment pertinents et qu'ils prouvaient que le SCFP se sert de cette information pour atteindre ses propres objectifs. L'avocat réplique que les nombreuses études sur l'incapacité soudaine du pilote et la sécurité des aéronefs qui traitent de preuves provenant de multiples territoires et concernant plusieurs types d'aéronef et qui émanent de diverses organisations ne peuvent pas être considérées comme de l'information servant à favoriser la réalisation d'objectifs en matière de relations de travail, et il note à cet égard qu'Air Canada n'a présenté aucune preuve démontrant les particularités uniques de la cellule de l'Embraer 175 ou 190 servant à prévenir l'incapacité soudaine du pilote, reconnaissant par ailleurs que des cas d'incapacité soudaine du pilote sont survenus dans des Embraer d'Air Canada. En ce qui concerne cette question de preuves divergentes, l'avocat soutient que ce ne sont pas « les préoccupations des travailleurs concernés » qui sont en cause ici, mais plutôt la question de savoir si un danger existait dans les circonstances où les refus de travailler ont été exercés.
[113] L'avocat estime que la Cour fédérale a indiqué, dans Verville (supra), au paragraphe 51, qu'une telle détermination peut être faite de diverses façons :
Il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.
[114] Enfin, en ce qui a trait à la question des mesures de réparation appropriées, si les appels sont accueillis, les appelants ont indiqué qu’une instruction claire et précise devrait être émise pour assurer la protection des employés. Pour ce qui est de l'observation d'Air Canada selon laquelle le soussigné ne devrait pas ordonner les mesures réclamées par les appelants, à savoir, en termes généraux, que les aéronefs dont le SVA ne fonctionne pas, en particulier les Embraer, ne devraient pas être mobilisés, car cette mesure ne s'appliquerait qu'à la flotte d'Air Canada et non pas à celle d'autres transporteurs, ce qui désavantagerait l'intimée, les appelants estiment à ce sujet que cela ne diffère pas de toute autre ordonnance visant un employeur impliqué dans une affaire de refus de travailler à cause de procédures ou de pièces d'équipement de sécurité inadéquates. En ce qui concerne la suggestion d'Air Canada que la mesure de réparation devrait être qu'elle soit autorisée à proposer une mesure de réparation [traduction] « qui permettrait de réduire les conséquences négatives potentielles liées à un verrou de porte de poste de pilotage non fonctionnel, un protocole traitant d’un des mécanisme de sécurité du SVA et les PUN connexes, [texte caviardé] les appelants affirment que cela ne serait d'aucune utilité pour gérer un autre mécanisme de sécurité du SVA et les PUN connexes [texte caviardé], et ils notent à cet égard que non seulement Air Canada n'a rien fait pour réduire les conséquences négatives potentielles d'un SVA non fonctionnel, mais qu'elle a aussi rejeté la recommandation de son propre comité local conjoint de santé et de sécurité, qui souhaitait que tout aéronef dont le SVA est inopérant ne soit pas mobilisé.
Analyse
[115] Avant d'entreprendre cette analyse, je crois que je dois préciser que je partage le point de vue de l'avocat de l'intimée voulant qu'aux fins de l'examen de la présente affaire, qui concerne des refus de travailler exercés par des employés, le soussigné doit d'abord tenir compte des circonstances individuelles dans lesquelles chacun des employés en cause a exercé son droit de refuser de travailler et, ainsi, je ne dois pas me laisser distraire par des considérations ou opinions exprimées par les parties qui pourraient avoir une portée, des implications ou un objet plus larges que ceux des considérations et circonstances propres aux employés ayant refusé de travailler.
[116] À cet égard, toutefois, je crois aussi qu'afin de réaliser ce que le Code qualifie d'enquête sommaire sur les circonstances liées à l'instruction ou à la décision prise par l'agente de santé et de sécurité qui fait l'objet des présents appels, de tenter de comprendre le fond des questions en litige et de rendre une décision pertinente et éclairée, je peux et dois tenir compte de renseignements généraux qui, même s'ils ne se rapportent pas expressément aux circonstances associées aux employés en cause, peuvent traiter plus généralement du fond des questions en litige. Je me suis senti obligé de faire cette déclaration à ce stade-ci en raison du fait que dans les cas individuels présents, la plupart des renseignements qui m'ont été fournis sont de nature générale, utiles pour trancher les questions en litige, mais ne portent pas exclusivement sur les circonstances dans lesquelles chacun des employés en cause a refusé de travailler.
[117] De plus, et je serai bref ici, l'intimée s'est opposée pendant toute l'audience au fait que les appelants aient désigné le SCFP pour les représenter dans ces procédures, le SCFP étant, si j'ai bien compris, l'agent négociateur des employés de l'intimée, et que cela peut avoir signifié que les questions en litige et les conclusions réclamées ont ou peuvent avoir été détournées par rapport à ce qui aurait représenté les intérêts spécifiques des employés ayant refusé de travailler, pour viser des objectifs d'ordre plus général concernant les relations de travail. À ce sujet, je dois d'abord mentionner qu'en en ce qui a trait aux procédures d'appel, le Code ne prévoit rien relativement à la représentation des parties, ce qui signifie mon avis que toute partie à un appel a la liberté de se faire représenter par qui elle veut, sous réserve de certaines restrictions qui pourraient s'appliquer aux conflits d'intérêts, lesquels doivent être dûment évalués et décidés par l'agent d'appel désigné pour mener les procédures en question.
[118] Deuxièmement, je dois ajouter que même si j'ai porté attention à cette objection exprimée par l'avocat tout au long de l'audience, ainsi qu'à l'exigence voulant que ma décision demeure liée aux circonstances dans lesquelles les employés ont refusé de travailler, cela ne m'a pas amené à croire que des objectifs plus généraux en matière de relations de travail constituaient l'objet de la cause présentée par l'avocat qui représente les appelants. Pour que je puisse en arriver à une telle conclusion, il faudrait que l'on me présente plus que cette « terminologie » qualifiée de révélatrice par l'avocat des appelants et qui servirait vraisemblablement à agiter des « drapeaux rouges » ou à faire des mises en garde, ou plus que des allusions à certaines mesures prises dans le passé par le syndicat ou des comités locaux que le soussigné considérerait comme de l'information visant à me permettre de mieux comprendre les problèmes soulevés dans la foulée des refus de travailler exercés par les employés en cause, ou encore plus que certaines mesures de réparation faisant partie d'un ensemble que l'on m'a suggéré d'examiner.
[119] Les présents appels visent à amener le soussigné à infirmer la conclusion d'absence de danger tirée par l'agente de SST Pollock en affirmant, pour paraphraser l'avocat des appelants, qu'une pièce d'équipement de sécurité non fonctionnelle à bord d'un aéronef Embraer 175 entraîne un danger au sens de la définition de cette expression à l'article 122 du Code. Afin d'étoffer tel qu'il se doit cet énoncé, il faut noter d'entrée de jeu que ce que les deux parties demandent au soussigné d'examiner ici, et ce que j'ai effectivement examiné afin de soupeser la preuve et d'analyser les observations des parties, n'est pas de savoir si la pièce d'équipement inopérante, présentée comme étant le système de verrouillage automatique de la porte sécuritaire du poste de pilotage (ou SVA), constitue ou entraîne en soi un danger lorsque l'aéronef est arrêté sur le tarmac, et qu'il n'est donc pas en cours d'utilisation, selon l'expression consacrée, auquel cas l'exigence réglementaire relative aux jours de report prévus à des fins de réparation s'applique. Les parties demandent plutôt au soussigné d'examiner, et c'est ce que j'ai fait, la question de savoir si le non-fonctionnement d'une pièce d'équipement entraîne un danger lorsque l'aéronef est utilisé, c'est-à-dire, essentiellement, lorsqu'il se déplace ou qu'il vole, et de déterminer si des circonstances décrites comme étant « extérieures » au fait que l'appareil est devenu inopérant peuvent se matérialiser lorsque des membres du personnel de cabine, soit des agents de bord, peuvent avoir besoin de communiquer avec le poste de pilotage et/ou d'y accéder, et qu'ils ne pourront pas le faire, ce qui les empêchera aussi de fournir au personnel du poste de pilotage, c'est-à-dire les pilotes, le soutien et l'aide qu'ils ont appris à leur fournir dans le cadre de leur formation, ce qui entraînera une probabilité raisonnable de blessures, de telles circonstances étant décrites par l'intimée comme étant improbables au point d'en être hypothétiques et spéculatives, alors que les appelants les considèrent comme réelles bien que rares.
[120] Les risques se retrouvant au cœur des observations des deux parties ont trait à certaines situations relatives à la sécurité [texte caviardé]. Compte tenu de cela, je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée lorsqu'il décrit le danger allégué par les employés ayant refusé de travailler comme n'étant pas lié au verrou de porte inopérant, mais plutôt à la [traduction] « crainte de ce qui pourrait survenir si quelque chose d'autre se produit pendant que le SVA est inopérant », et même si je comprends ce que l'avocat veut dire en employant le mot [traduction] « crainte », il est important selon moi de préciser cette description en soulignant que la notion de « danger » est définie dans le Code en terme de « risques », de « situations » et de « tâches », et bien que cela n'y soit pas indiqué de façon élaborée, lesdits « risques », « situations » et « tâches » doivent être considérés comme se manifestant dans le lieu de travail, soit, ici, la cabine et le poste de pilotage de l'aéronef.
[121] Même si les parties n'ont pas passé beaucoup de temps à préciser la notion de « danger » soulevée dans les présentes affaires, leurs observations révèlent clairement qu'un « risque » ou une « situation » consiste à leurs yeux en une combinaison d'éléments formant un tout, à savoir premièrement, un SVA non fonctionnel et l'absence de procédures d'utilisation normalisées applicables, l'absence d'autres procédures et l'incapacité d'appliquer les PUN qui s'appliqueraient normalement à un SVA fonctionnel, le tout, jumelé à des menaces de sécurité que le SVA et les PUN ont pour but de prévenir [texte caviardé]. C'est donc la combinaison de ces éléments qui doit, selon moi, être considérée comme représentant le « danger » allégué. Bien qu'au moment où ils ont présenté leurs longues observations, les deux avocats semblaient nourrir des points de vue plutôt semblables sur cette question, je crois qu'il est nécessaire pour le soussigné de préciser que j'estime que l'affirmation de l'avocat de l'intimée voulant que le véritable danger allégué par les employés ayant refusé de travailler est le risque qu'un événement catastrophique survienne est excessivement réductrice quant aux circonstances qui ont été décrites par ces derniers en tant que circonstances susceptibles de causer des blessures, tel que prescrit par le Code. Pour reprendre les mots de l'avocat de l'intimée, dans le monde du transport aérien, les accidents sont inévitables, cela valant aussi pour les autres modes de transport, et des blessures peuvent survenir sans que cela ne mène à un événement catastrophique, alors que cela est sous-entendu lorsqu'on parle d'un accident d'avion.
[122] [Texte caviardé]. Aux fins des présentes, il n'est pas nécessaire de décrire son fonctionnement de manière plus détaillée.
[123] De plus, la preuve non contestée révèle que le SVA du FIN #380 était non fonctionnel et le serait demeuré pour toute la durée du vol AC362 puisqu'aucune des deux parties n'a laissé entendre que le fonctionnement de cet appareil aurait pu être rétabli en vol au besoin. Cela étant dit, je ne peux ignorer, aux fins de ma décision, l'admission faite par l'intimée relativement à un SVA inopérant ou non fonctionnel. La preuve veut qu'à Air Canada, l'utilisation et le fonctionnement du SVA sont régis par un ensemble de procédures d'utilisation normalisées que les agents de bord sont tenus d'appliquer [texte caviardé]. Ces procédures d'utilisation normalisées sont enseignées dans le cadre de la formation courante et de la formation annuelle récurrente données aux agents de bord.
[124] Mais la situation est toutefois différente lorsque le SVA est inopérant. En pareil cas, la preuve a révélé, et cela a aussi été confirmé spontanément par l'intimée, qu’il n’existe aucune alternative à l’information du SVA en cas de certaines menaces, ni de PUN alternatives. [Texte caviardé]. De plus, la preuve fournie par les deux parties veut que M. Vergara et le commandant de bord ont discuté du SVA et de sa non-fonctionnalité lors de l'exposé avant vol tenu par le commandant de bord le jour du vol lors duquel le refus de travailler a été exercé, et que dans ces circonstances, on s'attendait à ce que d'autres procédures [texte caviardé] qui permettraient de composer avec les problèmes liés à un SVA inopérant soient abordés dans le cadre de l'exposé du commandant de bord. Encore une fois, les témoignages ont révélé, et l'intimée l'a reconnu, que de telles discussions sur d'autres procédures [texte caviardé] n'ont probablement pas eu lieu. Quant à la question de savoir si cela est imputable ou non au fait que Vergara, l'un des employés ayant refusé de travailler, pensait surtout à ce moment-là à son incapacité de traiter d’un type particulier de menace à la sécurité [texte caviardé], cela ne changerait rien au fait qu'à mes yeux, cette omission constitue un manquement évident de la part du commandant de bord.
[125] [Texte caviardé].
[126] Cela étant dit, plusieurs des dispositions du Code sont déterminantes pour l'examen de la question en litige soulevée par les présents appels. Premièrement, il y a la définition du terme « danger », qui a déjà été citée et qui comprend plusieurs éléments ou « facteurs », selon le terme employé par l'avocat de l'intimée, qui doivent tous être en cause pour qu'un constat de danger puisse être établi. En d'autres mots, tous les éléments de la définition doivent être respectés pour qu'un constat de « danger » puisse être établi. En tenant compte uniquement de cette définition, pour déterminer si le vol AC362 comportait ou a comporté un danger pour les employés ayant refusé de travailler, je dois m'appuyer sur la preuve et les observations des parties pour répondre aux questions suivantes :
- le 14 septembre 2010, y avait-il une situation, une tâche ou un risque existant ou éventuel?
- est-ce que ce risque, cette situation ou cette tâche était susceptible de causer des blessures à une personne qui y était exposé ou de la rendre malade?
- est-ce que ladite blessure ou maladie aurait pu être causée avant que cette situation, tâche ou risque existant ou éventuel puisse être, selon le cas, corrigée, modifiée ou écarté, autrement dit, est-ce que cette situation aurait pu être corrigée, cette tâche modifiée ou ce risque écarté avant qu'une blessure ou une maladie ne soit causée?
En ce qui concerne cette dernière question, il est important de mentionner à nouveau qu'il n'est pas contesté et qu'il est corroboré par la preuve que le SVA non fonctionnel en cause n'aurait pu être remis en marche durant le vol à l'égard duquel les refus de travailler ont été exercés.
[127] Par conséquent, on peut tirer plusieurs conclusions d'entrée de jeu. Premièrement, on peut conclure d'emblée que si les conditions préalables décrites dans les deux premières questions se matérialisent (existence d'un risque, d'une situation ou d'une tâche et l'exposition à ce risque, cette situation ou tâche est susceptible d'entraîner des blessures), la possibilité que survienne une blessure ou quelque chose de pire à cause du SVA non fonctionnel serait réelle avant que le risque soit écarté ou que la situation soit corrigée. De plus, en ce qui concerne la deuxième question, étant donné la situation alléguée par les employés ayant refusé de travailler, à savoir l’impossibilité admise d’exécuter certaines fonctions afin de prévenir des menaces à la sécurité, et qui pourraient être exécutées si le SVA fonctionnait, [texte caviardé] et compte tenu de la nature de l'activité visée, à savoir fournir des services à bord d'un aéronef en vol, en supposant que le risque, la situation ou la tâche en cause se serait matérialisée, je suis à peu près certain que l'exposition à l'un de ces facteurs est susceptible de causer des blessures, tel que l'ont affirmé des témoins à l'audience.
[128] Il y a toutefois d'autres dispositions du Code qui doivent être prises en considération dans le cadre de ma décision sur la question de savoir s'il y avait un danger au moment des refus. Premièrement, toute décision de ce genre doit être rendue en tenant compte de l'objet réel de la loi, tel qu'énoncé à l'article 122.1 du Code, soit la prévention plutôt que la réaction, et cet objet confère donc, à certains égards, un certain caractère prospectif à la notion de « danger » dans le lieu de travail. Cette disposition prévoit que la présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. « soulignement ajouté »
[129] De plus, et sans laisser entendre que le droit de refuser de travailler qui est garanti aux employés visés par le Code aurait une moins grande portée pour les personnes qui travaillent dans des aéronefs, il importe de noter que dans le cas de ces employés, les paragraphes 128(3) et (4) du Code prévoient que l'exercice d'un tel droit de refus, qui est personnel et vise à protéger la personne, peut être suspendu afin de ne pas compromettre le fonctionnement du véhicule qu'est l'aéronef, peu importe si l'employé peut être exposé à un danger pendant que l'aéronef est en service. En d'autres mots, dans le cas d'un aéronef qui est en service, le Code lui-même établit une distinction, dans une certaine mesure, entre le fait de ne pas compromettre le fonctionnement du véhicule qu'est l'aéronef et la sécurité des personnes qui peuvent être en train de travailler à bord de cet aéronef pendant qu'il est en service, ce qui met évidemment à l'avant-plan les arguments des deux parties se rapportant à la MEL et à la notion de navigabilité.
[130] Cela ne signifie pas que ces personnes ne peuvent pas refuser de travailler, mais la loi établit, cela dit, deux phases de refus, soit, premièrement, lorsque l'aéronef n'est pas en service et qu'un refus peut alors être exercé comme le ferait tout autre employé et pour les mêmes raisons et, deuxièmement, lorsque l'aéronef est en service et que l'exercice du droit de refus, qui peut mener ou non à un constat de danger, est tributaire de la décision que prendra la personne responsable de l'aéronef, soit, en d'autres mots, le pilote ou commandant de bord, relativement à la question de savoir si ledit employé peut exercer ce droit. À mon avis, cela confère aussi de la légitimité à l'exercice prospectif de leur droit de refus par les appelants étant donné qu'au moment où ils ont exercé ce droit, l'aéronef n'était pas en service et il n'existait pas de danger dans ces circonstances, mais un danger éventuel a été allégué à l'égard du moment où l'aéronef deviendrait en service. Il est par ailleurs facile de concevoir, en admettant l'hypothèse de base que les circonstances présentées par les appelants pour justifier leur refus de travailler représentent un danger, ce que je n'ai pas encore déterminé, que l'allégation d'un danger pour le pilote/commandant de bord aux fins de l'exercice de ce droit de refus, serait problématique voire illusoire. Afin de bien clarifier ce point, voici ce qui est prévu aux paragraphes 128(3), (4) et (5) :
128. (3) L’employé se trouvant à bord d’un navire ou d’un aéronef en service avise sans délai le responsable du moyen de transport du danger en cause s’il a des motifs raisonnables de croire :
- a) soit que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
- b) soit qu’il est dangereux pour lui de travailler à bord;
- c) soit que l’accomplissement d’une tâche à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.
Le responsable doit aussitôt que possible, sans toutefois compromettre le fonctionnement du navire ou de l’aéronef, décider si l’employé peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche, et informer l’employé de sa décision.
(4) L’employé qui, en application du paragraphe (3), est informé qu’il ne peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose, de travailler dans le lieu ou d’accomplir la tâche, ne peut, pendant que le navire ou l’aéronef où il travaille est en service, se prévaloir du droit de refus prévu au présent article.
(5) Pour l’application des paragraphes (3) et (4), un navire ou un aéronef sont en service, respectivement :
- a) (...)
- b) entre le moment où il se déplace par ses propres moyens en vue de décoller d’un point donné, au Canada ou à l’étranger, et celui où il s’immobilise une fois arrivé à sa première destination canadienne.
[Soulignement ajouté]
[131] En tenant compte de cela, je note la déclaration faite par l'avocat de l'intimée voulant que l'analyse que je dois faire dans cette affaire est limitée à [traduction] « la situation telle que vécue (« telle qu'elle existait ») par les employés ayant refusé de travailler au moment où ils ont exercé leur refus », une déclaration à laquelle je souscris et contre laquelle l'avocat des appelants ne s'est pas opposé. En même temps et compte tenu des dispositions des paragraphes 128(3), (4) et (5) cités ci-dessus et de la compréhension que j'en ai, pour déterminer la validité des refus tels qu'exercés en raison d'un danger, j'ai considéré que la situation que vivaient les employés au moment où ils ont refusé de travailler englobait à la fois la phase précédant celle ou l’aéronef était en service et celle où il était en service, puisque si j'avais agi autrement et que je m'étais borné à tenir compte du seul moment où les droits de refus ont été exercés, soit lorsque l'aéronef était au sol et n'était pas en service aux fins du Code, il serait alors impossible de faire un constat autre qu'un constat d'absence de danger relativement aux circonstances appréhendées par les employés ayant refusé de travailler.
[132] Depuis que le Code a subi d'importantes modifications en 2000, la notion de danger « imminent » ou immédiat n'est plus mentionnée dans la définition de « danger ». Plusieurs décisions marquantes ont été rendues depuis au sujet de la notion de « danger », et ce, tant par des agents d'appel que par des tribunaux, dont, au premier chef, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale. Lorsqu'ils ont présenté leur cause, les deux parties ont étayé leurs observations en citant plusieurs de ces décisions ayant fait jurisprudence. J'ai toutefois déterminé qu'il y a deux décisions qui, de manière générale, énoncent les principaux éléments dont on doit tenir compte pour prendre une telle décision. Il s'agit des décisions Verville et Martin, lesquelles ont fourni au soussigné l'encadrement dont j'avais besoin pour rendre ma décision.
[133] On peut déduire ce qui suit de ces décisions. Dans Verville, la Cour a noté que contrairement à ce que disait la définition de « danger » qui avait cours avant les modifications, à savoir que l'on souhaitait qu'un employé ne soit pas exposé à une situation dangereuse de façon immédiate dans le cadre de son travail, ce qui mettait donc l'accent sur le bien-être à court terme des employés, la définition actuelle, à laquelle on a ajouté des mots tels que « potential » ou « éventuel » et, dans la version anglaise, « future » (en apposition au mot « activity »), signifie que le Code ne porte pas seulement sur certaines situations factuelles existant au moment où un refus de travailler est exercé par un employé. De fait, la Cour a expressément déclaré que ces deux mots qui qualifient le risque ou la situation dans les deux versions de la définition (« potential » et « éventuel ») n'excluent pas un risque ou une situation qui pourrait ou non se produire ou se manifester à cause d'un comportement humain, et elle affirme à ce sujet que « [s]i un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire », il devrait être englobé dans la définition de « danger ». De plus, la Cour a aussi déclaré qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que la situation ou la tâche cause des blessures à chaque fois (qu'elle se produit ou qu'elle est accomplie), et elle cite la version française de la définition dans laquelle les mots « susceptible de causer » signifient que « la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois. »
[134] De plus, dans la même décision, on mentionne que pour trancher la question de savoir si un danger existe, ce n'est pas la spécificité de l'occurrence qui doit être établie, mais plutôt le fait qu'il y a une possibilité raisonnable que les circonstances entraînent des blessures. Pour reprendre les mots employés par madame la juge Gauthier :
[36] (…) je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin (...) n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
Finalement, et j'estime que cette considération est essentielle au regard du présent cas, la Cour fédérale donne des indications claires dans Verville en ce qui concerne la manière de démontrer une possibilité raisonnable de blessure tout en précisant qu'il n'est pas nécessaire que les circonstances entraînant de blessures présentent des similitudes entre elles. Madame la juge Gauthier a noté qu'il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures, (et qu')il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve qu'(une personne) a été blessée dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.
[135] [Texte caviardé].
[136] Ces données statistiques constituent une preuve d'incidents antérieurs que l'on pourrait qualifier d'anecdotique, et dans Martin , la Cour d'appel fédérale a indiqué que ce type de preuve peut être pris en considération lorsqu'on veut déterminer si certaines circonstances sont susceptibles de causer des blessures :
Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.
Il est important de noter que les données statistiques déposées en preuve relativement à l'incapacité soudaine du pilote se rapportent non seulement à des transporteurs d'autres territoires et même à des activités qu'ils ont poursuivies à d'autres époques, mais aussi à Air Canada en ce qui concerne la période 2003-2010, durant laquelle 17 cas d'incapacité soudaine du pilote sont censément survenus, ce chiffre s'établissant plutôt à 22 selon l'avocat de l'intimée, dont au moins un cas de double incapacité soudaine.
[137] [Texte caviardé].
[138] [Texte caviardé].
[139] [Texte caviardé]. Ces paragraphes relatent des observations et de éléments de preuve ayant trait à des situations qui pourraient requérir des agents de bord d’utiliser le SVA et les PUN connexes. La preuve déposée à cet égard a trait dans certains cas à des vols antérieurs d’air Canada. L’impact de ces cas pourrait dans certaines circonstances (SVA non fonctionnel, etc.) être considéré comme un « danger ».
[140] À cet égard, l'avocat de l'intimée a soutenu le fait qu'il n'y avait pas, au moment des refus, c'est-à-dire avant que l'aéronef ne décolle, d'indications prémonitoires de situation pouvant requérir des agents de bord d’utiliser le SVA et les PUN connexes [texte caviardé] ce qui réduisait encore plus la possibilité que quelque chose d'indésirable se produise alors que le SVA était inopérant, et qui aurait été susceptible d'entraîner une blessure. À mon avis, cela n'a aucune incidence sur ma décision, car on s'attendrait certainement, dans l'éventualité où de tels signes avant-coureurs s'étaient manifestés, et, pour l'essentiel, il ne faut pas perdre de vue le caractère imprévisible de ces éléments, à ce que de quelconques mesures correctives eussent été prises par l'intimée, comme le remplacement des membres concernés du personnel du poste de pilotage ou le report du vol jusqu’à ce que la menace ait disparu. À cet égard, je souscris au point de vue de l'avocat des appelants à l’effet que même si [texte caviardé], les situations décrites aux paragraphes 137-139 ne touchent pas tout le personnel de la cabine de pilotage, il est nécessaire pour assurer la sécurité de l'aéronef et, du même coup, celle de tous ceux qui s'y trouvent, y compris les agents de bord qu’il soit possible d’opérer le SVA, [texte caviardé].
[141] Les principaux éléments invoqués à l'appui de sa position par l'intimée lorsqu'elle a affirmé que le danger éventuel allégué par les employés ayant refusé de travailler est négligeable au point d'être hypothétique et purement spéculatif, sont la rareté des cas d'incapacité soudaine du pilote et la MEL, ou plutôt les modalités de la MEL concernant le délai de deux jours accordé à des fins de réparation dans le cas du SVA qui justifieraient la conclusion voulant que le risque ou la situation et, par conséquent, la blessure ou la maladie qui serait susceptible d’en résulter, serait si négligeable qu'il n'y aurait pas de probabilité raisonnable qu'il se manifeste avant que la réparation soit effectuée. Dans sa décision, l'agente de SST Pollock a été clairement influencée par l'existence et l'incidence de la MEL, tout comme l'a été, doit-on ajouter, le commandant de bord affecté au vol en cause, qui n'a invoqué que la MEL lorsqu'il a dû traiter avec l'employé Vergara lorsque celui-ci a refusé de travailler. Ajoutons à cela que le vol en cause était de courte durée, ce qui, selon l'intimée, réduit encore plus la possibilité que surviennent à la fois à bord de l'aéronef l’(les) incident(s), ainsi que la possibilité de blessure ou de maladie. Les appelants ont fait valoir que ladite MEL n'est pas pertinente en l'espèce car elle ne traite pas de questions touchant à la santé et à la sécurité, et porte exclusivement sur le fonctionnement sécuritaire de l'aéronef du point de vue de la navigabilité. L'intimée a toutefois maintenu que la MEL traite de la sécurité et comme elle est sanctionnée par Transports Canada, elle suffit, compte tenu, encore une fois, du court délai de deux jours prévus à des fins de réparation, à prévenir un « danger » du genre de ceux qui ont été allégués par les employés ayant refusé de travailler et considéré comme existant au sens du Code.
[142] Il est donc nécessaire pour le soussigné de commenter la nature d'une telle MEL. Premièrement, la MMEL et la MEL sont des manuels de politiques et de procédures créés dans la foulée de l'exercice par Transports Canada des pouvoirs de réglementation que lui confère le RAC (Règlement de l'aviation canadien), qui sont donc des pouvoirs délégués, et chaque fois que l'on mentionne la MEL, il faut tenir compte de la position exprimée par le Comité réglementaire de l'Aviation civile (CRAC) de Transports Canada qui a effectivement reconnu qu'il fallait faire une distinction entre la protection découlant du Code de santé et sécurité en aviation civile (SSAC), qui est visée par les refus de travailler et la décision rendue par l'agente de SST en l'espèce, d'une part, et la notion de « sécurité de vol », laquelle se rapporte, tel que clairement indiqué dans la MEL et la MMEL, à l'entretien et à l'exploitation du point de vue de la navigabilité. Le CRAC a donc déclaré que [traduction] « (...) le Code canadien du travail traite suffisamment des questions touchant à la SSAC et que (...) la MMEL et la MEL ont été conçues pour traiter de la sécurité de vol et on ne devrait pas y ajouter inutilement des exigences qui sont adéquatement traitées par d'autres lois. »
[143] Deuxièmement, même si je dois reconnaître, tel que l'a affirmé avec insistance l'intimée lorsqu'elle a renvoyé le soussigné au texte de la MMEL et de la MEL, que ces documents font plusieurs fois mention de la notion de « sécurité », du « niveau de sécurité acceptable » et du « niveau de sécurité requis », il faut comprendre que ladite notion de « sécurité » se rapporte à la « navigabilité », une notion qui concerne, tel qu'il a déjà été mentionné, la capacité de l'aéronef de voler et de se maintenir en vol, et qui concerne donc, au premier chef, le véhicule qu'est l'aéronef en ce qui a trait à son entretien et son exploitation, et non la santé et la sécurité au travail, qui concerne la sécurité des personnes qui travaillent à bord du véhicule, en plus, évidemment des passagers. Il ne fait aucun doute, lorsqu'on souscrit à ce point de vue, que le fait d'utiliser un aéronef dont le SVA est non fonctionnel ne nuit pas à sa capacité de voler et à sa navigabilité, peu importe si l'on interprète ce terme de manière stricte ou plus générale, et l'avocat de l'intimée a de fait clairement adopté ledit point de vue lorsqu'il a déclaré avec emphase que la MMEL et, du même coup, la MEL qui en découle, traitent de problèmes de sécurité relatifs en ce qui concerne l'utilisation de l'aéronef, et qu'un SVA inopérant ne nuit aucunement à la navigabilité de l'aéronef puisque, tel que l'a dit l'avocat, [traduction] si les conditions du MEL sont respectées, l’aéronef, volera et certaines préoccupations en matière de sécurité seront satisfaites [texte caviardé].
[144] Cela soulève donc la question de savoir ce qui se passerait si les autres préoccupations en matière de sécurité ne sont pas satisfaites [texte caviardé]. Il ne fait aucun doute, en l'absence de circonstances extérieures, que si un aéronef fonctionne et qu'il continue de le faire de façon sécuritaire, la sécurité de ses occupants sera préservée étant donné que le vol se déroule lui-même de façon sécuritaire. Cela est expressément reconnu dans une lettre envoyée par le Chef des affaires réglementaires de Transports Canada à l'Association des pilotes d'Air Canada, dans laquelle on peut lire, relativement à l'exclusion de dispositions du Code dans la MMEL/MEL, [traduction] « qu'il est nécessaire de faire une distinction entre les approches liées à la SST, dont l'objet premier est la santé d'employés, et les approches systémiques visant à assurer la sécurité globale du vol. » En d'autres mots, la sécurité en matière de SST ne renvoie pas à la « sécurité » au sens de la MEL et de la MMEL. Par conséquent, j'estime que la MEL et la MMEL sont peu voire pas du tout pertinentes pour décider des questions en l'espèce, lesquelles se rapportent à la santé et à la sécurité au travail, et ce, sauf en ce qui concerne le fait qu'il est clairement indiqué dans la MEL qu'il demeure nécessaire que le pilote évalue la navigabilité en tenant éventuellement compte de plusieurs facteurs additionnels.
[145] On a beaucoup parlé, dans cette affaire, du modèle « fromage suisse » utilisé par l'intimée pour analyser les causes d'accidents, qui se fonde sur la notion de niveaux de défense multiples visant à se prémunir contre un accident, c'est-à-dire la notion de « moyens de défense élaborés » qui, en termes simples, veut que plusieurs modes ou moyens de défense interviennent à l'encontre d'un résultat donné, où une défaillance est compensée par l'intervention d'autres modes ou moyens, chacun de ces niveaux de défense comportant des trous (au sens figuré) non statiques qui se réalignent au fur et à mesure que les événements se produisent afin de prévenir ou d'engendrer un résultat final ou désastreux. L'avocat de l'intimée a soutenu que tant et aussi longtemps qu'un niveau de protection est présent, on ne peut pas faire de constat de danger. En l'espèce, la position de l'intimée veut qu'il manquait un seul niveau de défense (« un trou »), soit le SVA inopérant. Les appelants, en revanche, ont affirmé que la suppression d'un seul niveau de défense ferait augmenter le risque ou la probabilité d'accident. Le témoin de l'intimée a reconnu qu'en ce qui concerne le vol en cause, il y a eu plusieurs défaillances ou trous, à savoir une pièce d'équipement de sécurité non réparable et l'absence de procédures d'utilisation normalisées applicables à la poursuite du vol en dépit d'une pièce d'équipement non réparable. J'ajouterais que la preuve veut aussi que durant l'exposé avant vol tenu par le commandant de bord, on n'a pas discuté de la possibilité d'établir de procédures alternatives aux PUN connexes à un SVA en état d’utilisation [texte caviardé]. Cela doit aussi être considéré avec l'admission faite par l'intimée que certaines fonctions du SVA ne pourraient être utilisées si le SVA n’est pas en état de service, [texte caviardé].
[146] Si l'on fait abstraction, enfin, des preuves présentées relativement à la nécessité pour les agents de bord de demeurer conscients de la situation en tout temps et de l'existence de certains protocoles destinés aux agents de bord [texte caviardé] ce qui implique, évidemment, que l'on présuppose [texte caviardé] la capacité d'agir d’une façon envisagée par le SVA et les PUN connexes, aucune preuve n'a été présentée qui aurait démontré que d'autres niveaux de défense étaient disponibles dans les circonstances alléguées par les employés ayant refusé de travailler, à savoir certaines menaces en matière de sécurité, [texte caviardé], qui auraient permis de contrebalancer la suppression des importants niveaux de défense mentionnés ci-dessus dans le cadre de la réalisation de ce vol, lorsqu'on aurait pu raisonnablement s'attendre à devoir mettre à contribution ces niveaux de défense. À mon avis, la bonne santé physique et psychologique apparente des membres du personnel du poste de pilotage ou l'absence de défectuosités mécaniques potentielles ou d'indications relatives à des lacunes ne devrait pas être assimilée à des niveaux de défense de type « fromage suisse », et ce, pour les raisons que j'ai déjà mentionnées.
[147] En outre, en dehors de la déduction voulant que la navigabilité ou l'utilisation sécuritaire du véhicule qu'est l'aéronef ne souffrirait pas de l'absence d'un SVA fonctionnel pendant deux jours de vol, aucune preuve n'a été présentée, à mon avis, quant à la justification de permettre que l'aéronef soit utilisé dans ces conditions, et personne n'a non plus laissé entendre que les raisons potentielles invoquées par les employés ayant refusé de travailler, [texte caviardé] n'auraient pas ou ne pouvaient pas faire en sorte que, pour reprendre la formulation de l'avocat des appelants, être [traduction] « occultées », durant les deux jours de vol, voire pendant la durée du vol en cause, alors que l'aéronef aurait été utilisé sans SVA fonctionnel. L'avocat de l'intimée a souligné que De Savigny, qui témoignait pour l'intimée, a expliqué que les délais de réparation prévus dans la MEL sont établis en fonction de ce qu'il a décrit comme étant [traduction] « la deuxième pire défaillance » qui pourrait survenir si la première défectuosité n'est pas rectifiée, et qu'ainsi, selon l'avocat, la probabilité que survienne cette « deuxième pire défaillance » a été une considération essentielle lorsqu'est venu le moment de déterminer si ce risque était susceptible de causer des blessures ou une maladie avant qu'il soit écarté, selon le degré de probabilité formulé par la Cour d'appel fédérale dans Martin . Je me contenterai de dire à ce sujet que si l'on tient compte de l'objet et de l'esprit de la MMEL et de la MEL en ce qui concerne l'entretien et l'exploitation des aéronefs, on peut affirmer que les mots utilisés par M. De Savigny ne se rapportent pas aux situations qui requéraient l’utilisation d’un SVA en état d’utilisation et des PUN connexes. [Texte caviardé].
[148] À l'audience et dans leurs observations écrites, les deux parties ont abondamment parlé de la formation que reçoivent les agents de bord relativement aux procédures de sécurité, y compris en ce qui concerne les urgences et la sécurité, que ce soit au début de leur emploi ou dans le cadre de la formation annuelle récurrente. Établi dans la foulée des événements du 11 septembre, lesquels ont incité l'industrie de l'aviation à mettre au point le SVA et des portes sécuritaires pour les postes de pilotage, le cadre réglementaire s'appliquant à la porte du poste de pilotage traite [texte caviardé] de certains types de menaces. Dans son rapport ainsi que lors de son témoignage, l’agente de SST Pollock a indiqué que le RAC et les normes (Normes de service aérien commercial) adoptées en application du RAC traitent de menaces à la sécurité que le SVA et ses PUN connexes ont pour but de prévenir. Lors de son témoignage à l'audience, Mme Anand, qui témoignait pour l'intimée, a affirmé que si l'on donne de la formation sur le RAC relativement à ces éventualités, c'est parce que [traduction] « l'industrie soupçonne qu'elles peuvent se matérialiser. » La formation rigoureuse qui est dispensée aux agents de bord d'Air Canada traite des procédures de sécurité (urgences et sécurité) portant expressément, mais pas exclusivement, sur l'utilisation du SVA et des procédures à suivre en cas de menaces à la sécurité que le SVA et ses PUN connexes ont pour but de prévenir. [Texte caviardé].
[149] Après avoir examiné les documents déposés en preuve relativement à la formation fournie aux employés de l'intimée, on en arrive forcément à la conclusion que l'industrie et l'intimée investissent beaucoup d'argent et d'efforts dans cette formation, qui porte dans une large part sur les procédures d'urgence et l'utilisation d'un SVA fonctionnel, et cela doit être imputable au fait que ladite formation est jugée importante. Lorsqu'elle a témoigné pour l'intimée, Mme Anand a affirmé que [traduction] « nous tenons compte des coûts que cela représente, mais cela ne nous fait pas perdre de vue l'objet de la formation, la sécurité », et que la probabilité que certains événements surviennent était un facteur qui a été pris en considération lorsqu'on a décidé en quoi consisterait cette formation. Cela étant dit, et les deux parties s'entendant par ailleurs sur l'importance et le contenu de la formation donnée aux agents de bord, je dois évaluer deux points de vue très différents quant à l'incidence que cela devrait avoir sur ma décision, et ce, alors même que je ne rejette pas, pour l'essentiel, ces deux points de vue.
[150] Pour ce qui est du fait que les agents de bord reçoivent de la formation sur l'hypoxie et la ressuscitation, l'avocat de l'intimée s'est opposé à ce que cela soit considéré, comme les appelants semblent l'avoir fait, comme une indication en soi qu'il existe un danger présent et anticipé. Selon l'avocat, même si on donne de la formation aux agents de bord relativement à plusieurs scénarios éventuels, le seul fait que l'on offre de la formation préventive n'implique pas que l'on reconnaît l'existence d'un danger et n'élève pas le risque au-delà d'un risque éventuel ou possible. Je crois, tout comme l'avocat, que le simple fait de donner de la formation préventive ne signifie pas automatiquement davantage que le fait de reconnaître que les situations traitées dans le cadre de cette formation peuvent survenir.
[151] Quant à la position de l'avocat des appelants, elle peut se résumer simplement au principe voulant que si l'employeur a investi beaucoup d'efforts et d'argent dans la formation de ses agents de bord, c'est qu'il y a un but. Dans ses observations écrites, l'avocat exprime cette position comme suit :
[traduction] L'équipement, la formation relative à son utilisation, le matériel de formation et l'établissement de procédures coûtent tous très cher. L'ensemble de la preuve révèle que la décision de consacrer des ressources au SVA a été prise avec sérieux et parce que l'on a reconnu qu'il existe de graves problèmes de sécurité L'équipement, la formation et les procédures sont disponibles parce qu'Air Canada s'attend à ce qu'on en ait besoin.
Je ne suis pas en désaccord avec cette position, dans la mesure où cette attente de l'employeur qu'on aura besoin de la formation, de l'équipement et des procédures ne constitue ni une certitude ni une crainte que les événements traités lors de la formation vont survenir, mais simplement que si ces événements surviennent, les agents de bord de l'intimée disposeront des « outils » nécessaires pour remédier à la situation.
[152] [Texte caviardé].
[153] [Texte caviardé].
[154] Cela étant dit, les deux avocats ne s'entendent pas sur la signification que le soussigné devrait donner à de telles données. Pour l'intimée, comme les cas [texte caviardé] de ce genre sont extrêmement rares, et un type de cas l’est [texte caviardé] encore plus, il s'ensuit que la situation ou le risque invoqué est purement spéculatif et hypothétique et qu'ainsi, dans les circonstances liées aux présentes affaires, ne serait pas susceptible de causer des blessures avant que des mesures correctives aient été prises. Pour les appelants, les données statistiques servent à démontrer qu'il y a eu des cas [texte caviardé] de nature générale dans le passé, et l'avocat soutient que rien n'indique que de tels cas ne surviendront pas ou ne pourraient pas survenir dans le futur. Je souscris au point de vue exprimé par l'avocat des appelants. La rareté, une notion citée dans les arguments des deux parties, se rapporte à la fréquence et non à la manifestation d'une occurrence, et la fréquence n'est pas un élément du « danger» au sens du Code. Lorsqu'on ne peut pas déterminer quand ou à quelle fréquence un incident tel qu'une incapacité surviendra, le passé peut être garant de l'avenir, de sorte que l'on peut conclure qu'il est raisonnablement possible que cet incident survienne dans le futur. Afin d'étayer cette affirmation, je cite à nouveau la décision rendue par Cour d'appel fédérale dans l'affaire Martin (supra) :
(...) une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.
[Soulignement ajouté]
[155] En ce qui a trait à la conclusion que j'énonçais plus haut voulant que le « danger » que l'on me demande de reconnaître représente, dans les circonstances liées au présent cas, une combinaison d'éléments (certains éléments sont mentionnés dans la décision) [texte caviardé] l'argument présenté par l'intimée au sujet des données statistiques, selon lequel la possibilité que certains événements surviennent est tellement négligeable que l'on doit considérer que cette possibilité est hypothétique et spéculative, fait aussi intervenir la notion de prévisibilité, compte tenu des conditions existantes avant le vol et de l'état du personnel du poste de pilotage, qui n'auraient incité personne à penser que la possibilité appréhendée par les employés ayant refusé de travailler allait se matérialiser durant un vol de courte durée et, aux termes de la MEL, pendant un court report de réparations d'une durée de deux jours. À ce sujet, je ne partage pas l'opinion de l'avocat de l'intimée qui se fonde sur la courte durée du vol, car cela ne tiendrait pas compte, à mon avis, de la nature de ce qu'est un accident ou un incident et à cet égard, je fais mienne l'opinion exprimée par la vice-présidente Pineau du Conseil canadien des relations industrielles dans K.G. Lequesne and Canadian National Railway Company, 2004 CCRI 276, sur la question de savoir en quoi consiste un accident au regard de la définition correspondante figurant dans le Concise Oxford Dictionary :
[Traduction] [L’] accident ou l’incident est un événement qui se produit par hasard ou sans cause apparente à un moment que l’on peut prévoir. (…) Une mince possibilité demeure néanmoins possibilité. La partie II ne mentionne pas l’existence d’une « mince possibilité » comme justification de l’existence de conditions de travail dangereuses.
[156] Je n'ai pas traité en profondeur du deuxième motif de refus invoqué par l'employé Caron parce que premièrement la décision ci-dessus au sujet d’un SVA inopérant suffirait à trancher l’appel déposé par les trois employés et deuxièmement parce que le même raisonnement s’appliquerait à la seconde raison invoquée par madame Caron pour le refus. [Texte caviardé].
[157] Bref, les éléments de la preuve et des observations des parties que j'ai retenus afin de trancher cette affaire sont les suivants :
- les trois appelants ont refusé de travailler à cause d'un SVA inopérant dont le fonctionnement n'aurait pu être rétabli durant le vol;
- [texte caviardé] l’impossibilité pour les agents de bord de voir à certaines fonctions aux fins de gérer des menaces à la sécurité à cause du SVA non fonctionnel.
- le fait que, dans les circonstances susmentionnées, les agents de bord ne pouvaient pas miser sur leur formation exhaustive et rigoureuse pour venir en aide aux membres du personnel du poste de pilotage;
- l'absence de procédures d'utilisation normalisées que les agents de bord (personnel de cabine) auraient pu suivre lorsque le SVA est inopérant;
- l'absence d'équipement de secours pour le SVA non fonctionnel en ce qui concerne [texte caviardé] certaines mesures de sécutité
- le fait que l'absence d'autres procédures [texte caviardé] ayant pour but certaines mesures de sécurité du SVA n'avait pas fait l'objet de discussions lors l'exposé avant vol tenu par le commandant de bord;
- la possibilité raisonnable de certaines situations faisant en sorte que les agents de bord aient à utiliser le SVA et les PUN connexes pour diverses raisons [texte caviardé];
- l'inapplicabilité de la MEL et la préséance du Code en ce qui concerne les questions et problèmes liés à la santé et la sécurité au travail à bord de l'aéronef, ce qui ne se rapporte donc pas à l'utilisation dudit véhicule.
Compte tenu de tout ce qui précède, j'en suis arrivé à la conclusion qu'au moment où les trois employés ont refusé de travailler, il y avait une situation ou un risque éventuel qui pouvait se manifester durant le vol A362 et qui était susceptible de causer des blessures aux agents de bord en cause avant que ledit risque soit écarté ou que ladite situation soit corrigée. Par conséquent, il y avait un « danger » au sens du Code.
[158] Le paragraphe 145(2) du Code prévoit que si un constat de danger a été établi, une instruction sera nécessairement émise afin d'écarter le risque, de corriger la situation ou de modifier la tâche qui constitue le danger, ou de protéger la ou les personnes en cause contre ce danger. Le libellé de la loi indique que cette obligation s'applique à l'agent de santé et de sécurité qui fait le constat de danger. En revanche, le paragraphe 145.1(2) du Code prévoit qu'aux fins du dépôt d'un appel en application de l'article 146, l'agent d'appel « est investi des mêmes attributions » qu'un agent de santé et de sécurité, et il peut, en application de l'alinéa 146.1(1)b) émettre les instructions qu’il juge indiquées dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1) du Code, à savoir une instruction visant à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche constituant le danger ou à protéger la ou les personnes en cause contre ce danger. Par conséquent, un agent d'appel a la même obligation qu'un agent de santé et de sécurité.
[159] Cela étant dit, il faut se rappeler que les dispositions du Code impliquent que l'instruction doit préciser ce qui doit être corrigé ou ce contre quoi il faut assurer une protection. Dans le présent cas et en prévision d'une éventuelle conclusion de danger de ma part, les deux parties ont suggéré plusieurs mesures de réparation qui pourraient constituer une instruction appropriée. Dans le cas des appelants, l'avocat a fait diverses suggestions quant aux instructions qui devraient être émises. Il souhaiterait, évidemment, que j'ordonne, dans l'ordre, que l'aéronef visé par les refus, le FIN #380, ne soit pas mobilisé, c'est-à-dire qu'il demeure au sol, jusqu'à ce que le SVA de sécurité du poste de pilotage soit « entièrement fonctionnel »; qu'Air Canada cesse et s'abstienne de mobiliser des aéronefs dont le SVA de sécurité du poste de pilotage est inopérant, ou que j'ordonne tout autre recours ou toute autre mesure de réparation que l'avocat pourrait recommander ou que l'agent d'appel jugerait approprié; ou, enfin, subsidiairement et compte tenu des similitudes entre l'Embraer 175 et l'Embraer 190, qu'Air Canada cesse et s'abstienne d'affecter à des vols tout Embraer de ce genre dont le SVA de sécurité du poste de pilotage est inopérant. Sans que cela ne surprenne personne, l'intimée a demandé que les mesures de réparation autres que l'ordonnance prévoyant que le FIN #380 doit demeurer au sol ne soient pas accordées étant donné, premièrement, que cela irait au-delà des circonstances dans lesquelles les employés en cause ont refusé de travailler et ainsi, au-delà de la situation visée par ces refus et, deuxièmement, parce que l'octroi de telles mesures de réparation à la portée excessive [traduction] « ne tiendrait pas du tout compte du fait que les circonstances individuelles peuvent nuire à la sécurité n'importe quel jour. » À cet égard, l'avocat a souligné qu'en l'espèce, [traduction] « Air Canada n'avait pas (et de fait, ne pourrait pas) affirmer qu'une porte inopérante ne constitue jamais un danger. En fait, jumelée à d'autres circonstances, une porte inopérante peut devenir un facteur contributif qui élève un événement par ailleurs sécuritaire au niveau d'un risque prévisible. »
[160] Même si j'estime que cette opinion, telle qu'exprimée par l'avocat de l'intimée, est quelque peu restrictive, je n'en cautionne pas moins l'esprit général. Bref, comme je l'ai aussi déjà mentionné, les présents appels doivent porter exclusivement sur les circonstances dans lesquelles les employés en cause ont refusé de travailler, et il ne serait donc pas approprié, à mon avis, d'accorder les mesures de réparation suggérées par les appelants qui auraient une portée allant au-delà de la situation examinée en appel. Cela étant dit, pour déterminer la mesure de réparation qui doit être imposée, il faut nécessairement examiner la question de savoir si, au moment où ces mesures de réparation sont établies, c'est-à-dire après que l'affaire en cause a été entendue et jugée en appel, il sera toujours nécessaire de remédier à la situation au regard des circonstances dans lesquelles les employés en cause ont refusé de travailler.
[161] Bien que la preuve démontre clairement, et cela n'a même pas été contesté par l'intimée, qu'au moment où les employés visés par l'appel ont refusé de travailler, le SVA de sécurité du poste de pilotage du FIN #380 n'était pas fonctionnel et l'aéronef avait quand même été mobilisé pour un vol, la preuve liée aux présents cas veut aussi que même si la MEL de l'Embraer obligeait l'intimée à faire réparer ce SVA et, donc, à rétablir sa fonctionnalité dans les deux jours de vols subséquents, ledit SVA du FIN no 380 était redevenu fonctionnel en l'espace d'un jour après que les employés en cause eurent refusé de travailler, et aucune preuve n'a été présentée au soussigné pour démontrer qu'il n'est pas fonctionnel en ce moment. Cela étant dit et compte tenu de ce qui est prévu à l'alinéa 146.1(1)(b) relativement à mon pouvoir discrétionnaire d'émettre une instruction que je juge appropriée, je considère qu'en raison du fait que le SVA du FIN #380 est fonctionnel, il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure de réparation et il ne conviendrait pas non plus d'émettre une instruction et je n'en émettrai donc aucune.
Décision
[162] Pour toutes les raisons énoncées plus haut, les décisions d'absence de danger, telles que rendues par l'agente de santé et de sécurité Pollock le 28 septembre 2010, sont annulées.
Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel
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