2010-TSSTC-011

Référence : Rehab Rivers c. Air Canada, 2010 TSSTC 11

Date : 2010-09-03

Dossier nº: 2005-12

Rendue à : Ottawa

Entre :

Rehab Rivers, appelante
et
Air Canada, intimée

Affaire : Appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par un agent de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail

Décision : La décision est confirmée

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel

Langue de la décision :Anglais

Pour l’appelante : M. James Robbins, avocat – Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre etCornish s.r.l.

Pour l’intimée : Mme Rhonda Shirreff, avocate – Heenan Blaikie, s.r.l.

MOTIFS DE DÉCISION

[1] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) par Mme Rehab Rivers, employée chez Air Canada, d’une décision d’absence de danger rendue de vive voix par M. Robert Gass, agent de santé et de sécurité (Ag.SST), le 15 mars 2005, et confirmée par écrit le 16 mars 2005, conformément au paragraphe 129(4) du Code.

[2] Le 31 août 2007, l’agent d’appel Pierre Guénette a rendu une décision. L’appelante a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale. Par la suite, le 21 novembre 2008, la Cour a accueilli la demande et l’affaire a été renvoyée à un autre agent d’appel pour qu’il statue de nouveau.

[3] L’audience sur l’appel a eue lieu à Toronto, en Ontario, du 14 au 16 juillet 2009, du 15 au 17 septembre 2009 et les 3 et 4 février 2010.

Contexte

[4] Le 14 mars 2005, Mme Rivers occupait le poste de chef de cabine. Elle devait être affectée au vol numéro 101 sur un avion de modèle Airbus A321 (A321) en partance de l’Aéroport international Lester B. Pearson de Toronto et devant arriver à Vancouver, puis revenir à Toronto.

[5] Ce jour-là, Mme Rivers a appris que l’un des deux appareils de protection respiratoireFootnote 1  était brisé et elle a fait valoir son droit de refuser un travail dangereux. L’employeur a contacté l’Ag.SST Gass et a mené une enquête sur le refus de travailler.

[6] Les motifs du refus de Mme Rivers reposaient sur un incident antérieur survenu le 17 juillet 2004, date à laquelle elle opérait un aéronef A321 dans des circonstances similaires, c’est-à-dire que l’un des appareils de protection respiratoire était brisé. Au cours de ce vol, elle a été malade et a éprouvé certains symptômes comportant : maux de tête, nausée, fatigue et manque de coordination.

[7] Le 15 mars 2005, l’Ag.SST Gass a rendu une décision selon laquelle Mme Riversn’était pas confrontée à un danger. Le rapport de décision énonçait ce qui suit sur ses conclusions :

  • un seul des appareils de protection respiratoire de l’aéronef fonctionnait (air climatisé);
  • le pilote a donné de l’information complète à l’équipage et a expliqué quelle mesure il prenait pour compenser et assurer un environnement confortable à l’équipage et aux passagers;
  • il est légal de voler avec cet aéronef dans cette situation si des mesures sont prises pour compenser;
  • lorsque les membres de l’équipage ont été consultés par des représentants en santé et sécurité des employés à la fin de ce vol, ils ont dit que personne n’avait subi de désagréments sur ce vol.

Question en litige

[8] La question en litige dans cette affaire consiste à déterminer si l’Ag.SST Gass a commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de danger pour Mme Rivers dans l’exécution de ses fonctions le 14 mars 2005, lorsqu’elle a exercé son droit de refuser de travailler dans un aéronef A321 dont l’un des appareils de protection respiratoire était brisé.

Arguments des parties

[9] Les parties ont soumis un exposé conjoint des faits à partir de la preuve présentée à l’audience précédente. Ces faits feront partie du dossier de cet appel. De plus, les parties ont convenu que l’enquête de l’Ag.SST Gass n’est pas pertinente, parce que les deux parties ont présenté beaucoup plus de preuves pendant cette audience que ce que l’Ag.SST Gass avait à examiner.

Arguments de l’appelante

[10] La preuve de l’appelante comprenait le témoignage de trois témoins :

  • Mme Rehab Rivers, l’appelante;
  • M. Douglas Walkinshaw, témoin expert;
  • Le Dr. Bruce McGoveran, témoin expert.

[11] Mme Rivers a déclaré qu’elle a eu l’occasion d’examiner l’exposé conjoint des faits et qu’elle était d’accord avec tous les énoncés qui s’y trouvent. Elle a témoigné sur les sujets suivants :

  • son travail et la formation suivie chez l’employeur;
  • ses obligations qui comprenaient les procédures et les politiques à respecter;
  • les circonstances de son vol du 17 juillet 2004, au cours duquel elle a subi des symptômes qu’elle a imputé à l’appareil de protection respiratoire brisé dans l’aéronef A321;
  • les circonstances le jour de son refus le 14 mars 2005;
  • sa condition physique et son état de santé en général le jour de son refus de travailler et les jours ultérieurs.

[12] M. Walkinshaw est un ingénieur et un spécialiste de la qualité de l’air intérieur. À titre de témoin, il a exprimé son avis sur l’effet qu’a un aéronef A321 dont un appareil de protection respiratoire est brisé sur l’aération de la cabine et sur l’effet de la réduction de l’aération sur les niveaux de contaminant. Il n’a pris aucune mesure dans l’aéronef. Il a étudié les données fournies par le fabricant et ses propres données ainsi que les rapports connexes d’aéronefs Airbus et d’autres aéronefs.

[13] Le Dr. McGoveran est un médecin spécialisé en médecine du travail. À titre de témoin, il a exprimé son avis sur le fondement médical de l’établissement d’une attente raisonnable selon laquelle la défaillance d’un appareil de protection respiratoire peut occasionner des symptômes et sur la question de savoir si les symptômes constituaient une maladie et augmentaient la probabilité de blessure.

[14] L’appelante prétendait qu’il s’agissait de déterminer si un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321 constituait un danger au sens du Code.

[15] M. Robbins a fait valoir qu’il existe des preuves scientifiques objectives qui expliquent le phénomène vécu par Mme Rivers le 17 juillet 2004, à savoir qu’un appareil de protection respiratoire brisé entraînerait la maladie et augmenterait la probabilité de blessure. Les effets d’un appareil de protection respiratoire brisé sont les suivants :

  • le taux de ventilation à l’air frais est ramené sous la norme minimale;
  • il réduit considérablement la capacité du système de refroidissement de l’air de l’aéronef;
  • la réduction du taux de ventilation fait augmenter le niveau des contaminants gazeux, les composés organiques volatilsFootnote 2  (COV);
  • le témoignage d’expert en médecine révélait qu’un environnement intérieur mal ventilé peut rendre des gens malades dans un aéronef.

[16] M. Robbins a soutenu qu’il existe sans doute des vols dont les appareils de protection respiratoire brisés n’ont pas donné lieu à des symptômes signalés, y compris le vol du 14 mars 2005 sur lequel Mme Rivers a refusé de travailler. Néanmoins, il a déclaré qu’il a été établi que la définition d’un environnement dangereux aux termes du Code ne doit pas nécessairement résulter en un préjudice lors de chaque exposition.

[17] En outre, M. Robbins a fait valoir que divers facteurs peuvent atténuer les effets d’un appareil de protection respiratoire brisé, dont le type d’avion, la longueur du vol, la capacité en passagers, et la température terrestre au départ. Il a déclaré qu’il ne fait aucun doute qu’un appareil de protection respiratoire brisé dans un A321 fera diminuer de manière draconienne le taux de ventilation à l’air frais, augmenter les niveaux de contaminants et donc, accroître le risque de maladie lié au taux de ventilation réduit.

[18] Dans la présente affaire, M. Robbins a fait valoir qu’il existe un lien incontesté entre les appareils de protection respiratoire brisés et la dégradation de la qualité de l’air tant du point de vue de la ventilation que de la température. Il a déclaré qu’il existe un lien non contesté entre la réduction de la ventilation et la hausse des niveaux de contaminants. En outre, il existe des témoignages d’experts en médecine et de la documentation médicale établie selon lesquels des niveaux de ventilation réduits entraînent des symptômes comme des maux de tête, de la fatigue, des étourdissements et une perte de coordination.

[19] Enfin, M. Robbins soutient qu’il n’existe pas d’autre explication crédible des symptômes subis par Mme Rivers et d’autres personnes pendant le vol du 17 juillet 2004. Il a déclaré que les preuves existantes suffisent largement pour conclure sur la base de déductions faites à partir de l’examen des vols antérieurs et des avis d’expert que les appareils de protection respiratoire brisés causent ces symptômes au sens de la définition de « danger ».

Arguments de l’intimée

[20] La preuve de l’intimée comprenait le témoignage de deux personnes :

  • M. C. Drennan, gestionnaire de la maintenance de la flotte Airbus à couloir unique de Air Canada;
  • le Dr. Claude Thibeault, témoin expert.

[21] M. Drennan a témoigné au sujet des renseignements techniques généraux concernant la flotte de l’aéronef Airbus de l’employeur. Il a également fait un témoignage concernant le processus et les procédures de maintenance et les réparations liées à l’aéronef A321 en général, et plus particulièrement en ce qui a trait aux appareils de protection respiratoire brisés. Il a expliqué que les rapports de réparation touchaient les appareils de protection respiratoire brisés des aéronefs impliqués dans les incidents du 17 juillet 2004 et du 14 mars 2005.

[22] Le Dr. Thibeault est un médecin qui fait carrière depuis longtemps dans le domaine de l’aviation et de la médecine aérospatiale dans l’industrie de l’aviation et des lignes aériennes. Il a livré un témoignage d’opinion sur la relation entre un appareil de protection respiratoire brisé et les symptômes décrits par Mme Rivers et sur la question de savoir si le fait de voler avec un appareil de protection respiratoire brisé dans l’avenir entraînerait des symptômes semblables ou similaires à ceux qui ont été déclarés le 17 juillet 2004.

[23] L’intimée a fait valoir que la preuve indiquait clairement que la qualité de l’air dans la cabine n’est pas déterminée uniquement par la ventilation. Elle est plutôt déterminée par une interaction complexe de nombreux facteurs, dont la ventilation, la pressurisation, les contaminants, l’humidité et la température. Compte tenu de cette complexité, il est impossible de déterminer si le taux de ventilation réduit qui était associé à l’opération du vol du 17 juillet 2004 avec un appareil de protection respiratoire brisé avait entraîné les symptômes décrits par Mme Rivers.

[24] En se fondant sur toute la preuve disponible, Mme Shirreff a fait valoir qu’il est impossible de vérifier, avec quelque degré de certitude que ce soit, ce qui a mené aux symptômes mentionnés par Mme Rivers pendant le vol de juillet 2004. Même si l’on doit présumer qu’il y avait exposition, ce qui suit n’est pas connu :

  • le type précis de COV et leur niveau de concentration pendant le vol;
  • la concentration du total des COV pendant le vol;
  • la question de savoir si l’on s’attendrait généralement à ce que le type et la concentration des COV du total des COV actuellement présents causeraient le type de symptômes déclarés par Mme Rivers;
  • dans l’affirmative, l’importance relative du fonctionnement avec un appareil de protection respiratoire brisé dans les circonstances.

[25] Mme Shirreff a fait valoir que l’analyse est compliquée car il n’existe pas de moyen d’affirmer si les différentes personnes à bord ont pu subir des symptômes non spécifiques similaires pour diverses raisons non liées à la qualité de l’air en cabine. Elle a déclaré que la preuve révélait que les symptômes généraux rapportés par Mme Rivers en regard du vol de juillet 2004 peuvent être attribués à diverses causes courantes autres que la qualité de l’air, dont : les troubles médicaux sous-jacents; la consommation de médicaments, la fatigue, le stress, la sensibilité au bruit, la déshydratation et, dans le cas des passagers, la sensibilité au mal des transports.

[26] De plus, Mme Shirreff a soutenu que l’analyse est également compliquée puisque, comme l’expliquait le Dr. Thibeault, l’équipage de la cabine et les passagers se plaignent souvent de symptômes non spécifiques comme des maux de tête, de la fatigue, des nausées et des étourdissements au cours de vols normaux effectués avec deux appareils de protection respiratoire et que ce phénomène ne s’explique pas facilement.

[27] Compte tenu de l’ensemble de la preuve pertinente en appel, Mme Shirreff a soutenu qu’il est déraisonnable de conclure que le fait d’opérer un aéronef A321 le 14 mars 2005 avec un appareil de protection respiratoire brisé aurait exposé Mme Rivers à un « danger » ou que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le fait d’opérer un appareil de protection respiratoire brisé puisse causer une blessure ou une maladie à un membre de l’équipage.

[28] Mme Shirreff a fait valoir qu’en l’absence de preuves objectives et convaincantes que les symptômes non spécifiques déclarés par Mme Rivers sur le vol du 17 juillet 2004 auraient raisonnablement pu provenir de l’appareil de protection respiratoire brisé, la préoccupation de l’appelante selon laquelle le fait de voler avec un appareil de protection respiratoire brisé le 14 mars 2005 constituait un danger pour la santé de Mme Rivers ne peut être considérée que comme spéculative ou, au mieux, comme une « simple possibilité ».

[29] Enfin, même s’il n’existait qu’une « simple possibilité » ou un risque que des symptômes similaires à ceux qui étaient décrits par Mme Rivers aient pu être présents sur le vol du 14 mars 2005 ou, de fait, que de tels symptômes aient pu être présents sur quelque vol que ce soit avec un appareil de protection respiratoire brisé, Mme Shirreff a fait valoir que cela ne suffit pas à respecter la norme plus élevée que le Code exige pour conclure à l’existence d’un « danger ».

Analyse

[30] Je dois déterminer s’il existait ou non un danger pour Mme Rivers d’exécuter ses fonctions comme chef de cabine dans un aéronef A321 muni d’un appareil de protection respiratoire brisé le 14 mars 2005.

[31] Le terme « danger » qui est défini par le paragraphe 122(1) du Code se lit commesuit :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [.];
[C’est nous qui soulignons.]

[32] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans Martin c. Canada (Procureur général)Footnote 3 ,Footnote 4  et dans Verville c. Canada (Services correctionnels)Footnote 5  ont établi que pour conclure à l’existence d’un « danger », les éléments qui suivent s’appliquent :

  • Il est clair selon la nouvelle définition de « danger » au Code que peut constituer un danger une situation, une tâche ou un risque éventuel. Cela veut dire qu’un agent de sécurité n’a pas à se restreindre à la situation immédiate au moment de l’enquête en vue d’établir s’il existait ou non un « danger » au sens du Code.
  • Le « danger » ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu'on cherche à déterminer si l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l'avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s'attendre à l'avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu'affirme le demandeur se produise plus tard.
  • Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le danger, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est raisonnablement susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité.
  • Lorsque l’on cherche à déterminer si une situation peut raisonnablement causer une blessure ou une maladie, une attente raisonnable pourrait être basée sur des avis d’experts; elle pourrait même être établie au moyen d’une déduction tirée logiquement ou raisonnablement de faits connus.

1) Dans quelles circonstances un appareil de protection respiratoire brisé se trouvant dans un aéronef A321 serait-il raisonnablement susceptible de causer une blessure ou une maladie à Mme Rivers?

[33] Il peut y avoir un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321 pendant que l’aéronef fonctionne au sol avant le départ ou après le décollage, pendant le vol. Mme Rivers a refusé de travailler en mars 2005 parce qu’elle savait que l’appareil de protection respiratoire était brisé avant le départ, ce qui est la même condition qu’en juillet 2004. Par conséquent, je mettrai l’accent sur la condition en me concentrant sur le fait qu’elle était présente lorsque l’aéronef était au sol avant le départ.

a) Quels sont les effets d’un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321, en particulier lorsqu’il est au sol avant le départ?

[34] M. Drennan a témoigné qu’en tout temps, il y aurait un ou deux aéronefs dans la flotte des Airbus à couloir unique à des fins de réparation de ce type de défaillance d’un appareil de protection respiratoire survenue sur l’aéronef en litige en juillet 2004 et en mars 2005. Il a déclaré que, parmi les quatre-vingt-cinq aéronefs de la flotte des Airbus à couloir uniqueFootnote 6  en exploitation, on pouvait vraisemblablement s’attendre à ce qu’au moins un aéronef dont l’un des appareils de protection respiratoire est brisé soit en exploitation. Il a déclaré que la plupart des appareils de protection respiratoire se brisent pendant le vol plutôt qu’au sol, avant le départ.

[35] Aucune mesure des taux de ventilation ou des contaminants n’a été prise par quiconque de l’un ou l’autre des aéronefs A321 de la flotte de l’employeur dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire. Je retiens le témoignage d’expert de M. Walkinshaw, auquel j’accorde de la force probante. M. Walkinshaw a été le seul témoin à me donner un avis technique sur les effets d’un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321. L’avis de M. Walkinshaw repose sur le matériel sur lequel il s’est penché, qui comprenait ses propres études, le rapport du BREFootnote 7  et une étude réalisée par Airbus (Dechow)Footnote 8 .

[36] M. Walkinshaw a expliqué que l’absence de deux appareils de protection respiratoire entièrement fonctionnels a pour effet une dégradation physique de la qualité de l’air dans la cabine de l’aéronef causée par une réduction de la capacité de refroidissement de l’air de la cabine et par une réduction du taux de ventilation. Je suis convaincu par son analyse de la condition présente le 17 juillet 2004 et le 14 mars 2005 qu’un appareil de protection respiratoire brisé diminue considérablement le taux de ventilation.

[37] D’après le témoignage de M. Walkinshaw, le changement dans le taux de ventilation constituait le facteur le plus important. Son étude révélait qu’un appareil de protection respiratoire brisé entraînerait une augmentation des contaminants gazeux dans la cabine de l’aéronef. Il a identifié divers contaminants présents dans les cabines de l’aéronef et à son avis, ce sont les COV qui sont les contaminants gazeux les plus importants non filtrés par les filtres HEPAFootnote 9  dans l’aéronef A321.

[38] M. Walkinshaw a établi en théorie qu’une source importante de COV se trouve dans l’enveloppe de la cabine de l’aéronefFootnote 10 . Il a affirmé que les bioeffluents humains représentent une autre source importante de COV et qu’en raison de la densité d’occupation élevée dans un aéronef, l’exposition aux bioeffluents dans la cabine est beaucoup plus élevée que celle que l’on trouve au sol, comme dans des salles de cours ou dans les bureaux se trouvant dans des immeubles.

[39] Il n’était pas contesté dans la présente affaire que la ventilation dilue et supprime les contaminants dans l’air, ni que la réduction de la ventilation ne peut être corrigée ou altérée au cours de l’exposition qui survient pendant un vol.

[40] Je peux conclure du témoignage de M. Walkinshaw que la contamination par les COVaugmente avec la température parce que les COV sont volatils; en conséquence, ils font augmenter leur émission d’effluents gazeux, c’est-à-dire le transfert des surfaces à l’air lorsque la température est plus élevée. De plus, je conclus que la température est également importante du point de vue de la production de COV par les humains, en ce sens qu’un occupant plus chaud produira plus de COV.

[41] En conséquence, je suis convaincu qu’un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321 peut créer un environnement dans la cabine au sol qui persiste pendant le vol et qui sera constitué de ce qui suit :

  • des taux de ventilation réduits;
  • une température de cabine accrue;
  • une augmentation des émissions d’effluents gazeux de COV et d’autres contaminants.

[42] En outre, je retiens du témoignage non contesté de M. Walkinshaw que l’environnement dans la cabine avant le départ qui a été causé par un appareil de protection respiratoire brisé peu découler de divers facteurs contributifs tels que lessuivants :

  • si la température est plus chaude qu’elle l’était le 17 juillet 2004, il en découlera une augmentation de la volatilité des COV et de l’émission d’effluents gazeux dans la cabine;
  • si la température est plus chaude qu’elle l’était le 17 juillet 2004, il en découlera une prolongation de la période pendant laquelle l’aéronef est imprégné de froid et la période pendant laquelle la production de COV et d’autres contaminants liés à l’humidité dans l’enveloppe se produit;
  • la période pendant laquelle l’aéronef opère avec un appareil de protection respiratoire brisé a un effet sur la qualité de l’air; plus cette période se prolonge, plus la condition empire. En l’espèce, l’effet a été plus marqué sur le vol de juillet 2004, parce que la période susmentionnée était plus longue que celle de l’aéronef de mars 2005.

[43] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu, d’après le témoignage de M.Walkinshaw, que la température au sol avant le départ avec un appareil de protection respiratoire brisé a un impact important dans la cabine; impact qui se poursuivra pendant le vol. La température plus chaude au départ peut créer un environnement plus dangereux dans la cabine de l’aéronef. En conséquence, la température chaude au départ, comme c’était le cas pour le vol de juillet 2004, aurait les effets suivants dansla cabine :

  • l’augmentation de l’émission d’effluents gazeux de COV;
  • le prolongement de la période pendant laquelle l’aéronef est imprégné de froid et l’augmentation de la production de COV et d’autres contaminants;
  • la réduction de la qualité de l’air en raison de la période pendant laquelle l’aéronef a fonctionné avec un appareil de protection respiratoire brisé.

b) Existe-t-il une attente raisonnable qu’un appareil de protection respiratoire brisé puisse causer une blessure ou une maladie à Mme Rivers dans les circonstances ci-après?

  • taux de ventilation réduit
  • augmentation de la température dans la cabine
  • augmentation de l’émission d’effluents gazeux de COV et d’autres contaminants.

[44] Relativement à cette question, je prendrai en considération le témoignage duDr.McGoveran et du Dr. Thibeault. Je me concentrerai également sur l’incident ayant impliqué Mme Rivers qui est survenu pendant le vol de juillet 2004 et sur l’incident du vol de mars 2005, soit le jour du refus.

[45] J’ai reçu des avis médicaux contraires de l’expert de l’appelante, le Dr. McGoveranet de l’expert de l’intimée, le Dr.Thibeault, sur la question de savoir si un appareil de protection respiratoire brisé a été la cause ou non des symptômes subis par Mme Rivers le 17 juillet 2004 et si cela pourrait se reproduire ou non dans l’avenir.

[46] Les deux experts conviennent qu’une constellation de symptômes comme celle décrite par Mme Rivers constitue une maladie. Toutefois, ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’appareil de protection respiratoire brisé dans l’aéronef A321 sur le vol de juillet 2004 aurait pu entraîner les symptômes décrits par Mme Rivers et s’il était probable que la condition éventuelle puisse entraîner des symptômes similaires dans l’avenir.

[47] Le Dr. McGoveran était d’avis qu’il était raisonnablement probable que les symptômes subis par Mme Rivers, constitués de maux de tête, d’étourdissements, de fatigue, de perte de coordination et le symptôme secondaire de nausées résultant du vol du 17 juillet 2004 aient résulté de l’appareil de protection respiratoire brisé.

[48] En outre, le Dr. McGoveran estimait que, dans des circonstances similaires à celles du vol de juillet 2004 ou excédant celles-ci, il était raisonnablement probable que les symptômes rapportés par Mme Rivers se reproduiraient. Il a précisé que les circonstances dont il a fait mention étaient l’appareil de protection respiratoire brisé et les conditions environnementales extérieures qui prévalent, soit essentiellement une journée humide et chaude.

[49] D’un autre côté, le Dr. Thibeault était d’avis qu‘on ne peut pas conclure que l’appareil de protection respiratoire défaillant ait entraîné les symptômes décrits parMme Rivers et qu‘on ne peut pas non plus conclure qu’à l’avenir, le fait de voler avec un appareil de protection respiratoire brisé entraînerait des symptômes semblables ou similaires à ceux qui ont été déclarés par Mme Rivers en juillet 2004.

[50] Le Dr. Thibeault était d’avis que l’incident de juillet 2004 a marqué le seul moment significatif pour le présent appel où le type de symptômes décrits par Mme Rivers a été rapporté en lien avec un vol muni d’un appareil de protection respiratoire brisé. Il a témoigné que l’équipage et les passagers présentent souvent les mêmes symptômes généraux que ceux qui étaient décrits par Mme Rivers lors des vols sans appareils de protection respiratoire brisés et que ce phénomène n’a été nullement expliqué.

[51] En ce qui concerne la question de la preuve médicale, je préfère celle qui a été donnée par le Dr. McGoveran à celle qui a été fournie par le Dr.Thibeault pour les motifs suivants :

  • Le Dr. McGoveran est un spécialiste de la médecine du travail.
  • Son avis repose sur un raisonnement compatible avec des études types sur la médecine du travail sur le lien entre une exposition et un résultat.
  • Il a tenu compte de toutes les données disponibles.

[52] Je retiens le témoignage du Dr. McGoveran selon lequel, pendant le vol du 17 juillet 2004, Mme Rivers a subi une maladie découlant de la « constellation de symptômes qui présentait des aspects compatibles avec une blessure ». Il a déclaré qu’une maladie est une constellation de symptômes et de signes et que le terme blessure s’applique lorsqu’un traumatisme survient. Après avoir éliminé toutes les autres explications des symptômes de Mme Rivers, il a qualifié la maladie dont elle souffrait de [traduction] « réponse de type irritant à une exposition complexe en milieu de travail, surtout chimique ».

[53] Les facteurs d’exposition attribués par le Dr. McGoveran à l’appareil de protection respiratoire défaillant dans l’aéronef A321 étaient les suivants :

  • un taux de ventilation faible, en particulier en air frais;
  • la présence de composés organiques volatils (COV);
  • une température ambiante plus élevée menant à un niveau plus élevé de COV.

[54] Je retiens du témoignage du Dr. McGoveran, qui est similaire à celui de M.Walkinshaw, que l’impact de la température froide et la période plus courte pendant laquelle l’appareil de protection respiratoire était brisé durant le vol du 14 mars 2005 aurait une incidence sur les deux principaux facteurs d’exposition, soit la température de la cabine et les niveaux de COV qui, de l’avis du Dr. McGoveran, étaient raisonnablement susceptibles de mener aux symptômes signalés par Mme Rivers pendant le vol du 17 juillet 2004.

[55] Je conclus qu’un appareil de protection respiratoire brisé dans un aéronef A321 a, en lui-même, un impact négatif sur la température de la cabine, sur le taux de ventilation et sur l’émission d’effluents gazeux de COV. En outre, en me fondant sur les témoignages deM. Walkinshaw et du Dr. McGoveran, je conclus que la température au sol au départ a une influence majeure sur l’environnement de la cabine lors de tout vol avec un appareil de protection respiratoire brisé. Comme l’ont dit les experts, lorsque la température extérieure est chaude, l’intérieur de la cabine se réchauffe également. La température extérieure chaude conserve la température de la cabine élevée au sol et dans l’air, ce qui fait augmenter l’émission d’effluents gazeux de COV et autres contaminants.

[56] Par conséquent, le témoignage présenté par les experts me convainc que les symptômes subis par Mme Rivers pendant le vol de juillet 2004 pouvaient raisonnablement avoir résulté des conditions environnementales dans la cabine en raison de l’appareil de protection respiratoire défaillant.

[57] Toutefois, je comprends également de la preuve que ces symptômes sont susceptibles de se reproduire seulement dans un environnement similaire ou excédent celui du 17 juillet 2004, à savoir, lors une journée essentiellement chaude et humide. En conséquence, bien que les circonstances qui ont causé une blessure et une maladie à Mme Rivers pendant le vol de juillet 2004 aient été similaires aux circonstances du vol de mars 2005, un facteur important n’était pas présent le jour du refus. Le facteur absent, c’était que la température extérieure au départ différait considérablement.

[58] La température au sol avant le départ constitue un facteur important, parce qu’elle exerce un impact sur les deux facteurs d’exposition qui, au dire de l’expert de l’appelante, auraient raisonnablement pu causer les symptômes subis par Mme Riverspendant le vol de juillet 2004. Les facteurs d’exposition mentionnés sont :

  • la température dans la cabine;
  • les niveaux de COV.

[59] La température mentionnée dans l’exposé conjoint des faits pour la date du 17 juillet 2004 indiquait que la température au sol à l’aéroport se situait à mi-chemin de l’échelle des vingt degrés Celsius au milieu de la matinée tandis que la température au sol le 14 mars 2005 était sous le point de congélation toute la journée.

[60] Finalement, compte tenu du fait que le témoignage d’expert m’a convaincu que les conditions environnementales extérieures au sol exercent un impact majeur sur l’environnement de la cabine, je ne peux conclure qu’un appareil de protection respiratoire brisé sur le vol de mars 2005 aurait raisonnablement pu causer une blessure ou une maladie à Mme Rivers.

Conclusion

[61] Conformément au paragraphe 146.1(1) du Code, ma compétence législative se limite à prendre une décision qui repose sur les circonstances existantes au moment du refus de travailler afin de déterminer si l’Ag.SST en est arrivé à la décision correcte.

[62] Par conséquent, compte tenu du fait que les circonstances particulières qui doivent être présentes pour qu’il existe un danger n’étaient pas présentes, ce qui inclut les conditions environnementales extérieures, je n’ai d’autre choix que de conclure queMme Rivers n’était pas exposée à un danger le jour où elle a exercé son droit de refuser un travail dangereux.

[63] Il est clair que le temps chaud et humide reviendra et il est probable qu’il y aura alors un aéronef A321 avec un appareil de protection respiratoire brisé au sol quelque part au Canada ou dans d’autres pays étrangers où se rend Air Canada. En conséquence, j’incite fortement l’employeur à prendre les mesures qui sont prescrites dans le Code et dans la réglementation pour protéger les employés et les passagers de l’aéronef dans de telles circonstances.

[64] Nonobstant les témoignages d’expert qui ont été donnés en l’espèce, je crois que les données factuelles et les analyses étaient insuffisantes. Il est énoncé dans le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (aéronefs), à l’article 5.3, que s’il est probable que la sécurité ou la santé d’un employé d’aéronef soit ou puisse être mise en péril par l’exposition à une substance dangereuse, l’employeur doit nommer une personne compétente et réaliser une enquête.

[65] Ceci étant dit, je crois qu’une enquête effectuée par une personne compétente accompagnée d’un rapport faisant état des conclusions fournirait des renseignements primordiaux et contribuerait à la prise de mesures préventives adéquates pour régler la question de l’environnement dangereux créé dans certaines circonstances par la condition qui est en litige dans cet appel. Ce genre d’enquête permet également de consulter le comité ou le représentant local de santé et de sécurité, ce qui donne aux employés une occasion de participer au processus.

Décision

[66] Pour tous les motifs qui précèdent, je confirme par la présente la décision d’absence de danger, qui a été rendue par l’Ag.SST Gass le 16 mars 2005.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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