Lettre du directeur

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
19e étage, 269, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0P8

Cher Ministre,

Veuillez accepter mes félicitations pour votre récente nomination. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est dévoué à protéger le Canada et les Canadiens, et je tiens à vous assurer de son engagement à vous soutenir dans l’exercice de vos fonctions. Par la présente, je vous écris afin de vous fournir un aperçu général du contexte de la menace et à vous faire part d’autres considérations importantes et pertinentes pour le Service. Je serai également heureux de vous fournir des exposés classifiés et détaillés sur la diversité et la complexité des menaces auxquelles le Canada fait face.

Depuis sa création en 1984, le SCRS est investi de la responsabilité d’enquêter sur les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale du Canada, de les analyser et de conseiller le gouvernement à cet égard. À titre de ministre, vous donnez des instructions au Service et avez des responsabilités spécifiques dans la Loi sur le SCRS concernant l’autorisation de certaines activités. Ces responsabilités incluent l’approbation des demandes de mandat soumises à la Cour fédérale, l’approbation des ententes avec des partenaires domestiques et étrangers ainsi que le consentement à ce que le Service collecte du renseignement étranger suite à une demande du ministre des Affaires étrangères ou de la Défense nationale.

En tant que membre essentiel de la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement, les activités opérationnelles du SCRS sont guidées par les priorités en matière de renseignement établies par le Cabinet et qui sont par la suite raffinées par les instructions que vous donnez au Service. Bien que les menaces générales sur lesquelles nous devons enquêter – l’espionnage, les activités influencées par l’étranger, le terrorisme et la subversion – demeurent les mêmes, les acteurs de menaces ainsi que le contexte dans lequel nous fonctionnons ont considérablement changé.

Le contexte actuel de la menace est de plus en plus complexe, diversifié et mondial. Le terrorisme demeure la plus grande menace pour la sécurité publique et la sécurité nationale, mais sa portée varie, allant de groupes liés à Daech ou à al-Qaïda à des groupes ou des individus qui ont recours à la violence pour défendre ou appuyer différentes causes fondées sur des considérations politiques, raciales ou idéologiques. Une montée de la haine et de l’intolérance au Canada et dans d’autres démocraties occidentales peut alimenter une telle violence. En parallèle, les voyageurs extrémistes canadiens, y compris ceux qui cherchent à revenir de l’étranger, suscitent toujours diverses préoccupations de sécurité nationale pour le Canada.

En tant que démocratie libre jouissant d’une économie développée, le Canada a toujours été la cible d’États hostiles cherchant à acquérir des informations et des renseignements ainsi qu’à exercer une influence afin de satisfaire leurs propres intérêts. Les activités hostiles commises par des acteurs étatiques représentent des menaces stratégiques à long terme pour les intérêts canadiens et incluent des activités qui nuisent aux avantages économiques, industriels, militaires et technologiques du Canada. Des pays mènent des activités d’espionnage qui mettent en péril l’économie du savoir du Canada, la prospérité future et la sécurité nationale. Les acteurs étatiques ciblent également la structure même de la société multiculturelle canadienne en cherchant à influencer des communautés, y compris par des menaces.

Les menaces à la sécurité nationale auxquelles fait face le Canada ont été exacerbées par la mondialisation ainsi que par l’utilisation de l’Internet et des médias sociaux. La disponibilité de cyberoutils bon marché et faciles d’accès permet à des acteurs hostiles d’entreprendre des cyberopérations difficiles à imputer à un acteur en particulier. Le volume et la diversité considérable des communications numériques, des mesures de sécurité opérationnelles conçues pour éviter toute détection et d’autres progrès technologiques mettent à rude épreuve la capacité du Service à recueillir des renseignements.

Les menaces envers la sécurité du Canada ne connaissent aucune limite géographique. Les technologies et la facilité de voyager permettent aux acteurs de menaces d’opérer mondialement, et le Canada a des intérêts à travers le monde. Par conséquent, le SCRS collabore étroitement avec ses partenaires canadiens et étrangers pour contrer ces menaces. Le SCRS est non seulement présent à travers le Canada, mais aussi dans des endroits clés à l’étranger. Les agents du SCRS en poste à l’étranger font de la collecte et, au besoin, communiquent à des partenaires étrangers des informations reliées aux menaces envers le Canada, ses intérêts ou ses alliés. Grâce à la coopération avec des agences étrangères, dont les partenaires traditionnels du Groupe des cinq, le SCRS a accès à des informations en temps opportun sur des menaces qui ont un lien avec le Canada. Ainsi, le Service (et, par le fait même, le gouvernement du Canada) obtient des informations qu’il n’aurait peut-être pas autrement.

Contrairement à plusieurs acteurs hostiles, le SCRS évolue dans une démocratie gouvernée par la primauté du droit. Dans l’exercice de nos fonctions, il est essentiel que le SCRS protège les droits des Canadiens. Pour le Service, cela implique le respect de la Charte canadienne des droits et libertés, des lois du Canada, des instructions du ministre ainsi que des politiques et procédures du SCRS. Pour mener certaines activités, le Service doit également obtenir une autorisation judiciaire. Par exemple, le SCRS doit demander un mandat de la Cour fédérale lorsqu’il souhaite employer des techniques de collecte plus intrusives et prendre certaines mesures pour réduire la menace. Ces demandes sont assujetties à votre approbation avant qu’elles ne soient soumises.

Dans ses interactions avec la Cour, le SCRS reconnaît l’importance de son obligation de communiquer les informations de manière complète, équitable et franche. Le Service continue de prendre des mesures pour démontrer son engagement à faire preuve de franchise. À cet effet, le SCRS tient des séances d’information techniques sur une base régulière pour la Cour, communique de façon proactive des informations sur la conformité et applique rigoureusement le protocole sur l’obligation de franchise avec le ministère de la Justice. Le SCRS reconnait que la franchise envers la Cour fédérale est d’une importance capitale et qu’il y a encore du travail à accomplir pour respecter pleinement ses obligations à cet égard.

Pour rendre des comptes à vous-même ainsi qu’aux Canadiens, le SCRS collabore directement avec le ministère de la Sécurité publique de diverses façons. À titre d’exemple, une instruction du ministre sur la reddition de comptes émise en septembre 2019 impose clairement l’obligation de vous informer, ainsi que votre sous-ministre, de certains enjeux et de vous informer avant de mener des activités opérationnelles à risque élevé. Le Service collabore activement avec Sécurité publique pour mettre en oeuvre cette instruction, reconnaissant son importance pour s’assurer que les Canadiens soient confiants que le Service est imputable au Parlement et au public. À l’interne, le SCRS a également mis en place un cadre de conformité opérationnel et a investi de manière considérable dans les technologies et la gouvernance pour faire en sorte que la conformité fasse partie intégrante de notre culture organisationnelle. Un cadre de conformité robuste aidera le SCRS à démontrer à la Cour fédérale, au gouvernement du Canada et aux Canadiens que nous accordons une importance primordiale au respect de la loi.

Conserver et accroître la confiance du public constitue un objectif clé du Service. En nouant le dialogue avec les Canadiens, en les informant au sujet des menaces auxquelles le pays fait face et en leur expliquant comment nous travaillons, le Service contribue à faire des Canadiens ses partenaires dans la protection du Canada face à ces menaces. C’est un dialogue important qui profite à tous. Les Canadiens ont clairement signifié qu’ils s’attendent à plus de transparence de la communauté de la sécurité et du renseignement. Bien que le secret soit essentiel à ses activités, le SCRS est déterminé à mieux informer le public, notamment en misant sur l’engagement avec des communautés et des parties concernées à travers Canada. Le rapport public du SCRS est l’un de ses principaux outils de communication avec le Parlement, les intervenants, les médias et le public concernant ses priorités et ses activités.

Comme le contexte de la menace, le contexte opérationnel dans lequel évolue le SCRS a changé. L’évolution du contexte de la menace, des opérations, de la technologie et des aspects juridiques entraîne des défis pour une loi rédigée il y a plus de trois décennies. Les premiers amendements pour moderniser la Loi sur le SCRS depuis la création du Service ont été apportés en 2015 pour confirmer certains pouvoirs et renforcer les mesures de protection de l’identité des sources humaines et des employés du SCRS. D’autres amendements contenus dans la Loi antiterroriste de 2015 ont conféré au SCRS le mandat de prendre des mesures afin de réduire les menaces à la sécurité du Canada.

L’entrée en vigueur, en 2019, de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale a également apportée des changements importants à la Loi sur le SCRS. Les amendements autorisent clairement des activités opérationnelles menées depuis longtemps et permettent l’utilisation de techniques d’enquête appropriées pour le XXIe siècle, permettant au SCRS de s’acquitter efficacement de ses fonctions dans un context opérationnel difficile. En particulier, ces amendements justifient dans une certaine mesure la commission, par le SCRS, d’actes ou d’omissions qui constitueraient par ailleurs des infractions aux lois canadiennes afin d’assurer que nous puissions exercer notre mandat de recueillir des renseignements dans un contexte où les menaces sont complexes. De surcroit, les amendements confèrent clairement au SCRS le pouvoir d’obtenir, de conserver et d’exploiter des ensembles de données pour procéder à des analyses à l’appui de ses responsabilités et fonctions. Ceci permet au Service d’établir des liens et de déceler des tendances qu’il serait impossible de découvrir au moyen des méthodes d’enquête traditionnelles.

Des mesures de protection robustes concernant ces modifications ont été prévues dans la loi afin d’assurer la protection des droits et libertés des Canadiens, y compris ceux reliés à leurs renseignements personnels. Ces mesures incluent une responsabilité accrue pour le ministre. Vous devez, au moins une fois l’an, déterminer les catégories d’ensembles de données canadiens que le Service est autorisé à recueillir, déterminer les catégories d’actes ou d’omissions qui constitueraient par ailleurs une infraction, et designer les employés qui pourraient être autorisés à commettre un acte ou une omission ou à en ordonner la commission à une autre personne lorsque jugé raisonnable.

Le Service a pris d’importantes mesures pour assurer la conformité avec la nouvelle loi dès son entrée en vigueur. Il a entre autres mesures élaboré un cadre de gouvernance rigoureux et fournit de la formation. Le SCRS collabore avec les nouveaux organes de surveillance, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et le bureau du commissaire au renseignement, pour s’assurer que les exigences liées à ces organes soient satisfaites.

Le SCRS collabore également avec le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement dans le cadre de ses examens. Le maintien de relations de travail efficaces et constructives avec les organes d’examen et de surveillance en matière de sécurité nationale est une priorité, car nous savons qu’ils contribuent à l’amélioration continue de notre travail.

En dépit des récentes modifications législatives, il reste du travail à accomplir pour doter le Service des pouvoirs et des outils nécessaires pour répondre aux attentes croissantes du gouvernement et des Canadiens. L’expertise du SCRS est sollicitée par de nouveaux intervenants et afin d’appuyer un vaste éventail de priorités et de programmes gouvernementaux. Les avancées technologiques ont créées des opportunités pour la collecte de renseignements, mais elles font également surgir de nouveaux défis avec une loi qui prend de l’âge. L’information est de plus en plus conservée à l’étranger ou est encryptée dans un format difficile à utiliser aux premiers abords. La jurisprudence, notamment l’évolution des obligations en matière de protection des renseignements personnels, a également eu un impact sur les opérations du SCRS. Ces développements engendrent des défis pour une loi qui a été rédigée il y a 35 ans, limitant la capacité du SCRS de s’acquitter de son mandat.

S’assurer que le SCRS puisse conseiller ses partenaires et fournir des renseignements pour appuyer le processus décisionnel tout en évitant la divulgation d’informations préjudiciables concernant ses méthodes, techniques et sources demeure toujours un défi. Les renseignements du SCRS peuvent informer diverses décisions prises par des partenaires du gouvernement du Canada et ainsi être sujets à des obligations de divulgation dans des procédures administratives, civiles ou criminelles. La divulgation d’informations sensibles peut être préjudiciable à la sécurité nationale et causer des dommages aux relations avec les partenaires étrangers. Le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada ont entrepris de manière proactive des initiatives dans le but d’accroître la collaboration opérationnelle tout en minimisant la divulgation d’informations sensibles. En parallèle, le SCRS travaille avec les ministères de la Justice et de la Sécurité publique pour développer des options législatives et de politiques pour remédier aux dilemmes entourant l’utilisation de renseignements comme preuves. Je serai heureux de vous donner plus de détails sur le résultat de ces initiatives.

Le contexte dans lequel le SCRS évolue et les attentes envers celui-ci ont changés; le temps est idéal pour entreprendre un dialogue sur le rôle approprié de l’agence canadienne de renseignement en 2020 et pour le futur. Le SCRS a surtout besoin de pouvoirs clairement définis qui vont lui permettre de maintenir l’excellence, assurer la pertinence et préserver la confiance des Canadiens dans l’accomplissement de notre mission d’assurer la protection du Canada et des Canadiens.

Le SCRS traverse également une période de transformation interne touchant diverses priorités stratégiques. Le SCRS cherche à accroître l’efficacité de ses opérations en optimisant le cycle du renseignement. Ces efforts visent à simplifier et améliorer les processus de direction, de planification, d’analyse, de traitement et de communication des renseignements de façon à ce que les bons renseignements soient fournis au bon client, au bon moment. Dans le monde numérique d’aujourd’hui, le SCRS doit moderniser, afin de remplir son mandat, ses façons de faire pour les adapter à un environnement de plus en plus axé sur les données. À cette fin, le SCRS a récemment effectué le lancement de sa stratégie de données pour 2019-2024 qui vise à mettre à oeuvre une stratégie de données efficace et qui contient des mesures visant à doter les employés de connaissances en la matière. Essentiellement, la stratégie de données met l’accent sur la valeur du personnel du SCRS et les moyens de lui donner les compétences et le niveau de connaissances necessaire pour tirer le meilleur parti des moyens et des technologies à sa disposition.

L’accent sur nos employés est également reflété dans d’autres efforts corporatifs transformateurs. Les employés sont au coeur de ces efforts axés sur leur santé et leur bien-être, l’objectif étant pour le Service de leur offrir un milieu de travail inclusif, diversifié, sain et respectueux. Je crois sincèrement que cela est essentiel pour que le Service accomplisse sa mission et maintienne le degré d’excellence auquel les Canadiens et nous-même s’attendons. À cet égard, le SCRS a adopté une stratégie globale de gestion des personnes, dans laquelle sont énoncés les principes à suivre pour moderniser notre milieu de travail et les résultats souhaités. Cette stratégie vise à améliorer la culture de gestion du personnel, à améliorer la gestion des talents et le perfectionnement des employés, ainsi qu’à garantir un milieu de travail sain, sécuritaire et respectueux. Un aspect de cette stratégie consiste à intégrer la diversité et l’inclusion à tous les échelons. Pour être efficace, le SCRS doit comprendre le vécu des nombreuses communautés et cultures qui forment le Canada. La diversité fait non seulement partie de la culture du Service, elle est au coeur du modèle d’affaires qui nous aide à accomplir nos objectifs. La stratégie de gestion des personnes est, pour le SCRS, une base solide sur laquelle s’appuyer pour devenir une organisation qui soit excellente, pertinente et confiante.

Le SCRS a pris des mesures pour examiner ses activités opérationnelles dans cette perspective. Le SCRS s’inspire de l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) pour prendre de meilleures decisions fondées sur des données probantes afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les intervenants, ses employés et tous les Canadiens. Par exemple, le SCRS offre à tous ses nouveaux employés, superviseurs et agents chargés des entrevues une formation sur les préjugés inconscients et a établi un réseau d’ACS+ dans l’ensemble de l’organisation afin que toutes les directions et les régions aient accès à des ressources dans ce domaine, le tout sous la coordination d’un champion de l’ACS+.

Le SCRS demeure résolu à s’acquitter de sa mission de protéger le Canada et les Canadiens. Je vous invite à venir visiter l’Administration centrale du SCRS au moment qui vous conviendra pour que le Service puisse vous informer davantage, dans un environnement classifié, sur ses priorités opérationnelles, ses enquêtes, ses outils et ses techniques, et répondre à vos questions. Le Service espère instaurer une collaboration des plus fructueuses avec vous et votre personnel.

Cordialement,
David Vigneault

c.c. Monik Beauregard, sous-ministre par intérim de la Sécurité publique

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