Recherche sur la mobilisation à la violence (terrorisme) - principaux résultats

Publié : lundi 05 février 2018

Préface

La radicalisation qui mène à la violence et la mobilisation au terrorisme sont des processus complexes. À l’instar de nombreux universitairesNote de bas de page 1 , spécialistes, journalistes, politiciens et membres du grand public, des analystes du renseignement du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) se penchent sur ces questions depuis quelques années. À la suite des attentats terroristes commis à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu en 2014 et des vagues de combattants étrangers qui ont quitté le Canada pour se rendre en Syrie et en Irak, le Service a mis à jour et approfondi son analyse et sa compréhension du processus de basculement dans le terrorisme et la violence inspirée par al-Qaïda ou Daech.

Dans le présent document, le Service présente quelques conclusions de la recherche qu’il mène depuis trois ans. Ce document n’a pas pour but d’expliquer les causes du terrorisme et de la radicalisation, de recenser les mesures de prévention de ces phénomènes ou de répondre à d’autres questions du genre. Ce sont des questions importantes, mais l’objectif visé ici est plutôt d’analyser le processus de mobilisation au terrorisme. Il ne s’agit pas de comprendre pourquoi une personne se radicalise, mais plutôt comment elle bascule dans le terrorisme.

En partageant l’expertise unique en matière d’analyse de l’équipe responsable du projet des IMV, le Service contribue à l’avancement des connaissances théoriques sur les menaces que représentent les voyageurs extrémistes ou les personnes qui cherchent à commettre un attentat terroriste au Canada. Ce type d’analyse est un excellent exemple de la façon dont le Service travaille à mieux faire comprendre à la population son rôle dans la protection des intérêts liés à la sécurité nationale du Canada.  

—Michael Peirce
directeur adjoint du Renseignement

Introduction

Les extrémistes ne passent pas tous de la parole aux actesNote de bas de page 2. Bon nombre de personnes peuvent adhérer à des idées extrémistes sans jamais se livrer à des activités extrémistes. Les services de renseignement et les organismes d’application de la loi sont aux prises avec le problème de savoir comment déterminer si une personne a à la fois l’intention et la capacité de passer concrètement de la parole aux actes ou de se mobiliser à la violence.

Les indices de mobilisation à la violence, qui s’inscrivent dans une démarche fondée sur des constatations, aident à distinguer les « parleurs » des « faiseurs ». Ils couvrent un large éventail d’activités et de comportements. En gros, ils portent sur les préparatifs de voyage, les changements dans le programme d’entraînement ou de conditionnement physique, la préparation financière, les indices de tromperie ou de dissimulation ainsi que les derniers préparatifs ou les comportements liés à la mise en ordre de ses affaires.

Différences entre radicalisation et mobilisation à la violence

La radicalisation et la mobilisation sont des processus distincts, mais souvent interdépendantsNote de bas de page 3, et la relation entre elles est propre à chaque personne. La radicalisation est un processus extrêmement personnalisé qui amène une personne à devenir convaincue que la violence est un moyen légitime (et même une obligation personnelle) de défendre sa cause ou ses convictions idéologiques. Elle est influencée par des facteurs comme les antécédents personnels, la pression des pairs, les griefs, des idéologues charismatiques et des événements internationaux.

Le processus de mobilisation est constitué de mesures concrètes et observables qu'une personne prend pendant qu'elle se prépare à commettre une infraction liée au terrorisme. Ces mesures visent notamment à renforcer ses capacités, à surmonter les obstacles financiers et à poser des gestes concrets pour se préparer à passer à l'acte.

La mobilisation est le processus par lequel une personne radicalisée passe d’une intention extrémiste aux préparatifs nécessaires pour se livrer à une activité terroriste, par exemple, commettre un attentat, voyager à des fins extrémistes ou faciliter les activités terroristes de quelqu’un d’autre. Elle constitue un changement notable dans les comportements qu’une personne a l’habitude d’adopter dans sa vie de tous les joursNote de bas de page 4.

Les deux processus – la radicalisation et la mobilisation à la violence – ne sont pas linéaires. Autrement dit, le processus de radicalisation ou de mobilisation d’une personne peut commencer, ralentir, s’accélérer voire même prendre finNote de bas de page 5 en fonction d’une multitude de facteurs.

Recherche sur la mobilisation à la violence (terrorisme)Note de bas de page 6

De nombreux travaux universitaires et analyses liées au renseignement ont démontré qu’il n’existe pas de profil terroriste universel et qu’il est impossible de détecter le prochain terroriste en examinant des caractéristiques comme l’âge, le sexe ou les antécédents socio-économiques. Les analystes du Service cherchent plutôt les activités expressément liées à la menace d’une personne afin de déterminer non seulement son intention, mais aussi sa capacité, sa préparation et sa planification. Ils avaient pour objectif ultime d’établir une liste d’indices ayant une véritable valeur diagnostiqueNote de bas de page 7 qui pourront être utilisés pour déterminer si une personne se mobilise à la violence.

Par exemple, dans un scénario de planification d’un attentat, les indices de mobilisation à la violence peuvent comprendre l’achat de matériel, la surveillance de la cible ou l’enregistrement d’une vidéo de martyr. Il est important de noter qu’un attentat terroriste rudimentaire peut ne nécessiter rien de plus qu’un couteau ou une automobile. Ce type d’attentat est particulièrement difficile à prévoir, mais des indices sont souvent présents, même dans le plus simple des attentats terroristes.

Une personne qui se mobilise à la violence peut également vouloir dissimuler ses activités aux autorités ou aux membres de son entourage. Dans ce cas, des indices de dissimulation et de tromperie peuvent être décelés. Par exemple, une personne pourrait utiliser un logiciel pour chiffrer ses communications, inventer une histoire pour justifier son départ du Canada ou se créer une double identité sur les médias sociaux.

Les indices de mobilisation à la violence doivent être utilisés en association avec d'autres et en fonction du contexte. Ils aident à préciser l'intention et la capacité d'un extrémiste.

Tendances liées à la mobilisation au Canada

Les conclusions stratégiques qui suivent sont fondées sur l’examen des dossiers d’une centaine de personnes qui se sont mobilisées à la violence au Canada. Ces personnes ont participé à diverses activités (voyage, projet d’attentat ou facilitation), mais la vaste majorité des Canadiens qui se sont mobilisés inclus dans la recherche sont des gens qui ont fait un voyage à l’étranger à des fins extrémistes, par exemple, pour se joindre à Daech.

Vitesse de la mobilisation à la violence

On entend souvent dire que l’intervalle entre la radicalisation et le basculement dans le terrorisme est de plus en plus court et qu’il s’écoule peu de temps entre la décision de passer à l’acte et l’acte lui-même (phénomène souvent qualifié de « radicalisation éclair » ou de « radicalisation accélérée menant à la violence »).

La vitesse de la mobilisation est calculée à partir du nombre de jours écoulés entre la fin de la mobilisation et la date du premier indice observé. Si un voyageur extrémiste a quitté le Canada à destination de la Syrie le 15 mars, a acheté son billet d'avion le 15 février et a demandé un passeport le 15 janvier, sa mobilisation a duré deux mois.

Il ressort de l’analyse effectuée par le Service que la mobilisation à la violence prend en moyenne 12 moisNote de bas de page 8. Autrement dit, il y a bien eu quelques cas de mobilisation spontanée (moins de cinq jours) au Canada, mais ils sont rares.

Le premier indice de mobilisation observé est souvent un changement dans le programme d’entraînement physique de la personne. Il est suivi par les activités financières nécessaires pour se mobiliser, par exemple, se rendre à la limite d’une carte de crédit ou vendre ses effets personnels afin de disposer des fonds nécessaires pour mener l’activité prévue. Plus la mobilisation de la personne progresse, plus les activités connexes se précisent. Au cours des derniers mois, les indices sont liés à la mise en ordre des affaires (p. ex. rembourser ses dettes, rédiger son testament ou se départir de tous ses biens) et aux activités qui sont essentielles au succès de la mobilisation (comme acheter un billet d’avion).

La recherche du Service a démontré que les indices ont tendance à apparaître en grappes et à s’insérer dans une séquence de progression logique, mais qu’il s’agit d’un processus extrêmement individualisé, ce qui signifie que ce qui est logique et séquentiel pour une personne peut ne pas l’être nécessairement pour une autreNote de bas de page 9. Les indices de mobilisation doivent aussi être repérés dans un contexte extrémiste. Sans une intention claire de commettre un acte terroriste, des comportements comme l’achat d’un billet d’avion ou la rédaction de son testament ne sont pas des indices de mobilisation à la violence.

La vitesse de mobilisation varie en fonction de l’âge de la personne. Il ressort de l’analyse du Service que les jeunes adultes (âgés de moins de 21 ans) et les mineurs se mobilisent plus rapidement que les adultes. La mobilisation des jeunes, particulièrement des jeunes voyageurs, est relativement minimaliste. Dans les cas extrêmes, elle ne requiert rien de plus qu’un passeport, un billet d’avion et un prétexte pour voyager. Les jeunes adultes et les mineurs ont aussi tendance à se mobiliser à la violence en groupe, ce qui peut les aider à surmonter rapidement les quelques obstacles auxquels ils se heurtent en mettant en commun leurs ressources et leur expertise.

Mobilisation des jeunes, des femmes et en groupe

Les conclusions du Service montrent aussi que 80 % des jeunes et des jeunes adultes âgés de moins de 20 ans se mobilisent en groupes d’au moins deux personnes. Les jeunes femmes plus particulièrement se mobilisent rarement seulesNote de bas de page 10. Les relations d’amitié et les liens amoureux semblent aussi être extrêmement importants dans leur processus de mobilisation.

La mobilisation des jeunes, particulièrement des jeunes voyageurs, est relativement minimaliste. Dans les cas extrêmes, elle ne requiert rien de plus qu'un passeport, un billet d'avion et un prétexte pour voyager.

Par ailleurs, les mineurs et les jeunes adultes ont tendance à adopter des comportements propres à cette tranche d’âges (vendre une console de jeu vidéo plutôt qu’une automobile, comme le font les adultes) et se heurtent à des obstacles particuliers pendant leur mobilisation, comme ne pas avoir accès à leur passeport ou disposer de moyens financiers limités parce qu’ils ne touchent pas un revenu d’emploi ou qu’ils ont de la difficulté à obtenir une carte de crédit ou un prêt. Ils doivent donc trouver des solutions ou des stratagèmes pour surmonter ces obstacles et échapper à la vigilance de leurs parents.

D’après l’analyse du Service, la mobilisation en groupe a tendance à être plus rapide. Les membres du groupe s’entraident pour surmonter les obstacles à la mobilisation : une personne peut donner de l’argent à un autre membre du groupe ou partager des articles comme une valise ou un téléphone cellulaire. Il est aussi important de noter que la mobilisation en groupe peut rendre plus difficile l’observation des indices de mobilisation à la violence de chacun des membres. Les membres d’un groupe peuvent avoir diverses expertises ou ressources qui, une fois combinées, assurent au groupe dans son ensemble la capacité de mener des activités terroristes, alors que ses membres ne l’auraient pas individuellement.

Le phénomène des Occidentales qui se mobilisent à la violence n’est pas nouveauNote de bas de page 11. Au Canada, le Service a constaté que 20 % des personnes qui se sont mobilisées étaient des femmes, une proportion qui augmente au fil du temps. Les femmes et les jeunes filles ne se mobilisent jamais seules : elles le font en groupe, à deux ou avec l’aide d’un tiers important. Les femmes qui se mobilisent ont toute une gamme d’intentions extrémistes, pas seulement celle de soutenir les combattants de sexe masculin.

Obstacles et fluidité des cheminements

Les voyageurs extrémistes et les comploteurs peuvent se heurter à des obstacles pendant leur mobilisation à la violence. Par exemple, un extrémiste peut commencer sa mobilisation avec comme but premier de quitter le Canada pour aller se joindre à un groupe extrémiste à l’étranger, mais voir son passeport saisi par les autorités pendant qu’il se mobilise. Désormais incapable de voyager légalement, il peut décider de renoncer à son projet de voyage pour plutôt commettre un attentat terroriste en territoire canadien. De même, un extrémiste peut entreprendre sa mobilisation avec l’intention de commettre un attentat au Canada, mais changer d’idée et décider de quitter le Canada à des fins extrémistes s’il se heurte à des obstacles ou s’il a de la difficulté à fabriquer une bombe artisanale. Un tel changement d’orientation peut être rapide et soudain, parce que l’individu qui se mobilise devient frustré par les obstacles qu’il rencontre. Ce brusque changement de parcours donne souvent une apparence de spontanéité à la mobilisation. On parle en fait de « fluidité des cheminements », le mot « cheminements » désignant ici la voie vers la mobilisation préférée : voyage, attentat ou facilitation.

La recherche avancée sur la mobilisation à la violence s'inscrit dans les efforts déployés par le gouvernement du Canada et le SCRS pour faire face à la menace que représentent les extrémistes empêchés de voyager.

Incidence de la criminalité sur la mobilisation à la violence

De nombreuses recherches et études universitaires indiquent que la criminalité devient un facteur important chez les personnes qui se mobilisent à des fins terroristesNote de bas de page 12. D’après l’analyse du Service, 27 % des Canadiens qui se mobilisent avaient des antécédents criminels, une proportion qui n’a pas augmenté au fil du temps. Il n’a pas été constaté que les individus qui ont des antécédents criminels violents sont plus susceptibles de se mobiliser au terrorisme. De plus, aucune corrélation n’a été établie entre les divers types d’infractions criminelles et un cheminement vers la mobilisation donné (p. ex. voyage, complot au pays ou facilitation d’activités terroristes).

Le Service a constaté qu’il s’est écoulé en moyenne quatre ans entre la dernière activité criminelle signalée d’une personne qui se mobilise et sa mobilisation à la violence. Cela donne à penser qu’au Canada, les personnes qui se mobilisent font clairement une transition entre leurs activités criminelles et leurs activités extrémistes. Cette conclusion va complètement à l’encontre des documents universitaires décrivant le contexte extrémiste en Europe, où les
activités criminelles et extrémistes sont décrites comme de plus en plus liées – voire complètement symbiotiques.

Membres de l’entourage et mobilisation à la violence

La recherche du Service est dérivée en partie d’études selon lesquelles des « fuitesNote de bas de page 13 », c’est-à-dire des indiscrétions involontaires, peuvent être observées dans bien des cas de mobilisation à l’extrémisme et que d’autres personnes – les membres de l’entourage – sont généralement au courant des griefs ou des intentions de la personne. Le terme « fuites » désigne l’ensemble des activités et des comportements que peuvent détecter les membres de l’entourage de la personne qui se mobilise. Ces activités sont souvent impossibles à éviter durant la planification d’un attentat terroriste ou la préparation d’un voyage à des fins extrémistes. Les conclusions du Service corroborent celles des études universitaires : les membres de l’entourage des Canadiens qui se mobilisent observent des activités et des comportements qui révèlent la mobilisation imminente à la violence de ces derniers.

Limites de la recherche sur la mobilisation à la violenceNote de bas de page 14

Les indices de mobilisation à la violence ne sont censés servir ni de modèle de prédiction du comportement ni de grille de profilage. De plus, le nombre précis d’indices décelés chez un extrémiste n’est pas un moyen exact d’évaluer la probabilité que cet individu commette un acte de terrorisme. Autrement dit, la présence d’un ou de plusieurs indices n’est pas une garantie qu’un extrémiste passera à l’acte. La présence d’indices dans un contexte d’intention extrémiste donne plutôt à penser que la personne se mobilise peut-être à la violence et, selon les indices présents, peut aussi laisser entrevoir un cheminement (voyage, facilitation ou attentat). L’analyse du Service a également démontré que les gens peuvent mettre fin à leur processus de mobilisation de leur propre chef et que certains le font. Cela signifie que, même lorsque certains des principaux indices ayant une valeur diagnostique sont présents, il faut être bien conscient que l’individu peut ne pas se rendre jusqu’à l’activité terroriste.

Il n’y a pas de nombre magique d’indices permettant de prédire sans risque d’erreur la mobilisation à la violence. D’autres facteurs, comme la santé mentale ou des catalyseurs personnels, doivent aussi être pris en considération parce qu’ils peuvent ralentir ou accélérer la mobilisation. Des facteurs externes, la pression des pairs ou la propagande peuvent aussi influer sur le processus de mobilisation.

Il n'y a pas de nombre magique d'indices permettant de prédire sans risque d'erreur la mobilisation à la violence.

Malgré ces limites, le Service a une confiance élevée dans les conclusions de sa recherche et dans son utilité pour mieux comprendre la distinction entre radicalisation et mobilisation ainsi que le processus de mobilisation à la violence. Chaque étape de ce projet d’analyse a été soumise à un examen par les pairs effectué par des analystes des méthodes d’évaluation du Service et de l’extérieur, et des techniques d’analyse structurées ont été utilisées afin de limiter l’incidence des biais. Cette recherche montre bien que les indices de mobilisation à la violence et au terrorisme sont utiles pour évaluer les comportements et les activités qui pourraient être des signes précurseurs du terrorisme.

Conclusion

Comme les terroristes manquent rarement d’imagination pour trouver de nouveaux moyens de parvenir à leurs fins, les indices qui sont importants aujourd’hui pourraient bien ne plus l’être demain. Les quelques conclusions de recherche présentées ici devront donc évoluer et être constamment perfectionnées. De fait, le Service mène, en permanence, des travaux de recherche et d’analyse des comportements qui précèdent les activités terroristes afin de mieux informer ses enquêteurs, les organismes partenaires, le gouvernement et le public des tendances actuelles et nouvelles liées au terrorisme et à la violence inspirée par al-Qaïda ou Daech.

Il n’y a pas de réponse simple et définitive aux questions liées à la radicalisation qui mène à la violence et à la mobilisation au terrorisme. En partageant le contenu de ce document avec le public, le Service espère contribuer à l’avancement des connaissances sur les menaces que représentent les individus qui cherchent à commettre un attentat au Canada et les voyageurs extrémistes.

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