La Loi sur le renseignement national de la Chine et l’avenir des rivalités avec le pays sur le plan du renseignement
La Loi sur le renseignement national de la Chine codifie des pratiques existantes et prévoit de nouveaux principes importants. Elle établit une distinction très nette entre les fonctions de sécurité civiles et militaires. Elle crée des groupes de travail géographiques et fonctionnels sur le renseignement et la sécurité nationale. Elle pose les fondements juridiques des activités des institutions responsables de la sécurité nationale en indiquant clairement que ces organismes soutiennent le régime du Parti ainsi que les intérêts économiques et sociaux de l’État. Les citoyens ont le devoir de collaborer avec les services de renseignement et de sécurité de l’État.
Le 28 juin 2017, l’Assemblée populaire nationale a adopté la Loi sur le renseignement national (la Loi) et défini pour la première fois les pouvoirs officiels des services de renseignement de la République populaire de Chine (RPC). Contrairement à ses pendants occidentaux, la Loi ne mentionne pas nommément les services de renseignement chinois. Elle parle plutôt des « institutions actives dans le domaine du renseignement national », des « organes de renseignement » des institutions responsables de la sécurité nationale et de la sécurité publique ainsi que des organismes de renseignement militaire. Selon la définition vague qui en est donnée dans les premiers articles de la Loi, le terme « renseignement » désigne à la fois les informations recueillies et les activités menées à l’appui d’une conception globale de la sécurité nationale. Les institutions actives dans le domaine du renseignement national fournissent des renseignements pour éclairer le processus décisionnel et disposent de moyens non définis pour agir afin d’assurer la sécurité nationale.
La Loi est un mélange de continuité et de changement dans la façon dont la Chine préserve la sécurité nationale et mène ses activités de renseignement. Comme bon nombre des lois sur la sécurité de l’État en vigueurNote de bas de page 67 , elle décrit explicitement ce qui se fait en pratique depuis longtemps. Les changements les plus importants ont trait aux ententes entre institutions à des fins de renseignement et aux responsabilités confiées à l’« organisme dirigeant central de la sécurité nationale » qui peut définir les politiques, fixer les orientations et coordonner les activités liées au renseignement. Il faudra cependant attendre de voir les résultats pour comprendre comment les services de renseignement militaires, les institutions responsables de la sécurité nationale et de la sécurité publique et les organes du Front uni du Parti communiste chinois (PCC) conjugueront leurs efforts, en admettant qu’ils y parviennent.
Contenu et conséquences de la Loi sur le renseignement national
Une tendance importante et soutenue dans la structure juridique de la sécurité nationale mise en place depuis 2014 ressort clairement dans la Loi : la sécurité nationale est l’affaire de tous. Tant que les institutions actives dans le domaine du renseignement national respectent les pouvoirs qui leur ont été conférés dans l’exercice de leurs fonctions, elles peuvent, conformément à l’article 14, « demander aux organes, aux organisations et aux citoyens compétents de leur assurer le soutien, l’aide et la coopération nécessaires. » En vertu de l’article 16, les responsables du renseignement « peuvent entrer dans les endroits et les zones d’accès restreint présentant un intérêt, interroger les personnes, organisations et institutions compétentes et apprendre d’elles et lire ou recueillir les dossiers, documents ou articles pertinents. » Si les services de renseignement de la Chine n’ont pas le pouvoir politique du KGB à l’époque soviétique, ils ne sont certainement pas démunis à l’égard de qui ou de quoi que ce soit, sauf les hauts dirigeants du PCC et les institutions centrales.
Beijing a toujours cherché à châtier ceux qui portent atteinte à la réputation du gouvernement, dévoilent des politiques internes du Parti ou agissent à l’encontre de ses intérêts d’une quelconque façon. Ce châtiment peut revêtir de nombreuses formes, de la restitution extraordinaire de libraires hongkongais au refus de visas pour entrer en Chine. L’article 11Note de bas de page 68 de la Loi prévoit que les services de renseignement recueillent des informations afin de constituer des bases de données pouvant être consultées pour détecter les personnes ou les institutions qui posent des problèmes, les empêcher d’agir et les châtier si elles le font. Il est possible de donner à cet article une interprétation étroite selon laquelle seuls les terroristes, les espions et les dissidents sont pris pour cible. Cependant, le règlement d’application détaillé de la Loi sur le contre-espionnage (décembre 2017) laisse entrevoir une interprétation plus large. Par exemple, ce règlement inclut dans les infractions liées à l’espionnage « fabriquer ou déformer des faits, publier ou diffuser des dires ou des informations qui mettent en danger la sécurité nationale », surtout si la personne fautive peut être liée à un service de renseignement ou à une « organisation hostile », d’après la définition adoptée par le ministère de la Sécurité publique (MSP) ou le ministère de la Sécurité d’État (MSE). « Fabriquer ou déformer les faits », du moins selon la description des médias et du porte-parole officiel de la Chine, s’entend notamment de décrire les activités d’ingérence étrangère de la Chine, de discuter de son bilan en matière de droits de la personne ou d’affirmer quoi que ce soit sur ses revendications territoriales.
La constante principale de la récente Loi est la division entre renseignement civil et militaire, comme en fait foi la conclusion de l’article 3 : « La Commission militaire centrale dirige et organise uniformément les activités de renseignement militaire. » Après qu’il a été expliqué que les activités de renseignement de la Chine seront orientées par l’organisme dirigeant central de la sécurité nationale, ce passage établit clairement une distinction entre les services de renseignement de l’Armée populaire de libération (APL) et leurs pendants responsables de la sécurité publique et de la sécurité nationale. Personne à l’extérieur de la Commission militaire centrale (CMC) ne dirige le renseignement militaire, et les organes de renseignement de l’APL ne font rapport qu’à ceux à qui la CMC leur ordonne de le faire. Une version préliminaire de la Loi laissait entendre que ce pouvoir pourrait être diffus, mais le libellé final ne permet aucun sous-entendu. Étant donné les pouvoirs qui leur sont conférés, la façon dont les membres de la CMC décideront si les services de renseignement de l’APL doivent collaborer avec d’autres organes décisionnels déterminera si la Chine possède un appareil de renseignement national cohésif.
Le seul changement institutionnel clair est la création probable d’un groupe de travail sur le renseignement relevant de la Commission centrale de sécurité nationale (CCSN). Ce groupe de travail serait probablement reproduit au sein des petites instances chargées de la sécurité nationale aux échelles provinciale et locale. Chaque palier de ce que la Loi appelle l’« organisme dirigeant central de la sécurité nationale » compte un groupe de travail pour chacun des onze secteurs qui entrent dans la conception de la sécurité globaleNote de bas de page 69 de Xi Jinping, plus un groupe de travail additionnel pour chacune des lois liées à la sécurité de l’État adoptées récemment. La CCSN et son Groupe de travail sur le renseignement assumeraient les responsabilités prévues à l’article 3Note de bas de page 70 liées à la formulation des politiques en matière de renseignement, à l’établissement de mécanismes de coordination et de répartition du travail ainsi qu’à la planification des activités de renseignement national. Les groupes de travail aux niveaux sous-nationaux se concentreraient vraisemblablement sur les fonctions de coordination et de planification prévues dans la Loi, laissant aux autorités centrales les politiques en matière de renseignement et l’orientation générale.
Il se peut que la CCSN ait un certain pouvoir pour influencer les activités de renseignement de l’APL. Même si elle stipule que la CMC « dirige et organise uniformément » le renseignement militaire, la Loi confère des pouvoirs distincts à la CCSN en matière d’orientation stratégique, de planification et de coordination pour les « institutions actives dans le domaine du renseignement national ». Ce que cela signifie en pratique n’a pas été défini publiquement. L’APL résiste à l’empiétement sur ses pouvoirs par les institutions civiles, et on ne sait pas encore qui seront les membres militaires de la CCSN.
Les organes du Front uni, tant du Parti que de l’APL, sont remarquablement absents de ces faits nouveaux ayant trait aux institutions. Les contacts que le Département du Front uni et le Bureau de liaison du Département du travail politique de l’APL entretiennent avec les Chinois d’outre-mer, les Taïwanais et d’autres étrangers ressemblent beaucoup à des activités de direction d’agents. Le Front uni a peut-être un programme davantage axé sur l’action, c’est‑à‑dire étendre la portée du Parti et gérer les groupes sociaux, mais ses activités offrent nécessairement à ses responsables des occasions d’obtenir des renseignements. Il ne fallait pas s’attendre à ce que les organes du Parti soient mentionnés dans une loi nationale, mais les « autres départements compétents » bien connus sont remarquablement absents de la Loi. Il s’agit là d’un autre secteur à analyser pour comprendre comment la Chine intègre les renseignements et exploite les possibilités que sa portée mondiale lui procure.
Depuis 2014, les interlocuteurs chinois et taïwanais s’attendent à une quelconque réforme non définie du ministère de la Sécurité d’État (MSE). La presse étrangère de langue chinoise a laissé entendre que cette réforme pourrait même mener à une division du MSE en un service de renseignement étranger et un service de contre-espionnage intérieur. L’été dernier, des interlocuteurs chinois bien informés ont affirmé que la Loi présageait une réforme du ministère, mais n’ont pas pu ou voulu décrire ce que cette réforme comporterait. Les termes employés dans la Loi pour parler du MSE et de ses organes de renseignement donnent à penser que le gouvernement chinois établit, entre les éléments liés à la sécurité nationale, des distinctions très claires que les Occidentaux ne saisissent pas lorsqu’ils qualifient le ministère de service civil de renseignement et de contre‑espionnage de la Chine. Le MSE pourrait être scindé de manière naturelle et logique, étant donné la façon dont les différentes parties du ministère contribuent à leurs systèmes d’orientation respectifs sur le renseignement, la sécurité nationale, le front uni et la cybersécurité, entre autres. Si tel est le cas, les médias étrangers de langue chinoise pourraient avoir bien compris l’essentiel des réformes possibles, mais être dans l’erreur quant au moment choisi.
Le libellé de la Loi offre peu de nouvelles indications sur les opérations de renseignement de la Chine. Elle autorise officiellement les services de renseignement à mener des activités qu’ils pratiquent, dans les faits, depuis longtemps : obtenir la collaboration de représentants officiels au sein d’autres organismes gouvernementaux, obliger les citoyens de la RPC à collaborer, réquisitionner des services de transport et d’hébergement dans le cadre du soutien aux opérations, demander à être exemptés des inspections aux douanes et établir des installations ponctuelles à des fins opérationnelles. La Loi exige en outre que les institutions actives dans le domaine du renseignement national remettent les installations ou l’équipement dans leur état original ou dédommagent leur propriétaire.
Il est possible que la Loi annonce la naissance d’une méthode de direction d’agents d’une complexité accrue à la fin d’une affaire ou d’une opération. La cessation de la collaboration à la fin du cycle de recrutement d’un agent est, pour les sources ouvertes, l’étape la plus obscure. On ne sait pas au juste si cette opacité est une conséquence naturelle des activités clandestines ou si elle est due à l’inexistence de cette étape dans les opérations de renseignement de la Chine. Il n’existe pas un seul exemple public de cas où les services chinois ont laissé tomber un agent improductif. Il n’y a pas non plus d’exemple de cas où un service chinois a aidé un agent à échapper aux poursuites, en l’exfiltrant ou en lui donnant des conseils pratiquesNote de bas de page 71 . Habituellement, les agents sont laissés à eux-mêmes, et leur officier traitant minimise l’importance des risques ou n’en tient pas compte. Le passage suivant de la Loi, cependant, donne à penser que les organismes de renseignement de la Chine seront plus entreprenants ou traiteront avec plus d’égards leurs agents et les membres de leur famille à la fin d’une opération.
- Article 23 : Les ministères d’État compétents prennent les mesures nécessaires pour protéger ou secourir les employés des institutions actives dans le domaine du renseignement national, les personnes qui ont établi une relation de collaboration avec ces institutions ou leurs proches parents dont la sécurité personnelle est menacée en raison de leur contribution aux activités liées au renseignement national.
- Article 24 : L’État s’occupe de placer, au besoin, les personnes qui ont contribué aux activités de renseignement national.
- Article 25 : Conformément aux dispositions nationales applicables, des indemnités de décès et un traitement spécial sont accordés aux personnes qui sont frappées d’incapacité, qui donnent leur vie ou qui meurent parce qu’elles ont mené, soutenu ou facilité des activités liées au renseignement national ou y ont collaboré.
Bien que son libellé ne soit pas une garantie, la Loi prévoit bel et bien le pouvoir d’aider ceux qui ont aidé le renseignement chinois. Ce n’est pas négligeable, étant donné la froide indifférence souvent manifestée à l’égard des agents chinois en danger. Il est possible que les agents chinois aient demandé des garanties de ce type ou qu’elles aient été accordées parce ce que des opérations antérieures ont porté atteinte à la réputation des officiers de renseignement chinois. Il sera important de surveiller comment les services de renseignement chinois s’occuperont de la fin d’une opération, que ce soit en offrant des possibilités d’exfiltration, en trouvant un poste à l’étranger pour l’agent ou en lui versant une pension.
L’avenir des rivalités avec la Chine sur le plan du renseignement
Depuis 2014, les lois sur la sécurité de l’État remettent l’accent sur la portée et l’ampleur des opérations de renseignement chinoises qui ont toujours posé des problèmes aux services de sécurité et de renseignement étrangers. Les ressources que Beijing peut réunir, cependant, sont beaucoup plus considérables qu’avant et intègrent des composantes humaines et techniques. Les pays qui tentent de rivaliser avec la Chine dans le secteur du renseignement devront s’adapter à certaines des nouvelles réalités de la conduite des opérations. Voici quelques caractéristiques de cette nouvelle ère.
- Mobilisation sociale à des fins de contre-espionnage. Le PCC ne s’est jamais fié uniquement aux moyens techniques pour exercer de la surveillance. La Journée de sensibilisation à la sécurité nationale (le 15 avril) et la propagande connexe complètent les injonctions des lois sur la sécurité de l’État à participer activement à la détection des espions. Divers mécanismes techniques visant à faciliter la participation du public ont été essayés depuis 2011 au moins, lorsque le Département de la sécurité d’État du Liaoning a rendu public un numéro auquel il était possible d’envoyer un texto relatif à la sécurité nationale.
- Portée internationale des entreprises chinoises. L’obligation de collaboration imposée aux sociétés a considérablement élargi la surveillance intérieure exercée par les services de renseignement chinois. Huawei n’était pas encore une société mondiale. Xiaomi n’existait pas. L’internet des objets était une vision plutôt qu’une nouvelle commodité. La portée tant humaine que technique des sociétés chinoises offre maintenant aux services de renseignement des occasions d’avoir directement accès à de nombreux gouvernements du monde développé ainsi qu’à de nombreux pays alliés et européens et, ainsi, d’étendre leur rayon d’action à d’autres sociétés.
- Rôle explicite du renseignement dans le soutien à la croissance économique. Le PCC n’a jamais cessé d’affirmer que le Parti doit contrôler les secteurs clés de l’économie. Les nouvelles lois laissent cependant entrevoir qu’il ira plus loin encore plutôt que d’amorcer une réforme en vue de réduire l’intervention gouvernementale. La Loi sur la sécurité nationale (2015) stipule que la sécurité économique est la pierre angulaire de la sécurité du pays. La nouvelle Loi prévoit que les services de renseignement soutiennent les intérêts économiques et sociaux. Si la première signifie un contrôle du Parti, la seconde laisse entendre que les services de renseignement continueront de jouer leur rôle dans l’espionnage économique, malgré les ententes signées par Xi Jinping avec les États-Unis, l’Allemagne et le Canada.
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