Les minorités ethnoculturelles et le système correctionnel canadien

par Dr. Emerson Douyon

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Ce document est une révision du texte original. En raison du décès du Dr Emerson Douyon en 2016, le texte final n'a pas été vérifié par lui. Par conséquent, le contenu de ce document est une proche représentation de ce que le Dr Douyon aurait voulu communiquer. Ce livre a été écrit de son expérience et de son point de vue personnel.

Table des matières

Citations
Remerciements
Préface
Introduction

Partie I
Ethnicité, culture et système correctionnel

  1. Pour une mémoire institutionnelle
  2. Le concept ethnoculturel et son cheminement au sein du Service correctionnel
  3. Des considérations préalables
    1. Incarcération et surreprésentation
      1. Période de 2004 à 2006
      2. Années 2010 et 2011
    2. Le système correctionnel canadien et son évolution
      1. Point de vue normatif
      2. Période pré-institutionnelle (avant 1835)
      3. Période de 1835 à 1865
      4. Période de 1865 à 1890
      5. Période de 1890 à 1920
      6. Période de 1920 à 1930
      7. Période de 1930 à 1940
      8. Période de 1940 à 1960
      9. Période de 1960 à 1980
      10. Période de 1980 à 2000
      11. Période de 2000 à 2012
  4. Le contexte de l'émergence de l'idée ethnoculturelle au SCC
    1. La diversité carcérale
    2. Les délinquants ethnoculturels
  5. L'implantation du concept ethnoculturel
    1. Les facteurs favorables
    2. La convergence : les porteurs du concept
  6. Mon parcours au Service correctionnel : des établissements en Haïti vers le Service correctionnel du Canada
  7. Les retrouvailles avec Marcel Kabundi : élaboration de projets et cheminements communs
  8. Les pionniers
    1. Année 1992 : groupe de travail sur la diversité ethnoculturelle
    2. Année 1998 : consultations préalables
    3. Année 1999 : création du CCRE (Québec)
    4. Année 2001 : création du CCNE – de Montréal à Ottawa
      1. La nature du Comité national
      2. Le fonctionnement du Comité national
      3. Les instruments pour l'implantation de l'ethnoculturel au Service correctionnel
        1. Les instruments (DC 767); première manière : l'ethnoculturel 101 – l'impulsion initiale
        2. Les normes d'application (mandat) comme acte fondateur
      4. Le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNR)
      5. Les comités consultatifs régionaux ethnoculturels (CCRE) – L'évolution du modèle québécois : projets et initiatives (les bonnes pratiques)
      6. La Section ethnoculturelle du Service correctionnel
      7. Discontinuités par opposition à continuités
        1. La chiquenaude du Parlement du Canada : résolution de la Chambre des communes
        2. Le symposium de Toronto : « Créer des établissements inclusifs pour accroître la sécurité publique » (27 mars 2009)
  9. Bilan et état des lieux par le président Emerson Douyon
    1. Comité d'examen du Service correctionnel
    2. Premier temps de réflexion
    3. Deuxième temps de réflexion
  10. Programmes
    1. Les objectifs pour changer un délinquant
    2. Le pluralisme culturel et le milieu carcéral
    3. Les conditions préalables pour les nouveaux programmes ethnoculturels
  11. Conclusion
    1. Références
    2. Les relations avec le personnel
    3. La professionnalisation du personnel
    4. La diversification du personnel

Partie II
Le contexte carcéral au Canada et les problématiques particulières

  1. Environnement carcéral
  2. Les problématiques particulières
    1. La question des Autochtones
    2. Le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) et la question des Autochtones
    3. La conclusion sur le premier des deux cas de figure
      1. La question des Noirs
        1. Premier volet : région du Québec
        2. Deuxième volet : région de l'Ontario
        3. Troisième volet : région d'Halifax
  3. Les besoins des détenus et les accommodements raisonnables : limites d'application, effets pervers et dérives appréhendées du multiculturalisme
  4. Les minorités racisées au Canada : mythes et réalités
  5. Délinquance chez les jeunes Haïtiens au Québec
  6. Étude d'Emerson Douyon sur les gangs ethniques : gangs en liberté
  7. Les délinquantes face à la culture et à l'ethnicité
    1. Établissement Joliette (Québec)
    2. Établissement Nova (Nouvelle-Écosse)

Partie III
Profilage racial et criminalisation des jeunes des groupes racisés

  1. Le contentieux entre la police et les minorités ethniques
  2. L'évolution vers des nouvelles sortes de discrimination
  3. Le profilage systémique et la situation des Noirs au Québec
  4. Les balises pour détecter le profilage racial
  5. Le profilage racial et la mobilisation des groupes ethnoculturels
  6. Les implications du profilage pour l'administration pénitentiaire
  7. Fin du parcours carcéral, mise en liberté sous condition, retour dans la collectivité de base ou d'origine
  8. Les étapes de la liberté
    1. Libération conditionnelle
  9. L'avenir de l'ethnoculturel et le Service correctionnel
  10. Conclusion
  11. Notes historiques
    1. Note 1 : Comparaison entre la « justice blanche » et la « justice inuite »
    2. Note 2 : L'Acte des sauvages (1876)
    3. Note 3 : Le registre des Indiens
    4. Note 4 : La Loi sur les Indiens (1951)
    5. Note 5 : Point de vue critique sur la Loi sur les Indiens
    6. Note 6 : La liste de bande (1985)
    7. Note 7 : Évolution de la situation des Amérindiens au Québec et dans le reste du Canada
    8. Note 8 : Développement, modernité et génocide culturel
    9. Note 9 : Distance et proximité

Annexes
Liste des infractions disciplinaires
Lettre d’autorisation du Service correctionnel du Canada
40e Rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel
Lettre de remerciement de FURI

Citations

« Toute vérité franchit trois étapes. D'abord elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » Arthur Schopenhauer

« Tout être humain que je rencontre m'est supérieur en quelque matière. C'est pourquoi je m'instruis auprès de lui. » Ralph Waldo Emerson

« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. » François Rabelais

« Il est plus facile de changer les autres que de se changer soi-même. » Nelson Mandela

« Si tu es né Noir [en Amérique], tu es né en prison. » Malcolm X

Remerciements

Merci à Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada (SCC), dont le leadership a permis la réalisation de ce livre pionnier qui s'appuie sur l'expérience, l'expertise et les travaux collectifs du Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) sur une période de plus de dix ans.

Merci au regretté Marcel Kabundi (1954-2015) qui, le premier, a signalé l'importance de s'intéresser à la masse visible de représentants des minorités ethnoculturelles.

Merci également aux comités régionaux du Service correctionnel et aux directions régionales qui ont facilité notre travail de recherche.

Un merci spécial à Mme Johanne Vernet, gestionnaire nationale, Section des services ethnoculturels, ainsi qu'à M. Donat Bilomba pour leurs encouragements indéfectibles.

Merci enfin aux différents groupes de délinquants ethnoculturels dont les témoignages sur leur expérience en prison nous ont permis de faire le point sur les relations entre la culture, l'ethnicité et la criminalité.

Préface

Le docteur Emerson Douyon (1929-2016) était un psychologue de réputation internationale, qui a dirigé le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) et le Comité consultatif régional ethnoculturel du Québec pendant onze ans.

Diplômé en philosophie de l'École Normale Supérieure de l'Université d'État d'Haïti et détenteur d'un doctorat en psychologie de l'Université de Montréal, le Dr Douyon s'est beaucoup impliqué dans des causes reliées à la psychologie criminelle et aux droits de la personne. Avant de devenir président du CCNE, il a été professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, membre de la Commission du droit du Canada et commissaire à la Commission de la protection des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le Dr Emerson Douyon avait une connaissance approfondie du Service correctionnel. En collaboration avec le regretté Marcel Kabundi il a déjà publié, au SCC, un manuel pédagogique intitulé KARIBU. Il a également préfacé un texte collectif de Marcel Kabundi, de Donat-Tshibasu Bilomba et d'Amandine Meniri portant sur la médiation interculturelle au SCC.

Le présent ouvrage est d'une autre nature. Il s'agit d'une contribution personnelle et importante sur l'idée ethnoculturelle, sur son introduction, sur son implantation et sur son développement au SCC. Il s'agit de la vision personnelle du Dr Emerson Douyon de l'évolution du SCC, vu sous l'angle de l'ethnicité et de la culture. C'est la contribution de l'auteur à l'histoire du SCC.

Après avoir pris sa retraite après plus de dix ans à la tête du CCNE, le Dr Emerson Douyon est devenu le premier titulaire du Prix du multiculturalisme Emerson Douyon du SCC. D'autres titulaires ont obtenu le même prix dans la foulée des réalisations passées du Dr Emerson Douyon et en fonction de leurs propres initiatives qualifiées de bonnes pratiques.

C'est un hommage rendu à la fois aux membres passés, actuels et futurs du CCNE/des CCRE et aux personnes susceptibles de relever tous les défis liés à l'émergence de la culture et de l'ethnicité au Service correctionnel du Canada et au Canada.

Don Head
Commissaire

Introduction

Mon contact initial avec l'univers carcéral canadien fut marqué par un premier constat. Ici, me disait-on, tout le monde est sur le même pied d'égalité. Un crime est un crime, un criminel est semblable à un autre criminel. Il fait son temps et il réintègre la société à la fin de son parcours carcéral. Entre l'entrée et la sortie, nos programmes visent à le faire évoluer dans un espace sécuritaire.

Derrière cette apparente démocratie et ce traitement égalitaire se cachent bien d'autres réalités. Chaque unité pénitentiaire possède son identité propre. Les populations carcérales varient d'un établissement à l'autre. Chaque délinquant a sa personnalité et une histoire particulière. Il est porteur d'une ethnicité et d'une culture qui le rendent à la fois semblable et différent. Derrière chaque type de crime que sanctionne la loi, il y a l'être humain avec ses traditions, ses valeurs, son parcours migratoire et l'histoire de sa confrontation à la culture des autres.

Dans ce petit monde d'allure concentrationnaire, où l'on a évolué de la fonction de « surveiller et punir » aux objectifs de réhabilitation et de réinsertion sociale, l'individu tend à primer sur le système. On ne force personne à changer, mais on accompagne le délinquant vers d'autres étapes de son accomplissement personnel.

Dans le système correctionnel canadien, on réfère généralement au traitement des délinquants, aux problèmes, aux conditions de vie, aux droits des détenus et aux droits de la personne qui ne s'arrêtent pas aux portes du pénitencier. Certes la sécurité est la principale préoccupation du personnel, mais, dans cet environnement sécuritaire, un discours nouveau orienté vers l'ethnoculturel a commencé à se faire entendre et à influencer les pratiques.

Comment tout cela a-t-il commencé et s'est-il développé au point d'imprégner aujourd'hui le système correctionnel et la culture carcérale? Retracer la genèse, l'opérationnalisation et le cheminement de l'idée ethnoculturelle au Service correctionnel du Canada, tel est le but du présent livre qui se présente comme une modeste contribution à la mémoire institutionnelle du SCC.

Il s'agit d'un point de vue critique à partir de témoignages des détenus, de conversations avec le personnel, de débats avec les membres du Comité et parfois même de débats publics sur certains termes. La contribution de l'auteur reflète également les travaux de recherche approfondie menés avec l'aide de Karim Mikael, juriste et assistant de recherche, ainsi que celle de Nicolas Douyon-Harvey, assistant de recherche.

Partie I

Ethnicité, culture et système correctionnel

1. Pour une mémoire institutionnelle

La mémoire est une faculté à double face. C'est une faculté qui oublie et qui se souvient à la fois. S'il y a des souvenirs que nous préférons occulter, il y en a d'autres que nous aimons bien rappeler pour notre confort personnel. D'un côté « le devoir d'oubli » comme disait Dostoïevski, de l'autre la jubilation de l'évocation. Sur le plan institutionnel, il est normal qu'avec le temps la mémoire joue un rôle sélectif. Ce qui provoque la honte, la culpabilité et la réprobation sociale est refoulé parmi les archives. Ce qui suscite, au contraire, la fierté ou l'admiration collective tend à être rappelé en boucle dans l'histoire de l'établissement. Ce qu'il est convenu d'appeler les « bonnes pratiques » appartient à ce registre de la mémoire institutionnelle.

Nous convenons que, dans une unité pénitentiaire, chaque acteur du système, du gestionnaire au professionnel, de l'agent de sécurité au bénévole, contribue à sa manière à la culture de l'établissement. À la limite, chacun porte en soi sa propre mémoire institutionnelle. Celle des délinquants diffère nécessairement de celle des personnes dont la mission est de promouvoir le changement individuel dans un cadre collectif sécuritaire.

Toutefois, c'est en confrontant nos différentes perceptions et nos souvenirs respectifs que nous espérons mieux rendre compte du cheminement de certaines idées à l'intérieur d'un établissement. L'émergence et le développement du concept ethnoculturel au Service correctionnel du Canada représentent bien ce point de convergence historique qui a instauré une dynamique de changement irréversible dans l'ensemble du système correctionnel.

2. Le concept ethnoculturel et son cheminement au sein du Service correctionnel

Le concept a migré du milieu universitaire pour entrer au Service correctionnel dans les années 1980 avec l'arrivée de « jeunes loups » diplômés en criminologie et formés à l'ethnocriminologie, à la criminologie comparée, à la criminologie clinique et pénologique, à la psychologie, la sociologie, ainsi qu'à la psychiatrie criminelle, à la victimologie, à la criminalistique et au droit criminel et carcéral. Dans les groupes consacrés à l'étude du phénomène criminel à l'Université de Montréal, on avait coutume d'évoquer de nouvelles catégories de crimes : crimes rituels, crimes d'honneur, crimes motivés par la haine, crimes des gangs ethniques, crimes dérivés des flux migratoires, crimes reliés aux réseaux mafieux, au trafic transfrontalier de devises, de marchandises, de drogues ou d'êtres humains, crimes informatiques ou encore cybercriminalité.

Parallèlement, on assistait, par média interposé, à de nouvelles incarnations de la figure du crime. Le nouveau visage stéréotypé du criminel n'est pas seulement celui d'un homme blanc, pauvre, alcoolique et violent, mais de plus en plus celui d'un individu basané avec un « look » minoritaire.

Depuis la remise en question des politiques relatives à la dangerosité appréhendée de certains groupes ethniques et à la sécurité sur le plan national et international, à la suite des événements du 11 septembre 2001, le regard s'est déplacé de la criminalité traditionnelle vers les manifestations de formes nouvelles de la criminalité. Les paramètres du crime ont changé, la détention des délinquants a conduit à une remise en question des structures pénitentiaires, des programmes et des services ainsi que des relations du personnel avec une population carcérale de plus en plus diversifiée.

Pour décrire ces nouvelles réalités, on ne pouvait pas parler de crimes commis par des « étrangers » comme en Europe (France, Belgique, Royaume-Uni) en référence non seulement aux résidents illégaux, mais également aux résidents légaux, mais dépourvus du statut de citoyens. On refusait d'évoquer de nouvelles races de criminels, puisque le concept biologique de la « race » est devenu obsolète depuis les travaux des généticiens et des anthropologues sur la question (Jacquard, A.[1] [1978], Lévi-Strauss, C. [2][1961]). Dans le cadre des droits de la personne, on continuera cependant d'utiliser la catégorie raciale qui s'applique pour désigner les victimes de groupes « racisés » (CDPDJ[3]).

D'où le recours du système correctionnel au concept ethnoculturel né de la contraction entre ethnicité et culture. On convenait alors de référer aux groupes ethnoculturels pour designer des délinquants issus des groupes ethniques minoritaires. On partait du principe que tout être humain est caractérisé par son ethnicité, dans la mesure où ce concept renvoie à une communauté de langue, d'histoire et de culture. Ce groupe possède ses valeurs propres qui servent à circonscrire son identité. Pour communiquer avec une telle communauté ethnoculturelle, il faut connaître les valeurs et les codes par lesquels elles s'expriment.

Depuis son introduction au Service correctionnel, le concept a cheminé, à partir des instruments administratifs (Directive du commissaire 767), et du mandat ou des normes d'application de cette directive, des comités consultatifs au plan national et régional, de la Section ethnoculturelle au SCC, des unités opérationnelles ou établissements pénitentiaires, jusqu'à la Commission des libérations conditionnelles, aux services de probation et aux organismes représentatifs des collectivités.

3. Des considérations préalables

Les données sur les stratifications ethniques de la population canadienne, telles que rapportées par J. Porter[4] (1965) et Maryse Potvin[5] (2005), indiquent une préoccupation constante relative à la « race », à l'origine ethnique, à la langue, à la religion et à la culture. Elles montrent aussi que, dès l'origine, le Canada disposait d'une grande tradition de collecte de données statistiques sur les différents groupes ethnoculturels qui composent sa population.

Statistique Canada[6], qui a pris la relève depuis le premier recensement en Nouvelle-France (en 1666), s'est toujours appliqué à raffiner sa nomenclature afin de mieux rendre compte des particularités démographiques du Canada. Selon le contexte historique, politique et social de chaque époque, des catégories statistiques nouvelles ont été créées pour mieux prendre en compte les besoins, les contingences et les enjeux pertinents. C'est ainsi qu'à côté des Premières Nations (ou Autochtones, ou Nord-Amérindiens et Inuits) on recensait les descendants de peuples dits fondateurs (Français et Britanniques) auxquels viendront s'ajouter les Noirs, les Juifs et différents groupes ethniques issus de vagues migratoires successives.

Ces données statistiques dont personne ne conteste l'utilité ont toutefois permis de constater des inégalités de statut juridique entre les majorités blanches et les groupes minoritaires. Elles ont contribué à mettre en évidence des situations historiques de discrimination envers les Autochtones et les « minorités visibles », dont les Noirs en première ligne.

Le Canada a beau mettre en œuvre une série de mesures antidiscriminatoires (Loi sur le multiculturalisme, 1988[7]; Loi sur les langues officielles, 1969[8]; Loi sur l'équité en matière d'emploi, 1986[9]; Loi canadienne sur les droits de la personne, 1977[10] et la Charte canadienne des droits et libertés, 1982[11]), les inégalités entre les groupes persistent au sein de la population. Les discriminations, qu'elles soient directes, indirectes, systémiques ou croisées, continuent à alimenter les plaintes devant les commissions des droits de la personne et les cours de justice.

Il convient de reconnaître que Statistique Canada a réussi progressivement à purger ses premières nomenclatures de catégories aux relents racistes du passé (« Caucasiens », « Nègres », « Mongoles », « De couleur », « Sauvages »). À partir des années 1960, un louable effort a été accompli pour remplacer les dénominations basées sur la « race » par des catégories plus en rapport avec l'origine et l'ascendance ethnique et moins avec les stéréotypes et les préjugés. Un bémol : la référence aux « minorités visibles » aux fins d'équité en matière d'emploi demeure un clin d'œil au vieux concept de « race ». Et le marqueur « couleur » continue malheureusement de colorer les données statistiques.

D'où la pertinence des statistiques ethniques qui contribuent à donner l'heure juste quant au système de rapports entre la majorité et l'ensemble des groupes minoritaires au Canada. Pour débloquer une situation inégalitaire, il faut bien commencer par l'identifier, la mesurer, l'évaluer et en rendre compte. Tel est le prix de la transparence dans nos relations interculturelles.

Les statistiques criminelles concernant les Autochtones et les autres groupes minoritaires n'échappent pas à cette règle. Elles ne visent pas à aggraver une situation discriminatoire chronique ni à accentuer une image négative et stéréotypée de certaines collectivités. Elles sont utiles dans la mesure où elles servent d'indicateurs ou de pistes pour corriger des conditions inégalitaires, prévenir la discrimination, ainsi que structurer des politiques et des programmes de réinsertion sociale.

Il est certain que les statistiques criminelles sur les minorités ethnoculturelles comportent des effets pervers. Ainsi parmi les variables retenues dans l'analyse du crime, la « race » ou l'appartenance ethnique a toujours joué un rôle majeur. Ce rôle, déjà amplifié par les médias, s'est apparemment accru avec les flux migratoires qui ont accentué le métissage culturel et conféré à certaines collectivités un visage de plus en plus pluriethnique et multiculturel.

Si l'immigration induit des effets positifs et bénéfiques sur la vie économique, sociale, artistique et scientifique, elle produit parfois certains effets indésirables comme l'occurrence des chocs culturels, l'intensification des conflits interculturels, l'exacerbation des dysfonctions de l'adaptation et une pression supplémentaire vers des formes de marginalité et de déviance.

Si la petite criminalité de la rue se manifeste parmi des migrants mésadaptés, il en est de même de la grande criminalité comme le crime organisé, le trafic de drogues et de personnes, les fraudes, les vols qualifiés et les homicides. Ce constat a donné lieu à l'occasion à un glissement idéologique vers un discours d'extrême droite d'allure xénophobe[12]. Il devenait alors tentant et facile de mettre en équation l'immigration et l'augmentation cyclique de la criminalité. Les nouveaux immigrants ont particulièrement été pris comme boucs émissaires dans cette série statistique aléatoire. Ce type de discours a eu ses beaux jours jusqu'au moment où il n'a pas tardé à être déconstruit par des observations et des recherches plus fines[13].

La mise en relation entre immigration, l'ethnoculture et criminalité a suscité bien des controverses autour des questions suivantes :

Autant de facettes d'une même problématique : celle des rapports entre les minorités et la question criminelle. Nous ne reprendrons pas ici les termes de ce débat. Nous consulterons avec profit une abondante littérature en sciences humaines consacrée à ce sujet hautement controversé[14].

Dès 1925, Cressey[15]constatait que les groupes minoritaires étaient désavantagés à toutes les étapes du processus judiciaire aux États-Unis. Ce constat a été repris dans des études plus récentes menées par exemple en Europe et au Canada. Le cheminement des groupes racisés en amont de l'univers carcéral (police, Système de protection de l'enfance, système judiciaire) a toujours constitué un problème.

Lorsque l'on considère la criminalité générale, on constate sur la base des statistiques criminelles, qu'elle suit une évolution en dents de scie selon la conjoncture socio-économique (fin des conflits mondiaux de 1914 à 1918, crise économique de 1929…). Après des décennies d'augmentation constante de leur criminalité, le Canada et les États-Unis connaissent des baisses importantes depuis le début des années 1990 (Ouimet M. 2003).

Pour nous limiter à la situation canadienne en 2010, référons-nous au tableau de la criminalité selon Juristat qui se lit comme suit : « Le taux de criminalité au Canada se situait à son point le plus faible depuis le début des années 1970, alors que l'indice de gravité de la criminalité s'est établi à son niveau le plus bas depuis 1998… La police a déclaré des baisses de la plupart des catégories de crime… Le taux d'homicide qui est considéré comme le baromètre de la violence dans un pays était à son point le plus bas depuis le milieu des années 1960. » La criminalité chez les jeunes a aussi accusé un recul tant sur le plan du volume que sur celui de la gravité.

Cette baisse de la criminalité générale est attribuable à différents facteurs :

À la sophistication poussée des connaissances et des pratiques des délinquants correspondait un développement technologique adapté de la part des services de police. Plus l'éventail des moyens de contrôle social se raffinera, plus on sera en mesure de mieux distinguer aussi suicide et homicide; accident et crime; délinquance criminelle et formes variées de maladies mentales, de déviance et de marginalité.

  1. Incarcération et surreprésentation

Est-ce que cette réduction de la criminalité générale se reflète au niveau de la population carcérale? Est-ce que la problématique est différente compte tenu des modalités décisionnelles propres à la police et au système judiciaire? Moins de criminels arrêtés et jugés ne signifie pas nécessairement moins de criminels incarcérés.

Parallèlement à cette baisse générale de la criminalité, il se constate aussi une augmentation de la criminalité ethnique telle que reflétée par la démographie carcérale (Autochtones, migrants récents ou anciennement établis, résidents et citoyens). Il existe bel et bien un problème commun à certains groupes parmi les minorités visibles : celui de la surreprésentation des jeunes et des adultes à toutes les étapes du contrôle social (protection de la jeunesse, police, justice pour la jeunesse, justice pénale et criminelle, système pénitentiaire provincial et fédéral).

La documentation relative à ce dossier est abondante. On consultera avec profit les travaux pertinents suivants pour le Canada : (Juge Dobb[16], Normandeau, A., Douyon, E.[17] [1995] Messier, C.[18], 1980, Crawford[19], Allison 2011).

Notre recherche documentaire sur les populations carcérales a permis de faire ces constats démographiques pour les deux périodes suivantes :

  1. Période de 2004 à 2006

En plus des Blancs et des Autochtones, les établissements correctionnels hébergeaient quatre grands groupes issus des minorités ethnoculturelles:

  1. Les détenus Noirs sont proportionnellement plus nombreux parmi les minorités visibles. Ils se retrouvent surtout en Ontario, au Québec et dans la région de l'Atlantique (Halifax) : 60% des délinquants noirs purgent des peines relatives à des délits de violence (vols qualifiés) ou pour des infractions à connotation sexuelle.
  2. Les délinquants latino-américains/hispaniques se retrouvent surtout au Québec. Ils sont en prison pour des délits qui appartiennent aux catégories : violence, meurtre et délit sexuel.
  3. Les délinquants asiatiques/arabes sont localisés principalement en Ontario et dans les régions du Pacifique et des Prairies. Ils sont incarcérés principalement pour violence, délit sexuel et trafic de drogues.
  4. Le groupe des délinquants non identifiés est surtout présent en Ontario. Il est incarcéré pour des délits divers.

Dans l'ensemble, la majorité des détenus issus des groupes ethnoculturels est âgée de moins de 50 ans. Ils sont moins enracinés dans la criminalité. Ce sont des citoyens canadiens pour la plupart, et ils sont moins portés à récidiver. Ils constituent le quart des délinquants sous surveillance fédérale; 11 % sont à l'intérieur des pénitenciers et 16 % sont sous supervision dans la société (année 2000).

Le volume d'augmentation des groupes minoritaires dans la population carcérale se mesure de la manière suivante :

En 1994, ils représentaient 13 % de la population générale; 9 % étaient incarcérés et 10 % étaient sous surveillance dans la collectivité. En 1997 et en 2000, 11 % étaient incarcérés et 16 % étaient sous surveillance dans la collectivité (2000). De plus, « bien qu'ils représentent environ 2 % de la population canadienne, les Noirs représentent 6 % des délinquants incarcérés dans des établissements correctionnels fédéraux et 7 % des délinquants sous surveillance dans la collectivité. »[20]

  1. Années 2010 et 2011

Même si le taux de crimes déclarés par la police a diminué depuis 1988, le nombre de détenus sous responsabilité fédérale a augmenté. Le taux d'incarcération au Canada est relativement élevé par rapport à celui de la majorité des pays de l'Europe de l'Ouest. Parmi les délinquants sous responsabilité fédérale, 65 % sont de « race » blanche. Les Autochtones (17 %) occupent la 2e place en importance. Viennent ensuite les délinquants issus des groupes ethniques et des « minorités visibles »[21] (Source : Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). Rapport annuel 2010[22].

De 2004 à 2010, le pourcentage des Blancs incarcérés a diminué (de 70 % à 65 %) tandis que celui des Noirs incarcérés est passé de 6,2 % à 7,9 %, soit une augmentation notable, compte tenu du poids démographique des Noirs dans la population canadienne (2 %)[23]. Il y a de toute évidence, par rapport aux autres minorités, un problème de surreprésentation continue des Noirs dans la population carcérale. Si cette surreprésentation se maintient dans les années à venir il y a lieu pour la collectivité noire de s'interroger sur la signification de cette tendance lourde et sur la façon de la prévenir.

  1. Le système correctionnel canadien et son évolution
    1. Point de vue normatif Le système correctionnel tel que nous le connaissons actuellement n'a pas grand-chose en commun avec celui du passé. Il est le produit d'une longue évolution historique plutôt que le résultat d'un développement en vase clos. Des idées nouvelles nées ailleurs aboutissent à des réformes qui génèrent des lois et des normes à l'origine de pratiques différentes au Canada
    2. [24] (Howard J. C. 1940) (Fry, Elizabeth 1945)[25]

      Cette articulation entre les événements de l'histoire et les faits sociaux s'applique bien à l'histoire pénitentiaire. Celle-ci représente un miroir du développement de la société canadienne dans ses relations avec le monde. Les nombreuses réformes qui ont jalonné l'histoire du système correctionnel ont laissé leur empreinte parce qu'un système laissé à lui-même tend à se reproduire. Il faut une impulsion venue de l'extérieur pour le faire évoluer. Fi de la routine, derrière les savoirs et les pratiques nouvelles, il y a toujours l'émergence d'un concept ou l'action discrète d'un leader ou celle d'un groupe pour faire bouger les choses.<

      Dans une perspective chronologique très étendue, le SCC a entrepris de lui-même, avec réalisme et transparence, l'amorce d'une mémoire institutionnelle collective du système correctionnel canadien. Depuis des débuts qualifiés pudiquement comme « difficiles », jusqu'à nos jours où le Canada semble donner le la en matière correctionnelle, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts. Voici de manière résumée et approximative les étapes marquantes de cette histoire mouvementée du système correctionnel canadien[26].
    3. Période préinstitutionnelle (avant 1835)
    4. C'est une période historique durant laquelle d'autres formes d'incarcération ou d'exclusion précèdent la prison. L'idéologie punitive prédomine. Tout se ramène à une question de crime et de châtiment pour paraphraser le titre du célèbre roman de Dostoïevski[27] (1866).

      Au Canada, « [l]es personnes qui enfreignent la loi subissent de lourdes conséquences, souvent en public. Elles peuvent être flagellées (fouettées) ou marquées au fer rouge (flétrissure). Elles peuvent aussi être mises au pilori, dans des cadres de bois avec des ouvertures pour la tête et les bras ou pour les bras et les jambes, et exposées sur la place publique pendant des heures ou des jours entiers. Dans d'autres cas, les prisonniers sont tout simplement expulsés, bannis et transportés vers d'autres pays où ils sont abandonnés à leur sort »[28].

    5. Période de 1835 à 1865
    6. Naissance des premières « maisons pénitentiaires ». Objectif : Isoler l'individu pour lui permettre de penser à ses gestes et de changer. Cette idée est venue d'ailleurs et est d'inspiration religieuse. À Kingston (Ontario), on inaugure la série des maisons pénitentiaires le 1er juin 1835. En parallèle à une approche correctionnelle basée sur des principes, le pénitencier, au quotidien, devient un lieu touristique qui reçoit des « visiteurs payants ». Le régime est essentiellement punitif : on interdit aux détenus de se parler, de se regarder ou de se faire des signes. La flagellation conduit à des abus applicables à tous, aux hommes, comme aux femmes et aux enfants.

    7. Période de 1865 à 1890
    8. Coexistence des asiles et des pénitenciers et controverse sur la prévalence possible de la maladie mentale parmi les délinquants. S'agit-il d'une confusion des genres ou d'une accentuation d'une catégorie nosologique dans le vaste répertoire des troubles de la personnalité et du comportement, des marginalités et des déviances? Réfère-t-on à des espaces de vie exclusifs ou à la possibilité de passerelle entre des modes différents de dysfonctions psychologiques? L'histoire ne le dit pas clairement pour cette époque où la frontière entre malades mentaux et délinquants paraît plus floue qu'elle l'est aujourd'hui.

    9. Période de 1890 à 1920
    10. Naissance de l'idée de l'aide aux délinquants avant et après leur libération. L'objectif : prévenir la récidive. Ce mouvement donne lieu à la première convention pénale du Canada (1891) qui prône la séparation des détenus selon le sexe et l'âge, la création des tribunaux spéciaux pour les jeunes, la mise en liberté sous condition. La Loi sur les libérations conditionnelles de 1899 accélère la mise en œuvre des premières réformes.

    11. Période de 1920 à 1930
    12. Parmi les retombées de la crise économique de 1929, il y a une augmentation sensible de la criminalité. Des sociétés nouvelles (John Howard, Elizabeth Fry) se portent à la défense des « délinquants nouveaux » générés par cette crise qui bouleverse les structures des sociétés occidentales.

    13. Période de 1930 à 1940
    14. Période marquée par une surpopulation carcérale explosive et une série d'émeutes dans les pénitenciers du pays. À Kingston (Ontario), on inaugure la première Prison pour femmes en 1934. La célèbre Commission royale d'enquête Archambault[29] (1935-1938) ouvre la voie à une réforme pénitentiaire majeure : on met l'accent sur la récidive (qui est à l'origine de plus de 70 % de la population carcérale), sur la gestion des pénitenciers, sur la libération conditionnelle et sur la réadaptation.

    15. Période de 1940 à 1960
    16. Le développement correctionnel, interrompu par la Deuxième Guerre mondiale, reprend de la vigueur en profitant d'une ère de prospérité économique. Il y a une nouvelle Loi sur les pénitenciers (1947). La Commission nationale des libérations conditionnelles (1959) est instaurée pour faire suite aux recommandations du Rapport « Fauteux[30] » (1956), qui s'inscrit dans la suite logique du « Rapport Archambault ». Le premier commissaire attitré du SCC, B. Gilson (1947), laissera sa marque de réformateur émérite des établissements pénitentiaires au Canada.

    17. Période de 1960 à 1980
    18. Une restructuration majeure du système (entre 1960 et 1970) aboutit à la création du Service correctionnel (1979). Durant ces années progressistes, une nouvelle vision du délinquant s'impose : individualisation de la peine en fonction du comportement et du parcours carcéral, application des droits de la personne aux détenus qui désormais gardent leurs noms à la place d'un numéro et qui peuvent davantage communiquer avec le monde extérieur (1970). La fin définitive des pratiques de flagellation et l'abolition de la peine de mort en 1976, la mise en place des comités de discipline, des comités de citoyens et des maisons de transition contribuent à conférer un visage plus humain au système carcéral.

    19. Période de 1980 à 2000
    20. Les années sombres des pénitenciers sont derrière nous. Une nouvelle trajectoire s'amorce. L'accent est
      mis sur de nouvelles problématiques : la santé (SIDA, hépatite C, tuberculose, toxicomanie), la justice pour la jeunesse, les peines aggravées pour les jeunes contrevenants, la surreprésentation critique des Autochtones dans le système (Commission royale d'enquête sur les Autochtones 1981-1991)[31], les droits des victimes et leur participation au processus de libération conditionnelle et de médiation dans le cadre de la « justice réparatrice ».

      Sur le plan du droit, en conjonction avec les travaux du comité Arbour (1987-1995)[32], la primauté du droit est reconnue et s'applique au système carcéral. Cette avancée juridique oblige le SCC à redéfinir sa mission en conséquence (1989). En clair, cela signifie que, loin de la règle de l'arbitraire qui a prévalu dans le passé, le système proclame la prééminence de la dignité humaine chez le délinquant et le respect intégral des valeurs prônées par la Charte canadienne des droits et libertés (1982). Fi des droits des détenus, ce sont les droits fondamentaux de tout être humain qui sont conférés à ces derniers.

    21. Période de 2000 à 2012
    22. Des événements à l'extérieur du pays (sept. 2011) comportant une répercussion internationale poussent le système correctionnel à renouveler sa stratégie opérationnelle. Le concept de sécurité publique est placé à l'avant-scène. Au nom de la sécurité intégrée, le nouveau système de surveillance et de prévention ratisse très large aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Le regard est tourné maintenant vers les organisations criminelles (les gangs) qui font monter le niveau de violence à l'interne. Une politique de tolérance zéro vise en particulier la prolifération des drogues dures dans les unités pénitentiaires et la prévention du trafic par le recours aux nouvelles technologies de détection. Un comité de révision (2007-2008) des priorités, des stratégies et des plans d'activités correctionnelles est à l'origine de transformations visant à renforcer et à améliorer les acquis (gestion des délinquants, interventions, programmes, services et réinsertion sociale).
      Les reformes du système de justice pénale sont loin d'être terminées. Des idées récentes quant à l'aggravation et au durcissement des peines, ainsi qu'à la « libération conditionnelle méritée », ouvrent de nouvelles perspectives. Est-ce l'amorce d'un retour du balancier ou la volonté manifestée de jouer sur les nuances?

      Le savoir-faire du Service correctionnel du Canada est maintenant reconnu par des organismes internationaux. Une stratégie se déploie actuellement à l'étranger aux fins d'un transfert d'expertise (formation du personnel, gestion pénitentiaire, programmes et services, réinsertion sociale).

      Ce regard rétrospectif sur cette longue évolution du système correctionnel nous permet de constater que l'histoire de l'incarcération au Canada est une vraie saga. Cette histoire nous renseigne particulièrement sur le triomphe de la justice, sur la déraison, et de la règle de droit, sur le régime de l'arbitraire. Une leçon à tirer de cette rétrospective : on sait au moins ce qui s'est passé dans le système correctionnel avant l'intégration progressive des droits de la personne aux pratiques carcérales. Un tel dévoilement est loin d'être la norme ailleurs dans le monde en matière pénale.

      Dans l'histoire du système correctionnel canadien, aucune mention n'est faite dans les textes officiels quant à la présence de minorités ethniques et visibles dans les unités pénitentiaires. Même si ces groupes minoritaires côtoyaient les détenus blancs et autochtones, ils ne constituaient sans doute pas un problème important digne de mention. Il a fallu attendre que la présence de ces minorités atteigne une masse critique particulière avant de découvrir que le système allait être confronté à l'émergence d'une problématique nouvelle et relativement récente.

      Aujourd'hui, force est de constater qu'en dépit du développement et des progrès spectaculaires du système correctionnel sur le plan humain, un pénitencier demeure un pénitencier et ne deviendra jamais un maillon d'un système étoilé d'hôtellerie. Il y a bien les établissements « Joliette » (Québec) et « Nova » (N.‑É.), ensembles pénitentiaires constitués de jolis cottages entourés de jardins fleuris pour délinquantes vêtues à la dernière mode. Il y a également l'Établissement de « La Macaza » (Québec) qui compte des unités résidentielles modernes où coexistent détenus blancs, détenus autochtones et ressortissants des groupes minoritaires affectés d'une même problématique de nature sexuelle. Originalité des lieux : Chaque délinquant possède avec lui la clé de son espace individuel et privé.

      Il subsiste aussi à Laval (Québec), à la frontière de Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, comme à Saskatoon et dans les Prairies, des unités qui représentent les vestiges des forteresses pénitentiaires d'autrefois. Toutefois, en dépit de cette diversité institutionnelle, persiste un lien symbolique : l'unité pénitentiaire comme espace d'emprisonnement au sens étymologique et psychologique du terme.

      Par ailleurs, les images pour décrire l'établissement pénitentiaire ne manquent pas. On[33] parle bien : « d'espaces clos », de « promiscuité obligée », de « parcage », de « mise à distance », de « punition par l'espace », de « repoussoir » qui génère une peur nécessaire au maintien de la société, « d'exposition contrainte des individus enfermés » ou du « pouvoir des institutions sur les corps et les sujets » et, à la limite, des « dispositifs contemporains de l'enfermement » au sens extensif du concept.

      Toutes ces images fortes, inspirées de contextes punitifs ou privatifs de liberté différents, renvoient à une notion fondamentale : l'intimité ou le rapport à l'autre. « L'enfer, c'est les autres[34] » : Il n'y a rien comme une prison ou pénitencier, comme espace sécuritaire, pour faire prendre conscience de la vérité de cette pensée de Jean Paul Sartre (Huit Clos, 1945). L'unité pénitentiaire, quelle qu'elle soit, c'est d'abord l'impossibilité de continuer à vivre dans sa bulle personnelle, de se distancer dans l'espace, d'échapper au regard des autres. C'est aussi l'obligation de subir l'interaction avec les individus et les groupes en se confrontant sans cesse à leurs stéréotypes, à leurs préjugés et à leurs pratiques d'exclusion. Bref, la prison comme le pénitencier, c'est vivre « l'eximité[35] » dans la sécurité.

4. Le contexte de l'émergence de l'idée ethnoculturelle au SCC

a. La diversité carcérale

Au cours de l'évolution du système carcéral, sous le couvert d'un traitement égalitaire en fonction de la loi, une grande discrétion officielle était observée à l'égard de la présence des minorités ethniques et des minorités visibles en milieu carcéral. On se faisait une fierté de ne remarquer ni la « race » ni la couleur de certains détenus. Les « minorités visibles », en réalité invisibles, ne faisaient pas l'objet d'une attention particulière. La ségrégation raciale était légalement interdite, mais les besoins spécifiques des groupes différents n'étaient pas explicitement reconnus.

La première diversité identifiée fut celle des jeunes, par rapport aux adultes, puis celle des femmes par rapport aux hommes. L'âge et le sexe ont servi de critère pour casser la promiscuité régnante dans les premières unités pénitentiaires. Avec les lois sur les langues officielles et le multiculturalisme, la notion de diversité s'est enrichie. La citoyenneté n'excluait pas la différence comme dit Yolande Geadah : « on reconnaissait le droit à la différence et non la différence des droits[36] » (2007). L'ethnicité et la culture devenaient des réalités incontournables au pénitencier. On commençait à découvrir que la diversité ethnoculturelle des populations carcérales faisait partie de la nouvelle donne dans le système.

L'accent a été porté d'abord sur les Autochtones, lesquels à titre de « Premières Nations » étaient considérés comme étant à la fois semblables et différents : Canadiens en fonction du territoire partagé, mais « étrangers » sans passé migratoire. D'autre part, la découverte de l'hétérogénéité des Autochtones (nations amérindiennes, peuples inuits, Innus, Métis) introduisait une diversité dans la diversité. Le pluralisme ethnoculturel des Autochtones eux-mêmes, en fonction de l'histoire, des traditions, des langues, des valeurs particulières à chaque entité, enrichissait davantage la notion de différence.

La troisième diversité observée fut celle des minorités ethniques et des minorités visibles, qui tout en étant différentes des Premières Nations, sont marquées par leur propre ethnoculture. En réalité, ceux qu'on désigne sous le vocable de minorités ethniques (Grecs, Italiens, Espagnols, etc.) et les minorités visibles (Noirs, Latinos, Asiatiques, arabo-musulmans) constituent des groupes ethniques et nationaux aussi différents les uns des autres. Ainsi, le concept de différence en fonction des origines ethniques paraît extensible à l'infini. Tenir compte de cet amalgame (Blancs par opposition à Non-Blancs, Autochtones par opposition à minorités ethniques et visibles, citoyens canadiens par opposition à non-citoyens canadiens), concilier sécurité, statuts particuliers, profils criminels, service, droits des détenus et réinsertion sociale, tout en prenant en considération les problématiques individuelles (santé, alcoolisme, toxicomanie, maladie mentale et dangerosité, etc.), voilà le défi global à relever pour le Service correctionnel du Canada.

b. Les délinquants ethnoculturels

Autrefois, il était convenu de répartir les personnes en deux catégories : celle des gens libres et celles qui, à la suite d'une infraction criminelle, ont été jugées par un tribunal correctionnel et ont reçu une peine ou une sentence de réclusion dans une prison. Les pensionnaires d'un tel centre d'hébergement privatif de liberté étaient perçus comme des « prisonniers ».

En cette matière, on ne faisait pas dans la nuance. Prisonniers de droit commun, prisonniers de guerre et malades mentaux étaient dirigés vers le même espace clos et soumis à un régime de surveillance assortie d'une punition. Campements, asiles et prisons étaient interchangeables (Foucault[37]). Du fait de sa nature confédérative, le Canada a adopté un système correctionnel clivé : les « prisons » pour les prisonniers sous la responsabilité des provinces (délits passibles d'une peine de moins de deux ans), et les « pénitenciers » fédéraux (crimes passibles d'une peine de plus de deux ans). L'étanchéité des deux systèmes qui évoluent en silo n'est apparente qu'au point de vue juridictionnel et administratif. En réalité, la plupart des pensionnaires des pénitenciers ont déjà connu la prison. La gravité de l'acte criminel et la propension à la récidive marquent souvent la différence entre les pensionnaires d'une prison et ceux d'un pénitencier.

Au cours de la longue évolution du système correctionnel canadien, les politiques ont affecté non seulement les droits des délinquants, mais également leur dénomination selon différents critères. Autrefois, les détenus étaient désignés comme tels, toutes catégories confondues. Ils portaient un numéro jusqu'au jour où ils pouvaient s'identifier par leur prénom et nom respectif. On en vint ensuite à distinguer les « détenus incarcérés » au pénitencier et les « détenus libérés », mais gardés sous surveillance dans la collectivité (libérés conditionnels). Les individus changeaient de régime. Ils passaient d'un espace répressif axé sur la punition et la pénitence à un milieu ouvert, orienté vers la réhabilitation (hier) ou la réinsertion sociale (aujourd'hui).

Les détenus qui avaient commis un crime grave (un meurtre, par exemple) ou qui s'étaient engagés dans la grande criminalité selon un cycle de récidive (syndrome de la porte tournante) étaient désignés comme des « criminels ». Si les contrevenants étaient mineurs, enfants ou adolescents, et s'ils avaient commis des actes criminels en regard de la loi pénale, on parlait préférablement de « délinquants ». On accordait à ces jeunes le « bénéfice de l'âge[38] » (Anna Freud, 1973), en raison de leur immaturité développementale. On établissait ainsi un équilibre entre la protection des jeunes et la sécurité publique.

Par un mécanisme de renversement ou d'inversion, les criminels d'autrefois sont devenus les délinquants d'aujourd'hui. La barrière de l'âge tend de plus en plus à s'estomper pour faire place à une continuité éventuelle de l'agir délinquant de la jeunesse à la période adulte. D'ailleurs, au niveau législatif, il existe une tendance (Loi C-30) à aller dans ce même sens en mettant l'accent sur la notion de « crime grave » quel que soit l'âge du jeune contrevenant. Bien des réserves au plan légal ou juridique et au regard des sciences humaines ont été exprimées à l'égard de ce sujet controversé (La Presse. Loi C-30. 2011)[39].

Au niveau du public, il subsiste un flottement sémantique dans l'utilisation du mot « délinquant ». Mais dans le cadre du Service correctionnel du Canada, un délinquant désigne actuellement un individu qui a contrevenu à une disposition du Code criminel (Loi du SCC et de la Commission des libérations conditionnelles)[40].

Aujourd'hui, si l'on parle de moins en moins de détenus et davantage de délinquants, c'est aussi pour distinguer ceux qui ont commis une infraction criminelle de ceux qui ont contrevenu à d'autres lois (sécurité, immigration, citoyenneté). À cause de l'intersection en matière d'incarcération entre le système de justice, le système correctionnel et les ministères de la Sécurité et de l'Immigration, il n'est pas rare que les délinquants à statuts différents se côtoient. Ils bénéficient également de la plupart des services offerts par l'unité pénitentiaire.

Avec autant de distinctions dans le mode de désignation, il était inévitable qu'on en arrive au concept de différence comme marqueur de l'identité des différents groupes de délinquants. Dans cette évolution terminologique, en relation avec les statuts (délinquants citoyens canadiens par opposition à délinquants avec citoyenneté étrangère passibles d'expulsion en fin de parcours carcéral), l'expression « délinquants ethnoculturels » s'est imposée. Certains disent les « ethnos » par effet apocope pour faire plus court.

Suivant l'exemple de « Statistique Canada », le Service correctionnel a évolué d'une stratification raciale (Blancs par opposition à Non-Blancs) vers une stratification ethnique et culturelle (Blancs, Autochtones, minorités visibles et minorités ethniques). À l'intérieur de chaque catégorie ethnique, il existe une diversité de groupes culturels différents. Ces groupes sont issus de peuples très éloignés les uns des autres et sont parfois le résultat d'un vaste métissage dans le creuset pluriethnique et multiculturel canadien.

En clair, cela ne signifie pas, par exemple, que les Noirs ne sont pas tous des Noirs, mais qu'à l'intérieur de cette catégorie sémantique on retrouve une variété de peuples, tels les Jamaïcains, les Haïtiens, les Somaliens, les ressortissants de l'Afrique, les Afro-Canadiens de Nouvelle-Écosse, etc. Entre les Noirs, il y a presque la même distance culturelle qu'entre les nations occidentales ou les Nations Autochtones entre elles. Cette distance culturelle entre les Noirs doit être prise en compte, même si la problématique des la « criminalité noire » et sa relation avec le système correctionnel demeure identique pour tous les Noirs au Canada.

Comme on peut le constater, la notion de diversité ethnoculturelle au Service correctionnel est extensible. Cette notion polysémique se précise davantage si l'on ajoute à l'ethnicité et à la culture les facteurs langue et religion.

Les deux langues officielles dans les pénitenciers sont l'anglais et le français (Loi sur les langues officielles). En dépit du fait que la communication se fait avec le personnel et l'administration dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, les délinquants peuvent communiquer entre eux dans leur langue maternelle respective dans la mesure où les règles de sécurité sont respectées. Ce qui montre que, au quotidien, la diversité linguistique se joue sur un registre très étendu.

Le tableau ci-dessous est un « instantané » du portrait des groupes ethniques et religieux, qui aide à fournir un portrait exact pour ce qui est des populations carcérales actuelles.

Religion par race/ethnicité[41]
Race Religion Total
ARAB Islamique 17
NOIRS Catholique 58
NOIRS Rastafarien 25
NOIRS Islamique 74
CAU Catholique 2 333
CAU Islamique 117
CAU Judaïsme 23
CAU Aucune 50
IAN Catholique 32
INU Anglicane 12
AUT Catholique 10
AUT Islamique 12

La religion est un facteur ajouté qui contribue à enrichir la notion de diversité. Ce facteur n'a pas le même poids d'un groupe ethnoculturel à l'autre. Mais pour certains groupes, tels les arabo-musulmans, la religion constitue une partie fondamentale de leur identité ethnoculturelle.

Que conclure? Faut-il nuancer ou raffiner davantage la stratification des populations carcérales? Faut-il au contraire percevoir chaque délinquant individuellement, comme une personnalité unique, indépendamment de son appartenance ethnoculturelle? Comme la culture carcérale reflète en partie la culture canadienne, doit-on considérer que le vrai enjeu se situe dans les relations entre la majorité et les minorités? C'est-à-dire dans les relations de pouvoir entre les groupes minoritaires, les délinquants issus du groupe majoritaire, le personnel et l'établissement pénitentiaire?

Certains considèrent que l'expression « délinquant ethnoculturel » sonne mal en regard des droits de la personne, parce qu'elle est plus susceptible, en particulier, de contribuer à un étiquetage à connotation négative. Cette expression linguistique a toutefois été retenue en lieu et place de la désignation « délinquants issus des groupes ethnoculturels minoritaires ». Justificatif : Parce que cela faisait plus court, plus imagé et plus compréhensible dans les deux langues officielles.

Dans la vie quotidienne des unités pénitentiaires, le terme « délinquant ethnoculturel » fait référence à des groupes minoritaires au pouvoir de négociation inégal. Ils ont des besoins spécifiques, des aspirations et des revendications différentes qu'il faut prendre en compte. Il est reconnu que les délinquants ne partent pas tous du même point. Ils n'ont pas la même trajectoire migratoire. Ils ont eu, en amont du pénitencier, des vécus particuliers dans des environnements culturels diversifiés.

D'où un compromis dans le mode d'approche des délinquants ethnoculturels : individualisation, personnalisation et contextualisation selon les référents de l'ethnicité et de la culture. Ainsi, du point de vue des droits de la personne, les principes d'égalité et d'équité seront intégralement respectés.

En résumé, lorsqu'on parle de délinquants ethnoculturels, on réfère à une réalité bien ancrée dans les pénitenciers. Un parallèle à l'émergence d'une population carcérale nouvelle et diversifiée, il y a aussi la survenue d'un discours nouveau sur l'ethnicité, sur la culture et sur la diversité.

5. L'implantation du concept ethnoculturel

La volonté de porter un regard nouveau et différent sur l'ethnicité et la culture au Service correctionnel n'est pas née au hasard. Cette idée a germé sur un terrain propice qui a été défriché et balisé afin de l'accueillir. L'implantation du concept ethnoculturel a pu ainsi bénéficier d'une conjoncture favorable. Dans des circonstances historiques difficiles, des hommes et des femmes venus d'horizons différents ont pu conjuguer leurs efforts en vue d'une prise en compte des besoins spécifiques des nouvelles clientèles carcérales.

a. Les facteurs favorables

Ce fut d'abord l'École de criminologie de l'Université de Montréal qui a servi de créneau de l'ethnoculture en criminologie. La montée des flux migratoires au Canada mettait les intervenants en présence de groupes ethnoculturels variés ayant des cultures, des traditions et des valeurs différentes. En tant qu'institution universitaire pour la formation des futurs cadres en criminologie et particulièrement en milieu correctionnel, l'École de criminologie n'avait d'autre choix que de prendre « le virage ethnique »[42] (1989).

Dans la foulée d'une formation orientée en partie vers la délinquance juvénile et la rééducation des jeunes, l'École a pris la relève de l'Institut de psychologie qui a considérablement élargi les perspectives de l'intervention auprès des criminels. Du type multidisciplinaire (psychologie, psychiatrie, sociologie, droit, service social, éducation), l'École de criminologie mettait traditionnellement l'accent sur quatre blocs d'intervention : police, justice, protection de la jeunesse et service correctionnel. Les jeunes délinquants et les criminels adultes, aussi bien que leurs victimes, étaient l'objet de considérations privilégiées. La personnalité criminelle, le contexte de l'agir délinquant, l'interaction avec les milieux marginaux et déviants, la psychologie criminelle et judiciaire, l'impact de la durée des peines et des sentences, les effets de l'emprisonnement, les droits des détenus, tels étaient des exemples de thèmes qui alimentaient cours, séminaires, stages, recherches et publications, ainsi que missions à l'étranger et participation à des comités de travail ou à des commissions d'enquête.

Parmi les orientations de l'École de criminologie de l'Université de Montréal, deux pistes ont été particulièrement balisées : 1 – La criminologie comparée qui mettait l'accent sur les formes de criminalité dans les pays développés d'Occident et ceux du Tiers-monde (Afrique noire, Maghreb, moyen et proche Orient, Amérique latine et Caraïbe); 2– Le rôle de l'ethnicité et de la culture dans les relations entre les communautés culturelles, la société québécoise et canadienne (choc culturel, conflit sur les normes et traditions, valeurs communes et chartes des droits, dysfonctions de l'adaptation, déviance et marginalité).

Sur le plan criminologique, deux problématiques nouvelles ont émergé dans le processus de formation des futurs intervenants. Soit d'une part les minorités et la question criminelle (relation avec la police, le système de protection et de justice, le milieu correctionnel). D'autre part, les méthodes et techniques d'intervention auprès des clientèles ethnoculturelles du Canada (Autochtones, Noirs, Latinos, Maghrébins, Asiatiques et autres groupes ethniques).

Cours, séminaires, activités de recherche et débats ont abouti à la publication du premier volume académique en français sur la justice et les communautés culturelles. En collaboration avec des ressources externes comme des anthropologues (Guy Dubreuil, Nicole Cardinal…) et des sociologues (André Jacob…), le professeur André Normandeau et moi-même avons marqué dans ce livre-référence les contours des relations conflictuelles entre les Autochtones, les groupes ethniques, les minorités visibles et les systèmes de contrôle social au Québec et dans le reste du Canada.
L'ouvrage « Justice et communautés culturelles 1991-1995 » posait à cette époque des questions délicates et pertinentes qui anticipaient les problématiques des années à venir (fin des années 1990 – début années 2000) :

  1. Les communautés culturelles sont-elles responsables de l'augmentation de la criminalité au Québec et ailleurs?
  2. La police pratique-t-elle la discrimination raciale dans ses activités quotidiennes? Les policiers ont-ils des attitudes racistes?
  3. Au niveau du tribunal, le personnel des services judiciaires (juge, procureur de l'État, avocat de la défense, personnel administratif et clérical) respecte-t-il les droits de tous les accusés, sans distinction de leur couleur, de leur langue? Les sentences sont-elles vraiment justes pour tous?
  4. Dans le système correctionnel, le traitement des personnes incarcérées, issues des communautés culturelles est-il équitable? La libération conditionnelle est-elle accordée plus difficilement aux membres de certaines communautés? (André Normandeau, Emerson Douyon)[43](1995).

Cette activité académique intense a eu des retombées positives pour le Service correctionnel du Canada (SCC). Cette organisation fédérale a commencé à recruter certains de ses professionnels parmi les nouvelles cohortes récemment sorties de l'École de criminologie de l'Université de Montréal. Puis, progressivement les criminologues en sont venus à constituer une partie importante du personnel de direction, des cadres et des intervenants à l'administration centrale et dans les unités pénitentiaires.

Un tel mouvement de recrutement des nouveaux criminologues par le Service correctionnel fit tache d'huile. Après Montréal, de nouveaux centres universitaires pour la formation professionnelle en criminologie furent créés ailleurs, soit à Ottawa, à Toronto et en Colombie-Britannique. Une partie de l'équipe de formateurs de l'Université de Montréal a migré et a contribué à étendre l'expertise criminologique à d'autres villes universitaires.

À terme, le Service correctionnel allait bénéficier de cet « exode des cerveaux ». La criminologie devenait un bassin privilégié de recrutement des professionnels au même titre que la psychologie. C'est ainsi que dans les unités pénitentiaires on pouvait désormais rencontrer à côté des psychologues plus orientés vers la clinique et vers une approche plus « individualisante » des délinquants, des criminologues davantage tournés vers des fonctions de gestion et d'expertise sécuritaire : profil criminel et dangerosité, prévention de la récidive, relations avec le milieu criminel, gestion de crise et médiation, gangs et culture carcérale, préparation à la libération conditionnelle, relation avec les collectivités.

b. Les porteurs du concept

Dans la foulée des relations traditionnelles entre l'École et le SCC, une ère nouvelle allait être inaugurée grâce à une alliance dans le créneau de l'ethnoculturel. Par un concours de circonstances extraordinaires, la convergence s'est établie sur le terrain entre moi-même et d'anciens étudiants devenus cadres au Service correctionnel dont, en particulier, Mme Lucie McClung, commissaire du SCC, et Marcel Kabundi, gestionnaire des Services ethnoculturels au SCC.

Vers la fin des années 1980, afin de garantir un équilibre entre les jeunes enseignants et les professeurs-chercheurs chevronnés, l'Université a offert à ces derniers la possibilité de se décharger progressivement d'une partie de leur charge académique régulière. Certains professeurs pouvaient donc se prévaloir du privilège d'une retraite anticipée sans pénalité et avec compensation de surcroit. La pyramide des âges du personnel enseignant pouvait ainsi se maintenir, compte tenu des garanties des Chartes des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. L'Université pouvait du même coup mieux gérer le recrutement continu des aspirants professeurs et le renouvellement du corps professoral sans nuire à l'expertise acquise avec la maturité.

M'étant prévalu exceptionnellement de ce privilège et de cette opportunité, je suis retourné progressivement à la pratique professionnelle à la clinique de psychologie René Laennec située à Ville Mont-Royal. Mais en partant de l'Université, je m'étais promis de porter sur la place publique les grandes problématiques relatives aux rapports entre les minorités et la société, par exemple, les minorités ethniques et la question criminelle, les tensions et conflits avec la police, le cheminement des minorités dans les systèmes de protection de justice et d'incarcération. L'expertise psycholégale représentait mon point d'orgue. Elle me mettait régulièrement en contact avec l'aide juridique, la Direction de la protection de la jeunesse et les tribunaux. Je développais une expertise particulière auprès des jeunes immigrants et de leurs familles dans leurs démêlés avec la police, le système de protection et celui de la justice. Mon entrée à la Commission du droit du Canada et à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec m'offrait l'opportunité d'aborder les mêmes problématiques sous un angle plus juridique et plus systémique.

À partir d'une vision de la psychologie criminelle, j'ai pu ainsi élargir mes horizons au domaine du droit et des droits de la personne. Mon expertise auprès des minorités visibles en particulier se complétait occasionnellement par une meilleure connaissance du vécu des enfants autochtones, de leurs familles et de leur environnement.

Mon parcours comme professeur-chercheur, comme intervenant et comme membre de commissions fut couronné par mon élection à la tête de deux comités consultatifs du Service correctionnel du Canada pour les minorités ethnoculturelles : soit le Comité consultatif régional ethnoculturel (CCRE) du Québec et le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE). À ce double poste honorifique, je devais accompagner les bénévoles dans leurs visites des pénitenciers du pays.

Dans le cadre de ce bénévolat à la fois professionnel et culturel, j'ai pu renouer contact avec les criminologues, en particulier avec Marcel Kabundi, alors que nos chemins respectifs se sont à nouveau croisés. Pour moi, la boucle était en train de se refermer. Après avoir œuvré auprès des jeunes noirs qui remplissaient les centres de réadaptation de la jeunesse du Québec, je découvrais la surreprésentation de ce même groupe minoritaire dans l'univers carcéral canadien.

6. Mon parcours au Service correctionnel : des établissements pénitentiaires en Haïti vers le Service correctionnel du Canada

Avant de m'engager comme bénévole au SCC, avant même ma seconde carrière en criminologie, dans une vie antérieure en Haïti, j'avais découvert pour la première fois l'univers carcéral. Comme psychologue, j'avais été chargé par l'Institut du bien-être social du gouvernement haïtien d'aider à sortir les « enfants de la rue » de la prison centrale de Port-au-Prince. Ces petits « délinquants » à l'haïtienne, qui servaient de relais entre les touristes américains et les prostituées de la banlieue, croupissaient parfois en prison, sujets aux brimades et aux sévices de toute nature. Ces jeunes détenus étaient libérés à condition de se prêter à un processus de rééducation dans un vaste centre d'accueil face à la mer. J'avais construit à cette fin un modèle inspiré de Fritz Redl[44] et de l'œuvre de ses disciples à Montréal (Noël Mailloux[45] Jeannine Guindon[46] et coll., Centre d'orientation). Des éducateurs formés à la hâte et sur le terrain étaient chargés de gérer ces nouvelles ressources éducatives mises à la disposition de ces garçons mineurs.

Parallèlement, au niveau des adultes, j'avais eu l'occasion, à la demande de certains avocats de la défense, de réaliser quelques expertises psycholégales auprès d'un petit nombre de détenus à la Prison centrale de Port-au-Prince, à la Prison de « Fort-dimanche » et à l'Asile de « Beudet ». Ces trois institutions étaient affectées d'une sinistre réputation. L'univers carcéral haïtien, surpeuplé de détenus et de malades mentaux, toutes catégories confondues, m'est apparu alors dans toute son horreur.

Plusieurs années plus tard, devenu citoyen canadien, professeur à l'Université de Montréal, inspecteur et expert agréé de l'Ordre des psychologues du Québec (OPQ), je fus chargé par cet Ordre professionnel d'explorer la possibilité d'entrer en contact avec les psychologues du Service correctionnel du Canada en vue d'une inspection professionnelle de routine.

Lorsque je me suis présenté à titre d'inspecteur au Complexe pénitentiaire de Laval (banlieue de Montréal), on m'expliqua avec gentillesse que l'OPQ n'avait pas compétence, parce que j'étais sur un « terrain fédéral ». Face à cette ambigüité territoriale et à cet imbroglio juridictionnel, mon comité d'accueil au sein duquel se trouvaient des criminologues et d'anciens étudiants, me facilita toutefois l'accès sous réserve d'une négociation éventuelle avec l'Ordre des psychologues du Québec. Ce qui sera réalisé avec succès plus tard.

Ce fut à l'occasion de cette première inspection professionnelle au nom de l'OPQ que j'ai découvert la réalité de la condition carcérale au Canada. Je prenais contact avec un monde axé sur la sécurité où règnent l'ordre, la discipline et un confort relatif. Derrière cet écran, comment se posait la question ethnoculturelle? Séparation au quotidien, priorité aux droits humains, espace d'harmonie ou zone de tension, de conflit et de violence? Danger imprévisible pouvant surgir à tout moment et de nulle part à la fois? Mes impressions de ce premier contact avec le Service correctionnel me laissèrent perplexe. Ce n'est que longtemps plus tard que j'aurai l'occasion d'approfondir en compagnie de mes deux comités consultatifs (régional et national) toute l'ampleur et la complexité du système correctionnel au Canada.

7. Les retrouvailles avec Marcel Kabundi : élaboration de projets et cheminements communs

Marcel Kabundi est un juriste criminologue de haut niveau. Par son cheminement de carrière, il a contribué avec efficience et efficacité au renforcement des liens entre l'École de criminologie de l'Université de Montréal et le SCC. Il a permis, par ses initiatives et par son activisme positif, d'inscrire l'ethnoculturel dans l'ADN du SCC.

Le parcours migratoire et professionnel de Marcel Kabundi est impressionnant :

De l'Afrique noire au Canada, de l'Université de Montréal au Service correctionnel à Ottawa, du terrain pénitentiaire à l'administration centrale, la carrière de Marcel Kabundi a gravi lentement les échelons. Parti d'une condition modeste de migrant, il a eu l'humilité de retourner aux études en criminologie et en droit. De l'unité pénitentiaire « Leclerc » à la haute gestion administrative (Section des services ethnoculturels), Marcel Kabundi a accumulé une bonne connaissance des dossiers criminels et des réalités correctionnelles.

« Lorsque j'ai joint l'Établissement Leclerc dans la région du Québec en 1987, précise Marcel Kabundi, j'ai été surpris de découvrir l'existence d'une unité communément appelée LES NATIONS UNIES où étaient affectés tous les délinquants appartenant à des minorités ethniques. J'avais également constaté que nos collègues éprouvaient de la difficulté à communiquer lorsque confrontés aux différentes cultures des délinquants. Plus encore, la qualité médiocre de l'interprétation linguistique lors de certaines audiences de libération conditionnelle pouvait induire en erreur les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) et se traduire par des décisions erronées, liées à l'octroi de la libération sous condition ou au maintien en incarcération de délinquants. »

De cette rampe de lancement à Montréal, Marcel Kabundi est monté à l'assaut d'Ottawa. Après avoir sensibilisé la commissaire du SCC de l'époque, il a été appelé à aider à faire cheminer le dossier ethnoculturel au SCC. Son travail en collaboration avec Mme Lucie McClung, commissaire, et M. Mario Dion, alors commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, aboutira à l'élaboration de la DC 767, qui constitue le fondement des politiques correctionnelles à l'endroit des minorités ethniques et minorités visibles au SCC.

Entre Marcel Kabundi et moi, il existait plusieurs points d'affinité :

Je sentais surtout qu'une philosophie implicite de la vie nous rapprochait. Je partageais avec lui, au-delà du travail, le sens d'une mission à accomplir. Notre œuvre auprès des délinquants minoritaires parmi les minorités, pourrait s'inspirer de cette école de pensée selon laquelle « nul n'est méchant volontairement » et qu'à l'égard d'un être humain en détresse il y a toujours quelque chose à faire.

8. Les pionniers

L'idée ethnoculturelle au SCC n'est pas née au hasard. Elle n'est pas un accident historique ni l'œuvre d'une seule personne. Elle représente l'aboutissement d'un travail d'équipe conformément à un long processus d'élaboration. Les étapes marquantes de cette évolution peuvent se résumer aux dates cibles suivantes :

  1. Année 1992 : groupe de travail sur la diversité ethnoculturelle

Le 11 juin 1992, un groupe de travail sur la diversité ethnoculturelle a été créé au SCC. Le mandat et les objectifs poursuivis consistaient essentiellement à :

Sous le leadership de M. Irving Koulik, commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, ce groupe d'étude, dirigé par Mme Odette Gravel-Dunberry et coordonné par M. Marcel Kabundi, était aussi chargé d'envisager la création d'un mécanisme de consultation avec les groupes et organismes appartenant aux minorités ethniques et visibles du Canada. Les travaux d'un tel groupe d'étude, chapeauté par un Comité directeur, devaient aboutir à la mise sur pied ultérieurement d'un comité consultatif national en matière ethnoculturelle au SCC.

  1. Année 1998 : consultations préalables

Une réunion préparatoire élargie du SCC eut lieu dans la ville de Québec, à l'Hôtel le Concorde. Des employés et des gestionnaires du SCC rencontraient alors un petit groupe d'experts de l'extérieur (du Canada et des États-Unis) pour leur présenter les opérations, programmes et services du SCC. Marcel Kabundi et ses collègues désiraient sonder les réactions des experts issus des groupes minoritaires quant à d'éventuelles relations entre le SCC et les communautés ethnoculturelles. Quelques professionnels, comme Bessy Pang et moi-même, étaient invités à prendre connaissance de certains programmes soumis en toute sécurité et dans la plus grande discrétion.

La réunion fut cordiale et comprenait un volet un peu plus social auquel assista un ambassadeur africain en poste à Ottawa. Le tout fut suivi d'une visite à l'Établissement de Donnacona, situé en banlieue de Québec. Une séance de distribution de souvenirs du SCC couronna cette réunion historique qui mettait en contact le personnel et les cadres du Service correctionnel avec des représentants des minorités ethnoculturelles.

  1. Année 1999 : création du CCRE (Québec)

Le sous-commissaire adjoint Watson pour la région du Québec convoqua au 3 Place Laval, en banlieue de Montréal, une vingtaine de personnalités membres des communautés ethniques et visibles du Québec. Le but de cette réunion était une prise de contact officielle entre le SCC et les minorités ethnoculturelles de la région.

Dès la première rencontre, je fus élu à l'unanimité comme président de ce groupe qui devait constituer le Comité consultatif ethnoculturel du SCC pour la région du Québec (CCRE). J'ai accepté avec réticence compte tenu de mes activités professionnelles et académiques qui me retenaient ailleurs. Faute d'expérience administrative en dehors du milieu universitaire et devant la perspective d'entrer dans un univers inconnu, je me sentais angoissé et embarrassé. La pression du groupe, mettant de l'avant mon expertise auprès de la police, de la justice et des minorités ethnoculturelles, m'aida à surmonter mes dernières réticences.

C'est ainsi que, pendant douze ans sans interruption (de 1999 à 2011), j'ai assumé le leadership du premier Comité consultatif régional ethnoculturel pour le SCC au Canada. Dans cette aventure, des collaborateurs de la première heure comme M. Giap N'Guyen et José Calderon, m'ont accompagné jusqu'à ma démission comme président du CCRER. De mon point de vue personnel, un appel au renouvellement en vue d'un apport de sang neuf s'imposait.

Je rends hommage au sous-commissaire Watson et à M. Réjean Tremblay, son assistant à l'époque, qui nous accompagnaient au cours des visites des pénitenciers et assuraient au Comité un accès efficace au personnel, aux gestionnaires et aux délinquants. Sans leur encadrement, leur contribution personnelle et leurs efforts de stimulation, le Comité ne serait jamais sorti de l'ombre.

Quant à M. Daniel Amini, de l'Établissement Leclerc, notre homme de terrain, aussi à l'aise avec les bénévoles qu'avec les délinquants, toutes catégories confondues, il a grandement contribué au fonctionnement et à l'image du Comité comme modèle à imiter. Dans le reste du Canada, on commençait à parler avec humour du « modèle québécois » de consultation du SCC auprès des minorités ethnoculturelles.

  1. Année 2001 : création du CCNE – de Montréal à Ottawa

Un petit groupe qui devait constituer plus tard le noyau du Comité consultatif national ethnoculturel s'est réuni au Collège du personnel du SCC, à St-Vincent-de-Paul (Laval, Québec) à l'automne 2001. Je n'ai pas assisté personnellement à cette première réunion pour cause de maladie. Même si j'avais été pressenti comme président du fait de mon bilinguisme et de mes associations antérieures avec le SCC, j'ai initialement renoncé à jouer ce rôle. J'étais tenu au courant des délibérations à distance. J'ai cependant accepté de devenir l'un des membres fondateurs de ce groupe consultatif national. Dr Jeffers Toby (Ontario) et Mme Marge Nainar (Prairies) ont été respectivement élus président et vice-présidente. C'est dans ces circonstances que fut créé le NEAC (en anglais) ou le CCNE (en français).

Une deuxième réunion, cette fois élargie, eut lieu à Ottawa. La commissaire, Lucie McClung, a présidé les premières et dernières délibérations pendant les trois jours qu'ont duré les travaux du CCNE. Entourée de ses principaux collaborateurs, Mme McClung a commencé par rappeler que je fus son professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. Elle a souhaité la bienvenue au Comité pour son premier contact officiel avec l'administration centrale du Service correctionnel du Canada. Le SCC a ensuite souligné, à l'intention du Comité, le rôle qu'on attendait de lui : fonctionner à titre de groupe national pour l'expertise-conseil en matière de relations du SCC avec les minorités visibles. Le CCNE ne représentait pas la voix des ONG auprès du SCC dans le domaine ethnoculturel, mais il devait être représentatif de la clientèle carcérale issue des groupes ethnoculturels (minoritaires).

Le SCC était déjà au courant de la surreprésentation de certains de ces groupes dans les pénitenciers du pays. Mais on connaissait mal leurs besoins, leur identité ethnique, leurs valeurs, leurs caractéristiques et leurs traditions. Comment rendre les programmes et services offerts par le SCC accessibles aux délinquants issus des communautés ethnoculturelles? Quelles initiatives devraient servir de pont pour renforcer les relations avec les collectivités d'origine? Comment préparer la réinsertion sociale en toute sécurité de ces délinquants?

Le SCC ne s'inquiétait pas seulement de la proportion croissante des délinquants ethnoculturels au sein de la population carcérale. Il se posait également des questions au sujet de la nature des relations entre ces groupes de délinquants avec les autres détenus et avec le personnel. La question de la sous-représentation se posait aussi pour le personnel issu des groupes ethnoculturels minoritaires. On savait que « les emplois fédéraux sont difficilement accessibles aux membres des minorités visibles ». Il fallait donc aborder aussi le problème de l'équité en matière d'emploi. Le personnel appartenant à de tels groupes était en conséquence sous-représenté au SCC.

Pour ses travaux, le CCNE devait s'inspirer de la Directive du commissaire (DC 767) et de ses normes d'application (mandat) en voie d'élaboration. Ces normes, qui devaient être consignées par le SCC et par le président du CCNE, ont alimenté les débats de cette réunion tenue à Ottawa. Ces débats houleux portaient en particulier sur les points suivants :

  1. La nature du Comité national

Selon le SCC, le CCNE est un corps consultatif au sens strict. Les consultations avec le Service correctionnel devraient être ponctuelles et avoir lieu selon les besoins. Il s'agit d'un groupe bénévole d'où seraient exclus les problèmes de rémunération. Le SCC se charge de mettre à notre disposition toutes les ressources nécessaires à la réalisation de nos travaux (frais de voyage et d'hébergement, nourriture, communication, papeterie, impression de documents, etc.).

Même si le CCNE était un groupe mixte (gestionnaire, personnel, professionnel et clérical, membres extérieurs à la fonction publique, représentants des groupes ethnoculturels), il fonctionnerait à titre indépendant et autonome. Il serait aussi distinct des autres comités consultatifs : les comités des Autochtones et des citoyens. Tout y serait traité sous l'angle de l'ethnicité et de la culture pour les groupes minoritaires, soit ethnique, soit visible.

Notre mandat semblait bien circonscrit même si la compétence du Comité n'était pas exclusive. D'autres groupes ou comités pouvaient bien partager des préoccupations quant au sexe, à la religion, à la langue, à l'identité, aux symboles, aux traditions et aux valeurs.

  1. Le fonctionnement du Comité national

Dès le départ, les membres extérieurs du Comité remirent en question les modalités opérationnelles du CCNE. Ni le mandat, ni les objectifs, ni les intentions déclarées par le SCC ne paraissaient d'une parfaite limpidité. Bien des zones obscures bénéficieraient d'un meilleur éclairage. Trop de non-dits et pas assez d'explications en relation avec la Directive du commissaire 767 et le projet de normes d'application (mandat).

Les travaux ont vite mis en évidence l'antinomie entre ce que plusieurs membres recherchaient et ce que le SCC proposait. Le Comité a réalisé que le modèle visé pour les minorités visibles n'était pas celui de la « Société Elizabeth Fry pour les femmes ». Il ne serait pas non plus équivalent de l'organisme consultatif pour les Autochtones. Il ne disposerait pas d'un poste budgétaire particulier permettant une gestion autorisée relative aux clientèles ethnoculturelles.

Le Comité ne serait en aucun cas un substitut du SCC. Il figurerait plutôt comme une source d'expertise gratuite, un mécanisme d'aide bénévole et volontaire. Pour la gestion au quotidien des affaires ethnoculturelles c'est le SCC qui donne le « la ». Ce mécanisme de consultation appréciable, activé au besoin, serait à la fois proche et lointain.

Le message original du SCC n'est pas passé comme une lettre à la poste. La méfiance envers le SCC était inégalement partagée entre les représentants des communautés ethniques et des communautés de minorités visibles. Certains participants, de la Nouvelle-Écosse en particulier, apparemment marqués par leurs relations antérieures avec le SCC paraissaient sur la défensive. On en est venu au constat que, à l'égard des minorités ethnoculturelles, le SCC n'avait peut-être pas les moyens de ses ambitions.

Même si le SCC paraissait bien intentionné, des membres issus des minorités visibles et ethniques commençaient à se poser des questions :

Ces questions sur le mandat, le rôle et les ressources du CCNE n'ont jamais reçu de réponse claire. Elles domineront les débats du début et les travaux ultérieurs. Plusieurs membres ont démissionné parce qu'ils avaient l'impression que nous tournions en rond dans nos délibérations. Ces débuts difficiles pèseront lourd sur l'évolution du CCNE. Ce n'est qu'à partir de l'exercice 2005-2006, avec le remaniement des structures, tant à l'administration centrale qu'au sein du Comité consultatif national, qu'on assistera à un nouveau départ, soit :

  1. La nomination de Marcel Kabundi à la direction de la Section des services ethnoculturels du SCC.
  2. L'élection d'Emerson Douyon à la présidence et celle de Marge Nainar à la vice-présidence du CCNE.

En rétrospective, onze ans plus tard, en examinant les enjeux et les défis, par-delà les rumeurs, les obstacles, les résistances quant aux territoires et aux droits acquis (programmes, services, relations personnel-délinquants), deux faits demeurent et dominent les rapports entre le SCC et le – CCNE) :

  1. Une opposition entre la culture du bénévolat urbain de style nord-américain et une tradition de solidarité plus compatible avec l'histoire des communautés ethnoculturelles du Canada.
  2. Le contentieux entre la société canadienne et les minorités noires qui se reflète au niveau de la police, de la justice et du système carcéral.

  1. Les instruments pour l'implantation de l'ethnoculturel au Service correctionnel

  1. La Directive du commissaire (DC) 767; première manière : l'ethnoculturel 101 – l'impulsion initiale

Il est de tradition que le commissaire émette des directives. Il en existe sur les Autochtones, les minorités ethniques et minorités visibles, comme il en existe sur les femmes, la violence et la toxicomanie en milieu carcéral. Cela fait partie des prérogatives du commissaire. Ces directives visent à baliser certains secteurs et facteurs liés à la criminalité ou susceptibles d'en affecter l'émergence, le développement ou la gravité. Il ne s'agit pas de causes directes de la criminalité, mais de variables intermédiaires.

Quand le commissaire désire attirer l'attention ou mettre l'accent sur de tels liens, il émet une directive ponctuelle qui porte un numéro de série. Ainsi la DC 767 est connue comme celle qui traite des questions d'ethnicité et de culture au Service correctionnel.

La DC 767 pouvait être considérée à l'époque de sa promulgation comme un acte initiateur qui a donné la première impulsion. À mon sens, c'était un geste courageux et visionnaire qui devait instaurer de nouvelles pratiques en relation avec la diversité carcérale. Les délinquants issus des minorités ethniques et des minorités visibles, noyés dans la masse des délinquants, se voyaient reconnaître une identité avec des besoins spécifiques et des traditions particulières, sans nier leurs droits fondamentaux. Mettre à l'avant-plan le concept de différence plutôt que celui de la convergence en fonction de la majorité n'allait pas de soi.

À titre d'instrument pour l'implantation de l'ethnoculturel, la DC 767 était bien perçue au départ. Elle a contribué à projeter une image moderne du Service correctionnel. Donner une voix et une place aux minorités s'accordait bien avec le modèle démocratique recherché par le SCC et la société canadienne.

La DC 767 a donc jeté les bases conceptuelles qui ont favorisé la création des comités consultatifs ethnoculturels tant à l'échelle nationale que régionale. Cependant, même s'il ouvrait la voie à des échanges avec le commissaire, cet instrument a été établi dans un contexte d'autorité. Destiné aux minorités ethniques et aux minorités visibles, il préparait mal à un dialogue direct au sein d'un comité mixte tel que le CCNE.

Élaborée en vase clos d'une manière théorique, la DC 767 comportait des faiblesses et des lacunes évidentes que la pratique sur le terrain allait vite révéler. Jusqu'en 2011, elle n'a fait l'objet d'aucune contestation ouverte de la part des membres extérieurs des comités consultatifs ethnoculturels. C'était la vision officielle, le sceau de l'autorité dans une structure très hiérarchisée. Par contre, ces mêmes comités pouvaient s'appuyer sur cet instrument pour interpeller en retour les cadres et le personnel du SCC.

Pour avoir vécu personnellement l'application de la DC 767 pendant plus de dix ans à titre de bénévole, je peux témoigner que cet instrument extraordinaire était méconnu et peu publicisé au départ. Il aurait pu cependant faire changer la situation du tout au tout, s'il avait été intégralement appliqué. Or, c'était loin d'être le cas. Durant nos visites des unités pénitentiaires, nous nous apercevions assez vite que le message passait difficilement de la haute direction aux cadres et au personnel sur le terrain. Certains leaders chez les délinquants avaient vaguement entendu parler de cette directive du commissaire qui les concernait. Ils pouvaient éventuellement y avoir recours pour mettre de l'avant leurs revendications auprès des autorités concernées.

L'exemple de la région du Québec est assez parlant à cet égard. Nous savions dès le départ que chaque région au sein du Service correctionnel est autonome. Ce que nous avons découvert comme président du CCNE et du CCRE (Québec), c'est à quel point cette particularité régionale peut être exacerbée à l'occasion. Dans cette perspective, chaque unité pénitentiaire constitue en soi un territoire avec son histoire et ses traditions. Chaque territoire semble représenter un fief avec sa culture, ses modalités de gestion, son « modus operandi ».

Pas étonnant que, dans ce contexte la DC 767, imposée d'en haut et de loin, ait connu une implantation plus difficile dans certains territoires. Née dans la controverse, cheminant à travers des obstacles et des barrières invisibles, la DC 767 a suscité une stratégie défensive discrète. Comme toute règle générale destinée à susciter un changement normatif d'une certaine ampleur, la DC 767 a connu ses détracteurs comme ses défenseurs.

Bref, il fallait compter avec des résistances à plusieurs niveaux. Les comités consultatifs ethnoculturels devaient composer avec cette donne. Ils se trouvaient placés dans une situation inconfortable entre l'émetteur du message et ceux qui le recevaient.

Il n'est pas étonnant dès lors de comprendre pourquoi la DC 767 a pris tant de temps à produire des effets concrets et visibles, malgré sa pertinence, son actualité et sa modernité. La DC 767 se présentait au départ comme un modèle théorique d'implantation de l'ethnoculturel. C'était le PLAN avant les OPÉRATIONS. Est-ce que les résultats escomptés ont suivi? Seul le temps se chargera de révéler si les réalisations étaient à la hauteur des objectifs visés et de la logistique mise en route pour y parvenir.

  1. Les normes d'application (mandat) comme acte fondateur

La Directive du commissaire (DC 767) a conduit à la production d'un deuxième instrument pour l'implantation de l'ethnoculturel. Il s'agit des normes d'application généralement désignées en anglais par l'expression « Terms of Reference ». Les normes d'application de la DC 767 représentaient davantage un code d'éthique pour les membres des comités consultatifs qu'un mode d'emploi de la DC 767. Contrairement à ce dernier qui a été préfabriqué puis imposé, les normes ont été l'œuvre conjointe du SCC et du CCNE.

Ces normes ont donc servi de base de négociation au départ, puis de balises pour encadrer le mode de fonctionnement des comités consultatifs ethnoculturels. Elles ont été consignées par la commissaire Lucie McClung et par le président désigné de l'époque Dr Jeffers Toby au nom des membres du CCNE (2001).

Les normes d'application portaient essentiellement sur le mandat du Comité consultatif national, sur la composition de ce Comité, ses modalités de fonctionnement, sur le rythme des réunions selon l'agenda du commissaire et les disponibilités des membres. Il n'a jamais eu l'obligation de résultat ni pour le CCNE ni pour le CCRE. Mais on ne ratait jamais l'occasion de rappeler aux membres des comités consultatifs ethnoculturels la nécessité d'orienter leurs actions en fonction du bénévolat, qui est basé sur la bonne volonté des partenaires.

Cependant, certains membres qualifiés des comités ont agi comme experts nationaux tout en sachant que d'autres experts au niveau international étaient aussi appelés à légitimer par exemple les programmes du Service correctionnel. La question de conflit d'expertise était occasionnellement soulevée quant à l'ethnicité et à la culture. Qui étaient les mieux placés pour une évaluation pertinente des programmes à cet égard? La Direction des programmes, les comités des programmes du SCC, les comités consultatifs internationaux ou nationaux? Ce problème de l'adéquation des programmes sous l'angle ethnoculturel n'a jamais été à la satisfaction de tous.

Plutôt que de tourner en rond et de continuer son opposition idéologique au SCC dans le créneau des programmes, le CCNE a essayé de faire finalement alliance avec le Service correctionnel. Le point le plus important dans les délibérations consistait à essayer d'obtenir des résultats concrets sur le terrain dans les unités.

  1. Le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE)

Ce comité n'a jamais été élu par les communautés culturelles à la grandeur du pays. Il ne représentait donc pas la voix officielle de ces communautés, même si la plupart de ses membres étaient issus des groupes ethnoculturels désignés. Le seul critère connu pour le choix des membres extérieurs était leur implication communautaire auprès des minorités représentées dans la population carcérale.

Comme les autres membres représentaient le Service correctionnel (le commissaire et certains cadres de l'administration centrale), ce comité formait en réalité un comité mixte. Il devait représenter un espace de dialogue entre le SCC et les groupes ethnoculturels. Ce Comité national avait aussi pour fonction la coordination des comités consultatifs pour les régions du SCC au Canada, soit les régions du Québec, de l'Ontario, du Pacifique, de l'Atlantique et des Prairies.

Assurer l'unité de cet ensemble disparate a constitué tout un défi. Les démissions, les départs et les renouvellements des membres ethnoculturels en particulier ont beaucoup transformé le visage du Comité. Seul un noyau dur a survécu aux premières dix années d'existence du Comité national.

Parallèlement à ses quatre réunions statutaires annuelles, le CCNE a organisé avec le SCC une série de colloques et des symposiums sur des thèmes académiques variés dans la plupart des grandes villes au Canada (Montréal, Toronto, Vancouver, Halifax, Moncton, Saskatoon et Edmonton). Ces rencontres ont été souvent l'occasion de sensibiliser le public aux grands enjeux de la condition carcérale pour les minorités ethniques et visibles.

Toutefois, une bonne partie des activités du Comité national ont été consacrées aux visites dans certaines grandes unités pénitentiaires du pays. Pour les personnes en dehors du système carcéral, ces unités constituent la « face cachée » du Service correctionnel. « Pour l'amour de Dieu, qu'allez-vous faire là? ... »

C'est parfois en ces termes teintés d'anxiété et de curiosité que nous nous sommes déjà fait interpeller. À quel titre répondre? Comme professionnel déontologiquement intéressé aux délinquants aussi bien qu'aux victimes, comme membre d'un groupe ethnoculturel surreprésenté dans les pénitenciers ou comme bénévole animé d'une certaine empathie face à la détresse humaine?

Nous avons conduit des observations poussées du milieu carcéral à l'occasion de ces visites périodiques. Nous y avons rencontré le personnel-cadre, les professionnels et les agents chargés de la sécurité, de l'évaluation, de la prestation des programmes et services. De petits groupes de détenus ethnoculturels, délégués par leur association respective sont venus discuter avec nous de leurs besoins, de leurs problèmes, de leurs trajectoires et de leurs aspirations.

Afin d'établir les ponts entre le Service correctionnel et les communautés culturelles d'où proviennent ces détenus, des visites communautaires ont été organisées par le Comité dans certains quartiers ethniques. C'est ainsi que de solides contacts ont été établis avec les communautés noires de Halifax, de Toronto et de Montréal. Un certain clin d'œil a été également fait en direction de quelques autres communautés (Sikhs, Micmacs, Métis, Grecs, Latinos…), afin de comprendre l'ensemble des enjeux, ainsi que les ressemblances et les différences dans les relations entre les minorités ethnoculturelles, les Autochtones et le système correctionnel.

  1. Les comités consultatifs régionaux ethnoculturels (CCRE)
    1. L'évolution du modèle québécois : projets et initiatives (les bonnes pratiques)

Les mandats particuliers des comités consultatifs régionaux n'ont jamais été clairement définis avant 2010. À l'exception de la région du Québec, ces comités existaient virtuellement. Ils devaient s'aligner sur le Comité national en faisant ressortir leurs caractéristiques propres à l'échelle régionale. Plusieurs tentatives ont eu lieu, particulièrement à Toronto et à Vancouver. Le militantisme régional et des divisions intestines ont conduit certains comités ethnoculturels à tourner en rond pendant des années. Sur les derniers milles, récemment, quelques initiatives et projets dits de « bonnes pratiques » peuvent être signalés (rapport : Johanne Vernet, SCC, 2011).

C'est la région du Québec qui a pris le départ des comités régionaux. Grâce au dynamisme de l'équipe en place au SCC dans la région du Québec, ainsi qu'au recours à de nombreuses ressources communautaires disponibles, un Comité consultatif régional ethnoculturel a été mis en place. Ce Comité inspiré du Comité national pour sa composition est vite devenu une référence pour son homogénéité, son caractère volontaire et sa stabilité. Un noyau dur composé d'un représentant de la communauté haïtienne (moi-même), d'un représentant de la communauté salvadorienne (José Calderon) et d'un membre de la communauté vietnamienne assura la continuité du Comité, de la fondation à l'année 2012.

Pendant ces dix dernières années, le CCRE du Québec a connu des hauts et des bas, selon les circonstances. Mais l'originalité de sa structure et de son fonctionnement l'a vite amené à être désigné comme le « modèle québécois ». Outre, des cadres du Service correctionnel et des représentants de la Commission des libérations conditionnelles et du Comité consultatif de citoyens, le Comité comprenait un large éventail des communautés ethnoculturelles. Aucun groupe ethnique en particulier n'a tenté de s'imposer ni d'interférer avec l'équilibre des entités en présence.

Dès le début, le CCRE du Québec a compris la nécessité de ne pas fonctionner en vase clos. Le Comité avait « son homme sur le terrain » et pouvait maintenir une communication constante avec les détenus dans les unités ou avec les délinquants dans la collectivité. M. Daniel Amini qui a joué ce rôle historique-charnière rayonnait à partir de l'Établissement Leclerc tout en assurant un lien étroit avec les autres unités.

À côté de Daniel Amini, d'autres membres doyens du Comité (tels que Jocelyne Simon) ont joué un rôle déterminant et important dans l'organisation des nombreuses activités du CCRE. Ces activités conçues selon un plan organisationnel annuel comprenaient :

  1. La tenue de réunions mensuelles principalement dans les locaux du Service correctionnel au 3 Place Laval, ceux des unités pénitentiaires régionales et ceux du Centre correctionnel communautaire au square Décarie à Montréal.
  2. L'organisation de visites prolongées dans les grands pénitenciers fédéraux de la région du Québec comme l'Établissement de Donnacona, l'Établissement de La Macaza, l'Établissement Archambault, l'Établissement Drummond, l'Établissement Joliette, l'Établissement de Sainte-Anne-des-Plaines, l'Établissement de Cowansville, l'Établissement Leclerc, le Centre fédéral de réception, etc. Ces visites portaient sur la configuration des lieux, ateliers, classes pour les programmes, quartiers et chambres des détenus, sur les rencontres avec les représentants du personnel et des petits groupes de délinquants, sur des thèmes variés comme la sécurité, les gangs ethniques, les tensions et conflits, la médiation interculturelle, les relations avec les communautés d'origine, etc. Loin d'être des visites superficielles, ces rencontres allaient au cœur des problèmes vécus par les différents groupes ethnoculturels.
  3. La présentation de colloques académiques et forums communautaires sur certains problèmes, enjeux et défis communs au SCC et aux groupes ethnoculturels. Ces rencontres et débats périodiques à Montréal, entre professionnels, minorités ethniques et personnel du Service correctionnel ont donné lieu à des échanges intéressants sur des thèmes, tel que :
    1. L'expulsion des délinquants non citoyens en fin de parcours carcéral (Centre communautaire grec, Côte-Ste-Catherine, Montréal, avril 2003).
    2. La sécurité publique : Le regard des communautés ethnoculturelles (Centre communautaire de Côte-des-Neiges, Montréal, mars 2009).
    3. Le milieu carcéral et les communautés ethnoculturelles : distance ou rapprochement. (Hôtel Universel, rue Sherbrooke Est, Montréal, novembre 2009).
  4. Le renforcement de liens avec certaines communautés ethnoculturelles davantage intéressées à la problématique de l'ethnicité et de la culture dans le système carcéral. Des communautés, telles que les Grecs, les Haïtiens, les Latinos et les arabo-musulmans ont régulièrement collaboré avec le Comité régional à une variété d'activités comme des colloques, des rencontres communautaires, la participation au programme des loisirs, des fêtes nationales, de journées spéciales (semaine contre le racisme et la discrimination), sous la férule de José Calderon, M. Nguyen et Daniel Amini.
  5. Le suivi des relations avec la Commission des libérations conditionnelles et le service correctionnel communautaire, rencontre avec les commissaires, participation à des séances de la Commission, rencontres avec d'ex-détenus en liberté sous surveillance.
  6. Entrevues et animations de groupes de discussion sur les minorités et le Service correctionnel (Radio Centre-ville, Radio Haïti, Radio McGill, Centre communautaire latino, Maison d'Haïti).

Toutes ces activités du CCRE ont eu leur écho dans les communautés ethnoculturelles de la région du Québec. Elles visaient toutes les mêmes objectifs :

  1. Vérifier la prise en compte de l'ethnicité et de la culture par le Service correctionnel, ses agences et la Commission des libérations conditionnelles.
  2. Servir de pont entre les délinquants ethnoculturels et leurs communautés respectives, conformément à l'esprit de la Directive du commissaire 767 du SCC.

  1. La Section ethnoculturelle du Service correctionnel

De création relativement récente (2006), la Section ethnoculturelle du Service correctionnel a été mise en route en vue de la gestion administrative et de l'implantation du concept ethnoculturel dans les unités pénitentiaires. Limitée au départ dans son évolution en raison d'un effectif réduit (trois personnes, soit un responsable national, un adjoint et une secrétaire), cette organisation minimaliste dotée d'un budget symbolique a pu survivre et se développer grâce aux nombreuses ressources appelées en renfort.

Ces ressources venaient autant des différentes directions du SCC, des unités pénitentiaires, de la Commission des libérations conditionnelles, du ministère du Patrimoine que des organismes intéressés à la promotion de l'idée ethnoculturelle au Service correctionnel. Le manque d'argent créait certes des obstacles importants, mais grâce au dynamisme et à la créativité de Marcel Kabundi, le premier responsable national de la Section, et de ses collaborateurs immédiats une véritable synergie a été créée en vue de mettre toutes les ressources disponibles au service de la « cause » de l'ethnoculturel au Service correctionnel.

Il est étonnant qu'une petite équipe aux moyens aussi modestes ait pu obtenir dans un temps relativement court autant de résultats positifs. Outre l'organisation de colloques et de symposiums d'une haute tenue académique, la contribution médiatique remarquable à la revue Entre-Nous du SCC, le renforcement des liens entre le SCC et les minorités ethnoculturelles, la Section ethnoculturelle a fourni à la collectivité une série de produits « dérivés », tels que :

  1. Texte sur les ressources ethnoculturelles au SCC (v. D. Bilomba).
  2. Un manuel pour l'approche ethnoculturelle dans la formation des délinquants (Karibu).
  3. Un livre sur la médiation interculturelle des conflits dans les unités pénitentiaires (v. D. Bilomba).

  1. Discontinuités par opposition à continuités

Dans les récentes années (2009-2011), bien des événements ont eu lieu et ont nécessité un réexamen des orientations au Service correctionnel du Canada. S'agissait-il d'annonce de rupture avec le passé, de discontinuités quant aux politiques et aux pratiques ou de continuité selon une ligne de pensée prometteuse sur le plan de l'ethnoculturel? Face à ces événements, tous les partenaires (le Service correctionnel, la Section ethnoculturelle du SCC, le Comité consultatif national et les comités régionaux) se sont sentis interpellés à des titres différents.

Voici par ordre chronologique la suite de ces faits historiques :

  1. La chiquenaude du Parlement du Canada : la résolution de la Chambre des communes

À la suite de démarches stratégiques auprès de membres influents du Parlement du Canada, la Chambre des communes, après les délibérations en comité, a résolu ce qui suit :

« Que cette Chambre prenne note de l'importance de la contribution des communautés ethnoculturelles à la prévention de la criminalité, à la réinsertion sociale des délinquants et à l'essor des collectivités plus sûres et qu'elle reconnaisse la nécessité que tout soit mis en œuvre (moyens et ressources) pour permettre aux services policiers, au Service correctionnel du Canada, à la Commission nationale des libérations conditionnelles ainsi qu'aux communautés ethnoculturelles de mieux répondre aux besoins nouveaux d'une population délinquante et carcérale de plus en plus diversifiée. »

Cette motion du Parlement a attiré l'attention sur les besoins du Service correctionnel en particulier. Elle ne visait pas à changer la législation. Elle a été soumise « comme un outil stratégique pouvant servir à l'obtention de ressources financières par exemple » (selon la présentation faite par moi-même et Luketa M'Pindou à la réunion du Comité consultatif national ethnoculturel, du 31 mai au 2 juin 2007, à Moncton, N.-B.). Il y avait là une lueur d'espoir qui permettait d'augurer un déblocage de fonds pour le développement de l'ethnoculturel au SCC.

À la suite de la motion du Parlement, le CCNE a jugé pertinent d'exprimer sa satisfaction au bureau de l'honorable Marlène Jennings, c. p, députée. Une lettre datée du 24 mai 2007, rédigée par le président au nom du Comité se présentait ainsi :

« Le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) a pris connaissance de l'avis de motion présenté par Marlène Jennings au nom du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ainsi que du vote favorable de la Chambre des communes le 28 février 2007. Le CCNE, partenaire du Service correctionnel du Canada, est particulièrement sensible au fait que votre Comité a souligné l'importance de la contribution des communautés ethnoculturelles à la prévention de la criminalité et à la réinsertion sociale des délinquants et la nécessité que tout soit mis en œuvre (ressources et moyens) pour mieux répondre aux besoins nouveaux d'une importante population délinquante et carcérale de plus en plus diversifiée. Le CCNE anticipe des retombées positives de cette motion historique à la fois pour le Service correctionnel, pour ses partenaires, comme pour les communautés ethnoculturelles. Nous vous exprimons, avec notre admiration et nos remerciements, nos meilleurs sentiments. » (Lettre au bureau de l'honorable Marlène Jennings, Chambre des communes. Ottawa, 24 mai 2007).

  1. Le symposium de Toronto « Créer des établissements inclusifs pour accroître la sécurité publique » (27 mars 2009)

Ce symposium a représenté un moment phare dans l'évolution du Comité consultatif national ethnoculturel. Le CCNE vivait alors une mini-crise interne. Privé de ressources, condamné à tourner en rond d'une réunion à l'autre depuis 2001, le CCNE a décidé de passer à l'action. Estimant qu'il était arrivé à un point tournant dans ses relations avec le SCC, le Comité national après délibérations m'a formellement demandé, en tant que président, de faire un bilan de l'évolution du CCNE depuis sa création en 2001 et de dresser l'état des lieux actuel.

Les résultats suivants ont été présentés à une séance spéciale du symposium le 27 mars 2009 :

9. Bilan et états des lieux par le président Emerson Douyon

En me basant sur mes contacts avec les détenus et le personnel du Service correctionnel du Canada, sur mes entretiens avec des représentants des communautés ethnoculturelles de la région du Québec, sur les rapports des trois consultants entendus hier et sur la réaction en groupe des communautés ici représentées, je suis parvenu à un certain nombre de constats :

  1. Les travaux sur le terrain menés par ces trois consultants indépendants (Guy Leblanc, Anna Chiappa et Tim Mills) confirment entièrement le bilan du Comité consultatif ethnoculturel tel qu'il apparaît dans ses procès-verbaux, ses rapports de consultations et dans ses lettres au commissaire du Service correctionnel du Canada. Il s'agit d'une validation méthodologique par le recours à un critère externe.
  2. L'ensemble des données disponibles permet d'affirmer ce qui suit :
    1. Les programmes correctionnels ne sont pas adaptés aux réalités ethnoculturelles, contrairement à ceux destinés aux Autochtones qui paraissaient privilégiés à bien des égards.
    2. La persistance des préjugés au sein du personnel se traduit par des propos désobligeants, des stéréotypes et du favoritisme. Ces manifestations d'un racisme au quotidien créent de la méfiance, de l'incompréhension et de l'insécurité pour tous. Au racisme du personnel correspond celui des détenus. La méconnaissance de la culture de l'autre crée une impasse dans la communication.
    3. Les récriminations des détenus portent sur les produits d'hygiène et de santé et la nourriture qui sont inappropriés pour les besoins des groupes ethnoculturels, particulièrement ceux à orientation religieuse. La méconnaissance de la culture de l'autre se révèle un irritant de taille.
    4. Les obstacles linguistiques limitent l'accessibilité aux services et programmes correctionnels.
    5. Les détenus ne sont pas conscients de leurs droits ni de la possibilité de les exercer. Le système de griefs ne fonctionne pas. Il est paralysé par la peur des représailles et les difficultés d'accéder au Bureau de l'enquêteur correctionnel.
    6. Les procédures pour l'évaluation initiale des délinquants sont à réviser et à remettre à niveau en fonction de l'ethnoculture.
    7. Le personnel ne reflète dans son ensemble ni la population générale ni la clientèle carcérale. Son homogénéité favorise trop les relations de pouvoir derrière le masque de la sécurité.
    8. La diversité s'accentue. La surreprésentation de certains groupes, celle des Noirs en particulier, peut devenir un problème majeur, à la limite d'une crise.
    9. Quelques indices de progrès sont présents sur le plan ethnoculturel. Ils sont trop ténus, trop dispersés et trop lents malgré les bonnes volontés manifestes. Le Service correctionnel sous-estime les obstacles et les résistances au changement véritable.
    10. Le délinquant constitue parfois un gagne-pain pour des familles démunies : qu'en est-il des ressources alternatives qui empêcheraient un glissement de la pauvreté et l'illettrisme vers des formes de marginalité et de déviance? L'accessibilité et la diversification des programmes de CORCAN sont remises en question.
    11. Le Service correctionnel ne se soucie pas suffisamment des implications des mesures d'expulsion éventuelle pour une partie de sa clientèle.

Un consensus semble émerger sur les points suivants. Il faut en priorité :

  1. Terminer la création de comités ethnoculturels régionaux.
  2. Mettre en place des coordonnateurs ethnoculturels dans chaque région et dans chaque établissement.
  3. Doter les agents de liaison d'un ancrage permanent à la fois en établissement et dans la collectivité.
  4. Créer au niveau du personnel une masse critique pour la présence des employés issus des minorités ethnoculturelles.
  5. Rendre CORCAN plus accessible et plus adapté à la diversité ethnoculturelle.
  6. Assurer une formation en matière de droits de la personne et de relations interculturelles à la fois pour le personnel et pour les délinquants.
  7. Créer des ponts avec les collectivités en multipliant les contacts avec les gens d'affaires, les ONG et les leaders des groupes minoritaires.
  8. Créer en milieu carcéral un climat plus favorable au retour du délinquant dans leur famille, leur quartier et leur milieu du travail.
  9. Rendre les programmes correctionnels plus adaptés en fonction de la diversité culturelle et du cas particulier des personnes qui seront éventuellement expulsés.
  10. Établir davantage de liens avec l'immigration et les pays d'origine pour des stratégies de réinsertion gagnantes.

Quelles sont les trois questions fondamentales posées hier à l'ouverture du Symposium?

  1. Le Service correctionnel est-il fier de son produit? Peut-il le garantir auprès d'un employeur éventuel? Est-ce que le détenu a changé?
  2. Si oui, est-ce que les autres croient à ce changement? Vont-ils continuer à avoir peur et recourir au rejet sous le prétexte que le lien de confiance a été rompu?
  3. Comment la collectivité peut-elle aider le délinquant à parachever le processus de changement?

Pas de réponse prête, aujourd'hui pas plus qu'hier. Quelqu'un dans l'assistance a bien fait de nous rappeler, avec sagesse, cette pensée de Nelson Mandela : « Il est plus facile de changer les choses que de se changer soi-même ». Attention seulement aux signaux que nous envoyons au délinquant. Sa réinsertion sociale ou sa récidive est à ce prix.

  1. Comité d'examen du Service correctionnel

Le Comité d'examen du SCC, au moyen de lettres datées du 25 avril 2007 et du 10 mai 2007, s'est adressé formellement au Comité consultatif national ethnoculturel pour solliciter sa collaboration à l'exécution de son mandat. Ce mandat portait sur la révision des normes, pratiques et procédures du Service correctionnel du Canada.

Bien qu'il n'y ait eu aucune mention de la réalité ethnoculturelle en milieu carcéral, ni dans son mandat, ni dans ses objectifs, le Comité d'examen du SCC a décidé de ratisser plus large. À la suite d'un déjeuner de travail avec le président, M. Robert Sampson, et les membres du Comité d'examen du SCC à Moncton, le Comité consultatif national ethnoculturel a fait parvenir un rapport en bonne et due forme au Comité d'examen du SCC (Ottawa, 27 juin 2007)[47]

Pour un bilan évaluatif des programmes correctionnels dans une perspective ethnoculturelle:

  1. Premier temps de réflexion :

À la suite d'une très longue fréquentation des établissements correctionnels du pays, de contacts multiples avec leur personnel et de l'interaction sur le terrain avec des groupes diversifiés de détenus et d'ex-détenus, nous allons tenter d'amorcer une réflexion personnelle à visée collective sur les programmes correctionnels.

Avant de commencer, nous aimerions rappeler brièvement que ces programmes visent à changer le délinquant, c'est-à-dire à modifier son comportement, ses attitudes, ses valeurs, ses perceptions, ainsi que ses relations avec autrui et avec le milieu. Autrement dit, il s'agit de transformer le négatif en positif, de dépasser les apparences ou les changements cosmétiques en vue d'atteindre l'être humain dans toute sa profondeur.

Une telle perspective exige une vision multifactorielle du délinquant. La seule prise en compte du comportement apparent (actes passés, gestes posés en milieu carcéral, confessions et aveux du bout des lèvres, attitudes de contrition et de repentance simulées) ne suffit pas. Il faut appréhender le comportement marginal, déviant ou criminellement structuré et organisé à l'intérieur d'un cadre ethnoculturel plus large.
Un « délinquant ethnoculturel » a des racines différentes, un parcours différent sur le territoire, un destin différent de celui de ses pairs en fonction de ses types de rencontres avec l'école, la police, la justice pour la jeunesse, le système pénal au Canada et les institutions de son pays d'origine. Comprendre et changer un tel délinquant nécessite de notre part une restructuration globale et plus nuancée de l'approche institutionnelle ou la philosophie du changement au sein du milieu carcéral.

Quatre conditions me paraissent nécessaires pour un tel projet de changement

  1. Une perspective évolutive et interactionniste sur la délinquance : Le délinquant est le produit final d'une chaine de montage. Il y a chez l'individu appelé à devenir un délinquant identifié ce qu'il apporte en naissant et la contribution des pairs du milieu. Seuls les aléas de la rencontre existentielle des autres permettent à un potentiel criminogène de se concrétiser et de s'épanouir. Qu'il s'agisse de délinquance individuelle en voie d'intégration à une structure plus large ou de criminalité de groupe, commise par des gangs, nous visons à terme le comportement criminel des jeunes issus des groupes ethniques minoritaires et de leur parcours en milieu carcéral.
  2. La problématique du changement chez le délinquant : Chaque individu peut être considéré un être pour lui-même (image de soi), un être pour autrui (image projetée) ou un être en interaction (image de soi telle que modifiée par son environnement). Laquelle de ces dimensions de la personne désire-t-on changer chez le délinquant? Faut-il s'inspirer des approches cognitives, comportementales, systémiques des sciences humaines ou des techniques de méditation philosophique ou religieuse? On s'entend sur le fait que le délinquant n'est pas un patient, mais un client, même si dans la pluralité des cas, la démonstration reste à faire. S'il s'organise pour victimiser les autres, il y a dans cette compulsion à la récidive le recours à un mécanisme de répétition qui nous interpelle.
  3. L'impact critique de la diversité ethnoculturelle sur le milieu carcéral : Le Canada est caractérisé en particulier aujourd'hui par les traits suivants :
    1. La persistance d'une faible fécondité.
    2. Le poids grandissant de l'immigration qui transforme le visage du pays.
    3. D'un recensement à l'autre, il y a une croissance marquée de la proportion de personnes nées à l'étranger, de personnes qui n'ont ni le français ni l'anglais comme langues maternelles, de personnes appartenant aux groupes des minorités visibles (Loi sur l'équité en matière d'emploi).
    4. Les changements rapides ainsi notés marquent surtout les grandes régions urbaines du territoire national (Vancouver, Toronto et Montréal) qui attirent et où se concentrent la plupart des nouveaux arrivants. Les nouvelles projections de la diversité de la population canadienne (2006 à 2013) réalisées par Statistiques Canada, à l'initiative des ministères du Patrimoine canadien, des Ressources humaines et du Développement des compétences et de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada, confirment ces tendances à l'évolution rapide de la population ethnoculturelle. En bref, selon le modèle de microsimulation (Demossis), voici en conclusion les projections de la diversité ethnoculturelle pour les trente-trois régions métropolitaines et le reste des provinces et territoires, et ce, pour les deux prochaines décennies : « trois Canadiens sur dix pourraient appartenir à un groupe de minorités visibles en 2031 et cette proportion pourrait être deux fois plus importante dans les grandes régions métropolitaines de Toronto et de Vancouver ». Sans préjuger de la montée de la délinquance et du taux d'incarcération en fonction des vagues migratoires, nous pouvons présumer que la population carcérale changera dramatiquement d'ici quinze à vingt ans. La haute direction du Service correctionnel connaît ces données. A-t-on suffisamment mesuré leur impact précis sur les programmes correctionnels suite au rapport Motiuk à ce sujet?
    5. Plaidoyer pour une nouvelle vision des programmes en vue du changement : Dans la plupart des pays dits « développés » en Occident, il existe deux courants principaux pour les intervenants, toutes dénominations confondues, qui veulent aider quelqu'un à changer :
      1. Le courant analytique dans la foulée de Sigmund Freud, de ses collègues et disciples. Ici, l'accent est mis sur le psychisme, l'inconscient, la parole comme mode privilégiée d'expression de l'individu.
      2. Le courant behavioriste ou cognitivo-comportemental, orienté vers le conditionnement et le déconditionnement. C'est le territoire de convergence en dehors de l'univers médico-psychiatrique.

Qu'ils revendiquent une approche individuelle, familiale ou plus systémique, les « modificateurs » de comportement se rattachent d'une manière ou d'une autre à ces deux courants principaux, et cela aussi longtemps qu'ils pratiquent exclusivement sur une population de proximité (population blanche de classe moyenne de préférence). Mais ceux qui sont formés à « l'occidentale » et qui pratiquent dans d'autres contextes ethnoculturels ou sur des populations métissées/en diaspora ont vite compris la nécessité de refaire leurs classes.

Pour donner suite à ces nouvelles rencontres interculturelles, de tels intervenants réalisent que, pour être pris au sérieux par leurs clients et pour atteindre un minimum d'efficacité, ils doivent opérer un renversement d'attitudes. Les méthodes modificatrices du comportement doivent être adaptées à ces populations en fonction des pratiques locales et des traditions. Ils apprennent à mettre l'accent sur les corps, sur le groupe familial étendu, sur des espaces souvent plus symboliques et mythiques que réels. Ils découvrent également que le problème de l'individu est d'abord un problème collectif. Ce dernier exprime par ses symptômes, ses dysfonctions sociales, ses marginalités et ses déviances le malaise de tout son groupe.

Un tel courant de pensée relativement nouveau est logique pour les migrants et pour leurs descendants qui restent fidèles ou solidaires de ces traditions jusqu'à la troisième génération.

  1. Deuxième temps de réflexion

Mon discours ne portera pas sur un programme particulier déjà construit, mais sur un projet modèle de programmes en développement. Ce sera un exposé de principes duquel pourront émerger éventuellement un contenu adapté et une pédagogie appropriée. Il s'agit d'un état des lieux dans la perspective de la psychologie criminelle et des études transculturelles. Ma tâche sera de voir comment on pourrait s'inspirer d'une approche nouvelle pour nourrir la réflexion et déboucher à terme sur un modèle de programme à construire, afin de s'adapter à la diversité grandissante de la population pénitentiaire.

En clair, pour l'édification de ce nouveau programme, il s'agit pour moi de vérifier un certain nombre de paramètres en fonction de la gestion de la diversité carcérale. Il est très louable de la part du Service correctionnel de prendre en compte les besoins et les attentes des groupes ethnoculturels avant même le lancement de nouveaux programmes correctionnels.
Mise en contexte
On sait aujourd'hui que la plupart des jeunes ayant commis des délits abandonnent la voie délinquante vers 18 ans. Mais cette réversibilité n'est pas la règle pour tous. Ceux qui continuent incluent les récidivistes, les durs à cuire, ceux qui sont décidés à se rendre jusqu'au bout de la trajectoire criminelle. C'est un petit nombre de ces persistants qui commet ou « produit » la majorité des actes criminels enregistrés. (Fréchette, M., Leblanc, M., 1987). Ces criminels identifiés présentent quelques traits en commun, tels que ceux décrits par Samuel Yochelson et Stanton Samenow (1976, 1984). Mais de tels individus ne constituent pas des catégories fixes mutuellement exclusives. Ils ne sont pas dans l'ensemble spécialisés pour la vie dans tel type de crime. Ils sont des généralistes du crime (Cusson, M. 2005) qui s'aménagent des passerelles d'une catégorie à l'autre, selon les circonstances. On parle alors de « polymorphisme » dans la carrière criminelle (Fréchette, M, Leblanc, M, 1987).

Les chercheurs notent que les délinquants, les vrais caractériels, sont différents en comparaison des névrosés ou psychotiques qui agissent seuls et qui posent occasionnellement un geste criminel. Les délinquants par choix ont tendance à s'associer à des pairs criminalisés afin de rendre leurs opérations plus efficaces et plus rentables. Ce tropisme pour l'affiliation à un groupe favorise le développement de gangs et la mise en commun du profit, du savoir, de l'expérience et de l'expertise. (Perreault, M, Bibeau, G)

Les détenus que nous avons rencontrés, côtoyés, et avec lesquels nous avons eu des échanges prolongés au cours de nos nombreux contacts avec les pénitenciers du pays, nous ont frappé par leur jeunesse, leur dynamisme, leur aplomb, leur approche défensive et revendicatrice. Nous ne doutons pas de leur détresse psychologique, même dissimulée sous des dehors trompeurs. Pour un observateur de l'extérieur, ils paraissent loin de l'image stéréotypée de gars toujours violents, impulsifs et agressifs. Il ne donne aucun signe apparent de perte de contrôle de leurs émotions. Ils savent se tenir et donner le change. Leur sérénité même a de quoi étonner.

Pourtant, des criminologues (Kherfi, Y, Le Goaziou, V, 2000, Chantraine, G, 2004), tels qu'ils sont cités par Maurice Cusson, nous ont donné de certaines prisons une peinture autrement plus pittoresque : détenus s'échangeant trucs et ficelles, voleurs exagérant leurs exploits et agrandissant le réseau, fraudant et arnaquant leurs codétenus et se bagarrant entre eux pour des histoires de drogues… Voilà des réalités qui feraient de la prison une école du crime dans laquelle grouillent et magouillent grands et petits truands. Les pénitenciers canadiens échappent-ils en tout ou en partie à ces aspects de la culture carcérale? Toute tentative de répondre avec certitude à une pareille interrogation serait bien risquée.

Depuis Michel Foucault (1975) et Jean-Paul Sartre (1952), on sait qu'à partir du moment où l'individu est présenté sur la grande scène du théâtre judiciaire, commence un processus de fabrication du délinquant. « Entre au pénitencier celui qui a commis une infraction à la loi pénale. En sort un délinquant… Les tribunaux fournissent aux établissements pénitentiaires des infracteurs en cours de transformation, des délinquants semi-finis ». Le pénitencier achève ce travail de fabrication d'un être nouveau qui va confirmer sa nomination ou sa désignation par les autres, selon les commentaires pertinents de Foulek Ringelheim (1982).

J'évoque ici le témoignage pertinent d'un détenu à l'Établissement de Donnacona : comme je le félicitais pour l'objet qu'il venait de fabriquer ainsi que pour l'apprentissage de nouvelles techniques et l'initiation à un nouveau métier qui l'aidera plus tard pour sa réinsertion, il m'a répondu : « Moi, Monsieur, je suis un voleur. Je suis né voleur et je vais mourir voleur ». Ce détenu qui évoque la fatalité de la délinquance m'a fait penser à Genet, dont Jean-Paul Sartre disait qu'il reste voleur non pas seulement quand il vole, mais quand il mange, quand il dort, quand il embrasse sa mère adoptive.

Ce délinquant de l'Établissement de Donnacona tient donc à son identité de voleur. Il la revendique pour le passé, pour le présent et pour l'avenir. Il est fondamentalement un Québécois qui se conduit accessoirement en voleur d'occasion. Il peut aussi être un père, un artisan, un leader potentiel dans sa communauté, un homme d'affaires en devenir. Pourquoi le réduirait-on à une seule dimension de sa personnalité, alors qu'il pourrait se voir et se réaliser autrement? Paradoxalement, un programme destiné par exemple à des fraudeurs peut contribuer à les enfermer dans la catégorie des fraudeurs dont l'individu n'arrive plus à sortir. On risque de pérenniser chez certains l'accidentel ou le contingent dans une structure permanente.

10. Programmes

a. Les objectifs à viser pour changer un délinquant

Selon nous, le problème du changement chez le délinquant concerne moins le comportement apparent que le développement, la structure de la personnalité et les valeurs fondamentales. Comment empêcher que des fautes d'un jour, des erreurs occasionnelles de jugement ne se transforment en dispositions permanentes, en destins individuels, ou en images négatives de soi? Plusieurs écoles de pensée s'opposent là-dessus en criminologie. Nous retiendrons sans les développer les grandes interrogations suivantes :

  1. Que doit-on viser à changer chez le délinquant? Le comportement? La personnalité? Les valeurs?
  2. Comment éviter des changements cosmétiques en ciblant « l'homme intérieur », l'être qui se cache sous des déguisements de circonstances?
  3. Pour comprendre et aider le délinquant, faut-il s'acharner à détecter les causes de ces méfaits au risque de lui fournir en même temps des prétextes des excuses?
  4. Doit-on chercher à provoquer de l'introspection chez le criminel en prospectant son passé, quitte parfois à l'inciter à la récidive?
  5. Est-ce qu'il faut chercher à le rendre responsable par le jeu des punitions et des récompenses en simplifiant souvent la complexité des choses?
  6. Est-ce réaliste de privilégier le mental ou le cognitif au détriment des émotions?
  7. Doit-on substituer à son image de victime passive celle de l'individu qui victimise activement les autres?
  8. Faut-il redoubler d'efforts pour tenter de casser chez lui les vieux schèmes de la « pensée criminelle » et des schèmes archaïques de conduite?
  9. Le délinquant a-t-il choisi délibérément le crime, par calcul et stratégie, avec anticipation, adaptation, rétroaction et corrections éventuelles de tir ou frappe-t-il de manière aléatoire selon les opportunités? A-t-il développé une option préférentielle pour des amis marginaux, un milieu déviant, un territoire-sanctuaire à défendre, un mode de vie festif et risqué qui, à terme, aboutit toujours à l'échec?
  10. Son prétendu choix est-il un amalgame d'événements où le jeu des variables est si complexe qu'il est impossible de départager les faits descriptifs des constructions intellectuelles, la causalité circulaire des effets rémanents, les déterminismes conscients et inconscients des justifications rationnelles.

b. Le pluralisme culturel et le milieu carcéral

En règle générale, les théoriciens de la criminologie échafaudent leurs théories à partir de recherches, d'enquêtes, d'observations sur des groupes nationaux majoritaires. Ils ne prennent pas suffisamment en compte la présence massive des nouveaux groupes de délinquants issus des minorités culturelles en milieu carcéral. Cette nouvelle donne, outre le fait qu'elle modifie le climat pénitentiaire, nous oblige à repenser les problèmes des détenus en fonction de la culture et de l'ethnicité.

Selon Albert Jacquard (1978, p.206), « notre besoin superficiel de confort intellectuel nous pousse à tout ramener à des types et à juger selon la conformité au type; mais la richesse est dans la différence ». Plutôt que d'envisager la diversité comme un problème qui nous enlève nos moyens et réduit nos possibilités d'agir, considérons-la comme un ajout ou un complément pour tester la validité de nos outils d'évaluation et d'intervention.

Le pénitencier canadien est un microcosme qui représente de plus en plus un lieu de rencontre des cultures. Les ressortissants de ces cultures « parlent des langues différentes et habitent des mondes sensoriels différents » pour reprendre une expression de Édouard T. Hall (1979, p.15). Nous devons apprendre à comprendre comment les ethnies filtrent l'environnement par le recours à des sens différents et comment elles communiquent par des « messages silencieux ».

Ainsi l'utilisation de l'olfaction et du toucher, le respect de la distance intime, la direction du regard, la hauteur et la modulation de la voix, le degré de tolérance à l'entassement, l'organisation de l'espace autour de soi, la relation avec le temps, l'intensité de la communication, constituent des « structures proxémiques » dont il faut tenir compte dans le traitement des différences culturelles.

Sans doute ces différences ne sont pas toujours visibles. Elles font partie de cette « dimension cachée » de notre personnalité de base. Elles constituent notre culture qui est à la fois mode de production et de pensée, vision du monde, modèle de conduite, système de relations et systèmes de valeurs, résultat d'un processus d'apprentissage, selon René Mokounkolo (1979). Mais la culture n'est jamais un système clos et figé. Elle est ouverte à des apports extérieurs au gré des échanges et paraît modulée par des clivages sociaux. Le rapport à la culture est différent selon qu'on l'envisage du point de vue du lieu d'origine ou du vécu en diaspora. (Voir à ce sujet l'intéressant article de l'ethnologue Denis Cuche, 1998).

Tenant compte de la nature composite et évolutive de la culture, on peut se demander du point de vue méthodologique comment aborder la question de la diversité culturelle dans la confection des nouveaux programmes correctionnels. Selon Georges Devereux (1972), citant Henri Poincaré, si un phénomène admet une explication, il admettra aussi un certain nombre d'autres explications tout aussi capables que la première d'élucider la nature du phénomène en question. Dans l'étude de l'homme, il est non seulement possible, mais obligatoire d'expliquer un comportement déjà expliqué d'une manière, de l'expliquer aussi d'une autre manière, c'est-à-dire dans le cadre d'un autre système de référence.

Ainsi, l'explication psychologique ne contredit pas nécessairement l'explication sociologique. De même la perspective behavioriste n'exclut pas une perspective ethnoculturaliste. Il s'agit de deux discours complémentaires qui sont valables dans leur cadre respectif de référence.

En ce qui regarde l'efficacité du système correctionnel pour modifier le comportement criminel en général, d'autres chercheurs avant moi se sont posé à tour de rôle les mêmes questions. C'est devenu un « running gag » dans certains milieux criminologiques de se demander :

  1. Est-ce que la correction corrige? Réponse : non
  2. Qu'est-ce qui marche dans les programmes de réhabilitation? Rien ne marche, répond Martinson (1974).

Les constats des criminologues au sujet des échecs ou des ratés des programmes correctionnels ont certes provoqué des remises en question ou des mises en perspective. Ils se sont relayés par les observations des détenus d'origine ethnoculturels que nous avons rencontrés lors de nos visites professionnelles dans seize pénitenciers répartis sur l'ensemble du territoire national. La tendance générale est une insatisfaction à l'égard des programmes dans lesquels ces détenus ont peine à se retrouver.

Voici en résumé le regard critique des délinquants d'origine ethnoculturels sur les programmes en milieu carcéral :

  1. Les objectifs

Ces détenus prétendent savoir que les programmes correctionnels sont destinés à les faire évoluer et changer à terme. Cependant, ils formulent à propos de ces programmes plusieurs réserves :

  1. Les contenus

Dans l'optique des détenus, il n'existe aucune perspective ethnoculturelle dans la mise en route des programmes. Ceux-ci devraient être plus spécifiques ou mieux adaptés à la diversité culturelle des groupes minoritaires. Ils pourraient refléter davantage les besoins et les préoccupations des différentes catégories de détenus. Les Noirs en particulier disent ne pas retrouver dans ces contenus ni leurs traditions, ni les valeurs de leur milieu d'origine, ni leurs modes d'expression émotionnelle, corporelle ou comportementale, ni leur orientation spirituelle.

  1. Le niveau de motivation

Les détenus prétendent qu'ils seraient fortement incités à suivre les programmes correctionnels, même s'ils demeurent sceptiques quant à leur efficacité ou à leur potentiel pour induire chez eux un changement réel. Ils suivent ses programmes parce que c'est rentable : cela facilite l'accès aux services et aux privilèges. Ils jugent trop négative l'approche du Service correctionnel pour les motiver à suivre de tels programmes. Le manque de choix personnel ainsi que la non-disponibilité de certains programmes désirés dans une autre langue affectent leur niveau de motivation. Au lieu de leur imposer des programmes restreints et uniformes, on devrait plutôt leur demander ce qu'ils voudraient comme programme, conformément à leurs besoins et à leurs attentes, à la fois comme individus et comme membres de groupes minoritaires.

  1. Les méthodes pédagogiques

Le personnel devrait mieux connaître les cultures d'origine des détenus issus de différentes minorités ethniques. Cela permettrait de casser certains stéréotypes et préjugés, certaines attitudes négatives qui sont préjudiciables à l'harmonie interculturelle. Les détenus prétendent vouloir changer et ils souhaitent voir le personnel les accompagner dans ce processus. Ils voudraient évoluer en même temps que leur entourage dans leurs interactions au quotidien. Ils suggèrent la tenue d'ateliers pour des séances d'échanges en groupe restreint et mixte : agents correctionnels et détenus ethnoculturels apprendraient ainsi à mieux se connaître et à mieux communiquer dans un climat de respect mutuel.

  1. Les programmes

Selon des groupes de détenus, les programmes arrivent trop tard dans leur parcours carcéral. Plusieurs délinquants seraient incités à les suivre vers la fin de l'incarcération en vue de se préparer pour une libération conditionnelle éventuelle. Résultat présumé : le personnel ne disposerait pas d'un délai suffisant pour évaluer les changements ou les progrès dans l'évolution des détenus.

c. Les conditions préalables pour les nouveaux programmes ethnoculturels

La plupart des programmes correctionnels actuels sont basés sur une approche behaviorale : ils postulent que certains aspects du crime peuvent être appris ou désappris selon un mode de conditionnement opérant. Cependant ces programmes évacuent la culture qui constitue une dimension cachée de la personnalité. Derrière les actes et les gestes criminels, il y a des attitudes, des croyances et des valeurs qui sont modelées par la culture. Les individus n'expriment pas leur détresse, leurs émotions, leurs sentiments, leurs besoins et leurs désirs de la même manière d'une culture à l'autre.

En conséquence, chaque programme devrait avoir une composante culturelle spécifique selon les groupes ethniques. Cette approche ethnoculturelle serait susceptible de projeter un éclairage différent dans la perspective d'une nouvelle philosophie de la gestion de la diversité en milieu carcéral. Cette approche est congruente avec les neuf paramètres que John Lewis (1985) a formulés pour garantir le succès d'un programme correctionnel. Selon ce dernier, il y a des techniques de counseling qui marchent avec les Asiatiques, d'autres avec les Blancs, les Noirs… compte tenu de l'arrière-plan culturel ou de l'orientation culturelle des différents groupes en présence. Les programmes, en plus d'être intensifs et donnés avec compétence, devraient avoir des facettes multiples et ne pas reposer sur un modèle unique.

Pour notre part, nous sommes convaincus que l'ethnicité et la culture ne sont pas des problèmes au même titre que la toxicomanie, l'alcoolisme, la violence conjugale, par exemple. Elles constituent plutôt des cadres à l'intérieur desquels on peut examiner ces problèmes. En d'autres termes, ce sont des catégories ou des grilles de lecture qui peuvent nous aider dans l'évaluation, dans l'orientation, dans le traitement et la réinsertion des détenus. Tout projet de restructuration des programmes dans un milieu carcéral de plus en plus diversifié, devrait tenir compte de ces nouveaux paramètres. En clair, nous ne demandons pas la création d'un programme particulier pour chaque groupe, mais la mise au point de programmes « culturellement sensibles » pouvant accommoder différents groupes, en considérant les grandes aires culturelles, les ressemblances et différences entre les cultures, les spécificités, comme les « invariants psychoculturels » (E. Ondong-Essalt, 1998).

Ainsi, il a pu nous arriver de parler des Haïtiens et d'entendre dire par les Autochtones : « on dirait que vous parlez de nous! » Il y a sans doute plus de ressemblance entre les cultures traditionnelles du Sud et du Nord qu'on pourrait le penser. La famille étendue, la parentalité, l'approche communautaire, l'enfant perçu comme l'enfant du village, la recherche du consensus, le respect inconditionnel à l'égard des aînés, le cercle de guérison, la tradition orale, la pensée mythique, les rituels incantatoires, la médiation par les esprits, le culte des morts, etc., voilà quelques exemples de traits culturels qui créent une convergence entre les communautés noires et autochtones du Canada.

Pour que les nouveaux programmes correctionnels répondent aux attentes de cette clientèle diversifiée, il faudrait, selon nous, établir ce programme selon un certain nombre de principes, à savoir :

  1. Un programme correctionnel devrait être à l'image de la population carcérale visée, c'est-à-dire être en ligne avec les grandes « aires culturelles » représentées dans l'établissement.
  2. Il ne doit pas chercher une adaptation automatique aux valeurs du groupe majoritaire seulement. Il devrait y avoir place pour des accommodements raisonnables avec les valeurs des groupes minoritaires dans un milieu pluraliste, en conformité avec les chartes des droits de la personne et les normes du multiculturalisme.
  3. Il devrait témoigner d'une connaissance minimale des prescriptions et interdits de base, c'est-à-dire des codes culturels en vigueur dans certaines cultures. Ainsi les proverbes, les mythes, les rites et pratiques rituelles qu'on retrouve dans toute société, donnent une bonne idée de la philosophie de base, de l'orientation culturelle, des rationalisations à l'origine de certains comportements.
  4. Le programme est un texte sans contexte. Il faudrait personnaliser l'intervention au moyen du programme et en fonction du « background » culturel, du passé migratoire, de la trajectoire carcérale, du contexte de vie en diaspora.
  5. À l'intention de ceux qui vont être expulsés à la fin de l'incarcération, le programme devrait être prioritairement axé sur le milieu d'origine : accent sur la réinsertion à l'étranger, les mécanismes pour la survie et la réappropriation du nouvel espace culturel et de ses réseaux, la prévention de la récidive par des moyens adéquats, le renforcement du sens des affaires dans le cadre d'une reconversion des valeurs citoyennes et communautaires.
  6. Le programme devrait s'inspirer du modèle d'intervention ethnoculturelle. Il faut se distancer du modèle traditionnel : agent de programme issu du groupe majoritaire qui enseigne par le biais d'un programme centré sur les valeurs de la classe moyenne blanche de l'Amérique du Nord à un petit groupe marqué par la diversité. Le nouveau programme sur la criminalité générale devrait être donné par trois intervenants, soit : a) un agent de programme comme intervenant de la culture majoritaire b) un intervenant représentant la culture d'origine ou la même aire culturelle que celle du délinquant c) un intervenant représentant une aire culturelle proche ou lointaine et susceptible de servir d'interface entre la culture d'origine et la culture d'accueil. L'idée centrale est de diversifier aussi bien le contenant (format culturel) que le contenu (valeurs, besoins, intérêts et préoccupations des groupes minoritaires).
  7. Ce modèle viserait à transformer la rencontre autour du programme en un dialogue interculturel durant lequel chaque détenu est susceptible de se sentir valorisé, surtout s'il peut occasionnellement s'exprimer dans sa langue maternelle. Rappelons-nous que l'agent au programme est une figure centrale dont l'impact sur le programme ne peut être négligé. Pour bien jouer son rôle auprès des groupes minoritaires, il devrait se frotter aux cultures des autres afin de faciliter les échanges. On n'imagine pas à quel point même une connaissance très élémentaire de la langue de l'autre peut aider à décoincer une relation et à décrisper certaines attitudes. Ce pas vers l'autre est un signe d'empathie qui lubrifie les contacts.

11. Conclusion

Je voudrais terminer sur une interrogation qui me paraît fondamentale dans le processus de construction d'un nouveau programme carcéral : en introduisant la culture comme nouvelle clé pour l'intervention auprès des délinquants, peut-on espérer parvenir à changer radicalement les individus sur le long terme, sinon à aménager un meilleur climat interculturel à l'intérieur des murs du pénitencier?

En réponse, je vous laisse méditer sur ce qui suit : l'approche interculturelle telle qu'elle est proposée n'est pas exclusive, mais complémentaire. Elle porte aussi bien sur les différences que sur les invariants de la condition humaine. En pensant à nos délinquants et à leurs amis dans le crime, on ne peut s'empêcher de se demander, même en prenant en compte la culture, comment les changer tant du point de vue de leur comportement que de celui de leur personnalité et de leurs valeurs fondamentales. Ces propos de Saint-Augustin nous reviennent alors à la mémoire : « Je vois le bien, je l'approuve, mais je fais le mal »… voilà une parole de sagesse de la part de celui qui a fait le tour de la nature humaine et qui nous a transmis ce principe de précaution par-delà les savoirs accumulés par les sciences humaines.

À tous ceux qui se penchent sur les programmes correctionnels, soit pour les modifier, soit pour en créer de nouveaux en fonction d'autres paramètres, il est avisé de rappeler ce simple constat de réalité : l'être humain est un univers autant dans sa diversité que dans sa profondeur.

  1. Références

Chantraine, G. Par-delà les murs, Paris, Presses universitaires de France et Le Monde, 2004

Cuche, D. « Pour en finir avec la notion de culture d'origine appliquée aux immigrés » dans Revue internationale d'études transculturelles et d'ethnopsychanalyse clinique, no 2 (décembre 1998). Maltraitance et cultures. Éditions Artcom.

Cusson, M. La délinquance, une vie choisie : entre plaisir et crime. Cahier du Québec, Collection Droit et criminologie, Montréal, Hurtubise HMH, 2005.

Devereux, G. Ethnopsychanalyse complémentariste. Paris, Flammarion, 1972.

Foucault, M. Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

Fréchette, M. et M. Leblanc. Délinquance et délinquants, Chicoutimi, (Québec), Gaëtan Morin, 1987.

Hall, E, T, La dimension cachée. Paris, Éditions du Seuil, 1971.

Jacquard, A. Éloge de la différence : la génétique et les hommes. Paris, Éditions du Seuil, 1978.

Kherfi, Y. et L. Le Goaziou. Repris de justesse, Paris, Syros, 2000.

Lewis, J. « Counselling Minorities within the Correctional Service » dans Samuda, R.J. et A. Wolfgang (éd.), Intercultural Counselling and Assessment : Global perspectives, Toronto, C.J. Hogrefe, 1985.

Martinson, R. What works? – Questions and answers about prison reform dans The Public Interest, 1974. cité par Lewis, J (loc. cit.)

Mokounkolo, R. « Plaidoyer pour une approche psychosociale et interculturelle de la maltraitance », dans Revue internationale d'études transculturelles et d'ethnopsychanalyse clinique, no 3/4 (1999). Maltraitance et cultures 2, Actes du premier colloque. Déméter. Éditions Artcom.

Ondong-Essalt, E. « La rencontre interculturelle : point de vue ethnopsychanalytique » dans Revue internationale d'études transculturelles et d'ethnopsychanalyse clinique, no 2. Voir Maltraitance et Cultures. Éditions Artcom, no.2, 1998

Perreault, M. et G. Bibeau. La gang : une chimère à apprivoiser – marginalité et transnationalité chez les jeunes Québécois d'origine afro-antillaise. Montréal, Boréal, 2003.

Ringelheim, F. « La procédure criminogène » dans Le genre humain, no 2 (Penser/Classer), Paris, Fayard, 1981.

Samenow, S. E. Inside the criminal mind. New York, Times Books, 1984.

Sartre, J, P. Saint Genet : comédien et martyr, Paris, Gallimard, 1952.

Yochelson, S. et S. Samenow. The criminal personality. Volume 1: A profile for change. Volume 2: The change Process, New York, Aronson, 1976.

  1. Les relations avec le personnel

La Directive du commissaire 767, telle qu'elle a été modifiée le 26 juin 2013, stipule que le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) « offre des conseils au commissaire sur […] les efforts déployés par le SCC pour obtenir une main d'œuvre représentative de la population ethnoculturelle diversifiée. » Quant au Comité consultatif régional ethnoculturel (CCRE), il « aide le SCC à accroître la sensibilisation aux questions liées au multiculturalisme, notamment l'équité en matière d'emploi et la discrimination en milieu de travail… » (DC 767, paragr. 12 et 13)[48].

C'est dans l'esprit de la DC 767 que nous nous sommes intéressés, non seulement aux programmes et aux services offerts aux détenus issus des groupes minoritaires, mais également à des questions pointues telles que les relations avec le personnel (agents de sécurité et agents de changement), aux problèmes d'équité en matière d'emploi (embauche, promotion et concours réservés). Notre regard sur le personnel du Service correctionnel comprenait un triple volet : soit la qualité de la relation avec le détenu, la professionnalisation et la diversification du personnel. Comme le premier volet a été déjà traité à l'occasion de nos visites en établissement, nous allons nous concentrer ici sur les deux autres aspects qui sont liés au problème des relations des délinquants ethnoculturels avec le personnel.

  1. La professionnalisation du personnel

L'histoire des pénitenciers canadiens nous rappelle le contexte militaire dans lequel évoluaient ces établissements au début. Les rapports entre les gardiens et les détenus se ramenaient à une relation de pouvoir. Progressivement, grâce à de nouvelles valeurs basées sur l'intégrité, le respect des droits de la personne et la professionnalisation, le rôle des gardiens de sécurité a évolué. Ces gardiens sont devenus des agents correctionnels soumis à un programme de formation correctionnel (PFC) en ligne et en classe (collège du personnel, académie de formation). Au-delà de la surveillance des contrevenants, du maintien de l'ordre dans les établissements pénitentiaires et dans les autres lieux de détention, ils sont appelés à s'initier à d'autres connaissances techniques telles que :

En plus des agents correctionnels, l'univers correctionnel s'est beaucoup enrichi par l'apport d'une diversité de spécialistes en sciences humaines. À côté de psychologues centrés sur des tâches cliniques (évaluation, thérapie, avis sur des problèmes de comportement, comme l'isolement, les tentatives de suicide, la récidive), on retrouve des travailleurs sociaux (relation avec la famille, la collectivité, etc.) et particulièrement des criminologues.

Selon une étude de « l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec » (2011) sur l'évolution du personnel correctionnel canadien, les criminologues ont commencé à entrer au SCC au début des années 1960. Considérés d'abord comme agents de classement et de libération conditionnelle, les criminologues seraient vite perçus comme des « anges gardiens » assumant un rôle de soutien aux détenus. Ils accompagnaient le délinquant du pénitencier jusqu'à la réinsertion sociale. Puis la terminologie et la fonction ont évolué. D'évaluateur le criminologue est devenu un agent préposé à la gestion des cas orienté vers la préparation à la libération conditionnelle et à l'ouverture communautaire[49].

À partir d'une vision « plus large » du système pénal grâce à leur formation polyvalente, les criminologues se sont imposés comme les spécialistes des « grilles d'analyse » et de la « gestion du risque » dès les années 1980. Les changements de la société, mettant l'accent sur la sécurité, ont beaucoup joué dans l'évolution du rôle des criminologues au SCC. Une telle évolution, due en partie au progrès de la nouvelle criminologie, ne pouvait être que bénéfique pour les délinquants ethnoculturels.

  1. La diversification du personnel

La diversification du personnel du SCC ne s'entend pas seulement au plan professionnel. Elle pose aussi la question de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale. Cette fonction publique est-elle représentative de la diversité démographique? Existe-t-il un biais discriminatoire au détriment des groupes minoritaires? Dans ses conclusions préliminaires, le Comité sénatorial permanent sur les des droits de la personne (2007) émettait l'opinion suivante : « L'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale : Nous n'y sommes pas encore ». La dite fonction publique serait gérée comme « un atelier privé » selon les propres termes du rapport. (2007)[50].

Voilà qui confirme les pires appréhensions relatives à des tendances longtemps connues du public. Quant au rapport annuel du Conseil du trésor (2013), il situe le taux de progrès vers l'équité de 8 % à 8,1 %. Encore une fois, la marche est haute avant d'atteindre la vraie équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale pour les fonctions de direction.

Le SCC étant le deuxième plus grand employeur de cette fonction publique, quel est l'état des lieux sur cette question, en relation avec le dossier ethnoculturel? Le Service correctionnel est très conscient des difficultés d'application du concept de l'équité qui réfère pourtant à trois lois :

En dépit des avantages reconnus de la diversification des effectifs (innovation, élaboration de nouvelles approches en fonction du recours à des points de vue différents et de la mise à profit de l'ensemble des expériences humaines), des obstacles ont été longs à surmonter. C'est ainsi que le site Web du SCC met en exergue cette prise de position à partir du témoignage d'un employé issu d'un groupe ethnoculturel. « Je pense qu'il est difficile pour les membres de la culture dominante de comprendre les préjudices auxquels sont confrontés les groupes minoritaires en matière d'embauche. À situation égale, les gens ont tendance à embaucher une personne qui leur ressemble : les personnes comme moi sont donc automatiquement désavantagées »[50].

Nous avons été souvent frappés par cette réalité du terrain lors de nos visites en établissement. L'image clivée de la population pénitentiaire tend de plus en plus à devenir celle d'une surreprésentation des minorités visibles parmi les détenus versus celle d'une sous-représentation de ces mêmes minorités parmi le personnel du Service correctionnel. Pourtant, les délinquants ethnoculturels eux-mêmes, tous groupes confondus, sont les premiers à réclamer une diversification du personnel afin de les aider à mieux aménager leurs relations interculturelles au pénitencier. Compte tenu de toutes les réformes amorcées par la nouvelle administration correctionnelle, est-on parvenu aujourd'hui à « réduire le fossé de l'équité » au SCC? Il y a lieu de l'espérer compte tenu des progrès accomplis. Notons, par exemple, les démarches réalisées pour favoriser l'autodésignation des délinquants en matière ethnoculturelle et les garanties contre tout traitement différent suite à ce processus. On aura compris que le véritable enjeu ici est la représentativité du personnel face à une population carcérale de plus en plus diversifiée. Ce qui a été accompli pour les Autochtones à cet égard mérite d'être étendu à l'ensemble de groupes ethnoculturels minoritaires.

Dans le même ordre d'idées, signalons les « concours réservés », un geste tout à l'honneur du SCC. Ces concours réservés avaient été organisés dans le but de faciliter et d'activer le recrutement d'agents correctionnels issus des minorités visibles. Le Comité national ainsi que le Comité de la région du Québec ont participé à la préparation de ces concours (Publicité, structuration des questionnaires et entrevues) pour tenir compte du pluralisme ethnoculturel. Est-ce que ces concours ont eu lieu plus d'une fois? Est-ce que les listes des candidats ont été publiées avec les taux de réussite? Est-ce que les candidats qui ont réussi l'examen sont demeurés sur la liste d'attente, ou bien ont été effectivement recrutés par le SCC? Il faudrait un suivi régulier de ces « concours réservés » afin d'assurer à l'ensemble du processus d'embauche des minorités visibles une transparence adéquate. Autrement, le concept même d'équité en matière d'emploi risque de demeurer vague, ambigu et trop extensif pour atteindre le but visé.

Partie II

Le contexte carcéral au Canada et les problématiques particulières

1. Milieu carcéral

Le délinquant récidiviste découvre la justice comme une course à obstacles. Sur son parcours, il a successivement rencontré la police, le système de protection des mineurs, le tribunal de la jeunesse, les administrations de la justice pour adultes, la prison provinciale, le pénitencier fédéral. Toutefois, le système pénal est traversé par un autre système inhérent à la culture carcérale. Il s'agit de « la gestion de l'indiscipline » qui relève du droit carcéral ou pénitentiaire. À côté des droits des gardiens ou agents de sécurité, il y a les droits des détenus soumis à des codes disciplinaires. Il existe aussi un tableau des griefs qui relèvent des comités de discipline (Voir : Kabundi, M., 2006 et Jendly, M., 2002), pour l'évolution et les formalités de ce droit pénitentiaire.

Bref, le pénitencier n'est pas un lieu de non-droit. Dans certains cas de justice interne, le détenu peut même se faire assister d'un avocat. En fin de compte, il est toujours possible aussi de recourir à l'ombudsman ou « enquêteur correctionnel » pour se prémunir contre des « représailles éventuelles », selon les détenus. Au cours d'une visite de pénitencier, un détenu nous a déclaré : « Dès le premier jour, aussitôt franchie la porte du pénitencier, il faut faire savoir aux autres qui l'on est. Il faut en d'autres termes « montrer la couleur ». Si l'on ne s'affirme pas dès le début, on risque de se faire piétiner et de faire bafouer ses droits.

Il est vrai que la « culture carcérale » comporte ses traits caractéristiques :

Ces différentes formes d'adaptation au pénitencier ne signifient pas pour autant un climat d'anomie générale. Tout ce « système maison de justice » est balisé par la Loi sur le service correctionnel et des règles inspirées de la Charte des droits et libertés (LSCMLC – 1992)[51]. Au nombre des particularités de ce système de « justice interne », nous retenons la « médiation interculturelle » comme initiative originale du Service correctionnel.

Dans un milieu carcéral de plus en plus diversifié, il est normal que les différents sous-groupes, avec leurs normes, leurs valeurs, leurs traditions particulières, entrent occasionnellement en conflit. Comment résoudre ces oppositions à l'amiable, loin d'un schéma de représailles et dans un contexte de prévention de crise?

Le Service correctionnel a mis au point un dispositif susceptible de servir de modèle alternatif de règlement des différends. À partir de notions de base (conflit, crise, stéréotypes, préjugés, ethnocentrisme, sous-culture carcérale et justice réparatrice), il propose un mode de gestion des conflits entre les détenus d'une part et dans l'interaction de ces derniers avec le personnel d'autre part.

La médiation interculturelle, dans le cadre du pénitencier, souligne l'importance du facteur culturel dans la gestion et la résolution des conflits. Des connaissances adéquates sur les différences entre les cultures en présence et de bonnes techniques pour surmonter les obstacles à la communication interculturelle : voilà comment créer un contexte où les relations humaines sortent gagnantes.

Dans la préface de ce manuel-guide pour professionnels et formateurs en milieu carcéral, nous avons tenu à rappeler, à la suite de Kurt Lewin que le « groupe auquel un individu appartient est la base de ses perceptions, de ses sentiments et ses actions »… Pour comprendre et régler un conflit entre protagonistes dont les référents culturels sont différents, il faut tenir compte de leur « espace vital », de leur groupe de référence comme de leurs affiliations. Comprendre les termes de la relation en les contextualisant, telle est la voie indiquée vers une solution de remplacement au recours au système judiciaire à l'intérieur du pénitencier.
Nonobstant la réalité de la culture carcérale qui s'impose à tous les délinquants, il existe dans les pénitenciers canadiens des problématiques particulières, liées à la diversité démographique. À côté de la surreprésentation de longue date des Autochtones (Inuits, Amérindiens…), il y a une surreprésentation des délinquants ethnoculturels des groupes émergents, tels que les Latinos, les arabo-musulmans, les Asiatiques, les Noirs (Afro-Canadiens, de la Nouvelle-Écosse, Noirs anglophones de la Caraïbe, Noirs francophones d'Afrique et des Antilles françaises). À chaque problématique correspond une conception et une tradition de la justice pénale.

Au Canada, ces différentes orientations coexistent ou se juxtaposent face à une « justice blanche », celle de la majorité. Le Service correctionnel reflète ce pluralisme, puisque, dans certains pénitenciers du pays, tel que l'Établissement de La Macaza (Montréal – Hautes-Laurentides) ou à Vancouver, il existe un partage du territoire pour des rituels et des activités communes, à l'intérieur du même établissement. Deux problématiques particulières parmi d'autres ont tendance à marquer l'orientation de la justice pénale au Canada. Il s'agit de la question autochtone et de la problématique des délinquants noirs dans les pénitenciers fédéraux. Ce n'est pas par hasard si la récente enquête de l'enquêteur correctionne[52] (voir le 40e Rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel) a attiré l'attention sur ces deux enjeux dans l'évolution de la démographie pénitentiaire au Canada.

Pour comprendre la surreprésentation de ces deux groupes minoritaires dans les pénitenciers, il est indiqué de rappeler brièvement et à titre illustratif les principales étapes de ce double questionnement.

2. Problématiques particulières

Il y a pertinence d'un discours parallèle sur les Autochtones. Le lecteur pourrait être en droit de se demander pourquoi parler des Autochtones dans un texte sur les minorités culturelles et le système carcéral. Il est vrai que traditionnellement, chaque fois qu'on parlait des minorités, on excluait les Autochtones. Comme si le cas des Autochtones au Canada était un cas particulier qu'il ne fallait pas confondre avec le dossier de minorités ethnoculturelles.

Pourtant la lecture de la réalité suggère un constat autrement plus convergent. « Lorsque vous parlez des Noirs, disent les Autochtones, nous avons souvent l'impression que vous parlez de nous autres ». Les problèmes vécus par nos communautés respectives sont tellement semblables. En outre, notre approche spiritualiste des réalités de la vie quotidienne évoque à la fois des pans d'histoire commune et des perspectives d'avenir qui sont pareils tout en étant différents.

D'abord, de quel lieu parlez-vous et comment se déclinent vos connaissances des réalités autochtones selon le point de vue d'un membre de la communauté noire du Québec et du Canada? Comment un regard différent d'un « Noir du Sud » peut-il aider à comprendre les relations entre les « institutions blanches » (police, justice, système carcéral) et les collectivités autochtones?

a. La question des Autochtones

Cette question comporte deux volets : soit la justice inuit au nord du 38e parallèle et la criminalité amérindienne.

La justice inuite : On sait maintenant qu'avant l'arrivée des Européens au Canada, les Autochtones (Inuits, Cris) disposaient de leur propre système de règlement des conflits. Les mots justice, culpabilité, sentence, incarcération n'existaient pas dans leur langue. Ils avaient leur propre liste de délits qui ne correspondait pas à celle de la justice occidentale (ONF 1980 – Documentaire sur la justice blanche).

Une fois la question factuelle réglée (l'as-tu fait oui ou non?), on réglait le degré de proximité ou d'éloignement du justiciable par rapport au groupe. Le système de règlements des conflits était essentiellement basé sur la place de chacun dans la communauté et le rétablissement de l'équilibre et de l'harmonie sociale. La réparation du préjudice envers la victime était au cœur de ce dispositif.

Quand la « justice blanche » est montée du Sud avec son appareil de répression (police, procureurs, rituels de la Cour itinérante) à la rencontre des Inuits, ce fut tout un choc culturel. Un tel traumatisme était aggravé si on ramenait le délinquant vers une « prison du Sud », telle que Amos, Abitibi, Port-Cartier, etc.

La criminalité amérindienne : Les problèmes des nations amérindiennes ou « premières nations », sont connus et bien documentés : Taux anormalement élevé de cas de suicide, homicide, alcoolisme, toxicomanie, de violence conjugale et sexuelle. Bref, quand on examine la vie dans les villages éloignés des grands centres urbains, on s'aperçoit que tous les indicateurs d'un dysfonctionnement familial, social, économique sont au rouge. (Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, 1996)[53]

Le profil de la criminalité amérindienne, la surreprésentation des populations amérindiennes dans le système pénal, la prisonnisation et le syndrome de la porte tournante chez les délinquants autochtones qui passent plus de temps en détention et y reviennent plus souvent, sont des réalités historiques, complexes et multifactorielles (conditions de vie inadéquates, sous-scolarisation, aliénation culturelle, rupture avec le système de justice traditionnelle, discrimination, dépossession, abus et maltraitance à l'égard de la jeunesse dans les écoles de réforme, violation des droits territoriaux, dislocation de la famille, dissolution de l'identité autochtone). Face à une telle situation souvent dénoncée par les organismes de défense des droits de la personne au Canada, un observateur de la scène amérindienne s'est posé un jour la question : « Avant de demander ce qu'ils ont fait, demandons-nous d'abord ce que nous avons fait d'eux... »

D'autre part cette rencontre interculturelle entre la « justice blanche » et d'autres visages de la délinquance a été l'occasion de faire avancer le droit et le système de justice. De nouveaux concepts, tels le droit autochtone, la cour itinérante, une justice adaptée aux besoins des populations, une justice réparatrice et participative axée sur la concertation, les comités de justice, la non-judiciarisation des litiges, la médiation, les cercles de guérison ouvrent des voies alternatives à la justice pénale traditionnelle.

b. Le Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) et le dossier des Autochtones

Ce qui a conduit le Comité consultatif national à se pencher sur la condition autochtone dans les pénitenciers, ce sont les faits suivants :

  1. Pendant les visites d'établissement, colloque et forums, nos regards se sont croisés : d'où un retour d'ascenseur éventuel.
  2. La participation à certaines séances de thérapie de groupe.
  3. La participation à certaines agapes familiales (Vancouver) comme observateurs.
  4. L'invitation du chef micmac (Moncton) comme conférencier au CCNE
  5. La découverte d'un partage du même cheminement dans le système de justice et le système carcéral.
  6. Le constat de phénomènes semblables de surreprésentation dans les cohortes des personnes judiciarisées et dans la population carcérale. Au-delà des données chiffrées, il existe sans doute des discriminations au quotidien que dissimule l'anonymat des statistiques officielles.
  7. L'interpellation par le fait que les minorités culturelles et les Premières Nations partagent le même statut de minorité par l'ethnicité et par la culture. Même si les conditions historiques qui expliquent leur parcours sur le territoire et le mode de contacts avec la majorité sont différents, il reste que leur statut au sein de la population renvoie, dans le cas de minorités visibles, à la même position de groupes racisés, dépourvus de pouvoir.

c. La conclusion sur le premier des deux cas de figure

Après ce clin d'œil sur la situation des Autochtones et le système carcéral, nous concluons ce discours allusif par les questions suivantes :

Constat final : Le SCC et le CCNE devraient en conséquence penser à établir des passerelles entre ces communautés d'origine au sein du Service correctionnel.

  1. La question des Noirs
    1. Premier volet : région du Québec

Ce n'est pas par hasard que le Comité ethnoculturel national a découvert la problématique des délinquants noirs dans les pénitenciers fédéraux. Cette problématique représente un deuxième cas de figure parmi les minorités racisées au Service correctionnel. L'occasion nous a été fournie d'une visite spéciale à l'Établissement de Donnacona. Le comité des détenus noirs nous a écrit une lettre spéciale pour nous inviter à les rencontrer afin de discuter de leurs problèmes, de leurs besoins et de leurs griefs à l'égard du personnel. Le Comité a décidé de passer une journée entière à l'Établissement de Donnacona. Il a rencontré d'abord tout le personnel le matin, puis, en après-midi, les détenus. De quoi s'agissait-il? Les délinquants voulaient nous parler de leurs problèmes relationnels avec le personnel. Ils voulaient nous sensibiliser au fait qu'ils ne pouvaient pas communiquer entre eux parce que cette communication était interceptée par le personnel. Le personnel de son côté se plaignait du fait que les délinquants noirs en particulier, utilisaient un langage non verbal difficile à décrypter. Invité à aider le personnel à décrypter ce langage non verbal secret, le Comité a refusé pour des raisons éthiques.
La deuxième partie de la journée s'est déroulée avec les délinquants haïtiens. Ces derniers se plaignaient essentiellement des faits suivants :

  1. Ils se sentaient abandonnés par leurs propres parents, par leurs amis et la communauté noire. L'un d'eux se plaignait avec véhémence du fait que sa propre mère l'avait abandonné. Si, dit-il, ma propre mère m'a abandonné, qui donc se souviendra de moi? Renseignements appris plus tard : nous avons su que cette mère n'abandonnait pas son fils, mais qu'elle ne pouvait pas souffrir de le voir au pénitencier.
  2. Les délinquants haïtiens se plaignaient de ne pas être compris dans l'expression de leur culture. Ils expliquaient au Comité que les Haïtiens sont des gens qui aiment le bruit. Ils aiment beaucoup l'interaction par le jeu. Certains jeux sont l'occasion de jeux de rôles dans le groupe. Ainsi, le vainqueur se met debout, chante et danse sur une musique dans un style haïtien. Tout cela sur un registre tonitruant qui dérange beaucoup les autres détenus appartenant à d'autres cultures. En outre ils s'interpellent à distance ce qui produit un niveau de perturbation dans le voisinage. Quant au vaincu, il est obligé de porter soit une calotte spéciale, soit un dispositif nasal désigné en Créole sous le terme « bois lan nin ». L'objectif de cette mise en scène est double : d'une part, désigner le vainqueur au groupe, et d'autre part, humilier l'adversaire ou le perdant en lui infligeant une punition collective. Ce jeu de rôle typiquement haïtien donne à voir un aspect important de la culture haïtienne comme apport à la culture carcérale.
  3. La question des communications. Les délinquants haïtiens aimeraient continuer à communiquer librement entre eux sans l'interférence du personnel.

Bref, la gestion de crise entre groupes de délinquants haïtiens et le personnel du pénitencier ne concernait pas seulement des problèmes de communication, de discipline, de leadership, mais s'étendait aussi à la question des loisirs au pénitencier.

Cette journée dans la vie des délinquants noirs à l'Établissement de Donnacona a représenté un des moments forts du vécu institutionnel du Comité national. Elle nous a permis de nous rendre compte que, au-delà de la question de la surreprésentation des jeunes Noirs au pénitencier, il se constate d'autres enjeux tout aussi importants. Ainsi, le personnel du pénitencier a sensibilisé le comité au fait que la vraie question avec les Noirs consiste essentiellement dans la gestion des conflits avec ce groupe. En fait, ce que le Service correctionnel reproche au groupe Noir du pénitencier (qu'il s'agisse de l'Établissement de Donnacona, de l'Établissement Leclerc, ou de tout autre établissement), c'est une prise du pouvoir par les Noirs au sein du pénitencier.

La surreprésentation des Noirs est un phénomène bien connu de l'administration carcérale. Par contre, ce qu'on avait moins anticipé c'était le mode de regroupement des délinquants noirs en établissement. On sait que, aux États-Unis, les détenus noirs sont séparés des autres détenus, non pas en raison d'une tradition de ségrégation raciale, mais parce qu'en mettant les Noirs ensemble on pouvait craindre certains effets pervers, tels que la consolidation du leadership, la reconstruction des gangs de l'extérieur à l'intérieur du pénitencier, des interférences avec le système disciplinaire du pénitencier et le renforcement de certaines influences négatives au sein du groupe.

Le Canada semble s'être inspiré de ce modèle américain et pratique une politique de concentration des minorités noires versus une diversification des groupes minoritaires au pénitencier. Contrairement aux apparences, il ne s'agit ni de racisme, ni de ségrégation raciale, mais plutôt d'un aspect de la politique carcérale qui favorise le regroupement sur la base de la culture et de l'ethnicité. Ici, rien à voir avec une dérive quant à la Loi sur le multiculturalisme et la Charte des droits de la personne.

Notre de visite s'est terminée par une rétroaction collective sur cette journée dans la vie de cette unité opérationnelle :

  1. Avant d'aller à l'Établissement de Donnacona et dans d'autres unités telles que l'Établissement de Cowansville, on avait entendu parler de gangs comme : C.D.P, Les Beaux Gars, les 67, Master B., Bélanger, O.G., etc. Ce qui caractérisait ces gangs était que c'était des gangs en liberté. Pour la première fois, il nous était donné de voir des gangs en interaction en prison, dans un territoire sécurisé.
  2. Le problème des gangs au pénitencier se résumait comme suit, dans la perspective du personnel : les gangs de rue représenteraient une menace pour l'administration pénitentiaire. La question est : comment gérer une telle menace pour la sécurité du milieu?
  3. Comment travailler avec ces jeunes délinquants au quotidien?
  4. Ces jeunes délinquants ne veulent pas entendre parler de gestion et de règlement de conflits entre le personnel et les détenus. Les premiers prétendent qu'ils ont « de la misère » à les approcher, et à s'assoir avec eux, à leur parler : c'est un grand irritant pour le personnel. C'est environ une vingtaine de détenus qui occupaient parfois jusqu'à 80 % du temps du personnel. De plus, les incidents se multiplient non seulement entre les gangs, mais aussi entre le personnel et les gangs. Ici tout le monde travaille ensemble, le pénitencier ne tient pas au regroupement sur la base de la couleur, alors que les jeunes Haïtiens revendiquent le caractère homogène de leur regroupement, leur appartenance au groupe Omega qui est réservé exclusivement aux Noirs. L'administration privilégie l'unité et l'harmonie et n'aime pas les ghettos. Les gangs introduisent des éléments de conflits qui viennent de l'extérieur.
  5. À l'Établissement de Cowansville, les Beaux Gars et les CDP se sont regroupés sans que le personnel s'en aperçoive.
  6. Ces délinquants sont jeunes en général, comment aller les chercher? Cette population de Noirs en établissement, dans la section de l'Établissement de Donnacona, comprend environ 60 % de Haïtiens et 40 % de Jamaïcains. Ils sont difficiles d'approche, alors comment les motiver? Ces jeunes faisaient des batailles organisées et ils avaient des problèmes avec l'autorité au Centre de détention pour mineurs de Rivière-des-Prairies. Le type de solution qu'il faudrait utiliser avec eux consisterait à identifier leurs leaders positifs et les utiliser.
  7. En somme, l'Établissement de Donnacona constitue trois pénitenciers en un. Même si les Noirs ont pu se former une culture à part, rien n'empêche qu'ils entrent en conflit avec le personnel au sujet des loisirs par exemple. Ainsi, ils se plaignent d'avoir accès au soccer, mais à l'intérieur seulement, alors que les autres « les Blancs » peuvent jouer au hockey et au volleyball à l'extérieur. Selon eux, aucune explication ne leur est fournie autre que « c'est la règle ». Ils trouvent cette conduite arbitraire, rigide et teintée de racisme.

2. Deuxième volet : région de l'Ontario
On se rappelle que la surreprésentation des Noirs dans le milieu carcéral se décline en trois volets : Québec, Ontario, Nouvelle-Écosse (Halifax). Ici le problème se présente différemment, dans la région du Québec les questions étaient plus centrées sur les incidents avec la police[54]. En Ontario, la relation entre le racisme et l'administration de la justice était plus large. C'est ainsi que le rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario[55] s'est penché sur les allégations de racisme à toutes les étapes de l'administration de la justice (police, tribunaux, probation, jurisprudence, sentence pénale, incarcération, libération conditionnelle).

Les résultats de cette enquête systémique ont confirmé les craintes des Noirs face au système et ses relations avec les minorités racisées. Ce rapport a mis en exergue ce que Stephen Lewis avait déjà noté en ce qui concerne la condition des Noirs en Ontario. Selon cet auteur d'une étude sur le racisme en Ontario : en matière de discrimination, les Noirs se placent en avant et les autres minorités se rangent toutes en arrière. Selon le rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, les constats suivants ont été faits :

  1. Les travailleurs des services correctionnels sont influencés par les stéréotypes et susceptibles de favoriser le rôle punitif de l'incarcération.
  2. Bien que les règles soient strictement établies, la discipline dans les prisons est tout à fait discrétionnaire.
  3. Les détenus soulignent que les agents des services correctionnels punissent les détenus de race noire plus souvent, plus sévèrement et pour des motifs moins graves que les détenus de race blanche. … D'autre part, selon une petite étude exploratoire, les peines sont en fait imposées aux détenus de race noire et de race blanche dans certains établissements de l'Ontario, le personnel recourt à son pouvoir d'imposer des peines de façons différentes selon que les détenus sont de race blanche ou de race noire.
  4. Quant à la libération conditionnelle, les détenus « racialisés » obtiennent plus difficilement des permissions de sortir, ils susciteraient moins de confiance pour l'accompagnement. Ils sont moins bien préparés pour affronter la Commission des libérations conditionnelles. Lors de la tenue d'une séance de cette Commission, ils seraient interrogés plus en profondeur.

3. Troisième volet : région de la Nouvelle-Écosse (Halifax)
Nous avons fait les constats suivants qui s'inspirent des revendications du « African Black Inmate Forum » (ABIF) (rapport sur le forum de la communauté à l'Établissement de Springhill) :

  1. Il existe un état de méfiance et de colère parmi les détenus noirs à l'égard du système correctionnel.
  2. Les Noirs de la Nouvelle-Écosse seraient déçus dans leur démarche officielle et s'attendraient à plus d'action de la part de l'administration pénitentiaire.
  3. Il n'y a pas de réponse claire du SCC par rapport à la surreprésentation des détenus noirs. La communauté à de la difficulté à se faire comprendre des autorités quant à la condition des Noirs au pénitencier et à leur évolution à Halifax.
  4. Ils exigent des programmes mieux adaptés à leur culture, à la prévention du crime, à la formation, à la réhabilitation.
  5. À la réflexion, la criminalité noire à Halifax représente un continent inconnu faute de recherches appropriées.
  6. Nous avons voulu comprendre le lien entre les problèmes de cette petite communauté et la condition des jeunes noirs au pénitencier. Cette communauté à l'identité bien intégrée est représentative des Noirs de la Nouvelle-Écosse. Ils sont plus en relation spirituelle avec l'Afrique Noire. La communauté que nous avons visitée a été déplacée du village d'« Africville », qui était autrefois situé en banlieue de Halifax.
  7. En 1840, il y a eu expulsion forcée de ces Noirs de la ville d'Halifax. Ils ont été replacés dans une région éloignée d'Halifax qu'on appelle « North Preston ».
  8. La communauté noire a gardé un très mauvais souvenir de cette émigration forcée et d'un replacement dans une région ségréguée.
  9. Les conditions de vie de cette petite communauté noire recèlent les traces et la survivance de la colonisation. Ils reflètent un néo-colonialisme mal déguisé au Canada. Ce milieu de vie sous-développé constitue un vivier pour la délinquance et la criminalité.
  10. Cette communauté noire représente un microcosme plus transparent, moins complexe, plus facile à lire, mais non à décrypter.
  11. Les relations de ces jeunes Noirs avec la police et la justice sont perverties par leurs conditions de vie.
  12. Il est facile de comprendre les relations entre un événement traumatique et collectif vécu dans le passé (le grand déplacement) et les conditions de vie actuelles et les mauvais traitements des voisins et des autorités au quotidien.
  13. Le musée des Noirs à Halifax (Centre culturel Noir de Dartmouth) constitue un bon résumé de la trajectoire de cette communauté noire qui a été victime d'une violation historique et systématique des droits de la personne.
  14. L'avenir pour les jeunes Noirs de Halifax, privés de moyens éducatifs et techniques, paraît fermé et débouche malheureusement sur les voies de la délinquance et de la criminalité. De plus, ils évoluent dans un système pénal non adapté à leurs besoins et à leurs traditions.

Un coup d'œil sur la condition des Noirs dans les domaines liés à la police, à la justice et au système carcéral a bien montré, d'une part, les affinités ethnoculturelles avec les Autochtones, et d'autre part, celle qui prévaut avec les Noirs américains et les Afro-Canadiens. De même qu'il y existe une condition autochtone face au système, il existe aussi une problématique des Noirs relative à leur position face au système de protection, de justice et dans l'univers carcéral. Contrairement à nos visites dans les régions du Québec et de l'Ontario, nos visites à Halifax ont toujours été empreintes d'une grande émotivité. Que ce soit lors de la visite du Musée des Noirs, que ce soit en méditation ou en réflexion sur le monument commémoratif d'« Africville », que ce soit face aux équipements scolaires et de loisirs de la petite communauté noire, nous n'avons pu nous empêcher de verser quelques larmes et le Comité national, contrairement à ses habitudes, a senti monter parmi ses membres un sentiment de protestation sourde et d'indignation dans un mouvement d'empathie spontané à l'égard de la communauté noire d'Halifax.

D'où les questions suivantes :

Finalement, la problématique de la surreprésentation des jeunes Haïtiens au pénitencier est semblable à la même problématique des Africains (Somaliens) dans le système pénal ontarien et par ceux d'Halifax pour les Afro-Canadiens (d'où la nécessité de renforcer la vigilance quant au traitement de ces groupes racisés tout le long de la représentation pénale, de l'interpellation à l'arrestation, de la comparution au jugement, du procès à la sentence et à la trajectoire carcérale). Si d'un côté les délinquants ethnoculturels ont une part de responsabilité dans leurs contacts et leur traitement avec le système, il faudra déterminer un jour la responsabilité correspondante du milieu qui les pousse à remplir l'espace carcéral, suite à leur indifférence ou à leur hostilité aux problèmes des groupes racisés.

Le comité a bien compris vers la fin de la journée qu'on n'avait pas affaire à des individus isolés, mais a une culture carcérale particulière qui entretenait des relations avec d'autres groupes Noir comme BIFA ou ONYX.

Avant cette journée à l'Établissement de Donnacona, le comité avait une connaissance préalable des gangs noirs qui voisinaient d'autres gangs : une étude académique de moi-même à l'Université de Montréal avait été faite avec l'aide d'un chef de gang entouré de son équipe. Cette étude avait pour but de comparer les gangs de Noirs à Montréal avec les gangs de Noirs de Toronto. Les résultats furent étonnants. Nous avons noté en particulier une volonté très claire de mise à distance de la communauté noire, sous prétexte qu'aucun leader de la communauté noire ne s'était levé pour les aider à affronter le racisme, en particulier celui du milieu policier et de la justice.

Ils se sentaient abandonnés trop tôt par la communauté aux mains du système d'où les dérives de cette jeunesse qu'on connaît.

Évidemment, ils ont connu comme les autres communautés racisées (Autochtones, Noirs) le problème de la surreprésentation de leur communauté en milieu carcéral.

Références

Rapport (janvier 2008)
« La justice en milieu autochtone : vers une plus grande synergie ».
Groupe de travail : Cour du Québec, ministère de la Justice, directeur des poursuites criminelles et pénales, Secrétariat aux affaires autochtones. Québec, 2008.

Chantraine, G. La sociologie carcérale : approches et débats théoriques en France dans Déviance et société, vol. 24, no 3 (2000)

Sécurité publique. Profil correctionnel 2007-2008 : Les Autochtones confiés aux services correctionnels, gouvernement du Québec, 2011.

Dupuis, Renée. La question indienne au Canada, Montréal, Boréal. 1991.

Dupuis, Renée. Tribus, peuples et nations : les nouveaux enjeux des revendications autochtones au Canada, Montréal, Boréal, 1997.

Dupuis, Renée. Quel Canada pour les autochtones? : la fin de l'exclusion, Montréal, Boréal, 2001.

Boisvert, Y. (2015). « Une justice étrangère » dans La Presse, jeudi 29 octobre 2015, Montréal. [Les Autochtones comme victime d'un système de justice étranger aux Premières Nations].

Croteau, M. (2013). Davantage de prisonniers s'automutilent dans La Presse, lundi 28 janvier 2013, Montréal. [Les Autochtones constituent la moitié des cas dans les prisons fédérales].

Désautels, Louise. « À la recherche du calumet de paix » dans Justice (Revue), vol. IX, no 10, déc. 1987. [Droits des Amérindiens. Gouvernement du Québec. Ministère de la Justice. Direction des communications].

Elkouri, Rima. « Toutes ces larmes ignorées » dans La Presse, 30 octobre 2015. « …des décennies de colonialisme et de racisme qui teintent notre rapport avec les Autochtones dans ce pays… les femmes autochtones, emmurées dans une culture du silence, n'osaient pas porter plainte… Pour que l'on s'intéresse à elles, il aurait peut-être fallu qu'elles se voilent. Elles ont fait mieux encore en se dévoilant. »

Elkouri, Rima. « De l'impunité à l'indifférence » dans La Presse, 23 oct. 2015. À la suite de la diffusion 1) du reportage d'Enquête, à Radio-Canada, sur la Sûreté du Québec et les femmes autochtones à Val-d'Or, Québec (22 oct. 2015); 2) du rapport du coroner sur la surreprésentation des morts suspectes parmi les enfants autochtones (quatre fois supérieures à celle dans l'ensemble de la jeunesse québécoise). 3) au projet d'enquête sur les 1 200 femmes autochtones disparues au Canada. Commentaire critique de l'auteur : faut-il parler d'impunité ou d'indifférence à l'égard des femmes et des enfants autochtones victimes de violence?

Gasquet, Axel et Modesta Suárez (dir.). Écrivains multilingues et écritures métisses. L'hospitalité des langues. Presses universitaires Blaise Pascal, 2007.

Jendly, M. Politique pénitentiaire et droits des détenus au Canada. Centre international pour la prévention de la criminalité, 2002, Montréal.

Kabundi, M. Le droit des prisonniers canadiens à un procès disciplinaire juste et équitable dans Champ pénal, vol. III (2006)

Kabundi, M., D.-T. Bilomba et A. Meniri. Réussir la médiation interculturelle, SCC (2008).
Sécurité publique. Profil correctionnel 2007-2008. Les Autochtones confiés aux services correctionnels, gouvernement du Québec, 2011.

Rapport de janvier 2008

  1. La justice en milieu autochtone : vers une plus grande synergie.
  2. Groupe de travail : Cour du Québec, ministère de la Justice, directeur des poursuites criminelles et pénales, Secrétariat aux affaires autochtones. Québec, 2008

3. Les besoins des détenus et les accommodements raisonnables : limites d'application, effets pervers et dérives appréhendés du multiculturalisme

En principe, partout où coexistent des cultures différentes, celles-ci interagissent, entrent en conflit, d'où la nécessité de négociations interculturelles. Ce principe s'applique au pénitencier dans leurs relations avec les délinquants ethnoculturels. Cette problématique nous interpelle particulièrement lorsqu'il s'agit de connaître les besoins de cette catégorie de délinquants et de les évaluer de manière neutre et objective.

À notre connaissance, il n'existe pas d'étude académique sur les besoins spécifiques des délinquants ethnoculturels. C'est en raison de la mise entre parenthèses des traditions culturelles de ces groupes et du manque d'intérêt du personnel à cet égard dans certains pénitenciers. Si nous connaissons indirectement les besoins de ces détenus, c'est par le moyen de leurs revendications occasionnelles.

La connaissance élémentaire des besoins de base des délinquants ethnoculturels s'est approfondie au cours des visites du Comité national dans les pénitenciers et des rencontres et des confidences des détenus.
Les principaux domaines où se situent ces besoins sont la cuisine et les soins corporels. La cuisine du pénitencier est particulièrement antagoniste par rapport à la cuisine racine ou celle du groupe. Certains détenus évoquent la cuisine de maman pour souligner l'importance affective de cette alimentation. D'autre part, les cheveux doivent faire l'objet de soins particuliers. La peau aussi requiert l'usage de certains produits de beauté spécifiques.

Toutefois, le pénitencier s'est vite aperçu dans son évaluation sommaire des besoins de ces groupes de délinquants, qu'il y avait des limites à respecter. Est-ce que certaines demandes étaient toujours pertinentes, justes, raisonnables? Il est arrivé par exemple que certaines demandes frisaient l'insulte, la provocation, l'humiliation. De telles demandes étaient inacceptables à leur face même.

Les besoins de base pouvaient s'étendre au domaine spirituel comme dans le cas des détenus appartenant au groupe de musulmans noirs.

Notons aussi que certains rituels de la prière pouvaient conduire à des malentendus entre détenus et personnel.

Dans les négociations relatives aux besoins des détenus, les conflits peuvent opposer les droits des détenus aux droits du personnel et de la majorité. Comme l'unité pénitentiaire fait partie de la démocratie et d'un état de droit et doit protéger les droits des groupes minoritaires, Il s'agit avant tout de respecter les différences culturelles et préserver la dignité de chacun.

Un exemple de bonnes pratiques de certains pénitenciers consiste non pas à ce qu'ils préparent eux-mêmes la nourriture ethnique, mais plutôt qu'ils distribuent les ingrédients de chaque cuisine particulière aux délinquants ethnoculturels. Il s'agit là d'une négociation qui représente un compromis. Cette offre d'accommodement paraît raisonnable aux deux parties. Cette négociation à l'amiable s'inspire d'une règle implicite recommandée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec[56]. Selon ce canevas de négociation, chaque partie s'engage de bonne foi à rechercher un compromis : ainsi, il n'y a ni perdant, ni gagnant. Les demandes ne visent pas l'octroi de privilèges individuels au détriment des droits des autres. Le tout devant se dérouler dans le cadre des lois et des règlements en vigueur.

Mise en garde : Il n'est surtout pas question d'évoquer la Loi sur le multiculturalisme. Ce cadre légal peut être évoqué toutes les fois qu'il s'agit de reconnaître, de valoriser et de respecter les différences culturelles, et non pour constituer des ghettos avec des demandes irréalistes. En somme, toute la négociation portant sur les besoins de base des délinquants ethnoculturels doit se dérouler dans un climat de neutralité60 et dans des limites raisonnables pour éviter de renforcer les conflits interculturels.

Références

Maalouf, A. (1998). Les identités meurtrières. Grasset.

Commission de vérité et de réconciliation (CVR)

Commission du droit du Canada

Droits de la personne et diversité. (2015). Rapport de recherche remis à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, collectif interuniversitaire (Objet : Sondage d'opinion des Québécois sur la diversité), P. Noreau (dir), « Le cas spécifique des Autochtones », p. 55.

Proximité. « L'existence de relations régulières avec des personnes de profils sociaux différents » comme facteur explicatif des différences d'opinions et d'attitudes à l'égard des autres groupes. Voir : Droits de la personne et diversité (2015), p. 18.
« L'ouverture plus ou moins grande à la diversité des origines, des références et des modes de vie, et la prédisposition de l'opinion vis-à-vis des accommodements susceptibles de mettre fin à une situation de discrimination, en fonction des rapports de proximité entretenue […] avec des individus d'autres origines, d'autres conditions sociales d'autres orientations […] Au plan empirique, le niveau de proximité des individus détermine leur intérêt ou leur crainte vis-à-vis de la diversité […] ». (loc. cit. p.19).

Repli sur la tribu. (Voir : Malouf, A. Les identités meurtrières).

4. Les minorités racisées au Canada : mythes et réalités

Dans les statistiques sur la criminalité et la justice pénale, il est souvent question des Autochtones et des Noirs comme cibles particulières de la police et des appareils de régulation sociale. Derrière les données chiffrées, y a-t-il des maîtres à déconstruire? Qu'est-ce que les Autochtones et les Noirs ont à partager dans leur relation avec le patrimoine Canada? Qu'est-ce qui peut expliquer leur rapport aux crimes et à la réaction musclée du système de justice pénale à leur égard?

Afin d'éviter les amalgames et la généralisation abusive, il faut commencer par reconnaître que même si dans certains cas, le système pénal présente une réaction excessive, il existe aussi un malaise profond lorsqu'on examine les données et les réalités qu'elle recouvre.

Nous allons examiner d'abord une liste de sept mythes dans les rapports entre les Autochtones ou les Noirs et la justice. Après ce tableau comparé, nous évoquerons la question des Noirs et ses spécificités selon les régions.

    1. Le mythe d'une relation entre les mouvements migratoires et la criminalité
    Il n'existe pas de lien causal entre l'arrivée des immigrants et le niveau de criminalité dans un pays. Aucune étude objective ne prouve le contraire à notre connaissance. Les Autochtones ne sont pas des immigrés. Pourtant leur taux de criminalité est celui qui est le plus élevé au Canada. La criminalité autochtone et la criminalité noire constituent des catégories séparées. D'autres cas de figure existent et renvoient à des facteurs étiologiques différents.

    2. Le mythe de l'homogénéité ethnoculturelle
    Comme dans le cas des peuples autochtones, qui sont des Nations différentes, il est difficile de parler des Noirs en général et de les ramener à une même dimension : la couleur de la peau. Les Noirs du Canada appartiennent à différentes cultures même s'ils peuvent se réclamer d'une ascendance lointaine commune : l'Afrique ancestrale. Mais qu'ils soient nés ici ou ailleurs, les Noirs du Canada partagent un même destin face au système pénal. Tout ce passe comme s'ils faisaient l'objet d'une plus grande rigueur des mécanismes de contrôle à leur égard, même s'ils habitent des régions différentes du pays.
    Les Autochtones, quelle que soit leur localisation sur le territoire national, se plaignent des mêmes problèmes en ce qui a trait au système de justice. Leurs différences (langue, tradition, culture) sont nivelées par des données statistiques prétendument neutres.

    3. Le mythe des dysfonctions de l'adaptation
    Quel que soit le terme utilisé dans leur cas : « développement socio-économique séparé », « sous-développement », « retard du développement », les Autochtones ne se développent pas au même rythme que les autres ethnies qui peuplent le Canada. Ce décalage socio-économique s'explique par facteurs historiques et légaux. Ainsi, la Loi sur les Indiens (Indian Act) aurait beaucoup contribué à renforcer les séquelles de la colonisation au même titre que l'esclavage pour les Noirs. Dans les deux cas, on peut parler des effets rémanents d'un génocide culturel qui se répercute d'une génération à l'autre.

    4. Le mythe de la « spiritualité sauvage »
    Les Noirs et les Autochtones ont été « évangélisés » sous de faux prétextes qui cachaient mal certaines intentions pas toujours très « catholiques ». Mais derrière cet écran chrétien ont survécu des croyances et des pratiques alternatives qui aménagent une place au sacré et au transcendant. Le culte des morts, celui des ancêtres et des « esprits », le respect dû à l'environnement et les rituels de guérison font partie des traditions spirituelles et ethnoculturelles parmi les plus honorables. Sur plusieurs plans, les traditions africaines et autochtones convergent.

    5. Le mythe d'une identité nostalgique
    Les Noirs d'Amérique évoquent souvent l'Afrique et son histoire coloniale (royaume d'autrefois, rapports interethniques respectueux de la dignité humaine, relation avec leurs ancêtres, tels Toussaint-Louverture, Léopold Senghor, Aimé César, Jean Price-Mars. Des modèles emblématiques du passé et du présent sont donnés en exemple aux plus jeunes pour les stimuler à se dépasser.

    Les Autochtones situent les dérives de leur histoire à partir de l'arrivée des colons européens sur leur territoire. Il s'en est suivi une saga interminable avec la dépossession des terres, la violation répétée des traités signés avec les ancêtres, l'enfermement dans les « réserves », le non-respect de leurs droits comme personnes et l'éloignement de leurs enfants de leur base familiale et territoriale par le recours aux expériences traumatisantes des écoles de réformes des pensionnats chrétiens.

    Les Noirs comme les Autochtones peuvent donner l'impression que leur vraie histoire est derrière eux et qu'ils vivent dans une société dans laquelle ils cherchent leur vraie place. D'où des sentiments de dépossession, de distanciation, et d'aliénation qui contribue à entretenir une image de soi négative.

    6. Le mythe de l'appartenance à la catégorie des « groupes racisés »
    Ni les Autochtones, ni les Noirs ne constituent des « races » au sens biologique du terme.
    Ils font pourtant l'objet d'une mise en catégorie intentionnelle pour des fins de classification idéologique. Ils deviennent des « groupes racisés » conformément aux définitions des commissions des droits de la personne.
    En pratique les deux groupes minoritaires font face aux mêmes stéréotypes, préjugés et pratiques discriminatoires. Dans certaines circonstances, la perception (force physique, vitalité biologique) joue en leur faveur, mais cette force d'attraction positive peut être à la source d'une réaction d'angoisse chez l'autre. La peur du Noir ou de l'« Indien » comme de l'inconnu fait partie du folklore et des fantasmes chez certains.

    7. Le mythe d'une causalité interne pour rendre compte de l'inclinaison supposée au crime et du tropisme vers les pénitenciers
    Il existe bel et bien une surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans le système de justice pénale au Canada. On le souligne ad nauseam dans les rapports d'enquête, comme pour postuler une inscription hypothétique de certaines prédispositions dans l'« ADN » de ces deux groupes minoritaires. N'oublions pas que, quelles que soient la communauté observée et la catégorie des crimes rapportés, les phénomènes de criminalité y désignent la marginalité et non la normalité.

    La vérité crue des chiffres a créé un malaise récurrent. Mais derrière ces statistiques, que se cache-t-il? Il y a lieu de présenter ici une mise en contexte. La criminalité autochtone comme la criminalité noire sont des phénomènes sociaux surdéterminés qui renvoient à une causalité multivariée. C'est faits de société sont autant les résultats des initiatives personnelles que des conjonctures socio-économiques. La vulnérabilité des jeunes Autochtones et des jeunes Noirs au Canada nous donne à voir leur type de rencontre avec l'histoire il est dommage que la réaction sociale musclée du système de justice pénale aille dans le sens d'un renforcement de cette vulnérabilité autant individuelle que collective…

La « question des Noirs » et le système de justice pénale au Canada

En matière de justice pénale, la surreprésentation des délinquants issus des communautés noires au Canada peut se décliner selon trois régions principales :

5. La « question noire » dans la région du Québec

Dans la région du Québec, les Noirs constituent un groupe minoritaire bigarré dont chaque composante a une histoire particulière. (Africain, Antillais ou Caribéen, Guyanais, Jamaïcain, Afro-québécois, Haïtiens, etc.). Mais en ce qui concerne la délinquance organisée, ce sont des Noirs originaires de la Caraïbe francophone qui dominent. Ce n'est pas un thème populaire parmi les biens nantis de la diaspora. Il s'agit pourtant de sujets qui les concernent au plus près et à l'égard duquel ils désirent collectivement prendre une certaine distance. Nous allons quand même explorer cet univers marginal qui intéresse au premier chef la communauté noire dans ses relations avec la justice pénale. Il y va d'une responsabilité collective face aux dérives de certains secteurs marginaux.

Le cas des délinquants haïtiens au Québec
Lorsque je suis arrivé en 1966 à Durham, en Caroline du Nord, je fus frappé par l'habitude des gens de se précipiter sur la scène publique d'un crime aussitôt l'événement annoncé. Des amis noirs m'ont alerté dès le début de mon séjour aux États-Unis : « Surtout ne vous approchez pas de la scène, on pourrait vous choisir comme suspect… » Je n'ai pas bien compris sur le coup : remarques sibyllines, « joke » à l'américaine ou reflet d'une réalité que j'allais apprendre à découvrir…

Les statistiques sur le cheminement des jeunes Noirs dans le système de justice aux États-Unis m'ont permis de comprendre bien plus tard les fondements de cette perception collective.

Ainsi, selon Michelle Alexander, universitaire afro-américaine (The New Jim Crow. 2010), les Noirs américains sont ciblés de plus en plus par la police et incarcérés de façon disproportionnée. «… Aujourd'hui, il y a davantage d'Afro-Américains dans le système pénitentiaire, en prison ou en liberté conditionnelle, qu'il n'y avait d'esclaves en 1850 » (cité par : Richard Hétu. La ségrégation aujourd'hui. À 15.1. La Presse. 18 août 2014).

D'autres sources rapportent par exemple que 60 % des Afro-américains de sexe masculin, sans diplôme d'études secondaires, aboutissent en prison (Bruce Western. « Punishment: The US Record », Conference, New School College of Social Research, 1er décembre 2006).

Aujourd'hui, je constate qu'être Noir et fantasmer sur la peur de devenir à tout moment un acteur ou une victime du système fait partie du quotidien de la vie aux États-Unis.

Ayant émigré des États-Unis au Canada, j'en vins à me poser plus tard la même question : les jeunes Haïtiens d'ici représentent-ils, comme jeunes Noirs, une population à risque élevé, au même titre que leurs homologues américains, même si le contexte environnemental semble différent? Au Québec en particulier, où la population est majoritairement francophone, de tradition catholique avec une forte diaspora noire en émergence, à quel niveau se situe la délinquance haïtienne et comment se caractérise le cheminement de ces jeunes Noirs dans l'ensemble du système?

Dans les années 1970, au cours de mes rencontres avec la section transculturelle du Département de psychiatrie de l'Université McGill, j'avais soumis l'idée qu'on sait très bien ce que le Haïtien fait de sa libido, mais qu'on ignore l'usage qu'il fait de son agressivité. Je prétendais alors qu'une bonne partie de cette agressivité était liquidée à travers le vaudou, qui agissait à la manière d'un filtre. Je me rabats alors sur la grande rareté de phénomènes, tels que le suicide, l'homicide, la délinquance grave et la criminalité organisée en Haïti. À l'époque contemporaine et dans la diaspora haïtienne, coupée de ses racines, pouvons-nous en dire autant?

La délinquance des jeunes Haïtiens au Québec n'est pas uniquement une conséquence des mouvements migratoires vers le Québec, comme certaines rumeurs le prétendent.

Au début des années 2000, des formes inconnues de délinquance commencèrent à apparaître en Haïti. On se mit à parler du phénomène « Zokiki », une sorte de délinquance de groupes correspondants à une délinquance des valeurs et des attitudes au sein de la jeunesse haïtienne. Y a-t-il un lien entre ces changements en Haïti en ce qui concerne les déviances de la jeunesse? Parallèlement au « Zokiki » en Haïti, on commence à découvrir dans la diaspora haïtienne au Québec l'existence d'une certaine jeunesse qui, grâce à la technologie et aux échanges interculturels, s'ouvre au monde moderne et à ses avatars (ou à ses démons pour rester fidèle à la logique d'une certaine tradition des Haïtiens).

La Direction de la protection de la jeunesse sonna l'alerte en réaction à la surabondance des signalements des écoles quand elles décident de compter les « têtes de pipe » dans les centres de réhabilitation pour jeunes en difficulté. On découvrit alors une surreprésentation des jeunes Haïtiens parmi les mésadaptés sociaux affectifs. Plusieurs de ces cohortes se retrouvent plus tard engagés dans les circuits pour adultes, qu'il s'agisse de prisons provinciales comme Bordeaux ou le réseau des pénitenciers fédéraux.

De nombreuses recherches universitaires ont porté sur les différents aspects des dysfonctions de l'adaptation chez les jeunes Haïtiens au Québec. Citons pour mémoire les études suivantes :

  1. De Jean Métellus : Étude exploratoire de la délinquance de jeunes Haïtiens au Québec. Université de Montréal. 1988. On commençait alors à parler de l'émergence des gangs ethniques, de leur évolution sur le territoire, de crime organisé.
  2. De Léonel Bernard : Les trajectoires des jeunes d'origine haïtienne dans le système québécois de la protection de la jeunesse. Thèse de doctorat. Département des sciences humaines appliquées. Université de Montréal. 2001.

Également, plusieurs rapports de recherche de ce même département sur :

  1. Les relations conflictuelles entre les jeunes Noirs et la police de Montréal.
  2. L'alimentation du système de justice des mineurs par la surabondance anormale des interpellations et des signalements de ces jeunes par la police en particulier.
  3. Du rapport percutant de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec sur le phénomène du profilage racial qui contribue à la montée de la violence et des gangs, en réponse à une certaine détresse, dans la diaspora. Quel est l'état des lieux en ce qui concerne le système carcéral et les jeunes Haïtiens?

6. Études d'Emerson Douyon sur les gangs ethniques : gangs en liberté

Cette étude avait été commanditée par le solliciteur général d'alors. Son but était de comparer les gangs de Montréal avec les gangs de Toronto. On assistait alors à l'émergence du phénomène des gangs à Montréal, et on désirait un état des lieux.

C'est ainsi, aidé d'un chef de gang bien connu, que j'ai pu créer un petit groupe qui a accepté dans l'anonymat de parler de ce qu'il vivait comme membres de gangs. Ils ont accepté également, par mesure de haute sécurité, que l'ensemble des cassettes enregistrées fût détruit en leur présence.

Dans ce temps-là, on entendait parler des gangs ailleurs, mais pas à Montréal. Ces gangs, outre leur aspect violent, s'inspiraient en grande partie de la culture locale comme la culture « Hip-Hop » des États-Unis et du « Gangsta Rap ». Ces gangs étaient particulièrement connus en Californie, dont deux sont devenus célèbres : les « Bloods » et les « Crips ».

En France, les gangs s'inspiraient en particulier des sources africaines. Ils étaient particulièrement associés à la culture et à la musique africaine. C'est ainsi que certains gangs s'appelaient les « Zulu-Chaine » exprimant à la fois leurs racines Zulu et la musique Zulu.

À l'exemple des jeunes Noirs américains, il se repliait sur l'identité Noire pour exprimer leur détresse, leur souffrance et leur violence.

À Montréal, la rencontre de deux cultures (majoritaire québécoise et minoritaire haïtienne) produisit un choc inattendu. Ce qui avait au début l'allure mixte et interculturelle finit par dégénérer en un antagonisme de groupe violent. C'est alors que les gangs se multiplièrent dans certains quartiers, selon la géographie de la ville. On retrouva les gangs francophones à l'Est, en particulier dans les quartiers périphériques, et les gangs anglophones, majoritairement dans les quartiers pauvres de l'Ouest. Même si Montréal devenait de plus en plus pluriethnique, sa carte mentale ne correspondait pas toujours à sa carte géographique

Le peuple haïtien est un peuple très artistique. Lorsque les jeunes de la diaspora ne peuvent pas s'exprimer par les moyens ordinaires (littérature, poésie, arts, peinture, danse à leur manière, etc.), ils ont tendance à s'exprimer autrement et, malheureusement, entre autres, par la violence gratuite. Autrement dit, tout ce qui ne s'exprime pas par la pensée ou les sentiments s'expriment par l'action.

On se rappelle que le système correctionnel au Canada comporte deux volets : un volet provincial qui gère les prisons (peines de moins de deux ans) et un volet fédéral (peines de deux ans ou plus) pour des raisons difficiles à expliquer, le Québec maintient un « masque » total sur les minorités en prison. Ce qui n'est pas le cas des pénitenciers fédéraux, où la transparence dans les données chiffrées est de rigueur.

Ayant dirigé pendant 10 ans environ le Comité provincial et un Comité national sur la situation des délinquants d'origine ethnique dans les pénitenciers fédéraux du Canada, j'ai pu me rendre compte de l'ampleur du problème non seulement des jeunes Haïtiens au Québec, mais également de celui des jeunes noirs dans le reste du Canada.

La question a été bien documentée pour les Somaliens, les Jamaïcains, les Barbadiens de l'Ontario, comme pour les Afro-Canadiens de la Nouvelle-Écosse. La question des détenus noirs a été souvent soulevée par BIFA (Black Inmate and Friends Assembly). BIFA est un organisme communautaire à but non lucratif, mis sur pied en 1975 par un groupe de détenus noirs à l'Établissement de Millhaven. Il comptait parmi ses objectifs la volonté de faciliter la réadaptation sociale des délinquants noirs et Antillais et fournir du soutien et de l'aide à leurs familles. En octobre 2003, le BIFA offrait des programmes dans un établissement provincial et 12 établissements fédéraux.

Il a fallu attendre son 40e rapport annuel avant que l'ombudsman ou l'enquêteur correctionnel découvre qu'il existait un problème noir dans le système carcéral canadien. Dans cette étude indépendante (26 nov. 2013), M. Howard Sapers s'alarme de l'augmentation des minorités visibles dans les pénitenciers, soit de 75 % au cours des 10 dernières années (2003–2013).

Voici quelques constats pertinents pour les Noirs dans cette étude sur la diversité ethnoculturelle en milieu carcéral :

  1. Les Canadiens noirs comptent pour moins de 3 % de la population totale. Pourtant 9 % des détenus sous responsabilité fédérale sont noirs.
  2. La majorité des détenus noirs sont incarcérés dans la région de l'Ontario, soit 60 %, tandis que 17 % le sont dans la région du Québec.
  3. Dans la région du Québec, six détenus de race noire sur 10 sont répartis entre deux établissements, soit l'Établissement de Cowansville et l'Établissement Archambault.
  4. Les Noirs dans les pénitenciers feraient face à une discrimination systémique soit :
    1. Une surreprésentation dans les catégories d'accusations dites discrétionnaires nécessitant le jugement de la part des agents correctionnels.
    2. Même si les détenus de race noire présentent des taux de récidive moins élevés, ils sont plus susceptibles d'être incarcérés dans des établissements à sécurité maximale et bénéficient de moins de permissions de sortir avec ou sans escorte.
  5. Si l'on ajoute le pourcentage des détenus autochtones (23 %, contre 4,3 %., leur poids dans la population canadienne), il y a là des « tendances inquiétantes qui soulèvent des questions sur l'égalité et le système de justice au Canada », conclut M. Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel.

D'où la question incontournable : sommes-nous en train de reproduire le modèle américain en ce qui a trait à l'incarcération abusive des minorités ethnoculturelles?

7. Les délinquantes face à la culture et à l'ethnicité

Nous ne saurions passer sous silence la situation des détenues dans les pénitenciers au Canada. Notre Comité a rencontré certaines d'entre elles dans deux établissements considérés comme des modèles de modernité, à savoir :

Nous avons fait quelques constats concernant tant l'architecture et l'environnement que « l'esprit » qui règne dans ces établissements.

a. Établissement Joliette

Joliette est une jolie petite ville située sur la route de Québec. C'est une région semi-industrielle, semi-agricole, bien équipée en ressources matérielles, humaine et éducative. L'été, elle est envahie par des artistes et des touristes à la recherche de découvertes, de créations musicales offertes à l'occasion de rencontres musicales de niveau international.

Témoin vivant de la culture québécoise en région, l'Établissement Joliette se situe à mi-chemin entre la culture métropolitaine de Montréal, multiculturelle et ouverte sur le monde, et la ville de Québec, dite la « capitale » qui est plus axée sur l'authenticité à la québécoise. Dans ce coin bucolique à souhait, en périphérie de la ville, ce trouve lové un petit « village-prison ». Voilà l'Établissement Joliette; le pénitencier pour femmes construit dans la foulée d'une recherche d'amélioration des conditions des détenues au Canada, recherche initiée par la Dr Marie-Andrée Bertrand et quatre autres criminologues de l'Université de Montréal. L'Établissement Joliette remplace la Maison Tanguay, l'ancienne section fédérale de la prison des femmes jadis adossée à la prison provinciale pour hommes du nom de Bordeaux.

L'Établissement Joliette est constitué d'une suite de maisonnettes modernes dotées de fenêtres grandes ouvertes sur l'extérieur et un jardinet en été. Les délinquantes mettent leurs ressources personnelles ensemble dans une petite communauté pour le marché, la cuisine et d'autres nécessités de la vie. Une telle structure fait penser à une suite de petits motels, où la sécurité se conjugue avec une liberté de mouvements plus souple dans un espace contrôlé avec beaucoup de souplesse.

Il est même permis aux délinquantes qui ont des bébés de garder ces derniers, avec l'aide de la Direction de la protection de la jeunesse, ce qui constitue une expérience mère-enfant intéressante de vie dans un milieu où on compte plusieurs parents.

Par ailleurs, les questions d'ethnicité et de culture ne semblent pas poser problème pour les délinquantes de l'Établissement Joliette. Les préoccupations de ces dernières sont plutôt axées sur le quotidien, comme les liens avec leur famille et le maintien d'un environnement agréable. De façon générale, les délinquantes soignent beaucoup leur apparence et maintiennent un bon esprit communautaire.

On ne note pas de phénomène de violence apparent ni de conflits de gangs.

b. Établissement Nova

La situation de l'Établissement Nova nécessite une mise en contexte. L'existence d'une population noire marginalisée en Nouvelle-Écosse fut une révélation pour le Comité.

En contraste avec le village-prison de l'Établissement Joliette, qui reflète la culture québécoise, le village-prison de l'Établissement Nova est situé dans un secteur agricole plus diversifié, mais les Blancs et les Noirs se tiennent dans des regroupements séparés à cause d'une évolution historique différente.

Les Blancs sont les descendants des colons de la Nouvelle-Écosse. En principe, ce ne sont pas des esclavagistes, mais des maîtres naturels de l'époque. Leur influence et leur ascendance écossaise appartient à une forte identité européenne et canadienne à la fois.

Face à cette identité s'oppose une identité noire conflictuelle très forte et articulée autour de l'ethnicité de la culture afrocentrique. Ce sont des Noirs du Canada, mais ils sont différents des Noirs du Québec et de ceux de l'Ontario. Certains sont des descendants d'esclaves d'Amérique libérés ou fugitifs grâce à la générosité des Canadiens. Quelques-uns sont des survivants navigateurs africains qui se sont aventurés sur les côtes de la Nouvelle-Écosse. Ils n'ont pas émigré des Antilles, comme les Haïtiens francophones.

Les indiens Micmacs ont bien accueilli tous ces Noirs indépendamment de leurs origines.

Les Noirs de la Nouvelle-Écosse logent en périphérie de Darmouth. C'est une région agricole en périphérie d'une zone urbaine industrialisée.

Pour atteindre Darmouth, il faut partir de Halifax en bordure du port de mer, puis traverser le village historique d'Africville, l'ancienne concession des Noirs d'Halifax.

Cette région à une histoire bouleversante qui a soulevé beaucoup d'émotions chez les visiteurs tels que les membres du Comité national (CCNE). Tout a été démoli pour permettre de construire le pont d'Halifax qui surplombe Africville et un bras de mer. Effet pervers de cette infrastructure portuaire moderne, les Noirs ont perdu leur village historique d'antan, ont été jetés dans la nature. Ils se sont regroupés plus tard près de Darmouth, grâce, dit-on, à la générosité d'un riche américain.

Avant d'atteindre Darmouth, on passe près d'un cimetière historique, où reposent les survivants du Titanic ainsi que sur la voie d'un monument commémoratif du « Grand Dérangement », comme pour les Acadiens du Nouveau Brunswick. Les Noirs d'Halifax, sont séparés comme en Afrique du Sud et dans les tribus indiennes du Canada jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit d'un traumatisme historique pour la petite communauté noire d'Halifax.

Cette histoire a servi de creuset pour fonder l'identité afro-canadienne des Noirs d'Halifax sur laquelle se replie la collectivité en cas de conflit ou d'interaction interculturelle.

Les délinquants ethnoculturels ont été plongés dans cette culture faite de brimades, de mauvais traitements, de violence conjugale et de relations dysfonctionnelle avec la communauté noire et les voisins blancs ethnocentriques.

Nous étions intéressés à connaître les liens entre la prison et le mode de vie de la collectivité. En plus de la visite au Musée commémoratif de l'histoire des Noirs et du monument historique qui s'y rattache nous avons visité un terrain de loisirs pour les jeunes et constaté qu'il était sous haute surveillance policière.

Par la suite, nous avons rencontré des délinquantes de l'Établissement Nova. Nous avons voulu rencontrer les délinquantes noires séparément, mais les autres ont souhaité être ensemble à la même séance de groupe, sans faire de distinction entre Noires et Blanches. Elles voulaient être solidaires et appuyer les dires de leurs consœurs Noires.

L'Établissement Nova ressemble à la prison-village de l'Établissement Joliette, en plus luxueux. La présence d'un violon sur un piano était du plus joli effet et nous a étonnés.

Les femmes nous sont apparues très solidaires et nullement préoccupées par des questions de couleur, de culture ou d'ethnicité. Il n'y a pas de ségrégation ni entre elles, ni avec le personnel. Selon elles, leurs problèmes étaient de nature plus psychologique que sociologique (tentative de suicide, automutilation, violence conjugale, violence communautaire, toxicomanie, prostitution).

Elles notent seulement que le personnel est à prédominance masculine ce qui était susceptible de leur faire revivre leurs problèmes de femmes (proxénètes, maris violents).

Dans les deux modèles, les délinquantes se différencient des délinquants de sexe masculin :

  1. La culture et l'ethnicité ne constituent pas un problème prioritaire.
  2. Les délinquantes semblent plus centrées sur le quotidien, la famille et les relations interpersonnelles.
  3. Elles semblent plus solidaires entre elles et s'entraident.
  4. On constate moins de violence ouverte et d'affrontements, et moins d'infractions aux règles de l'établissement.
  5. Elles sont plus complices qu'actrices dans la mise en œuvre des délits.

Nous ne savons pas si les résultats de ces deux expériences pilotes sont concluants, faute de recherches appropriées. Ainsi, nous ne pouvons dire avec certitude si l'environnement de type village et son fonctionnement plus ouvert favorisent une évolution positive chez les détenues ni si une architecture plus légère convient davantage aux femmes que les forteresses d'autrefois.

Partie III
Profilage racial et criminalisation des jeunes des groupes racisés

Au seuil de ces nouvelles réflexions sur le profilage, trois pensées nous inspirent :

Lorsque cette mise en perspective est faite, il nous est loisible de choisir le registre selon lequel le profilage racial se décline.

Selon le Petit Robert, le profilage est dérivé du terme anglais « profiling » et désigne une technique policière qui consiste à dresser le profil psychologique d'un criminel récidiviste inconnu. De la notion de profilage criminel, on est passé au concept de profilage racial. Comment expliquer cette évolution sémantique, où survient ce subtil glissement de sens dans les rapports entre la police et le public? Sommes-nous en présence d'un phénomène de contamination ou d'une tendance vers un mélange des genres? Un regard critique sur les relations entre la police et la minorité ethnique pourra mieux nous éclairer sur cette mouvance vers une nouvelle forme de mise en catégorie fondée sur la différence.

1. Le contentieux entre la police et les minorités ethniques

Il est bien connu que le rôle traditionnel du policier est d'intervenir à l'occasion d'un acte dérogatoire. Son attention est attirée d'emblée vers le marginal, le déviant, le délinquant, bref, vers le différent, le « pas pareil », celui qui paraît le plus susceptible de poser éventuellement un geste délictuel. En vertu de sa culture policière, cette figure d'autorité parvient à développer une pensée classificatoire noire exacerbée qui lui fait découvrir l'étranger sous une apparence étrange. Dans sa perspective à lui, dans une société de plus en plus diversifiée, le crime à visage tend à être personnifié par une figure basanée, représentant typé des nouvelles classes dites dangereuses. Dans la foulée, le mode d'intervention du policier est marqué par la dialectique convenir ou contrevenir.

Dès lors, il ne faut pas s'étonner du fait que la rencontre aléatoire des jeunes issus de minorités ethnoculturelles avec la police constitue parfois une situation à risque. Par-delà l'opposition entre deux blocs ou cultures antagonistes, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, perçu comme arbitraire, est susceptible de générer une conjoncture explosive. De là, l'accusation fondée ou non d'une surveillance policière des minorités érigée en système.

Comme la culture policière tend à se reproduire malgré des différences individuelles parmi les policiers, les jeunes « racisés » selon le cas voient mal comment sortir de l'impasse. La police de quartier semblait offrir une alternative intéressante. La bonne nouvelle laissait entrevoir un changement à l'horizon. On devait vite déchanter. La nouvelle police de proximité évacuait le vieux contentieux entre la police et les minorités. Selon une fine remarque d'un observateur qualifié de la scène policière : « on a changé les structures, et non les mentalités… »

Rappelons que, dès le cégep (au niveau des études en technique policière), les marqueurs de l'identité policière commencent à être opérationnels. Cette identité virtuelle délimite le territoire, promeut l'utilisation de signes distinctifs, imprègne son sceau sur le mode d'affiliation. Avant même que la sélection finale se réalise au niveau d'un corps de police, on peut déjà déceler au sein de ce réseau l'émergence d'une mentalité qui viendra renforcer la culture policière. Cette culture en autarcie, à l'image d'une structure close et secrète, se révèle un moule assez puissant pour modeler le comportement de tous, y compris des rares policiers ethniques eux-mêmes. La présence de ces derniers, comme celle des femmes, ne modifie aucunement la donne. Ce qui doit changer c'est, à travers le policier, sa culture de groupe et son regard collectif porté sur le différent.

Prenant en compte la place grandissante que la race, l'ethnicité et la culture occupaient dans l'espace canadien et québécois, la société bien intentionnée a mis l'accent sur la Charte des droits et libertés et sur la Charte des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Qu'il s'agisse de multiculturalisme ou d'option citoyenne, on s'est aperçu que la règle de droit, les énoncés de politique et les normes civiques invitaient au dialogue des cultures sans faire disparaître les pratiques discriminatoires. On découvre aujourd'hui que l'interculturel et le profilage racial constituent les deux faces de la diversité ethnoculturelle. On a réussi à « rejeter les différents tout en célébrant la différence », selon l'expression de Pierre-André Targuieff (1997). Comment résoudre cette contradiction dans notre effort collectif pour partager un ensemble de valeurs communes?

On risque peu de se tromper en constatant que le cancer du profilage racial se répand à l'abri de l'interculturel. Ce fléau ne paraissait pas bien connu que des Autochtones circulant en ville avant que les minorités visibles en fassent à leur tour la douloureuse expérience. L'interculturel est devenu pour le Québec un alibi comme le masque républicain l'a été pour la France. Ni l'un, ni l'autre n'a jamais empêché le découpage du territoire urbain en zones « ethniquement » profilées. L'interculturel sans une transformation culturelle du migrant et de son vis-à-vis est un contenant sans contenu. Il ne peut pas ignorer le racisme sans gommer une part importante de la vie culturelle des groupes minoritaires.

2. L'évolution vers de nouvelles formes de discrimination

Le paradoxe de la coexistence du profilage racial et de l'interculturel sur un terrain balisé par le droit nouveau n'est qu'apparent. Autrefois, on parlait de racisme dur reposant sur un fond de stéréotypes, de préjugés, de xénophobie, d'ethnocentrisme. À partir d'une classification hiérarchique basée sur le support génétique à l'origine de la distribution des traits intellectuels et moraux, on a été conduit à des pratiques d'exclusion, d'enfermement dans des catégories permanentes. La ségrégation aux États-Unis, l'apartheid en Afrique du Sud, le nazisme en Allemagne constituent des illustrations de ce courant idéologique d'un passé récent.

Depuis la déclaration historique de l'UNESCO (1967) dénonçant le fondement mythique du concept de race, depuis l'ouverture du monde occidental aux droits de la personne, on a assisté à une métamorphose idéologique. Le discours a évolué vers un nouveau racisme, sans référence à la race. Il s'agit de racisme voilé, symbolique, implicite, qui utilise la culture au lieu de la race. On récupère la notion de différences culturelles et d'identité ethnique sur la base d'une homogénéité groupale absolue. On parle de plus en plus en termes d'incompatibilité culturelle et d'impasse dans la communication entre cultures éloignées. Derrière des politiques et des attitudes anti-immigrés et anti-minorités se profilent des idéologies de préférence nationale. Ce néoracisme cache mal cependant les mêmes mécanismes de dépersonnalisation, de stigmatisation, de stéréotypage et d'exclusion. C'est pour cette raison qu'il devient nécessaire de décrypter toutes les formes subtiles de pratiques discriminatoires qui ne disent pas leur nom et qui se présentent sous des déguisements difficiles à démasquer.

Albert Memmi (1994) nous rappelle que le concept de différence n'est pas neutre. Il est à double entrée. Il y a d'une part la différence comme droit à revendiquer et d'autre part la différence comme fait irréductible, selon Colette Guillaumin (1982). Le respect de la différence et l'exploitation de la différence renvoient à une ambiguïté du discours dont profite le raciste. Si ce dernier différencie, c'est en vue d'un classement, d'une hiérarchisation, d'une domination. Il demeure identique à lui-même sous le manteau de l'ethnicité ou de la culture. Il peut se distancer de l'autre et le discriminer, consciemment ou non, sans être accusé de racisme.

Pour comprendre la montée et l'ampleur des discriminations du profilage racial au Canada, il convient de se situer à deux niveaux : celui du discours convenu et celui des injonctions non formulées. Ainsi le Québec est ouvert, accueillant et fermé à la fois. Il affirme vos droits tout en reconnaissant les impasses. Il donne à voir son côté convivial tout en prenant de la distance. Le racisme au Québec n'est pas un fait évident, mais il se dissimule parfois sous un angle mort. Il interdit la discrimination et dans le même temps il scotomise le profilage racial. Comment appréhender cet univers clivé et dissocié? Endroits nouveaux, visages nouveaux, stratégies alternatives de communication dans un contexte différent, en demeurant politiquement correct. Le racisme survit dans certains milieux, mais il adopte un profil bas. Cela lui permet de passer en douceur, quasi inaperçu, mine de rien. C'est un racisme à pas feutrés, anonyme, bien filtré. Ce néoracisme s'exprime en langage codé, tout en sous-entendus, compréhensibles entre initiés, comme dans les communications entre employeurs et organismes de recrutement. On ne dira jamais sa préférence ou aversion pour tel groupe. Mais on s'arrangera pour des accommodements, sans laisser de traces repérables. Ce message implicite doit être interprété dans un processus de méta communication. C'est dans le contexte et le non-dit que se trouve l'essentiel. Charte des droits oblige!

En psychologie expérimentale on aimait bien affirmer à la suite de Boring (1950) que « tout ce qui existe, existe dans une certaine mesure et par conséquent, peut être mesuré ». Sur le plan de la psychologie judiciaire, nous plaçons plus bas notre niveau d'aspiration. La nature humaine n'est pas toujours quantifiable. Cependant, il est toujours possible d'évaluer le comportement même dans ses aspects les plus irrationnels aussi est-il légitime de se demander s'il existe des marqueurs de la discrimination raciale?

Des chercheurs ont tenté d'explorer cette voie par différents moyens. Par exemple, Bogardus (1959) a déjà construit une échelle de distance sociale applicable à la perception des personnes d'origine étrangère vivant sur le territoire. Entre deux listes proposées, on pouvait opérer certains croisements. Ainsi face à un Européen, un Arabe, un Asiatique, un Africain, un Latino, on pouvait vous demander lequel vous aimeriez fréquenter comme visiteurs, comme collègue, comme voisin, comme ami, comme gendre, beau-frère ou belle-sœur. En général, les résultats indiquent qu'il y avait davantage d'acceptation ou de rejet de l'autre, selon que la distance culturelle exprimée était lointaine ou proche. En clair, plus l'étranger se rapprochait de notre bulle protectrice ou de notre intimité, plus la menace et la peur se précisaient à l'horizon. On pouvait apprécier certains individus ou certains groupes à condition qu'ils évoluent à distance sur leurs territoires respectifs. Ces notions psychologiques de distance sociale et de territoire se retrouvent sous des formes plus modernes de pratiques discriminatoires.

3. Le profilage systémique et la situation des Noirs au Québec

Aujourd'hui, pour sortir du flou artistique évoqué par les termes racisme, xénophobie, ethnocentrisme, les chercheurs utilisent davantage le concept de profilage racial qui représente l'avantage d'être plus opératoire, sans préjuger de l'intention de l'autre. Il existe des groupes ethniques profilés comme il existe des individus profilés. Leurs génotypes aussi bien que leurs phénotypes en font les victimes privilégiées d'un profilage annoncé. La position des communautés noires est exemplaire à ce chapitre.

Au niveau systémique, des chercheurs ont noté par exemple qu'au Québec, une partie de la population continue à manifester de la distance à l'égard des immigrants. Elle garde notamment une certaine réserve voir une certaine hostilité vis-à-vis les nouveaux immigrants noirs. La population noire, même née au Québec est scolarisée éprouve de la difficulté à s'insérer dans les réseaux qui débouchent sur des emplois stables et bien rémunérés, selon un document officiel de consultation publique (ministère de l'Immigration et des communautés culturelles, 2005).

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse précise ce qui suit dans son bilan d'accès à l'égalité (1998) : « d'une façon générale, les communautés noires font face à des préjugés et à de la discrimination directe et systémique dans la recherche d'emploi ». La même commission a aussi souligné que dans les organismes publics, la représentativité des minorités culturelles est demeurée relativement stable autour de 2.5 % aussi loin qu'on remonte dans le passé (Bilan 2005). Le rapport du groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des communautés noires précise que « la proportion des membres des communautés culturelles dans l'ensemble des effectifs réguliers de la fonction publique était de 2.6 % en 2004-2005 ». Pour les minorités visibles et particulièrement les Noirs, aucune donnée n'est rendue disponible par le secrétariat du Conseil du Trésor, selon ce rapport. La possibilité ou l'éventualité de mesures de redressement exceptionnelles (concours réservé aux minorités visibles) est une piste à explorer de nouveau pour débloquer une situation dans laquelle tout le monde semble faire du surplace.

Quant aux jeunes noirs de moins de 25 ans, soit la moitié de la population noire du Québec, leur taux de chômage est presque deux fois plus élevé que celui des jeunes dans l'ensemble. Des études récentes (Torckzyner et coll. 2001), L. Bernard (2001) ont donné l'heure juste pour cette population marginale : pris dans une dynamique d'exclusion par rapport au marché du travail, ces jeunes sont destinées à des niveaux de revenus beaucoup plus bas. Ils sont sursignalés à la Direction de la protection de la jeunesse, surreprésentés dans les centres de protection sociale. Plusieurs d'entre eux, souvent victimes de profilage racial, développent une affiliation croissante à des groupes criminalisés par identification à des modèles négatifs nord-américains.

4. Les balises pour détecter le profilage racial

Sur un plan plus méthodologique, suite à la distribution hautement médiatisée du film coup de poing, intitulé « Zéro tolérance » de Michka Saäl, ONF (mars 2004), et portant sur les relations malaisées entre la police et les jeunes de minorités visibles, une prise de conscience collective du profilage et de ses effets pervers a commencé à émerger. Ce profilage à double face criminelle et raciale est, selon les jeunes, placé en exergue depuis la date fatidique du 11 septembre 2001 qui a joué un rôle d'accélérateur dans la déclinaison des rapports à l'autorité et à la sécurité. On note une tendance à inclure partout de plus en plus d'agents préposés à la sécurité et à placer davantage de groupes « racisés » sous surveillance, bien au-delà du groupe traditionnel noir.

Dans la foulée des travaux du centre de recherche-action sur les relations raciales relatif à la criminalisation et au profilage des jeunes issus de minorités visibles (CRARR, février 2005), des débats et publications du Barreau du Québec sur le profilage, de la décision historique de la juge Juanita Westmoreland-Traoré (Turenne, M., 2005) qui s'ajoute à la jurisprudence en cette matière, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à l'initiative de Me Michèle Turenne, a développé une approche pratique et originale qui a abouti à la mise au point de lignes directrices aux fins de prouver le profilage racial lors de recours au tribunal. L'effet indirect, en amont, sera sans doute positif pour la poursuite des investigations dans ce créneau parsemé d'embûches. La fermeture éventuelle d'un dossier d'enquête pour insuffisance de preuves pourra être mieux encadrée.

La Commission a pris soin de distinguer le profilage criminel qui renvoie à des faits objectifs par rapport au profilage racial qui procède à partir de présomptions stéréotypées. Ce profilage, qui est une variante de la discrimination raciale désigne « toute action prise par une ou des personnes en situation d'autorité à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d'appartenance réelle ou présumée, telle la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d'exposer la personne à un examen ou un traitement différent. Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d'autorité qui applique une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait notamment de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée ».

Dans cette perspective, le profilage racial peut être à l'œuvre dans une série de circonstances au quotidien, telles que :

Dans le profilage racial souvent subtil, insidieux, difficile à saisir sur le plan de la preuve, on référait parfois au témoignage de la souffrance muette de la victime. Désormais, avec ces nouvelles balises, on sait dans quelle direction regarder afin de mieux aider à constituer un panier d'indices pour les besoins d'une preuve circonstancielle. Selon les nouvelles lignes directrices pour fins d'enquête de la Commission, il n'est nullement nécessaire de chercher à démontrer l'intention raciste ou discriminatoire. À partir du moment où un traitement diffère des normes et tendances habituelles et qu'il n'existe aucun autre motif raisonnable que l'appartenance raciale pour le justifier, il y a lieu d'évaluer s'il ne s'agit pas là d'une situation de discrimination raciale ou de profilage racial.

Nous sommes bien en présence d'un effort méthodique en vue d'aider à établir une balance de probabilités. Le but recherché est d'évaluer les effets discriminatoires des pratiques de profilage racial quant aux droits de la personne. Ajoutons pour notre part un critère clinique au tableau des balises : le caractère répétitif quasi automatique de certaines interventions de l'autorité constituée, auprès des mêmes personnes et dans les mêmes circonstances, devrait nous remettre en mémoire la pertinence de la mise en garde de Sigmund Freud à propos de certains événements traumatiques. Il y a, dit-il, dans la vie de certaines personnes des accidents qui sont loin d'être accidentels.

5. Le profilage racial et la mobilisation des groupes ethnoculturels

Parmi les différentes composantes de l'identité ethnique, le phénotype couleur peut émerger comme modalité de représentation privilégiée qui occulte l'ensemble de la personnalité. Dans le profilage racial, la personne est ramenée à l'une de ses dimensions sans doute la plus superficielle. Une telle réduction à l'unidimensionnalité été peut induire un dysfonctionnement à la fois pour le groupe, l'individu et le milieu. (G. Devereux, 1972, E. Douyon, 1979, A. Jacquard, 1982).

Dans le travail de repérage du policier ou de l'agent de sécurité, les minorités visibles deviennent les nouvelles cibles. On vise le petit délinquant de la rue, mais c'est le jeune Noir qui écope. C'est à croire que dans la perspective de certains, les deux figures sont interchangeables. On constate, à la grandeur de l'Amérique du Nord une baisse de la criminalité générale, mais une augmentation de la criminalité des jeunes issus des minorités ethniques. Le profilage racial est sans doute l'un des facteurs contributifs pour rendre compte de ce biais dans la relation hypothétique entre les crimes, l'ethnicité et la culture.

De l'avis des minorités ethniques, la police et la sécurité privée ratissent trop large. Dans ces conditions, le profilage criminel risque de se transformer trop vite en profilage racial. Ce zèle intempestif de l'autorité peut créer une fausse impression que les jeunes issus des minorités sont plus criminalisés en général que les autres. En réalité, comme représentant des minorités visibles, ils deviennent plus repérables. Sur le plan systémique, malgré eux, ils entrent en contact avec le système répressif trop vite, trop fréquemment et trop longtemps. On peut alors parler de processus de criminalisation des jeunes.

Gardons-nous, en conséquence, de susciter un autre effet pervers ou non désiré du profilage racial dans le sens d'une alimentation du système et d'un renouvellement de la clientèle au niveau de la justice des mineurs et de la population carcérale. À terme, on risque de créer une fausse relation entre le profilage et une solidarité ethnoculturelle en vertu d'un ras-le-bol généralisé. Le danger est de mobiliser les groupes minoritaires pour la mauvaise cause, faute d'une dissociation entre le vrai profilage criminel et son support ethnique aléatoire.

6. Les implications du profilage pour l'administration pénitentiaire

Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent concerne la rencontre et l'expérience du profilage en amont du pénitencier. Il s'agit dans certains cas d'une expérience partagée par les délinquants ethnoculturels. Cela faisait partie de leur expérience au quotidien à l'extérieur des murs du pénitencier. Pour un jeune délinquant noir, cette expérience au quotidien reflète un aspect de la vie urbaine. On peut donc dire que les délinquants ethnoculturels connaissent bien les paramètres du phénomène de profilage racial. Est-ce que leur expérience trop traumatisante aux mains de la police a laissé des empreintes et marque leur relation avec les autorités à l'intérieur du pénitencier?

On sait que le fondement des relations ethnoculturelles au pénitencier est une politique en vertu de laquelle les détenus indiquent eux-mêmes leur groupe ethnoculturel d'appartenance. Il s'agit d'une politique d'autodésignation par les détenus eux-mêmes.

À la rigueur, cette politique pourrait être qualifiée d'injonction paradoxale : tout se passe comme si tu m'invitais à faire moi-même ce qu'il est interdit de faire par les autres.

En apparence, on pourrait dire qu'il n'existe pas de profilage racial par l'administration du pénitencier. Ainsi, les détenus pourraient se sentir mieux respectés et soumis à un programme plus soucieux de leur dignité. Le ciblage ethnoculturel procède du détenu lui-même et non des autres.

Les deux concepts, soit le profilage racial et l'autodésignation, paraissent s'opposer. Au-delà de ce dilemme, l'unité pénitentiaire sauve la face en prétendant ne pas faire de ciblage des détenus en milieu carcéral.

En réalité, les détenus des groupes minoritaires se profilent et se désignent eux-mêmes pour des fins d'association et de regroupement et pour soutenir leurs revendications en faveur de la satisfaction de leurs besoins de base.

Quant à l'unité pénitentiaire, elle se sert de cette politique d'autodésignation pour des fins statistiques.

Cette habile récupération par les autorités du concept de profilage sous forme de désignation statistique ne fait pas de victimes et semble à la satisfaction de tous les groupes minoritaires.

Toutefois, les délinquants ethnoculturels, les Noirs en particulier, sont restés marqués au point de vue émotionnel par des expériences négatives vécues en amont avec la police. Ils gardent en conséquence une sensibilité d'écorchés par rapport au problème du racisme et du profilage racial.

En conséquence, nous recommandons des recherches sur les différents aspects du vivre ensemble dans le pénitencier, où il est de tradition de se marquer, de se cibler, se désigner soi-même (s'auto-identifier) pour entrer dans une catégorie ethnoculturelle où l'on se renferme soi-même de manière permanente.

7. Fin du parcours carcéral, mise en liberté sous condition, retour dans la collectivité de base ou d'origine

En principe, on espère toujours sortir un jour du pénitencier et retrouver sa liberté, qui est le bien le plus précieux au monde.

Même les condamnés à perpétuité sortent un jour, en dépit du jargon juridique et des sophistications, de la Loi : il y a toujours un espoir vers une voie de sortie dans le système pénal canadien.

Pour paraphraser un philosophe stoïcien parlant du suicide (la vie serait horrible s'il n'était pas possible d'en sortir) : la vie pénitentiaire serait horrible s'il était impossible d'en sortir un jour.

8. Les étapes de la liberté

a. Libération conditionnelle

Le but de la libération conditionnelle est d'enseigner aux détenus à réapprivoiser la liberté. Il doit le faire par étapes pour être certain de sa démarche. Ainsi, il pourra éviter la récidive ou le syndrome de la porte tournante.

Combien de Noirs et d'autres minorités racisées obtiennent la libération conditionnelle conformément à la loi?

Proportion de la peine purgée en moyenne par les délinquants sous responsabilité fédérale avant leur première libération conditionnelle totale – Autochtones et race (%)[57]
2004-2005 2005-2006 2006-2007 2007-2008 2008-2009 Moyenne sur 5 ans
Autochtones 42 42 41 41 41 41
Asiatiques 37 37 35 35 35 36
Noirs 38 37 38 37 37 37
Blancs 40 39 40 38 39 39
Autres 37 36 37 36 38 37

Les données ne sont pas transparentes à ce sujet. À ce niveau, nous ne pouvons pas parler de discrimination ni de racisme dans le processus de libération conditionnelle. En clair, ce que nous souhaitons c'est une étude comparative portant spécifiquement sur les libérations conditionnelles axée sur les caractéristiques des groupes racisés et celles de la majorité des détenus. Les délinquants ethnoculturels se sont souvent sentis interpellés par le système de libération conditionnelle; ils se sont souvent demandé si le système est juste et équitable à l'égard de tous les groupes. Malheureusement, les requêtes du Comité national sont toujours restées sur la table. Ce Comité ne peut pas se prononcer avec compétence sur le sujet faute d'une base de données fiables sur laquelle se reposer.

À notre connaissance, nous pouvons affirmer qu'aucune publication récente ne permet de faire le point sur cette question importante pour le cheminement et l'implantation de l'idée ethnoculturelle.

Un détenu ethnoculturel non citoyen, quelle que soit sa préparation au sein du pénitencier, est condamné à l'avance à retourner dans son pays d'origine. La loi relative à l'expulsion des non-citoyens est absolue et ne prévoit aucune considération aux droits de la personne.

Cette question a été souvent débattue lors du colloque des avocats et juristes noirs du Québec au Barreau du Québec, à Montréal. Peu d'avocats se sont levés pour en condamner l'aspect abject. Il n'existe pas de contrat entre un immigrant devenu ex-détenu et l'État, qui prévoit que s'il récidive il sera expulsé en Haïti par exemple. Il a déjà été condamné une fois, il ne peut l'être une autre fois pour la même infraction. Cette double condamnation est une injustice qui révèle la double nature du système pénal canadien : une nature pour ceux qui sont nés ici et une autre nature pour ceux qui sont nés à l'étranger. En d'autres termes, on considère ces derniers comme des Canadiens pendant toute leur vie, mais aussitôt qu'ils commettent une infraction grave ou qu'ils récidivent on les renvoie à leurs racines et ils redeviennent des délinquants ethnoracisés. Ce double langage du système doit être dénoncé un jour.

Alors que les récidivistes canadiens rentrent tranquillement à la maison en bénéficiant d'une libération conditionnelle à part entière, ceux qui n'ont pas la citoyenneté canadienne sont expulsés ailleurs. L'organisation FURI (voir la lettre de Mme Carmeta Albarus-Lindo adressée à moi) basée aux États-Unis et en Jamaïque, s'est attaquée à ce problème en présentant un plan de retour grâce à la collaboration des gouvernements américain et jamaïcain pour aider les ressortissants de la Jamaïque expulsés. Des terres ont été distribuées aux ex-détenus qui sont devenus des « gentlemen-farmers » et qui ont retrouvé toute leur dignité. Il est souhaitable que l'administration de la justice au Canada en fasse autant. La mauvaise nouvelle est que le Canada ne s'est pas encore réveillé. À cette stratégie de réhabilitation, au contraire, nos anciens détenus récidivistes du Canada réforment les gangs en Haïti et s'organisent pour expédier de la drogue au Canada. Ils ont acquis à l'étranger des techniques nouvelles qui défient la justice haïtienne. Ces Haïtiens formés au Canada qui débarquent sont des experts.

L'aide à l'étranger du gouvernement canadien doit être révisée en conséquence. Il ne s'agit plus de transférer la criminalité étrangère canadienne, mais de contrôler les réseaux qui nuisent à notre bon développement réciproque.

D'autant plus que ces délinquants qui souvent sont impliqués dans des gangs sont des produits canadiens. En fait, ce ne sont pas des Haïtiens qui arrivent du Canada, mais ce sont plutôt des Canadiens qui débarquent. Alors le gouvernement haïtien est démuni face à ces experts en criminalité de groupe. Le gouvernement canadien dans son nouveau plan de développement devrait aider Haïti à contrer cette nouvelle criminalité.

9. L'avenir de l'ethnoculturel et le Service correctionnel

Quand notre Comité a commencé à étudier la question qui dominait les relations interethniques dans un pays pluraliste, ouvert et accueillant, le racisme était présent, mais discret. Il constituait l'angle mort de nos rapports interraciaux. Ce racisme s'avançait, masqué, à pas feutrés, moins visible et évident comme dans le cas de certains groupes européens. Ce racisme était caractéristique de l'approche canadienne. Lorsque la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec investiguait sur les rapports entre la police et les Noirs au Québec ou lorsque la Commission ontarienne des droits menait son enquête systémique sur le système de justice pénale en Ontario, c'est de ce racisme qu'il s'agissait et qui a causé tant de dégâts dans les relations entre la police et les minorités racisées. L'exemple de la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans le système pénal est bien connu.

Quant au racisme à Halifax, personne n'en parlait publiquement comme si la cause était entendue. Seuls les Noirs y faisaient écho dans des forums publics auxquels les Micmacs étaient invités puisque ces derniers partageaient la même cause. Il faut reconnaître que depuis la promulgation de la DC 767 de grands pas ont été réalisés au Service correctionnel. Cette directive a marqué les limites de ce qui est acceptable dans les échanges dans les pénitenciers. Le racisme ouvert n'est plus accepté au SCC, où les concepts d'ethnicité et de culture ont remplacé le terme de race considéré aujourd'hui comme obsolète, autant par la génétique que par l'évolution de la société.

« Nous sommes en 2015 », comme le rappelait récemment l'un de nos dirigeants. Cela signifie que, comme société égalitaire, nous sommes rendus ailleurs. Je ne m'attends pas à ce que la résistance à l'extranéité ou à la différence cesse du jour au lendemain, mais le racisme qui ne dit pas toujours son nom succède à un pluralisme basé sur le multiculturalisme authentique et fraternel. Les droits de la personne doivent s'inscrire au cœur de nos rapports quotidiens.

Sous le leadership éclairé de Don Head, le Service correctionnel est devenu un modèle pour l'équité à l'égard du personnel, la formation et l'équilibre des jurys, le type de relation entre les délinquants ethnoculturels et le personnel.

L'évaluation des programmes a cessé d'être un irritant traditionnel pour les relations entre le CCNE et le SCC.

10. Conclusion

  1. La criminalité évolue selon des cycles. Dans son évolution, elle passe par des phases de croissance et des phases de décroissance. Les seules constantes dans la criminalité sont sa diversification et son aggravation qualitative (violence, gangs de rue). Aux facteurs contributifs connus s'ajoutent les ratages de l'intégration dans le cas de certains groupes ethnoculturels. La surreprésentation de ces groupes dans le système carcéral pose des problèmes particuliers en matière de gestion de la diversité dans les établissements pénitentiaires.
  2. Dans la lutte contre le crime, l'accent a été traditionnellement mis sur la sécurité publique, la neutralisation des délinquants et leur réhabilitation. Il est temps de mieux marquer l'importance que nous accordons à la prévention au chapitre individuel aussi bien que dans la collectivité, afin de prévenir la récidive ou le syndrome de la porte tournante.
  3. La prévention du crime doit gagner en extension autant en amont qu'en aval du système carcéral. Il faut prévenir à la fois l'entrée et le retour dans le système.
  4. Le système correctionnel a de plus en plus de difficultés à exercer sa double fonction de gardien et d'éducateur pour faire face à la surreprésentation et à la gestion des clientèles nouvelles.
  5. En conséquence, il est impératif que tout soit mis en œuvre (tous les moyens et les ressources) pour permettre au Service correctionnel de mieux répondre aux besoins nouveaux d'une population carcérale de plus en plus diversifiée.

Emerson Douyon

11. Notes historiques

a. NOTE I

Comparaison entre « justice blanche » et « justice inuite ».

C'est pourquoi la communauté inuite réagit mal parfois à certaines sanctions de la « cour itinérante ». En cas d'une peine d'emprisonnement, par exemple, la communauté évoque l'éloignement du coupable vers le Sud et vit cet événement comme un choc culturel. On rappelle les bons côtés de ce dernier, son rôle de père, de voisin, de camarade, son apport à la communauté. On s'ennuie de lui, on veut qu'il réintègre la collectivité, une fois la sanction prononcée et, plus tard, lorsqu'il a fini de purger la peine. Il y a là une leçon à retenir en matière de criminalité inuite et de « pénologie tribale » (Réflexion personnelle basée sur les données filmographiques du documentaire d'InformAction Films, intitulé : « Justice blanche »).

Justice blanche. Documentaire sur l'expérience de la « Cour itinérante » du Québec, InformAction Films. Réalisatrices : Françoise Wera, Morgane Laliberté. (InformAction Films), Montréal, 1985.

b. NOTE II

L'Acte des sauvages (1876) : inspiré de « Acte pour encourager la Civilisation graduelle des Tribus Sauvages en cette Province, et pour amender les Lois relatives aux Sauvages » (1857); fait suite aux mesures légales de 1850 pour la protection des terres indiennes (Haut-Canada et Bas-Canada).

c. NOTE III

Le registre des Indiens
Modifiée en 1985, en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés. Ce registre était réputé pour ses critères discriminatoires (mariage avec un non-Indien et ses conséquences sur : 1) l'inscription sur la liste officielle des Indiens 2) le statut d'Indienne 3) l'appartenance à une bande 4) le droit d'habiter sur une réserve 5) l'admissibilité aux programmes fédéraux d'habitation et d'études secondaires. L'Amérindienne engagée dans un mariage mixte devenait une ex-Amérindienne. Elle était dite « émancipée » et elle perdait donc tous ses droits. Il en était de même des enfants issus de ce métissage ethnique. Par crainte d'une « dilution » de la culture amérindienne et compte tenu de l'exiguïté du territoire de la réserve, ces Métis étaient exclus de la bande et de son habitat.

d. NOTE IV

Loi sur les Indiens (1951)
Modifiée à plusieurs reprises (1985).
Caractéristiques principales :

e. NOTE V

Point de vue critique sur la Loi sur les Indiens

f. NOTE VI

La liste de bande (1985) Tenue par le ministère des Affaires autochtones. Le conseil de bande contrôle l'admission de nouveaux noms, selon les critères d'un « code d'appartenance » approuvé par le Ministère. Ce dernier point donne lieu à des interprétations divergentes et à des contestations juridiques.

g. NOTE VII

Évolution de la situation des Amérindiens au Québec et dans le reste du Canada.

h. NOTE VIII

Développement, modernité et génocide culturel

i. NOTE IX

Distance sociale et proximité – nouvelle problématique

La question autochtone ramène trop souvent à la Loi sur les Indiens. Si l'on abolissait cette Loi que se passerait-il? Assisterions-nous à une diffusion de l'identité amérindienne? Serait-ce la fin des réserves, des tribus et des bandes? Verrions-nous la dissolution du fait autochtone dans le creuset du multiculturalisme canadien? Peut-on prévoir à terme la formation d'une société autochtone unifiée ou d'une « Première Nation distincte » au sein d'un État unitaire canadien? Multiculturalisme amérindien est-il pensable selon le modèle multiculturalisme canadien? Voilà de quoi alimenter les débats dans un avenir lointain.
À un niveau moins macroscopique, les Autochtones des régions se rapprocheraient-ils des mégapoles comme Montréal, Québec, Ottawa, Toronto, Vancouver, Halifax? Est-ce que l'abolition de la distance sociale entre ville, région et réserve est une nouvelle proximité qui serait un meilleur prédicteur des relations ou non dans les relations interethniques et interculturelles au Canada? Nous sommes conscients que cette nouvelle proximité entre les Autochtones et le reste des Canadiens pourrait aussi jouer dans les deux sens. Plus on se rapproche, plus on s'aime. Mais plus on se connaît, plus il y a risque de perpétuer la tension et les conflits qui nous divisent.

ANNEXE 1

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Infractions disciplinaires[60]
Traduit en plusieurs langues

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :
a) désobéit à l'ordre légitime d'un agent;
b) se trouve, sans autorisation, dans un secteur dont l'accès lui est interdit;
c) détruit ou endommage de manière délibérée ou irresponsable le bien d'autrui;
d) commet un vol;
e) a en sa possession un bien volé;
f) agi de manière irrespectueuse envers une personne au point de provoquer vraisemblablement chez elle une réaction violente ou envers un agent au point de compromettre son autorité ou des agents en général;
g) agi de manière outrageante envers une personne ou intimide celle-ci par des menaces de violence ou d'un autre mal, ou de quelque peine, à personne;
h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;
i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic;
j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire de l'ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic;
k) introduit dans son corps une substance intoxicante;
l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigée au titre des articles 54 ou 55 de la LSCMLC;
m) crée des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, ou y participe;
n) commet un acte dans l'intention de s'évader ou de faciliter une évasion;
o) offre, donne ou accepte un pot-de-vin ou une récompense;
p) sans excuse valable, refuse de travailler ou s'absente de son travail;
q) se livre au jeu ou aux paris;
r) contrevient délibérément à une règle écrite régissant la conduite des détenus;
s) tente de commettre l'une des infractions mentionnées aux alinéas a) à r) ou participe à sa perpétration.

ANNEXE 2

Autorisation officielle
Scott Harris
Bureau du commissaire adjoint associé
Service correctionnel du Canada

Dr Emerson Douyon
Président CCRE, région du Québec
Montréal (Québec)

Monsieur,

Merci pour votre offre de procéder à un livre écrit projet qui documente l'histoire et l'évolution des services aux délinquants des minorités ethnoculturelles pour le Service correctionnel Canada (SCC). Je suis heureux de vous informer que votre proposition a été approuvée.

Le SCC vous apportera le soutien suivant afin de vous aider avec ce projet :

La Section des services ethnoculturels (SSE) sera en contact avec vous afin de fournir le soutien nécessaire pendant toute la durée du projet.

Si vous avez des questions, s'il vous plaît n'hésitez pas à communiquer avec Johanne Vernet, gestionnaire nationale, Section des services ethnoculturels, au 613-996-9744, ainsi que pour confirmer votre disponibilité à vous engager dans ce projet.

Nous espérons que le SCC continuera de bénéficier de votre précieuse contribution, et je serais heureux de voir le produit fini.

Cordialement,

Scott Harris
Commissaire adjoint associé
Opérations et programmes correctionnels
Service correctionnel du Canada

ANNEXE 3

40e Rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel

Dans son rapport, l'Enquêteur correctionnel, M. Howard Sapers, a signalé que l'augmentation récente de la population carcérale est presque exclusivement due à la croissance du nombre de délinquants de différentes origines ethniques et culturelles. Au cours des dix dernières années, la population carcérale d'origine autochtone a augmenté de 46,4 % alors que les groupes de minorités visibles (Noirs, Asiatiques et Hispaniques) ont augmenté d'environ 75 %. Durant la même période, le nombre de détenus de race blanche a baissé de 3 %. Près d'un délinquant de minorité visible sur quatre est né à l'étranger, nombreux sont de confessions autre que chrétienne, et plusieurs parlent des langues autres que le français et l'anglais. « La diversité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de la population carcérale représente de grands défis pour le Service correctionnel du Canada en ce qui a trait à la participation aux programmes correctionnels et à la réinsertion sociale des délinquants », a déclaré M. Sapers.

La diversité en milieu correctionnel reflète les grandes tendances démographiques de la société canadienne. Cependant, certains groupes sont largement surreprésentés dans les établissements fédéraux, et leur nombre croît à un rythme alarmant. Par exemple, 9,5 % des détenus sous responsabilité fédérale sont de race noire (une augmentation de 80 % depuis 2003-2004), et pourtant les Canadiens de race noire comptent moins de 3 % de la population canadienne totale. Les Autochtones représentent un pourcentage énorme de 23 % des détenus sous responsabilité fédérale, alors qu'ils comptent pour 4,3 % de la population canadienne totale. Une femme sur trois purgeant une peine de ressort fédéral est d'origine autochtone. « Ce sont des tendances inquiétantes qui soulèvent des questions sur l'égalité et le système de justice au Canada », a ajouté M. Sapers.

Généralement, les détenus de minorités visibles obtiennent souvent de meilleurs résultats correctionnels comparativement à la population carcérale générale. Au cours des sept dernières années, en moyenne, moins de 5 % des détenus de minorités visibles ont été réadmis dans les deux ans suivant la date d'expiration de leur mandat, le taux de la population carcérale générale étant de 10,1 %. Pourtant, les détenus membres de minorités visibles font face à des difficultés considérables. Une étude de cas sur l'expérience des détenus de race noire dans les établissements fédéraux menée par le Bureau de l'enquêteur correctionnel, en 2012-2013, a révélé que ces derniers sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et dans la population carcérale en isolement, qu'ils font l'objet d'un nombre disproportionné d'accusations d'infractions disciplinaires et qu'ils sont plus susceptibles d'être impliqués dans des incidents où il y a recours à la force.

Le rapport souligne que le comportement discriminatoire et les attitudes préjudiciables qu'affichent certains agents du SCC à l'égard des détenus de race noire sont monnaie courante. « Le SCC doit faire mieux au chapitre du recrutement et du maintien en poste d'un personnel de programmes et de première ligne plus diversifié, particulièrement dans les établissements qui hébergent le plus grand nombre de minorités visibles », a déclaré M. Sapers.

L'Enquêteur correctionnel recommande que le SCC mette sur pied un plan national de formation et de sensibilisation sur la diversité, afin d'offrir de la formation pratique et opérationnelle dans les domaines de la diversité, de la sensibilité à la culture et des compétences culturelles. M. Sapers recommande aussi la création d'un poste d'agent de liaison sur l'ethnicité dont le titulaire sera chargé d'établir et de maintenir des liens, qui sont très limités à l'heure actuelle, avec les groupes et les organismes communautaires de différentes cultures.

D'autres parties du rapport annuel de 2012-2013 touchent les priorités du Bureau, soit les soins de santé mentale, la prévention des décès en établissement, les conditions de détention, les questions touchant les délinquants autochtones et les délinquantes et l'accès aux programmes correctionnels.

À titre d'ombudsman auprès des délinquants sous responsabilité fédérale, le Bureau de l'enquêteur correctionnel est au service des Canadiens et contribue à ce que les services correctionnels soient sécuritaires, humains et respectueux de la loi en assurant une surveillance indépendante du Service correctionnel du Canada, notamment en effectuant en temps opportun un examen impartial et accessible des préoccupations individuelles et généralisées. Le rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel mentionné dans le présent communiqué de presse est accessible à : www.oci-bec.gc.ca.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec :
Ivan Zinger, J.D., Ph.D.
Directeur exécutif et avocat général

ANNEXE 4

Le 21 mai 2009

Monsieur Emerson Douyon, Ph. D.
Président, Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE)
Montréal (Québec)

Monsieur Douyon,

J'ai eu le plaisir de vous rencontrer lors du récent Symposium qui s'est tenu à Markham, dans la ville de Toronto. J'ai été vraiment impressionnée par ce que j'ai entendu au sujet du travail qu'accomplit le Service correctionnel du Canada (SCC) au chapitre de la sensibilisation aux réalités culturelles et de la réinsertion sociale des ex-délinquants dans la collectivité élargie. Je réalise aussi qu'il nous reste, ici aux États-Unis, fort à faire pour favoriser la sensibilité et la compétence ethnoculturelles.

C'est avec sincère gratitude que je vous remercie d'avoir salué et d'avoir fait connaître le travail de la Family Unification & Resettlement Initiative (FURI) pour la réinsertion sociale des personnes expulsées vers la Jamaïque. Compte tenu de la récente entente de règlement entre le SCC et la FURI pour la réinsertion sociale des personnes expulsées vers la Jamaïque par le Canada, je suis persuadée que vous continuerez à nous soutenir et à nous encourager.

Encore une fois, j'ai été très honorée d'avoir eu l'occasion de m'adresser aux participants et je vous suis reconnaissante de l'accueil courtois qui nous a été réservé à mon organisation et à moi.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

Carmeta Albarus-Lindo
Présidente et fondatrice de la FURI

144, 127e Rue Ouest, New York, NY 10027 • Téléphone : 646-698-2172-4 Télécopieur : 646-698-2184 • familyunif@hotmail.com

Biographie

Monsieur Emerson Douyon, Ph.D. (1929-2016)

Dr. Emerson Douyon

Universitaire, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages, M. Douyon a obtenu son doctorat en psychologie en 1965 de l'Université de Montréal, où il a été professeur agrégé à l'école de criminologie (1967 à 1994). Auteur de plusieurs études, travaux de recherche et publications, il a développé une expertise dans les domaines de la délinquance juvénile, des personnalités criminelles et du lien entre la culture et la déviance.

En plus d'avoir participé à des missions d'enseignement et de recherche à l'étranger, M. Douyon a publié en 1995, avec André Normandeau, le premier ouvrage en français au Québec qui traitait de la justice et des communautés culturelles. Il a aussi collaboré étroitement à diverses d'enquêtes sur la relation entre les policiers et les minorités ethniques; l'une en 1988 (commission des droits de la personne) et une autre en 1992 (groupe de travail Corbo). M. Douyon a été membre et président du Comité consultatif national ethnoculturel du Service correctionnel du Canada pendant 10 ans (2001-2011).

Impliqué dans sa communauté, M. Douyon a reçu de nombreux prix, incluant le prix de citoyen d'honneur, décerné par la Ville de Montréal en 1998, et le Prix du multiculturalisme, décerné par le Service correctionnel du Canada en 2010. En 2012, le prix a été renommé Prix du multiculturalisme Emerson Douyon.

M. Douyon était membre de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse depuis 1999.

Notes de fin de document

Notes de fin de document

Note 1

Jacquard, A. (1978). Éloge de la différence. Éditions du Seuil. Paris.

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Note 2

Lévi-Strauss, C. (1961) Race et histoire. Éditions Gonthier. Paris.

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Note 3

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. (2011). Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Montréal

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Note 4

Porter, J. (1965) The Vertical Mosaic : An Analysis of Social Class and Power in Canada, Toronto: University of Toronto Press.

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Note 5

Potvin, Maryse. (2010) L'évolution des catégories statistiques sur l'origine ethnique et la race au Canada.

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Note 6

Statistique Canada. (1666-1960) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 7

Loi sur le multiculturalisme canadien. (1988) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 8

Loi sur les langues officielles. (1969) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 9

Loi sur l'équité en matière d'emploi. (1986) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 10

Loi canadienne sur les droits de la personne. (1977) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 11

Charte canadienne des droits et libertés. (1982) gouvernement du Canada, Ottawa.

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Note 12

Le Pen, J. M. « La préférence nationale ».

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Note 13

Cusson, M. et coll. (1982) Rapport de recherche. École de criminologie. Université de Montréal.

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Note 14

Dobb. Voir Rapport sur le racisme systémique en Ontario dans Normandeau, A. et E. Douyon (1995)

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Note 15

Sutherland, E. H., D. R. Cressey et D. F. Luckenbill. Principles of criminology (1992). New York.

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Note 16

Dobb, J. (loc.cit.)

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Note 17

Normandeau, A. et E. Douyon. 1995. Justice et communautés culturelles? Méridien. Laval.

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Note 18

Messier, C. 1980. Rapport sur les centres de la protection de la jeunesse. CDPDJ. Montréal.

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Note 19

Crawford, A. 2011. Prison watchdog probes spike in number of black inmates. CBC News.

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Note 20

Extrait de données statistiques fournies par le Service correctionnel du Canada. 1994-2000

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Note 21

Service Correctionnel. Direction de la recherche. Profil des délinquants issus des communautés culturelles. SCC. 2014

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Note 22

(Source : Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). Rapport annuel 2010.

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Note 23

Note : Sapers, H. Rapport sur la surreprésentation des minorités visibles au SCC, enquêteur correctionnel. 2013, Ottawa.

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Note 24

Howard, J. C. (1940). Rapport sur les prisons en Angleterre et ailleurs.

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Note 25

Fry, Elizabeth (1945). Rapport sur les femmes en prison. Canada.

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Note 26

Sources combinées (SCC et autres sources). Ottawa/Montréal.

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Note 27

Dostoïevski, F. (1884) Crime et châtiment.

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Note 28

Service correctionnel du Canada. Une perspective chronologique. Site Web : www.scc.gc.ca. 2011

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Note 29

Commission royale d'enquête sur le système pénal du Canada. Gouvernement du Canada. Rapport de la Commission [Rapport Archambault], 1938. Ottawa.

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Note 30

Comité Fauteux. Rapport 1956. Ottawa.

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Note 31

Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones. (1991). Ottawa.

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Note 32

Commission d'enquête Arbour (1995). Justice. Gouvernement du Canada. Ottawa.

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Note 33

Chantraine, G. « Le désastre humain de l'enfermement carcéral », L'Humanité (quotidien) (30 sept. 2006) [L'humanité des débats. Prison. Recherche.] Paris

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Note 34

Sartre, J. P. 1945. Huis clos : pièce en un acte. Paris.

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Note 35

Eximité (Note : concept à la frontière de la psychologie sociale et de l'écologie. Opposé à intimité.)

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Note 36

Geadah, Yolande. 2007. Accommodements raisonnables : droit à la différence et non différence des droits. VLB éditeur. Montréal.

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Note 37

Foucault, M. 1975. Surveiller et punir. Paris. Gallimard.

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Note 38

Freud, Anna et coll. 1973. Dans l'intérêt de l'enfant. [Travaux sur la délinquance et la protection]

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Note 39

La Presse (2011). Loi C-30. Avant-projet de Loi sur la justice. Ottawa.

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Note 40

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

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Note 41

La référence de M. Douyon pour cet instantané n'a pu être trouvée. Les données peuvent remonter à n'importe quelle période entre 2011 et 2014.

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Note 42

Note : Ce nouveau concept fut proposé à des fins pédagogiques et méthodologiques par Emerson Douyon pour ses cours, séminaires et recherches en psychologie criminelle. (École de criminologie) Université de Montréal.

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Note 43

Normandeau, A. et E. Douyon. (1995) Justice et communautés culturelles? Méridien. Laval.

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Note 44

Redl, F. et D. Wineman. Children Who Hate. Freepress 1951. États-Unis.

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Note 45

Mailloux, N. Jeunes sans dialogues : criminologie pédagogique. Fleurus. 1971. Paris.

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Note 46

Guindon, Jeannine. Les étapes de la rééducation des jeunes délinquants… et des autres. Fleurus 1970. Paris

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Note 47

Note : La table ronde des consultants faisait partie du symposium à Toronto. Elle était basée sur trois rapports du groupe de discussion du Service correctionnel du Canada. Ces consultants externes étaient :

  1. Guy Leblanc, Consultant BDL. Consultant en administration inc. (Montréal, Québec).
  2. Anna Chiappa, directrice exécutive, Conseil ethnoculturel du Canada (Ottawa, Ontario).
  3. Tim Mills, gestionnaire de recherche, Malatest Program Evaluation and Market Research (Ottawa, Ontario).

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Note 48

NOTE : Cette directive modifiée, résultat d'une large consultation, a le mérite de préciser les concepts de base et la répartition des rôles et responsabilités.

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Note 49

Roy, Jean-Yves et Jean-François Cusson (SCC). « Dossier : 50 ans de criminologie au Québec : impacts sur le Service correctionnel du Canada au Québec » dans La Porte ouverte, vol. 24, no 1 (2011), Association des services de réhabilitation sociale du Québec.

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Note 50

Sénat du Canada, Comité sénatorial permanent des Droits de la personne. L'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale : nous n'y sommes pas encore, février 2007, Ottawa.

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Note 51

Citation tirée du site Web officiel du SCC. L'équité en matière d'emploi et la diversité, 2012.

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Note 52

« Le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée. » Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

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Note 53

Enquêteur correctionnel : OTTAWA, le 26 novembre 2013 – Le 40e rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel a été déposé au Parlement aujourd'hui. Le rapport porte une attention particulière à la diversité ethnoculturelle en milieu correctionnel.

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Note 54

Commission royale sur les peuples autochtones (Ottawa, 1996)

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Note 55

Commission des droits de la personne du Québec. Comité d'enquête sur les relations entre les corps policiers et les minorités visibles et ethniques. (1942). Voir le documentaire « Tout le monde en parlait », Radio-Canada, 2015.

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Note 56

Le racisme derrière les barreaux : le traitement des détenus noirs et ceux appartenant aux autres minorités raciales dans les établissements correctionnels en Ontario. Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario : résumé à l'intention du public (décembre 1995).

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Note 57

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. L'obligation d'accommodement raisonnable, 2015.

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Note 58

Commission des libérations conditionnelles du Canada. Rapport de surveillance du rendement, 2008-2009.

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Note 59

Génocide culturel : concept–limite. Selon la « commission de vérité et des réconciliations » (CVR) des générations d'enfants des pensionnats autochtones furent privées de leur identité, langue, de leur culture.

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Note 60

Maalouf, Amin. Les identités meurtrières, Grasset, Paris, 2015.

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Note 61

Liste : Infractions disciplinaires
SCC : Droit carcéral (40). Extrait du Code disciplinaire. SCC. OTTAWA. 2016

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