Éclosion d’infections à Salmonella Typhimurium liées au tofu

RMTC

Volume 49-7/8, juillet/août 2023 : Les maladies entériques : un problème de santé important au Canada

Rapport d’éclosion

Éclosion d’infections à Salmonella Typhimurium liées au tofu prêt-à-manger dans plusieurs districts sanitaires — Ontario, Canada, mai à juillet 2021

Victoria Osasah1,2, Yvonne Whitfield1, Janica Adams1, Affan Danish1, Richard Mather1, Mehdi Aloosh1,3

Affiliations

1 Santé publique Ontario, Toronto, ON, Canada

2 Université Johns Hopkins, École de santé publique Bloomberg, Baltimore, MD, États-Unis

3 Département des méthodes de recherche en santé, évidence et impact, Université McMaster, Hamilton, ON, Canada

Correspondance

vosasah1@jhmi.edu

Citation proposée

Osasah V, Whitfield Y, Adams J, Danish A, Mather A, Aloosh M. Éclosion d’infections à Salmonella Typhimurium liées au tofu prêt-à-manger dans plusieurs districts sanitaires — Ontario, Canada, mai à juillet 2021. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2023;49(7/8):344–7. https://doi.org/10.14745/ccdr.v49i78a02f

Mots-clés : Salmonella Typhimurium, tofu, Ontario, Canada

Remarque

Le contenu de cet article est identique à celui de l’article principal publié dans le Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) et diffusé électroniquement le 11 août 2023, conformément aux directives de publication simultanée établies par le Comité international des rédacteurs de revues médicales.

Résumé

Que sait-on déjà sur ce sujet?

Salmonella Typhimurium est un sérotype couramment impliqué dans les maladies d’origine alimentaire liées à la consommation de produits animaux.

Qu’apporte ce rapport?

Entre mai et juillet 2021, une élosion de S. Typhimurium impliquant 38 cas dans 10 districts de santé publique de l’Ontario, au Canada, a été liée à la consommation de tofu, suggérant un nouveau vecteur alimentaire de S. Typhimurium associé à l’éclosion. Des lacunes en matière d’hygiène et de traitement thermique recommandé ont probablement entraîné une contamination du produit.

Quelles sont les implications?

Le tofu n’a jamais été lié à des épidémies de salmonelles non typhoïdiques. Les communications de santé publique destinées aux consommateurs et aux établissements alimentaires devraient viser à sensibiliser davantage au risque de transmission de Salmonella par les produits à base de soya prêts-à-manger. En outre, les interventions doivent cibler la production et toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement, avec des mesures de sauvegarde supplémentaires qui minimisent la croissance des salmonelles dans les produits à base de soya.

Résumé

De mai à la mi-août 2021, l’agence provinciale de santé publique de l’Ontario (Canada), Santé publique Ontario, en collaboration avec les autorités locales de santé publique et les partenaires fédéraux en matière de sécurité alimentaire, a enquêté sur un agrégat spatio-temporel de 38 patients atteints d’infections à Salmonella Typhimurium dans plusieurs districts de santé publique de l’Ontario. Cinq patients (13 %) ont été hospitalisés; aucun décès n’a été signalé. L’éclosion est liée à la consommation de tofu assaisonné prêt-à-manger provenant d’un fabricant et distribué à plusieurs restaurants de l’Ontario. Les isolats provenant du tofu assaisonné ne présentaient qu’une différence d’allèle ou moins par rapport à la souche d’éclosion lors du séquençage du génome entier. Les enquêtes sur la sécurité alimentaire menées par les autorités sanitaires locales et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) ont révélé que des conditions insalubres ont pu entraîner une contamination croisée du tofu et qu’un chauffage insuffisant du tofu au niveau de la production a probablement empêché l’élimination de l’agent pathogène. L’ACIA a procédé à un rappel d’aliments pour le tofu au niveau des hôtels, des restaurants et des institutions. Le tofu a été identifié comme un nouveau vecteur alimentaire de S. Typhimurium de cette éclosion. Il est important de mettre en œuvre des interventions qui ciblent le niveau de production et toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement et des mesures de sauvegarde supplémentaires qui aident à minimiser la croissance microbienne.

Enquête épidémiologique et résultats

Le 5 juillet 2021, Santé publique Ontario (SPO) a repéré, par le biais de la surveillance de routine, trois cas d’infections à S. Typhimurium dans plusieurs districts de santé publique (connus en tant que bureau de santé publique) en Ontario, avec quatre différences d’allèles ou moins dans les isolats par séquençage de génome entier du typage génomique multilocus (wgMLST), ce qui suggère une source d’exposition commune. Le 9 juillet, six autres cas avaient été signalés à SPO. En collaboration avec les autorités sanitaires locales, provinciales et fédérales, SPO a lancé une enquête sur l’éclosion. Des cas ont continué à être signalés en Ontario jusqu’à la mi-août; dans 10 districts de santé publique, l’incidence variait de ≤ 0,2 à 2,9 cas pour 100 000 personnes. Bien que S. Typhimurium soit l’un des sérotypes les plus répandus en Ontario, la souche à l’origine de l’éclosion n’était liée à aucun groupe ou isolat existant dans PulseNet Canada, un système de surveillance national qui recueille des informations sur les maladies d’origine alimentaire causées par des agents pathogènes spécifiques. Le projet n'a pas nécessité d'approbation éthique puisque les opérations relevaient du mandat légal de Santé publique Ontario.

Santé publique Ontario a défini un cas confirmé comme une infection par S. Typhimurium chez un résident ou un visiteur de l’Ontario survenant après le 30 avril 2021, avec un schéma de séquence génomique compatible avec (≤ 10 différences d’allèles wgMLST) la souche d’éclosion. Trente-huit cas ont été signalés dans 10 des 34 districts de santé publique de l’Ontario. Les dates d’apparition des symptômes s’échelonnent entre le 16 mai et le 31 juillet 2021. L’âge médian des patients était de 27 ans (intervalle : 1 à 87 ans); 25 (66 %) patients étaient âgés de 24 ans ou moins et 21 (55 %) étaient des femmes. Cinq patients (13 %) ont été hospitalisés et aucun décès n’a été signalé.

Les patients présentant des infections à la salmonelle confirmées en laboratoire et liées au groupe de séquençage du génome entier (SGE) ont été interrogés par des enquêteurs de santé publique locaux et provinciaux dans les dix districts de santé publique de l’Ontario concernés. À l’aide de questionnaires normalisés générateurs d’hypothèses, les enquêteurs ont enregistré l’exposition alimentaire et d’autres facteurs de risque associés à l’exposition animale et professionnelle au cours de la période de 7 jours précédant l’apparition des symptômes. Des informations sur les restaurants et les magasins visités au cours de la période d’exposition ont été recueillies afin de repérer d’éventuels lieux d’alimentation communs signalés par les patients.

Les proportions des facteurs de risque déclarés ont été comparées aux valeurs de référence correspondantes du Rapport Atlas Alimentaire, est un sondage téléphonique basé sur une population, qui a été mené dans toutes les provinces et les territoires du Canada pendant une période d’un an en 2014–2015, dont le principal objectif était de décrire les aliments consommés par les Canadiens sur une période de sept jours, afin d’orienter les enquêtes sur les éclosions au Canada et les mesures visant à lutter contre ellesNote de bas de page 1. Un test de probabilité exacte a été appliqué pour mesurer la signification statistique des taux de consommation des patients atteints de la maladie liée à l’éclosion, par rapport aux valeurs de référence de l’Atlas Alimentaire. Les différences avec des valeurs p associées < 0,05 ont été considérées comme statistiquement significatives.

Les dates d’apparition de la maladie ont été regroupées entre la fin juin et la mi-juillet (figure 1), ce qui suggère une exposition continue à une source commune. Trente patients ont été interrogés (taux de réponse = 79 %) et 19 (63 %) ont déclaré suivre un régime végétarien ou végétalien. Parmi les 25 patients qui ont répondu à la question « consommation de tofu », 19 (76 %) ont déclaré avoir consommé ou probablement consommé du tofu, ce qui représente une proportion significativement plus élevée que la proportion de la population générale interrogée dans le Rapport Atlas Alimentaire qui a déclaré manger du tofu (3 %; p < 0,001). D’autres aliments déclarés par les patients et statistiquement plus susceptibles d’être consommés ont été étudiés (tels que la boisson non laitière, les légumes, les noix et les avocats), mais ils manquaient de spécificité en ce qui concerne le type de produit, la marque et le lieu d’achat. Parmi les 19 patients qui ont déclaré avoir consommé du tofu, 16 ont acheté du tofu assaisonné soit dans l’un des 11 restaurants franchisés, soit dans l’un des trois restaurants non franchisés de l’Ontario, avant le début de leur maladie.

Figure 1 : Semaine d’apparition de la maladie et prélèvement d’échantillons (N = 6) chez les patients infectés par une souche de Salmonella Typhimurium (N = 32) — Ontario, Canada, mai à août 2021
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel

La figure consiste en un histogramme des dates d’apparition de la maladie et de prélèvement d’échantillons chez les patients infectés par une souche de Salmonella Typhimurium dans l’Ontario, au Canada, entre mai et août 2021.

Semaine d’apparition de la maladie ou date de prélèvement de l’échantillon Nombre de patients

16 mai

2

23 mai

1

30 mai

1

6 juin

1

13 juin

4

20 juin

4

27 juin

11

4 juillet

2

11 juillet

7

18 juillet

3

25 juillet

2


Sécurité alimentaire et enquêtes en laboratoire et résultats

Tous les échantillons non cliniques et les isolats provenant d’échantillons cliniques ont été soumis pour analyse au laboratoire de la SPO, un laboratoire de référence clinique et environnemental de l’Ontario. Les isolats de tous les cas confirmés ont fait l’objet d’un SGE au laboratoire de SPO et au Laboratoire national de microbiologie de l’Agence de la santé publique du Canada. Les isolats présentant quatre différences d’allèles wgMLST ou moins ont été considérés comme apparentés par SGE. Au cours de l’enquête sur l’éclosion, un isolat provenant d’un cas au Québec et étroitement lié par SGE à la souche de l’éclosion a été repéré dans PulseNet Canada.

Sur la base des données épidémiologiques, les enquêteurs locaux et les autorités de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) ont mené des enquêtes dans les restaurants où les patients ont déclaré avoir consommé du tofu assaisonné au cours des sept jours précédant l’apparition des symptômes. Des enquêtes supplémentaires ont été menées une fois qu’un fabricant commun ait été identifié. Au total, 16 échantillons ouverts et fermés de tofu assaisonné ont été collectés auprès de 10 restaurants et du fabricant. Par la suite des enquêtes approfondies sur la sécurité alimentaire, S. Typhimurium a été isolé à partir de trois échantillons ouverts de tofu assaisonné provenant de l’un des restaurants franchisés; les isolats séquencés étaient étroitement liés par SGE à ceux des cas confirmés par l’éclosion. La salmonelle n’a pas été détectée dans d’autres échantillons alimentaires produits par le fabricant.

Les enquêtes de sécurité alimentaire ont révélé que du tofu assaisonné provenant du même fabricant était servi dans les 14 restaurants. Le tofu a été identifié comme un produit alimentaire prêt-à-manger produit par un fabricant en Ontario et vendu dans le commerce dans des emballages de 250 g (8,8 oz) et 500 g (17,6 oz). Les restaurants ont acheté le produit dans un emballage sous vide de 500 g.

Les enquêtes de sécurité alimentaire ont révélé l’absence de traitement thermique après l’ajout de l’assaisonnement au produit conditionné de 500 g, qui a également été vendu en ligne à d’autres provinces, dont le Québec; le produit emballé de 250 g a quant à lui subi un traitement thermique supplémentaire. Aucune maladie n’a été liée au produit conditionné de 250 g. Plusieurs infractions ont été constatées dans l’usine de fabrication, notamment un mauvais assainissement de l’équipement de transformation et l’absence d’un plan de sécurité alimentaire ou d’un programme d’échantillonnage des denrées alimentaires.

Intervention en matière de santé publique

L’ACIA a émis un rappel d’aliments pour le tofu de 500 g. Les inspecteurs locaux de la santé publique ont veillé à ce que les produits existants soient retirés de la distribution et détruits dans les restaurants concernés et dans l’usine de fabrication. Comme mesure corrective au sein de l’usine de fabrication, une étape de traitement thermique a été appliquée après l’ajout de l’assaisonnement avant l’emballage.

Discussion

Le tofu a été identifié comme la source d’une éclosion de S. Typhimurium en Ontario en 2021. On a émis l’hypothèse que des conditions insalubres dans l’installation de production auraient pu entraîner une contamination du tofu après la production et avant l’emballage, mais l’absence d’une étape de chauffage supplémentaire pendant la production a probablement empêché l’élimination de l’agent pathogène. Le tofu est un nouveau vecteur alimentaire associé à ce pathogène et n’a pas été impliqué dans les éclosions précédentes. Les produits à base de soya, y compris le tofu, sont des vecteurs peu courants de maladies d’origine alimentaire. Parmi les rapports sur les éclosions précédemment publiés liés aux produits à base de soya, seul un concernait Salmonella (Salmonella enterica paratyphi)Note de bas de page 2. Bien que le tofu ait été impliqué dans des éclosions associées à d’autres agents pathogènes, il n’existe aucun rapport publié sur des éclosions de salmonellose non typhoïdique associées au tofuNote de bas de page 3Note de bas de page 4; toutefois, la croissance ou la présence de S. Typhimurium sur des produits à base de soya a été détectée dans des études microbiologiques sur les alimentsNote de bas de page 5Note de bas de page 6.

De nouveaux vecteurs alimentaires associés à des éclosions peuvent apparaître en raison de l’évolution d’un agent pathogène ou d’un changement des tendances alimentairesNote de bas de page 7. Cette éclosion a largement touché les patients qui avaient adopté un régime végétalien ou végétarien. On estime que 5 % des Canadiens adoptent un régime alimentaire à base de plantesNote de bas de page 8. En outre, des différences d’âge et de sexe sont apparentes chez les personnes qui adhèrent à des régimes à base de plantes, comme le végétarisme, qui est plus souvent pratiqué par les femmes et les jeunes adultesNote de bas de page 9, ce qui correspond aux caractéristiques démographiques des patients de cette éclosion.

La détection de S. Typhimurium dans le tofu en tant que nouveau vecteur alimentaire associé à une éclosion est importante pour la santé publique en raison de l’augmentation mondiale de la consommation de protéines d’origine végétale et des années de vie corrigées de l’incapacité associée à l’infection par S. Typhimurium*Note de bas de page 10. Une meilleure ligne directrice concernant la transformation et la manipulation des protéines d’origine végétale dans la chaîne d’approvisionnement est justifiée pour éliminer la croissance et la transmission des agents pathogènes des maladies d’origine alimentaire.

Intérêts concurrents

Tous les auteurs ont rempli et soumis le formulaire du Comité international des rédacteurs de revues médicales pour la divulgation des conflits d’intérêts potentiels. Aucun conflit d’intérêts n’a été révélé. Le projet n'a pas nécessité d'approbation éthique puisque les opérations relevaient du mandat légal de Santé publique Ontario en vertu de la loi sur l'Agence ontarienne de protection et de promotion de la santé, L.O. 2007, chap. 10.

Remerciements

Nous remercions tous les partenaires de santé publique impliqués dans l’enquête sur l’épidémie; Jakub Graczyk, Sherridon McKoy, Municipalité régionale de Peel; David Pignataro, membres du personnel, Healthy Environments, Ville de Toronto, Toronto Public Health; Isra Khan, Christina Lee, Jennifer Pritchard, York Region Health, Santé publique Ontario; Antoine Corbeil, laboratoire de Santé publique Ontario ; ministère de la Santé de l’Ontario; Agence canadienne d’inspection des aliments; Santé Canada.

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