La syphilis est répandue à Ottawa

RMTC

Volume 48-2/3, février/mars 2022 : Résurgence de la syphilis au Canada

Surveillance

Cas de syphilis à Ottawa : une épidémie en évolution

Lauren Orser1,2, Paul MacPherson3,4,5, Patrick O'Byrne1,2

Affiliations

1 École des sciences infirmières, Faculté des sciences de la santé, Université d'Ottawa, Ottawa, ON

2 Bureau de santé publique d'Ottawa, Services de santé sexuelle, Ottawa, ON

3 Division des maladies infectieuses, Hôpital d'Ottawa, Ottawa, ON

4 Programme d'épidémiologie clinique, Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Ottawa, ON

5 Département de médecine, Faculté de médecine, Université d'Ottawa, Ottawa, ON

Correspondance

lorse060@uottawa.ca

Citation proposée

Orser L, MacPherson P, O'Byrne P. Cas de syphilis à Ottawa : une épidémie en évolution. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2022;48(2/3):85–92. https://doi.org/10.14745/ccdr.v48i23a04f

Mots-clés : syphilis, groupes prioritaires de la syphilis, syphilis prénatale, données de surveillance

Résumé

Contexte : L'incidence de la syphilis infectieuse au Canada a diminué au cours des dernières décennies. Cependant, on observe une augmentation du nombre de nouveaux cas depuis 2001 à Ottawa. L'épidémie locale touche principalement des hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (gbHARSAH), mais ces dernières années, elle s'est étendue à des populations hétérosexuelles. La propagation a coïncidé avec une augmentation du nombre de femmes enceintes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage de la syphilis lors du dépistage prénatal. Cette étude vise à comprendre l'évolution de l'épidémiologie des cas de syphilis infectieuse diagnostiqués à Ottawa afin de renforcer la gestion des soins primaires et l'intervention en santé publique.

Méthodes : Des données de surveillance du ministère de la Santé de l'Ontario ont été utilisées pour décrire l'évolution de l'épidémiologie de la syphilis infectieuse dans la région d'Ottawa de 2010 à 2019, notamment un examen complet des dossiers des cas de 2015 à 2019.

Résultats : Le nombre de cas de syphilis infectieuse à Ottawa est passé de 50 cas en 2010 à 171 cas en 2019. Ces taux étaient toujours élevés chez les hommes et sont passés de 10,9/100 000 habitants en 2010 à 30,9/100 000 habitants en 2019. En comparaison, les taux chez les femmes sont passés de 0,4/100 000 habitantes en 2010 à 3,2/100 000 habitantes en 2019, avec des augmentations correspondantes pendant le dépistage prénatal (aucun cas de syphilis congénitale à ce jour).

Conclusion : La surveillance continue joue un rôle crucial alors que l'épidémie de syphilis continue d'évoluer à Ottawa. Les ressources en santé publique doivent répondre aux besoins des populations déjà touchées, en plus d'être suffisamment souples pour réagir aux changements de tendances et appuyer les cliniciens qui fournissent des soins aux populations touchées par l'épidémie.

Introduction

On constate une recrudescence de la syphilis infectieuse partout au Canada. Bien que le nombre de cas ait atteint un creux historique tout au long des années 1990, l'incidence de la syphilis infectieuse a commencé à augmenter en 2001, la plupart des diagnostics ayant lieu chez les hommes gais, bisexuels et autres hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (gbHARSAH)Note de bas de page 1. Cependant, depuis 2010, il y a eu une deuxième augmentation de l'incidence de la syphilis infectieuse, un nombre croissant de cas étant maintenant signalés parmi les personnes que l'on croyait auparavant à faible risque, notamment les hommes hétérosexuels et, en particulier, les femmes en âge de procréerNote de bas de page 2Note de bas de page 3. En effet, sur une période d'à peine trois ans, de 2015 à 2018, le taux de syphilis infectieuse chez les Canadiennes âgées de 20 à 24 ans a presque décuplé, passant de 3,4 à 26,0 pour 100 000 habitantesNote de bas de page 4. Ces rapports ont coïncidé avec une augmentation du nombre de femmes enceintes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage de la syphilis lors d'un dépistage prénatal et une augmentation de 1 725 % des cas de syphilis congénitale au CanadaNote de bas de page 5.

Compte tenu de l'évolution du paysage de la syphilis au Canada, des mesures ont été prises pour réévaluer les connaissances en épidémiologie sur la syphilis à Ottawa. Un examen rétrospectif des diagnostics de syphilis de 2010 à 2019 a été entrepris avec une analyse plus complète des personnes ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse de 2015 à 2019. L'objectif de cet examen était de cerner les tendances épidémiologiques de la syphilis et les caractéristiques des cas afin de mieux éclairer les efforts de prévention et de gestion.

Contexte

Bien que des cas d'infection par la syphilis aient été signalés par le passé à Ottawa, ces diagnostics étaient rares (moins de 0,5/100 000 habitants) et la plupart étaient des infections au stade de latence tardiveNote de bas de page 6. Toutefois, Santé publique Ottawa (SPO) a signalé quatre cas de syphilis infectieuse précoce (taux : 0,5/100 000 habitants) en 2001Note de bas de page 6, le premier signe de nouvelles transmissions dans la région. En 2006, le nombre de nouveaux cas avait décuplé pour atteindre 41 cas (taux : 4,8/100 000 habitants)Note de bas de page 6. Un examen des cas de janvier 2001 à juin 2006Note de bas de page 7 a révélé une épidémie à prédominance masculine avec un ratio homme-femme de 19:1, la population gbHARSAH représentant la majorité des cas (83,5 %). Près de la moitié (43 %) des personnes ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse étaient séropositives au virus de l'immunodéficience humaine (VIH)Note de bas de page 7. Le contact oral-génital était la forme de transmission la plus prédominante et près de la moitié des partenaires sexuels épidémiologiquement liés résidaient à l'extérieur d'OttawaNote de bas de page 7. Les réseaux sexuels avec Montréal et Toronto étaient les plus courants. Depuis 2006, le taux de nouvelles infections par la syphilis en Ontario a augmenté continuellement, avec une augmentation de 242 % de 2010 à 2019Note de bas de page 8, et, comme ailleurs au CanadaNote de bas de page 4, les hommes et les femmes hétérosexuels représentent maintenant une proportion croissante des nouveaux cas. Dans ce contexte, nous avons cherché à comprendre l'évolution de l'épidémiologie à Ottawa. La surveillance continue jouera un rôle crucial en guidant les cliniciens et les responsables de la santé publique et en éclairant les efforts de dépistage et de prévention.

Méthodes

Cet examen a eu lieu à Ottawa, au Canada, une ville de plus d'un million d'habitants, avec les données de 2019. Les principaux objectifs de cet examen étaient 1) d'obtenir un portrait complet de l'épidémiologie de la syphilis à Ottawa et 2) d'améliorer notre compréhension des caractéristiques et des facteurs de risque d'infection chez les personnes ayant reçu un diagnostic de syphilis. Pour atteindre ces objectifs, un examen de tous les cas de syphilis diagnostiqués à Ottawa de 2010 à 2019 a été effectué, en mettant l'accent sur l'épidémiologie locale de la syphilis. Un examen approfondi des dossiers des cas de syphilis infectieuse de 2015 (à la suite d'une augmentation importante des taux de syphilis) à 2019 (les données les plus récentes disponibles sur les cas) et un examen des cas diagnostiqués pendant la grossesse de 2015 à 2021 (à l'aide des données préliminaires de 2020 à 2021) ont également été effectués.

Pour l'examen épidémiologique global (2010 à 2019), les cas ont été classés comme infectieux (stade primaire, secondaire et de latence précoce) ou en latence tardive. Les données ont été obtenues à l'aide des sources suivantes : 1) le rapport sur les maladies à déclaration obligatoire de Santé publique Ontario (SPO), qui fournit le nombre de diagnostics de syphilis infectieuse de SPO; 2) des rapports sur les maladies infectieuses de la Ville d'Ottawa, qui totalisent les diagnostics de syphilis infectieuse et non infectieuse à l'échelle locale; et 3) la base de données du Système intégré d'information sur la santé publique, qui contient des renseignements sur les cas diagnostiqués dans la province, notamment des noms, des données démographiques, un diagnostic et des renseignements sur le traitement. Les cas en double ont été supprimés. Le nombre de cas a été consigné dans une feuille de calcul Excel par année en fonction du diagnostic (syphilis infectieuse ou en latence tardive).

Une analyse plus approfondie a été effectuée au moyen d'un examen des dossiers de santé publique (obtenus de SPO) pour les cas de syphilis infectieuse diagnostiqués de 2015 à 2019. Nous avons considéré seulement les diagnostics de syphilis au stade primaire, secondaire et de latence précoce chez les personnes qui résidaient à Ottawa pendant cette période. Les cas étaient exclus s'ils avaient été diagnostiqués avec une antériorité inconnue, au stade de latence tardive ou comme un cas de neurosyphilis. De plus, les personnes en contact avec une personne infectée (i.e. les personnes dont l'exposition est connue, mais qui n'ont pas reçu de diagnostic de syphilis) ont également été exclues. Sur un total de 672 cas de syphilis infectieuse recensés à Ottawa à l'aide des ensembles de données ci-dessus, 637 dossiers (95 % du nombre total de cas) étaient disponibles aux fins d'examen. Les 35 dossiers qui n'étaient pas disponibles pour examen concernaient un écart entre le nombre de cas de syphilis infectieuse signalés par SPO (672 cas) et le nombre de dossiers récupérés pendant l'examen (637 cas). Pour la collecte de données, nous avons extrait l'âge, le sexe (tel que déclaré), l'orientation sexuelle, les antécédents d'autres infections sexuellement transmissibles, l'état sérologique au moment du diagnostic et l'état de grossesse (le cas échéant). Toutes les données ont été consignées dans une feuille de calcul Excel sans identificateurs. Des tests Z ont été réalisés pour déterminer la signification statistique entre les variables, à l'exception de l'âge pour lequel le test de Student a été utilisé. Une valeur ≤ 0,05 a été jugée significative. L'analyse initiale des données a été effectuée par l'un des auteurs et elle a été examinée par tous les auteurs pour s'assurer que les tendances et les conclusions observées concordent.

Éthique

L'approbation déontologique de cette étude a été obtenue du Comité d'éthique de la recherche de l'Université d'Ottawa (H-11-21-7333). De plus, l'outil d'évaluation éthique de SPO a été rempli, lequel a généré une note de zéro, indiquant qu'il n'y avait aucun risque. Les données relatives au nombre de cas et à la répartition selon le sexe ont été compilées à partir de l'information publiée par le ministère de la Santé de l'Ontario. Les renseignements supplémentaires sur les données démographiques et les facteurs de risque de l'infection par la syphilis ne comprenaient pas de renseignements identifiables. La collecte de données n'a pas entraîné de contact direct avec les cas.

Résultats

Examen épidémiologique des cas de syphilis : 2010 à 2019

À Ottawa, de 2010 à 2019, 1 693 diagnostics de syphilis ont été signalés; 878 étaient infectieux (stade primaire, secondaire ou de latence précoce) et 815 étaient au stade de latence tardive (tableau 1). Pour les cas de syphilis infectieuse, le nombre annuel de cas déclarés est demeuré relativement stable au cours de la première moitié de notre période d'examen (2010 à 2014). Au cours de cette période, 206 cas ont été signalés, pour une moyenne d'environ 41 cas par année (de 30 à 50 cas); 96 % de ces cas étaient des hommes et 4 % étaient des femmes. Il est intéressant de noter qu'à partir de 2015, le nombre de cas de syphilis infectieuse a commencé à grimper à 100, et des augmentations progressives ont été observées chaque année subséquente (figure 1). Dans la deuxième moitié de la décennie, les taux de syphilis infectieuse ont plus que triplé, ce qui a entraîné 672 cas au cours de ces cinq années, dont 171 cas en 2019 seulement (variation de 10,7/100 000 personnes en 2016 à 15,6/100 000 personnes en 2019).

Tableau 1 : Nombre annuel de diagnostics de syphilis, par stade
Année Syphilis infectieuse (nombre) Syphilis en latence tardive (nombre)
2010 50 126
2011 46 104
2012 37 93
2013 30 77
2014 43 80
2015 100 65
2016 135 79
2017 106 63
2018 160 71
2019 171 57
Total 878 815

Figure 1 : Diagnostics de syphilis infectieuse

Figure 1

Description textuelle : Figure 1

Ce graphique montre le nombre de diagnostics de syphilis infectieuse déclarés au bureau de santé publique à Ottawa, au Canada, de 2010 à 2019. Le nombre de cas de syphilis infectieuse était relativement stable par rapport à la période de 2010 à 2014, malgré une légère baisse du nombre de cas. Au cours de la deuxième moitié de la décennie, le nombre de diagnostics de syphilis infectieuse est passé à 100 en 2015, et il a augmenté de façon constante depuis, avec 171 cas signalés à la fin de 2019.


Bien que la plupart des diagnostics de syphilis infectieuse à Ottawa continuent de toucher majoritairement la population gbHARSAH, la proportion de cas signalés dans ce groupe a diminué de 91 % à 73 % au cours de la période de 10 ans. La proportion de cas diagnostiqués parmi les personnes séropositives au VIH a également diminué au cours de la même période, 53 % des cas de syphilis en 2010 ayant été signalés parmi les personnes vivant avec le VIH, contre 19 % en 2019. La diminution de près de 20 % des cas de syphilis chez la population gbHARSAH correspond à une augmentation du nombre de cas de syphilis signalés chez les hommes et les femmes hétérosexuels.

En ce qui concerne les diagnostics de latence tardive en 2010 à 2019, les taux ont varié d'une année à l'autre. Contrairement aux taux de syphilis infectieuse qui ont augmenté au cours de la période de 10 ans, les taux de syphilis en latence tardive ont diminué, passant de 126 diagnostics en 2010 à 57 en 2019 (figure 2).

Figure 2 : Diagnostics de syphilis en latence tardive

Figure 2

Description textuelle : Figure 2

Ce graphique montre le nombre de diagnostics de syphilis non infectieuse (en latence tardive) déclarés au bureau de santé publique à Ottawa, au Canada, de 2010 à 2019. Contrairement aux taux croissants de diagnostics de syphilis infectieuse (figure 1), le nombre de cas de syphilis non infectieuse a diminué de façon constante au cours de la dernière décennie : 126 cas ont été signalés en 2010 et 57 en 2019.


Les diagnostics de syphilis en latence tardive étaient relativement semblables entre les hommes et les femmes et le plus souvent signalés chez les personnes ayant des partenaires sexuels de sexe opposé, qui ont immigré d'une région endémique de la syphilis (identifié lors d'un examen médical aux fins de l'immigration), et chez les personnes atteintes d'une perte de mémoire (identifiée lors de l'examen sur la démence).

Examen approfondi des cas de syphilis infectieuse : 2015 à 2019

Bien que l'incidence de la syphilis infectieuse soit demeurée relativement stable de 2010 à 2014, avec une moyenne de 41 cas par année, le nombre de nouveaux diagnostics a doublé pour atteindre 100 en 2015 et presque doublé pour atteindre 171 en 2019. Puisque 2015 était une année d'augmentation considérable des diagnostics de syphilis, un examen plus détaillé des dossiers a été effectué pour les cas de 2015 à 2019. Sur les 672 cas de syphilis infectieuse signalés à Ottawa au cours de cette période par le ministère de la Santé de l'Ontario, 637 dossiers (95 %) étaient disponibles pour examen (tableau 2).

Tableau 2 : Données démographiques sur les cas de syphilis infectieuse à Ottawa
Caractéristique 2015 2016 2017 2018 2019
Nombre de cas 100 118 106 147 166
Homme 98 % 95 % 93 % 97 % 90 %
Femmes 2 % 5 % 7 % 3 % 10 %
Âge moyen 46,8 41,1 38,9 38,0 39,6
HRSH 86 % 84 % 87 % 91 % 73 %
HRSF 4 % 7 % 4 % 4 % 13 %
FRSH 1 % 5 % 5 % 3 % 10 %
Bisexuel 8 % 4 % 4 % 2 % 4 %
Antécédent d'ITS 64 % 64 % 72 % 65 % 60 %
VIH+ 38 % 36 % 36 % 30 % 20 %

Il est intéressant de noter que la répartition selon le sexe et la proportion de la population gbHARSAH représentant les nouveaux diagnostics sont demeurées stables pendant la hausse initiale de 2015 à 2018, mais ont changé en 2019. À l'instar de la période de 2010 à 2014, malgré l'augmentation du nombre de cas, les hommes représentaient toujours en moyenne 96 % des cas de syphilis infectieuse de 2015 à 2018, tandis que les femmes représentaient environ 4 % des cas. Toutefois, en 2019, 10 % des nouveaux diagnostics ont été diagnostiqués chez des femmes (p = 0,006). De plus, alors que la proportion de nouveaux diagnostics chez les femmes augmentait globalement de 2,5 fois, le nombre absolu augmentait de 850 %. De même, alors que les hommes hétérosexuels représentaient en moyenne 6 % des cas de syphilis infectieuse de 2015 à 2018, ils représentaient 13 % des cas en 2019 (p = 0,0005), ce qui représente une augmentation de 550 % du nombre absolu. Ensemble, la proportion de nouveaux diagnostics de syphilis infectieuse chez les hommes et les femmes hétérosexuels à Ottawa est passée de 5 % en 2015 à 23 % en 2019 (= 0,0003). Dans l'ensemble, le ratio homme-femme au sein de ce groupe est demeuré relativement stable au cours des cinq années. Avec l'augmentation des diagnostics chez les hétérosexuels, la population gbHARSAH représentait une plus faible proportion de nouveaux diagnostics en 2019, passant de 86 % en 2015 à 73 % en 2019, bien que cette différence n'ait pas atteint de signification statistique (p = 0,24). Le nombre absolu de cas de syphilis infectieuse chez la population gbHARSAH a encore augmenté de 41 %, passant de 86 cas en 2015 à 133 cas en 2018 et à 121 cas en 2019. Il est intéressant de noter que les diagnostics chez les personnes qui se sont déclarées bisexuelles sont demeurés faibles et stables en proportion et en nombre au cours de la période de cinq ans.

Pour ce qui est des facteurs de risque, un diagnostic antérieur d'infection transmissible sexuellement (ITS) était présent dans 60 % à 70 % des cas de syphilis infectieuse à Ottawa en 2015 à 2019. Fait intéressant, la proportion de ceux qui ont eu une ITS était relativement stable au cours des cinq années. En revanche, la proportion de nouveaux cas de syphilis avec un diagnostic antérieur ou simultané d'infection au VIH, tous chez la population gbHARSAH, a diminué de 36 % à 38 % en 2015 à 2017 à 20 % en 2019 (p = 0,002). Cette diminution n'est pas uniquement attribuable à la propagation de la syphilis dans la population hétérosexuelle majoritairement séronégative. Chez la population gbHARSAH d'Ottawa ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse, la proportion de personnes séronégatives est passée de 58 % en 2015 à 2017 à 73 % en 2019 (p = 0,082), bien que ce changement n'ait pas tout à fait atteint une signification statistique.

Enfin, bien que la répartition selon le sexe et l'orientation sexuelle des nouveaux diagnostics de syphilis à Ottawa semble avoir changé vers la fin des cinq années à l'étude, l'âge moyen au moment du diagnostic a quelque peu diminué, passant de 46,8 ans en 2015 à 41,1 ans en 2016 et de 38,0 à 39,6 ans en 2017-2019 (p = 0,094).

Examen des diagnostics de syphilis prénatale

Compte tenu du nombre croissant de cas de syphilis chez les femmes en âge de procréer et du risque de transmission périnatale de la syphilis non traitée pendant la grossesse, nous avons examiné tous les tests de syphilis positifs qui ont été effectués lors du dépistage prénatal à Ottawa de janvier 2015 à juillet 2021. Sur un total de 37 tests positifs chez des femmes enceintes, 17 cas de syphilis ont été signalés chez 15 patientes. Comme le montre la figure 3, le nombre de cas de syphilis prénatale à Ottawa augmente régulièrement depuis 2015 (passant d'aucun cas déclaré en 2015 à quatre cas en 2021). Même si les données de 2021 pour les femmes enceintes étaient incomplètes au moment de cet examen, la courbe de tendance exponentielle pour la syphilis prénatale indique une augmentation des diagnostics au fil du temps. Sur les 17 cas déclarés de syphilis au cours de la période d'examen, trois étaient des cas de syphilis infectieuse précoce et huit étaient des cas de syphilis en latence, soit comme un cas de syphilis en latence d'une antériorité inconnue, soit comme un cas de syphilis en latence tardive. L'âge moyen des femmes qui ont obtenu un résultat positif au cours du dépistage prénatal était de 27,7 ans (fourchette de 17 à 39 ans) et l'origine ethnique variait. Les six autres tests positifs ont été effectués chez des femmes enceintes pour lesquelles on avait signalé un cas de syphilis à Ottawa, mais qui avaient déjà été traitées pour la syphilis à l'extérieur de l'Ontario (i.e. qui n'avaient pas fait l'objet d'un suivi préalable dans la base de données du Système intégré d'information sur la santé publique) ou qui présentaient un test immunologique à microparticules chimiluminescentes réactif avec anticorps réaginiques négatifs et un test d'agglutination de particules de Treponema pallidum négatif, qui sont des résultats de laboratoire compatibles avec un dépistage faussement positif. Parmi les grossesses qui ont été maintenues ou menées à terme au moment de l'examen, il n'y avait aucun diagnostic de syphilis congénitale fondé sur des tests sérologiques et un examen physique du nourrisson. Tous les nourrissons ont été dirigés vers des spécialistes des maladies infectieuses pédiatriques aux fins de surveillance. À ce jour, aucun diagnostic de syphilis congénitale n'a été signalé à Ottawa.

Figure 3 : Diagnostics de syphilis infectieuse pendant la grossesse

Figure 3

Description textuelle : Figure 3

Ce graphique montre le nombre de diagnostics de syphilis chez les femmes enceintes selon le dépistage prénatal de 2016 au milieu de 2021. Il y avait un cas ou moins de 2015 à 2017; ce nombre a augmenté de façon constante de 2018 à aujourd'hui. Les prévisions de tendances pour les diagnostics de syphilis pendant la grossesse montrent que les taux devraient continuer d'augmenter. À ce jour, aucun cas confirmé de syphilis congénitale n'a été signalé à Ottawa.


Discussion

Notre examen des diagnostics de syphilis à Ottawa de 2010 à 2019 a révélé une diminution de la syphilis non infectieuse (syphilis en latence tardive) et une augmentation marquée de l'incidence de la syphilis infectieuse au cours de la période à l'étude, ainsi qu'un changement dans la répartition démographique. Dans l'ensemble, l'âge moyen au moment du diagnostic a légèrement diminué, et une augmentation des cas chez les hommes et les femmes hétérosexuels et chez les gbHARSAH séronégatifs est observable. La propagation de la syphilis dans les populations hétérosexuelles, en particulier les femmes, a été observée de la même façon partout au Canada, alors que l'Agence de la santé publique du Canada (l'Agence) a signalé une augmentation de 740 % des cas de syphilis infectieuse dans cette population de 2016 à 2020Note de bas de page 5, et les taux les plus élevés enregistrés sont chez les femmes en âge de procréer. Bien que la population gbHARSAH représente toujours la majorité des diagnostics de syphilis, la proportion de cas dans cette population a diminué parallèlement aux augmentations chez les hétérosexuelsNote de bas de page 4Note de bas de page 5. Des tendances à la hausse semblables sont maintenant observées chez les femmes pendant la grossesse, et des augmentations sont prévues; cependant, aucun diagnostic de syphilis congénitale n'a été observé à Ottawa jusqu'à maintenant.

Considérations relatives aux pratiques cliniques et de santé publique

Premièrement, les taux croissants de syphilis infectieuse chez les femmes, en particulier celles en âge de procréer, posent un risque d'augmentation future de la syphilis congénitale. À l'échelle du Canada, l'Agence a déjà signalé une augmentation importante du nombre de cas confirmés de syphilis congénitale, qui est passé de quatre en 2016 à 73 en 2020Note de bas de page 5. L'Agence fait remarquer que cette augmentation est proportionnelle à l'augmentation des diagnostics de syphilis infectieuse chez les femmes de 15 à 24 ansNote de bas de page 5. Bien que nous n'ayons pas encore documenté de cas confirmés ou soupçonnés de syphilis congénitale à Ottawa, l'évolution du paysage dans notre région est de mauvais augure. Comme le montre la figure 3, les prévisions linéaires pour la syphilis infectieuse chez les femmes enceintes à Ottawa montrent des augmentations futures continues dans ce groupe. Pour cette raison, les cliniciens et les praticiens de la santé publique devraient envisager un dépistage plus uniforme de la syphilis chez les femmes en âge de procréer afin d'éviter des problèmes de santé dans ce groupe et de prévenir d'éventuels cas de syphilis congénitaleNote de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11. Une sensibilisation accrue et des directives cliniques rigoureuses sont recommandées pour aider les praticiens à dépister, à traiter et à surveiller la syphilis chez les femmes enceintes, notamment le dépistage au début de la grossesse et les tests répétés au troisième trimestre en cas de risque continuNote de bas de page 12. À l'échelle locale, notre bureau de santé publique assure un suivi complet de tous les tests positifs de dépistage de la syphilis. Cela comprend l'aiguillage vers des soins spécialisés appropriés et la sérologie de suivi de la syphilis pendant la grossesse et pour le nourrisson pendant la première année de vie.

Un deuxième point d'intérêt est la proportion croissante de nouveaux diagnostics de syphilis à Ottawa chez les gbHARSAH séronégatifs. En général, l'incidence croissante de la syphilis dans ce groupe est attribuée à l'adoption de la prophylaxie préexposition au VIH (PrEP) et à une diminution concomitante de l'utilisation du préservatifNote de bas de page 13Note de bas de page 14. Il est toutefois très improbable que ce soit une relation de cause à effetNote de bas de page 15. Tout d'abord, la recrudescence de la syphilis infectieuse à Ottawa a commencé en 2015. L'accès par certaines personnes à une clinique à guichet unique à Ottawa a commencé en novembre 2015. La PrEP n'a pas été approuvée par Santé Canada avant 2016Note de bas de page 16 et le traitement est devenu disponible de façon plus générale au cours des dernières années. Deuxièmement, lorsque nous avons examiné les taux d'ITS, y compris la syphilis, chez la population gbHARSAH utilisant la PrEP à Ottawa en 2018, nous n'avons pas constaté une incidence plus élevée chez les hommes utilisant la PrEP comparativement à la population gbHARSAH en généralNote de bas de page 17. Il est donc peu probable que l'utilisation de la PrEP soit la cause de l'augmentation de la syphilis infectieuse chez les gbHARSAH séronégatifs. Dans ce contexte, la vulnérabilité à l'infection par le VIH documentée chez les personnes qui contractent la syphilis est d'autant plus préoccupante. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis estiment qu'un membre de la communauté gbHARSAH sur 18 est infecté par le VIH dans l'année qui suit l'infection par la syphilisNote de bas de page 18. Ce risque est amplifié dans les populations racialisées. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies estiment que le risque d'infection par le VIH au cours d'une vie est d'un sur deux pour les gbHARSAH d'Afrique, des Caraïbes ou de race noire, et de un sur quatre pour les gbHARSAH d'Amérique latine ou d'AsieNote de bas de page 18. Compte tenu du risque accru d'infection par le VIH chez les gbHARSAH diagnostiqués avec la syphilis, nous suggérons d'offrir la PrEP pour le VIH aux personnes de ce groupe. Plus précisément, pour tout gbHARSAH diagnostiqué avec une infection de syphilis au stade primaire, secondaire ou de latence précoce, une offre active de PrEP pour le VIH est recommandéeNote de bas de page 15Note de bas de page 19. À Ottawa, le personnel de la santé publique l'offre régulièrement pendant le suivi et la recherche des contactsNote de bas de page 15Note de bas de page 19. Depuis, une diminution des infections au VIH a été constatée à OttawaNote de bas de page 20, bien que cette observation soit déconcertée par l'adoption accrue de la PrEP dans plusieurs cliniques et par plusieurs médecins de famille de la ville et par la diminution des tests de dépistage du VIH en raison de la pandémie de la maladie à coronavirus de 2019 en 2020.

Compte tenu des changements observés dans l'épidémiologie de la syphilis à Ottawa et ailleurs au Canada et de la proportion croissante de nouveaux diagnostics de VIH chez les hommes et les femmes hétérosexuels à l'échelle locale, les offres de PrEP devraient probablement être étendues à d'autres groupes que la population gbHARSAHNote de bas de page 21. Pour atténuer la transmission continue du VIH dans les groupes hétérosexuels, nous suggérons d'appliquer certains des critères utilisés pour la PrEP chez la population gbHARSAHNote de bas de page 19; 1) pour tous les groupes hétérosexuels ayant reçu un diagnostic répété d'ITS (y compris la syphilis); et 2) pour les femmes ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse, de gonorrhée ou d'hépatite CNote de bas de page 21Note de bas de page 22. Bien qu'aucun homme ou femme hétérosexuel n'ait reçu de diagnostic antérieur ou concomitant de VIH au moment du diagnostic de syphilis, les personnes ayant des partenaires de sexe opposé représentaient 9 % (n = 80/878) de tous les diagnostics de syphilis infectieuse et 5 % (n = 21/413) de tous les patients qui avaient des ITS répétées, ce qui peut potentiellement augmenter le risque d'acquisition du VIHNote de bas de page 21Note de bas de page 22. Le fait de proposer la PrEP à ces personnes, en plus de personnes gbHARSAH, pourrait être une stratégie utile pour améliorer les efforts de prévention du VIH.

Notre troisième point a trait à la diminution des diagnostics de syphilis non infectieuse – ou en latence tardive – observée au cours de la période d'examen de 10 ans. Bien que les raisons exactes de cette diminution des cas de syphilis en latence tardive ne soient pas certaines, elles pourraient être liées à 1) l'augmentation de la sensibilisation, des tests de dépistage et du traitement de la syphilis infectieuse au cours des 20 dernières années, ce qui a entraîné une diminution du nombre de cas devenant latents tardives; ou 2) des changements dans la classification des casNote de bas de page 12, en particulier ceux classés comme syphilis en latence d'une antériorité inconnue. Cette dernière classification permet de prolonger le traitement chez les personnes dont la syphilis peut être récente, mais elle fausse les données de surveillance.

Enfin, d'après nos données, nous suggérons des campagnes plus vastes de sensibilisation du public, un dépistage accru chez les hétérosexuels et le rétablissement de la syphilis d'antériorité indéterminée comme stade d'infection à déclaration obligatoireNote de bas de page 22. Compte tenu des complications connues de la syphilis pour la santé, il est préoccupant de constater que, malgré la propagation documentée de nouveaux cas dans la population hétérosexuelle, les efforts de dépistage continuent de cibler presque exclusivement la population gbHARSAH. Des campagnes dans les médias sociaux et d'autres stratégies devraient être utilisées pour s'assurer que les hommes et les femmes hétérosexuels sont au courant des conséquences de la syphilis et des avantages du dépistage. Du point de vue de la santé publique, nous préconisons également l'inclusion de la syphilis d'antériorité indéterminée dans les données de surveillance. À l'heure actuelle, ces cas sont habituellement saisis en tant que cas en latence tardive, mais on ne sait pas si l'infection a été récemment acquiseNote de bas de page 23. La classification de la syphilis d'une antériorité indéterminée en tant que cas en latence tardive signifie que ces cas ne seront pas inclus dans l'épidémiologie changeante et que la surveillance sera biaisée pour les populations non gbHARSAH, pour lesquelles les tests de routine sont moins courants. De plus, il n'y aura pas de suivi de santé publique ni de recherche des contacts dans ces cas, ce qui laisse la possibilité d'une transmission ultérieureNote de bas de page 12Note de bas de page 23Note de bas de page 24.

Limites

Notre étude comporte plusieurs limites. Les données présentées dans cet examen sont fondées sur l'information recueillie et les commentaires des infirmières de la santé publique au cours des suivis de routine de la syphilis. Il est possible que la cohérence des données ait été sujette à certaines variations. De plus, l'étendue de l'information relative à la syphilis infectieuse se limite à l'information précisée dans le système de déclaration de santé publique, qui ne saisit pas de données sur les transgenres, l'origine ethnique et certains facteurs de risque propres à l'infection (e.g. relations sexuelles avec des partenaires bisexuels, relations sexuelles en groupe, etc.). Il y avait certaines différences entre le nombre de cas déclarés par Santé publique Ontario et Santé publique Ottawa. Cela est probablement lié à des changements dans le diagnostic, la classification des stades ou le bureau de santé publique responsable qui n'ont pas été corrigés par Santé publique Ontario. Enfin, dans cet examen, les cas diagnostiqués comme syphilis d'une antériorité inconnue n'ont pas été signalés, car il ne s'agit plus d'une étape à déclaration obligatoire. Il est possible que la répartition des cas de syphilis infectieuse, particulièrement chez les groupes hétérosexuels, soit plus élevée que ce qui est déclaré.

Conclusion

Les conclusions de notre examen de l'épidémiologie de la syphilis à Ottawa appuient nos soupçons cliniques et s'harmonisent avec les récents rapports d'autres villes et provinces canadiennes. Bien que l'incidence de la syphilis infectieuse soit demeurée relativement stable au cours de la première moitié de notre période d'examen (2010 à 2014), le nombre de cas a bondi au cours de la période de 2015 à 2019. Par ailleurs, il y a eu une augmentation notable du nombre de diagnostics chez les personnes qui étaient auparavant considérées à faible risque, en particulier les hommes et les femmes hétérosexuels. Il y a 10 ans, les hétérosexuels représentaient environ 5 % des cas de syphilis infectieuse à Ottawa. En 2019, ils représentaient près du quart des cas. Le nombre de cas a également augmenté chez les gbHARSAH séronégatifs, la proportion de cas présentant une infection concomitante au VIH diminuant de 38 % à 20 %. D'après ces constatations, il est recommandé que les cliniciens et les professionnels de la santé publique augmentent le dépistage de la syphilis au-delà de la population gbHARSAH et qu'ils renforcent les efforts de recherche des contacts pour les personnes qui pourraient avoir été exposées à la syphilis. Des efforts accrus devraient également être déployés pour renforcer les efforts de prévention du VIH, tels que l'utilisation de la PrEP auprès des hommes et des femmes hétérosexuelles diagnostiquées avec une syphilis infectieuse. En réponse à l'augmentation des taux de syphilis infectieuse chez les femmes hétérosexuelles, des recherches futures doivent être effectuées pour aider à explorer les facteurs de risque de la syphilis au sein de ce groupe. Il est également fortement recommandé que le dépistage prénatal de la syphilis soit effectué le plus tôt possible et, le cas échéant, que le dépistage soit répété pendant la grossesse ou à court terme. La surveillance continue continuera de jouer un rôle crucial pendant l'évolution de l'épidémie de syphilis à Ottawa. Les ressources de santé publique doivent assurer un soutien continu aux populations déjà touchées par la syphilis, mais elles doivent également être souples et tenir compte des tendances émergentes de l'épidémie.

Déclaration des auteurs

L. O. a terminé l'extraction initiale des données sur les diagnostics de syphilis à Ottawa de 2010 à 2019. Tous les auteurs ont participé à l'analyse des données, à la rédaction, à la révision, à la présentation et à l'approbation du présent article.

Le contenu et le point de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.

Intérêts concurrents

Aucun.

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier Santé publique Ottawa d'avoir approuvé cet examen de l'épidémiologie de la syphilis à Ottawa. De plus, L. O. aimerait remercier les Instituts de recherche en santé du Canada pour la bourse d'études Vanier et P. O. B. aimerait remercier le Réseau ontarien de traitement du VIH pour sa chaire en santé publique et en prévention du VIH.

Financement

Aucun.

Creative Commons License
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International

Détails de la page

Date de modification :