L’expérience au Yukon avec la COVID-19 : restrictions de voyage, variants et propagation entre les non-vaccinés
Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 48-1, janvier 2022 : COVID-19 : mortalité et inégalités sociales
Date de publication : janvier 2022
ISSN : 1481-8531
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Volume 48-1, janvier 2022 : COVID-19 : mortalité et inégalités sociales
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L'expérience au Yukon avec la COVID-19 : restrictions de voyage, variants et propagation entre les non-vaccinés
Sara McPhee-Knowles1, Bryn Hoffman2, Lisa Kanary1
Affiliations
1 Université du Yukon, Whitehorse, YK
2 École de médecine Queen's, Université Queen's, Kingston, ON
Correspondance
Citation proposée
McPhee-Knowles S, Hoffman B, Kanary L. L'expérience au Yukon avec la COVID-19 : restrictions de voyage, variants et propagation entre les non‑vaccinés. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2022;48(1):19–23. https://doi.org/10.14745/ccdr.v48i01a03f
Mots-clés : COVID-19, territoire du Yukon, réponse à la pandémie, restrictions de déplacement, vaccination, éclosion, Nord du Canada
Résumé
L'expérience du Yukon concernant la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a été intéressante; le territoire a mis en place avec succès des restrictions de voyage pour limiter l'importation du virus et a déployé les vaccins rapidement par rapport à la plupart des administrations canadiennes. Cependant, la première vague de COVID-19 du Yukon en juin et juillet 2021 a fait déborder le système de santé en raison de la transmission généralisée parmi les enfants non-vaccinés, les jeunes et les adultes, malgré une forte participation à la vaccination et le port du masque obligatoire. Cette expérience met en lumière l'importance du soutien continu aux programmes de vaccination publique, de l'adoption généralisée de vaccins dans les populations pédiatriques, et l'assouplissement judicieux des interventions non pharmaceutiques dans toutes les administrations canadiennes à mesure qu'elles rouvrent alors que des variants plus contagieux apparaissent.
Introduction
La trajectoire de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) dans l'ensemble du Canada a été inégale, et le territoire du Yukon, au Canada, est un cas intéressant. Du 22 mars 2020 au 1er juin 2021, il y a eu 62 cas et deux décès attribuables au COVID-19 au YukonNote de bas de page 1. Une caractéristique importante de la stratégie de santé publique du Yukon était la mise en œuvre de restrictions de voyage, où, comme les provinces de l'Atlantique, les voyageurs qui entrent dans le territoire devaient s'isoler pendant 14 jours. Le Yukon comporte une population petite et dispersée et, grâce à peu de points d'accès, a pu imposer des restrictions de voyage pour limiter les cas importés. Toutefois, en juin et juillet 2021, peu après la levée de certaines restrictions, le Yukon a connu sa première vague de COVID-19 avec transmission communautaire, malgré le taux de vaccination le plus élevé au Canada à la fin du mois de maiNote de bas de page 2. Du 1er juin au 2 août 2021, le Yukon a signalé 541 nouveaux cas de COVID-19 dans le cadre de trois éclosions distinctes et six décès dans une population d'environ 42 000Note de bas de page 3. La plupart des personnes qui sont tombées malades n'étaient pas vaccinéesNote de bas de page 4, avec seulement 14 % des cas entièrement vaccinés, et aucun des patients atteints de COVID-19 qui sont décédés n'a été entièrement vaccinéNote de bas de page 1. Le 28 juillet 2020, le gouvernement a rapporté qu'un total de 52 personnes ont été hospitalisées pendant cette vague; de ce groupe, 43 n'ont pas été vaccinés ou seulement partiellement vaccinés. Quatorze cas, dont 11 non-vaccinés, étaient dans un état critique et ont été évacués pour urgence médicale vers des centres plus vastesNote de bas de page 5. Dans le présent commentaire, nous présentons l'expérience au Yukon avec la pandémie de COVID-19 et soulignons les leçons tirées de sa dernière vague de COVID-19 en juin et juillet 2021.
Contexte
Le Yukon et le deuxième territoire de compétence le plus petit du Canada par population. Environ 75 % de la population vit à Whitehorse, la capitale du territoire, et le reste, dans 15 petites collectivitésNote de bas de page 3. Il y a trois hôpitaux. Whitehorse General, le plus grand, compte 56 lits, une gamme de services incluant une unité de soins intensifs à quatre lits, et accueille 32 000 visites aux urgences et 3 703 admissions par année. Deux hôpitaux communautaires à Watson Lake et Dawson City ont des services d'urgence et six unités de malades admis de six lits avec 112 et 80 admissions par année et 2 627 et 2 812 visites aux urgences par an, respectivementNote de bas de page 6. Cette capacité d'hospitalisation globale est historiquement adéquate pour la population; toutefois, l'évacuation médicale ou les déplacements pour raison médicale sont souvent requis pour les cas de grande acuité ou pour les cas nécessitant des soins spécialisésNote de bas de page 7. Cela fait que le Yukon est plus à risque pendant la pandémie de COVID-19, car une éclosion importante pourrait dépasser la capacité des services de santé. Si des cas surviennent également dans d'autres territoires de compétence, il pourrait être impossible d'évacuer les patients à des centres plus grands, comme Vancouver ou EdmontonNote de bas de page 8.
À la suite de la décentralisation en 2003, le gouvernement territorial du Yukon a assumé la responsabilité de la santé publique, de concert avec d'autres pouvoirs provinciaux, du gouvernement fédéral canadien. Onze des 14 Premières Nations du Yukon sont autonomes et peuvent s'acquitter de leurs responsabilités du gouvernement territorial, y compris certaines liées à la santé, après avoir adopté leur propre législationNote de bas de page 9. Dans le recensement de 2016, environ 23 % de la population a indiqué avoir une ascendance autochtoneNote de bas de page 10. L'économie du Yukon est largement fondée sur le gouvernement; le Yukon dépend fortement des transferts fédérauxNote de bas de page 11. L'exploitation minière, les services et le tourisme sont également des moteurs importants. En raison des exigences d'auto-isolement après le voyage, le tourisme a diminué de 25 % au premier trimestre de 2020 par rapport à 2019Note de bas de page 12. Le contexte démographique, économique et institutionnel unique du Yukon a influencé l'intervention en cas de pandémie.
Réponse à la pandémie
Le gouvernement du Yukon, grâce à son statut de « protoprovince »Note de bas de page 13, a dirigé l'intervention en cas de pandémie; le Conseil des Premières Nations du Yukon, qui représente les gouvernements des Premières Nations du Yukon, a également joué un rôle dans la coordination et la communication. Très tôt le gouvernement du Yukon a adopté des restrictions typiques en matière de santé publique, comme la restriction des rassemblements, la fermeture des bars et des services de soins personnels, et la suspension des services de soins de santé. Les premiers cas de COVID-19 au Yukon ont été annoncés le 22 mars 2020 (figure 1), après la mise en place des restrictions. Restriction des déplacements à l'extérieur du territoire au 22 mars 2020, nombre limité de cas d'importation au Yukon : un isolement de 14 jours était requis pour tous les voyageurs qui entraient dans le territoire. On a demandé aux Yukonnais de limiter leurs déplacements dans les collectivités rurales, et certains gouvernements des Premières Nations ont établi des points de contrôle dans leurs territoires traditionnels. Un arrêté ministériel visant à renforcer les contrôles aux frontières a été publié le 2 avril 2020 pour faire respecter les exigences d'isolement aux points d'entrée frontaliersNote de bas de page 14. Une « bulle » de voyage avec la Colombie-Britannique a été établie le 1er juillet 2020, permettant de voyager entre les deux territoires sans isolement; toutefois, la bulle a pris fin le 20 novembre 2020, après que les cas aient commencé à augmenter au YukonNote de bas de page 15. Ces restrictions de voyage ont effectivement empêché une éclosion majeure de COVID-19 au Yukon pendant la première année de la pandémie. Le port obligatoire du masque pour les Yukonnais de plus de cinq ans dans les lieux publics a été décrété le 1er décembre 2020 – l'une des dernières administrations canadiennes à imposer le port du masqueNote de bas de page 16 depuis que le Yukon avait connu un nombre aussi limité de cas de COVID-19 (figure 1).
Figure 1 : Calendrier des événements clés liés à la pandémie de COVID-19 au Yukon, Canada, du 1er mars 2020 au 31 juillet 2021
Description textuelle : Figure 1
Événement | Date |
---|---|
Premiers cas de COVID-19 au Yukon | 22/03/2020 |
Restrictions de voyage incluant l'auto-isolation de 14 jours, les limites de rassemblement, les fermetures des bars, la suspension des soins de santé non essentiels | 22/03/2020 |
Première déclaration de l'état d'urgence | 27/03/2020 |
Décret sur les mesures de contrôle aux frontières délivré | 02/04/2020 |
« Bulle » de voyage avec la Colombie-Britannique | 01/07/2020 |
Fin de la « bulle » de voyage avec la Colombie-Britannique | 20/11/2020 |
Port obligatoire du masque dans les espaces publics | 01/12/2020 |
Administration des premières doses de vaccin contre la COVID-19 | 04/01/2021 |
Ouverture des cliniques de vaccination pour les aînés | 18/01/2021 |
Tous les Yukonnais âgés de 18 ans et plus sont admissibles à la première dose | 01/03/2021 |
55 % de la population totale est entièrement vaccinée | 22/05/2021 |
L'auto-isolement des voyageurs entièrement vaccinés est levée | 25/05/2021 |
Les Yukonnais âgés de 12 à 17 ans sont admissibles à une première dose | 31/05/2021 |
Éclosion du variant Gamma déclarée | 13/06/2021 |
Restrictions des hôpitaux, des déplacements communautaires et des garderies | 25/06/2021 |
Aucun nouveau cas n'est déclaré | 28/07/2021 |
69 % de la population totale est entièrement vaccinée | 31/07/2021 |
Les premières doses du vaccin de Moderna contre la COVID-19 ont été administrées au Yukon le 4 janvier 2021, plus tôt que les provinces canadiennes en raison de la capacité hospitalière limitée du territoire. Des équipes de vaccination mobile ont été déployées dans des collectivités à l'extérieur de WhitehorseNote de bas de page 17. En date du 22 mai 2021, 55,22 % de la population totale était entièrement vaccinéeNote de bas de page 2. Les exigences d'auto-isolement ont été levées le 25 mai 2021 pour les voyageurs internes entièrement vaccinés ou pour les Yukonnais entièrement vaccinés qui retournent après un voyage intérieur (figure 1)Note de bas de page 18. Cette annonce a créé une incitation supplémentaire à la vaccination.
Peu après la levée des exigences d'auto-isolement pour les voyageurs, une éclosion du variant Gamma a été déclarée le 13 juin 2021 (figure 1)Note de bas de page 19. La transmission s'est produite lors des célébrations de fin d'études secondaires, dans les barsNote de bas de page 20, les garderies et au refuge d'urgence de Whitehorse; la transmission se faisait principalement chez des adultes, des jeunes et des enfants non vaccinésNote de bas de page 4. La saison de remise de diplôme a facilité la transmission de la maladie parce que les diplômés et les membres de la famille ont voyagé entre les collectivités et ont assisté à des célébrations informelles, non masquées et à des réunions plus vastes et organisées avec les mesures de COVID-19 en place. En fait, l'éclosion peut être liée à une seule personne infectée qui a participé à une grande fêteNote de bas de page 20. Le 15 juillet 2021, 240 des 414 cas ont été confirmés comme étant le variant GammaNote de bas de page 21.
Le médecin hygiéniste en chef du Yukon a encouragé les personnes qui ne sont pas encore vaccinées à prendre des rendez-vous et tous les Yukonnais à « rester à six » personnes pour des rassemblements, mais a abaissé les limites de rassemblement officielles à 10 à l'intérieur avec des masques et 20 à l'extérieurNote de bas de page 22. Parmi les autres mesures de santé publique, mentionnons l'annulation de certains événements de remise de diplômesNote de bas de page 23, encourager fortement les parents à garder les enfants à la maison loin des garderiesNote de bas de page 22 et l'augmentation des restrictions par la Régie des hôpitaux du YukonNote de bas de page 4. Des cas étaient présents dans la plupart des collectivités du Yukon. De nombreuses Premières Nations du Yukon ont demandé aux voyageurs de s'abstenir de voyager. Les équipes de recherche des contacts, de dépistage et de vaccination étaient à leur capacité; le premier ministre a demandé un soutien supplémentaire du gouvernement fédéralNote de bas de page 22. Le 28 juillet 2021, aucun nouveau cas n'a été signalé pour la première fois depuis le 5 juin 2021; au 31 juillet 2021, 68,63 % de la population totale était entièrement vaccinée (figure 1)Note de bas de page 2. Toutes les autres restrictions en matière de santé publique ont été levées le 4 août 2021, y compris l'exigence pour les voyageurs qui n'ont pas été vaccinés de s'isoler et de porter obligatoirement un masque à l'intérieurNote de bas de page 24; cette décision a fait l'objet de critiques publiques, notamment de la part du chef de la Première Nation Kwanlin DünNote de bas de page 25.
Leçons apprises
On peut tirer certains enseignements de l'expérience du Yukon avec la COVID-19. La première est l'importance d'atténuer les importations de cas au moyen d'exigences d'auto-isolement pour les voyageurs qui entrent dans une région. À titre d'exemple, des études de modélisation pour Terre-Neuve ont démontré que sans l'introduction d'une exigence d'auto-isolement pour les voyageurs, il y aurait eu 12,4 fois plus de cas de COVID-19 au cours des premières semaines de la pandémieNote de bas de page 26. La gestion des importations de cas est essentielle dans les petites administrations ayant une capacité d'hospitalisation limitée, comme le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Les régions éloignées peuvent également être en mesure de surveiller plus facilement les points d'entrée que les grands centres mieux connectés. Ce choix de politique signifie que l'industrie du tourisme a été touchée de façon disproportionnée par rapport à de nombreuses autres entreprises du Yukon, et elle ne sera pas durable à long terme dans ces conditions.
Une autre considération pour le Yukon, et d'autres territoires de compétence qui n'ont pas connu un grand nombre de cas de COVID-19 plus tôt dans la pandémie, était que l'adoption de plans de réouverture signifiait une augmentation des cas et donc des risques, comparativement aux secteurs qui ont rouvert en raison de la diminution du nombre de cas. Il y avait aussi la question du moment de la réouverture, qui a eu lieu peu de temps avant la cérémonie d'obtention des diplômes, alors qu'il y avait une augmentation des déplacements entre les collectivités du Yukon, a probablement contribué à la propagation rapide de l'épidémie.
Un point de vue central, d'importance à la fin de 2021, alors que d'autres administrations canadiennes rouvraient leurs portes, est que les taux élevés de vaccination et le port du masque obligatoire n'étaient pas suffisants pour prévenir les éclosions dans les populations non vaccinées, ce qui exerce une pression sur le système de santé local. Les étudiants du secondaire, qui font partie du groupe d'âge des 12 à 17 ans, n'étaient pas admissibles à la vaccination avant la réouvertureNote de bas de page 27, tandis que les enfants en garderie étaient trop jeunes pour être vaccinés, et certaines communautés avaient des taux de vaccinations plus faibles que d'autresNote de bas de page 28. Les décisions politiques fondées sur un pourcentage global de personnes vaccinées ignorent que les groupes non vaccinés, en raison de leur âge ou de leur mode de vie, ont tendance à interagir, ce qui facilite la propagation de la maladie.
Bien que les enfants ne souffrent généralement pas de conséquences graves secondaire à la COVID-19Note de bas de page 29, les garderies étaient des points chauds durant l'éclosion estivale au YukonNote de bas de page 22. Pour gérer l'éclosion, le médecin hygiéniste en chef a recommandé que les parents qui ne sont pas des travailleurs essentiels gardent leurs enfants à la maison si possible. Étant donné que les parents ont une capacité limitée de travailler sans avoir accès à des services de garde d'enfants fiables et que les femmes assument généralement une plus grande part du fardeau des responsabilités en matière de garde d'enfants, ce qui a été exacerbé par la pandémieNote de bas de page 30, cette recommandation a eu des conséquences économiques qui ont eu des répercussions disproportionnées sur les femmes. Actuellement, les enfants de moins de cinq ans ne sont pas admissibles à la vaccination et sont donc vulnérables aux variantes plus contagieuses du COVID-19.
Conclusion
On peut tirer une leçon de l'expérience du Yukon : les restrictions de déplacement dans la région éloignée ont permis d'atténuer efficacement l'importation de la maladie au début de la pandémie, mais une fois ces restrictions éliminées, le variant Gamma hautement contagieux a circulé dans les populations non vaccinées. Même avec un taux de vaccination élevé et le port du masque, des éclosions se sont produites qui ont surchargé la capacité de la santé publique et des soins de santé. Il s'agit d'une mise en garde pour d'autres administrations, car les mesures de santé publique sont éliminées et l'adoption des vaccins a plafonné. Le fardeau prolongé de la maladie COVID-19 au Yukon pourrait inclure des conséquences imprévues, comme un plus grand nombre de cas pédiatriques, la fermeture des garderies et des écoles et leurs répercussions connexes sur la santé économique et mentale, plus de difficultés pour les entreprises, et un système de santé surchargé. Ces répercussions sont également observées ailleurs au Canada au cours de la quatrième vague. Une vaccination généralisée dans tous les groupes d'âge et les communautés est nécessaire pour réduire la gravité des futures vagues de COVID-19.
Déclaration des auteurs
Tous les auteurs ont contribué à la conceptualisation, à la rédaction, ainsi qu'à l'examen et la révision de ce commentaire.
Le contenu et les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.
Intérêts concurrents
Aucun.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier R. Hulstein pour ses commentaires réfléchis sur un avant-projet.
Financement
Le soutien financier pour cette étude a été fourni par la subvention pour des activités universitaires de l'Université du Yukon.
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