Ce que le changement climatique nous réserve

RMTC

Volume 45-4, le 4 avril 2019 : Changement climatique et maladies infectieuses : Les défis

Éditorial

Changements climatiques et maladies infectieuses : À quoi pouvons-nous nous attendre?

NH Ogden1,2, P Gachon3

Affiliations

1 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Saint-Hyacinthe (Québec)

2 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Guelph (Ontario)

3 Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER), Université du Québec à Montréal, Montréal (Québec)

Correspondance

nicholas.ogden@canada.ca

Citation proposée

Ogden NH, Gachon P. Changements climatiques et maladies infectieuses : À quoi pouvons-nous nous attendre? Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(4):83–8. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i04a01f

Mots-clés : changement climatique, maladie chronique, maladie de Lyme, maladie transmise par des moustiques, maladie à transmission vectorielle, origine alimentaire, précipitation, température

Résumé

Les changements climatiques à l’échelle mondiale, causés par les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, ont une incidence particulière au Canada, où le réchauffement est en général plus élevé que dans le reste du monde. Le réchauffement continu sera accompagné de changements dans les précipitations, qui varieront selon les régions et les saisons, et d’une variabilité accrue du climat et de phénomènes météorologiques extrêmes. Les changements climatiques entraîneront probablement l’émergence de maladies infectieuses au Canada, qui se propageront vers le nord en provenance des États-Unis ou seront introduites par le transport maritime et aérien international. Des maladies endémiques au Canada pourraient aussi réapparaître.

Ce numéro spécial traite des principaux risques de maladies infectieuses associés aux changements climatiques. Il s’agit entre autres de l’émergence des maladies transmises par des tiques, outre la maladie de Lyme, de la possible introduction de maladies exotiques transmises par des moustiques, comme la malaria et la dengue, d’un plus grand nombre d’épidémies de maladies vectorielles endémiques au Canada, comme le virus du Nil occidental, et une incidence accrue des maladies transmises par des virus d’origine alimentaire. Le risque devrait être aggravé par le fait qu’une population vieillissante souffrant de maladies chroniques a une plus grande sensibilité aux maladies infectieuses. Cerner les risques de maladies émergentes afin d’évaluer notre vulnérabilité est un processus essentiel et constitue un point de départ pour établir où doivent porter les efforts en santé publique pour réduire la vulnérabilité et l’exposition de la population canadienne.

Introduction

Les articles contenus dans ce numéro du Relevé des maladies transmissibles au Canada présentent un aperçu de la façon dont les changements climatiques peuvent augmenter le nombre et l’étendue des maladies à transmission vectorielle et l’incidence des infections d’origine alimentaire au CanadaNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Cet éditorial résume les changements climatiques, récents et à venir, au Canada; la façon dont les changements climatiques pourraient influencer l’émergence et la réémergence de maladies infectieuses; et la façon dont, à la lumière de l’évolution démographique et de l’état de santé des Canadiens, ces changements pourraient influer sur les risques de maladies infectieuses.

Changements climatiques, récents et à venir, au Canada

Les tendances au réchauffement se sont accélérées à l’échelle mondiale, alors que la température annuelle de l’air dans le monde a augmenté de près de 1 °C de 1880 à 2017Note de bas de page 5. Les années 2015 à 2017 ont nettement été plus chaudes que toutes les années antérieuresNote de bas de page 6, et les trois dernières décennies l’ont été davantage que toutes les décenniesprécédentes depuis 1850Note de bas de page 7. Cette tendance varie géographiquement. Ainsi, le réchauffement des bassins arctiques et subarctiques, particulièrement dans le nord-est du Canada, est plus élevé et plus rapide, en raison de la diminution accélérée de la couverture de neige et de glace de merNote de bas de page 8Note de bas de page 9.

Depuis 1948, le taux de réchauffement au Canada dans son ensemble a été deux fois supérieur à la moyenne mondiale, et le taux de réchauffement dans le nord du Canada (nord du 60e parallèle nord) a été en gros au moins trois fois supérieur à la moyenne mondialeNote de bas de page 10. Dans le nord-est du Canada (nord du 60e parallèle nord et est du 110e méridien ouest), la température moyenne annuelle a augmenté de 0,75 à 1,2 °C par décennie au cours des trois dernières décennies, comparativement à environ 0,18 °C par décennie à l’échelle mondialeNote de bas de page 5. La température moyenne de l’air continuera d’augmenter en fonction de l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère découlant des activités humaines.

D’ici les années 2070, la température de la majorité du territoire canadien devrait être de 5 °C plus élevée que la température de la période de référence 1971 à 2000 (Figure 1a). Les changements prévus concernant les précipitations totales annuelles incluent de légères augmentations dans les provinces des Prairies et des augmentations plus élevées (principalement sous forme de pluie) dans le nord et l’est du Canada. Toutefois, les projections relatives aux précipitations sont moins fiables qu’elles ne le sont pour la température (Figure 1b).

Figure 1 : Changements prévus a) de la température annuelle moyenne (en °C) et b) des précipitations totales annuelles (en %) pour la période de 2071 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000

Figure 1a : Changements prévus de la température annuelle moyenne (en °C)

Figure 1b : Changements prévus des précipitations totales annuelles (en %) pour la période de 2071 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Changements prévus a) de la température annuelle moyenne (en °C) et b) des précipitations totales annuelles (en %) pour la période de 2071 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000

Figure 1a

Cette figure est une carte des températures (air à 2m) en Amérique du Nord qui montre l’augmentation prévue de la température annuelle moyenne (en °C) pour les années 2071–2100 comparativement à la période de référence (1971–2000). Cette augmentation est illustrée par des zones ombrées d’anomalies, sur une échelle de 1 à 10, au moyen d’un ensemble de modèles climatiques régionaux (MCR) selon le profil représentatif d’évolution de concentration (RCP) 8.5.

Figure 1b

Cette figure est une carte des précipitations en Amérique du Nord qui montre les changements prévus des précipitations annuelles moyennes totales (en  %) pour les années 2071–2100 comparativement à la période de référence (1971–2000). Ces changements sont illustrés par des zones ombrées d’anomalies, sur une échelle de 1 à 10, au moyen d’un ensemble de modèles climatiques régionaux (MCR) selon le profil représentatif d’évolution de concentration (RCP) 8.5.


Dans le futur, le réchauffement devrait être plus élevé dans le nord-est du Canada (une augmentation allant jusqu’à 8,65 °C d’ici les années 2070) (Figure 2), en raison de la diminution importante de la couverture de neige et de glace de mer d’ici la fin du 21e siècleNote de bas de page 13.

Figure 2 : Variations annuelles observées et prévues des températures moyennes quotidiennes dans le nord-est du Canada de 1948 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000 Figure 2 note a

Figure 2 : Variations annuelles observées et prévues des températures moyennes quotidiennes dans le nord-est du Canada de 1948 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000

Description textuelle : Figure 2

Figure 2 : Variations annuelles observées et prévues des températures moyennes quotidiennes dans le nord-est du Canada de 1948 à 2100 comparativement à la période de 1971 à 2000 Figure 2 note a

Cette figure est une combinaison d’observations (histogrammes) et de simulations (lignes) qui reflète les variations annuelles des températures moyennes dans le nord-est du Canada (territoires au nord du 60e parallèle nord et à l’est du 110e méridien ouest) de 1948 à 2100, comparativement aux températures durant la période de référence de 1971 à 2000.


Les changements de températures et de précipitations à long terme devraient être accompagnés d’une variabilité accrue des températures et de la pluie d’une année à l’autre ainsi que de phénomènes météorologiques extrêmes, y compris des vagues de chaleur et des pluies intenses augmentant les risques d’inondationsNote de bas de page 13. Une importante augmentation de l’intensité annuelle moyenne des précipitations par jour de pluie (jusqu’à 15 % d’ici les années 2070), mais avec une diminution du nombre de jours de pluie par année, est prévue dans le nord-est du Canada, où le réchauffement sera plus prononcé au cours du 21e siècle. Il est prévu que l’intensité des précipitations augmente considérablement au fil du temps en raison du taux de réchauffement, ce qui touchera aussi les régions du sud et de l’est du Canada.

La façon dont les changements climatiques peuvent influer sur l’émergence et la réémergence des maladies infectieuses

Au cours des dix dernières années, nous avons vu l’émergence et la réémergence de maladies infectieuses partout dans le monde, y compris la maladie à virus Ebola en Afrique, le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (CoV-SRMO) au Moyen-Orient, ainsi que la maladie à virus Zika, le chikungunya, la fièvre jaune et la dengue dans les Amériques. Ces maladies posent d’énormes défis en matière de santé publique.

Des maladies infectieuses apparaissent en raison de modifications de leur répartition géographique et par « émergence adaptative », un changement génétique touchant les microorganismes qui infectent des animaux (généralement des animaux sauvages) de telle sorte que ces microorganismes peuvent infecter les êtres humains et que la transmission devient peut-être possible entre les êtres humainsNote de bas de page 14 – en d’autres mots, il s’agit d’une adaptation génétique qui produit une nouvelle maladie zoonotique.

L’émergence d’une maladie a de multiples facteurs, qui sont entre autres associés aux changements environnements (y compris les changements climatiques), aux changements sociaux et démographiques (y compris la mondialisation), et aux modifications apportées aux politiques et aux systèmes de santé publiqueNote de bas de page 15. Les mêmes facteurs peuvent favoriser la réémergence de maladies endémiques (c.-à-d. l’augmentation d’une incidence ou une réapparition sous forme d’épidémies). Le climat et les changements climatiques peuvent avoir des effets directs sur l’émergence et la réémergence de maladies infectieuses en influant sur la survie des agents pathogènes, la survie et la reproduction des vecteurs arthropodes, la contamination de l’eau et, dans le cas des zoonoses, l’abondance d’hôtes réservoirs (c.-à-d. les animaux porteurs de microbes). Ces effets directs des changements climatiques sur l’écologie et la transmission aux êtres humains d’agents infectieux ont déjà fait l’objet d’évaluations à l’échelle nationaleNote de bas de page 16Note de bas de page 17 et mondialeNote de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20. Toutefois, les changements climatiques peuvent avoir des effets indirects sur l’émergence et la réémergence de maladies, en influant sur d’autres changements sociaux et environnementaux ainsi que sur les systèmes de santé publique.

Les répercussions des changements climatiques sur les écosystèmes, y compris les effets sur la biodiversité, peuvent modifier le risque d’une nouvelle maladie zoonotique transmise par un animal sauvageNote de bas de page 21Note de bas de page 22. De plus, les changements climatiques peuvent avoir un effet défavorable sur l’économie mondiale, particulièrement dans les pays à faible et moyen revenu. Que ce soit directement ou en augmentant la fréquence des conflits, un tel effet pourrait réduire la surveillance des maladies infectieuses et contribuer à élever la densité des agents infectieux dans les pays à l’extérieur de l’Amérique du Nord. Des effets défavorables sur l’économie des pays à faible et moyen revenu peuvent entraîner l’augmentation du nombre de réfugiés ou de migrants économiques et, ainsi, la propagation accrue de maladies infectieuses au CanadaNote de bas de page 23.

Les effets combinés de tous ces facteurs sont la source de trois importantes répercussions prévues des changements climatiques :

  • Les risques accrus de l’introduction et de la transmission endémique de maladies infectieuses « exotiques » (à la fois directement transmissible et à transmission vectorielle) en provenance de partout dans le monde (comme le syndrome respiratoire aigu sévère [SRAS])
  • La propagation du sud vers le nord de maladies actuellement endémiques aux États-Unis (comme l’anaplasmose)
  • La réémergence (c.-à-d. un changement dans les comportements et les aires de répartition favorisant les épidémies) de maladies infectieuses endémiques au Canada (comme les éclosions du virus du Nil occidental) (Figure 3)

Figure 3 : Un résumé de l’incidence des changements climatiques sur les risques de maladies infectieuses au Canada Figure 3 note a

Figure 3 : Un résumé de l’incidence des changements climatiques sur les risques de maladies infectieuses au Canada

Description textuelle : Figure 3

Figure 3 : Un résumé de l’incidence des changements climatiques sur les risques de maladies infectieuses au Canada Figure 3 note a

Cette figure est une illustration graphique qui résume les effets des changements climatiques sur les risques de maladies infectieuses au Canada. Les changements climatiques à long terme et la variabilité accrue du climat influeront sur les risques liés à différentes maladies infectieuses 

  • Le réchauffement et la variabilité du climat provoqueront des épidémies ou la réémergence de maladies endémiques;
  • Le réchauffement climatique au Canada et les changements climatiques à l’étranger favoriseront l’introduction d’agents pathogènes et de vecteurs exotiques;
  • Le réchauffement climatique en Amérique du Nord vers le pôle (vers le nord) entraînera la propagation de maladies à transmission vectorielle et de zoonoses.

Les changements à long terme dans les températures et les précipitations, la variabilité accrue du climat, et la fréquence plus élevée des phénomènes météorologiques extrêmes, décrits ci-dessus, influeront sur les différents risques de maladies infectieuses de manière particulièreNote de bas de page 24. De plus en plus, des études de modélisation sont élaborées pour aider à prévoir les effets des changements climatiques sur les maladies infectieuses, dans le but de nous permettre de mieux nous préparer à faire face à ces risques changeants.

Autres facteurs à considérer

Au Canada, l’évolution des tendances relatives aux maladies infectieuses associées aux changements climatiques doit aussi être prise en considération dans le contexte d’autres tendances relatives aux maladies associées aux changements démographiques et à la santé des Canadiens.

Puisque la population canadienne vieillit et est de plus en plus atteinte de maladies chroniques, il faudra examiner ensemble les risques de maladies infectieuses et les risques de maladies chroniquesNote de bas de page 25. Les risques de maladies infectieuses comportent deux aspects : la probabilité d’exposition et la sensibilité (c.-à-d. la gravité des conséquences de l’infection). La probabilité d’exposition dépend du nombre d’organismes infectieux ( « l’aléa »), c’est-à-dire les êtres humains infectés, les microorganismes, les vecteurs arthropodes et les hôtes réservoirs d’origine animale, dans notre environnement, et de la fréquence des contacts des êtres humains avec ces organismes. Les changements climatiques devraient favoriser leur augmentation. En même temps, la gravité des conséquences des maladies infectieuses sera probablement plus sévère dans des populations de plus en plus vieillissantes et souffrant de maladies chroniques. Cela semble le cas pour les maladies à transmission vectorielle, comme le virus du Nil occidentalNote de bas de page 26.

Conclusion

Le climat du Canada change. En raison de l’augmentation des températures ainsi que de la variabilité spatiale et temporelle des caractéristiques de précipitations, les risques liés à la maladie de Lyme et au virus du Nil occidental, déjà bien présents au Canada, augmenteront probablement, comme les risques de maladies transmises par d’autres tiques ou moustiques et de maladies d’origine alimentaire. Des renseignements plus détaillés sur les risques, actuels ou futurs, de maladies infectieuses causées par les changements climatiques sont présentés dans les articles de ce numéro. Le risque est probablement aggravé par le fait que le Canada compte une population âgée de plus en plus atteinte de maladies chroniques et chez qui les infections risquent d’être plus graves que chez les jeunes et les personnes en santé. L’identification de ces risques est une activité essentielle pour évaluer la vulnérabilité du pays, et constitue un point de départ pour reconnaître où les efforts en santé publique doivent porter pour réduire la vulnérabilité et l’exposition de la population canadienne.

Déclaration des auteurs

NHO et PG ont conçu et coécrit l’article, NHO ayant fourni les éléments relatifs à la santé publique et aux maladies infectieuses, et PG, l’information sur les changements climatiques.

Nicholas Ogden était le rédacteur invité de ce numéro du RMTC, mais il s’est récusé de toute décision rédactionelle concernant ce manuscrit. Les décisions ont été prises par la rédactrice en chef, Patricia Huston, M.D.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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