Immunisation et résistance aux antimicrobiens

RMTC

Volume 41S-5, le 19 novembre 2015 : Résistance aux antimicrobiens et innovation

Commentaire

L’immunisation comme outil pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens

Spika J1*, Rud EW1,2

Affiliations

1 Centre de l’immunisation et des maladies respiratoires infectieuses, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)

2 Université d’Ottawa, Faculté de médecine, Département de pathologie et médecine de laboratoire, Ottawa (Ontario)

Correspondance

john.spika@phac-aspc.gc.ca

DOI

https://doi.org/10.14745/ccdr.v41is5a02f

Résumé

Les programmes de vaccination et d'immunisation peuvent jouer un rôle clé dans la gestion du défi croissant que constitue la résistance aux antimicrobiens. Parmi les vaccins à priorité élevée en cours d'élaboration se trouvent plusieurs agents pathogènes liés à la résistance aux antibiotiques, dont les suivants : Clostridium difficile, Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, Mycobacterium tuberculosis et Neisseria gonorrhoeae. Il est prouvé que la vaccination peut réduire la prévalence de microbes résistants aux antimicrobiens, comme le montrent les vaccins contre le pneumocoque et l'Haemophilus influenzae de type b. Les recherches se poursuivent sur de nombreuses maladies évitables par la vaccination, dont plusieurs sont des pathogènes résistant aux antimicrobiens, notamment les vaccins antigrippaux universels et contre le VIH. Non seulement les vaccins préviennent les infections, mais ils préviennent aussi les surinfections opportunistes causées par des microbes résistant aux antimicrobiens — par exemple, la pneumonie bactérienne suivant des infections grippales. La diminution du besoin de traiter ces infections opportunistes empêcherait aussi l'évolution des microbes résistant aux antimicrobiens dans nos collectivités. Les vaccins ne sont toutefois pas une panacée. L'un des inconvénients de l'utilisation de vaccins pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens est la réticence face à la vaccination, laquelle mine les efforts visant l'immunité collective. Cette question fait toutefois de plus en plus l'objet de campagnes d'éducation sur la santé publique.

Introduction

Nous souviendrons-nous du XXIe siècle comme étant le début de l'ère postantibiotiques? D'année en année, notre liste d'antimicrobiens efficaces diminue tranquillement, étant donné que de plus en plus de microbes deviennent résistants dans les milieux humains et animaux. En même temps, un moins grand nombre d'antimicrobiens sont introduits sur le marché. Les microbes, de par leur nature, s'adaptent continuellement pour survivre aux traitements antimicrobiens que nous utilisons pour lutter contre eux, ce qui crée un niveau sans cesse croissant de résistance aux antimicrobiens.

Le taux d'infection à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline chez les patients hospitalisés au Canada a été neuf fois plus élevé entre 1995 et 2009 (0,4 et 3,8 par 10 000 jours-patients)Note de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3. À la suite d'efforts concertés, les taux ont lentement diminué mais, en 2014, ils se sont établis à 2,8 par 10 000 jours-patientsNote de bas de page 2. En 2012, 33 % des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline diagnostiquées chez les patients hospitalisés avaient été contractées dans la collectivité, comparativement à 17 % en 1995Note de bas de page 3. Dans les collectivités du Nord canadien, les taux d'infection à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline ont été plus élevés que partout ailleurs en Amérique du NordNote de bas de page 4.

Chaque année au Canada, plus de 18 000 patients hospitalisés contractent des infections résistantes aux antimicrobiens. Les taux d'incidence, quoique relativement peu élevés pour les infections aux entérocoques résistant à la vancomycine au Canada, ont légèrement augmenté entre 2009 et 2013 (0,31 et 0,52 par 10 000 jours-patients, respectivement)Note de bas de page 2. Les décès directement et indirectement liés à l'infection au Clostridium difficile (mortalité attribuable) ont à eux seuls triplé, passant de 1,5 % à 5,7 % entre 1997 et 2005, respectivementNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7. Les récents efforts ont permis de conserver ce taux relativement stable entre 2011 et 2014Note de bas de page 2.

La prévalence des microbes avec une résistance à plus d'un composé antimicrobien et notre manque général de nouveaux composés antimicrobiens sont des sujets de préoccupation croissante quant à la façon de gérer la résistance aux antimicrobiens à l'avenir. En tant qu'intervention immédiate, nous devons instamment trouver de nouveaux antimicrobiens, mais aussi tenir compte d'autres mesures de contrôle, comme l'utilisation de la vaccination pour développer une immunité collective contre les microbes qui ont développé une résistance aux antimicrobiens.

Le présent article a pour but de souligner le rôle que les programmes de vaccination et d'immunisation pourraient jouer dans la lutte contre les agents pathogènes résistant aux antimicrobiens.

À la défense des vaccins

Les vaccins sont sans aucun doute l'un des meilleurs investissements dans la santé. Les programmes d'immunisation ont énormément aidé à réduire le fardeau des maladies infectieuses, et ils sont responsables en grande partie des taux décroissants de morbidité et de mortalité à l'échelle mondiale. En décembre 2010, les experts mondiaux du domaine de la santé se sont engagés à faire des dix prochaines années une décennie de vaccins — à assurer la découverte, le développement et l'administration de vaccins pouvant sauver des vies à l'échelle mondiale, tout particulièrement dans les pays les plus pauvres. Des approches novatrices à l'égard des vaccins sont en cours d'élaboration et des priorités sont établies pour qu'elles portent notamment sur les menaces les plus importantes posées par la résistance aux antimicrobiens, et ce, grâce à l'élaboration d'un Plan d'action canadien pour la recherche, l'innovation et le développement en vaccinologieNote de bas de page 8 du plan d'action mondial sur les vaccins et de nombreux autres efforts internationauxNote de bas de page 9 visant à réduire l'incidence des maladies évitables par la vaccination.

Parmi les vaccins à priorité élevée faisant l'objet de recherche et en cours de développement se trouvent plusieurs agents pathogènes liés à la résistance aux antimicrobiens, dont les suivants : Clostridium difficile, Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, Mycobacterium tuberculosis, Neisseria gonorrhoeae, le VIH et la grippe.

Exemples de réussite

Il existe des preuves que la vaccination peut réduire la prévalence de microbes résistant aux antimicrobiens. En Afrique du Sud, un vaccin conjugué heptavalent contre le pneumocoque (PCV7) a été introduit en 2009 et remplacé par un vaccin conjugué contre le pneumocoque 13-valent (PCV13) en 2011. En 2012, il a été estimé que 81 % des enfants de 12 mois avaient reçu trois doses du vaccin. Avant la vaccination, 83 % des isolats de pneumococcies multirésistants étaient des sérotypes contenus dans le PCV7. Entre 2009 et 2012, chez les enfants de moins de 2 ans, le taux de pneumococcies invasives causées par des isolats résistants à la pénicilline ont diminué de 82 %, les isolats résistants à la ceftriaxone de 85 %, et les variantes multurésistantes de 84 %Note de bas de page 10. Les programmes de vaccination antipneumococcique à l'intention des enfants ont eu des répercussions supplémentaires sur les types capsulaires qui infectent les adultes, ce qui représente un éventail de répercussions plus grand que simplement chez les groupes d'âge ciblés.

Avant que le vaccin anti-Hib soit développé, jusqu'à 30 % des bactéries à Haemophilus influenzae de type b (Hib), qui étaient habituellement une cause commune de méningite chez les jeunes enfants, étaient devenues résistantes à l'amoxicilline, un antibiotique couramment utilisé. Depuis l'introduction des vaccins anti-Hib, le nombre d'infections à Haemophilus influenzae de type b causées par des bactéries sensibles et résistantes aux médicaments a diminué de plus de 96 % chez les nourrissons et les enfants.

Non seulement les vaccins aident à prévenir une infection ciblée, mais ils peuvent également prévenir les infections opportunistes connexes. L'effet de l'immunisation sur la morbidité et la mortalité associé aux infections opportunistes — dont bon nombre sont des microbes résistants aux antimicrobiens — a une incidence considérable sur la santé publique, notamment en prévenant les pneumonies bactériennes après les infections par le virus de la grippe. La diminution du besoin de traiter ces infections opportunistes a également un effet direct sur le développement d'autres microbes résistants aux antimicrobiens qui résistent à des médicaments multiples et un plus grand effet sur les microbes résistants aux antimicrobiens dans nos collectivités.

Nouveaux vaccins améliorés

Un vaccin prophylactique ou thérapeutique sûr et efficace contre le VIH pourrait considérablement changer la vie des personnes susceptibles de contracter ce virus, et alléger le fardeau économique associé aux infections au VIH partout dans le monde. De par leur nature, les microbes s'adaptent très facilement aux défis associés à leur survie, qu'il s'agisse d'éviter les réactions immunologiques de l'hôte ou de développer une résistance rapide aux antimicrobiens. L'histoire des vaccins anti-VIH et le développement de la résistance à des versions successives de nouveaux médicaments sont légendaires. Toutefois, l'utilisation de mélanges de médicaments et de schémas thérapeutiques adaptés aux personnes en question a aidé à allonger la durée de vie des personnes infectées depuis les jours sombres des années 1980 jusqu'à aujourd'hui. Cela étant dit, un traitement quotidien au moyen de médicaments constitue un schéma thérapeutique exigeant et non sans effets néfastes liés aux médicaments. Le non-respect de ce schéma thérapeutique peut entraîner une résistance aux médicaments. La recherche d'un vaccin anti-VIH qui est sûr et efficace a maintenant été explorée par d'excellents groupes de recherche depuis près de 30 ans, mais il n'existe toujours pas de vaccin hautement efficace. Par conséquent, pour certaines maladies infectieuses, les vaccins peuvent ne pas s'avérer la stratégie la plus efficace à court terme et ne devraient pas être considérés comme étant la solution unique en matière de résistance aux antimicrobiens.

En attendant qu'un vaccin universel contre la grippe soit développé, nous devons nous préparer chaque année pour une nouvelle saison de grippe, au moyen d'une nouvelle combinaison de vaccins A et B contre la grippe. Non seulement la cassure et la dérive génétiques constituent un problème perpétuel, mais peut se développer la résistance aux antiviraux utilisés pour traiter les infections grippales. Heureusement, la plupart des souches de virus A et B sont sensibles aux médicaments antiviraux inhibiteurs de la neuramidase, oseltamivir, zanamivir et peramivirNote de bas de page 11Note de bas de page 12. Toutefois, des infections sporadiques au H1N1 de 2009 résistantes à l'oseltamivir ont été décelées, y compris de rares cas de transmission limitéeNote de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17 mais l'incidence sur la santé publique a été limitée à ce jour. Durant la saison de 2013-2014, 98,2 % des virus de la grippe H1N1 de 2009 ayant fait l'objet d'un test de dépistage étaient sensibles à l'oseltamivir, et 100 % étaient sensibles au zanamivir. On peut s'attendre à des cas sporadiques d'infection au virus de la grippe H1N1 de 2009 résistant à l'oseltamivir. Une surveillance continue de la résistance à l'oseltamivir parmi les virus de la grippe est d'ailleurs essentielle pour la santé publique étant donné que l'oseltamivir est le médicament antiviral le plus largement utilisé. Des polythérapies peuvent être utilisées, mais de nouveaux antiviraux et d'autres méthodes visant à lutter contre la grippe sont nécessaires. Les programmes de vaccination saisonniers et en cas de pandémie peuvent prévenir les infections au virus de la grippe, réduisant de beaucoup la possibilité de développer une résistance aux antiviraux. Les vaccins actuels sont toutefois d'une efficacité variable, comme nous l'avons constaté durant la saison de la grippe de 2014-2015 au Canada. Beaucoup plus de recherche et de développement sont donc requis pour en améliorer l'efficacité, surtout chez les jeunes enfants et les aînés. L'utilisation de doses du vaccin plus élevées et l'ajout de nouveaux adjuvants aux vaccins existants peuvent augmenter l'efficacité, mais l'idéal serait le développement de vaccins contre la grippe universels qui protégeraient contre la dérive du virus et possiblement même contre les modifications qui surviennent avec le temps. Ces possibilités sont explorées par plusieurs entreprises et groupes de recherche à l'heure actuelle, mais ce virus demeure un défi pour la santé publique à l'échelle mondiale.

Défis

Ironiquement, dans les pays mêmes qui ont profité le plus des programmes d'immunisation nationaux, une faible minorité du public a perdu confiance à l'égard des vaccins. La prise de décision quant à l'acceptation du vaccin n'est pas motivée par des arguments scientifiques et économiques, mais par une série de facteurs psychologiques, socioculturels et politiques, lesquels doivent tous être compris et tenus en compte par les politiques et autres décideurs. La confiance du public à l'égard des vaccins est une question très complexe et l'amélioration de celle-ci dépend de la compréhension de la perception des vaccins et des risques associés à ces derniers, des expériences historiques, des appartenances religieuses ou politiques et du statut socioéconomique. Bien qu'il soit important de fournir des preuves scientifiques précises quant au rapport risque-avantage des vaccins, il n'est pas suffisant de traiter l'écart croissant entre les niveaux actuels de confiance du public relativement aux vaccins et les niveaux de confiance requis pour assurer une couverture vaccinale suffisante et soutenue et une immunité collective à long terme. La récente éclosion de rougeole en Amérique du Nord et en Europe touchant bon nombre de personnes non vaccinées par choix a mis en évidence le problème de la réticence face à la vaccination. D'autres recherches sur tous les aspects de la réticence face à la vaccination aideront à prendre des décisions éclairées en matière d'immunisation et relativement à son importance dans la lutte contre les maladies infectieuses, dont les microbes résistants aux antimicrobiens.

Conclusion

Les vaccins se sont avérés les meilleurs outils de santé publique dans notre lutte contre les répercussions des maladies infectieuses à l'échelle mondiale. Les vaccins ont joué un rôle important dans l'éradication de la variole et ont presque éliminé la poliomyélite et la rougeole. Les vaccins pourraient-ils avoir un effet similaire sur la santé publique relativement aux microbes résistants aux antimicrobiens? Le gouvernement, l'industrie, le milieu universitaire et les organismes non gouvernementaux partout dans le monde s'engagent de plus en plus dans la lutte contre les microbes résistants aux antimicrobiens. La recherche de nouveaux antibiotiques efficaces est essentielle dans cette lutte, mais d'autres traitements et approches préventives sont nécessaires pour prévenir la propagation des microbes résistant aux antimicrobiens. Il est possible que le développement de nouveaux vaccins améliorés soit essentiel dans notre lutte contre les microbes résistants aux antimicrobiens et pour maintenir et améliorer la santé publique à l'échelle mondiale. Cependant, les vaccins ne peuvent être efficaces que si les populations qu'ils visent à protéger acceptent d'être vaccinées dans les nombres requis pour créer une immunité collective. Il est essentiel, grâce à des campagnes d'éducation et d’autres stratégies, de traiter de la question de réticence face à la vaccination cette dernière, dans la lutte continue contre toutes les maladies évitables par la vaccination, y compris celles qui ont développé une résistance à notre armée d'antimicrobiens.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier Gina Charos, directrice, Division des programmes d'immunisation et de promotion, Centre de l'immunisation et des maladies respiratoires infectieuses, Agence de la santé publique du Canada, d'avoir revu le présent article et d'avoir fourni des commentaires.

Conflit d’intérêts

Aucun

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