Chikungunya dans les Caraïbes : 2013-2014

Volume 40-2, le 24 janvier 2014

Communications rapides

Éclosion de chikungunya dans les Caraïbes (2013-2014)

Deilgat M1*, Geduld J2, Drebot M3

Affiliations

1 Agence de la santé publique du Canada, Centre des maladies infectieuses d'origine alimentaire, environnementale et zoonotique, Ottawa, Ontario

2 Agence de la santé publique du Canada, Division santé-voyage et santé liée à la migration, Ottawa, Ontario

3 Agence de la santé publique du Canada, Zoonoses et pathogènes spéciaux, Laboratoire national de microbiologie, Winnipeg, Manitoba

Correspondance

michel.deilgat@phac-aspc.gc.ca

DOI

https://doi.org/10.14745/ccdr.v40i02a01f

Résumé

Contexte : En décembre 2013, la transmission locale du virus chikungunya par les moustiques a été confirmée pour la première fois dans plusieurs îles des Caraïbes.

Objectif : Décrire ce qui est connu à ce jour à propos de l'éclosion de chikungunya dans les Caraïbes, et déterminer ce qui est fait pour détecter et limiter cette infection.

Résultats : L'Organisation panaméricaine de la Santé (OPS)/Organisation mondiale de la Santé (OMS) a recommandé qu'une surveillance du chikungunya soit mise en place dans les pays dans lesquels il existe une surveillance de la dengue. Il est conseillé aux futurs voyageurs de prendre des mesures de protection personnelle pour éviter les piqûres de moustiques en vue de réduire le risque d'exposition. Les patients présentent généralement une fièvre et une arthralgie. S'il existe des antécédents de voyage, des tests sérologiques pour détecter toute infection au virus chikungunya et au virus de la dengue doivent être envisagés après avoir discuté avec les responsables de la santé publique locaux. Le traitement est un traitement de soutien. Aucune transmission au Canada n'est attendue.

Conclusion : Les cliniciens et les professionnels de la santé publique au Canada doivent rester vigilants à propos de cas sporadiques d'infection au virus chikungunya chez les patients se présentant avec une fièvre et une arthralgie après un séjour dans l'une des îles des Caraïbes touchées.

Introduction

La fièvre chikungunya est une maladie apparentée à la dengue causée par un virus transmis aux humains par les moustiques Aedes, principalement Aedes aegypti et Aedes albopictus. Le nom « chikungunya » provient de la langue makonde (Tanzanie et nord du Mozambique) et signifie « qui se recourbe », en référence aux arthralgies graves qui se manifestent avec l'infection. Le virus circule généralement en Afrique et dans certaines régions de l'Asie. Cependant, des cas sporadiques importés et des éclosions occasionnelles de la fièvre chikungunya ont eu lieu dans d'autres régions géographiques, comme en Italie en 2007Note de bas de page 1 et en France en 2010Note de bas de page 2 Note de bas de page 3. Précédemment, seuls les cas importés du virus chikungunya associés au voyage ou à une infection à l'étranger étaient signalés dans les Amériques. Récemment, il a été signalé dans les Caraïbes et, pour la première fois, la transmission locale a été vérifiée dans l'hémisphère occidental.

Description de l'événement

Le 6 décembre 2013, deux cas confirmés du virus chikungunya dans l'île des Caraïbes de Saint-Martin/Sint Maarten ont été signalés à l'Organisation panaméricaine de la Santé (OPS)/Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Ces cas ont été détectés dans la foulée d'une éclosion de la dengue, à la suite d'une enquête sur les cas pour lesquels le diagnostic de dengue avait été exclu. Les autorités sanitaires de Saint-Martin (partie française du nord) et de Sint Maarten (partie néerlandaise du sud) coopèrent étroitement pour répondre à cette éclosion.

En consultation avec l'OPS, un cas « suspect » de fièvre chikungunya lié au voyage est défini comme un patient présentant une apparition de fièvre aiguë supérieure à 38,5 °C (101,3 °F) ainsi que des arthralgies ou arthrites n'étant pas liées à d'autres problèmes médicaux et ayant visité des régions où la maladie est épidémique ou endémique dans les deux semaines précédant l'apparition des symptômesNote de bas de page 5.

Au 17 janvier 2014, 480 cas humains confirmés d'infection au virus chikungunya dans les Caraïbes avaient été signalés à l'OPS/OMS, tandis que plusieurs cas faisaient toujours l'objet d'une investigationNote de bas de page 6. Les cas indigènes de virus chikungunya ont été confirmés sur les îles de Saint-Martin/Sint Maarten, de la Martinique, Vierges britanniques, de la Guadeloupe et de Saint-Barthélemy; un cas supplémentaire lié à un voyage en Martinique, a été signalé en Guyane française et un cas en Dominique, lié à un voyage à Saint-Martin. Aux États-Unis, des résultats sont attendus à propos de deux cas suspects liés aux voyages (1 à Saint-Martin et 1 à Sainte-Lucie). À ce jour, aucun cas humain de virus chikungunya n'a été signalé chez les voyageurs canadiens revenant des Caraïbes. L'éclosion récente dans les îles des Caraïbes marque la première transmission indigène du virus chikungunya dans la Région des Amériques.

Investigations et réponse

En étroite collaboration avec l'OPS, les mesures mises en œuvre à ce jour par les autorités locales comprennent :

  • la surveillance épidémiologique, y compris la surveillance syndromique et la surveillance des cas graves;
  • les activités de lutte contre les vecteurs dans la région touchée seront rapidement étendues à l'ensemble de l'île, notamment à proximité des aéroports, des écoles, des garderies et des hôpitaux;
  • la communication et la mobilisation sociale : des renseignements sont fournis par les professionnels de la santé au public (à propos de la protection individuelle et de la manière d'éliminer les sites de croissance des larves) et aux voyageurs, par l'intermédiaire de messages précis diffusés dans les aéroports.

L'OPS/OMS recommande qu'une surveillance du virus chikungunya soit mise en place dans les pays où existe un système de surveillance de la dengue, en tenant compte des différences d'évolution clinique. Une surveillance doit être menée pour déterminer si le virus chikungunya peut avoir été introduit dans ces pays, pour assurer le suivi de ce virus en cas d'introduction et pour assurer le suivi de la maladie une fois qu'elle est établieNote de bas de page 4.

Évaluation

En 2012, les Canadiens ont effectué plus de 2,5 millions de visites dans les pays des CaraïbesNote de bas de page 7. Par conséquent, on peut s'attendre à des cas liés au voyage de virus chikungunya chez des personnes revenant des Caraïbes. Il existe un risque pour les voyageurs se rendant dans les îles des Caraïbes, et il faut conseiller à ces derniers d'utiliser des mesures de protection individuelle contre les piqûres de moustiques.

Au Canada, le risque actuel de transmission locale du virus chikungunya est faible, car les moustiques qui transmettent généralement ce virus aux humains ne sont pas présents au Canada.

Recommandations

Prévention

Il n'existe aucun vaccin et aucune médecine préventive contre le virus chikungunya. Par conséquent, des mesures de prévention, comme l'évitement des piqûres de moustiques et la lutte contre le moustique vecteur, doivent être mises en œuvre (tableau 1). Ces mesures de prévention sont semblables à celles utilisées contre d'autres maladies communément transmises par les moustiques, comme la dengue et le virus du Nil occidentalNote de bas de page 8.

Il faut conseiller aux voyageurs de communiquer avec leur professionnel de la santé s'ils présentent des symptômes de la grippe pendant leur voyage ou dans les 12 jours suivant leur retour au Canada.

Tableau 1 : Mesures de protection individuelle contre les piqûres de moustique Note de bas de page 8
Éviter les moustiques :
  • Diminuer l'exposition en évitant les périodes et les lieux où l'on sait que les moustiques sont actifs (p. ex. en restant à l'intérieur pendant les périodes de forte activité, en diminuant l'exposition dans des zones rurales ou d'autres milieux associés à des vecteurs précis).
Barrières physiques :
  • Installer des moustiquaires aux portes et aux fenêtres.
  • Porter des vêtements appropriés (p. ex. des vêtements pleine longueur, amples, de couleurs claires).
  • Utiliser des vêtements, des équipements et des moustiquaires imprégnés d'insecticide.
Insectifuges ou insecticides topiques :
  • Appliquer sur les surfaces exposées de la peau un insectifuge topique homologué au Canada.
  • Des insectifuges contenant du DEET (de 20 à 30 %) ou de l'icaridine (20 %) devraient être le premier choix pour les adultes.
  • Des insectifuges contenant de l'icaridine (20 %) devraient être le premier choix pour les enfants âgés de six mois à douze ans.
  • Dans le cas de déplacements à l'étranger vers des régions endémiques ou épidémiques, le risque de contracter des maladies associées aux arthropodes est supérieur au risque d'une réaction indésirable au DEET ou à l'icaridine. Dans ces situations et lorsque des vecteurs ne peuvent pas être écartés autrement (p. ex. en utilisant des moustiquaires imprégnées d'insecticide), l'application de DEET à une teneur maximale de 10 % ou d'icaridine à une teneur de 10 % devrait être envisagée pour les nourrissons de moins de six mois.
  • Ne pas utiliser de produits qui sont à la fois un insectifuge et écran solaire.
  • Il est préférable d'appliquer d'abord un écran solaire et, une fois qu'il a pénétré la peau, d'appliquer un insectifuge. Lorsque ce n'est pas possible, appliquer les deux produits, quitte à le faire en même temps.
  • Utiliser des vêtements, des équipements et des moustiquaires imprégnés d'insecticide. Les produits imprégnés d'insecticides qui repoussent et tuent les moustiques ne sont pas homologués en vue d'une utilisation par le public au Canada. Cependant, ces produits peuvent être achetés auprès de détaillants en ligne aux États-Unis ou auprès de cliniques de médecine de voyage au Canada avant le départ. Les produits homologués par l'Environmental Protection Agency des États-Unis sont préférables à ceux disponibles dans d'autres juridictions non canadiennes (c.-à-d. dans les pays de destination).

Détection précoce

Il est important d'obtenir un relevé des antécédents de voyage de toute personne présentant une fièvre et une arthralgie. En général, après une période d'incubation de 3 à 7 jours (fourchette de 1 à 12), on constate l'apparition soudaine d'une fièvre et d'une arthralgie accompagnée de symptômes constitutionnels comme des frissons, des maux de tête, des photophobies, des injections conjonctivales, des anorexies, des douleurs abdominales et des nausées. La polyarthrite migratrice touche principalement les petites articulations des mains, des poignets, des chevilles et des pieds, et touche moins les articulations plus importantes. Une éruption cutanée peut se produire plusieurs jours après l'apparition de la maladie; elle est habituellement à mettre en relation avec une défervescence. L'éruption cutanée est plus importante sur le tronc et les membres, et une desquamation peut durer de 1 à 7 jours. Une leucopénie et une thrombocytopénie légère peuvent également être constatées. Les complications neurologiques, cardiaques et hépatiques sont rares (tableau 2). Les patients plus âgés peuvent développer une raideur persistante, une arthralgie et des épanchements articulaires pendant plusieurs années, particulièrement les patients HLA-B27 positifs. Des symptômes inflammatoires chroniques des articulations ont été constatés, au maximum, chez 50 % des cas adultes, et après 2 ans dans le cas de certaines éclosionsNote de bas de page 4 Note de bas de page 5. Il s'agit généralement d'une maladie spontanément résolutive qui s'avère rarement mortelle.

Des études passées ont montré que la combinaison de fièvre et de polyarthralgie présentait la meilleure sensibilité et la meilleure spécificité (à 84 % et à 89 %, respectivement) et qu'elle était liée à une classification appropriée de 87 % des personnes présentant une infection au virus Chikungunya confirmée par un test sérologique.

Tableau 2 : Symptômes présentés de l'infection au virus chikungunya et diagnostic différentiel
Symptômes courants Symptômes rares Diagnostic différentiel

Apparition soudaine de fièvre

Polyarthralgie grave, touchant principalement les articulations distales

Maux de tête, douleurs dorsales, myalgie

Éruptions cutanées (50 % des cas)

Troubles neurologiques (méningo-encéphalite, encéphalopathie, convulsions, syndrome de Guillain-Barré, parésie, paralysie et neuropathie)

Troubles oculaires (névrite optique, iridocyclite, épisclérite, rétinite et uvéite)

Troubles dermatologiques (hyperpigmentation photosensible, ulcération intertrigineuse de type aphteuse et dermatose vésiculobulleuse)

Troubles rénaux (néphrite, insuffisance rénale aiguë)

Autres (dyscrasie sanguine, pneumonie, insuffisance respiratoire, hépatite, pancréatite, syndrome d'antidiurèse inappropriée et hypoadrénalisme) Note de bas de page 6

Cliniquement, les symptômes d'infection au virus chikungunya peuvent être impossibles à distinguer de ceux de la dengue.

Une co-infection au virus chikungunya et au virus de la dengue a été signalée.

Les autres maladies fébriles aiguës semblables au virus chikungunya comprennent : infection au virus O'Nyong-Nyong, infection au virus Sindbis, Leptospirose et arthrite post-infectieuse Note de bas de page 11 Note de bas de page 12.

Investigation

Les cas suspectés de virus chikungunya doivent faire l'objet de discussions avec les autorités de santé publique locales qui peuvent participer à la réalisation de tests par l'intermédiaire des laboratoires provinciaux ou territoriaux de santé publique. Le Laboratoire national de microbiologie (LNM) est aujourd'hui le seul laboratoire au Canada en mesure de mener des tests de dépistage du virus chikungunya. Il apportera son soutien aux provinces et aux territoires pour suivre les procédures de diagnostic permettant de documenter les infections au virus chikungunya. Le LNM peut également fournir une formation au personnel travaillant dans les laboratoires provinciaux de santé publique afin qu'ils soient en mesure de mener leurs propres tests de dépistage du virus chikungunya.

Les critères de test des laboratoires visant à détecter les cas incluent l'isolement du virus, la détection de l'ARN viral et la présence d'anticorps IgM ou IgG spécifiquement viraux ou d'anticorps neutralisants. On peut avoir recours à l'isolement du virus et à la RT-PCR pour détecter le virus ou l'ARN viral dans les échantillons de sang ou de sérum prélevés dans les 7 jours suivant l'apparition des symptômes. Les anticorps IgM sont détectables dans les échantillons de sérum prélevés dans les 5 à 7 jours suivant l'apparition des symptômes.

Le test de dépistage du virus chikungunya doit être envisagé chaque fois que des cas de dengue suspectés font l'objet de tests afin de confirmer ou d'infirmer la présence d'une maladie concomitante.

Traitement

Il n'existe aucun traitement précis ni aucun soin de soutien. L'apport en liquides, les analgésiques, les AINS ainsi que du repos sont recommandés lorsque les symptômes sont aigus. Les patients atteints de douleurs articulaires graves peuvent être traités avec des narcotiques ou des corticostéroïdes à court terme. La mortalité est rare et un rétablissement sans séquelle est attendu dans la plupart des cas. Parfois, l'arthralgie peut perdurer pendant plusieurs mois, voire pendant plus d'un an Note de bas de page 6 Note de bas de page 7.

Déclaration

Le virus chikungunya et la dengue ne sont pas des maladies à déclaration obligatoire au Canada, mais leur détection et leur signalement sont très utiles au suivi de leur portée. Il est recommandé que les cas de virus chikungunya diagnostiqués soient signalés aux autorités de santé publique locales, qui peuvent transmettre l'information aux autorités sanitaires provinciales/territoriales, lesquelles peuvent la transmettre à leur tour à l'échelle nationale. Enfin, l'Agence de la santé publique du Canada peut transmettre l'information à l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS)/Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Conclusion

Les cliniciens et les professionnels de la santé publique au Canada doivent rester vigilants à propos de cas sporadiques d'infection au virus chikungunya chez les patients se présentant avec une fièvre et une arthralgie après un séjour dans l'une des îles des Caraïbes touchées.

Conflit d'intérêts

Il n'y a aucun conflit d'intérêts à déclarer.

Financement

Aucun financement n'est concerné.

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