Recherche qualitative originale – Le rôle de la prescription d’aliments frais dans le contexte des services sociaux : une étude qualitative en Ontario (Canada)

Revue PSPMC

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Laura Jane Brubacher, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Matthew Little, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Abby Richter, Dt. P., M. Nutr. appl.Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4; Warren Dodd, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.6.03f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Creative Commons License

Attribution suggérée

Article de recherche par Brubacher LJ et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0

Rattachement des auteurs
Correspondance

Warren Dodd, Université de Waterloo, 200, avenue University Ouest, Waterloo (Ont.)  N2L 3G1; tél. : 519‑888‑4567 poste 46856; courriel : wdodd@uwaterloo.ca

Citation proposée

Brubacher LJ, Little M, Richter A, Dodd W. Le rôle de la prescription d’aliments frais dans le contexte des services sociaux : une étude qualitative en Ontario (Canada). Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(6):298-308. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.6.03f

Résumé

Introduction. Les programmes de prescription alimentaire, qui font partie du mouvement de la prescription sociale, sont une stratégie de lutte contre l’insécurité alimentaire et l’alimentation sous‑optimale dans les établissements de soins de santé. Ces programmes sont offerts conjointement à d’autres services sociaux, en particulier les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire, sans que les interactions entre ces programmes et les services préexistants aient été suffisamment évaluées. Cette étude, qui a été menée dans le cadre l’évaluation d’un programme de prescription alimentaire de 52 semaines intitulé Fresh Food Prescription (FFRx) (avril 2021 à octobre 2022), vise à déterminer la manière dont l’adhésion au programme a transformé l’attitude des participants envers les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire.

Méthodologie. Cette étude a été menée à Guelph (Ontario, Canada). Des entrevues individuelles (n = 23) et des entrevues de suivi (n = 10) ont été réalisées pour explorer les expériences des participants en lien avec le programme. Des données qualitatives ont été étudiées par thème au moyen d’une analyse comparative constante.

Résultats. Les participants ont décrit leur expérience du programme FFRx en relation avec les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire déjà en place. Le programme FFRx semble avoir accru leur revenu disponible pour les frais de subsistance, permis aux participants de consacrer leur revenu à d’autres besoins et réduit les sacrifices nécessaires pour répondre à leurs besoins de base. Ce programme a diminué la fréquence du recours aux autres programmes d’aide alimentaire. Certaines spécificités du programme FFRx (comme la livraison de nourriture) lui ont valu la préférence des participants par rapport aux autres mesures d’aide alimentaire.

Conclusion. À mesure que d’autres programmes de prescription alimentaire et de prescription sociale vont être mis au point, il est essentiel d’évaluer comment ces initiatives entrent en interaction avec les services déjà en place et comment elles renforcent et influencent les services sociaux en général.

Mots‑clés : prescription alimentaire, services sociaux, insécurité alimentaire, programmes d’aide alimentaire, recherche qualitative

Points saillants

  • Cette étude a permis d’explorer comment un programme de prescription alimentaire entre en interaction avec les services déjà en place.
  • Les participants ont fait part de leur expérience du programme dans le cadre du recours aux mesures de soutien fondées sur le revenu et aux programmes d’aide alimentaire.
  • Mesures de soutien fondées sur le revenu : le programme Fresh Food Prescription (FFRx) a permis aux participants d’optimiser leur revenu, de le consacrer à d’autres besoins et de réduire les sacrifices liés au manque de moyens financiers.
  • Programmes d’aide alimentaire : le programme FFRx a réduit la fréquence du recours aux autres programmes d’aide alimentaire et il s’est révélé le premier choix des participants du fait de sa conception (accessibilité, qualité des aliments, livraison).
  • À mesure que d’autres programmes de prescription alimentaire et de prescription sociale vont être développés, il faudra évaluer comment ces initiatives entrent en interaction avec les services sociaux en général et comment elles ont une influence sur ces services.

Introduction

Les programmes de prescription alimentaire, qui s’inscrivent dans le cadre plus général du mouvement de la prescription sociale, sont une stratégie fondée sur les interactions entre le patient et son soignant visant à réduire l’insécurité alimentaire et l’alimentation sous‑optimale dans les établissements de soins de santéNote de bas de page 1Note de bas de page 2. Les programmes de prescription alimentaire permettent aux fournisseurs de soins primaires d’identifier un grand nombre de patients admissibles et de leur prescrire des aliments sains qui sont subventionnés ou gratuits. Pour être admissibles aux programmes de prescription alimentaire, les patients doivent en général être en situation d’insécurité alimentaire et présenter une maladie chronique liée à l’alimentationNote de bas de page 3. Dans de nombreux cas, il est possible de se procurer des aliments sains avec une carte ou un bon échangeable contre divers produits alimentaires. De nombreux programmes de prescription alimentaire offrent des mesures de soutien complémentaires, comme l’accès à un diététiste ou un nutritionniste et un soutien au développement de la littératie alimentaireNote de bas de page 4. Des évaluations antérieures de programmes de prescription alimentaire ont révélé que la participation à ce type de programme est associée à une augmentation de la consommation de fruits et de légumes et à une diminution de l’insécurité alimentaireNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8.

Il est largement établi que le fait d’avoir un faible revenu est un déterminant important de l’insécurité alimentaire et que les bienfaits à long terme de ces programmes seront limités si on ne traite pas en amont le problème des revenus inadéquats des participantsNote de bas de page 9. Malgré ces critiques, les programmes de prescription alimentaire font l’objet d’un soutien public et politique croissant, qui stimule l’intérêt et l’enthousiasme à l’égard de la création de nouveaux programmes de ce type partout en Amérique du NordNote de bas de page 3. Dans de nombreuses collectivités, les programmes de prescription alimentaire constituent une nouvelle stratégie d’aide alimentaire qui s’inscrit dans le contexte général déjà en place d’une aide sociale qui englobe une variété de services sociaux, dont les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire. En raison des critères d’admissibilité associés à un grand nombre de programmes de prescription alimentaire, il est vraisemblable que les personnes qui y ont accès aient recours ou soient admissibles à un éventail d’autres services et programmes d’aide alimentaire et sociale dans leur collectivité.

Les évaluations antérieures des programmes de prescription alimentaire ont principalement porté sur les expériences des participants et sur les résultats associés aux programmes en soiNote de bas de page 4, peu d’entre elles ayant porté sur les interactions entre, d’une part, les programmes de prescription alimentaire et, d’autre part, les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire (qui, dans la plupart des cas, existaient avant les programmes de prescription alimentaire à l’étude). Plus spécifiquement, à la lumière des critiques dirigées contre les programmes de prescription alimentaire, il est important d’évaluer l’influence éventuelle (et ses caractéristiques) de la participation à un programme de prescription alimentaire sur les attitudes des participants envers les autres mesures de soutien fondées sur le revenu et programmes d’aide alimentaire et leur utilisation de ces dernières.

Cette étude a été menée dans le cadre d’une évaluation du programme de prescription alimentaire de 52 semaines intitulé Fresh Food Prescription (FFRx), qui a été offert à Guelph (Ontario, Canada). L’étude visait à déterminer comment l’adhésion à un programme de prescription alimentaire avait influencé les relations et les attitudes des participants ainsi que leur utilisation des mesures de soutien fondées sur le revenu et des programmes d’aide alimentaire. Nous avions pour objectif général de souligner comment l’adhésion à un nouveau programme de prescription alimentaire pouvait avoir une influence sur l’attitude des participants envers l’utilisation d’autres services sociaux. Les résultats de cette étude pourraient être pertinents pour d’autres initiatives de prescription, car il est important d’évaluer la croissance et le développement de ces initiatives dans le contexte plus général de l’aide sociale.

Méthodologie

Approbation par un comité d’éthique

Cette étude a été approuvée sur le plan de l’éthique par les comités d’éthique de l’Université de Waterloo (no de certificat : 44233), de l’Université de Guelph (no de certificat : 19‑06‑040) et de l’Université de Victoria (no de certificat : 21‑0060).

Contexte de l’étude

L’étude a été menée à Guelph (Ontario, Canada). Les données de 2017 et 2018 indiquent que 13,9 % des ménages de Guelph étaient en situation d’insécurité alimentaire, soit une proportion plus élevée que les moyennes à l’échelle provinciale (13,3 %) et nationale (12,7 %) durant la même périodeNote de bas de page 10. De nombreux programmes d’aide alimentaire existent à Guelph, en particulier une banque alimentaire, des services alimentaires communautaires et des organismes sans but lucratif offrant de l’aide alimentaire d’urgence (dont Hope House Guelph et l’Armée du salut)Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 13. Certains ménages en situation d’insécurité alimentaire sont admissibles à des programmes d’aide sociale provinciaux, dont le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) et L’Ontario au travail (OT)Note de bas de page 14Note de bas de page 15. Ces deux programmes versent tous les mois des prestations d’aide financière aux résidents de l’Ontario qui sont en manque d’argent. Le montant, qui est déterminé en fonction des conditions de vie (taille de la famille, besoins médicaux, etc.), comprend une allocation‑logement et de l’argent pour les besoins de base, dont la nourriture.

Cette étude relève de l’évaluation du programme de prescription alimentaire de 52 semaines Fresh Food Prescription (FFRx) mené en partenariat avec The SEED. The SEED est un programme d’accès à la nourriture offert par le Centre de santé communautaire (CSC) de Guelph pour réduire l’insécurité alimentaire et favoriser le changement dans les systèmes alimentaires dans le comté de Wellington. Les participants ont été dirigés vers le programme FFRx par leur fournisseur de soins du CSC puis ont fait l’objet d’une évaluation visant à déterminer leur admissibilité. Pour être admissibles, les participants devaient être considérés en situation d’insécurité alimentaire (selon une question filtre sur la sécurité alimentaire provenant du Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménagesNote de bas de page 16) et présenter au moins un problème de santé lié à l’alimentation.

Les participants recrutés dans le programme ont reçu une « ordonnance » alimentaire sous la forme d’un bon échangeable sur la boutique en ligne de The SEED. La valeur de chaque bon était déterminée en fonction de la taille du ménage (10 $ par personne – jusqu’à 50 $ – par semaine pendant 52 semaines). Les bons étaient échangeables contre des fruits et des légumes frais ainsi que d’autres produits d’épicerie (produits laitiers, denrées non périssables) offerts dans la boutique en ligne. La sélection d’aliments était sensiblement la même de semaine en semaine, même si certains produits spécialisés ont été ajoutés chaque semaine. Les participants avaient la possibilité de faire leur commande par téléphone en appelant le service à la clientèle de The SEED, ouvert pendant toute la durée du programme (des services d’interprétation étaient aussi offerts), ou en personne en se rendant au CSC de Guelph.

Le recrutement dans le programme a commencé en avril 2021. Les derniers participants ont terminé le programme de 52 semaines en octobre 2022. Au total, 62 personnes ont accepté de participer au programme FFRx durant la période à l’étude et 5 ont abandonné en cours de route (2 ont déménagé hors de la région, 1 a jugé qu’elle n’avait plus besoin d’aide alimentaire et 2 ont trouvé que le programme ne répondait pas à leurs besoins). Plus de 88 % de la valeur des bons a été réclamée par les 57 autres participants. Après octobre 2022, le programme a été interrompu brièvement, en attendant le déblocage de fonds additionnels en mars 2023. Durant la période couverte par le programme (2021‑2022), les défis d’approvisionnement alimentaire et les difficultés financières des participants ont été vécus sur fond de restrictions liées à la pandémie de COVID‑19, d’inflation rampante et de crise du logement de plus en plus grave.

Collecte de données

Entre juillet et septembre 2022, toutes les personnes ayant participé au programme jusqu’au bout (n = 57) ont été invitées à une entrevue individuelle semi‑structurée à l’approche de la fin du programme. Au total, 23 participants ont pu être recrutés pour cette étude de bilan, en personne ou par téléphone. Les causes de non‑participation comprenaient les contraintes de temps, le manque d’intérêt et la présence de besoins de santé mentale complexes. Pour des raisons de convivialité, la plupart des entrevues ont été réalisées par téléphone (n = 18), à l’exception de quelques entrevues menées en personne (n = 5). Ces entrevues ont principalement porté sur les expériences des participants en lien avec le programme FFRx.

En outre, des entrevues de suivi ont été menées entre mai et juillet 2023 avec certains participants susceptibles de fournir plus d’information (ceux ayant participé à la fois au programme FFRx et ayant eu recours à d’autres services sociaux et programmes d’aide alimentaire, n = 10). Ces participants ont été sélectionnés et recrutés par les personnes ayant réalisé les entrevues initiales, ces dernières étant les mieux placées pour savoir quels participants avaient eu accès à plusieurs services et programmes. Les entrevues de suivi se sont déroulées au CSC de Guelph, au domicile des participants ou par téléphone, selon la préférence et la convenance de chacun. Elles ont porté sur la manière dont les participants avaient utilisé le programme FFRx en combinaison avec d’autres services sociaux et programmes d’aide alimentaire, ainsi que sur la perception qu’ils avaient du programme de prescription alimentaire par comparaison avec les autres programmes (les guides d’entrevue sont disponibles sur demande auprès des auteurs).

Pour toutes les entrevues, les participants plus à l’aise dans une autre langue que l’anglais ont eu accès à un interprète. Pour compléter les données qualitatives, certaines données sur les caractéristiques sociodémographiques des participants et sur leur utilisation des services sociaux ont été extraites des questionnaires de référence utilisés dans le cadre de l’évaluation globale.

Les participants ont donné leur consentement verbal éclairé à participer aux entrevues. Toutes les entrevues ont été enregistrées et transcrites textuellement. À la fin des entrevues, les participants ont reçu une carte‑cadeau de 30 $CA utilisable sur la boutique en ligne de The SEED.

Analyse des données

Nous avons calculé des statistiques descriptives de base à partir des réponses au questionnaire afin de synthétiser les données sociodémographiques des participants aux entrevues et leur utilisation des services sociaux. Nous avons analysé les données qualitatives par thème au moyen d’une analyse comparative constanteNote de bas de page 17. Nous avons effectué un codage ouvert initial puis un codage inductif ligne par ligne. Les analyses ont porté à la fois sur les données transcrites provenant des entrevues initiales et sur celles des entrevues de suivi. Nous avons utilisé la version 1.7.1 du logiciel NVivo (QSR International, Burlington, Massachusetts, États‑Unis) pour récupérer et organiser les codes et les extraits codés. Ces codes ont été élargis, fusionnés, consolidés de manière itérative et inscrits dans un recueil synthétique de codes adapté aux donnéesNote de bas de page 18. Dans certains cas, les citations individuelles ont été associées à des répondants spécifiques qui ont été codés P01, P02, …, P23.

Résultats

Caractéristiques des participants

Les participants avaient entre 34 et 74 ans. Parmi ceux ayant fait l’objet d’une entrevue, 7 (30,4 %) bénéficiaient du POSPH (tableau 1). Un peu plus du tiers (39,3 %) avaient eu recours à la fois au POSPH et à d’autres programmes d’aide alimentaire (comme une banque alimentaire) dans la dernière année.

Tableau 1. Caractéristiques descriptives des participants aux entrevues (n = 23)
Caractéristiques Nbre (avec %), proportion ou moyenne (avec IC à 95 %)
Genre
Homme 7 (30,4)
Femme 16 (69,6)
Âge moyen au moment du recrutement (années) 53 (47,3 à 58,7)
Tranche d’âge au moment du recrutement (années)
20 à 39 5 (21,7)
40 à 59 10 (43,5)
60 et plus 8 (34,8)
Origine ethnique
Blanche 10 (43,5)
Noire 2 (8,7)
Originaire de l’Île de la Tortue 1 (4,3)
Asiatique (arabe, asiatique de l’Est, asiatique du Sud ou asiatique du Sud-Est) 7 (30,4)
Latino-américaine 1 (4,3)
A choisi de ne pas répondre 2 (8,7)
Taille moyenne du ménage (nbre de personnes) 3,7 (2,6 à 4,7)
Groupe de taille du ménage (nbre de personnes)
1 ou 2 9 (39,1)
3 ou 4 8 (34,8)
5 ou 6 3 (13,0)
7 ou plus 3 (13,0)
Groupe du revenu du ménage ($CA)
0 à 19 999 13 (56,5)
20 000 à 39 999 7 (30,4)
40 000 et plus 2 (8,7)
Ne sait pas/Préfère ne pas répondre 1 (4,3)
Reçoit des prestations du POSPH
Oui 7 (30,4)
Non 16 (69,6)
Principal lieu d’achat de nourriture
Épicerie 19 (82,6)
Marché fermier 0 (0)
Banque alimentaire 3 (13,0)
The SEED 1 (4,3)
Valeur moyenne des bons échangés (en $CA) 1 549 (1 187 à 1 912)
Proportion des bons échangés 93,8 %

Le programme Fresh Food Prescription et les mesures de soutien fondées sur le revenu

Augmentation des mesures de soutien fondées sur le revenu financées par le gouvernement : « Un peu de répit »

Dans un contexte de coût croissant de la nourriture et du logement, les participants ont affirmé que les mesures de soutien fondées sur le revenu financées par le gouvernement (par exemple OT ou POSPH) étaient généralement insuffisantes pour subvenir à leurs besoins (P03, P08, P09, P10, P12, P16, P17). Globalement, les participants ont estimé que le programme Fresh Food Prescription les avait aidés à couvrir leurs dépenses et qu’il avait apporté « un peu de répit » (P17). Comme l’a mentionné une participante : « Nous ne recevons pas beaucoup du POSPH […] FFRx me donne un peu plus d’argent. Je n’ai pas besoin de payer pour des légumes et des choses du genre, ce qui m’aide à me nourrir [moi et mes filles]. » (P03).

Un autre participant abondait dans le même sens : « [FFRx] a beaucoup aidé à réduire notre facture d’épicerie, spécialement avec la flambée des prix » (P13). De nombreux participants ont souligné qu’ils devaient prioriser certaines dépenses en disposant de l’aide financière du gouvernement. Dans la plupart des cas, les prestations reçues servaient avant tout à payer le loyer et les services de base, ce qui laissait un faible montant pour l’achat de nourriture : « [J’utilise le POSPH pour] mes factures, mon loyer et le reste. Donc, toutes les choses dont il faut s’occuper, [ensuite] j’achète de la nourriture avec ce qui reste » (P17). Deux autres participants ont aussi signalé que le programme FFRx leur avait permis de recevoir une aide financière accrue : « [FFRx a aidé] à étirer mon argent un peu plus […] J’ai été capable de tout payer » (P08) et « [Ça m’a aidé à] régler mes factures en souffrance et mes autres dettes » (P09). Comme l’a fait remarquer un des participants, le programme FFRx a été un « supplément » utile pour faire face aux dépenses imprévues (P16).

Deux participants ont souligné l’utilité du programme FFRx pour faciliter la planification des repas et des dépenses. En matière de planification des repas, un des participants a indiqué : « Je savais que je pouvais prendre ces 50 $ pour acheter plus de viande à l’épicerie et obtenir les légumes dont j’avais besoin à The SEED » (P08). Selon un autre participant, « [FFRx] vous aide à respecter vos objectifs avec votre argent. Et vous pouvez mieux planifier vos repas, sachant que vous aurez de l’argent pour ces aliments et que vous pourrez obtenir les bons nutriments aux bons moments » (P16). La plupart des participants ont souligné qu’ils avaient eu des difficultés financières durant la courte interruption du programme FFRx, à la fin de la période de financement, en grande partie parce qu’ils s’étaient habitués à planifier leurs dépenses différemment lorsqu’ils recevaient de la nourriture dans le cadre du programme FFRx.

Réorientation de l’aide financière du gouvernement : « J’économise cet argent pour autre chose dont j’ai besoin »

Des participants ont signalé que l’utilisation du programme FFRx pour se procurer des aliments sains leur avait permis de réorienter leurs revenus provenant d’autres sources (OT, POSPH). Pour un grand nombre de participants, ce revenu a été consacré à d’autres besoins : « L’argent que je devais dépenser à l’épicerie, il est dans mes poches. J’économise cet argent pour autre chose dont j’ai besoin. » (P19) Par exemple, en échangeant des bons du programme FFRx contre des produits frais, les participants étaient en mesure d’utiliser leurs autres revenus pour se procurer de la viande (P04, P08, P20) ou des chaussures et des vêtements (P16, P19, P20). Une des participantes utilisait le revenu libéré par le programme FFRx pour payer des frais médicaux, dont le transport scolaire de sa fille par Uber (cette dernière étant incapable de marcher à la suite d’une blessure grave), des médicaments et des fournitures médicales pour le diabète de son mari, qui n’avait plus d’assurance depuis la perte de son emploi (P20).

D’autres participants ont pu consacrer leurs revenus à des loisirs qu’ils n’auraient pas pu se permettre autrement, ce qui peut se révéler important pour d’autres dimensions du bien‑être :

J’ai un petit peu d’argent supplémentaire. Pas beaucoup, juste un tout petit extra. Nous pouvons passer du temps ensemble, peut‑être sortir au Tim Hortons ou à un endroit du genre. Nous ne pouvions pas faire ça auparavant, car le POSPH couvre le strict minimum (P03).

Une autre participante était émue de raconter que l’argent supplémentaire à sa disposition lui avait permis d’amener son fils à un centre de trampoline, « et je me suis sentie heureuse qu’il ait l’occasion d’y aller […] Il le mérite. Vous savez, il n’a pas eu grand‑chose en grandissant » (P17).

Réduction des compromis et des sacrifices : « Je limitais mes achats. Au moins, maintenant, je peux me permettre des choses. »

Les participants ont expliqué que, grâce aux économies rendues possibles par le programme FFRx, ils avaient eu moins de compromis et de sacrifices à faire qu’habituellement, ce qui était le cas même en ayant accès à d’autres programmes d’aide financière :

Je participe au POSPH. Ce programme m’aide à manger mieux et il est très utile, je peux acheter tous les fruits que je veux. Tout le reste [devient] cher. Je limitais mes achats. Au moins, maintenant, je peux me permettre des choses (P10).

Un participant a indiqué qu’avant le programme FFRx ou durant l’interruption de celui‑ci, « j’achetais [des aliments frais] pour mon fils, mais pas pour moi. J’avais les moyens pour une personne, mais pas deux » (P17). Un autre participant a ajouté : « Je sautais des repas ou je ne mangeais pas de fruits de la journée » (P10). Les réponses d’autres participants laissent penser que le programme a eu une influence sur leurs attentes à l’égard de la nourriture et sur les compromis à faire. Par exemple, en ce qui concerne l’interruption du programme FFRx, un des participants a déclaré :

Comme je n’avais pas accès à des légumes [avant le programme FFRx], je ne réalisais pas à quel point ils me manquaient. Quand j’ai dû en tenir compte dans mon budget de la semaine [pendant l’interruption du programme FFRx], je me suis dit : « Mon Dieu, je dois faire des choix » (P03).

Les entrevues avec certains participants ayant des enfants ont clairement montré que les attentes en matière de nourriture sont différentes de celles concernant les autres types de dépenses et qu’il est particulièrement difficile de jongler avec les besoins des enfants lorsque le budget est serré :

Les enfants ne comprennent pas les prix non plus, qu’ils puissent monter [ou] descendre. Ils ne veulent pas savoir [si] on peut se le permettre ou pas. En tant que parent, on doit répondre à leurs besoins, n’est‑ce pas? Ils commencent à crier : « Donne‑moi quelque chose à manger. » Et je pense qu’ils ont le droit de le demander. Mais c’est difficile… Sans vêtements, on peut se débrouiller. Si on ne [peut pas] aller en vacances, on peut leur dire : « Non, on n’en a pas les moyens. Sois patient. » Mais pour la nourriture, on ne peut pas dire : « C’est correct, continue d’avoir faim. Peut‑être qu’on pourra te donner quelque chose à manger demain » (P04).

De manière générale, dans le contexte des mesures d’aide financière du gouvernement, la prescription alimentaire a permis aux participants d’accroître leur revenu disponible pour leurs autres besoins de base, d’utiliser leur argent pour payer des biens nécessaires autres que le loyer et les factures pour des services de base et de réduire les compromis et les sacrifices qu’ils étaient habitués à faire à cause de l’insuffisance de l’aide financière du gouvernement et de la hausse du coût de la vie.

Le programme Fresh Food Prescription et les autres programmes d’aide alimentaire

Utilisation combinée de plusieurs programmes d’aide alimentaire : « Je les utilise en combinaison, mais je ne les utilise pas aussi souvent. »

Durant les entrevues, 13 personnes ont déclaré qu’elles n’avaient eu recours à aucun autre programme d’aide alimentaire en dehors du programme FFRx, que ce soit une banque alimentaire, des services alimentaires communautaires ou des programmes d’aide alimentaire offerts par des organismes sans but lucratif (2 personnes étaient inadmissibles en raison du revenu de leur ménage; 2 ne connaissaient pas les autres mesures de soutien; 2 avaient eu recours à ces mesures de soutien antérieurement mais avaient cessé de le faire et 7 connaissaient ces mesures de soutien mais n’y avaient jamais eu recours). Deux participants ont mentionné qu’ils avaient recours à une banque alimentaire à la même fréquence qu’avant leur participation au programme FFRx pour obtenir des produits alimentaires non offerts par le programme FFRx, comme des produits de garde-manger (P09, P20). Six participants ont indiqué que leur fréquence d’utilisation de ces autres programmes d’aide alimentaire avait changé depuis qu’ils s’étaient inscrits au programme FFRx et deux d’entre eux n’ont eu recours à aucune autre mesure de soutien depuis leur adhésion au programme FFRx (P18, P22).

Dans la plupart des cas, le programme FFRx n’a pas complètement remplacé les autres programmes d’aide alimentaire, mais il a changé la fréquence à laquelle ces derniers ont été utilisés et la priorité qui leur a été accordée (P03, P08, P10, P16). La banque alimentaire a été décrite comme un complément au programme FFRx : « Je les utilise en combinaison, mais je ne les utilise pas aussi souvent… [Les autres programmes] ne sont plus ma source principale, FFRx est ma source principale maintenant » (P16). Les banques alimentaires ont été utilisées « plutôt juste pour obtenir des produits supplémentaires » (P08). Un participant a indiqué : « J’allais [à la banque alimentaire] quelques fois par année. Mais depuis que ce programme a commencé, j’y suis allé peut‑être une ou deux fois. C’est tout. Pour des trucs supplémentaires » (P10).

Les autres participants ont utilisé les programmes d’aide alimentaire en combinaison avec le programme FFRx pour combler les lacunes de ce dernier. Par exemple, les autres mesures de soutien permettent d’obtenir des produits non accessibles par le programme FFRx, comme des produits d’hygiène et de la nourriture pour animaux (P08), de même qu’une variété plus grande d’aliments en conserve et de produits de garde‑manger (P03, P08, P09, P10). Comme un participant l’a expliqué, ils ont utilisé « une combinaison de tout ça [...] Chaque endroit offre des choses différentes » (P03). Un des participants a décrit concrètement comment il combinait les mesures de soutien :

D’abord, je vérifie avec [FFRx]. Je regarde ce que j’ai dans mon frigo. Je planifie en quelque sorte ce dont je vais avoir besoin […] puis j’y vais une semaine à la fois. S’il me manque quelque chose que je peux obtenir à la banque alimentaire, c’est là que je me rends. Comme la plupart des endroits, on peut y aller une fois par mois. J’échelonne mes visites de manière à ce qu’il y ait toujours suffisamment de nourriture à la maison pour tout le monde. Sans ces services, parfois, je ne pourrais pas le faire » (P03).

Pour les participants ayant eu recours à d’autres programmes d’aide alimentaire antérieurement, l’adhésion au programme FFRx a changé leur manière d’interagir avec ces services, entraînant généralement une réduction de l’utilisation de ces derniers. Un grand nombre de participants ont choisi d’utiliser principalement le programme FFRx, considérant les autres comme des compléments, tandis que quelques participants ont utilisé tous ces programmes de manière égale, en combinaison les uns avec les autres, pour répondre à divers besoins alimentaires.

Facilitation de l’accès aux fruits et aux légumes frais : « Ça me permet d’acheter des fruits. »

Les participants ont expliqué pourquoi le programme FFRx était généralement leur premier choix parmi la gamme des programmes d’aide alimentaire et comment il les avait poussés à utiliser différemment les autres services. Pour un grand nombre de participants, le programme FFRx a facilité l’accès à des produits frais qu’ils n’auraient pas pu se procurer autrement (P03, P04, P08, P09, P10, P12, P21). Comme l’a indiqué un des participants, « cela me permet d’acheter des fruits […] [Avant FFRx] je mangeais seulement de la malbouffe ou quelque chose de semblable. Des aliments transformés. C’est pourquoi [FFRx] a vraiment été utile et bien meilleur pour ma santé » (P21). De même, un participant recevant des prestations du POSPH a indiqué que : « Vous devez étirer votre budget, vous n’achèterez donc pas de légumes frais et d’autres choses du genre. Vous allez [acheter] les aliments les moins chers, qui ne sont pas bons pour votre santé » (P03). Le programme FFRx a donc permis aux participants d’accéder à des aliments plus sains.

Comparativement aux autres programmes d’aide alimentaire, le programme FFRx a été particulièrement apprécié d’un grand nombre de participants pour la qualité et la fraîcheur généralement supérieures des aliments auxquels il donnait accès (P01, P15, P16, P20). Par exemple, un participant a caractérisé les aliments de la banque alimentaire comme suit :

[La banque alimentaire fournit] plus de nourriture qu’il en faut pour passer le mois, et il y a beaucoup de choses congelées… La banque alimentaire distribue des aliments de base qui ont une longue durée de conservation pour éviter qu’on manque de nourriture. Mais FFRx offre tous les fruits et légumes (P17).

Deux participants atteints de problèmes de santé particuliers (troubles rénaux, problèmes de digestion) ont souligné la teneur élevée en sel et en sucre des aliments en boîte ou en conserve offerts en général par les autres programmes d’aide alimentaire et ont exprimé leur reconnaissance pour les produits frais du programme FFRx (P01, P20). D’autres ont signalé qu’ils avaient reçu des aliments périmés (P18, P20) ou de qualité inférieure (P03, P08, P09) de la banque alimentaire.

En outre, le programme FFRx a facilité l’accès physique à de la nourriture (par la livraison à domicile). Les participants ont jugé qu’il s’agissait d’un aspect pratique important qui permettrait de réduire le temps et l’argent alloués au transport (P03, P05, P08, P10, P15), particulièrement (comme l’a fait remarquer un participant) dans les secteurs sans épicerie proche (P15). Deux participants ont spécifiquement mentionné qu’ils ne conduisaient pas et que l’absence de transport était un obstacle important à l’accès aux autres programmes d’aide alimentaire (P10, P16). De plus, à la question sur les bienfaits financiers du programme FFRx, un participant a répondu ce qui suit :

Je savais qu’il y aurait de la nourriture là. Je n’avais pas à me rendre à différentes épiceries pour chercher des aubaines. Pas de perte de temps, pas de gaspillage d’énergie mentale, pas d’anxiété dans l’intervalle – « Qui offre des promotions et qui n’en offre pas? » – il y avait toujours de la nourriture… [Si] on ne peut pas prendre l’autobus ni se permettre un taxi, [la livraison] réduit beaucoup le stress (P17).

L’accessibilité par la livraison a eu des répercussions sur le bien‑être mental et physique. Par exemple, les participants atteints d’agoraphobie et d’autres problèmes de santé mentale complexes ont souligné les avantages de la livraison à domicile, particulièrement en comparaison avec les contextes sociaux déclencheurs pour eux de certains centres d’aide alimentaire (P09, P16). Les participants ayant des problèmes de santé physique complexes ont aussi mentionné les avantages considérables de la livraison (P08, P12, P20).

Enfin, les participants ont fait remarquer que le programme FFRx se distinguait des autres programmes d’aide alimentaire par son accessibilité (aucune preuve de revenu demandée). Certains participants ont expliqué qu’ils ne se croyaient pas admissibles aux banques alimentaires (P04, P17, P18) ou qu’ils étaient découragés par la nécessité de présenter une preuve de revenu (P10, P16). Selon un des participants: « Si vous avez faim, [un programme d’aide alimentaire] ne devrait pas pouvoir vous dire “non” » (P21).

Comme l’ont montré les participants, certains aspects dans la conception du programme FFRx (qualité de la nourriture, livraison) ainsi que l’offre de produits frais difficilement accessibles avec les mesures d’aide financière du gouvernement ont contribué à faire du programme FFRx leur premier choix dans le contexte général d’un recours à l’aide alimentaire.

Génération de dignité et d’attention : « Vous vous sentez traité comme une personne. »

Le programme FFRx a été perçu comme un programme d’aide alimentaire qui génère implicitement un sentiment de dignité par sa structure et par son fonctionnement. Les expériences des participants en matière de dignité relèvent en partie de la souplesse du programme et de la place accordée aux choix individuels (P10, P12). Les autres programmes ont été décrits comme ayant des options limitées qui « [sont] préparées d’avance pour votre famille » (P20) – qui font en sorte que « vous devez essentiellement prendre ce qui est disponible » (P03) ou « ce qu’ils ont sous la main » (P16) ou qu’« on vous donne simplement une boîte; vous n’avez pas votre mot à dire » (P08). Comme l’a exprimé un participant au sujet des autres programmes d’aide alimentaire et de ses décisions en matière d’utilisation des services : « Je ne trouve pas les choses dont j’ai besoin, je préfère donc simplement ne pas y aller » (P05).

La possibilité de choisir son panier alimentaire avec le programme FFRx a été décrite comme particulièrement importante par les participants nouvellement arrivés au Canada. En ce qui concerne les aliments en conserve offerts par les autres programmes, les participants ont indiqué : « Dans notre culture, nous les utilisons peu. C’est pourquoi je ne veux pas utiliser [ces programmes], je ne veux pas gaspiller la nourriture que je reçois » (P20). De même, au sujet des produits frais du programme FFRx, un participant a déclaré : « Je sais cuisiner. Je ne suis pas obligé de faire telle ou telle recette… Ça ne change pas les modes de cuisson et d’alimentation de ma culture » (P04). Le fait d’avoir ce type de choix a été un facteur important dans les décisions des personnes concernant l’utilisation des programmes d’aide alimentaire.

La livraison de nourriture, qui a aussi permis aux participants de ressentir de la dignité, a été soulignée comme un élément original du programme FFRx dans le contexte général des services : « Vous vous sentez traité comme une personne, car on fait l’effort supplémentaire de tout vous livrer, à votre porte […] Je trouve qu’avec le programme de The SEED, il y a tellement de dignité et d’estime de soi » (P15). Ces caractéristiques diffèrent de celles des autres programmes d’aide alimentaire, qui impliquent de se présenter dans un certain environnement physique ou social, ce qui suscite un malaise et est associé à des expériences négatives chez certains participants (P08, P09, P15).

Par ailleurs, le fait « que vous achetez vraiment [de la nourriture] » (P08; en échange d’un bon), « vous achetez quelque chose, vous ne vous sentez pas comme si on vous faisait un don » (P10) est une autre caractéristique fonctionnelle du programme FFRx qui a généré un sentiment de dignité absent des autres programmes d’aide alimentaire, dans lesquels la personne ne fait que recevoir. Enfin, il a été mentionné que le programme FFRx offrait de l’attention aux personnes venant chercher de la nourriture, particulièrement grâce à l’attitude bienveillante de ses employés envers les participants, qui ne se sont pas sentis jugés, et par les liens personnels établis entre les employés et les participants (P03, P16). Selon un des participants :

Le personnel est tellement gentil. Ils ne vous font pas sentir que vous êtes moins bons qu’eux. Et je pense que c’est pourquoi beaucoup de personnes ne demandent pas d’aide – elles craignent d’être jugées, mais [le personnel de FFRx] ne fait pas ça, et c’est ce qui vous met à l’aise d’utiliser leurs services (P03).

La prise de décision et le recours aux programmes d’aide alimentaire sont des processus plutôt complexes qui, comme nous venons de le voir, sont influencés par des expériences en lien avec le sentiment de dignité et les marques d’attention ressenties grâce à la conception du programme et à son personnel, ainsi que par la manière dont les participants ont l’impression être perçus par les autres dans le cadre d’un service ou d’une forme de soutien.

Dans l’ensemble, le fait de participer au programme FFRx n’a pas changé de façon explicite les attitudes des participants envers les autres programmes d’aide alimentaire ni la possibilité d’y recourir, mais il leur a permis de revisiter leur relation aux autres programmes (réduire la fréquence d’utilisation, prioriser certains produits alimentaires dans les autres programmes). Les attitudes des participants envers le programme FFRx ont été particulièrement positives en comparaison des autres programmes d’aide alimentaire, à l’exception de la mention de certaines difficultés liées à la viabilité à long terme du programme, de la durée de vie des fruits et des légumes dans certains cas et du souhait que le choix de produits augmente et ne se limite pas aux produits frais. Certains aspects de la conception et de la mise en œuvre (accessibilité, degré de choix des produits, livraison, qualité des interactions avec le personnel) ont fait du programme FFRx le plus apprécié chez les participants des entrevues au sein de l’ensemble des programmes d’aide alimentaire, ce qui a entraîné des changements dans leurs habitudes d’utilisation des autres services (figure 1).

Figure 1. Synthèse visuelle des résultats qualitatifs
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 : Texte descriptif

Contexte des programmes d'aide alimentaire

  • FFRx : facilite l’accès ((utilisation en combinaison, fréquence réduite) et (complément, pour combler des lacunes))
    • Accessibilité financière
    • Accessibilité physique (livraison)
    • Accessibilité sans preuve de revenu
  • FFRx : génère dignité et attention
    • Possibilité de faire des choix
    • Réalisation d’achats
    • Livraison (mesure supplémentaire)
    • Personnel attentionné, sans jugement

Contexte des mesures de soutien fondées sur le revenu

  • FFRx : optimise le revenu (OT ou POSPH)
    • « Un peu de répit »
    •  Supplément
    • Possibilité de planifier et de faire un budget
  • FFRx : réoriente le revenu (OT ou POSPH)
    • Vers d’autres besoins physiques
    • Vers d’autres activités de bien-être
  • FFRx : réduit les compromis
    • Moins de compromis en général
    • Moins de difficultés liées aux attentes

Abréviations : FFRx, Fresh Food Prescription; OT, Ontario au travail; POSPH, Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.
Remarque : Le programme Fresh Food Prescription (FFRx) s’inscrit dans le contexte plus général des services sociaux, aux côtés des programmes d’aide alimentaire et des mesures de soutien fondées sur le revenu. Le programme FFRx est utilisé en combinaison avec les autres programmes d’aide alimentaire et est perçu comme un service accessible et qui génère dignité et attention. Le programme FFRx augmente l’aide financière du gouvernement disponible pour couvrir les frais de subsistance, permet aux participants de réorienter leur revenu pour répondre à d’autres besoins et réduit les compromis et les sacrifices nécessaires qu’ils doivent faire pour répondre à leurs besoins de base.

Analyse

À la lumière de l’intérêt croissant que suscite la prescription sociale, et plus spécifiquement la prescription alimentaire, il est nécessaire d’évaluer en continu les programmes de ce secteur dans le contexte général des services sociaux. Peu d’études ont été menées à ce jour sur l’incidence de la prescription alimentaire dans cette perspective élargieNote de bas de page 19, une lacune que notre étude a visé à combler.

Nos résultats s’ajoutent aux données probantes de plus en plus nombreuses qui montrent que la prescription alimentaire peut faciliter l’accès aux fruits et aux légumes frais pour les personnes en situation d’insécurité financièreNote de bas de page 2Note de bas de page 7, favoriser l’autonomie en matière de choix alimentaires et générer un sentiment de dignité et d’attention, caractéristique absente des autres programmes d’aide alimentaireNote de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22. De nombreux participants à l’étude ont délaissé une forme de soutien qu’ils privilégiaient en faveur du programme FFRx et ont réduit leur utilisation des autres programmes d’aide alimentaire. La prescription alimentaire s’est révélée davantage qu’une nouvelle couche de soutien s’ajoutant aux autres : cette initiative a aussi influencé les décisions des participants concernant les autres services. Il importe de souligner que ces résultats montrent que le lancement d’un programme de prescription alimentaire est susceptible d’avoir une incidence sur le degré d’interaction d’une personne avec les autres mesures de soutien – c’est‑à‑dire que l’ajout d’un nouveau programme dans un ensemble complexe de mesures de soutien fondées sur le revenu et de programmes d’aide alimentaire peut amener les personnes à faire des choix qui modifieront leurs attitudes envers les services préexistants. Comme cela a déjà été expliquéNote de bas de page 23Note de bas de page 24, la prise de décision concernant l’utilisation des services sociaux est un processus complexe qui est influencé par les expériences et les attitudes de la personne en lien avec un service donné ainsi que par de nombreuses autres motivations, priorités et considérations.

Ces résultats ont aussi des répercussions à grande échelle sur la prescription sociale. Les nouvelles initiatives de prescription sociale ne sont pas mises en place isolément : elles font partie d’un ensemble complexe de services sociaux, qui comprennent les mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire. Il est donc nécessaire d’évaluer l’incidence de ces nouvelles initiatives sur les personnes qui en bénéficient, du point de vue des décisions, des comportements et des attitudes envers les autres services et mesures de soutien ainsi que sur le contexte général des services sociaux.

Une des principales critiques dirigées contre les programmes de prescription alimentaire est le fait qu’ils ne s’attaquent pas à la racine fondamentale de l’insécurité alimentaire – l’insécurité financière. Selon cette critique, il serait pertinent de réorienter les ressources vers le soutien du revenu, un salaire minimal et des changements plus vastes au niveau des systèmesNote de bas de page 9Note de bas de page 25. Nous ajoutons à ce discours des données indiquant que les avantages de ces programmes ne sont pas exclusivement financiers et qu’ils comprennent notamment l’économie de temps rendue possible par le programme FFRx de même que la dignité et l’attention générées dans la prestation du soutien. Ces résultats, qui sont liés à la conception du programme, mettent en évidence l’opportunité d’évaluer de manière critique comment les programmes d’aide alimentaire à venir peuvent offrir des avantages non financiers aux participants. Cet exercice peut aussi nuancer le débat « argent ou nourriture » vivace dans le secteur de la prescription alimentaireNote de bas de page 26 en faisant ressortir les avantages les moins évidents de ces programmes, qui influencent pourtant l’utilisation qui en est faite de même que les expériences avec les autres services et mesures de soutien.

De plus, en ce qui concerne la sécurité du revenu, les participants au programme FFRx ont déclaré qu’ils avaient pu consacrer une part accrue de leur revenu à des dépenses comme le loyer et les services de base, réorienter leurs revenus vers des produits de première nécessité comme des vêtements et des médicaments non assurés et mieux subvenir à leurs besoins de base sans avoir à faire de compromis difficiles ou de sacrifices. Les résultats sont en cohérence avec ceux d’autres initiatives de prescription alimentaireNote de bas de page 7Note de bas de page 23 et ils indiquent que les programmes de prescription alimentaire ont le potentiel d’accroître la marge de manœuvre du budget discrétionnaire des ménagesNote de bas de page 27Note de bas de page 28.

Ainsi, bien que le programme FFRx ne s’attaque pas spécifiquement aux déterminants sous‑jacents de l’insécurité alimentaireNote de bas de page 9, le fait d’y participer s’est traduit par un éventail de bienfaits pour le soutien du revenu et pour la sécurité financière. D’autres recherches sont nécessaires pour explorer les répercussions à long terme de la participation à un programme d’aide alimentaire sur la sécurité financière et sur les interactions des personnes avec les autres mesures de soutien et les services fondés sur le revenu. En outre, des recherches sont nécessaires pour évaluer la rentabilité des programmes de prescription alimentaire, compte tenu des coûts administratifs associés au degré de soutien élevé requis (livraison de nourriture dans le cas du programme FFRx, dotation en personnel, temps consacré par les fournisseurs de soins de santé [« prescripteurs »], etc.)Note de bas de page 26. Un examen récent a révélé que peu de programmes d’aide alimentaire offraient la livraisonNote de bas de page 2. Des recherches sont nécessaires pour évaluer les répercussions de la livraison sur la viabilité des programmes, tout en tenant compte de la valeur importante de cette caractéristique aux yeux des participants, ce que nos résultats ont souligné.

Points forts et limites

Cette étude offre une analyse approfondie des expériences des participants aux programmes de prescription d’aliments frais. Elle se limite toutefois au point de vue des participants à un seul programme de prescription alimentaire en Ontario (Canada) qui avaient accès en parallèle à un certain nombre d’autres mesures de soutien fondées sur le revenu et programmes d’aide alimentaire. D’autres évaluations tenant compte des interactions entre les divers programmes de prescription alimentaire et dans le contexte général des services sociaux sont nécessaires. En effet, le programme FFRx est un projet pilote d’intervention dans ce contexte général et il a été conçu pour s’ajouter au nombre croissant d’initiatives destinées à lutter contre l’insécurité alimentaire par différents moyens.

Par ailleurs, il existe une possibilité de biais de sélection dans l’étude. Il est possible que les participants les plus disposés à participer aient été ceux qui avaient eu le plus utilisé le programme FFRx et que, par conséquent, ils aient été particulièrement enclins à en parler positivement. De plus, la majorité des participants de l’étude étaient des femmes (n = 16; 69,6 %). Bien que cela puisse traduire dans une certaine mesure le rôle traditionnellement occupé par les femmes dans l’approvisionnement en nourriture, cette forte proportion de femmes dans notre étude a limité l’éventail des perspectives que nous aurions obtenu avec davantage d’hommes et des personnes de diverses identités de genre. Il est possible que le genre influence les décisions prises concernant les services à utiliser, ou la manière de les combiner, ainsi que la connaissance des programmes de prescription alimentaire par rapport aux autres services et mesures de soutien. Le fait de s’identifier comme faisant partie d’un groupe racisé peut aussi avoir une incidence sur le processus décisionnel, sur les connaissances concernant l’utilisation des services et sur les expériences liées aux programmes de prescription alimentaire, or cette dimension n’a pas été explorée à proprement parler dans notre étude. Cette dimension devrait faire l’objet de recherches futures, capables d’élargir la portée des évaluations actuelles en matière de prescription alimentaire.

Conclusion

Cette étude aide à comprendre comment l’adhésion à un programme de prescription alimentaire (FFRx) a transformé les attitudes des participants envers les autres mesures de soutien fondées sur le revenu et les programmes d’aide alimentaire. Le programme FFRx a permis aux participants qui avaient recours à des mesures de soutien fondées sur le revenu de mieux couvrir leurs frais de subsistance, de se procurer d’autres produits de première nécessité et de réduire le nombre de sacrifices faits par manque de moyens financiers. L’utilisation du programme FFRx a changé la fréquence à laquelle les participants ont eu recours aux autres programmes d’aide alimentaire, car la prescription alimentaire est devenue leur stratégie de choix en raison de la conception du programme et de la dignité générée grâce au soutien reçu. Les résultats généraux de cette étude pourraient être utiles pour d’autres initiatives de prescription sociale, car ils font ressortir la valeur de certaines caractéristiques du programme (livraison, qualité des produits, adaptabilité, sélection) et la nécessité de prendre en compte le contexte général des services sociaux et les interactions entre ces services dans l’évaluation des nouvelles initiatives de prescription sociale.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les participants au programme FFRx, qui ont généreusement fait part de leurs points de vue et de leurs expériences en lien avec le programme pour les besoins de la présente étude. Le projet de recherche sur le programme FFRx a été financé par la Fondation Sprott, la Fondation McConnell, la coopérative Kindred Credit Union, le Fonds communautaire de la ville de Guelph, MAZON Canada, une subvention du programme « Accélération » de Mitacs (no IT26188) et une subvention de planification et de dissémination des Instituts de recherche en santé du Canada (no 478709). Laura Jane Brubacher est titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale en sciences sociales et humaines du Conseil national de recherches Canada. Matthew Little est titulaire d’une bourse de chercheur de la Fondation Michael Smith pour la recherche en santé.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteurs et avis

  • LJB : conception, méthodologie, analyse formelle, rédaction de la première version du manuscrit.
  • ML : conception, acquisition de fonds, relectures et révisions.
  • AR : conception, acquisition de fonds, administration du projet, relectures et révisions.
  • WD : conception, acquisition de fonds, relectures et révisions.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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