Recherche qualitative originale – Expérience en matière de santé mentale des militaires et des membres du personnel de la sécurité publique qui entreprennent un traitement : étude qualitative de leurs préoccupations, liées ou non à des traumatismes
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : juin 2022
ISSN: 2368-7398
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Bethany Easterbrook, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Andrea Brown, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3; Heather Millman, M.A.Note de rattachement des auteurs 2; Sherry Van Blyderveen, Ph. D., C. PsychNote de rattachement des auteurs 1; Ruth Lanius, M.D., Ph. D., FRCPCNote de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 4; Alex Heber, M.D., FRCPC, CCPENote de rattachement des auteurs 5; Margaret McKinnonNote de rattachement des auteurs *, Ph. D., C. PsychNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 6; Charlene O’ConnorNote de rattachement des auteurs *, M.A., M. Sc.Note de rattachement des auteurs 3
https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.6.03f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement des auteures
Correspondance
Margaret McKinnon, Psychiatrie et neurosciences comportementales, St. Joseph’s Healthcare Hamilton, West 5th Campus, bureau B352, 100 West 5th Street, Hamilton (Ontario) L9C 0E3; tél. : 905-522-1155, poste 36645; courriel : mckinno@mcmaster.ca
Citation proposée
Easterbrook B, Brown A, Millman H, Van Blyderveen S, Lanius R, Heber A, McKinnon M, O’Connor C. Expérience en matière de santé mentale des militaires et des membres du personnel de la sécurité publique qui entreprennent un traitement : étude qualitative de leurs préoccupations, liées ou non à des traumatismes. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(6):285-294. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.6.03f
Résumé
Introduction. Les ambulanciers paramédicaux, les pompiers, les policiers et autres membres du personnel de la sécurité publique (PSP) ainsi que les membres des Forces armées canadiennes (FAC) sont fréquemment exposés à des facteurs de stress et à des environnements de travail exigeants. Même si leurs tâches professionnelles varient, il existe un point commun entre ces métiers : la forte probabilité d’une exposition répétée à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique en cours de carrière. En partie à cause de ces expositions répétées, les membres des FAC et du PSP courent un risque accru de problèmes de santé mentale, notamment de trouble de stress post-traumatique. Cette étude visait à obtenir une meilleure compréhension des expériences, qu’elles soient liées à des traumatismes ou non, qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur les problèmes de santé mentale ainsi que sur le traitement et le rétablissement subséquents de membres actifs ou retraités des FAC et des services de sécurité publique.
Méthodologie. Le recrutement des participants s’est fait parmi les patients séjournant dans un hôpital privé offrant des services sur place de traitement en santé mentale et dépendances. Nous avons mené des séances de discussion semi-dirigées en groupe, qui ont été enregistrées sur bande sonore puis transcrites. Une analyse phénoménologique interprétative et une analyse thématique ont permis d’établir un schéma de codage à partir duquel nous avons identifié les concepts et les associations qui ressortaient des données.
Résultats. L’analyse a mis en évidence quatre grands thèmes : relations interpersonnelles, identité personnelle, répercussions sur la santé mentale et blessure morale potentielle. Plusieurs sous-thèmes se sont dégagés, en particulier les dynamiques familiales, l’incapacité à faire confiance, des sentiments de trahison professionnelle ou personnelle, la stigmatisation dans la culture des FAC/du PSP, le renforcement des émotions négatives envers soi ou les autres et l’importance accordée à la camaraderie entre collègues.
Conclusion. L’information recueillie est essentielle pour comprendre les points de vue du PSP et des militaires, car leurs métiers comportent des facteurs de stress spécifiques qui entraînent l’exposition à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique.
Mots-clés : trouble de stress post-traumatique, militaires, premiers intervenants, événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique
Points saillants
- Les policiers, les ambulanciers paramédicaux et d’autres membres du personnel de la sécurité publique (PSP) ainsi que les membres des Forces armées canadiennes (FAC) sont plus souvent témoins d’événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique et connaissent des taux élevés de troubles de santé mentale par rapport à la population générale.
- Au cours de leur séjour en établissement pour traitement, les participants à l’étude ont décrit les répercussions de leurs expériences en tant que militaires ou membres du PSP sur leurs relations et sur leur santé mentale. Ces sujets ont été abordés au cours de séances de discussion semi-dirigées en groupe.
- Les relations avec la famille et les amis, l’identité personnelle, les répercussions sur la santé mentale et des blessures morales potentielles ont une influence sur leur perception d’eux-mêmes, sur l’évaluation de leur rôle dans la société et sur leur sentiment d’appartenance à la société.
- Il serait avantageux d’offrir des programmes de santé mentale destinés spécialement aux membres actifs ou retraités des forces armées et des services de sécurité publique, en raison de facteurs de stress spécifiques liés à ces professions.
Introduction
Le personnel de la sécurité publique (PSP), en particulier les policiers, les pompiers, les agents correctionnels, les répartiteurs et les ambulanciers paramédicauxNote de bas de page 1, tout comme les membres des forces armées, sont plus fortement exposés à des événements potentiellement traumatisants sur le plan psychologique (EPTP) et connaissent des taux élevés de troubles de santé mentale par rapport à la population générale. Lors de l’Enquête de suivi de 2018 sur la santé mentale auprès des membres des Forces armées canadiennes (FAC) et des ex-militaires, 44 % des personnes interrogées ont dit avoir éprouvé des symptômes correspondant à de l’anxiété ou à une dépression à un moment donné entre 2002 et 2018. De plus, 25 % des répondants ont dit avoir présenté des symptômes correspondant à ces deux étatsNote de bas de page 2. La fréquence du trouble de stress post-traumatique (TSPT) au cours de l’année écoulée chez les membres des FAC a également augmenté, passant de 2,8 % en 2002 à 5,3 % en 2013. En 2016, 16,4 % des vétérans de la Force régulière libérés entre 1998 et 2015 ont déclaré avoir reçu un diagnostic de TSPTNote de bas de page 3.
Le PSP affiche aussi des taux élevés de troubles de santé mentale comparativement à la population générale. Une enquête nationale menée récemment auprès de 6 000 membres du PSP canadien a révélé que 44,5 % des participants présentaient des ensembles de symptômes correspondant à un ou plusieurs troubles de santé mentaleNote de bas de page 4. La proportion de dépistages positifs chez les membres actifs et les membres retraités des forces armées et des services de sécurité publique (~ 44 %) dépasse nettement la prévalence des troubles de santé mentale diagnostiqués au sein de la population générale canadienne (~ 10 %)Note de bas de page 5. Si les exigences propres à chaque carrière diffèrent grandement, il existe des points communs entre les professions militaires et celles de la sécurité publique, notamment un risque accru d’exposition répétée à des expériences traumatiques au travailNote de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8 et un risque élevé de problèmes de santé mentale, en particulier l’alcoolisme, la dépression, le TSPT et des blessures morales potentiellesNote de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11. On entend par blessure morale la détresse psychologique ou les troubles de fonctionnement rencontrés par des personnes à la suite de situations au cours desquelles elles, ou d’autres personnes, ont trahi leurs convictions morales personnellesNote de bas de page 12Note de bas de page 13. Les personnes ayant vécu des événements incompatibles avec leurs valeurs morales personnelles déclarent fréquemment éprouver de la honte et de la culpabilité, ce qui peut concourir au développement d’un TSPT et d’autres troubles de santé mentaleNote de bas de page 14Note de bas de page 15. Ces sentiments de honte et de culpabilité peuvent être associés soit à leurs propres actes, par exemple des actes ayant entraîné des pertes de vies humaines, soit aux actes d’autres personnes, par exemple le fait de voir des personnes malades ou blessées sans pouvoir les aiderNote de bas de page 11, une expérience courante lors de déploiements.
Bien qu’il existe des traitements fructueux, étayés par des données probantes, contre le TSPT, leur efficacité semble être réduite chez les personnes exposées au combat, qui sont plus susceptibles de recevoir un diagnostic de TSPT que la population généraleNote de bas de page 2Note de bas de page 16. Les taux d’abandon du traitement dans les échantillons de militaires sont supérieurs à ceux de la population générale. En effet, un vétéran sur quatre ne va pas au bout de son traitement en établissement, et de nombreux autres refusent d’obtenir un traitement en raison d’une stigmatisation perçue ou réelle, de fausses idées sur le traitement et d’obstacles structurelsNote de bas de page 17Note de bas de page 18. Les taux élevés d’abandon sont le signe qu’il manque un élément important au traitement efficace des troubles de santé mentale chez les militaires. De plus, même s’il n’existe pas de données sur les taux d’abandon du traitement parmi les membres du PSP, leurs points communs avec le personnel militaire (longs quarts de travail, environnements stressants, situations à haut risque, etc.) portent à croire que les taux d’abandon seraient similaires.
Peu de publications traitent des troubles de santé mentale chez les membres actifs et les membres retraités des FAC et du PSP soignés pour un TSPT ou pour des troubles liés à la consommation de substances. En acquérant une meilleure compréhension des problèmes spécifiques, qu’ils soient liés aux traumatismes ou non, que le personnel militaire et celui de la sécurité publique rencontrent, nous pourrions accroître l’efficacité des programmes de traitement ciblés destinés aux membres actifs et retraités des FAC et des services de sécurité publique.
Cette étude visait à mieux comprendre les expériences des membres de ces groupes professionnels qui choisissent d’entreprendre un traitement. Notre échantillon comprenait des membres des FAC en congé de maladie, des vétérans des FAC et des membres du PSP, tous recevant un traitement de santé mentale en établissement.
Cet article offre un aperçu descriptif des thèmes et enjeux jugés les plus pertinents pour les vétérans et les membres du personnel militaire et du PSP en ce qui a trait aux blessures morales et à la santé mentale.
Méthodologie
Conception
Nous avons eu recours à une approche phénoménologique, fondée sur des groupes de discussion, pour mieux comprendre les expériences vécues par les participants dans le cadre de leurs carrières militaires ou en sécurité publique, de même que les répercussions de ces expériences sur leurs relations et leur santé mentale. Par l’entremise de groupes de discussion, nous avons fait ressortir les expériences des participants en tant que membres des FAC et du PSP, afin de comprendre comment les expériences subjectives peuvent révéler des nuances et des thèmes communs entre ces professionsNote de bas de page 19. Nous avons combiné cette méthode de collecte des données à une analyse thématique des données, afin de cerner de manière descriptive les similitudes et les différences dans l’ensemble de données et de faire ressortir les principales caractéristiques communesNote de bas de page 20.
Approbation éthique
Nous avons obtenu l’approbation éthique du Homewood Health Centre (CER no 18-08).
Cadre
L’étude s’est déroulée dans un établissement privé offrant des séjours de traitement pour les problèmes de santé mentale et de dépendances. Situé au Canada, l’établissement propose des traitements de groupe aux adultes (18 ans et plus) ayant des troubles liés à la consommation de substances, aux traumatismes et à l’anxiété. Le traitement repose sur le renforcement des habiletés de régulation des émotions et des habiletés cognitivo-comportementales, des interventions comportementales dialectiques, des thérapies de groupe et individuelles et des activités créatives comme le jardinage.
Caractéristiques individuelles
Nous avons animé 26 groupes de discussion composés de 63 personnes recevant un traitement pour des troubles liés à des traumatismes ou à l’usage de substances. Les participants avaient tous déclaré être membres ou retraités des FAC et du PSP. Le recrutement s’est fait au sein des installations de traitement. Les patients admis depuis moins d’une semaine ne pouvaient pas participer aux groupes de discussion, afin qu’ils aient le temps de s’adapter sur le plan émotionnel à leur nouvel environnement.
Les personnes admissibles souhaitant participer aux discussions devaient rencontrer l’un des chercheurs au préalable pour en apprendre davantage sur le but des entrevues de groupe et donner leur consentement éclairé. Au total, 48 hommes et 15 femmes ont participé à au moins un groupe de discussion, et un grand nombre d’entre eux ont participé à plusieurs groupes.
Trois guides de questions ont servi aux groupes de discussion. Chaque semaine, nous alternions ces guides, ce qui explique pourquoi certains participants ont choisi de participer à plusieurs séances. Il convient de préciser que deux participants de sexe masculin n’ont pas fourni d’informations personnelles (voir le tableau 1). Parmi les autres participants, on comptait 19 policiers (provenant des corps de police municipaux ou provinciaux et de la Gendarmerie royale du Canada), 10 membres/vétérans des FAC, 10 agents correctionnels, 9 ambulanciers paramédicaux, 6 pompiers et 7 personnes appartenant à la catégorie « autre ». Cette catégorie rassemblait les personnes ayant occupé plusieurs fonctions en sécurité publique (par exemple un début de carrière dans les FAC, suivi d’un travail comme policier, puis comme répartiteur des appels d’urgence). Des membres actifs et des membres retraités du PSP et des FAC ont participé à l’étude.
L’âge médian des participants était de 45,5 ans (intervalle : 29 à 80 ans).
Caractéristiques | n (%) |
---|---|
Âge médian : 45,5 ans (intervalle : 29 à 80 ans) | s.o. |
Sexe/genre (n = 63)Note de bas de page a | |
Homme | 48 (76) |
Femme | 15 (24) |
État matrimonial (n = 61) | |
Marié(e) | 34 (56) |
Séparé(e)/divorcé(e) | 14 (23) |
Célibataire | 9 (15) |
Refus de répondre | 4 (7) |
Métier (n = 61) | |
Policier | 19 (31) |
FAC (membre actif ou vétéran) | 10 (17) |
Agent correctionnel | 10 (17) |
Ambulancier paramédical | 9 (15) |
Pompier | 6 (10) |
Autre (répartiteur des appels d’urgence, ASFC, etc.) | 7 (11) |
Situation de travail (n = 61) | |
Temps plein/incapacité | 45 (74) |
Retraité(e)/suspendu(e)/sans emploi | 11 (18) |
Refus de répondre | 5 (8) |
Origine ethnique (n = 61) | |
Blanc | 50 (82) |
Autre | 6 (10) |
Refus de répondre | 5 (8) |
Score moyen au questionnaire PCL-5 (écart-type) (n = 59) | 53 (14,75) |
Score moyen au questionnaire ACE (écart-type) (n = 59) | 3,1 (2,42) |
Abréviations : ACE, Adverse Childhood Experiences (expériences négatives vécues pendant l’enfance); ASFC, Agence des services frontaliers du Canada; FAC, Forces armées canadiennes; PCL-5, posttraumatic stress disorder checklist for the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5); s.o., sans objet.
|
Les groupes de discussion ont eu lieu une fois par semaine, duraient environ une heure et ont rassemblé entre 4 et 16 participants. Les personnes ayant consenti à participer pouvaient venir aussi souvent qu’elles le souhaitaient. Ces groupes étaient composés de participants de différents métiers, groupes d’âge (18 ans et plus) et sexes/genres.
Les séances ont été animées par deux cliniciennes (CO et SV) titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat et ayant plusieurs années de travail auprès de ces populations. Ces cliniciennes ont adopté une approche axée sur l’animation plutôt que sur l’interrogation afin de favoriser la richesse des discussions et la participation. Lorsqu’une chercheure animait la séance, l’autre observait les participants, notant tous les signes non verbaux. L’observatrice était également disponible pour répondre à toute question en lien avec l’étude.
Les cliniciennes ont animé les groupes de discussion en utilisant des guides de questions semi-dirigées. Les discussions ont été enregistrées avec le consentement des participants, et les enregistrements (audio) ont été transcrits par un professionnel. Les questions portaient sur les difficultés précises et les facteurs de stress associés aux métiers des participants qui avaient une incidence sur leurs vies, en particulier les effets sur leurs relations, la stigmatisation, les blessures morales potentielles, les attentes envers les traitements et les expériences liées au traitement.
Outre des formulaires de consentement éclairé, les participants devaient remplir un formulaire de données individuelles, le questionnaire PTSD Checklist for the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (PCL-5)Note de bas de page 21 et le questionnaire Adverse Childhood Experiences (ACE)Note de bas de page 22. Le PCL-5 est un questionnaire fondé sur l’autodéclaration comportant 20 questions et servant à évaluer les symptômes de TSPT conformément aux critères du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5)Note de bas de page 21Note de bas de page 23. Le questionnaire ACE, qui repose sur des mesures autodéclarées, comporte 10 questions et est conçu pour repérer les mauvais traitements et la négligence vécus pendant l’enfanceNote de bas de page 22. Les questionnaires ont été inclus dans le processus d’admission au traitement pour mieux cerner les antécédents de traumatismes des participants. L’inclusion des résultats associés à ces questionnaires d’autodéclaration aide à préciser la gravité des antécédents de traumatismes dans l’échantillon.
Nous avons utilisé une approche interprétative phénoménologique inductive pour analyser de façon qualitative les transcriptions en vue d’analyses thématiques. L’analyse interprétative phénoménologique est généralement utilisée pour explorer le point de vue d’une personne sur la façon dont un phénomène est lié à des expériences importantes pour elle sur le plan personnel. Nous avons choisi une approche phénoménologique car nous souhaitions comprendre comment les participants interprétaient leur vécu en tant que membres des FAC ou du PSP. Cette approche nous a permis, par l’entremise d’une approche inductive, de regrouper certaines interprétations individuelles des événements afin de mieux définir les conditions de vie quotidiennes de ces populationsNote de bas de page 24. L’échantillonnage était raisonné, car les participants ont été choisis en fonction de leur expérience comme membres des forces armées ou du PSP et de leur participation à des soins psychiatriques en établissement à ce moment-là.
Trois membres de l’équipe de recherche (AB, BE, HM) ont évalué séparément les transcriptions, en consignant les termes qui, de prime abord, pouvaient constituer des thèmes dominants au sein des données. Un schéma de codage a été élaboré au moyen des techniques de réduction des données, de présentation des données et de conclusion/vérification proposées par Miles et HubermanNote de bas de page 25. Les chercheures ont repéré les thèmes principaux en se fondant sur les discussions des participants tout au long du processus et elles ont inclus ces thèmes dans le schéma de codage après être parvenues à un consensus. Tout différend entre les chercheures a été résolu par le biais d’une discussion d’équipe. Un codage parallèle indépendant a été réalisé, avec deux chercheures évaluant le même échantillon de texte brut, pour réviser et peaufiner le système de catégories, assurant ainsi la transférabilité, la fiabilité et la conformité du schéma de codage.
Résultats
Données individuelles
Sur les 59 participants ayant répondu aux questionnaires (4 personnes ont refusé d’y répondre), le score total moyen (écart-type) au PCL-5 était de 53 (14,75). Parmi ces 59 participants, 53 (90 %) avaient des scores supérieurs au seuil de 33 qui correspond à des symptômes liés à un probable TSPTNote de bas de page 21. De plus, 50 participants (85 %) répondaient aux critères du DSM-5 pour un diagnostic provisoire de TSPT. Le score moyen (écart-type) au questionnaire ACE était de 3,1 (2,42) indications positives sur 10, avec 48 participants (82 %) ayant sélectionné un élément ou plus et 24 participants (41 %) ayant sélectionné quatre éléments ou plus. Or on sait que les personnes qui ont vécu au moins quatre types d’expériences négatives pendant l’enfance, comparées à celles qui n’en ont pas connu, courent un risque 4 à 12 fois supérieur de troubles liés à l’usage de substances, de dépression ou d’autres troubles de santé mentaleNote de bas de page 22.
Thèmes qualitatifs
Nous avons fait ressortir quatre thèmes principaux à partir des données, citations à l’appui : relations, identité, répercussions sur la santé mentale et blessure morale potentielle.
Relations
Les participants ont longuement parlé de leurs relations interpersonnelles pendant les séances de discussion en groupe. Les discussions étaient multidimensionnelles, et les expériences dans un domaine de relations (comme la famille) se confondaient souvent avec celles d’autres domaines (comme les pairs). Les problèmes liés à la confiance et aux sentiments d’isolement et d’incompréhension s’étendaient à tous les domaines relationnels, alors que le soutien des pairs offrait aux participants l’avantage d’être compris sans être jugés.
La famille a été un sujet central dans un grand nombre de discussions. Les participants ont déclaré que leurs emplois du temps exigeants limitaient leur participation à la dynamique familiale et rendaient difficile la séparation entre les expériences professionnelles et la vie de famille. Selon eux, ces difficultés étaient liées au travail par quart, aux longues heures de travail et au stress constant associé aux décisions critiques, généralement urgentes, qu’ils devaient souvent prendre dans le cadre de leur travail. Les participants ont décrit leurs métiers comme épuisants sur les plans physique et émotionnel. Il leur devenait alors difficile de faire preuve d’empathie à la maison, car les difficultés rencontrées dans la vie civile leur paraissaient par comparaison triviales. Un participant a donné cette explication [toutes les citations sont des traductions] :
« Vous ne ressentez pas d’empathie pour les problèmes domestiques de votre partenaire, parce que vous passez toute la journée à étouffer vos sentiments et votre empathie, parce que vous n’avez pas d’autre choix, c’est votre métier. Ce n’est pas comme s’il suffisait d’actionner un interrupteur pour passer d’un mode à l’autre. Il y a trop d’écart entre nos deux modes de vie pour qu’on puisse y arriver. Il faudrait presque avoir une double personnalité pour réussir à la fois sa vie professionnelle et sa vie personnelle. »
Cette citation illustre le sentiment de frustration qui ressort lorsque les participants essaient de communiquer avec leur famille ou leurs amis. Les participants ont fait état de problèmes de communication fréquents, liés à la difficulté croissante qu’ils avaient à échanger et à communiquer avec leurs proches tout en gérant le stress lié à leur travail. Un grand nombre de participants ont signalé une baisse de leur capacité d’empathie, associée à une forte réduction de leur tolérance envers les autres.
Les relations avec les amis et les connaissances étaient difficiles pour de nombreux participants, en partie à cause de l’impression que leur métier était devenu ce qui les définissait socialement. Un grand nombre de participants ont affirmé qu’on leur avait déjà demandé de décrire « la pire chose qu’ils aient jamais vue », un déclencheur potentiel pour les personnes ayant vécu des EPTP. L’incapacité à se définir autrement que comme militaire ou membre des services de sécurité publique a mené un grand nombre d’entre eux à penser que leurs amis et connaissances civils ne pouvaient pas vraiment les comprendre, car il était « impossible » qu’un civil comprenne leurs expériences. Le sentiment d’être incompris par la société civile avait créé un sentiment d’isolement chez beaucoup d’entre eux.
De nombreux participants ont décrit explicitement leur difficulté à exposer leurs émotions dans leurs relations avec les autres. Certains ont expliqué avoir utilisé « l’humour noir », par exemple des blagues sur la mort ou d’autres EPTP, comme mécanisme d’adaptation et avoir eu l’impression d’être encore plus isolés des civils, qui n’y voyaient rien d’amusant.
Pour de nombreux participants, leurs collègues et les personnes d’autres domaines militaires ou de la sécurité publique constituaient une importante source de soutien. Plusieurs participants ont expliqué que seuls les autres militaires ou vétérans et les premiers intervenants pouvaient pleinement comprendre leur vécu, ce qui rendait ces amitiés plus faciles à entretenir. Selon plusieurs, ils pouvaient « être eux-mêmes » avec ces personnes, car elles comprenaient la réalité du travail dans des environnements très stressants, où l’exposition aux EPTP est fréquente. À l’inverse, certains participants ont indiqué que leurs collègues pouvaient constituer des sources de stress ou des déclencheurs, car leurs relations étaient axées sur des expériences communes.
Identité
Les participants ont, en grande majorité, déclaré que leur métier était devenu une part essentielle de leur identité. Nombre d’entre eux étaient très fiers de leur travail et ressentaient le besoin d’aider les autres, même lorsqu’ils n’étaient plus en service actif. Le sentiment que leur identité était si étroitement liée à leur métier avait entraîné une certaine confusion identitaire chez certains lorsqu’ils n’ont plus été en mesure d’accomplir leur travail. Le témoignage d’un participant a permis de mieux comprendre à quel point l’identité en tant que membre des FAC ou du PSP est essentielle, en particulier pour les personnes en congé de maladie qui espèrent retourner un jour au travail : « Je suis un pompier. C’est ce que je fais et c’est qui je suis. Si je ne peux plus exercer mon métier... la vie s’arrête. »
De nombreux participants ont expliqué que leur métier avait transformé non seulement leur identité, mais aussi leur vision du monde. Un participant l’a exprimé ainsi : « C’est comme si le filtre à travers lequel tu regardes le monde extérieur changeait, parce qu’il est bloqué par tes expériences professionnelles et que tu ne peux plus voir le monde autrement. ».
Les participants ont précisé qu’à cause des défis liés à leurs tâches, ils avaient une vision plus négative du monde qu’au début de leur carrière dans les FAC ou en sécurité publique. Un grand nombre a déclaré s’attendre au pire venant des personnes avec lesquelles ils interagissent, et se montrer cyniques envers le système dans lequel ils ont travaillé et les personnes qu’ils ont aidées. Pour certains, ce manque de confiance et ce cynisme ont diminué leur capacité d’empathie : « C’est comme si une couche de corne se formait par-dessus tes émotions, comme la corne qu’on a sur les mains à force de soulever des charges. C’est la même chose, une couche de corne par-dessus tes émotions. » Cette citation illustre la difficulté à exprimer ses émotions qui, pour certains participants, découle de l’exposition répétée à des EPTP. Les participants ont indiqué qu’ils n’avaient pas toujours éprouvé cette difficulté à exprimer leurs émotions, qu’elle s’était plutôt développée au fil de leur carrière et qu’elle les avait amenés à douter de l’utilité de discuter de leurs réactions émotionnelles.
Répercussions sur la santé mentale
Les participants ont décrit de façon extrêmement négative les répercussions sur la santé mentale d’une carrière dans les forces armées et la sécurité publique. Un grand nombre a indiqué présenter des symptômes généralement associés au dérèglement émotionnel, comme l’hypervigilance, l’agitation et une colère disproportionnée :
« Imaginez les choses que les gens vivent au quotidien et qui leur paraissent traumatisantes. Que ce soit dans mon couple, avec des amis ou une autre personne, quand des personnes me parlent du stress qu’elles ont ressenti dans une certaine situation, je ressens de la colère, car je me dis “alors, c’est ça ton problème?! C’est à ça que ressemble une mauvaise journée pour toi?” ».
Certains participants ont reconnu que ces accès de colère étaient disproportionnés vis-à-vis de facteurs de stress « anodins ». Certains ont déclaré que leurs fortes réactions émotionnelles découlaient du besoin de protéger leurs proches, incluant le désir d’éviter d’exposer leur famille à leurs symptômes du TSPT. Un participant de 30 ans a déclaré : « Je préfère aller vraiment mal à l’intérieur plutôt que de troubler mon épouse ou les membres de ma famille en leur laissant voir la réalité. »
Or, d’après certaines recherches, il pourrait y avoir un lien entre la gravité des symptômes de TSPT des vétérans et le fardeau supporté par le ou la partenaire intime en tant qu’aidantNote de bas de page 26Note de bas de page 27. Comme 90 % des participants aux groupes de discussion (n = 53/59) avaient un score supérieur aux seuils de dépistage des symptômes de TSPT, il est probable que leurs partenaires intimes subissaient un fardeau en tant qu’aidants, même si les participants tentaient de cacher leurs symptômes à leur famille. Les participants estimaient qu’en cachant leurs expériences professionnelles aux membres de leur famille, ils les protégeaient de traumatismes indirects. Toutefois, ce secret réduit également la capacité de la famille à offrir son soutienNote de bas de page 28. Or la gravité des symptômes de dépression et de stress post-traumatique chez le PSP semble augmenter à mesure que le sentiment d’être soutenu diminueNote de bas de page 28.
Un autre symptôme d’ordre émotionnel abordé longuement a été le sentiment d’isolement que vivaient les participants à ce moment-là. Ils ont déclaré qu’ils ne discutaient généralement pas de leurs traumatismes avec leur famille par peur de leur « imposer » certains détails, et que lorsque leurs collègues des FAC ou du PSP n’étaient pas disponibles, ils se sentaient « très isolés ». Certains ont déclaré comprendre les difficultés empêchant leurs pairs de communiquer, tout en désirant ardemment maintenir un sentiment d’appartenance. Dans la mesure où le cercle social de nombreux participants est composé principalement de personnes ayant la même carrière, le manque d’échanges avec ces personnes, en particulier lorsque les participants reçoivent un traitement ou sont en congé de maladie, augmente le sentiment d’isolement et d’abandon lié au diagnostic de santé mentale.
Les participants ont parlé des différents mécanismes utilisés pour surmonter les répercussions de leur métier sur leur santé mentale, notamment l’habitude courante de consommer de l’alcool pour gérer les émotions négatives liées à des événements difficiles. Bien qu’ils aient été unanimes quant à l’existence de répercussions des EPTP sur leur santé mentale, ils avaient adopté certains mécanismes d’adaptation, comme l’humour noir, qui les avaient encore plus isolés, car ces mécanismes ne sont pas considérés comme habituels ni appropriés au sein de la société civile.
Blessure morale potentielle
Lors des discussions sur les relations, la santé mentale et l’identité, de nombreux participants ont déclaré ressentir de la honte et de la culpabilité, ainsi qu’un sentiment accablant d’avoir été trahis par les institutions, dont leurs dirigeants. Ces sentiments de honte et de culpabilité étaient fréquemment liés aux décisions prises en poste ou à l’incapacité de prendre des décisions critiques en raison de formalités ou d’autres contraintes administratives. Ces sentiments sont des constituants essentiels de blessure moraleNote de bas de page 29.
Certains participants ont décrit des situations et des événements potentiellement préjudiciables sur le plan moral, comme le fait d’être témoin d’une issue tragique ou de devoir prendre des décisions entraînant des pertes de vies. D’autres estimaient que c’était la fréquence élevée des décisions difficiles prises au fil du temps qui était à l’origine de leurs sentiments de honte et de culpabilité. Par exemple, un participant a expliqué comment les conséquences de petites décisions prises au fil des ans pouvaient avoir un effet cumulatif très important :
« C’est l’accumulation des blessures morales... Ce n’est pas un seul traumatisme. Pour moi, c’est comme si vous aviez un petit caillou dans votre chaussure. Vous pouvez faire 10 pas avec, le retirer, et ça ira... Mais 10 pas plus loin, un autre caillou entre dans votre chaussure. Et la situation se répète pendant 10 ans. Ces cailloux dans vos chaussures finissent par vous irriter. C’est comme ça que je perçois mon expérience, c’est ça qui me tue. Parfois, c’est un événement majeur qui est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, mais parfois, c’est une petite chose. »
Le sentiment de trahison est un concept qui est ressorti sous différentes formes. Certains participants ont déclaré avoir l’impression que leur organisation ne se souciait pas d’eux en tant que personnes. Selon un participant, « ils vous exploitent tant qu’ils le peuvent, et lorsque vous craquez, ils se débarrassent simplement de vous ». D’autres trouvaient qu’il y avait une grande différence entre les soutiens promis et les soutiens réellement offerts : « Il y a un vrai manque de soutien. Ils disent qu’ils vont faire plein de choses merveilleuses pour nous, puis ils ne font rien. Ils n’en ont rien à faire. » Ces sentiments de trahison ont exacerbé la frustration des participants quant aux « formalités administratives et politiques » associées à leurs carrières dans les FAC et les organisations en sécurité publique.
Ces points de vue montrent que les blessures morales potentielles liées à l’exercice de ces métiers pourraient être fréquentes au sein des populations qui entreprennent un traitement, même si cela n’a pas été explicitement abordé lors des discussions.
Analyse
Cette étude visait à mieux comprendre les expériences vécues par des membres actifs et des membres retraités des FAC et du PSP séjournant dans un même établissement psychiatrique. Dans cet article, nous fournissons un résumé des thèmes liés aux blessures morales et à la santé mentale de ces membres. Pour renforcer l’efficacité des traitements qui leur sont offerts, il est essentiel de tenir compte de ces thèmes (relations, identité, répercussions sur la santé mentale et blessure morale potentielle) tout au long du traitement et du rétablissement, ainsi que du rôle de ces thèmes dans la réussite des interventions thérapeutiques qui leur sont destinées.
Relations
Peu de recherches abordent la vie professionnelle et familiale du PSPNote de bas de page 30Note de bas de page 31. Les travaux disponibles indiquent que le travail au sein du PSP a des répercussions négatives sur la famille, le couple et les relationsNote de bas de page 30Note de bas de page 31Note de bas de page 32. Les aspects de ce travail qui nuisent à la vie de famille sont principalement le stress professionnel, l’exposition à des EPTP et le travail par quartNote de bas de page 30Note de bas de page 31Note de bas de page 32. Ces facteurs sont également associés à un niveau plus élevé de stress et un niveau plus faible de satisfaction en tant que parent.
Notre étude vient enrichir les connaissances actuelles sur la vie professionnelle et familiale des membres du PSP, en détaillant les répercussions qu’ont les carrières militaires et en sécurité publique sur les relations et la perception de l’identité personnelle. Notre recherche expose en outre l’importance des relations tissées au sein de ces professions. De nombreux participants ont indiqué que le soutien social offert par les autres militaires ou membres des services de sécurité publique avait une influence positive, grâce à leur capacité d’empathie exempte de jugement. Ces relations permettaient aussi d’exprimer les émotions ressenties. Il convient cependant de noter que les conflits interpersonnels avec les collègues et les facteurs de stress professionnel étaient considérés comme néfastes pour la santé mentale. Cela concorde avec les recherches actuelles montrant que le soutien social des pairs serait extrêmement bénéfique, alors que les conflits interpersonnels avec les collègues sont associés à des effets négatifs sur la santé mentale, dont un taux accru de TSPT et de troubles liés à l’usage de substancesNote de bas de page 33Note de bas de page 34. Le soutien social a également été cité comme un facteur important ayant un lien négatif avec les symptômes du TSPTNote de bas de page 35 et un lien positif avec une meilleure relation diadiqueNote de bas de page 36. De ce fait, le soutien social spécifique associé à des effets protecteurs constitue un sujet d’étude à aborder dans les futures recherches sur les populations des FAC et du PSP.
Lors de nos groupes de discussion, les participants ont aussi mentionné un autre facteur relationnel : le manque de compréhension mutuelle. Les participants avaient du mal à comprendre les « problèmes des civils ». Ils ont fréquemment indiqué avoir perdu le sens de leur vie après leur départ ou leur retraite. Le manque apparent de compréhension entre les militaires ou membres du PSP et les civils semble contribuer à l’isolement des personnes occupant ces métiers et renforcer leur sentiment de perte d’identité lorsqu’ils réintègrent la vie civile.
Identité
Notre étude fournit de l’information sur les répercussions que peut avoir un métier dans la sécurité publique ou en tant que militaire sur l’identité d’une personne. Les participants ont fréquemment affirmé que leur carrière avait façonné leur identité personnelle et que le fait de ne plus participer activement aux fonctions des FAC/du PSP était associé à des sentiments d’incertitude et de perte. Ces sentiments étaient susceptibles d’être aggravés par la perception de différences profondes entre la culture des FAC/du PSP et la vie civile, où s’occuper des autres, rechercher des émotions fortes et avoir le sens du devoir sont des éléments professionnels moins habituelsNote de bas de page 37. Les vétérans des FAC ont souvent de la difficulté à se réadapter à la société civile, car ils en ont une perception négative, se sentent exclus, ont le sentiment d’avoir perdu leurs liens de « fraternitéNote de bas de page * » avec les autres militaires et ont du mal à trouver un sens à leur vie de civilNote de bas de page 38Note de bas de page 39. Il est donc impératif que les personnes qui font la transition vers des carrières non militaires ou en dehors du domaine de la sécurité publique revoient leur perception de la vie civile et leur relation avec celle-ci. Le soutien offert doit ainsi surtout viser à les encourager à définir leur identité en dehors des sphères des FAC/du PSP et à améliorer leur perception d’appartenance à la société civile.
Répercussions sur la santé mentale
Les participants aux groupes de discussion ont fait état de leur difficulté à maîtriser leurs émotions et à échanger activement avec les autres. Ils se montrent hypervigilants dans des situations où cela est inutile et consomment des substances pour composer avec l’exposition à des EPTP. Les principaux symptômes repérés lors des expériences phénoménologiques chez cette population en cours de traitement relèvent majoritairement des critères du DSM-5 pour le TSPT et les troubles liés à l’usage d’une substanceNote de bas de page 40. Les participants ont fait état plus spécifiquement de symptômes d’intrusion, de réactions d’évitement, de changements marqués de réactivité et d’altérations négatives des fonctions cognitives et de l’humeur à la suite de l’exposition à des EPTP tout au long de leur carrière. Ces expériences ont constitué des thèmes essentiels de discussions, ce qui confirme la nécessité de stratégies de traitement appropriées, qui permettent de cerner et d’atténuer efficacement ces symptômes.
De plus, l’évitement des interactions sociales, résultat fréquemment abordé au cours de cette étude, pourrait toucher les familles des participants sous la forme de perte ambiguë, soit le fait d’être confronté à l’absence psychologique d’un proche qui est pourtant physiquement présentNote de bas de page 41. La perte ambiguë a été associée à une détresse psychologique chez les partenaires intimesNote de bas de page 42 et pourrait aggraver le sentiment d’isolement et mettre à rude épreuve les relations familiales.
Blessures morales potentielles
Les discussions des participants suggèrent qu’ils pourraient avoir subi des blessures morales à la suite de leurs expériences sur le terrain. De nombreux participants ont fait état de sentiments persistants de honte, de culpabilité, de colère et de trahison en raison des expériences vécues pendant leur service en tant que membres des FAC/du PSP. Ces sentiments font partie des constituants de base d’une blessure moraleNote de bas de page 12.
Les études précédentes indiquent que 70,5 % des membres des FAC connaissent une personne qui a été tuée ou gravement blessée et que 43 % ont vu « des femmes et des enfants malades ou blessés sans pouvoir les aider »Note de bas de page 11, p. 4 pendant un déploiement. De même, les agents de la paix interrogés ont déclaré que le fait de blesser d’autres personnes (un malfaiteur ou un collègue) serait l’expérience la plus stressante qu’ils aient à vivre dans l’exercice de leurs fonctionsNote de bas de page 43Note de bas de page 44. Infliger une blessure grave à un malfaiteur constitue un facteur de risque de TSPT chez les policiersNote de bas de page 45. Le personnel des services préhospitaliers d’urgence a également indiqué que le fait de voir un membre de sa famille ou un ami sur les lieux d’un accident ou de voir une personne tuée ou gravement blessée était extrêmement angoissantNote de bas de page 46.
Les EPTP violents sont généralement considérés comme les événements les plus angoissants pour les membres des FAC et du PSP. Ces événements pourraient contribuer à la survenue d’une blessure morale ou d’autres troubles de santé mentale dans les deux populationsNote de bas de page 47Note de bas de page 48. De plus, les facteurs de stress professionnel pourraient aggraver les symptômes de troubles mentauxNote de bas de page 48. Bien que les données empiriques fassent défaut concernant la fréquence des blessures morales chez le PSP, de nombreux participants ont fait état de sentiments de honte ou de culpabilité en lien avec des événements qui pourraient être classés comme préjudiciables sur le plan moral. Ces expériences similaires fournissent des indications anecdotiques quant à la possibilité de blessures morales associées au service dans les FAC ou les services de sécurité publique et mettent en lumière l’importance d’une analyse approfondie de la présence de blessures morales dans les deux contextes. Ces constats illustrent aussi la nécessité de tenir compte explicitement de la blessure morale lors des traitements des membres des FAC/du PSP.
Limites de l’étude et pistes de recherche pour l’avenir
Comme les participants à l’étude étaient tous patients d’un même établissement de traitement et ont été recrutés à l’aide d’une méthode d’échantillonnage raisonné, nos résultats ne sont pas généralisables à tous les militaires, vétérans ou membres du PSP qui suivent un traitement psychiatrique en établissement. De plus, l’approche phénoménologique vise à étudier la façon dont les personnes donnent du sens à un événement ou à un phénomène plutôt qu’à élaborer des théories ou des généralités sur l’ensemble de la population ciblée. Dans le cas présent, nous avons analysé la manière dont les membres actifs ou retraités des FAC/du PSP, indépendamment de leur sexe/genre ou de leur âge, percevaient les répercussions de leur carrière sur différents domaines de leur vie. Comme les conclusions de l’enquête phénoménologique dépendent essentiellement des participants choisis, cette étude pourrait avoir négligé de l’information sur les expériences vécues lors d’autres déploiements ou au sein d’autres municipalités ou organisations.
Enfin, nous avons choisi de combiner les expériences des militaires actifs et retraités et du personnel des services de sécurité publique car ils étaient traités dans le cadre d’un seul programme combiné, en raison des nombreuses similitudes entre les difficultés éprouvées par les militaires, les policiers ou les pompiers. Même si les réponses sont similaires d’un métier à l’autre, les recherches montrent que les résultats de traitement des membres des FAC diffèrent de ceux de la population générale et, par conséquent, pourraient aussi différer des attentes et résultats des membres du PSPNote de bas de page 49. Pour cette raison, le fait de combiner les données des vétérans des FAC et des membres du PSP pourrait avoir accidentellement « dilué » certaines expériences et certains problèmes propres à chaque profession. D’autres recherches portant sur les populations des FAC et du PSP qui entreprennent un traitement sont nécessaires pour découvrir s’il existe des différences entre ces deux populations.
Cet article offre une vue d’ensemble des domaines qui, selon des membres actifs et des membres retraités des FAC et du PSP, ont une incidence majeure sur leur santé mentale. Puisque le score moyen total au PCL-5 était de 53 et que la valeur seuil généralement admise pour le diagnostic provisoire du TSPT se situe entre 31 et 33Note de bas de page 21, il est évident que la population de l’échantillon présentait des symptômes sévères liés à un traumatisme. Les prochains travaux de recherche devraient viser à étudier si les thèmes discutés sont aussi importants pour les autres membres actifs et membres retraités des FAC et du PSP et pour ceux dont la souffrance est moins grande. De plus, chacun de ces thèmes mérite une étude détaillée. D’autres travaux de recherche sont également nécessaires pour comprendre comment mieux inclure les familles et les partenaires dans le traitement afin d’atténuer le sentiment d’isolement décrit par les participants.
Conclusion
Les participants ont parlé de leurs relations, de leur identité, des répercussions sur leur santé mentale et de blessure morale potentielle en tant que domaines majeurs ayant une influence sur la perception d’eux-mêmes, sur l’évaluation de leur rôle dans la société et sur la capacité à établir un lien avec des civils. Ces domaines sont cruciaux pour le rétablissement des participants et doivent être pris en compte de façon spécifique dans les traitements en santé mentale offerts à ces populations. Nos observations révèlent que les personnes qui entreprennent un traitement estiment que les programmes de santé mentale dédiés aux membres actifs et aux membres retraités des FAC et du PSP sont bénéfiques, notamment en raisons des difficultés spécifiques auxquelles ceux-ci sont confrontés tout au long de leur carrière.
Conflits d’intérêts
Aucun conflit à déclarer.
Remerciements
Les auteures souhaitent remercier les militaires, vétérans et membres du personnel de la sécurité publique qui ont participé aux groupes de discussion. Nous aimerions aussi remercier les nombreux professionnels de la santé, cadres supérieurs et membres du personnel de l’établissement Homewood Healthcare qui ont contribué à la réussite de ce projet, ainsi que le personnel de l’Homewood Research Institute.
Margaret McKinnon est titulaire de la chaire de recherche Homewood en santé mentale et traumatismes à l’Université McMaster.
Contributions des auteures et avis
SVB, RL, AH, MM, AB et CO ont joué un rôle de premier plan dans la conception du projet. AB, BE, SVB et CO ont dirigé les groupes de discussion et recueilli les données. AB, HM et BE ont analysé et interprété les résultats. BE a rédigé le manuscrit initial. BE, AB, HM, SVB, AH, MM, RL et CO ont révisé l’article et approuvé sa présentation dans sa forme actuelle.
Le contenu et les opinions figurant dans cet article sont ceux des auteures et ne sont pas nécessairement représentatifs de ceux du gouvernement du Canada.
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