Recherche quantitative originale – Modifications de la consommation d’alcool pendant la pandémie de COVID-19 : exploration des différences selon le genre et du rôle de la détresse émotionnelle
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : juin 2021
ISSN: 2368-7398
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Kara Thompson, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Daniel J. Dutton, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Kathleen MacNabb, M.A.Note de rattachement des auteurs 2; Tong Liu, M.A.Note de rattachement des auteurs 2; Sarah Blades, MSPNote de rattachement des auteurs 3; Mark Asbridge, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2
https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.9.02f
(Publié le 23 juin 2021)
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement des auteurs
Correspondance
Mark Asbridge, Département de santé communautaire et d’épidémiologie, Université Dalhousie, Centre de recherche clinique, 5790, avenue University, Halifax (Nouvelle-Écosse) B3H 1V7; tél. : 902-494-3761; courriel : mark.asbridge@dal.ca
Citation proposée
Thompson K, Dutton DJ, MacNabb K, Liu T, Blades S, Asbridge M. Modifications de la consommation d’alcool pendant la pandémie de COVID 19 : exploration des différences selon le genre et du rôle de la détresse émotionnelle. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2021;41(9):281-91. https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.9.02f
Résumé
Introduction. Les restrictions liées à la pandémie de COVID‑19 ont eu des effets pervers importants sur les habitudes de consommation d’alcool des Canadiens, en particulier l’émergence d’une plus grande détresse émotionnelle et ses répercussions potentielles sur la consommation d’alcool. Cette étude examine : 1) les modifications de la consommation d’alcool des adultes pendant la pandémie de COVID‑19 au Nouveau‑Brunswick et en Nouvelle‑Écosse, 2) si le fait de boire de l’alcool plus fréquemment pendant la pandémie est associé à des ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir et 3) si le genre a un effet modérateur sur cette relation.
Méthodologie. Les participants ont été sélectionnés à partir d’une enquête transversale menée auprès de 2 000 adultes. Des modèles de régression multinomiale ajustés ont été utilisés pour évaluer l’association entre la fréquence de consommation d’alcool et l’augmentation des ressentis de stress, de solitude et de désespoir. Des analyses supplémentaires ont été stratifiées selon le genre.
Résultats. Environ 12 % des répondants ont déclaré avoir bu de l’alcool plus fréquemment après le début de la pandémie de COVID‑19, et 25 à 40 % ont fait état d’une augmentation de leur détresse émotionnelle. L’augmentation des ressentis de stress (rapport de cotes [RC] = 1,99; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 1,35 à 2,93), de solitude (RC = 1,79; IC à 95 % : 1,22 à 2,61) et de désespoir (RC = 1,98; IC à 95 % : 1,21 à 3,23) était associée à une consommation d’alcool plus fréquente pendant la pandémie. Quoique les femmes interrogées aient signalé des taux supérieurs de détresse émotionnelle, les associations avec une augmentation de la fréquence de consommation d’alcool n’étaient significatives que chez les hommes dans les analyses stratifiées selon le genre.
Conclusion. Si les individus ayant fait état de ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir pendant la pandémie de COVID‑19 étaient plus nombreux à déclarer une fréquence accrue de consommation d’alcool, ces associations n’étaient significatives que pour les hommes dans les analyses stratifiées. Comprendre comment la pandémie a eu une influence sur la santé mentale et à la consommation d’alcool peut éclairer les politiques de contrôle de l’alcool et les interventions en santé publique visant à limiter les méfaits de l’alcool.
Mots-clés : consommation d’alcool, pandémie de COVID‑19, émotions, genre, automédication
Points saillants
- Cette étude examine comment la consommation d’alcool et le bien-être émotionnel ont évolué chez les adultes du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse après le début de la pandémie de COVID‑19 en mars 2020.
- Depuis le début de la pandémie, 12,2 % des répondants ont consommé de l’alcool plus fréquemment qu’auparavant.
- Entre 25,3 % et 43,5 % des répondants ont fait état d’une augmentation de leurs ressentis de stress, de solitude et de désespoir.
- Une plus grande proportion de femmes ont fait état d’une détresse émotionnelle accrue depuis le début de la pandémie.
- Des associations significatives entre une détresse émotionnelle accrue et une augmentation de la consommation d’alcool pendant la pandémie ont été observées, mais uniquement chez les hommes.
Introduction
Les mesures rapides et draconiennes mises en œuvre pour contenir la COVID‑19 ont entraîné des changements considérables dans la vie quotidienne des Canadiens. Les fermetures généralisées des écoles, des lieux de travail et des entreprises ont laissé de nombreuses personnes sans travail. Les parents et tuteurs ont assumé le rôle d'éducateurs avec le transfert vers l'enseignement en ligne, et l'accès aux services de santé, pourtant indispensables, a été réduit. Ces changements ont entraîné une incertitude et une détresse émotionnelle considérables.
De nouvelles études sur les effets pervers des restrictions sociales et environnementales imposées pour freiner la propagation de la COVID‑19 font état de taux élevés de dépression, d'anxiété et de stress au sein de certaines populations, en particulier chez les femmes, les jeunes et les personnes souffrant de problèmes de santé préexistantsNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Ces effets découlent probablement du fardeau et de la perte de liberté imposés par les restrictions et de l'accès réduit aux stratégies d'adaptation positives généralement utilisées pour gérer le stress, comme le soutien social, les activités extrascolaires et même les services de santé mentaleNote de bas de page 5.
Certaines personnes sont susceptibles de consommer davantage d'alcool comme mécanisme d'adaptation en période de stress, recherchant les effets pharmacologiques relaxants de l'alcool. Cette hypothèse d'automédication postule qu'elles recourent à la consommation de substances lorsqu'elles sont en situation de détresse émotionnelle et qu'elles cherchent ainsi à augmenter l'affect positif et à diminuer l'affect négatifNote de bas de page 6. Les recherches ont montré que la consommation d'alcool comme moyen de composer avec une situation est associée à l'ingestion d'une quantité élevée d'alcool et c'est le type de consommation qui offre le plus grand risque de conséquences négatives liées à l'alcool à court et à long termeNote de bas de page 7Note de bas de page 8. Les femmes ont davantage tendance à consommer de l'alcool en réponse à des émotions négatives et elles présentent également une prévalence supérieure de troubles concomitants de consommation de substances et de santé mentaleNote de bas de page 7Note de bas de page 9Note de bas de page 10.
On observe une augmentation de la consommation de substances après une catastrophe, ce qui correspond sans doute à une stratégie d'automédication pour faire face à la détresse émotionnelleNote de bas de page 11. Dans un article récent, Rehm et ses collèguesNote de bas de page 12, s'appuyant sur la littérature relative aux crises de santé publique passéesNote de bas de page 13, ont suggéré que la pandémie de COVID‑19 pourrait entraîner une augmentation de la consommation d'alcool à moyen et à long terme, en particulier chez les hommes. Les recherches sur les catastrophes de grande ampleur passées ont révélé un lien étroit entre la détresse émotionnelle suivant une catastrophe et l'augmentation de la consommation de substancesNote de bas de page 5Note de bas de page 13Note de bas de page 14. Les premières recherches sur la pandémie de COVID‑19 font état d'associations entre une mauvaise santé mentale générale et une augmentation de la consommation d'alcoolNote de bas de page 15. Plus généralement, les Canadiens qui ont déclaré avoir une santé mentale passable ou mauvaise ont déclaré consommer davantage de substances, et le stress était la troisième raison la plus souvent invoquée par ceux qui avaient augmenté leur consommation d'alcool (44 %)Note de bas de page 16. Le même type d'association avec une consommation d'alcool accrue a pu être observé dans le cas d'une mauvaise santé mentale globale, d'une augmentation des symptômes dépressifs et d'un faible bien-être mentalNote de bas de page 15. Une étude menée aux États‑Unis a montré que la détresse émotionnelle liée à la COVID‑19 était associée à une augmentation de la fréquence de consommation d'alcool et à une consommation excessive, tant chez les hommes que chez les femmesNote de bas de page 17.
L'alcool est la substance dangereuse la plus consommée par les CanadiensNote de bas de page 18 et la plus coûteuse du point de vue des effets néfastes sur la santéNote de bas de page 19. Depuis le début de la pandémie en mars 2020, les ventes d'alcool ont augmenté dans plusieurs régionsNote de bas de page 20Note de bas de page 21. D'après plusieurs enquêtes de surveillance récentes, si entre 14 % et 18 % des adultes canadiens ont augmenté leur consommation d'alcool, une proportion similaire (9 % à 12 %) a diminué sa consommation et, pour la plupart des Canadiens (70 %), il n'y a pas eu de changementNote de bas de page 16Note de bas de page 22Note de bas de page 23. Des tendances comparables ont été observées aux États‑UnisNote de bas de page 24, au Royaume‑UniNote de bas de page 15, en PologneNote de bas de page 25 et en AustralieNote de bas de page 26.
L'augmentation de la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID‑19 a potentiellement des coûts sociaux et économiques à long terme à l'échelle des individus, des collectivités et de la sociétéNote de bas de page 27Note de bas de page 28Note de bas de page 29Note de bas de page 30. Cette situation conduit à la « nécessité de surveiller de près toute évolution de la consommation d'alcool »Note de bas de page 12, p. 303. Nous devons mieux comprendre comment, et pour qui, les facteurs de stress particuliers liés à la COVID‑19 sont associés à la consommation d'alcool, afin de limiter les conséquences néfastes de l'alcool en mettant en place des politiques de contrôle de l'alcool et des interventions en santé publique. De plus, étant donné qu'en comparaison des hommes, nous avons vu plus haut que les femmes tendent davantage à consommer de l'alcool en réponse à des émotions négatives et qu'elles ont une prévalence élevée de troubles concomitants de consommation de substances et de santé mentaleNote de bas de page 7Note de bas de page 9Note de bas de page 10, nous devons comprendre les répercussions variables de la pandémie de COVID‑19 selon le genre, afin que des interventions appropriées soient proposées dans ces circonstancesNote de bas de page 31.
Dans le contexte de nouvelles données probantes laissant présumer que la consommation d'alcool a augmenté pendant la pandémie, nous avons voulu établir si les changements provoqués par la pandémie de COVID‑19 en matière de santé mentale et de bien-être, en particulier la détresse émotionnelle, jouaient un rôle dans l'évolution des habitudes de consommation. Jusqu'à présent, les recherches à ce sujet ont été rares, et aucune étude canadienne n'a été réalisée à l'échelle de la population. Plus précisément, nous avons cherché à : 1) cerner les modifications dans les habitudes de consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID‑19 chez les adultes de deux provinces du Canada atlantique, 2) vérifier s'il existe une association entre une consommation d'alcool plus fréquente pendant la pandémie et des ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir et 3) évaluer si le genre a un effet modérateur sur cette relation.
Méthodologie
Source de données
Nous avons tiré les données de cette étude de l'Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID‑19, une enquête transversale anonyme menée auprès d'adultes de 19 ans et plus résidant au Nouveau‑Brunswick et en Nouvelle‑Écosse, réalisée au nom de l'équipe de recherche par Léger, une société canadienne d'études de marché. Comme la plupart des provinces au Canada, ces deux provinces ont considéré la vente d'alcool comme un service essentiel. L'alcool était demeuré facilement accessible dans les établissements ainsi que par divers moyens mis en place pendant la pandémie (collecte à l'auto, livraison et service à la demande) lorsque l'enquête a été menée, en novembre et décembre 2020.
Les répondants ont été sélectionnés en deux phases, avec l'objectif d'un quota de 1 000 répondants dans chaque province. Dans la première phase, environ 500 répondants ont été choisis au hasard pour être sondés en ligne à partir d'un panel de plus de 400 000 personnes, représentant les Canadiens ayant accès à Internet, dont certains groupes cibles difficiles à atteindreNote de bas de page 32. La seconde phase a permis de constituer un échantillon de 1 500 répondants par téléphone et de cibler les répondants des régions qui n'étaient pas représentées ou qui étaient sous-représentées dans l'enquête en ligne de Léger Opinion. La base d'échantillonnage était constituée d'un ensemble de numéros de téléphones fixes et cellulaires fournis par Échantillonneur ASDE, un fournisseur canadien agréé d'échantillons d'enquête. Tous les numéros de téléphone ont été comparés à la liste nationale de numéros de téléphone à exclure établie sur une base volontaire pour les études de marché, et tous les numéros concernés ont été supprimés de l'échantillon avant la répartition aléatoire et la sélection.
L'échantillon a été stratifié afin que toutes les régions du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse soient représentées. Léger a développé une application Apple et Android pour joindre les gens sur leurs appareils mobiles et augmenter le taux de réponse. Le taux de réponse pour la partie téléphonique a été de 10 % et, pour la partie en ligne, de 14 %. Le défaut de réponse correspond à tout ce qui a pu affecter la réalisation de l'enquête, principalement les numéros de téléphone hors service, l'absence de réponse, les refus et les personnes n'ayant pas répondu à l'ensemble de l'enquête. Ces taux correspondent à ceux d'autres enquêtes téléphoniques et en ligneNote de bas de page 33Note de bas de page 34Note de bas de page 35Note de bas de page 36.
Cette étude a reçue l'approbation éthique du comité d'éthique en recherche des sciences de la santé de l'Université Dalhousie (no 2020-5258).
Mesures
Mesure des résultats
Le résultat d'intérêt était la modification de la fréquence de consommation d'alcool après l'imposition des mesures visant à contenir la COVID‑19 en mars 2020. Les répondants ont été invités à décrire leur fréquence de consommation d'alcool à deux reprises au cours de l'enquête, en utilisant la même mesureNote de bas de page 37.
La première évaluation repose sur les réponses à la question « Avant le début de la pandémie de COVID‑19 en mars 2020, à quelle fréquence consommiez-vous de l'alcool? (Par alcool, nous entendons un verre de bière, de vin, de spiritueux ou de toute autre boisson alcoolisée) ». La seconde évaluation repose sur les réponses à la question « Actuellement, à quelle fréquence consommez-vous de l'alcool? (Par alcool, nous entendons un verre de bière, de vin, de spiritueux ou de toute autre boisson alcoolisée) ». Les options de réponse aux deux questions étaient : « plusieurs fois par jour », « une fois par jour », « 4 ou 5 fois par semaine », « 2 ou 3 fois par semaine », « une fois par semaine », « 2 ou 3 fois par mois », « une fois par mois », « moins d'une fois par mois » et « jamais ».
En combinant les réponses à ces deux questions, nous avons établi une mesure pour décrire la modification des habitudes de consommation d'alcool selon quatre options : « ne boit pas » (répondants ayant déclaré ne pas boire d'alcool pour les deux questions), « boit moins », « boit à peu près la même quantité » et « boit plus ».
Détresse émotionnelle
Les principales variables d'exposition dans cette étude étaient trois mesures de la détresse émotionnelle, à savoir l'augmentation des ressentis de stress, de solitude et de désespoir depuis le début de la pandémie de COVID‑19. Nous avons évalué les augmentations par le biais des réponses à la question « Depuis le début de la pandémie de COVID‑19 en mars, avez-vous plus ou moins eu les ressentis suivants? » La fréquence des options de réponse – « beaucoup moins », « un peu moins », « autant », « un peu plus » et « beaucoup plus » – a été enregistrée sur une échelle de Likert à cinq points. Les réponses ont été dichotomisées pour mettre en évidence la présence accrue de chaque état émotionnel (un peu plus ou beaucoup plus) par rapport à une présence équivalente ou moindre. Veuillez noter que notre étude ne porte pas sur des troubles psychiatriques ou psychologiques diagnosticables mais sur des formes de détresse émotionnelle. Bien que ces réactions soient généralement subcliniques seulement, il est néanmoins important d'étudier leurs répercussions en santé publiqueNote de bas de page 38.
Genre
La détermination du genre des répondants repose sur leur réponse à la question « Quelle est votre identité de genre? », les options de réponse étant « homme », « femme » et « personne non binaire ». Le genre a été utilisé comme covariable dans les modèles ajustés et à des fins de stratification. Compte tenu des différences observées selon le genre/sexe en matière de santé émotionnelle et mentale et de comportements touchant la consommation d'alcoolNote de bas de page 39, il est important d'envisager la possibilité d'associations spécifiques au genre entre détresse émotionnelle et fréquence de consommation.
Trois répondants se sont identifiés comme personnes non binaires. Bien que leurs réponses aient été incluses dans toutes les analyses, nous ne les présentons pas à part en raison de la petite taille de cette population.
Autres covariables
Nous avons inclus dans nos analyses des covariables connues pour être associées à la consommation d'alcool. Outre le genre, ces covariables ont été l'origine ethnique (Blanc et non-Blanc), l'âge (variable continue), la langue officielle parlée (français, anglais), le fait de vivre seul (oui, non), le fait d'avoir obtenu un baccalauréat (oui, non), la situation professionnelle (employé à temps plein/partiel, retraité, chômeur/ne peut pas travailler, autre) et la province de résidence (Nouveau‑Brunswick, Nouvelle‑Écosse).
Nous avons inclus une covariable représentative de la santé mentale globale autoévaluée pour tenir compte de la santé mentale et du bien-être à long terme. Les réponses à la question « En général, comment qualifieriez-vous votre santé émotionnelle/mentale? » allaient de « mauvaise » à « excellente » sur une échelle de Likert standard à cinq points. Cette mesure a été dichotomisée pour mettre en évidence une santé mentale mauvaise/passable par rapport à une santé mentale bonne/très bonne/excellente, comme c'est généralement l'usage dans la littératureNote de bas de page 40.
Analyses
Nous présentons des statistiques descriptives et une estimation des taux de prévalence pour l'échantillon total (voir tableau 1). Des modèles distincts de régression multinomiale non ajustés et ajustés ont servi à estimer les modifications de fréquence de la consommation d'alcool depuis le début de la pandémie de COVID‑19 en fonction de l'augmentation des ressentis de stress, de solitude et de désespoir. Tous les modèles ont été répétés, stratifiés selon l'identité de genre et ajustés pour les autres covariables. Toutes les analyses intègrent des pondérations analytiques pour tenir compte de la conception de l'étude et du défaut de réponse des participants, de façon à être représentatives du genre, de l'âge et des profils régionaux des adultes de chacune des deux provinces. Nous avons évalué la multicolinéarité de nos mesures à l'aide de facteurs d'inflation de la variance (FIV) et les résultats se situaient dans les limites normales. Toutes les analyses ont été réalisées à l'aide de STATA version 16.1 (StataCorp LP, College Station, Texas, États-Unis).
Afin de recueillir des données pour les analyses de sensibilité, une question spécifique sur la consommation d'alcool a été posée aux répondants : « Au début de la pandémie de COVID‑19 en mars 2020, comment décririez-vous votre consommation d'alcool? » Les options de réponse étaient « Je buvais plus souvent », « Je consommais un plus grand nombre de verres lorsque je buvais », « Je buvais à la fois plus fréquemment et en plus grande quantité », « Je buvais moins fréquemment et/ou moins de verres », « Ma consommation d'alcool était à peu près la même qu'avant la COVID‑19 » et « Je ne bois pas d'alcool ». Les options de réponse ont été combinées pour mesurer une consommation d'alcool plus fréquente/en plus grande quantité, une consommation d'alcool identique, une consommation d'alcool moins fréquente/en moins grande quantité et l'absence de consommation d'alcool.
Résultats
Analyses descriptives
Sur les 2 000 participants inclus dans l'analyse, 51,9 % ont déclaré être des femmes, avec un âge médian (écart-type [ET]) des participants de 50,5 (17,2) ans (voir tableau 1). La plupart des répondants étaient Blancs (92,8 %), parlaient anglais (85,5 %) et vivaient avec d'autres personnes (80,2 %). Un peu plus d'un tiers étaient titulaires un baccalauréat (34,5 %). Plus de la moitié avaient un emploi à temps plein ou à temps partiel (57,7 %), 26 % étaient retraités et 6,4 % au chômage. Plus des trois quarts des répondants ont qualifié leur santé mentale et leur bien-être d'excellents (76,9 %) et la même proportion (76,9 %) a déclaré consommer de l'alcool.
Mesures | Fréquence non pondérée (n) |
Prévalence pondérée (%) |
---|---|---|
Mesures sociodémographiques | ||
Origine ethnique | ||
Blanc | 1 897 | 92,8 |
Non-Blanc | 103 | 7,2 |
Genre | ||
Homme | 884 | 47,7 |
Femme | 1 113 | 51,9 |
Non binaire | 3 | 0,4 |
Âge moyen (ET), en années | 2 000 | 50,5 (17,2) |
Langue officielle parlée | ||
Français | 327 | 14,5 |
Anglais | 1 673 | 85,5 |
Vit seul | ||
Non | 1 554 | 80,2 |
Oui | 446 | 19,8 |
Baccalauréat terminé | ||
Non | 1 350 | 65,5 |
Oui | 650 | 34,5 |
Situation professionnelle | ||
Employé | 948 | 57,7 |
Retraité | 816 | 25,9 |
Chômeur/ne peut pas travailler | 105 | 6,4 |
Autre | 131 | 9,9 |
Province de résidence | ||
Nouveau-Brunswick | 1 000 | 50,0 |
Nouvelle-Écosse | 1 000 | 50,0 |
Auto-évaluation de la santé mentale | ||
Bonne/très bonne/excellente | 1 669 | 76,9 |
Mauvaise/passable | 331 | 23,1 |
Mesures psychosociales | ||
Ressenti accru de stressNote de bas de page a | ||
Non | 1 260 | 56,5 |
Oui | 740 | 43,5 |
Ressenti accru de solitudeNote de bas de page a | ||
Non | 1 357 | 61,6 |
Oui | 643 | 38,4 |
Ressenti accru de désespoirNote de bas de page a | ||
Non | 1 630 | 74,4 |
Oui | 370 | 25,3 |
Modification de la fréquence de consommation d'alcoolNote de bas de page a | ||
Ne boit pas | 532 | 23,1 |
Boit moins maintenant | 279 | 14,8 |
Boit autant | 992 | 49,9 |
Boit davantage maintenant | 197 | 12,2 |
Source : Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID-19. Abréviation : ET, écart-type.
|
Un huitième des répondants (12,2 %) ont déclaré avoir commencé à boire de l'alcool plus fréquemment depuis mars 2020, 49,9 % ont déclaré en boire à peu près autant, 14,8 % ont déclaré en boire moins et 23,1 % ont déclaré ne pas boire d'alcool. En ce qui concerne la détresse émotionnelle, depuis le début de la pandémie de COVID‑19, environ 43,5 % des répondants ont déclaré ressentir un niveau accru de stress, 38,4 % un sentiment accru de solitude et 25,3 % un sentiment accru de désespoir.
En ce qui concerne les covariables sociodémographiques et psychosociales, les femmes, les répondants n'ayant pas de baccalauréat et les retraités étaient plus susceptibles de ne pas boire d'alcool (voir tableau 2). Les répondants ayant déclaré boire de l'alcool plus fréquemment depuis le début de la pandémie de COVID‑19 étaient, en moyenne, plus jeunes et plus nombreux à faire état d'une santé mentale passable ou mauvaise et de degrés élevés de stress, de solitude et de désespoir.
Mesures | Prévalence pondérée (IC à 95 %) | |||
---|---|---|---|---|
Ne boit pas d'alcool (n = 532) (n = 461, pondéré) |
Boit moins d'alcool maintenant (n = 279) (n = 296, pondéré) |
Boit autant d'alcool (n = 992) (n = 998, pondéré) |
Boit davantage d'alcool maintenant (n = 197) (n = 244, pondéré) |
|
Origine ethnique | ||||
Blanc | 93,5 (89,9 à 95,8) | 92,6 (87,1 à 95,9) | 94,0 (91,6 à 95,8) | 86,8 (79,0 à 92,0) |
Non-Blanc | 6,5 (4,2 à 10,1) | 7,4 (4,1 à 12,9) | 6,0 (4,2 à 8,4) | 13,2 (8,0 à 21,0) |
Genre | ||||
Homme | 40,2 (35,3 à 45,3) | 44,6 (37,7 à 51,7) | 51,6 (47,9 à 55,2) | 49,6 (41,4 à 57,7) |
Femme | 59,8 (54,7 à 64,7) | 54,4 (47,3 à 61,3) | 48,2 (44,6 à 51,9) | 49,2 (41,1 à 57,4) |
Âge moyen, en années | 56,3 (54,2 à 58,4) | 47,9 (45,4 à 50,5) | 50,19 (48,9 à 51,5) | 44,1 (41,6 à 46,5) |
Langue officielle parlée | ||||
Français | 14,6 (11,7 à 18,1) | 17,2 (12,9 à 22,6) | 14,5 (12,3 à 17,2) | 10,9 (7,2 à 16,0) |
Anglais | 85,4 (81,9 à 88,3) | 82,8 (77,4 à 87,1) | 85,5 (82,8 à 87,7) | 89,1 (84,0 à 92,8) |
Vit seul | ||||
Non | 75,0 (70,8 à 78,9) | 82,0 (76,2 à 86,6) | 81,8 (78,9 à 84,4) | 81,0 (73,9 à 86,6) |
Oui | 25,0 (21,1 à 29,2) | 18,0 (13,4 à 23,8) | 18,2 (15,6 à 21,1) | 19,0 (13,4 à 26,1) |
Baccalauréat terminé | ||||
Non | 78,0 (73,5 à 82,0) | 67,1 (60,2 à 73,3) | 60,5 (56,9 à 64,0) | 60,2 (52,0 à 68,0) |
Oui | 22,0 (18,0 à 26,5) | 32,9 (26,7 à 39,8) | 39,5 (36,0 à 43,1) | 39,8 (32,0 à 48,0) |
Situation professionnelle | ||||
Employé | 45,7 (40,7 à 50,8) | 53,6 (46,6 à 60,5) | 61,2 (57,7 à 64,5) | 71,3 (64,0 à 77,7) |
Retraité | 36,6 (32,3 à 41,0) | 23,3 (19,0 à 28,4) | 25,1 (22,6 à 27,7) | 12,5 (9,2 à 16,8) |
Chômeur/ne peut pas travailler | 6,6 (4,4 à 9,8) | 6,9 (4,2 à 11,3) | 6,4 (4,6 à 8,7) | 5,3 (3,0 à 9,2) |
Autre | 10,4 (7,1 à 15,0) | 12,5 (7,8 à 19,6) | 6,4 (4,6 à 8,7) | 9,3 (5,3 à 15,7) |
Province de résidence | ||||
Nouveau-Brunswick | 45,9 (41,0 à 50,8) | 40,6 (34,2 à 47,3) | 46,4 (42,9 à 50,1) | 39,9 (32,3 à 48,0) |
Nouvelle-Écosse | 54,1 (49,2 à 59,0) | 59,4 (52,7 à 65,8) | 53,6 (49,9 à 57,1) | 60,1 (52,0 à 67,7) |
Auto-évaluation de la santé mentale | ||||
Bonne/très bonne/excellente | 80,8 (76,2 à 84,7) | 70,8 (63,1 à 77,4) | 80,7 (77,2 à 83,7) | 61,3 (52,7 à 69,3) |
Mauvaise/passable | 19,2 (15,3 à 23,8) | 29,2 (22,6 à 36,9) | 19,3 (16,3 à 22,8) | 38,7 (30,7 à 47,3) |
Ressenti accru de stressNote de bas de page a | ||||
Non | 67,6 (62,4 à 72,3) | 56,4 (49,3 à 63,3) | 56,5 (52,8 à 60,1) | 33,2 (26,5 à 40,8) |
Oui | 32,4 (27,7 à 37,6) | 43,6 (36,7 à 50,7) | 43,5 (39,9 à 47,2) | 66,8 (59,2 à 73,5) |
Ressenti accru de solitudeNote de bas de page a | ||||
Non | 70,3 (65,3 à 74,9) | 56,7 (49,4 à 63,7) | 63,6 (59,9 à 67,2) | 42,6 (34,9 à 50,7) |
Oui | 29,7 (25,1 à 34,7) | 43,3 (36,3 à 50,6) | 36,4 (32,8 à 40,1) | 57,4 (49,3 à 65,1) |
Ressenti accru de désespoirNote de bas de page a | ||||
Non | 79,4 (74,3 à 83,7) | 73,1 (65,9 à 79,3) | 77,9 (74,4 à 81,1) | 55,1 (46,7 à 63,2) |
Oui | 20,6 (16,3 à 25,7) | 26,9 (20,7 à 34,1) | 22,1 (18,9 à 25,6) | 44,9 (36,8 à 53,3) |
Source : Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID-19. Abréviation : IC, intervalle de confiance.
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Davantage d'hommes que de femmes ayant répondu à l'enquête ont dit consommer de l'alcool, tandis que les femmes ont été proportionnellement plus nombreuses à faire état de ressentis de stress et de désespoir depuis le début de la pandémie de COVID‑19 (voir tableau 3).
Mesures | Prévalence pondérée (IC à 95 %) | |
---|---|---|
Hommes (N = 884) |
Femmes (N = 1 113) |
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Ressenti accru de stress | ||
Non | 64,6 (60,6 à 68,4) | 48,9 (45,6 à 52,4) |
Oui | 35,4 (31,6 à 39,4) | 51,0 (47,6 à 54,4) |
Ressenti accru de solitude | ||
Non | 65,4 (61,4 à 69,3) | 58,2 (54,8 à 61,7) |
Oui | 34,6 (30,8 à 38,6) | 41,8 (38,4 à 45,2) |
Ressenti accru de désespoir | ||
Non | 79,0 (75,1 à 82,5) | 71,2 (67,8 à 74,5) |
Oui | 21,0 (17,5 à 24,9) | 28,8 (25,5 à 32,2) |
Modification de la fréquence de consommation d'alcool | ||
Ne boit pas | 19,4 (16,6 à 22,6) | 26,6 (23,8 à 29,5) |
Boit moins maintenant | 13,9 (11,3 à 16,9) | 15,5 (13,1 à 18,2) |
Boit autant | 54,0 (50,1 à 57,9) | 46,4 (43,0 à 49,8) |
Boit davantage maintenant | 12,7 (10,1 à 15,8) | 11,6 (9,4 à 14,1) |
Source : Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID-19. Abréviation : IC, intervalle de confiance. |
Résultats de la régression des effets principaux
En ce qui concerne la modification de la fréquence de consommation d'alcool, les estimations ajustées issues des modèles de régression multinomiale montrent une association entre l'augmentation des ressentis de stress (rapport de cotes [RC] = 1,99, IC à 95 % : 1,35 à 2,93), de solitude (1,79; 1,22 à 2,61) et de désespoir (1,98; 1,21 à 3,23) depuis le début de la pandémie de COVID‑19 et l'augmentation de la fréquence de consommation d'alcool (voir tableau 4).
Mesure | Rapport de cotes (IC à 95 %) | ||
---|---|---|---|
« Ne boit pas » par rapport à « Boit autant » |
« Boit moins » par rapport à « Boit autant » |
« Boit davantage» par rapport à « Boit autant » |
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Ressenti accru de stress | |||
Non ajusté | 0,62Note de bas de page ** (0,47 à 0,82) | 1,00 (0,73 à 1,38) | 2,61Note de bas de page ** (1,83 à 3,71) |
AjustéNote de bas de page a | 0,64Note de bas de page ** (0,47 à 0,86) | 0,78 (0,54 à 1,12) | 1,99Note de bas de page ** (1,35 à 2,93) |
Ressenti accru de solitude | |||
Non ajusté | 0,74Note de bas de page * (0,56 à 0,97) | 1,33 (0,96 à 1,85) | 2,35Note de bas de page ** (1,64 à 3,36) |
AjustéNote de bas de page a | 0,79 (0,58 à 1,08) | 1,10 (0,78 à 1,57) | 1,79Note de bas de page ** (1,22 à 2,61) |
Ressenti accru de désespoir | |||
Non ajusté | 0,91 (0,65 à 1,29) | 1,30 (0,88 à 1,92) | 2,87Note de bas de page ** (1,95 à 4,23) |
AjustéNote de bas de page a | 1,07 (0,71 à 1,60) | 0,91 (0,57 à 1,45) | 1,98Note de bas de page ** (1,21 à 3,23) |
Source : Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID-19. Abréviation : IC, intervalle de confiance.
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Résultats de la régression stratifiée
Dans les modèles de régression logistique multinomiale non ajustés, des ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir ont été associés à une consommation d'alcool plus fréquente, tant chez les hommes que chez les femmes. Cependant, après ajustement en fonction de l'origine ethnique, de l'âge, de la langue officielle parlée, du statut familial (vivant seul ou non), de la scolarité, de la situation professionnelle, de la province de résidence et de la santé mentale autoévaluée, ces associations ne subsistaient que pour les hommes (voir tableau 5).
Mesure | Rapport de cotes (IC à 95 %) | ||
---|---|---|---|
« Ne boit pas » par rapport à « Boit autant » | « Boit moins » par rapport à « Boit autant » | « Boit davantage» par rapport à « Boit autant » | |
Ressenti accru de stress | |||
Non ajusté | |||
Hommes | 0,63 (0,38 à 1,03) | 1,05 (0,62 à 1,19) | 3,46Note de bas de page ** (2,03 à 5,90) |
Femmes | 0,52Note de bas de page ** (0,37 à 0,73) | 0,84 (0,56 à 1,27) | 1,91Note de bas de page ** (1,20 à 3,06) |
AjustéNote de bas de page a | |||
Hommes | 0,71 (0,41 à 1,21) | 0,79 (0,44 à 1,42) | 2,77Note de bas de page ** (1,53 à 5,00) |
Femmes | 0,58Note de bas de page ** (0,41 à 0,83) | 0,72 (0,45 à 1,13) | 1,45 (0,90 à 2,35) |
Ressenti accru de solitude | |||
Non ajusté | |||
Hommes | 0,66 (0,40 à 1,09) | 1,33 (0,78 à 2,23) | 3,05Note de bas de page ** (1,77 à 5,29) |
Femmes | 0,73 (0,52 à 1,03) | 1,24 (0,81 à 1,89) | 1,94Note de bas de page ** (1,29 à 3,12) |
AjustéNote de bas de page a | |||
Hommes | 0,69 (0,41 à 1,16) | 0,98 (0,54 à 1,79) | 2,19Note de bas de page ** (1,22 à 3,95) |
Femmes | 0,84 (0,58 à 1,23) | 1,11 (0,73 à 1,70) | 1,61 (0,98 à 2,63) |
Ressenti accru de désespoir | |||
Non ajusté | |||
Hommes | 0,94 (0,49 à 1,81) | 1,35 (0,71 à 2,57) | 3,26Note de bas de page ** (1,77 à 6,02) |
Femmes | 0,81 (0,54 à 1,22) | 1,11 (0,68 à 1,83) | 2,43Note de bas de page ** (1,47 à 4,01) |
AjustéNote de bas de page a | |||
Hommes | 1,11 (0,52 à 2,37) | 0,85 (0,37 à 1,92) | 2,14Note de bas de page * (1,01 à 4,53) |
Femmes | 1,04 (0,66 à 1,65) | 0,92 (0,53 à 1,59) | 1,79 (0,94 à 3,42) |
Source : Enquête de 2020 sur la consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID-19. Abréviation : IC, intervalle de confiance.
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L'augmentation des ressentis de stress (RC = 2,77; IC à 95 % : 1,53 à 5,00), de solitude (RC = 2,19; IC à 95 % : 1,22 à 3,95) et de désespoir (RC = 2,14; IC à 95 % : 1,01 à 4,53) a été associée à une consommation d'alcool plus fréquente depuis le début de la pandémie de COVID‑19. Cependant, dans chaque modèle, les intervalles de confiance des répondants masculins et féminins se chevauchent, ce qui indique l'absence d'effet modérateur attribuable au genre. Nous avons également évalué l'interaction entre le genre et chaque mesure de la détresse émotionnelle dans nos modèles d'effets principaux concernant les modifications dans la fréquence de consommation d'alcool depuis le début de la pandémie de COVID‑19. Tous les termes d'interaction avec le genre se sont révélés non significatifs, ce qui est conforme aux résultats de nos modèles stratifiés.
Analyses de sensibilité
Nous avons analysé à nouveau les modèles d'effets principaux sur la base des réponses fusionnées à la question sur la consommation d'alcool « Au début de la pandémie de COVID‑19 en mars 2020, comment décririez-vous votre consommation d'alcool? ». Les modèles ajustés ont fait état d'associations similaires entre les ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir et l'augmentation de la consommation d'alcool pendant la pandémie, quoique les estimations de l'ampleur de l'effet aient été réduites (données disponibles sur demande auprès des auteurs). Pour confirmer les effets temporels de l'association entre les variations de la détresse émotionnelle et les modifications de la fréquence de consommation d'alcool en raison de la pandémie de COVID‑19, nous avons évalué l'association entre des ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir et la consommation excessive soutenue d'alcool (répondants ayant déclaré boire des quantités élevées similaires au fil du temps, soit à une fréquence allant de 4 jours par semaine à tous les jours/plusieurs fois par jour). Pour les trois mesures, le stress (p = 0,69), la solitude (p = 0,097) et le désespoir (p = 0,14), il n'y avait pas d'association entre une augmentation de ces ressentis et la consommation excessive soutenue d'alcool. Cette observation vient étayer la conclusion selon laquelle la détresse émotionnelle liée à la pandémie est susceptible d'être associée à des modifications de fréquence de la consommation d'alcool.
Analyse
Cette étude révèle des associations importantes entre le comportement en matière de consommation d'alcool et la détresse émotionnelle pendant la pandémie de COVID‑19. Des proportions similaires d'adultes ont déclaré boire de l'alcool plus fréquemment (12,2 %) et boire de l'alcool moins fréquemment (14,8 %) depuis le début de la pandémie. Des tendances contraires similaires ont été observées dans d'autres études récentesNote de bas de page 16Note de bas de page 22 et témoignent de la manière originale dont la pandémie de COVID‑19 influe sur la consommation d'alcool. Rehm et ses collèguesNote de bas de page 12 affirment que le fardeau que représente la pandémie incite certaines personnes à s'automédicamenter avec de l'alcool, tandis que d'autres personnes réduisent leur consommation en raison des restrictions relatives à l'alcool et à son accessibilité dans le contexte de la pandémie. Il nous semble pertinent de chercher à préciser les raisons pour lesquelles certaines personnes ont augmenté leur fréquence de consommation pendant la pandémieNote de bas de page 15Note de bas de page 25.
Nous avons constaté que les répondants ayant fait état de ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir depuis le début de la pandémie de COVID‑19 étaient plus susceptibles de faire état d'une fréquence accrue de consommation d'alcool pendant cette période. Sachant qu'une détresse accrue est une réaction courante à l'incertitude résultant des catastrophes et des crises de santé publiqueNote de bas de page 38Note de bas de page 40Note de bas de page 41Note de bas de page 42, on peut supposer que certaines personnes ont adopté la consommation d'alcool comme stratégie d'adaptation mésadaptéeNote de bas de page 11. Les raisons sous-jacentes invoquées sont généralement l'incertitude quant à l'emploi, la pression financière, les perturbations de la vie quotidienne et les préoccupations concernant la santé des prochesNote de bas de page 41Note de bas de page 42. Au-delà de la menace directe pour la santé qu'elle représente, la COVID‑19 provoque de nombreuses incertitudes liées à la quarantaine, aux restrictions intermittentes d'accès aux écoles, aux milieux de travail et aux autres lieux publics et au sentiment d'isolement social. Depuis le début de la pandémie, une grande partie des répondants ont fait état de ressentis accrus de stress (43,5 %), de solitude (38,4 %) et de désespoir (25,3 %), avec des taux significativement plus élevés chez les femmes. La réaction au stress présente des différences bien établies selon le sexe ou le genreNote de bas de page 43Note de bas de page 44. Or ces différences peuvent être exacerbées par la pandémie du fait que les femmes s'occupent principalement des enfants et qu'elles constituent la plus grande part du personnel de santé de première ligneNote de bas de page 31; en outre, la participation des femmes à la main-d'œuvre a chuté davantage que celle des hommes au cours des premiers mois de la pandémieNote de bas de page 45.
Bien que notre étude ne porte que sur les corrélations et non sur la causalité, nos résultats donnent à penser que certaines personnes peuvent avoir consommé de l'alcool pour faire face à la détresse émotionnelle liée à la pandémie. Les répondants qui ont fait état d'une augmentation des ressentis de stress, de solitude ou de désespoir étaient environ deux fois plus susceptibles de déclarer qu'ils buvaient plus fréquemment depuis le début de la pandémie de COVID‑19. Il s'agit là d'une tendance inquiétante, qui mérite d'être étudiée davantage.
Nos conclusions rejoignent celles d'études antérieures sur le rôle de la consommation de substances comme forme d'adaptation ou d'automédication en période de détresse, de manière plus générale, et en réaction à des événements traumatiques aigus ou à des catastrophesNote de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 11. Cette constatation touche également à la nature concomitante de la consommation problématique de substances et de la mauvaise santé mentaleNote de bas de page 46. Il est intéressant de noter que, malgré les taux élevés de stress, de solitude et de désespoir signalés par les femmes, les analyses stratifiées en fonction du genre ont révélé que les états émotionnels intensifiés étaient significativement associés à une consommation d'alcool plus fréquente chez les hommes, mais pas chez les femmes. Des recherches antérieures ont montré que la réaction à la détresse et les stratégies d'adaptation des hommes et des femmes diffèrent considérablementNote de bas de page 47, les hommes ayant davantage tendance à réagir à la détresse émotionnelle par la consommation de substancesNote de bas de page 9. En général, les femmes sont davantage portées à rechercher un soutien social en période de stress, une option limitée par les restrictions liées à la pandémie et l'accès réduit à des stratégies d'adaptation positivesNote de bas de page 48Note de bas de page 49. À l'inverse, les hommes ont tendance à complètement ignorer les possibilités d'adaptation ou à externaliser leurs stratégies d'adaptation. Ainsi, l'observation d'une association entre la détresse et l'augmentation de la fréquence de consommation d'alcool pendant la pandémie de COVID‑19 n'est pas surprenanteNote de bas de page 50.
Plusieurs études indiquent que le fardeau psychosocial de la pandémie de COVID‑19 nécessite une intervention accrue aux niveaux sociétal, local et individuelNote de bas de page 5. Un examen des approches gouvernementales visant à réduire la détresse de la population et à accroître le respect des restrictions liées à la pandémie serait bénéfiqueNote de bas de page 51, compte tenu de nos résultats. La consommation d'alcool motivée par la détresse émotionnelle pourrait diminuer si une attention accrue était accordée au fardeau psychosocial de la pandémie de COVID‑19.
Points forts et limites
Tout d'abord, les données de cette étude étaient transversales et nos principales mesures d'exposition et de résultats se rapportent à des événements mesurés à un seul moment dans le temps. Nous ne pouvons donc pas en déduire un ordre ou un effet causal (par exemple, les personnes qui consomment plus d'alcool pendant la pandémie peuvent ressentir une détresse accrue en conséquence).
Deuxièmement, les réponses provenaient directement des répondants et étaient donc sujettes à des biais de réponse, notamment le biais de désirabilité sociale et le biais de rappel. Ces biais pourraient toucher en particulier les évaluations relatives aux habitudes antérieures de consommation et à l'évolution de la fréquence de consommation, bien que les associations avec la détresse émotionnelle aient été cohérentes lorsque nous avons utilisé l'autre mesure de l'évolution de la consommation. Dans le même ordre d'idées, la troisième limite de notre étude est le faible taux de réponse, de 10 % à 14 %, qui entraîne probablement un biais de non-réponse. Avec des sociétés d'études de marché, on s'attend à de tels taux de réponse, puisqu'ils incluent toutes les occurrences où un numéro de téléphone ou une demande à un panel aléatoire n'a pas entraîné un questionnaire complété, notamment les numéros de téléphone hors service et ceux d'entreprises et d'organismes, ce qui fait augmenter le taux de non-réponse. En ce qui a trait au biais de non-réponse, certaines catégories de personnes sont logiquement plus susceptibles de répondre à l'enquête (comme les retraités, les personnes travaillant à distance) que d'autres (comme les travailleurs essentiels qui ont peu de chance d'être à la maison pour répondre au téléphone).
Bien que les données aient été pondérées pour être représentatives des profils d'âge, de genre et de répartition régionale de la population adulte de chaque province, il est probable que nos données ne soient pas totalement représentatives. Cependant, on ne relève pas de manière générale dans la littérature d'association entre des taux de réponse faibles et un biais élevéNote de bas de page 34Note de bas de page 35Note de bas de page 36. Quatrièmement, nous ne sommes pas en mesure d'examiner si la consommation d'alcool et la détresse émotionnelle varient selon le sexe, car l'ensemble de données ne comprend que l'expression du genre.
Enfin, cette étude ne porte que sur des répondants du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse, deux provinces qui s'en sortent relativement bien en ce qui concerne le nombre de cas de COVID‑19 et l'étendue et la durée des restrictions imposées en raison de la pandémie. Ces résultats ne sont donc pas généralisables aux autres régions du Canada.
Malgré ces limitations, cette étude enrichit un domaine de recherche important et d'actualité. Nos résultats montrent qu'il est nécessaire de prendre en compte les effets pervers de la pandémie de COVID‑19 et des vastes mesures de santé publique qui en découlent. D'après cette expérience portant directement sur la réalité, environ une personne sur dix aurait utilisé l'alcool comme forme d'automédication pendant cette période de bouleversements, ce qui incite à ce que les futurs messages de santé publique incluent des mises en garde contre la consommation d'alcool motivée par les émotions et contre d'autres comportements de consommation à haut risque.
Conclusion
La pandémie de COVID‑19 a eu des répercussions indirectes importantes sur la santé et le bien-être des Canadiens. Les restrictions liées à la pandémie ont affecté la vie quotidienne de nombreuses personnes, influençant leur niveau de détresse et leurs capacités d'adaptation. Ces niveaux accrus de détresse ont touché globalement entre un quart et près de la moitié des répondants, mais ils ont été vécus de manière disproportionnée par les femmes.
Cette étude a révélé que les adultes ayant déclaré avoir des ressentis accrus de stress, de solitude et de désespoir depuis le début de la pandémie ont consommé de l'alcool plus fréquemment qu'avant la pandémie et que la consommation d'alcool a augmenté chez plus d'une personne sur dix. Toutefois, cette association se limite essentiellement aux hommes. Les recherches futures devraient viser à offrir une analyse plus précise des facteurs qui contribuent à l'augmentation de la consommation d'alcool depuis le début de la pandémie de COVID‑19, de façon à favoriser la mise en œuvre de stratégies visant une consommation réduite ou moins nocive d'alcool ou visant à atténuer les effets des ressentis de détresse sur la santé des Canadiens. Comprendre comment la pandémie a eu une influence sur la santé mentale et la consommation d'alcool connexe peut éclairer les politiques sur le contrôle de l'alcool et les interventions en santé publique susceptibles de limiter les méfaits de l'alcool.
Remerciements
Cette recherche a été soutenue par une subvention du ministère de la Santé et du Mieux-être de la Nouvelle-Écosse et par une subvention de la Fondation de l'innovation du Nouveau‑Brunswick, de la Fondation de la recherche en santé du Nouveau‑Brunswick et de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, dans le cadre d'une intervention conjointe visant à financer la recherche liée à la COVID‑19 (numéro de subvention COV2020‑089). Les organismes de financement ne sont pas intervenus dans cette recherche.
Conflits d'intérêts
Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts.
Contributions des auteurs et avis
- MA, KT et DD ont participé à la conception de l'étude et à l'obtention du financement.
- MA et TL ont effectué l'analyse formelle.
- MA, KT et KM ont rédigé conjointement la version originale.
- DD, KM, SB et TL ont revu le manuscrit.
Le contenu de l'article et les points de vue qui y sont exprimés n'engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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