Commentaire – Pour un portrait complet : proposition de cadre pour la surveillance et la recherche dans le domaine de la maltraitance envers les enfants au Canada
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : septembre 2021
ISSN: 2368-7398
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Andrea Gonzalez, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Tracie O. Afifi, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Lil Tonmyr, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3
https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.11.07f
(Publié le 27 septembre 2021)
Rattachement des auteurs
Correspondance
Andrea Gonzalez, Offord Centre for Child Studies, Université McMaster, 1280, rue Main Ouest, Hamilton (Ontario) L8S 4K1; tél. : 905-510-1652; courriel : gonzal@mcmaster.ca
Citation proposée
Gonzalez A, Afifi TO, Tonmyr L. Pour un portrait complet : proposition de cadre pour la surveillance et la recherche dans le domaine de la maltraitance envers les enfants au Canada. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2021. https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.11.07f
Points saillants
- La pandémie de COVID-19 a entraîné une augmentation des facteurs de risque associés à la violence familiale.
- Au Canada, nous ignorons si la pandémie a exacerbé les risques de maltraitance envers les enfants.
- Les recommandations visant à renforcer notre cadre de surveillance et de recherche dans le domaine de la maltraitance envers les enfants comprennent l’ajout de questions liées à la maltraitance dans les enquêtes nationales portant sur la santé et la victimisation, par exemple dans la prochaine Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes.
- Des activités de surveillance rigoureuses et des travaux de recherche solides dans le domaine de la maltraitance envers les enfants vont fournir une source essentielle de données sur les tendances observées au fil du temps dans divers sous-groupes et nous permettre de formuler des hypothèses et de les vérifier, puis d’évaluer et de mettre en œuvre des interventions.
- En renforçant notre cadre de surveillance et de recherche dans le domaine de la maltraitance, nous aurons davantage de soutien pour nos engagements en ce qui concerne l’élimination de la violence envers tous les enfants.
Introduction
La propagation rapide de la COVID-19 ainsi que la morbidité et la mortalité importantes qui lui sont associées ont entraîné une perturbation sans précédent de la vie des individus partout dans le monde. L’évolution de la pandémie et sa longue durée ont créé de l’incertitude et de l’imprévisibilité. Les multiples vagues d’infections, les hospitalisations, les décès et les restrictions imposées par les autorités de santé publique ont eu une grande incidence sur le quotidien de millions de personnes, ce qui a augmenté les risques de problèmes de santé mentaleNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3. Toutefois, les données ne sont pas toujours cohérentes. En effet, selon un rapport, si la détresse psychologique a augmenté au cours des premiers mois de la pandémie, la plupart des paramètres associés à la détresse sont revenus à la normale à la mi-2020, et le sentiment de solitude, la satisfaction à l’égard de la vie et les taux de suicide sont demeurés stablesNote de bas de page 4.
Ce numéro spécial souligne les effets négatifs de la première année de la pandémie sur la santé mentale et le bien-être des Canadiens. Au cours des dix premiers mois qui ont suivi le début officiel de la pandémie, les taux de consommation d’alcool et de cannabisNote de bas de page 5Note de bas de page 6 et de dépressionNote de bas de page 7 ont augmenté, les taux de perception positive de sa santé mentale, de satisfaction à l’égard de la vie et de sentiment d’appartenance à la communautéNote de bas de page 8 ont diminué, tandis qu’aucun changement n’a été observé en ce qui concerne les idées suicidairesNote de bas de page 9. Cependant, les Canadiens n’ont pas tous été touchés de la même manière. Comme l’affirment Varin et ses collaborateursNote de bas de page 5, « il est essentiel de comprendre les déterminants sociaux de la santé pour élaborer des stratégies de réduction et d’atténuation des méfaits ». En effet, le fait d’être jeune, de vivre en milieu urbain et d’avoir des problèmes de santé mentale a été associé à une probabilité accrue de conséquences négativesNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7. De façon analogue, les Canadiennes, et en particulier celles qui s’occupaient d’enfants de moins de 18 ans, ont eu tendance à être plus gravement affectées, ce qui concorde avec les résultats de travaux de recherche internationaux menés sur le sujetNote de bas de page 3.
Bien qu’instructives, ces conclusions sont limitées en raison de la nature des données recueillies, des caractéristiques d’ordre sociodémographique, du caractère limité des ensembles de facteurs individuels (par exemple l’anxiété, les symptômes dépressifs, la maîtrise de soi), des facteurs communautaires (par exemple le sentiment d’appartenance) et de l’exposition aux facteurs de stress liés à la pandémie. On constate d’importantes lacunes dans notre compréhension de l’ensemble des répercussions de la COVID-19 sur les femmes et les enfants, en particulier quant à savoir si la situation a créé une « pandémie fantôme » de violence familiale, notamment de maltraitance envers les enfants.
Outre la maladie et la mort, la pandémie a entraîné un isolement social et physique, une insécurité financière, une hausse de la consommation d’alcool, une augmentation des problèmes de santé mentale, des fermetures d’écoles et un accès réduit aux services médicaux et sociaux, soit autant de facteurs qui ont contribué à accroître le risque de maltraitance envers les enfants. Plusieurs études confortent cette lecture de la situationNote de bas de page 10Note de bas de page 11, tout comme les données empiriques, qui font état d’une augmentation du nombre d’appels passés à des centres d’accueil pour victimes de violence domestique et à des lignes d’assistance téléphonique pour enfantsNote de bas de page 12. Cependant, il existe peu de données empiriques concernant le Canada.
Cet article recense ce que l’on sait au sujet de la violence qui a été infligée aux enfants pendant la pandémie. Il souligne les lacunes en matière de données qui existaient avant la pandémie et montre comment le fait de ne pas y remédier nuit à notre capacité de réduire les méfaits qui touchent les enfants. Les auteurs préconisent la réalisation d’activités de surveillance et de travaux de recherche de façon continue, en mettant l’accent sur les déterminants sociaux de la santé, afin d’ajuster les ressources et les efforts déployés en matière de promotion de la santé et de prévention. Cette démarche est conforme aux priorités de la ministre de la Santé et de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC)Note de bas de page 13. Nous proposons une approche multidimensionnelle de la surveillance et de la recherche dans le domaine de la maltraitance envers les enfants, non seulement pour remédier aux lacunes en matière de données sur le sujet pendant la pandémie, mais aussi, de façon plus générale, pour pallier les lacunes en matière de données sur la violence familiale au Canada.
Maltraitance envers les enfants pendant la pandémie de COVID-19
Bien avant la pandémie de COVID-19, la maltraitance envers les enfants était déjà reconnue comme un problème mondial s’étendant à l’ensemble du spectre sociodémographiqueNote de bas de page 14. Les périodes de crise, comme la pandémie actuelle et ses répercussions économiques et sociales, sont de possibles catalyseurs de violence familiale. En effet, alors que la pandémie se poursuit, on voit de plus en plus de données sur l’exposition des enfants à des formes de violenceNote de bas de page 15. Si, de manière générale, les données indiquent un risque accru de victimisation, les observations sont mitigées et fluctuent en fonction de la source de la violence et du moment auquel elle survient. En fait, les cas présumés de violence faite aux enfants qui ont été dénoncés à la police ou aux services de protection de l’enfance ont diminué de jusqu’à 70 %Note de bas de page 12Note de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18 dans le monde, mais les appels adressés à la police pour cause de problèmes domestiques ont augmenté de 12 % au CanadaNote de bas de page 19.
Les tendances en ce qui concerne les appels passés aux lignes d’assistance ne sont pas claires : selon les sources, le nombre d’appels aurait soit augmenté, soit diminué et, dans la moitié des cas, il n’y aurait eu aucun changement de tendanceNote de bas de page 12Note de bas de page 19. Il est possible que ces variations soient dues à des différences entre les injonctions à rester à la maison, au fait que les éducateurs et autres fournisseurs de services ne voyaient plus les enfants et à l’impossibilité pour les victimes d’accéder à des services en toute sécurité ou confidentialité pendant les périodes de confinement.
En se fondant sur les dossiers d’hospitalisation, plusieurs chercheurs ont observé une augmentation des cas de blessures liées à la maltraitance chez les enfantsNote de bas de page 12Note de bas de page 20. Par exemple, le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario a signalé que le nombre de fractures et de traumatismes crâniens chez les enfants de moins d’un an avait plus que doublé entre septembre 2020 et janvier 2021 par rapport à la même période pendant les années ayant précédé la pandémieNote de bas de page 21. Cette observation concorde avec ce qui a été signalé au Royaume‑UniNote de bas de page 22. Des enquêtes locales menées auprès de personnes s’occupant d’enfants ont montré que les facteurs de stress liés à la pandémie, comme la perte d’emploi, l’isolement social et la détresse parentale, étaient associés à une augmentation des cas de violence émotionnelle/psychologique, de négligence physique et de supervision négligente, et à un recours accru à des pratiques disciplinaires sévèresNote de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 23.
Ce portrait mitigé souligne les défis persistants qui affectent la disponibilité et la qualité des données sur la violence faite aux enfantsNote de bas de page 12Note de bas de page 15. Certains de ces problèmes sont liés à un investissement insuffisant dans la réalisation d’enquêtes de routine et d’enquêtes longitudinales et dans le recours à d’autres méthodes de collecte de données pour estimer la prévalence et l’incidence de la maltraitance envers les enfants. Pour obtenir une vue d’ensemble, il convient d’associer les activités de surveillance transversale à la collecte de données longitudinales. Qui plus est, il est possible de le faire en adaptant les approches existantes dans le domaine de la recherche auprès des jeunesNote de bas de page 24. La collecte régulière de données transversales nous permet d’obtenir des estimations de prévalence au fil du temps, et les données longitudinales nous permettent de déceler des changements dans les caractéristiques de la population cible, tant au niveau du groupe qu’au niveau de l’individu.
Les systèmes de données administratives susceptibles de nous aider à estimer l’incidence à l’échelle nationale des signalements effectués auprès des autorités et des fournisseurs de services se sont révélés déficientsNote de bas de page 15, les principales difficultés étant liées à un phénomène de sous-déclaration au sein du système de protection de l’enfanceNote de bas de page 25 et à des préoccupations au sujet des outils de dépistage actuellement utilisés dans les hôpitauxNote de bas de page 26. Le manque de données cohérentes et fiables a nui à notre capacité à comprendre le phénomène de la maltraitance envers les enfants en lien avec la COVID-19, à suivre les tendances en la matière et à élaborer des plans. La pandémie a révélé une déficience majeure du système, à savoir la sous-détection de l’ampleur de la maltraitance envers les enfants au Canada. Alors que nous sortons de la pandémie, nous allons avoir besoin d’une approche globale de collecte de données sur la maltraitance envers les enfants.
Activités de surveillance et de recherche au Canada
À bien des égards, le système de santé publique du Canada a fait de la question de la violence familiale une priorité, grâce au soutien de l’ensemble de la classe politique et de nombreux ministères et organismes fédérauxNote de bas de page 27. Cependant, il est possible d’en faire davantage.
Le gouvernement fédéral a ratifié et mis en œuvre la Convention de l’Organisation des Nations Unies (ONU) relative aux droits de l’enfant et a offert son soutien pour l’atteinte des objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’ONU, notamment en ce qui concerne l’objectif 16.2 visant à « mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation et à la traite, et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants » d’ici 2030Note de bas de page 28.
En 2018, le Canada a rejoint le Partenariat mondial pour mettre fin à la violence envers les enfants en tant que « pays pionnier », renforçant ainsi son engagement à élargir le soutien politique, à mobiliser des ressources supplémentaires et à préparer les praticiens à la lutte contre la violence faite aux enfants. Dans le cadre de cet engagement, le Canada a accepté d’accélérer les mesures prises à l’échelle nationale sur une période de trois à cinq ansNote de bas de page 28. Une surveillance accrue s’alignerait sur les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui a souligné la nécessité de publier des rapports sur les enfants des Premières nations, des Inuits et des Métis qui sont pris en charge et sur les raisons motivant leur prise en charge. Une surveillance accrue répondrait également à la recommandation de surveiller et évaluer la négligence et, indirectement, à celle de réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge, par l’approvisionnement de données probantes pour façonner les interventionsNote de bas de page 29.
Pour déterminer si le Canada respecte son engagement en lien avec la Convention de l’ONU et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, et pour suivre les progrès accomplis dans l’atteinte de l’objectif de développement durable visant à éliminer la violence faite aux enfants d’ici 2030, il faut mettre en place un cadre rigoureux et solide de surveillance et de recherche qui intègre de multiples sources d’information.
Dans le domaine de la santé publique, on définit habituellement la surveillance comme la collecte, l’enregistrement, l’analyse, l’interprétation et la diffusion de données en continu et systématiquement, pour éclairer et évaluer les pratiques en matière de santé publiqueNote de bas de page 30. Les données de surveillance sont utilisées pour faire des suivis, générer des hypothèses et analyser des différences au fil du temps entre divers sous-groupes, par exemple en fonction du sexe ou de la province et ces données sont axées sur les systèmes à une échelle plus globale. Nous avons besoin de travaux de recherche pour vérifier les hypothèses générées par les activités de surveillance et pour répondre à des questions précises concernant l’effet de causalité et l’effet du contexte. Les données probantes provenant de la surveillance et de la recherche peuvent aider à façonner la méthodologie, l’évaluation et la mise en œuvre d’interventions en santé publique et déterminer ce qui fonctionne, pour qui, et pourquoi. Cela aide les décideurs à déterminer quels sont les effets des politiques, grâce à des données utiles et disponibles au fil du tempsNote de bas de page 31. À titre d’exemple de réussite, citons l’utilisation de ce type de données pour l’évaluation des programmes de formation au rôle de parent offerts au ManitobaNote de bas de page 32.
Il est possible de recueillir des données sur la violence familiale à partir de diverses sources, que ce soit les organismes de protection de l’enfance, les dossiers d’hospitalisation, les dossiers judiciaires ou les enquêtes menées auprès de la population. Dans la mesure du possible, les données doivent tenir compte des associations avec les facteurs de risque et les facteurs de protection à l’échelle individuelle, familiale, communautaire et sociale (figure 1).
La collecte de données sur la maltraitance envers les enfants repose sur une approche en santé publique en quatre étapes adoptée par l’Alliance pour la prévention de la violence. La première étape consiste en un travail de surveillance, qui permet de saisir l’ampleur et la portée du problème. La deuxième étape, celle de la recherche, vise à déterminer quels sont les facteurs de risque et les facteurs de protection. La troisième étape consiste à mettre au point des interventions et à les évaluer. La quatrième étape est celle de la diffusion à grande échelle, de l’évaluation et de la vérification continue pour veiller à ce que toutes les composantes de la stratégie concordent avec le contexte local et aient l’effet escompté, soit celui de prévenir la violenceNote de bas de page 33.
Deux des possibilités d’action reconnues dans la Feuille de route du Canada pour mettre fin à la violence à l’égard des enfantsNote de bas de page 28 sont liées aux principes clés de la surveillance et au plan ministériel de la ministre de la SantéNote de bas de page 13. Il s’agit 1) d’améliorer la collecte et la qualité des données ainsi que la surveillance et 2) de renforcer les données probantes sur « ce qui fonctionne » et mobiliser les connaissances.
De nombreuses initiatives ont été entreprises ou prévues pour atteindre ces objectifs. Par exemple, l’Enquête sociale générale sur la sécurité des Canadiens (menée tous les cinq ans au sein d’un échantillon représentatif à l’échelle nationale de personnes de 15 ans ou plus) comporte des questions sur une victimisation récente, sur la violence physique ou sexuelle subie au cours de l’enfance et sur l’exposition à la violence conjugale. L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes volet Santé mentale de 2012, l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2019 et l’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés de 2018 comportaient des questions sur les mauvais traitements subis pendant l’enfance et sur l’exposition à la violence conjugale.
Statistique Canada collige de l’information sur la violence familiale à partir de diverses sources de données administratives, comme les rapports de police, les rapports des tribunaux de la jeunesse et les données des organismes d’aide aux victimes. L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants est une initiative nationale qui vise à recueillir des données sur les enfants et les familles lorsque les services de protection de l’enfance sont impliqués en raison de cas présumés ou soupçonnés de violence ou de négligence envers les enfantsNote de bas de page 28. Plusieurs cycles de cette étude ont été menés (1998, 2003 et 2008 et plus récemment en 2018/2019) sous la direction de l’Assemblée des Premières NationsNote de bas de page 28 (Composante Premières Nations Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants/ECI). Deux initiatives relativement nouvelles ont également été lancées : le Système canadien de renseignements relatifs à la protection de l’enfance et l’Ensemble minimal de données pour tous les territoires.
Bien que ces sources de données nous offrent une information précieuse, il est possible de faire mieux. Nous présentons ici diverses recommandations sur les mesures à prendre pour mettre en place un cadre solide de surveillance et de recherche au Canada.
Recommandations
- Les enquêtes nationales devraient englober toutes les formes de maltraitance envers les enfants. À l’heure actuelle, seuls trois sous-types de maltraitance sont inclus, soit la violence physique, la violence sexuelle et l’exposition à la violence conjugale. Bien qu’il soit difficile de les mesurer, il faudrait également tenir compte des cas de violence psychologique et de négligence. Les questions devraient reposer sur des définitions exhaustives et bien établies et les réponses devraient pouvoir être mesurées de façon cohérente.
- Afin qu’il soit possible de comprendre pleinement les liens entre la maltraitance envers les enfants et divers effets, toutes les enquêtes nationales axées sur la santé et la victimisation devraient comporter une série prédéterminée de questions sur la maltraitance.
- La prochaine Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes devrait comporter des questions liées à la maltraitance envers les enfants. L’Enquête sociale générale pose de telles questions aux répondants de 15 ans ou plus, mais le Canada ne dispose pas de données nationales concernant les plus jeunes ou encore de données permettant de faire des rapprochements avec un certain nombre d’effets et de facteurs liés aux enfants.
- Il convient de mettre au point des protocoles précis et sensibles pour recueillir de manière éthique des données sur la maltraitance envers les enfants, dans le respect des droits, de la dignité et de la sécurité des participants, et tout en respectant le devoir de signalement dans certaines situations. Une grande partie de la réticence à poser des questions sur la violence familiale découle de préoccupations relatives à la sécurité et à la possibilité de créer de la détresse. Cependant, si l’on se fie à ce qui a été observé ailleurs dans le monde, il est possible de poser des questions sur le sujet si des protocoles adéquats sont en placeNote de bas de page 34Note de bas de page 35.
- Conformément aux recommandations du Cadre des indicateurs de surveillance de la maltraitance envers les enfantsNote de bas de page 36, les données sur les facteurs de risque et les facteurs de protection multidimensionnels devraient provenir de bases de données administratives et d’enquêtes nationales.
- Il convient également de recueillir des données longitudinales afin de comprendre l’évolution de l’état de santé et du bien-être des personnes exposées à des situations de maltraitance envers les enfants. Cela pourra se faire par des cycles successifs de collecte de données (enquêtes nationales) ou par le couplage de données administratives.
- Dans le cas des données administratives, il faudra trouver une définition de principe bien établie et acceptable de la violence familiale pour faciliter l’extraction des données sur la maltraitance envers les enfants auprès de tous les organismes. Il devra y avoir une étroite collaboration entre les organismes responsables de la collecte de données sur la violence familiale, dans l’ensemble des secteurs et des provinces et territoires, afin que les mesures soient uniformes et que l’on puisse obtenir un portrait national de la maltraitance envers les enfants. Même si une partie de ce travail a déjà commencé un soutien et un investissement continus dans le Système canadien de renseignements relatifs à la protection de l’enfance seront nécessaires pour permettre la mise en place d’une infrastructure solide de gestion de données administratives sur la maltraitance.
- Il devra y avoir des changements systémiques en matière de protection de l’enfance et un soutien plus général pour les familles qui soit axé sur la prévention primaire. Il devra également y avoir des ressources adéquates pour surveiller la mise en œuvre des interventions et pour déterminer ce qui fonctionne, pour qui, et pourquoi.
Cela peut sembler décourageant, mais nous pouvons tirer profit des expériences des autres pays. Par exemple, le Department of Justice des États-Unis, le Children’s Bureau des États-Unis, les Centers for Disease Control des États-Unis et l’Australian Institute of Health and Welfare recueillent de l’information à partir de diverses sources, notamment des enquêtes sur les ménages et des données administratives officielles, dont des données de surveillance colligées par les États sur la maltraitance envers les enfants de 10 à 17 ans et sur les personnes qui s’occupent d’enfants de moins de 9 ansNote de bas de page 34Note de bas de page 35.
Conclusion
La violence familiale est un problème social et de santé publique urgent pour tous les CanadiensNote de bas de page 37. La pandémie de COVID-19 a révélé des lacunes considérables dans la disponibilité et la qualité des données sur la maltraitance envers les enfants au Canada. L’absence de systèmes de données de ce type a non seulement nui à notre capacité de bien comprendre les répercussions négatives de la pandémie sur les enfants et les familles, mais elle limite également notre capacité à répondre à leurs besoins en nous fondant sur des données probantes afin de les aider à se rétablir.
Cet article fait ressortir les répercussions importantes de la pandémie sur la santé mentale et le bien-être des adultes canadiens et il montre bien que ces effets ne sont pas égaux. Ce que l’on ignore, c’est si, et dans quelle mesure, la pandémie a créé une « pandémie fantôme » qui a exposé les enfants à un risque accru de maltraitance.
Selon des travaux de recherche menés à l’échelle internationale, il y a bel et bien eu une augmentation du nombre de cas de violence faite aux enfants. Même si ces hausses de cas sont relativement brèves, on peut affirmer que leurs effets seront durables étant donné que la maltraitance entraîne une multitude de conséquences à long terme sur la santé.
Alors que nous entrons dans la phase de rétablissement et de planification post-pandémie, nous devons tirer parti des connaissances que nous avons acquises au sujet des lacunes de notre système et adopter un nouveau cadre pour la surveillance et la recherche dans le domaine de la maltraitance envers les enfants. Les infrastructures nécessaires à la collecte de données de surveillance et de recherche rigoureuses sur la maltraitance envers les enfants existent en partie, et il est possible de les utiliser pour accroître la faisabilité et le succès des propositions que nous formulons dans le présent commentaire. Le succès du cadre que nous proposons dépendra de la constance de l’engagement et des investissements nécessaires à la collecte et à la synthèse de données de façon continue à partir d’un certain nombre de sources, notamment des enquêtes nationales menées par Statistique Canada, des données sur les hospitalisations et blessures, des rapports de police et des rapports criminels, ainsi que des bases de données nationales sur la violence et la négligence à l’égard des enfants, comme le Système canadien de renseignements relatifs à la protection de l’enfance. Il est essentiel d’améliorer la qualité, la cohérence et la portée des données sur la maltraitance envers les enfants, non seulement pour comprendre l’ampleur de la maltraitance et surveiller les tendances en la matière, mais aussi pour respecter nos engagements envers l’atteinte de l’objectif de développement durable, soit d’éliminer la violence faite à tous les enfants.
Conflits d’intérêts
Tracie O. Afifi est rédactrice scientifique adjointe de la revue Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada, mais elle s’est retirée du processus d’évaluation de cet article. Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Contributions des auteurs et avis
AG, TOA et LT ont pris part à l’élaboration du concept et ont contribué à la conception, à la rédaction et à la révision critique du manuscrit.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
Remerciements
Les auteurs remercient les membres du groupe de travail sur la surveillance et la recherche dans le domaine de la violence envers les enfants pour les nombreux échanges stimulants qui ont contribué à éclairer et à façonner cet article. Les auteurs tiennent également à remercier Mary Sue Devereaux et Joanna Odrowaz pour leur aide en matière de travail éditorial.
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