ARCHIVÉ - Maladies chroniques au Canada
Volume 29, no 4, octobre 2009
Maladies chroniques au Canada
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Réseau intersectoriel pour la prévention des maladies chroniques : le cas de l’Alberta Healthy Living Network
R. Geneau, Ph.D. (1); B. Legowski, M.Sc. (1); S. Stachenko, M.D. (1)
https://doi.org/10.24095/hpcdp.29.4.02f
Coordonnées des auteurs
- Centre de collaboration sur les politiques relatives aux maladies chroniques non transmissibles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario), Canada
Correspondance : Robert Geneau, Ph.D., Centre de collaboration sur les politiques relatives aux maladies non transmissibles de l’OMS, 785, avenue Carling, Local 1003A2, Ottawa (Ontario), K1A 0K9, Tél. : 613–946–6360; Courriel : robert.geneau@phac-aspc.gc.ca
Résumé
Les maladies chroniques (MC) sont la principale cause de décès et d’incapacités à l’échelle mondiale. Les spécialistes des MC favorisent depuis longtemps le recours à des approches intersectorielles afin de consolider les efforts en matière de prévention des MC. Cette étude qualitative de cas a pour objet d’examiner les avantages et les difficultés perçus associés à l’établissement d’un réseau intersectoriel dédié à la prévention des MC. Deux thèmes dominants sont ressortis des données recueillies lors des entrevues réalisées auprès de membres importants de l’Alberta Healthy Living Network (AHLN ou le Réseau). Le premier thème a trait aux divergences de points de vue quant au rôle du Réseau, plus précisément en ce qui concerne ses interventions et les résultats qu’il obtient, notamment lorsqu’il s’agit de promouvoir les politiques adoptées. Le second thème est centré sur les avantages et l’utilité de l’AHLN, et sur la difficulté de faire état de résultats non quantifiables. Même si les personnes interviewées ont reconnu que l’AHLN avait contribué aux travaux intersectoriels menés en Alberta en prévention des maladies chroniques et favorisé la collaboration entre les membres du Réseau, plusieurs n’ont pas perçu ces réalisations comme une fin en soi et souhaitent maintenant voir le Réseau s’orienter davantage vers des activités génératrices de changements. La gestion d’attentes divergentes a eu une grande incidence sur le fonctionnement du Réseau.
Mots clés : maladies chroniques, réseau intersectoriel, recherches qualitatives, Alberta Healthy Living Network
Contexte
Les maladies chroniques (MC) sont associées à 60 % de tous les décès et à 46 % du fardeau mondial de la maladie1. Des études et des rapports récents décrivent les MC comme une menace pour les systèmes de santé et la stabilité économique de pays de toutes parts du globe2, en partie parce que l’on prévoit que les conséquences humaines et économiques associées aux MC vont s’alourdir considérablement au cours des deux prochaines décennies3. IAu Canada, le coût total des maladies, incapacités et décès attribuables aux MC était estimé à plus de 45 milliards de dollars en 20044a. En 2000, en Alberta, le coût sociétal de nombreuses MC (cardiopathies, maladie pulmonaire obstructive chronique, diabète et cancer du poumon) chez les plus de 20 ans s’élevait à 1,07 milliard de dollars, et près de 80 % de cette somme était constituée de frais d’hôpitaux et de médecins. La perte de revenus attribuable aux décès prématurés pour cette seule année a été estimée à 13,3 millions de dollars et, si l’on extrapole ces résultats sur la durée de vie professionnelle moyenne, jusqu’à l’âge de 65 ans, ce chiffre atteint 184 millions de dollars5.
Les spécialistes des maladies chroniques soutiennent depuis longtemps qu’une prise en charge efficace des MC, à l’échelle individuelle ou collective, requiert des approches multidimensionnelles mettant à contribution une multitude de stratégies et de secteurs. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise l’adoption d’approches stratégiques globales et intégrées à l’égard de la gestion des MC4b,6,7. Une approche globale se doit 1) d’appuyer simultanément les programmes de promotion de la santé auprès de la population et de prévention des maladies, 2) de cibler activement les groupes et les personnes présentant un risque élevé, 3) d’optimiser la protection de la population par des traitements et des soins efficaces et 4) de réduire les inégalités en matière de santé. Une approche intégrée, dans son acception la plus large, signifie qu’il faut cibler systématiquement les facteurs de risque et les déterminants sous-jacents de la santé, ainsi que toutes les occasions de prévention communes aux grandes MC. Cette approche est stratégique en ce sens qu’elle a des répercussions sur plus d’une maladie8.
Une approche globale et intégrée peut aussi être appliquée à des maladies ou à des facteurs de risque particuliers. Au Canada, une telle approche a été adoptée pour la première fois dans le cadre de l’Initiative canadienne en santé cardiovasculaire (ICSC), qui a donné lieu, pendant 20 ans depuis 1986, à la mise sur pied de programmes communautaires de prévention des maladies cardiovasculaires (MCV) pour lesquels le gouvernement fédéral a versé des fonds de contrepartie.
Sous l’impulsion de l’ICSC, l’Alberta a lancé le Heart Health Project destiné à explorer le processus de renforcement des capacités des autorités sanitaires régionales en matière de promotion de la santé cardiovasculaire9a. Bien que le projet ait aidé plusieurs autorités sanitaires à lancer leur propre initiative en prévention des MCV, il n’a engendré aucun investissement durable dans le secteur de la promotion de la santé10. Le projet aura néanmoins inspiré à plusieurs membres et promoteurs principaux de l’Alberta Heart Health Project la création de l’Alberta Healthy Living Network (AHLN ou le Réseau), en 20029b.
L’AHLN encourage la conduite d’interventions intégrées et concertées visant à promouvoir la santé et à prévenir les MC en Alberta11a. Pour les membres du Réseau, une « approche intégrée » englobe, par définition, de multiples secteurs, stratégies, maladies et facteurs de risque, tout en faisant simultanément appel à divers instruments (législation appropriée, réforme du système de santé) et acteurs (collectivités locales, autorités sanitaires et décideurs gouvernementaux, organisations non gouvernementales, secteur privé). Initialement, l’AHLN était centrée sur trois facteurs de risque communs aux MC, soit les mauvaises habitudes alimentaires, le tabagisme et la sédentarité, et leurs déterminants de la santé sous-jacents12a.
En février 2008, l’AHLN regroupait 93 organisations-membres diverses, dont certaines de l’extérieur du secteur de la santé. Les gouvernements fédéral et provinciaux, les autorités sanitaires régionales, les organismes sans but lucratif, les associations professionnelles, le milieu de la recherche, des groupes autochtones et d’autres réseaux régionaux concernés y sont représentés12b. De par sa composition et son mandat, l’AHLN fournit une occasion de mieux comprendre comment appliquer une approche intégrée à la prévention des MC, en faisant appel à un mécanisme de réseau.
On recense un nombre croissant d’études sociologiques sur les réseaux organisationnels. Selon Scott13, les motivations pour mettre sur pied ce genre de réseaux ne manquent pas. L’une des principales raisons est la volonté d’accroître le savoir organisationnel. C’est particulièrement vrai dans le cas des alliances stratégiques, ou « partenariats », une forme de réseau de plus en plus populaire au sein des organisations axées sur le savoir. Huerta et al.14 souligne que, pour ce qui est des réseaux de soins de santé, nous ne disposons, encore aujourd’hui, que de peu de données empiriques pour comprendre ce que sont les réseaux, ce qu’ils font, s’ils atteignent les objectifs fixés et, le cas échéant, si cela a vraiment une incidence positive sur la prestation des soins et le maintien de la santé. Les auteurs concluent qu’un plus grand nombre de recherches empiriques doivent être menées afin de pouvoir expliquer comment ces réseaux présentent à la fois des défis et des possibilités pour les organisations participantes. Une conclusion similaire est tirée pour les réseaux et les alliances du domaine de la promotion de la santé. Un certain nombre d’articles sur le sujet ont proposé des modèles conceptuels (p. ex. théorie de la coalition) ou des outils (p. ex. enquêtes fondées sur le modèle du Diagnosis of sustainable collaboration) pour comprendre les relations et la collaboration interorganisationnelles15,16, mais nous ne disposons encore que d’une poignée de démonstrations empiriques17-20.Globalement, la conviction que le partenariat est l’outil de travail de choix en promotion de la santé n’est toujours pas clairement étayée ou réfutée dans les études où l’on analyse cet outil de façon empirique20a.
Jusqu’à présent, un seul article examiné par des pairs a été publié au sujet de l’AHLN. Il y est question d’une étude visant à déterminer si les liens de partenariat entre les membres du Réseau avaient eu une incidence sur la façon dont les organisations percevaient le soutien financier21. Les auteurs sont d’avis que de telles perceptions sont influencées non seulement par les caractéristiques organisationnelles, mais aussi par la position qu’un groupe occupe au sein d’un réseau. Ils concluent que les caractéristiques d’un réseau influent sur la perception que les organisations ont de leur environnement et sur les mesures qu’elles peuvent prendre, compte tenu de ces perceptions.
La présente étude qualitative vise à mieux comprendre les avantages et les difficultés perçus associés à la mise en œuvre de l’AHLN. Nous n’entendons pas ici rendre compte de toutes les activités de l’AHLN, mais plutôt mettre l’accent sur les expériences de membres influents du Réseau.
Méthodologie
Collecte des données
Au cours de 2007 et 2008, nous avons mené 15 entrevues semi-structurées auprès de membres importants du Réseau. Les participants avaient appuyé les travaux de l’AHLN ou y avaient directement contribué en plus d’avoir participé activement à l’un des comités ou groupe de travail* du Réseau. Les entrevues, d’une durée moyenne de 75 minutes, étaient enregistrées sur bande sonore. Le guide d’entretien initial incluait des questions ouvertes sur le rôle de l’AHLN, le fonctionnement du Réseau (comités et groupes de travail) ainsi que les avantages et difficultés perçus associés à l’établissement de l’AHLN. (Les questions de l’entrevue sont présentées en annexe.) D’autres questions de clarification et d’approfondissement se sont ajoutées au cours du processus d’étude, à la lumière de l’analyse itérative des renseignements recueillis. Cette étude a été menée avec l’approbation du Comité d’éthique de la recherche de Santé Canada, et tous les participants ont donné leur consentement éclairé avant le début des entrevues.
Analyse des données
Les entrevues ont été transcrites mot à mot, puis codées et analysées au moyen du progiciel NVivo 8†. L’arbre de codification a été élaboré au moyen d’un processus itératif de codage ouvert22. Des analyses utilisant la codification axiale et sélective pour l’exploration des interrelations entre les catégories et sous-catégories existantes ont ensuite été effectuées. Pour terminer, l’approche de l’immersion et de la cristallisation23 a été utilisée pour définir et articuler les thèmes et profils qui ressortaient de l’ensemble de données empiriques. Toutes les références à des possibilités ou à des défis associés à la création et à la mise en œuvre de l’AHLN ont été relevées, codées et rassemblées en fonction de thèmes. Nous avons ensuite donné à ces thèmes des titres provisoires et les avons groupés, accompagnés de citations représentatives tirées des entrevues et d’interprétations préliminaires. Les catégories et les modèles initiaux ont été évalués et révisés pendant le processus de collecte de données, jusqu’à la saturation théorique.
Résultats
Deux grands thèmes sont ressortis des données recueillies. Le premier a trait à la perception que l’on se fait du rôle de l’AHLN, et le second, aux contributions perçues de l’AHLN et à la façon de les mesurer. Sur le plan du rôle de l’AHLN, les opinions des répondants divergeaient quant à la mesure dans laquelle le Réseau devait être davantage orienté vers l’action ou la sensibilisation, et sur ce que cela signifiait, concrètement. Les répondants partageaient tous les mêmes préoccupations sur le plan de la difficulté de définir le rôle du Réseau et de s’entendre sur cette définition, ainsi que sur la nécessité de mesurer son influence. L’établissement de la valeur ajoutée de l’AHLN était perçu comme une difficulté de taille.
Développer une vision commune du rôle de l’AHLN
La publication du Cadre d’action en matière de mode de vies sains en Alberta11b (le Cadre d’action de l’AHLN), en 2003 (mis à jour en 2005), était perçu par tous les répondants comme une réalisation importante du Réseau. Le Cadre d’action de l’AHLN11c décrit les objectifs et la mission de l’AHLN ainsi que ses domaines d’intervention et ses stratégies prioritaires (tableau 1). Cela dit, plusieurs répondants ont le sentiment que, dans la « vraie vie » (p. ex. au cours des réunions), il n’a toujours pas été clairement établi si le rôle du Réseau consistait à créer de « nouvelles » activités ou tout simplement à appuyer les membres dans leurs activités actuelles :
[L]a gestion des attentes est (…) difficile (…). Il y a ceux qui disent que « c’est strictement un réseau, et qu’un réseau est ce qu’il a toujours été et devrait être : une occasion de se réunir, d’échanger des idées et de s’informer de ce que les uns et les autres font ». Et il y a les autres, ceux qui disent que « non, un réseau devrait accomplir des choses ». Sans doute devrions-nous nous situer quelque part à mi-chemin entre ces deux options, mais pour le moment, nous semblons avoir des attentes qui embrassent en quelque sorte toute la gamme des options.
Principaux secteurs d’activité | Stratégies prioritaires pour une action intégrée |
---|---|
Alimentation saine | Établissement de partenariats et réseautage communautaire |
Vie active | Sensibilisation et éducation |
Environnement sans fumée | Politiques publiques saines |
Surveillance | |
Pratiques exemplaires | |
Recherche et évaluation | |
Disparités en matière de santé |
Les domaines de la santé mentale et de la prévention des blessures ont progressivement été ajoutés aux premiers secteurs prioritaires du tabagisme, de la nutrition et de l’activité physique. La plupart des répondants percevaient l’élargissement de la portée de l’AHLN comme étant à la fois porteuse de nouvelles possibilités et de nouveaux défis :
[L]orsque nous avons débuté, il était très clair que la nutrition, l’activité physique et le tabagisme seraient nos domaines d’intervention. Puis tout cela a pris beaucoup d’ampleur et nous nous sommes très nettement orientés vers le mieux-être; au final, je pense que cela s’est avéré positif à bien des égards (…), mais que cela a aussi pour effet de « diluer » quelque peu les choses… il y a trop de perspectives différentes sur la façon dont les choses devraient évoluer (…). [C]ela a néanmoins l’avantage de réunir plus d’acteurs autour de la table. En fin de compte, on espère qu’un nombre accru de partenaires engagés dans une approche d’envergure donnera plus de poids aux interventions.
Les discussions concernant le rôle de l’AHLN ont tenté de clarifier si oui ou non il s’agit d’un réseau « orienté vers l’action » et sur ce que le mot « action » signifie. Les répondants reconnaissent que, jusqu’à présent, le rôle du Réseau était davantage axé sur la communication et la coordination que sur l’action. L’exemple des « messages en santé communs et intégrés » est cité à maintes reprises :
[A]u sujet de la diffusion de messages communs, je pense que c’est un rôle que l’AHLN peut [jouer]. Si nous parvenons à élaborer quelques messages communs et à les faire accepter par l’ensemble des différents secteurs et organisations, nous pourrons alors utiliser ces messages pour informer les professionnels, du secteur de la santé comme d’autres secteurs (…).
Même si tous les répondants accordaient de la valeur à l’élaboration de « messages en santé communs », beaucoup parmi eux ont cru que l’AHLN jouerait aussi un rôle actif sur le plan du soutien des initiatives communautaires :
Je pense qu’il nous faut descendre au niveau local et aider les réseaux communautaires à concevoir (…), il faut que cela vienne de la base (…), mais le Réseau pourrait soutenir ces activités (…). Ce n’est pas ce que nous faisons. Et, à mon avis, si nous persistons en ce sens, le Réseau ne survivra pas. Si nous voulons que ce genre de choses continue (…), il faut créer la demande partout dans la province afin d’entrentenir le besoin pour ce genre de choses. Elle est là notre faille (…).
La nécessité de « créer des choses » et d’être « visible » s’explique en partie par la crainte que les membres du secteur non gouvernemental ne se désintéressent de l’AHLN si celui-ci se consacre exclusivement à la coordination et à la communication :
Je pense que les organisations communautaires qui se consacrent aux déterminants socio-économiques de la santé risquent fort de se désintéresser de ces questions. Nous pourrions bien les perdre si nous ne trouvons pas bientôt une solution.
Selon certains des répondants, les difficultés liées à la définition de résultats attendus tangibles peuvent expliquer pourquoi au moins deux groupes de travail sur sept sont considérés comme étant « inactifs »‡. Plusieurs des personnes interviewées associent le refus (grandissant) de s’engager au sein du Réseau à la difficulté de définir ce que devraient être les actions de l’AHLN.
Certains des répondants ont mentionné la modification des politiques comme un autre type d’action que le Réseau pourrait intégrer à son mandat et à sa mission, d’autant plus que l’AHLN est déjà doté d’un groupe de travail sur les politiques publiques en matière de santé :
J’ai foi en ce Réseau (…). Je pense vraiment que nous avons su nous faire entendre et que l’on nous prêtera une oreille encore plus attentive à l’avenir. Je pense qu’il nous faudra examiner(…) le véritable modèle de promotion de la santé dans son intégrité et cela signifie influer sur les politiques et étudier les déterminants sociaux de la santé et toute la question des disparités.
La perspective d’influer sur les politiques a été associée à la « défense des intérêts en matière de politiques », sujet qui ne fait pas l’unanimité chez les répondants. La défense des intérêts devrait-elle faire partie de la mission de l’AHLN? Certains répondants sont fortement en faveur : « La défense des intérêts axée sur un changement de politiques (…) est ce dont nous avons le plus besoin. Et je pense vraiment que cela devrait être un rôle de premier plan pour l’AHLN ». Pour d’autres répondants, par contre, la « défense des intérêts » est trop intimement liée aux campagnes épistolaires et aux « stratégies de provocation ». Une majorité de répondants ont fait valoir l’utilisation de formes plus subtiles de défense des intérêts en matière de politiques auxquelles on pourrait recourir au sein du gouvernement. Les divergences d’opinions parmi les membres de l’AHLN au sujet de la défense des intérêts reflètent en partie le fait que, pour « certains membres » de l’AHLN, la défense des intérêts fait partie intégrante de leur mission, tandis que ce n’est pas le cas pour une majorité. Certains répondants à l’emploi du gouvernement montrent certaines réserves à l’égard du rôle de défense des intérêts; ils se sentent en conflit d’intérêts, car les heures qu’ils consacrent à l’AHLN sont rémunérées par le gouvernement.
À mon avis, cela [la défense des intérêts] doit se faire à l’extérieur du Réseau. Je pense que si vous devez réellement participer à des initiatives de défense des intérêts, le Réseau n’est pas le bon endroit (…). Je suis d’avis qu’il doit établir des contacts et être informé de ce qui se passe – nous savons qu’il doit pouvoir recevoir et retransmettre l’information – mais je ne crois pas que le Réseau soit bien placé pour réellement se porter à la défense des intérêts. Il faut que cela vienne d’une entité tout à fait indépendante.
Bon nombre de répondants perçoivent également le contexte social et politique en Alberta comme un facteur ayant une influence sur le rôle de l’AHLN à l’égard de la défense des intérêts. D’une part, beaucoup ont précisé qu’il était aujourd’hui bien plus facile d’intensifier les activités de promotion de la santé que cela ne l’était il y a cinq ans (même si un des répondants a laissé entendre que la province « récupère tout simplement certaines des pertes essuyées 15 ans auparavant »). D’autre part, il semble qu’il y ait un consensus relatif sur le fait qu’un contexte donné puisse exacerber certains points sensibles et faire naître des difficultés bien réelles quant à la portée des politiques en matière de promotion de la santé et de celles axées sur les déterminants sociaux et économiques de la santé :
C’est plutôt délicat. C’est une question très délicate, étant donné la complexité des enjeux liés à la pauvreté. En outre, cela ne concerne pas qu’un seul ministère. Je dirais même que ce genre de choses touche surtout des entités extérieures au ministère de la Santé, même si, apparemment, c’est toujours la santé qui est impliquée. Enfin, j’ignore si le mot « impliquée » est bien choisi, mais disons qui est « en cause ».
Les discussions sur un éventuel rôle de défense des intérêts en matière de politiques de l’AHLN ont mené à l’élaboration d’une procédure de sélection utilisée par un comité d’examen de la défense des intérêts crée en 2007 afin d’aider le Réseau à déterminer les appels à passer à l’action auxquels il répondrait. À titre d’exemple, les documents de l’AHLN rédigés en 2008 indiquent que le Réseau appuiera la rédaction par les experts de l’AHLN d’exposés de principes fondés sur des données probantes, mais pas les campagnes épistolaires. Même si cette procédure de sélection a en quelque sorte mis un terme aux discussions sur la défense des intérêts, on considère que c’est « trop peu, trop tard » pour les membres de l’AHLN que le Réseau a déjà perdus pour cette raison.
Plusieurs répondants ont reconnu que les difficultés associées à la définition du rôle de l’AHLN étaient en partie liées à l’absence d’un leadership stable. Cela dit, il est difficile de maintenir un tel leadership en place, étant donné que la plupart des membres ont peu de temps à consacrer à l’AHLN et qu’ils doivent « faire le travail sur le coin de leur bureau ». Qui plus est, un changement d’état au sein de la direction a perturbé les activités du Réseau au cours de la période de 2005 à 2006.
Pour l’heure, je pense que nous avons, je n’irai pas jusqu’à dire, rétrogradé, mais plutôt quelque peu stagné. Nous pouvons expliquer cela en partie par le fait que, pendant une longue période, le départ du directeur administratif de l’AHLN (...) a laissé un grand vide. [I]l est difficile de faire avancer les choses en l’absence d’un chef.
Les opérations de financement du Réseau influent également sur la façon dont certains répondants voient le rôle du Réseau évoluer au fil du temps. En 2006, l’aide reçu par l’Alberta Cancer Board avait permis de tripler le budget du Réseau (de 50 000 $ à 150 000 $), et la plupart des répondants ont accueilli les bras ouverts le solide coup de main administratif que ce financement allait apporter. Cependant, certains se sont dits inquiets de recevoir du financement de la part d’une organisation dont l’action était centrée sur une maladie en particulier. On craignait alors que cela ne freine l’élan vers une action intégrée pour lutter contre de multiples maladies. Un des répondants a d’ailleurs déclaré que « Pour être tout à fait honnête, je pense que l’argent n’a pas nécessairement rendu service au Réseau (…), à partir du moment où l’on accepte cet argent, on s’éloigne des objectifs d’intégration ».
Détermination de la valeur ajoutée de l’AHLN : mesure des résultats intangibles
Établir la preuve de la valeur ajoutée de l’AHLN est un autre défi d’une importance cruciale pour sa viabilité. Plusieurs répondants ont souligné les principaux résultats obtenus antérieurement par l’AHLN et ont mentionné à maintes reprises la diffusion des connaissances, la publication du Cadre d’action de l’AHLN11d et la création de messages communs et intégrés sur les facteurs de risque :
C’était [le Cadre d’action de l’AHLN11e] un modèle que d’autres provinces et territoires avaient déjà adopté, alors je pense que, dans l’ensemble, c’est un très bon cadre pour l’AHLN (...). Je crois que ses réalisations sont bien réelles sur le plan de l’éducation et de la sensibilisation, qu’il a permis de rassembler les gens, sans parler de tout ce que nous avons fait pour créer des messages communs que nous avons ensuite affichés sur notre site Web pour que les gens aient un point de référence (…). Je pense que c’est quelque chose dont nous pouvons être très fiers. Nous avons travaillé très fort.
Une grande part de la valeur ajoutée du Réseau est difficile à mesurer. Les répondants ont parlé d’une sensibilisation accrue, d’un changement de « mentalité », de l’instauration d’un climat de confiance entre les membres du Réseau et d’un processus d’« intégration de la promotion de la santé » :
L’une des contributions de l’AHLN a été l’intégration de certains enjeux aux questions à l’étude (…). Je pense que les travaux du Réseau ont eu pour conséquence de sensibiliser aux déterminants sociaux de la santé et à leurs répercussions sur tous les types de maladies, et c’est sans doute la plus précieuse des réalisations de l’AHLN qu’il m’ait été donné de constater.
Ce qui a très manifestement changé, je pense, c’est qu’il existe à présent un climat de grande confiance qui n’était pas là avant l’AHLN.
Plusieurs répondants ont également parlé de l’approche du Réseau fondée sur le consensus à l’égard de la prise de décision, facteur qui facilite les activités de l’AHLN et est propice à l’instauration d’un climat de confiance :
[U]n des éléments qui constitue une véritable force pour notre Réseau est que son approche repose essentiellement sur le consensus (…). Je ne suis pas toujours d’accord avec les décisions, mais je les appuie. Vous savez, je ne suis pas supérieur à qui que ce soit, nous sommes tous là pour nous serrer les coudes, alors si le groupe veut aller dans un sens, je n’y vois pas d’inconvénient, cela ne m’empêchera pas d’évaluer si c’est judicieux ou important à mes yeux ou non.
Vu la difficulté d’évaluer tous ces résultats, plusieurs des répondants ont dit s’inquiéter de l’absence d’un processus rigoureux de mesure du succès de l’AHLN :
L’une des limites réellement frustrantes auxquelles nous sommes confrontés, est que nous n’avons aucune mesure vraiment valable [ou indicateur] pour prouver que nous faisons une différence en (…) renforcant le système et en unifiant les voix en faveur de la promotion de la santé. Je peux juste constater que les choses bougent beaucoup plus, ainsi que la force de cette activité, notre capacité à collaborer sur des questions, à créer des liens à l’externe et à apprendre l’un de l’autre, mais je ne vois pas comment je pourrais mettre tout cela sous la forme d’un graphique.
La Structure d’évaluation§, document qui accompagne le Cadre d’action de l’AHLN11f, a été élaborée en réponse à la reconnaissance précoce de la nécessité d’évaluer les activités de l’AHLN. Cependant, son utilité et son applicabilité ne faisaient pas consensus entre les répondants, certains lui reprochant d’être « trop énorme, trop complexe et trop inaccessible ». Pour résumer, l’élaboration de mesures d’évaluation des résultats complexes découlant des activités de l’AHLN demeure une préoccupation constante.
Un autre défi associé à la mesure des résultats est le fait qu’il n’existe encore à ce jour qu’un nombre limité de données appuyant ou réfutant les avantages d’utiliser une « approche intégrée » en matière de promotion de la santé : « (…) je me trompe peut-être, mais nous ne sommes même pas certains que l’intégration soit la meilleure des approches (…). Vous savez, notre croyance qu’elle l’est est purement empirique, et c’était d’ailleurs l’un des points sur lesquels nous avions promis de nous pencher (…) ».
Collaboration intrasectorielle et intersectorielle
La collaboration intrasectorielle et intersectorielle au sein du gouvernement et la sensibilisation accrue qui en résultent quant aux différents rôles exercés dans le domaine de la prévention des MC sont jusqu’à présent considérées comme des contributions très importantes : « En travaillant main dans la main avec d’autres secteurs, j’entends par là que c’est l’objectif à atteindre, j’ai le sentiment de voir de moins en moins de rivalités de clochers (…) nous devons avant tout comprendre quel est notre rôle à tous ici si nous voulons aller de l’avant ».
La collaboration accrue n’est est pas moins une réalisation difficile à quantifier, et cela reste donc l’une des principales difficultés auxquelles se heurte le Réseau. Bien que plusieurs répondants aient le sentiment que le Réseau permet aux membres de mieux « relier les éléments entre eux », des inquiétudes subsistent quant à la diversité des secteurs représentés et à la façon dont la composition du Réseau (caractéristiques de ses membres) pourrait influer sur le processus de transposition des connaissances en mesures concrètes :
Je pense que la présence de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux au sein du Réseau a constitué pour celui-ci un véritable atout; je pense que cela a été (…) le moteur qui nous a permis de faire avancer certaines choses, d’aller chercher du financement et d’établir un bon réseau de personnes ressources. Personnellement, je suis d’avis qu’il existe en quelque sorte, à l’heure actuelle, un trop grand nombre de secteurs gouvernementaux, alors on peut difficilement faire bouger beaucoup de choses (…) je ne nie pas que des mesures gouvernementales intersectorielles soient nécessaires, mais il faut s’y prendre autrement.
Collaborer avec le secteur privé est un autre objectif de taille pour le Réseau. Même si l’établissement de partenariats et la collaboration intersectorielle sont les pierres angulaires du Réseau, les répondants reconnaissent qu’il ne suffit pas de convier des représentants de l’industrie à la table du Réseau pour aboutir à des partenariats avec le secteur privé. Il reste encore à définir comment convaincre le secteur privé de se joindre au Réseau et de coordonner ses activités avec celles d’autres membres du Réseau : « Je me suis vraiment débattu : comment faire pour amener l’industrie à promouvoir la santé? Je pense que nous n’avons pas d’autres choix que de collaborer avec l’industrie, mais comment pouvons y parvenir et quelle est la bonne façon de nous y prendre? »
En ce moment, une société pétrolière semble intéressée à participer (…). Mais si c’est uniquement pour être membre d’un comité de coordination – personne n’a de temps pour ce genre d’activité, à moins que cela ne fasse partie intégrante de son travail –(…) la plupart des acteurs et partenaires du secteur privé n’ont qu’un lien indirect avec le Réseau. Nous devons donc découvrir (…) ce qui est important pour eux si nous voulons qu’ils participent.
Analyse
L’étude consistait à explorer certains des avantages et difficultés perçus associés à la création et à la coordination d’un réseau constitué de 93 organisations travaillant en collaboration à la prévention des MC et à la promotion de la santé en Alberta. L’AHLN n’en est encore qu’à ses premières années, mais des réseaux intersectoriels similaires œuvrant dans le domaine de la prévention des MC, en particulier, et dans celui de la promotion de la santé, de façon générale, pourraient tirer avantage d’une compréhension approfondie de certains des aspects soulignés dans cette étude.
Nous pensons que deux grands thèmes interreliés, et mis en évidence dans cette étude des partenariats de l’AHLN, sont très pertinents sur les plans national et international, ce sont 1) la difficulté, compte tenu de la taille de l’organisation, de composer avec des attentes divergentes env ce qui concerne les rôles, les interventions et les rendements ou résultats du Réseau en général et 2) la difficulté de quantifier la valeur de l’AHLN, sachant que les résultats obtenus par de tels réseaux sont bien souvent intangibles, par exemple, comme c’est le cas pour l’apprentissage organisationnel. Ces thèmes, à leur tour, peuvent contribuer à l’émergence d’autres difficultés importantes mentionnées dans cette étude, à savoir, les mesures à prendre pour qu’une telle diversité de membres collaborent au sein d’un réseau le plus longtemps possible.
En ce qui concerne la raison d’être et les actions du Réseau, les membres de l’AHLN ne s’entendaient pas sur ses priorités (intervenir au niveau communautaire vs tenter de faire pression pour modifier les politiques du gouvernement provincial). Même si une véritable approche de la promotion de la santé combine ces deux aspects24, les répondants qui travaillaient pour le gouvernement provincial étaient en faveur d’un renforcement de la capacité au niveau communautaire, mais ils étaient moins enclins à vouloir que le Réseau tente d’influencer le gouvernement pour qu’il change ses politiques. Même si la création en 2008 d’un comité d’examen de la défense des intérêts témoigne d’une volonté de la part des membres de l’AHLN de clore ce sujet de débat, il demeure que certains répondants ont des valeurs et des idées profondément ancrées quant au rôle des membres de la fonction publique et au code de conduite qu’ils doivent suivre (c.-à-d., s’abstenir d’exprimer publiquement leurs préférences en matière de politiques et d’« agir en coulisses »). Un exemple positif de l’influence de membres de la fonction publique sur l’élaboration de politiques nous vient du Québec. Dans cette province, les fonctionnaires ont aidé les défenseurs de la lutte contre le tabagisme à renforcer leur argumentation face aux allégations de l’industrie du tabac et, ce faisant, ont contribué à l’adoption de nouvelles mesures provinciales anti-tabac25. Il existe toutefois des cas où des partenariats pour la promotion de la santé ont sciemment exclu des représentants du gouvernement parce qu’ils avaient l’impression que leur présence constituerait un obstacle à l’utilisation de mécanismes de défense des intérêts26,En outre, il existe un mouvement international en faveur de la création de fondations pour la promotion de la santé sans lien de dépendance avec le gouvernement, dans une volonté d’assurer la reddition de comptes et la transparence27. Ainsi, l’établissement de partenariats et d’alliances qui regroupent à la fois des représentants du gouvernement et des organisations non gouvernementales soulève des difficultés lorsque le résultat final est pressenti comme une intervention du gouvernement.
Il est fréquent que les études centrées sur les partenariats intersectoriels mettent en évidence les problèmes liés à la définition de rôles et à des attentes divergentes parmi les participants. Une étude qualitative du Programme mondial sur l’efficacité de la promotion de la santé (GPHPE) souligne l’importance capitale des intrants, des processus et des rendements pour le fonctionnement des partenariats20b. Les conclusions de l’étude ont mené à l’élaboration du Modèle de fonctionnement collaboratif de Bergen, qui intègre des éléments classiques sur le plan des intrants (partenariats, etc.) et des processus (structures formelles vs informelles), mais qui innove en présentant une mission de partenariat comme étant un type d’intrant. Ce modèle propose également trois catégories différentes de rendements qui peuvent avoir une incidence sur le fonctionnement du partenariat : 1) les rendements supplémentaires, c.-à-d. tout rendement non attribuable à l’interaction du partenariat), 2) les rendements synergiques, autrement dit, tout rendement qui n’aurait pas pu être généré par un partenaire agissant seul (le partenariat est ici propice à la créativité, à l’holisme, au réalisme, au recrutement de nouveaux membres et à la prise de mesures) et 3) les rendements antagonistes, qui font référence à des rendements non souhaités et non souhaitables ou encore à une somme de rendements peu appréciable, qui donne à penser que le partenariat constitue une perte de temps ou de ressources. Chose fort intéressante, les termes « rendements » et « résultats » sont utilisés de façon interchangeable dans le Modèle de fonctionnement collaboratif de Bergen, tous deux désignant des changements attendus ou souhaités associés à l’établissement d’un partenariat.
Bien que ces trois catégories de rendements présentées dans le modèle de Bergen soient utiles, elles peuvent être remises en question par les éléments empiriques présentés dans ce rapport d’étude. À titre d’exemple, il semble irréaliste de s’attendre à ce que tous les partenaires s’entendent sur la définition de ce qui devrait être considéré comme un rendement supplémentaire, synergique ou antagoniste. C’est tout particulièrement vrai lorsque la définition d’un concept est très large, comme c’est le cas pour la définition du rendement synergique donnée par les auteurs. Des membres d’un partenariat pourraient estimer que certains rendements bien précis sont des rendements supplémentaires, autrement dit, qu’ils auraient été générés même en l’absence du partenariat. En revanche, d’autres membres pourraient faire valoir que l’apprentissage organisationnel issu du partenariat a indirectement influencé les processus et les rendements de l’organisation (en amenant, entre autres, le partenaire à penser de façon plus holistique). Devant une telle diversité de points de vue, il est impossible de trouver une définition parfaite de ces trois catégories de rendements; il revient aux partenaires de déterminer ensemble si le partenariat vaut la peine d’être maintenu.
Dans le cas de l’AHLN, les points de vue des répondants sur les rendements du Réseau variaient considérablement. Certains percevaient le recrutement de nouveaux membres comme une réalisation, puisque c’est une source d’apprentissage interorganisationnel, tandis que d’autres mettaient en évidence les répercussions potentielles de l’AHLN sur les politiques et les programmes à venir, en ayant à l’esprit que l’approche de l’« apprentissage organisationnel » n’est jamais une fin en soi, mais plutôt un moyen d’améliorer le rendement. L’augmentation de la capacité de prévention des MC de l’Alberta, grâce à l’établissement d’un climat de confiance entre les membres et le renforcement de leur capacité à collaborer, comptait parmi les résultats les plus attendus des membres du Réseau.
Une question importante demeure cependant : comment pouvons-nous définir précisément la sphère d’influence d’un réseau ou d’un partenariat? Certains réseaux limitent leur mission à l’échange de connaissances et à l’apprentissage organisationnel, alors que d’autres souhaiteraient être davantage associés à des résultats synergiques « orientés vers l’action28 ». Cette étude montre que les membres de l’AHLN sont divisés. Si le savoir et l’apprentissage étaient en soi acceptés comme une forme légitime de rendement ou de résultat, on pourrait alors percevoir le Réseau comme une réussite, mais, ce faisant, on risquerait de décourager les membres en faveur de résultats orientés vers l’action. Si le Réseau souhaite orienter ses résultats vers l’action, alors une perspective à long terme sera nécessaire; toutefois, certains membres, désireux de constater des résultats à court terme, pourraient quitter le partenariat si le Réseau envisage uniquement des résultats orientés vers l’action. Dans un cas comme dans l’autre, cela soulève d’importantes difficultés sur le plan de l’évaluation.
La plupart des répondants se sont dits inquiets du manque d’indicateurs pour refléter ce qu’ils constatent être des résultats importants de l’AHLN. Ces inquiétudes vont dans le sens de données mises en évidence dans des études récentes réalisées au Canada sur les investissements de l’ICSC, nommément le besoin d’élaborer des indicateurs des résultats liés au renforcement de la capacité29, 30. Il ressort de la littérature que la confiance mutuelle, le leadership et les relations interpersonnelles sont des facteurs essentiels si l’on veut faciliter les relations interorganisationnelles dans le domaine de la promotion de la santé. Cela dit, il subsiste des obstacles conceptuels et méthodologiques majeurs à l’étude quantitative de ces concepts complexes18, 31, 32. Sur ce plan, des études qualitatives comme la nôtre fournissent des occasions uniques pour étayer les contributions de réseaux intersectoriels comme l’AHLN. Les activités de surveillance et d’évaluation futures de l’AHLN pourraient avantageusement utiliser des cadres de modèles logiques ou alternatifs et des approches fondées sur des indicateurs. Par exemple, Outcome Mapping (OM) se fonde sur les changements dans les comportements, les relations et les activités de personnes, de groupes et d’organisations. OM met l’accent sur les gens et l’apprentissage, et accueille les changements imprévus comme des innovations potentielles33. Une telle démarche est aussi une première étape incontournable pour ceux qui souhaitent étayer les contributions de partenariats et de réseaux à des résultats traditionnels (services, programmes ou politiques améliorés, etc.).
Conclusions
La présente étude était consacrée à l’examen des avantages et des difficultés associés aux premières années de la mise en œuvre d’un réseau intersectoriel dédié à la prévention des MC en Alberta, nommément, l’AHLN. Nos conclusions ont fait ressortir deux grands obstacles auxquels d’autres réseaux du domaine de la promotion de la santé, en général, et de la prévention des MC, en particulier, risquent aussi de se heurter : 1) atteindre un consensus sur le type d’actions et de résultats que l’on peut attendre de réseaux intersectoriels de grande envergure et 2) établir la contribution et la valeur de tels réseaux, mis à part l’impact ultime sur les pourcentages de maladie ou de facteurs de risque. Les premières conclusions qualitatives présentées dans cette étude révèlent que, en dépit d’opinions divergentes quant à la portée et au rôle du Réseau, l’établissement de l’AHLN a eu pour résultat, de l’avis des répondants, d’accroître la collaboration intersectorielle en vue de renforcer la prévention des MC en Alberta. Cependant, plusieurs des répondants considèrent que cette réalisation n’est pas une fin en soi et demandent au Réseau de laisser une plus grande place aux activités génératrices de changements. La gestion d’attentes divergentes a en outre eu une influence énorme sur le fonctionnement du Réseau.
Ces dernières années, l’émergence de réseaux canadiens intersectoriels voués à la promotion de la santé, comme l’AHLN, la British Columbia Healthy Living Alliance (BCHLA) et l’Alliance pour la prévention des maladies chroniques au Canada, offre de nouvelles occasions d’approfondir nos connaissances sur 1) le fonctionnement de ces réseaux, 2) ce que l’on peut réellement attendre d’eux, et 3) la façon d’évaluer leurs contributions.
Remerciements
Les auteurs aimeraient exprimer à Mme Gayle Fraser toute leur reconnaissance pour sa lecture minutieuse des premières ébauches de cette étude et pour ses commentaires judicieux. Nous voudrions aussi remercier les réviseurs pour leurs commentaires et suggestions éclairés.
Annexe – Guide d’entretien
Au cours des entrevues semistructurées, nous avons exploré les dimensions ou thèmes suivants : 1) le niveau d’engagement des participants (ou répondants ) auprès de l’AHLN, 2) la structure, la description et l’évolution de l’AHLN depuis ses débuts, 3) l’intégration et les partenariats, 4) les facteurs qui facilitent ou entravent la mise en œuvre de l’AHLN, 5) les répercussions perçues de l’AHLN et 6) l’avenir de l’AHLN.
Remarque : Une entrevue semistructurée confère une certaine souplesse, en permettant d’introduire durant son déroulement de nouvelles questions suscitées par les propos de la personne interviewée, de même que plusieurs autres questions improvisées, y compris des questions exploratoires. Le guide d’entretien a lui aussi évolué au fil de l’étude.
Durée moyenne : 90 minutes
1) Renseignements de base sur le répondant
- Dites-moi, depuis combien de temps faites-vous partie de l’AHLN?
- Pourriez-vous décrire en quoi consistent vos principales responsabilités et activités? De quelle(s) façon(s) contribuez-vous aux activités de l’AHLN?
2) Structure, description et évolution de l’AHLN
- Pourriez-vous décrire les structures de gouvernance de l’AHLN (comité de direction, comité de coordination, etc.)?
- Quels changements avez-vous observés ou vécus au sein de l’AHLN depuis le début de votre engagement (en ce qui concerne la vision, la mission, les structures organisationnelles et de gouvernance)? Comment expliquez-vous ces changements?
- Quelles formes de communication ou d’interaction existe-il entre les différents membres et organisations? À quelle fréquence vous réunissez-vous? Comment les décisions sont-elles prises?
- Veuillez décrire les procédures d’attribution des ressources. Quelles sont les étapes et les difficultés associées à la négociation d’un soutien financier?
- Le cadre d’action de l’AHLN est centré sur cinq domaines (saine alimentation, vie active, cessation tabagique, santé mentale et prévention des blessures). Pourriez-vous expliquer comment et pourquoi ces priorités ont été choisies?
- Le cadre de l’AHLN regroupe sept stratégies prioritaires : l’établissement de partenariats et de réseaux communautaires, la sensibilisation et l’éducation, la surveillance, les pratiques exemplaires, la recherche et l’évaluation, les disparités en matière de santé et des politiques publiques saines. Pourriez-vous expliquer pour quelles raisons ces stratégies ont été choisies?
- Pourriez-vous me dire, à votre avis, quels sont les avantages et les difficultés associés au fait qu’un groupe de travail traite de chacune des sept stratégies prioritaires de l’AHLN?
3) Intégration et partenariats
- Que signifie pour vous le concept d’intégration? Quelle place ce concept occupe-t-il au sein de l’AHLN? En quoi l’approche de l’AHLN est-elle intégrée?
- Parlez-moi du modèle de partenariat de l’AHLN (composition, mandat, etc.). Quels sont les avantages et les difficultés associés à ce modèle?
- Collaboration intersectorielle (p. ex. santé-éducation-environnement-médias)
- Collaboration intrasectorielle (p. ex. interface de la santé publique et des soins primaires)
- Intégration et partenariats communautaires
- Collaboration internationale (p. ex. l’OMS)
- Quels sont les activités et programmes centrés sur la prévention et le contrôle des maladies non transmissibles actuellement en cours en Alberta, outre celles de l’AHLN? Quelles sont les institutions et les organisations qui y participent? Quelles formes de collaboration existe-t-il actuellement entre ces institutions et organisations?
4) Facteurs favorables et défavorables
Il s’agit là d’un thème transversal, et les questions au sujet des facteurs favorables ou défavorables seront posées au moment d’aborder les « structures organisationnelles », et tout particulièrement « l’intégration et les partenariats ». D’autres questions (ci-dessous) seront aussi posées pour valider les renseignements fournis et en faire la synthèse.
- À votre avis, quelles sont les plus grandes forces de l’AHLN? Quels facteurs estimez-vous contribuer le plus à ces forces ou réussites?
- À votre avis, quels sont les problèmes ou obstacles majeurs associés à la mise en œuvre de l’AHLN? Quels sont selon vous les facteurs ayant le plus contribué à limiter ou à entraver cette mise en œuvre?
- Pourriez-vous me parler à nouveau des facteurs qui ont favorisé ou limité l’intégration communautaire, la collaboration intersectorielle ou internationale, ou l’établissement de partenariats dans le secteur de la santé?
5) Effets perçus de l’AHLN
- Comment décririez-vous les effets de l’AHLN jusqu’à aujourd’hui?
- Exploration : visibilité du programme des Maladies Chroniques et défis soulevés au sein du gouvernement, des collectivités et du secteur de la santé en général
- Exploration : intégration et partenariats, collaboration intersectorielle et intrasectorielle
- Exploration : programmes et politiques
- Comment l’AHLN se porte-t-il? Quelles sont les principales conclusions des études d’évaluation?
- Quel(s) effet(s) les activités de l’AHLN ont-elles eu sur le renforcement des capacités dans les secteurs suivants : marketing social, évaluation de programmes, suivi et surveillance, partenariats et collaboration et formation des professionnels||?
6) Avenir de l’AHLN
- Comment envisagez-vous l’avenir pour l’AHLN?
- Quelles caractéristiques de l’AHLN considérez-vous comme étant uniques et potentiellement utiles pour d’autres administrations?
Notes de bas de page
*^ Sept groupes de travail ont été formés pour aborder les sept stratégies prioritaires de l’AHLN (voir tableau 1) et entreprendre des actions spécifiques (p.ex. : produire des documents qui peuvent guider/faciliter une action intégrée) telles qu’indiquées par le Comité de coordination.
†^ Analyse de données qualitatives assistée par le logiciel informatique (CAQDAS) tel que NVivo 8 : 1) aide à automatiser et accélérer le processus de codage et 2) permet une étude plus complexe des liens existants entre les données.
‡^ Lors de la collecte de données, en 2007, le groupe de travail sur « les politiques publiques favorables à la santé » et le groupe de travail sur « l’évaluation des recherches» étaient considérés comme étant « inactifs ».
§^ La structure d’évaluation est disponible à : http://www.ahln.ca/modules.php? name=Contentpub&pa=showpage&pid=4
||^ Secteurs d’activité du CINDI – l’AHLN fait partie du Réseau CINDI
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