Chapitre 1 : L'évaluation et le diagnostic de l'ETCAF chez les adultes : un examen systématique à l'échelle nationale et internationale – Introduction
1.0 Introduction
L’évaluation et le diagnostic constituent la pierre angulaire de la prise en charge de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF). Des évaluations médicales, psychologiques, en ergothérapie, de la parole et du langage, ainsi que les antécédents sociaux détaillés sont des composantes essentielles au processus d’évaluation de l’ETCAF. Des lignes directrices sensibles ont été élaborées afin d’appuyer le processus de diagnostic. Celles-ci incluent les lignes directrices canadiennes concernant le diagnostic (Chudley et coll., 2005), le code de diagnostic à quatre chiffres (Astley et Clarren, 1999) et les lignes directrices du U.S. Institute of Medicine (Institute of Medicine, 1996, tel que cité dans Hoyme et coll., 2005). L’expression syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) est principalement utilisée dans la documentation remontant avant 2000 (Jones, Smith, Ulleland et Streissguth, 1973), alors qu’après 2000 on y retrouve principalement l’expression ETCAF (Streissguth et O’Malley, 2000).
Chudley, Kilgour, Cranston et Edwards (2007) décrivent toute la gamme des caractéristiques propres aux divers diagnostics de l’ETCAF avec d’un côté des personnes atteintes de l’ETCAF et de l’autre, des personnes qui ont des déficiences comportementales et cognitives et peuvent n’avoir que des caractéristiques minimes, voire aucune, mais qui ont subi une lésion cérébrale en raison d’une exposition prénatale à l’alcool. Sur le plan du diagnostic, conformément aux recommandations publiées par le U.S. Institute of Medicine en 1996, le terme ETCAF inclut le SAF (Jones, Smith, Ulleland et Streissguth, 1973), le SAF partiel (SAFp) auquel la documentation faisait antérieurement référence comme aux effets de l’alcool sur le fœtus/EAF (Streissguth et coll., 1991; Streissguth, Barr, Kogan et Bookstein, 1997) et un ajout plus récent à la terminologie – les troubles neurologiques du développement liés à l’alcool/TNDLA (Sampson et coll., 1997; Stratton, Howe et Battaglia, 1996) et les anomalies congénitales liées à l’alcool/ACLA. Les experts en médecine Aase, Jones et Clarren (1995) ont recommandé que le terme EAF ne soit pas utilisé en raison des interprétations négatives et des idées fausses qui y sont associées, particulièrement la croyance selon laquelle l’exposition du fœtus à l’alcool serait la seule cause des problèmes de la personne atteinte. Le code de diagnostic à quatre chiffres n’utilise pas le terme TNDLA et indique que l’encéphalopathie statique est un terme qui s’utilise parfois lorsqu’il s’agit de troubles neurologiques du développement plus graves, alors que le terme troubles neurologiques du comportement fait référence à un problème moins grave (Astley, 2006).
1.1 Portée du projet
L’objet du présent projet est de donner une vue d’ensemble de la documentation canadienne et internationale existante sur les techniques et les pratiques exemplaires de diagnostic et d’évaluation chez les adultes en ce qui a trait à l’incidence de l’exposition prénatale à l’alcool. Les paramètres utilisés sont les suivants :
- Effectuer une recherche et une compilation systématiques de la documentation canadienne et de données et documents internationaux qualitatifs empiriques que nous avions sélectionnés et qui portaient sur l’évaluation et le diagnostic des effets de l’exposition prénatale à l’alcool chez les adultes.
- Faire une synthèse et un examen critique des renseignements obtenus, y compris cerner les forces, les limites et les lacunes.
- Élaborer des recommandations visant à orienter la recherche à venir.
1.2 Le diagnostic chez les adultes en contexte
L’usage abusif d’alcool est à la base des problèmes sociaux associés à l’ETCAF. Le gouvernement de l’Alberta, par le biais de l’Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission (AADAC) offre de nombreux programmes de counselling et de traitement pour les personnes qui sont aux prises avec des problèmes d’abus d’alcool et d’autres drogues. Le 18 novembre 2008, le Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, le Centre de toxicomanie et de santé mentale et le BC Mental Health & Addiction Services ont annoncé l’élaboration d’une nouvelle stratégie nationale de traitement pour les personnes aux prises avec des problèmes d’abus d’alcool et d’autres drogues. Ce groupe de recherche indique que le coût de l’abus d’alcool et d’autres drogues pour le Canada s’élève à près de 40 milliards de dollars par an et fait état de ses préoccupations quant à l’absence d’une stratégie nationale. Dans l’intérêt de la prévention de l’ETCAF, il est essentiel d’avoir une approche uniforme en ce qui a trait à l’usage abusif d’alcool dans la société. Compte tenu de la diversité des programmes au Canada, ce groupe recommande un « modèle de services et de soutiens à plusieurs niveaux » qui tienne compte du caractère « aigu, chronique et complexe des risques et méfaits liés à la consommation de substances et leur niveau d’intensité respectif »2. Ce rapport tient un discours critique sur le besoin de s’attaquer au manque d’uniformité dans les approches de traitement de la toxicomanie dans une perspective nationale.
En 2008, les programmes de l’AADAC ont été intégrés aux programmes existants du ministère de la Santé de l’Alberta. Cependant, l’on ne connaissait pas encore leurs orientations futures au moment de rédiger ce rapport. En 2004, le Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) et Santé Canada ont publié un rapport intitulé L’enquête sur les toxicomanies au Canada (cité par l’Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission en 2006). Ce rapport mettait l’accent sur la consommation d’alcool et d’autres drogues par les Canadiens âgés de plus de 15 ans et indique que
« la proportion des buveurs à risque au Canada est de 17 % (13,6 % de tous les Canadiens)… la proportion des femmes cernées comme des buveurs à risque est de 8,9 % et celle des hommes de 25,1 % ».
Au chapître de la consommation d’alcool totale au cours de la vie, l’Alberta s’est classée au cinquième rang parmi les provinces. Cela constitue un problème important qui touche de nombreuses personnes puisque l’alcool fait partie intégrante des processus de socialisation. Les principaux méfaits cernés par le CCLAT et Santé Canada découlant de la consommation d’alcool avaient trait à la santé physique au cours de la vie (11,6 %) et à la vie sociale (10,5 %), suivis par ordre décroissant de la vie de famille, du travail et des finances. Cette enquête brosse un tableau des problèmes liés à la consommation d’alcool et attire l’attention sur les préoccupations que suscite la consommation d’alcool dans la société canadienne et sur les conséquences perçues des problèmes associés à cette consommation.
Le concept du SAF remonte au début des années 1960. Un article intitulé Les enfants de parents alcooliques : anomalies observées à propos de 127 cas, a été publié dans les archives françaises de pédiatrie par le pédiatre Paul Lemoine en 1968. Lemoine (2003) indique :
Vers 1960, deux travaux français ont prouvé, au contraire, les dangers très réels de l’alcool chez la femme enceinte – travaux effectués tout à fait séparément, et dont le point de départ fut totalement différent. La thèse de Jaqueline Rouquette (Paris, 1957) « Influence de l’intoxication alcoolique parentale sur le développement physique et psychique des jeunes enfants », travail dirigé d’emblée sur l’étude des enfants d’alcooliques…Elle constate un retentissement sur les enfants, surtout lorsqu’il s’agit d’alcoolisme maternel et elle donne alors chez certains une description nette du tableau des fœtopathies alcooliques bien connu aujourd’hui. Cette thèse semble être passée inaperçue, ce que je n’ai pas compris, lorsque plus tard je l’ai découverte en faisant une bibliographie!
Moi (Paul Lemoine), à l’inverse je n’avais au départ aucune arrière pensée d’alcoolisme. C’est en recherchant la cause d’une dystrophie curieuse constatée chez certains enfants, que j’ai découvert l’alcoolisme de leurs mères…Vers 1960, parmi ces enfants, j’ai été frappé par l’existence d’un syndrome, que je ne connaissais pas…Ces enfants se ressemblaient comme des frères…Je comparais deux de ces enfants, essayant de comprendre et, discutant avec le personnel soignant, comme j’en avais l’habitude, lorsque l’auxiliaire de puériculture responsable de ces deux enfants me signala que leurs deux mères étaient de grandes alcooliques…Tous les enfants atteints de ce syndrome avaient des mères alcooliques. (Lemoine, 2003, p. 2).
Lemoine décrit une méthodologie selon laquelle il a observé des enfants physiquement dans sa pratique de pédiatre et, par la suite, a effectué un examen des dossiers pour chaque cas. Toutefois, la terminologie du SAF ne trouve pas ses sources dans les travaux de Lemoine de 1960 comme on aurait pu s’y attendre. Lemoine (2003) a utilisé le terme fœtopathies alcooliques, qui indique-t-il a la même signification que le terme SAF utilisé en Amérique du Nord.
Le terme syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) vient de la découverte des anomalies faciales et physiques dans un domaine d’études spécialisé de la médecine appelé dysmorphologie. Le premier article publié en Amérique du Nord dans le The Lancet était intitulé « Pattern of malformation in offspring of chronic alcoholic mothers » (Jones, Smith, Ulleland et Streissguth, 1973, p. 1). Voici un résumé des constatations de cet article :
Huit enfants non apparentés provenant de trois groupes ethniques différents, qui sont tous nés de mères alcooliques chroniques, présentent une série de déficiences cranio-faciales, cardiovasculaires et des membres associées à un retard de la croissance et du développement au stade prénatal. Cela semble être la première fois que l’on rapporte un lien entre l’alcoolisme maternel et la morphogenèse chez la progéniture… Huit enfants nés de mères alcooliques ont été réunis et évalués au même moment par les mêmes observateurs (K.J. et D.W.S.). Quatre de ces enfants ont été cernés comme présentant des caractéristiques semblables de croissance altérée et de morphogenèse. Par la suite, il a été établi que deux autres des enfants présentaient des caractéristiques anormales cernées chez les quatre premiers patients, alors que pour les deux enfants restants, il a été établi que leurs mères étaient des alcooliques chroniques… Toutes ont bu à l’excès pendant la grossesse, les mères des patients 1 et 7 au point où elles ont été hospitalisées à cause du delirium tremens. Le patient 3 est né alors que sa mère était en état de stupeur causé par l’alcool. À ce que l’on sache, aucune des mères n’avait de dépendance à l’égard d’autres drogues. (Jones, Smith, Ulleland et Streissguth, 1973, pp. 1267 à 1271) (traduction libre).
Streissguth (1994), dans son examen de la première décennie de recherche sur le SAF, a souligné la nature internationale des études provenant de la France, citant Lemoine, Harousseau, Borteyru et Menuet (1968) et Dehaene et coll. (1977); les contributions de l’Allemagne par Majewski et coll. (1976); la recherche menée en Suède par Olegard et coll. (1979); et la recherche menée aux États-Unis par Jones, Smith, Ulleland et Streissguth (1973). La recherche effectuée au cours des décennies qui se sont écoulées depuis, quoique dominée par l’Amérique du Nord, a continué de susciter de l’intérêt dans d’autres pays; par exemple Riley et coll. (2003) ont présenté six perspectives internationales sur les conséquences de l’exposition du fœtus à l’alcool sur le comportement neurologique en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Russie et en Finlande. Comme autre indicateur de la recherche internationale, on peut citer les études qui comparent les constatations dans plusieurs pays telles que celles de Peadon, Fremantle, Bower et Elliott (2008) qui ont envoyé des questionnaires à des cliniques de diagnostic au Canada, aux États-Unis, au Chili, en Afrique du Sud, en Italie et au Royaume-Uni; et celle de Moore et coll. (2007) qui ont inclus dans leur échantillon de 276 sujets provenant de trois sites internationaux (Afrique du Sud, Finlande et États-Unis). Un rapport sur un atelier tenu au Japon en 2000 fait état des contributions à la recherche des États-Unis, de l’Afrique du Sud, du Japon, de la Russie et de l’Allemagne (Warren et coll., 2001).
Le SAF n’a été mentionné dans la documentation sur la recherche médicale qu’en 1973 et il a fallu quelques années avant que cette information soit transmise aux services sociaux, aux services de santé communautaires et aux médecins et aux professionnels des domaines connexes qui auraient pu avoir été en rapport avec des personnes atteintes du SAF / ETCAF; en outre, les publications provenaient principalement du champs médical. L’on pense que de nombreuses personnes ayant des déficiences liées à l’exposition du fœtus à l’alcool ont été traitées dans les services se spécialisant dans les troubles du développement et la santé mentale, étant donné que les cliniques de diagnostic n’avaient pas encore été établies, mis à part les travaux précurseurs menés à l’Université de Seattle, à Washington. Le cas de nombreuses personnes a dû être traité comme relevant du domaine des déficiences et avec des déficiences d’origine inconnue; en rétrospective, avec ce que nous savons maintenant de l’ETCAF, il est probable que des services aient été fournis par le biais de ce système. Par exemple, dans le cadre de son travail dans le domaine de la protection de l’enfance entre 1986 et 2002, une auteure rapporte qu’elle a rencontré des enfants et des adultes chez lesquels l’on savait que leurs déficiences avaient été causées par l’exposition du fœtus à l’alcool. Les antécédents sociaux des familles révélaient de sérieux problèmes d’alcoolisme qui les ont menées à avoir recours au système de protection de l’enfance (Badry, 2008).
Au cours des années 1980, l’on a commencé à se préoccuper de la question du développement des adolescents et des adultes atteints de l’ETCAF, et des conséquences de l’ETCAF tout au long de la vie des personnes atteintes. L’hésitation à poser un diagnostic initial chez les personnes de ce groupe d’âge a été surmontée avec la publication d’études longitudinales de dix ans aux États-Unis, en France et en Allemagne. Streissguth (1994) fait des observations sur les constatations de ces études qui se concentraient sur les répercussions à long terme sur le système nerveux central (SNC) :
« la spécificité décroissante des traits faciaux et des retards de croissance après la puberté expliquent uniquement pourquoi il peut s’avérer plus difficile de cerner les personnes atteintes du SAF après la puberté.
Dans le cas du SAF, les caractéristiques physiques ne sont que les indicateurs de déficiences du SNC… Bien que les caractéristiques physiques associées au SAF puissent changer à l’adolescence, les déficiences du SNC persistent, souvent avec des répercussions plus graves que celles qui ont été subies à la petite enfance » (p. 75). Les troubles d’adaptation résultant des déficiences du SNC signifiaient que les personnes dont le QI était de faible à moyen auraient des problèmes dans la collectivité (p. 76). Constatation qui a été corroborée par d’autres études de recherche (p. ex., Clark, Minnes, Lutke et Ouellette-Kuntz, 2008; Dyer, Alberts et Neimann, 1997; Grant, Huggins, Connor et Streissguth, 2005; Kerns, Don Mateer et Streissguth, 1997) ainsi que dans la documentation sur la pratique.
Les connaissances sur l’ETCAF se sont accrues et ont évolué à chaque décennie. Au cours des années 1990, une nouvelle phase a vu le jour dans l’établissement de diagnostics. Deux écoles de pensée différentes sont apparues aux États-Unis en termes de diagnostic fondé sur des normes établies par le U.S. Institute of Medicine (Stratton, Howe et Battaglia, 1996) et du code de diagnostic à quatre chiffres (Astley et Clarren, 1999). Le diagnostic est largement fondé sur des systèmes de classification, qui offrent un tableau des caractéristiques indiquant un état pathologique particulier. Un modèle de diagnostic canadien a été établi à partir de la documentation du U.S. Institute of Medicine (1996, cité dans Hoyme et coll., 1995) et du code de diagnostic à quatre chiffres du Réseau de diagnostic et de prévention élaboré par Astley et Clarren (1999). Les lignes directrices canadiennes ont retenu le code de diagnostic à quatre chiffres et la terminologie de l’ETCAF du modèle du U.S. Institute of Medicine. Les lignes directrices canadiennes pour le diagnostic du SAF incluent : « les signes de déficience dans la croissance prénatale [liés au poids et à la taille], la présentation simultanée de trois traits faciaux [particuliers], les signes de déficience dans trois domaines [particuliers] … du système nerveux central [et] la consommation confirmée (ou non confirmée) d’alcool par la mère » (Chudley et coll., 2005 pp. s11, s12).
Au cours des dernières années du siècle dernier, l’on a également eu tendance à mettre l’accent sur la sensibilisation aux déficiences secondaires qui sont susceptibles de se présenter chez les personnes atteintes de l’ETCAF au fil du temps. Ces déficiences sont une conséquence des déficiences primaires liées aux anomalies du SNC. Les travaux clés de Streissguth, Barr, Kogan et Bookstein (1997) ont indiqué qu’un diagnostic posé avant que la personne atteigne l’âge de six ans constituait un facteur médiateur contre l’apparition de problèmes sociaux graves qu’elle a cernés comme des déficiences secondaires. Les professionnels qui travaillent auprès de personnes qui ont des déficiences liées à l’alcool s’entendent pour dire que le diagnostic est important afin d’élaborer des plans de soutien qui aideront les personnes atteintes à s’adapter à leur environnement familial, éducatif, social et communautaire. D’importantes ressources ont été conçues afin de poser un diagnostic chez les enfants susceptibles d’être atteints de l’ETCAF, mais de telles ressources n’existent pas pour les adultes. Le présent examen avait pour objet de déterminer quels documents pertinents à la question du diagnostic de l’ETCAF chez les adultes l’on retrouvait dans la littérature universitaire et la littérature grise.
Au début des années 2000, la recherche et les pratiques cliniques dans le domaine de l’ETCAF se concentrent sur l’obtention de taux de prévalence plus fiables, sur le diagnostic chez les adultes et sur les interventions pour les enfants, les adolescents et les adultes pendant la période post-diagnostic et tout au long de la vie de la personne atteinte. Par exemple, dans une étude sur la recherche actuelle sur les interventions dans le domaine de l’ETCAF, Premji, Benzies, Serrett et Hayden (2007) indiquent qu’il y a peu de recherches disponibles pour guider les interventions pour les enfants et les adolescents (cette lacune est encore plus flagrante en ce qui concerne les adultes). Cette étude souligne le fait qu’aucun soutien n’a encore été établi pour les enfants qui ont des déficiences causées par l’exposition du fœtus à l’alcool. Les véritables taux de prévalence n’ont pas été établis et ne sont pas suivis dans une base de données, ce qui fait qu’on ne dispose pas d’une vue d’ensemble des personnes atteintes du SAF / ETCAF au Canada. Premji et collègues font état d’un manque de documentation sur les interventions pour les enfants et le même problème se présente pour le monde des adultes.
Hutson (2006) estime que
« 3 000 bébés sont nés atteints de l’ETCAF au Canada chaque année »
et cite un rapport de Farris-Manning et Zandstra (2003) qui estime en outre « que 50 % des enfants pris en charge en Alberta sont atteints du SAF » (p. 2). L’Alberta Health Services indique que selon les estimations 9 bébés sur 1 000 naissent atteints de l’ETCAF. Dans leur recherche sur les enfants pris en charge par les agences de protection de l’enfance au Manitoba, Fuchs, Burnside, Marchenski et Mudry (2005) ont estimé que 17 % des enfants pris en charge étaient atteints de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Les taux de prévalence varient étant donné qu’il n’y a pas d’approche coordonnée au Canada afin de réunir cette information.
La question de la consommation d’alcool et de la grossesse suscite des préoccupations dans d’autres pays; par exemple, la consommation d’alcool pendant la grossesse en Russie représente un sérieux problème dont on est maintenant davantage conscient dans l’Occident étant donné que des enfants d’orphelinats sont adoptés au Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays. Une étude menée par Miller et coll. (2006) qui portait sur un orphelinat en Russie a examiné la consommation d’alcool au sein de cette société. « La consommation d’alcool en Russie est énorme; la consommation annuelle est l’une des plus élevée au monde » (p. 532). Miller et collègues ont estimé que 58 % des enfants (n = 234) d’un orphelinat particulier présentaient une symptomatologie visible d’exposition prénatale à l’alcool (p. 531). Ce taux de prévalence a été déterminé au moyen d’un examen à plusieurs niveaux qui comportait un examen des dossiers, des mesures de la croissance et une évaluation des enfants utilisant les phénotypes d’évaluation des traits faciaux (Astley et Clarren, 1996). Les évaluations du développement de 112 enfants ont été examinées et « 21 (19 %) d’entre eux présentaient de légers retards, 45 (40%) des retards modérés et 12 (11 %) présentaient de graves retards… Plus de 70 % des enfants ayant un indice phénotypique élevé ont été classés comme ayant un retard de modéré à grave » (Miller et coll., 2006, p. 536). Au sein des établissements, de nombreuses conditions contribuent à l’apparition de troubles du développement chez les enfants qui reçoivent des soins collectifs où les occasions de stimulation sont limitées.
Figure 1 : Évaluation du développement de 112 enfants ont examinées
Le diagnostic chez les adultes est un domaine qui évolue mais en est encore à ses premiers stades. À l’heure actuelle, Sullivan (2008), faisant particulièrement référence aux adultes, indique qu’étant donné que le « diagnostic est encore fondé sur des données rétrospectives, et souvent n’est pas posé avant que la trajectoire de vie soit fermement établie, les patients peuvent être aiguillés vers des évaluations psychiatriques à partir d’une grande gamme d’antécédents » (p. 215). Les préoccupations liées à la santé mentale sont importantes et Sullivan (2008) se concentre sur les vulnérabilités et les problèmes sous-jacents au niveau de l’adaptation y compris un « rôle parental déficient, un développement perturbé de la confiance et de l’identité, les tendances à un comportement d’évitement, le dysfonctionnement des relations chez les adolescents et adultes, et les désavantages économiques » (p. 226). En ce nouveau millénaire, les tendances en matière de recherche sur l’ETCAF doivent inclure l’évolution des programmes de recherche qui se concentrent sur les pratiques de soutien post-diagnostic et le travail social individualisé pour les adultes. Le diagnostic doit être suivi d’une intervention qui inclut l’établissement d’un système de soutien et de planification des cas adapté aux besoins particuliers de la personne concernée.
1.3 Besoin d’une évaluation et d’un diagnostic pour les adultes
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il faut envisager le diagnostic et l’évaluation chez les adultes. Tout d’abord, l’ETCAF a été reconnu comme un important problème de santé publique tant au Canada qu’à l’étranger (Moore et coll., 2007; Peadon, Fremantle, Bower et Elliott, 2008; Warren et coll., 2001). L’ETCAF est reconnu comme une déficience qui coûte cher à gérer et ses préoccupations sont accrues, d’autant plus que cette affection peut être évitée lorsque la femme enceinte s’abstient de consommer de l’alcool pendant la grossesse. Cela a incité de nombreuses provinces canadiennes à élaborer des plans stratégiques pour prévenir l’ETCAF ou à s’engager dans ce processus, ainsi qu’à cerner les enfants, les adolescents et les adultes qui présentent une ou plusieurs des caractéristiques qui sont associées à l’ETCAF et à intervenir auprès d’eux. En partie, les importants efforts qui ont été déployés pour répondre aux besoins d’un diagnostic et d’un traitement de l’ETCAF pour les enfants ont fait en sorte qu’on reconnaît maintenant qu’il faut prévoir des services semblables pour les adultes qui n’ont pas été diagnostiqués mais qui sont aux prises avec des difficultés associées à l’ETCAF. À mesure que ces plans stratégiques provinciaux sont mis en œuvre et que le public est sensibilisé, on peut s’attendre à ce que davantage d’adultes soient aiguillés vers des cliniques de diagnostic et des programmes qui existent ou qui seront établis à même les ressources prévues pour la mise en œuvre de ces plans.
En second lieu, les estimations épidémiologiques de l’ETCAF au sein de la population générale ont été établies par extrapolation à partir de données cliniques et de données issues de la recherche. Toutefois, il n’existe pas d’estimations du nombre d’enfants qui ont fait l’objet d’un diagnostic du SAF ou des déficiences qui y sont associées au Canada, ni du nombre d’enfants qui deviennent des adolescents ou des adultes sans faire l’objet d’un diagnostic approprié (Clarren et Lutke, 2008). Nous savons toutefois que des adultes susceptibles d’être atteints de l’ETCAF, mais qui jusqu’à présent n’ont pas été cernés par le radar du diagnostic, se présentent dans les cliniques de diagnostic ou les programmes. Dans une enquête menée en 2006, Clarren et Lutke (2008), ont cerné un total de 27 programmes au Canada engagés dans une activité de diagnostic de l’ETCAF. Ils ont signalé un taux stupéfiant (67 %) du nombre de personnes aiguillées vers les cliniques qui sont diagnostiquées comme étant atteintes d’une forme de l’ETCAF. Leur recherche soulève des préoccupations quant à l’absence de taux de prévalence pour le Canada, tout en soulignant le besoin d’uniformité dans le diagnostic et la recherche.
Cela fait ressortir un troisième besoin en matière de données sur l’évaluation et le diagnostic chez les adultes – l’uniformité dans le diagnostic chez les adultes. De nombreux adultes n’ont jamais été diagnostiqués, ont été mal diagnostiqués ou s’auto-diagnostiquent comme étant atteints de l’ETCAF. En outre, il n’y a pas de pratiques normalisées bien établies pour le diagnostic chez les adultes au Canada ni à l’étranger. Comme en témoigne la réussite des quelques cliniques existantes qui posent un diagnostic chez les adultes au Canada, les stratégies fructueuses utilisées pour poser un diagnostic chez les enfants et les adolescents pourraient potentiellement être appliquées aux adultes (Clarren et Lutke, 2008). Il est également important de comprendre et de codifier les différences qui devraient être prises en considération lorsqu’on traite avec une population adulte qui n’a jamais fait l’objet d’un diagnostic. La question du diagnostic étant plus claire, il serait possible de déployer des efforts pour faire reconnaître l’ETCAF comme un handicap pour lequel des fonds du gouvernement doivent être disponibles afin d’offrir des services d’évaluation et de soutien. Cela mènera peut-être à des services de diagnostic et d’évaluation couverts par les régimes provinciaux d’assurance-maladie.
Il convient d’attirer l’attention des travailleurs de la santé, de la santé mentale, du système judiciaire et des services sociaux sur les similitudes et les différences dans les critères de diagnostic selon que l’on traite avec des populations adultes ou avec des enfants. Ce sont probablement ces professionnels qui effectueront le dépistage chez les clients qu’ils soupçonnent être atteints de l’un des troubles associés à l’exposition prénatale à l’alcool. En offrant des normes et des outils pour le dépistage, on s’assurerait que les adultes vulnérables sont mieux compris et commencent à recevoir des services convenant à leurs besoins.
Il est important de poser un diagnostic exact étant donné qu’il serait possible de prévenir de nombreuses affections secondaires par le biais d’une intervention appropriée (Malisza et coll., 2005) ou que leurs effets pourraient être atténués afin d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de l’ETCAF (Streissguth, 1997). En raison de ces affections (p. ex., troubles de santé mentale) il est difficile de fonctionner pour les personnes atteintes. Elles savent qu’elles sont aux prises avec des difficultés, mais en l’absence d’un diagnostic, elles ne comprennent pas ou ne savent pas « pourquoi ». Dans son module d’apprentissage pour les travailleurs de la santé et des services sociaux, Capital Health Edmonton and Area (2005) indique les deux principales raisons pour lesquelles il est important d’effectuer des tests de diagnostic de l’ETCAF chez les adultes. En premier lieu, un certain nombre de problèmes secondaires associés à l’ETCAF (p. ex., démêlés avec la justice, problèmes de santé mentale, vagabondage et itinérance) peuvent être surmontés ou leur incidence peut être réduite par le biais d’une intervention et d’un soutien (Streissguth, 1997). La personne peut être aiguillée vers des services de diagnostic, de défense des intérêts et de soutien qui l’aideront dans sa vie quotidienne, ses relations et son emploi. En second lieu, la personne atteinte de l’ETCAF et son réseau de soutien sont souvent soulagés lorsqu’ils comprennent la cause fondamentale – une lésion cérébrale – qui explique bon nombre des difficultés auxquelles elle fait face. Cette justification raisonnée sur le diagnostic chez les adultes a été réitérée par l’Asante Centre (2008) en Colombie-Britannique, qui reconnaît que l’avantage pour les adultes de faire l’objet d’une évaluation et d’un diagnostic pour l’ETCAF est qu’ils auront ainsi une occasion de mieux se comprendre en connaissant leur combinaison unique de forces et de faiblesses et pourront connaître les raisons pour lesquelles ils ont dû faire face à des défis tout au long de leur vie.
L’Asante Centre reconnaît également que les adultes qui ont été diagnostiqués comme atteints de l’ETCAF peuvent alors avoir accès à des services qui soient davantage en mesure de répondre à leurs besoins, et pourraient aider d’autres personnes à apprendre comment offrir un meilleur soutien. Le Lakeland FASD Centre, qui est situé à Cold Lake, en Alberta et qui dessert une vaste région rurale, a commencé à poser un diagnostic chez les adultes en 2000 (McFarlane et Rajani, 2007). Les principaux problèmes auxquels faisaient face les 22 adultes diagnostiqués par cette clinique entre 2001 et 2004 avaient trait à l’emploi, à la santé physique, à la santé mentale, aux démêlés avec la justice, au manque d’autonomie, aux finances et aux toxicomanies. Il est pertinent de poser un diagnostic chez ces adultes étant donné que des services de soutien peuvent alors être planifiés et fournis individuellement afin de les aider à faire face à ces défis tout en vivant dans leur collectivité.
L’établissement de cliniques de diagnostic pour les adultes les aidera dans leurs multiples rôles en tant que membres des collectivités dans lesquelles ils vivent. Un diagnostic posé dans le cadre d’un processus d’évaluation complet aidera les adultes à connaître leurs forces et leurs limites. En outre, cette information les aidera à faire face aux défis associés à ce diagnostic, et guidera l’établissement de systèmes de soutien qui les aideront dans leur vie quotidienne et leur participation au sein de la communauté. On trouve de bons exemples de tels systèmes dans des organismes tels que FASSY (Yukon), Sheway (Colombie-Britannique) et Breaking the Cycle (Ontario).
Référence
2. ^www.nationalframework-cadrenational.ca/uploads/files/TWS_Treatment/generic-nts-presentation-fra.ppt
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