ARCHIVÉ - Investir en prévention – la perspective économique
1. Aperçu
Une meilleure compréhension des avantages économiques et des coûts des interventions préventives en santé permet aux responsables de l’élaboration des politiques et aux gestionnaires de programme de prendre des décisions éclairées quant aux investissements à réaliser pour améliorer la santé de la population. Bien que l’aspect économique ne constitue que l’un des nombreux points à prendre en considération lors de l’examen des bienfaits d’une intervention, l’acquisition de telles connaissances permet un processus décisionnel plus rigoureux, systématique et transparent dans un contexte où les ressources sont limitées.
Ces connaissances sont appuyées par un ensemble important de données sur les analyses économiques de la prévention. La documentation sur le sujet est importante. Elle comprend la recherche sur les coûts financiers de la maladie et des blessures, les évaluations économiques d’interventions cliniques et de promotion de la santé précises et les avantages micro- et macro-économiques potentiels de l’amélioration de la santé et du bien-être. De plus, elle évolue et croît rapidement, à l’instar de l’intérêt grandissant des chercheurs et des praticiens quant à l’application des résultats d’analyses économiques dans le domaine de la santé publique.
En 2004, Goldsmith et ses collègues ont réalisé une vaste analyse de ce secteur sous un angle canadien. Depuis, de nouvelles données ont été publiées et d’autres enquêtes ont été entreprises. Pour recueillir ces données récentes d’une façon qui appuie les besoins des décideurs, un examen cumulatif est nécessaire.
Le présent document de synthèse résume l’état actuel des connaissances et débats sur les avantages économiques de la prévention. Il souligne le potentiel économique de la santé préventive, tire des exemples des récentes évaluations économiques dans des domaines d’intervention clés pour illustrer les tendances générales de la recherche, discute des lacunes actuelles en matière d’évaluation et souligne quelques-unes des grandes lignes des considérations méthodologiques cruciales dont il faut tenir compte lors de l’utilisation des résultats d’évaluations économiques afin d’aider à une prise de décisions éclairées en matière de politiques et de programmes. Fait important à noter, bien que l’analyse menée tente d’être exhaustive, elle ne se veut ni n’est un examen systématique de la documentation.
Le document est organisé de la façon suivante : la section 2 examine les arguments économiques en faveur des investissements dans la prévention, particulièrement ceux liés aux coûts financiers de la maladie (ou, inversement, les avantages économiques potentiels d’éviter la maladie et de l’amélioration de la santé) pour le système de la santé et, plus largement, la société. La section 3 offre un aperçu de la méthodologie de recherche employée et présente le cadre d’organisation des résultats. La section 4 traite des résultats et des messages clés tirés de notre étude des données qui, ensemble, illustrent l’état des connaissances sur les avantages économiques de la prévention et, notamment, l’application des conclusions d’évaluations économiques dans les interventions de santé préventives. Enfin, la section 5 fournit un résumé et les conclusions.
2. La justification économique d’un investissement en prévention
2.1 Le fardeau économique de la maladie au Canada
La maladie impose des coûts financiers importants tant pour le système de soins de santé canadien que pour la société en général. Il est possible de ventiler ce fardeau en trois aspects : les coûts directs, les coûts indirects et la valeur de la morbimortalité.
- Les coûts directs renvoient à « la valeur des biens et des services pour lesquels des sommes ont été payées et des ressources utilisées en vue du traitement, des soins et de la réadaptation liés à la maladie ou aux blessures » (Santé Canada, 2002, p. 1).
- Les coûts indirects représentent « la valeur de la production économique perdue en raison de maladies, de blessures rendant inapte au travail ou de décès prématurés » (Santé Canada, 2002, p. 1). Ils sont souvent mesurés en fonction de la perte de revenus potentiels causée par l’absentéisme en raison d’une maladie ou d’un décès prématuré. Les autres coûts indirects comprennent le sous-rendement au travail causé par la maladie (« présentéisme »), la valeur de la perte de la production non marchande (p. ex., l’aide aux personnes malades, le travail non payé) entraînée par la maladie ou un handicap et la valeur du temps de travail ou de loisir perdu par les membres de la famille ou les amis fournissant des soins à une personne malade.
Figure 1 : Le fardeau économique des principales catégories de maladies et de blessures au Canada, 2000. Remarque : Pour les services de santé, les coûts directs réfèrent aux dépenses. Les coûts indirects comprennent la valeur des années de vie perdues en raison d’un décès prématuré et celle des journées d’activité perdues à la suite d’une incapacité. (Source : D’après l’IHE, 2008 et les données de l’Agence de santé publique du Canada.)
Figure 1 - Texte équivalent
Le graphique illustre les coûts directs et indirects des sept principales catégories de maladies et de blessures au Canada pour l’année 2000. Les coûts directs sont les dépenses pour les services de santé et les coûts indirects comprennent la valeur des années de vie perdues en raison d’un décès prématuré et celle des journées d’activités perdues à la suite d’une incapacité de courte ou de longue durée. Les maladies musculosquelettiques ont entraîné les coûts directs et indirects combinés les plus élevés (3,939 millions de dollars et 18,372 millions de dollars, respectivement), pour un total de plus de 22,3 millions de dollars. Les maladies cardiovasculaires sont arrivées au deuxième rang avec un coût total de 22,2 millions de dollars, suivies des troubles neuropsychiatriques (20,2 M$), des tumeurs malignes (17,4 M$), des blessures (14,7 M$), des maladies de l’appareil digestif (7,2 M$) et des maladies respiratoires (6,5 M$). Fait à souligner, les coûts indirects supportés par la société sont aussi élevés, sinon davantage, que les coûts directs associés à la prestation des services de santé.
- La valeur de la morbimortalité (parfois appelée « investissements intangibles ») reflète la valeur intrinsèque attribuée à une meilleure santé et comprend « les conséquences personnelles et/ou subjectives associées à la maladie, telles que la douleur physique, la souffrance morale, l’anxiété, la peur, la détérioration de la santé, le stress dans les relations personnelles et la vie familiale » (Hankivsky et coll., 2004, p. 268). Bien que cette catégorie de coûts soit celle ayant la plus vaste portée et qui soit la plus difficile à évaluer, des méthodes ont été créées pour les examiner sous l’angle de l’utilité (comme les années de survie ajustées pour la qualité de vie ou les années de vie corrigées du facteur d’invalidité) ou de la valeur financière (p. ex., dans le cadre d’enquêtes sur la volonté de payer).
Le fardeau économique total de la maladie et des blessures au Canada est substantiel. En 2000, les coûts directs et indirects seulement ont été estimés à 188 milliards de dollars (données internes de l’ASPC). La figure 1 présente ces coûts pour sept grandes catégories de maladies et de blessures. Fait intéressant à noter, les coûts indirects courus par la société sont aussi grands, voire plus grands, que les coûts directs liés à la prestation de services de santé.
2.2 Comprendre le potentiel économique de la prévention
Dans un contexte où les coûts des soins de santé croissent et où l’accent est mis sur les compressions budgétaires et la prise factuelle de décisions, la reconnaissance du fardeau économique considérable que représentent les maladies et les blessures en grande partie évitables a mené à un regain d’intérêt pour les mesures préventives de santé publique comme moyens de limiter les dépenses en soins de santé. Nombreux sont ceux qui croient que la prévention est rentable, à un tel point que, selon eux, un montant donné peut offrir de meilleurs résultats sur la santé s’il est investi dans des mesures préventives plutôt que destiné aux traitements cliniques. Dans certains cas, la prévention peut même réduire les coûts du système de soins de santé. En effet, les montants investis dans les mesures préventives permettront d’éviter des traitements de plus en plus coûteux dans les années à venir. De plus, une bonne santé peut même générer en soi une croissance économique en permettant aux personnes capables d’éviter maladies et blessures de profiter d’un plus grand nombre d’occasions d’optimiser leur éducation, leur travail et leur potentiel humain (Suhrcke et coll., 2008).
En acceptant les arguments généraux en faveur de l’investissement dans la prévention, les décideurs ne savent toutefois pas clairement dans quels types d’interventions injecter des fonds en priorité. Pour répondre à ce besoin, des évaluations économiques, c’est-à-dire des analyses comparatives des différentes interventions sur le plan des coûts et des conséquences (Drummond et coll., 2005), dans tout le secteur de la santé préventive sont nécessaires.
De telles analyses sont effectivement publiées de plus en plus fréquemment (p. ex., Rush et coll., 2004). Les évaluations économiques offrent un cadre systématique pour mesurer et comparer les paramètres économiques des diverses politiques (encadré 1 – Mudarri, 1993). Leur potentiel peut être exploité pour appuyer l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes, améliorer l’efficacité des dépenses et, en définitive, assurer la pérennité du système de soins de santé. Saha et ses collègues (2001) ont noté que ces analyses peuvent contribuer à éclairer la prise de décisions relative aux services préventifs de six façons :
- en quantifiant les différences entre deux services et plus qui sont efficaces et destinés à traiter le même problème de santé;
- en illustrant les répercussions de la prestation d’une intervention à différents intervalles, à des âges différents ou à des groupes à risque;
- en évaluant le rôle préventif potentiel de nouvelles technologies;
- en déterminant les conditions réelles clés qui doivent être remplies pour qu’une intervention donne les résultats souhaités;
- en incorporant les préférences de la population visées au chapitre des résultats des interventions (p. ex., équilibre entre la longévité et la qualité de vie – propre aux analyses coût-utilité);
- en classant une gamme de services en ordre de coût et de bienfaits prévus (uniquement si les analyses économiques sont normalisées à l’aide d’unités courantes pour mesurer les résultats).
Cependant, les évaluations économiques ne sont qu’un des nombreux facteurs à prendre en considération lors de l’allocation des ressources limitées du système de santé. La priorité de la santé publique, qui est également celle de la médecine clinique et des professions connexes, est de protéger et d’améliorer la santé. Il est bien entendu important d’atteindre cet objectif de façon efficace, particulièrement lorsque des fonds publics sont employés. Toutefois, comme l’a observé Stein (2001, p. 68), « l’efficacité réfère à la façon dont nous devons allouer nos ressources pour atteindre nos buts, et non à la définition de ces buts. La nature de nos buts de même que la valeur que nous leur accordons sont tout à fait exclues du langage entourant l’efficacité. »
ENCADRÉ 1 : TYPES COURANTS D’ÉVALUATIONS ÉCONOMIQUES DE LA RECHERCHE EN SANTÉ
L’analyse des coûts calcule le coût net d’une intervention en soustrayant le coût du traitement d’une maladie à celui de sa prévention. Une intervention est dite rentable lors que son coût net est négatif. Les analyses des coûts n’évaluent toutefois pas les bienfaits d’une intervention et ne sont donc pas, à strictement parler, des évaluations économiques.
L’analyse coût-avantage compare habituellement le coût d’une intervention à ses améliorations réelles ou estimées de la santé. Elle peut également porter sur une perspective sociétale plus vaste pour tenir compte des bienfaits de l’intervention sur d’autres aspects que la santé. Les résultats sont souvent présentés sous forme d’un rapport coûts-avantages (c’est-à-dire la valeur financière de la santé ou de l’amélioration sur le plan social divisée par le coût des mesures prophylactiques). Ce rapport, lorsqu’il est supérieur à un, suggère que l’intervention permet d’optimiser les ressources. En contexte réel, cependant, l’assignation d’une valeur financière à divers gains au chapitre de la santé et de la société, y compris la valeur de la vie, pose nombre de défis (notamment celui de l’acceptabilité publique).
L’analyse coût-efficacité compare les interventions sur le plan du coût net requis pour obtenir une unité naturelle d’amélioration de la santé, telle que les années de vie gagnées ou les cas de maladie évités. Les résultats sont généralement exprimés sous forme de rapport coût-efficacité différentiel (p. ex., coût/décès évités), qui fait un rapprochement entre les coûts nets et les bienfaits nets sur la santé de deux interventions ou plus. Pour avoir une valeur informative, ce rapport est comparé soit au rapport d’une autre intervention possible (p. ex., la meilleure solution de rechange, les mesures standards, aucune intervention, etc.), soit à un seuil arbitraire en dessous duquel les interventions sont considérées comme étant raisonnablement rentables. En règle générale, les chercheurs nord-américains fixent ce seuil à entre 50 000 et 100 000 $ US/années de survie ajustées pour la qualité de vie.
L’analyse coût-utilité est un sous-type d’analyse coût-efficacité pour laquelle l’unité d’amélioration de la santé est une mesure de la santé pondérée par son utilité, comme les années de survie ajustées pour la qualité de vie. Son principal avantage est de faciliter la comparaison directe de deux interventions ou plus, même en présence de problèmes dissemblables dont les unités naturelles de santé diffèrent.
(D’après Partnership for Prevention, 2001)L’élaboration de politiques publiques est une entreprise tant factuelle que fondée sur la valeur. Bien qu’elle ne doive pas reposer sur des suppositions généralement admises ou répondre aux pressions des groupes de défense, elle ne doit pas, d’un autre côté, prendre uniquement appui sur un calcul mécanique des coûts et des avantages. Les évaluations économiques des interventions de santé existantes ou nouvelles peuvent aider à régler d’importantes questions du secteur public au chapitre de la comptabilité, de la responsabilité financière et de l’optimisation des ressources en temps de compression budgétaire. Déterminer quels programmes appuyer nécessite toutefois une mûre réflexion et la comparaison de facteurs autres que ceux déterminés lors de mesures sommaires de l’efficacité économique. Ceux-ci comprennent, entre autres, la perception du public de la sécurité et de l’acceptabilité; les valeurs sociétales d’égalité d’accès, de justice, de solidarité et d’équité et de justice distributive et les préférences moins tangibles que l’on accorde au fait d’éviter l’inconfort, la douleur et la souffrance chez soi-même ainsi que chez les autres.
3. Un bref aperçu de la méthodologie
La documentation universitaire et grise a été examinée dans le but de capturer et de résumer les dernières données tirées d’évaluations économiques portant sur des interventions préventives de la santé ainsi que des questions de recherche actuelles et des considérations méthodologiques offrant un contexte et des conseils sur l’utilisation des données.
Afin de conserver un cadre de travail gérable, la recherche documentaire a été axée sur les articles de synthèse publiés dans des périodiques disposant d’un comité de révision et des rapports de documentation grise entre janvier 2004 et février 2009. Des recherches ont été réalisées dans la base de données Medline/PUBMED à l’aide de combinaisons des termes clés suivants : (i) « prévention clinique », « prévention primaire », « promotion de la santé », « protection de la santé » ou « santé de la population » et (ii) « rentable », « coût-avantage », « rentabilité », « coût-utilité » ou « évaluation économique ». D’autres études pertinentes ont été décelées dans le cadre d’examen manuel de listes de références. Des publications adéquates ont été relevées dans la documentation parallèle grâce à des recherches sur le Web, l’exploration de listes de références d’articles révisés par des pairs et la consultation de collègues ayant une expertise dans des domaines précis de la santé publique.
Les articles de certains auteurs ont été inclus automatiquement afin d’assurer que les études de rentabilité évaluées répondent à des critères minimaux de rigueur scientifique lors de la conduite d’évaluation économique de la santé (p. ex., Chiou et coll., 2003; Drummond et coll., 2005). Bien que cette méthode suffise pour la présente étude, il est reconnu qu’elle n’est pas optimale; il est fortement recommandé que les prochaines analyses de la documentation évaluent indépendamment la qualité des études consultées. Bon nombre d’outils et de lignes directrices sont offerts à cet effet (voir, p. ex., Carande-Kulis et coll., 2000; Centre for Reviews and Dissemination (CRD), 2008; Chiou et coll., 2003; Drummond et coll., 2005).
Les quatre aspects de la prévention de Goldsmith et coll. (2004) ont été utilisés à titre de cadre d’organisation :
- Prévention clinique – comprend les activités individuelles entre un professionnel de la santé et un bénéficiaire de soins (patient ou client), qui peut accepter ou décliner l’offre de services ou les mesures recommandées.
- Promotion de la santé – comprend les interventions menées auprès de groupes, ou de la population en général, qui encouragent à adopter des comportements individuels perçus comme ayant des effets positifs sur la santé et qui découragent l’adoption de ceux ayant des résultats négatifs.
- Protection de la santé – comprend les interventions pratiquées à l’échelle organisationnelle (p. ex., politique des hôpitaux), locale, provinciale, nationale ou internationale qui réduisent les risques pour la santé en modifiant le milieu physique ou social dans lequel les personnes évoluent, de façon à ce que le rôle de chaque bénéficiaire d’une intervention de protection de la santé soit passif ou limité au respect des lois et des règlements.
- Politiques publiques favorables à la santé – comprend les interventions sociales ou économiques qui ont des effets sur les déterminants de la santé et qui touchent donc la santé sans que cette dernière soit considérée comme le principal objectif.
Dans les cas où des données canadiennes étaient disponibles, une priorité leur a été accordée, mais elles ont représenté une très faible proportion des données totales recueillies. La documentation provenant d’autres pays occidentaux développés, principalement les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, a également été utilisée.
La méthodologie adoptée pour l’étude visait à saisir les grandes lignes de l’état actuel du domaine. Toutefois, compte tenu de la richesse des données pertinentes relevées et de la nature cumulative et non systématique de la méthode de recherche choisie, les résultats présentés dans le présent document doivent être considérés comme préliminaires. De plus, le risque de reproduire une déviation systématique des données, c’est-à-dire une tendance généralisée à publier et à citer plus fréquemment les résultats positifs ou statistiquement significatifs plutôt que les découvertes défavorables, ne peut être exclu (Sassi et coll., 2002; Suhrcke et coll., 2007).
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