Section 4 : Modélisation de l'incidence et de la prévalence de l'hépatite C et de ses séquelles au Canada, 2007 – Analyse
4. Analyse
Nous avons effectué une étude de modélisation visant à caractériser l'épidémiologie de l'hépatite C au Canada en 2007. Nous voulions, plus précisément, estimer l'incidence et la prévalence de l'hépatite C au Canada entre 1967 et 2027, stratifiées selon le sexe, la catégorie d'exposition et le lieu de naissance. Nous avons également modélisé la prévalence et l'incidence des séquelles graves de l'hépatite C au cours de cette période de 60 ans. Dans le but d'atteindre ces objectifs, nous avons adapté et amélioré le modèle actuariel mis au point pour l'estimation de l'infection à VHC au Canada en 2002, qui avait été effectuée en 2003.
Nous avons conclu qu'en décembre 2007, 242 521 personnes au Canada étaient atteintes de l'hépatite C. Les infections à VHC en Ontario représentent environ 42 % de la totalité des infections au Canada. Les taux de prévalence les plus élevés ont été enregistrés au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique. En ce qui a trait à l'incidence de l'infection à VHC, on estime qu'il y a eu 7 945 nouveaux cas d'infection au Canada en 2007.
Parmi les 242 521 personnes infectées par le VHC au Canada, 52 512 (22 %) étaient des UDI actifs et 87 452 (36 %) des ex-UDI; 25 905 (11 %) avaient été infectées par une transfusion sanguine, 861 (0,36 %) étaient atteintes d'hémophilie et 75 790 (31 %) avaient été infectées par d'autres voies, notamment par transmission sexuelle, professionnelle, nosocomiale et verticale. Soixante et un pour cent des personnes infectées par le VHC étaient des hommes.
Nous avons également évalué la prévalence de l'infection selon le sexe et le groupe d'âge. La prévalence du VHC était plus élevée de 64 % chez les hommes que chez les femmes (0,95 % contre 0,61 %). Il n'est pas étonnant de constater que la prévalence du VHC augmente généralement, mais pas toujours, avec l'âge. En revanche, l'incidence du VHC en 2007 était plus élevée chez les personnes âgées de 20 à 39 ans, la plus forte incidence (0,110 %) étant enregistrée chez les personnes âgées de 25 à 29 ans. Globalement, l'incidence de l'infection à VHC chez les hommes s'établissait à 0,034 %, soit près du double de celle observée chez les femmes (0,018 %).
Nous avons constaté que la prévalence de l'infection à VHC variait considérablement d'une province ou d'un territoire à l'autre. C'est chez les résidants de l'Ontario que l'on trouvait le plus grand nombre de personnes infectées par le VHC (102 858, ou 42 %); venaient ensuite à la Colombie-Britannique (53 254 ou 22 %) et le Québec (37 505, ou 16 %). Les taux de prévalence les plus élevés ont été enregistrés au Yukon (3,87 %), Territoires du Nord-Ouest (1,83 %) et la Colombie-Britannique (1,21 %).
Le nombre estimatif de personnes infectées par le VHC au Canada en 2007 était légèrement inférieur à celui que nous avons estimé pour 2002 (251 000). La différence s'explique par les estimations plus précises de la mortalité dans les cinq catégories d'exposition examinées, ainsi que par l'intégration de la disparition naturelle du VHC et des anticorps anti-VHC, qui n'est pas négligeable.
L'impact des séquelles de l'hépatite C sur la santé des Canadiens semble considérable. En 2007, 15 814 personnes étaient atteintes d'une cirrhose, 5 495, d'insuffisance hépatique, 338 avaient reçu un diagnostic de carcinome hépatocellulaire et 1 187 avaient reçu une greffe. Le taux d'incidence annuel de la cirrhose semblait plafonner entre 1997 et 2007, mais, selon les résultats obtenus à l'aide de notre modèle, l'incidence des issues plus graves de l'infection à VHC continuera d'augmenter, au moins jusqu'en 2027. Les décès d'origine hépatique, par exemple, passent de seulement 24 en 1967 à 613 en 2027 et augmentent d'environ 27 % entre 2007 et 2027.
Dans l'ensemble, un nombre cumulatif de 221 198 cas d'hépatite C ont été diagnostiqués et déclarés au Canada, et la tendance temporelle observée révèle que nous ne sommes probablement pas à la veille « d'épuiser le réservoir de la prévalence » constitué par les personnes infectées par le VHC. Notre estimation de la proportion des cas diagnostiqués d'infection à VHC est teintée d'incertitude. En appliquant les taux annuels de mortalité entre 1991 et 2007, nous avons estimé que 192 225 des cas diagnostiqués étaient toujours vivants en décembre 2007. Ce chiffre représente 79 % des cas modélisés d'infection à VHC, quoique la proportion varie considérablement d'une province et d'un territoire à l'autre.
Nous n'avons pu déterminer dans quelle mesure il pourrait y avoir des doublons résiduels dans la base de données nationale. S'il existait un nombre important de déclarations en double non décelées dans la base de données, la proportion d'infections à VHC qui ont été diagnostiquées serait plus faible.
Les méthodes que nous avons utilisées dans la présente analyse sont fondées sur plusieurs hypothèses et présentent des limites. En ce qui concerne les caractéristiques démographiques, les données sur la date de naissance, les décès et les populations de recensement étaient relativement précises et, par conséquent, peu sujettes à l'incertitude. Les chiffres de population modélisés correspondaient initialement très étroitement aux données de Statistique Canada pour 2001, en partie en raison du fait que le modèle a été ajusté pour correspondre aux chiffres de population connus. Pour déterminer la prévalence de l'infection à VHC chez les immigrants, nous nous sommes fondés sur la situation dans le pays d'origine, dont témoignaient les données sur l'infection à VHC chez les personnes nées à l'étranger figurant dans la base de données du Système de surveillance accrue des souches de l'hépatite (SSASH). On ne connaît pas le degré d'exactitude des données sur les naissances du pays d'origine qui figurent dans cette base de données.
Dans un souci de simplicité, nous avons tenu pour acquis que tous les hémophiles étaient nés au Canada. Nous avons procédé ainsi pour deux raisons. Premièrement, étant donné que les soins médicaux disponibles sont souvent limités dans le pays d'origine des personnes qui immigrent au Canada, beaucoup d'hémophiles pourraient ne pas survivre suffisamment longtemps pour pouvoir immigrer au Canada. De plus, certains hémophiles ne seraient pas jugés admissibles à l'immigration au Canada, en raison du fait qu'ils risquent d'entraîner des coûts médicaux excessifs. Enfin, nous n'avons pas de données sur la distribution des hémophiles par pays de naissance. Il était donc plus simple de modéliser ce groupe au sein de la strate des personnes nées au Canada. Il est néanmoins probable qu'au moins un certain nombre d'hémophiles qui sont considérés comme nés au Canada dans notre analyse soient, en fait, nés à l'étranger.
Le modèle que nous avons mis au point intègre des hypothèses sur l'incidence et la prévalence probables du VHC dans des populations clés. Les résultats de notre modèle reposent sur les données tirées d'un examen des études épidémiologiques et du projet de surveillance du SSASH, mené par l'Agence de la santé publique du Canada. Toutefois, une seule étude en population de suffisamment grande envergure sur la prévalence de l'infection à VHC a été réalisée au Canada. Il s'agit de l'étude réalisée auprès des patients externes des hôpitaux sentinelles au Québec entre 1990 et 199216. Le SSASH présente également des limites, attribuables au caractère incomplet et biaisé des données. Ces aspects sont analysés plus en détail dans le rapport de notre étude sur l'infection à VHC au Canada en 20022. Nous ne disposions pas des données sur les facteurs de risque pour les cas déclarés de façon systématique à des fins de surveillance, ce qui aurait permis d'évaluer de façon indirecte les taux relatifs d'infection dans les principaux groupes à risque d'infection à VHC.
Dans la présente étude, nous avons également examiné les études publiées afin de relever les données additionnelles sur les paramètres pouvant permettre de mesurer l'évolution de l'hépatite C à travers ses différents stades cliniques et nous avons intégré des données mises à jour dans notre modèle de Markov. Il existe néanmoins des incertitudes importantes quant à la valeur de ces paramètres. Premièrement, les paramètres observés dans les différentes études variaient considérablement, et cet aspect n'a été que partiellement pris en compte par la stratification en fonction du statut à l'égard du VIH et du sexe. On ignore dans quelle mesure ces paramètres s'appliquent à la population canadienne; par conséquent, les estimations de l'incidence et de la prévalence des séquelles de l'infection à VHC sont teintées d'incertitude.
Pour déterminer la prévalence de l'hépatite C dans chaque province ou territoire, nous avons utilisé les cas déclarés d'hépatite C comme pondérations et nous avons interpolé les cas d'infection à VHC dans chaque province et territoire à partir du nombre total de cas au Canada, à l'aide de ces pondérations. Cette approche repose sur la prémisse selon laquelle le diagnostic et la déclaration des cas d'hépatite C sont semblables dans toutes les administrations au Canada, ce qui n'est peut-être pas le cas. Il est difficile de déterminer la force de la direction des biais qui peuvent avoir été introduits par des méthodes différentes d'analyse et de déclaration.
Nous avons examiné l'hépatite C au Canada dans deux populations particulières : les détenus et les Autochtones. Dans le premier cas, nous avons pu obtenir de l'information tirée de plusieurs études sur la proportion de détenus qui s'étaient injecté des drogues et sur la prévalence de l'hépatite C stratifiée en fonction des antécédents d'UDI.
Néanmoins, il se peut que les populations étudiées n'aient pas été représentatives de toutes les populations incarcérées au Canada, et la prévalence de l'hépatite C varie d'une région et d'un établissement à l'autre dans l'ensemble du Service correctionnel du Canada59. Selon les données récentes du Service correctionnel du Canada, la prévalence globale du VHC dans les pénitenciers fédéraux était d'environ 29 % en 2005 (légèrement supérieure à notre estimation)60. La prévalence estimative auto-déclarée du VHC chez les personnes qui n'ont pas fait état d'antécédents d'injection de drogues pourrait aussi être supérieure au chiffre estimatif de 1 % indiqué dans le présent rapport, en raison des comportements à risque auto-déclarés, notamment coups de couteau ou batailles, rapports sexuels avec un UDI, implication dans le commerce du sexe59. Une prévalence supérieure à 1 % chez les non-IDU pourrait également être attribuable, en partie, à la sous-déclaration de l'injection de drogues dans ces études.
En ce qui concerne la population autochtone, les études disponibles sur l'hépatite C dans cette population étaient rares. En fait, nous n'avons trouvé que peu d'études sur l'hépatite dans des échantillons en population. Nous avons fondé notre estimation sur l'incidence relative du sida chez les UDI en Ontario et avons intégré les résultats du Manitoba. Par conséquent, notre estimation selon laquelle 7 200 personnes autochtones sont infectées par le VHC en Ontario est considérablement teintée d'incertitude, car on ne sait pas si la définition du terme « autochtones » est la même dans les différentes bases de données. Nous avons utilisé les chiffres relatifs à la population autochtone tirés du recensement canadien de 2006; toutefois, dans le recensement, l'appartenance ethnique est auto-déclarée et il est donc possible qu'elle ne corresponde pas aux autres définitions du statut d'Autochtone, notamment celles utilisées dans les études épidémiologiques. Une autre source d'incertitude à l'égard de l'infection à VHC dans les populations autochtones découle de l'observation faite par Minuk, selon laquelle une plus forte proportion des personnes qui sont porteuses des anticorps anti-VHC dans cette population ne sont pas porteuses de l'ARN du VHC (c.-à-d. ne sont pas atteintes d'une infection active), comparativement aux autres populations39. Les raisons de cette différence apparente demeurent obscures.
En ce qui a trait à l'infection active par le VHC en général, les estimations présentées dans le présent rapport indiquent le nombre de personnes qui sont porteuses de l'ARN du VHC ou des anticorps anti-VHC, ou encore des deux. En fait, toutes les personnes ne sont pas atteintes d'une infection active. À l'aide d'une extraction du modèle examinant uniquement les personnes porteuses de l'ARN du VHC, nous avons estimé que 205 338 personnes (85 %) étaient porteuses de l'ARN du VHC, c'est-à-dire étaient atteintes d'une infection à VHC active. Seules ces personnes peuvent transmettre le VHC et peuvent recevoir un traitement antiviral.
Notre modèle a révélé que 31 % des cas prévalents d'infection à VHC étaient dus à des modes de transmission autres que l'injection de drogues, la transfusion sanguine et l'administration de facteurs de coagulation. Ce chiffre constitue probablement une surestimation notable de l'importance des autres modes de transmission. Ces derniers peuvent comprendre la transmission sexuelle, professionnelle, nosocomiale et verticale (c.-à-d. de la mère au bébé), ainsi que la transmission liée à des pratiques non stériles de perçage corporel et de tatouage. S'il est vrai que l'hépatite C peut être transmise par toutes ces voies, il est peu probable qu'il s'agisse de modes de transmission extrêmement efficaces (et, par conséquent, fréquents). La proportion des autres modes de transmission est fondée sur les données de la base de données du SSASH. En raison de la stigmatisation associée à l'injection de drogues, il y a tout lieu de croire que ce comportement fait l'objet d'une sous-estimation dans ce système de surveillance, laquelle se traduit par une surestimation de l'importance des autres modes de transmission.
Nous avons reçu et examiné les données sur les cas déclarés d'hépatite C au Canada. Toutefois, comme nous l'avons indiqué précédemment, nous ne savons pas s'il reste un nombre important de cas déclarés en double dans la base de données. De plus, il semble que les infections aiguës n'ont pas été systématiquement distinguées des infections chroniques et que les données sur les facteurs de risque n'ont pas été systématiquement recueillies. La qualité et l'utilité des données de la surveillance de l'hépatite C se trouveraient améliorées si l'on comblait ces lacunes. Il serait en outre extrêmement souhaitable d'inclure les activités de surveillance accrue de toutes les villes majeures du Canada.
Dans nos projections relatives à l'hépatite C et à ses séquelles jusqu'en 2027, nous n'avons pas pris en compte les répercussions possibles de l'utilisation croissante des médicaments antiviraux actuellement disponibles (p. ex. PEG Interféron et ribavirine) ni de l'impact potentiel des nouveaux schémas plus efficaces. Si l'on venait à découvrir, toutefois, de nouveaux médicaments qui sont efficaces et largement disponibles, cela pourrait avoir des répercussions considérables sur nos projections futures. De même, si des programmes efficaces de prévention de l'hépatite C sont mis sur pied et largement mis en oeuvre à l'intention des UDI, l'incidence et la prévalence de l'hépatite C prévues jusqu'en 2027 pourraient être inférieures aux estimations obtenues à l'aide de notre modèle.
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