Rapport du Comité scientifique sur le Plan de gestion des produits chimiques des 4 et 5 novembre 2014
Comité scientifique sur le Plan de gestion des produits chimiques
Le Comité scientifique (CS) a été prié de préparer une réponse à la question suivante :
- Santé Canada et Environnement Canada sollicitent des commentaires sur les pratiques exemplaires permettant de justifier raisonnablement le recours à la technique de lecture croisée (ou références croisées) dans le contexte des évaluations de risques menées dans le cadre du Plan de gestion des produits chimiques (PGPC). Les ministères sollicitent également des commentaires sur les défis posés par cette approche et les meilleures solutions possibles. Le Comité scientifique (CS) est prié d'examiner les difficultés que rencontrent les ministères lorsqu'ils utilisent la lecture croisée pour obtenir les données dont ils ont besoin pour justifier raisonnablement le processus de prise de décisions réglementaires. Son examen devait notamment porter sur les questions suivantes :
- les incertitudes liées à l'identification et au choix d'analogues appropriés,
- l'incidence de l'insuffisance de données ou des lacunes des données empiriques sur les substances sources,
- le mécanisme ou le mode d'action justifiant la logique de similarité,
- les nouvelles méthodes d'essai à l'appui de l'hypothèse de similarité,
- la méthode de lecture croisée en l'absence de toxicité.
Note : le CS a modifié l'ordre et la formulation des cinq éléments.
Le CS offre les réponses suivantes à l'examen des ministères.
Contexte
La méthode de lecture croisée (ou références croisées) est une technique qui permet de compenser l'insuffisance de données utilisée dans le cadre de l'approche analogue ou de l'approche des catégories. On a recours à cette technique lorsqu'il y a peu de données mesurées disponibles pour soutenir l'évaluation de la toxicité à l'égard des paramètres préoccupants pour la ou les substances cibles. La méthode de lecture croisée s'appuie sur des données établies pour des substances sources afin de répondre à un certain nombre de questions, dont les suivantes :
- La substance à l'étude (cible) est‑elle membre d'un groupe analogue ou d'une catégorie déjà établi?
- Un groupe chimique peut‑il être formé?
- La catégorie est‑elle toxicologiquement pertinente par rapport aux paramètres préoccupants?
- Dispose‑t‑on d'une ou plusieurs substances sources faisant l'objet de données de bonne qualité?
- L'incertitude associée à la lecture croisée est‑elle acceptable dans le contexte décisionnel à l'étude et peut‑elle être exprimée quantitativement?
- Quels autres renseignements sont requis pour atténuer l'incertitude résiduelle associée à la lecture croisée proposée?
Cadre
Le CS propose l'application d'un cadre de principes directeurs pour l'élaboration, l'évaluation et la documentation des analyses effectuées par lecture croisée. Un cadre efficace d'utilisation de la lecture croisée pour soutenir les décisions du PGPC doit comporter les éléments suivants :
- une description du contexte décisionnel applicable à l'exercice prévu;
- une description transparente de la logique de similarité pour l'approche de regroupement et l'approche de lecture croisée connexe;
- une description claire du rôle des facteurs spécifiques ou non spécifiques aux paramètres pouvant avoir une incidence sur l'évaluation;
- la documentation de la logique et des données justificatives utilisées pour la prédiction par lecture croisée afin qu'elles puissent être reproduites par l'utilisateur final;
- une description des incertitudes et une distinction entre l'incertitude des données (confiance dans l'information disponible sur la ou les substances sources) et l'incertitude toxicologique (confiance dans la prédiction des données de risque liées à la substance cible).
L'évaluation par lecture croisée doit être adaptée aux fins recherchées afin d'étayer une décision. Le CS était donc conscient qu'il fallait trouver un équilibre entre la mise en place d'un cadre garantissant la cohérence et la transparence dans l'utilisation des diverses méthodes, tout en laissant aux praticiens suffisamment de flexibilité pour leur permettre de recourir à des « pratiques exemplaires » au fur à mesure de l'évolution de la technique de lecture croisée. Ces éléments sont analysés plus loin dans le contexte des trois études de cas présentées au CS.
Contexte décisionnel pour l'utilisation de la lecture croisée
Quel est le « contexte décisionnel »?
Les analyses par lecture croisée sont de plus en plus courantes dans le cadre du PGPC pour déterminer le point de départ et éclairer les décisions et la gestion fondées sur les risques. L'utilisation de cette approche a des implications quant au type de données requises ainsi qu'au cadre nécessaire pour étayer les décisions du PGPC.
Le cadre proposé ci‑dessus (1 à 5) prévoit l'établissement de principes régissant l'évaluation par lecture croisée de composés organiques définis. Les cadres existants sont grandement limités puisqu'ils ne sont généralement pas adaptés à l'analyse de substances UVCB (substances de composition inconnue ou variable, produits de réaction complexes ou matières biologiques). L'évaluation par lecture croisée de ces types de substances pose une complexité supplémentaire comparativement à celle portant sur des matières organiques définies. Même si certains groupes d'UVCB comprennent, par exemple, une série homologue de substances organiques chimiques et se prêtent à l'analyse par lecture croisée, il n'existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique sur la façon d'utiliser la lecture croisée pour bon nombre de ces types de substances.
Quelle est l'ampleur du problème? Quelle est la décision à prendre? Quelles sont les lacunes en matière de données?
La lecture croisée est une technique parmi plusieurs permettant de compenser le manque de données. Cette technique porte spécifiquement sur des paramètres de toxicité. Bien qu'une hypothèse générale de similarité puisse constituer une base initiale pour le regroupement de substances en catégories, il sera peut‑être nécessaire de s'appuyer sur une justification différente ou une substance source différente pour analyser chaque paramètre de toxicité par lecture croisée. Par exemple, certains critères d'appartenance à une catégorie peuvent avoir des substances chimiques sources différentes ou nécessiter des éléments de preuve différents. L'un des principes directeurs du cadre prévoit, à l'étape initiale de l'évaluation et de la formulation du problème, l'analyse de la gamme complète des techniques utilisées pour compenser l'insuffisance de données afin de déterminer si la lecture croisée est la meilleure approche.
Suggestions
Définir d'entrée de jeu le contexte de risque, le type de données et le degré de certitude requis pour permettre au PGPC de prendre une décision au moyen de l'approche de lecture croisée. Les décisions doivent être fondées sur des critères transparents.
Selon l'ampleur du problème et les lacunes en matière de données, déterminer si la méthode de lecture croisée est appropriée ou non ou s'il ne vaudrait pas mieux utiliser une approche basée sur les relations quantitatives structure-activité (QSAR) pour obtenir l'information adaptée aux objectifs recherchés.
(1) Incertitudes relatives à l'identification et au choix d'analogues appropriés; rôle des facteurs spécifiques ou non spécifiques aux paramètres pouvant avoir une incidence sur l'évaluation
Étendue de la lecture croisée : quelles sont les hypothèses de similarité?
Voir le document concernant le regroupement des substances chimiques publié par l'Organisation de Coopération de Développement Economiques (OCDE) (disponsible en anglais seulement) pour avoir plus de détails concernant la justification de la similarité.
Divers scénarios potentiels de lecture croisée peuvent servir de fondement à l'analyse. Le tableau 1 décrit les quatre scénarios qui ont été élaborés.
Scénarios | Description générale |
---|---|
1 | Similarité chimique de composés qui ne requièrent pas (et ne subissent pas) de métabolisme pour exercer un effet néfaste potentiel sur la santé humaine (c'est à dire, matières toxiques à action directe ayant un mode similaire d'action toxique) |
2 | Similarité chimique faisant intervenir un métabolisme et ayant pour conséquence une exposition à la même matière toxique ou à une matière similaire (c'est à dire, matières toxiques à action indirecte ayant un mode similaire d'action toxique basée sur des métabolites ayant le même mécanisme d'action) |
3 | Substances chimiques similaires à toxicité généralement faible ou nulle (c'est à dire, matières toxiques sans mode d'action réactif ou spécifique évident) |
4 | Distinction entre les substances chimiques d'une catégorie structurellement similaire ayant des degrés de toxicité variables en fonction de l'hypothèse sur le mode d'action (c'est à dire, matières toxiques ayant une similarité structurelle élevée, mais une puissance sensiblement différente) |
Tiré de l'atelier Safety Evaluation Ultimately Replacing Animal Testing (SEURAT-1) (Méthodes d'évaluation de la sécurité remplaçant l'expérimentation animale) : « L'étude de cas de lecture croisée pour l'évaluation de la sécurité contribuant à la validation de principe de SEURAT‑1 », Joint Research Centre, Ispra, Italie, les 29 et 30 avril 2014. |
Suggestions
Décrire explicitement les lacunes en matière de données, les paramètres de toxicité et les hypothèses plausibles pour le regroupement de substances.
Est-il possible de former une catégorie? Comment établir la similarité?
Évaluer, justifier et documenter le fondement de tous les points majeurs (similarité sur les plans de la structure chimique, la transformation chimique [dans les systèmes tant environnemental que biologique], la toxicocinétique et la bioactivité). Les scénarios 1 à 3 du Tableau 1 présentent une similarité de force croissante. L'analyste doit examiner et faire état de la force (ou de l'incertitude) associée à chaque analogue ou catégorie proposé.
- Fondement 1.
-
Similarité chimique (prédictions consensuelles des propriétés physiques ou chimiques) : description des similitudes (et des différences) entre les membres de la catégorie quant aux propriétés physico chimiques.
Expliquer comment ces similitudes ou différences sont reliées à l'hypothèse de lecture croisée. Ces descriptions doivent être soutenues par une matrice de données relatives aux principales propriétés structurelles et chimiques. L'incertitude et la variabilité des estimations ou des mesures des propriétés physico chimiques doivent être documentées et, si le degré d'incertitude est élevé, il doit être expliqué.
- Fondement 2.
-
Similarité sur le plan de la transformation (Absorption, distribution, métabolisme et excrétion (ADME), dégradation) : décrire la toxicocinétique prévue ainsi que la modification abiotique et biotique des similitudes et des différences entre les membres de la catégorie.
Ces similitudes ou différences sont elles basées sur des parcours expérimentalement déterminés ou modélisés? Quelle est l'incertitude associée aux données déterminées expérimentalement ou modélisées?
Expliquer comment les similitudes et les différences sont reliées à l'hypothèse de lecture croisée. Cette description doit s'appuyer sur une matrice de données relatives aux propriétés de modification abiotique et biotique et comprendre un résumé des parcours métaboliques et des métabolites. Inclure dans ce résumé les sources d'information utilisées pour déterminer les similitudes et les différences.
- Fondement 3.
-
Similarité biologique ou toxicologique (Mode (ou mécanisme) d'action (MA), Parcours de résultats néfastes (
Adverse outcome pathway) (PRN) : décrire les similitudes (et les différences) biologiques et toxicologiques mesurées et prévues parmi les membres de la catégorie.
Cette description doit comporter une évaluation des incertitudes associées à ces mesures ou ces propriétés prévues. Expliquer comment ces similitudes et différences sont reliées à l'hypothèse de lecture croisée. Cette description doit s'appuyer sur une matrice de données relatives aux propriétés biologiques et toxicologiques, et comporter un résumé des tendances structurellement reliées au sein de la catégorie.
En résumé, il existe une constante dans tous les exemples décrits ci‑dessus : l'analyste doit évaluer clairement le fondement de la similarité, ou son absence, pour chaque argument ainsi que l'incertitude liée aux éléments de preuve et ensuite communiquer ses observations. Le tableau 2 fournit des exemples de facteurs à prendre en considération ce qui concerne les « propriétés similaires ».
Scénarios | Description générale |
---|---|
1 | Similarité structurelle, incluant les groupes et sous groupes chimiques courants, amplitude similaire quant au nombre d'atomes de carbone, échafaudage moléculaire similaire (voir Bemis et Murcko, 1996) et composantes communes sous forme de substituants clés, fragments structurels et groupes structurels élargis. Bien que les trois dernières entités structurelles semblent avoir un motif similaire (substructures moléculaires 2D), elles sont souvent suffisamment différentes pour être analysées séparément. |
2 | Propriétés physico chimiques et moléculaires similaires, en particulier celles reliées à des facteurs clés qui affectent la toxicité (p. ex. volatilité, solubilité, réactivité). |
3 | Toxicocinétique similaire. |
4 | Mêmes transformations abiotiques clés (hydrolyse, auto-oxydation). |
5 | Même voie métabolique clé ou inhibition de la voie. |
6 | Activation d'espèces chimiques réactives identiques ou similaires. |
7 | Dégradation d'espèces chimiques identiques ou similaires. |
8 | Alertes structurelles ou toxicophores similaires (à savoir, fragments structurels et groupes structurels élargis dont il est expérimentalement démontré qu'ils sont associés à un effet toxique spécifique ayant un lien de causalité avec le paramètre in vivo analysé par lecture croisée). |
9 | Parcours de résultats néfastes (PRN) - basé sur un événement moléculaire déclencheur (ÉMD) ou sur un événement intermédiaire clé ayant un lien de causalité avec le paramètre in vivo analysé par lecture croisée). |
10 | Autres données (par exemple, in vitro) relatives au paramètre apical ou au paramètre in vivo sur lequel est fondée la lecture croisée. |
Les études toxicologiques conventionnelles menées conformément aux lignes directrices de l'Organisation pour le développement et la coopération économiques (OCDE) ne fournissent généralement pas l'information biochimique détaillée nécessaire à l'appui des points 3 à 7 décrits au tableau 2 ci dessus. Ces facteurs doivent donc être évalués au moyen de l'outil QSAR (relation quantitative structure activité) ou de systèmes experts ou encore dans le cadre d'études biochimiques indépendantes non assujetties aux lignes directrices. Ces critères biochimiques, ainsi que les données étayant leur utilisation, doivent être expliqués et placés dans le contexte de la matrice de décision. Lorsqu'il n'existe pas de données biochimiques pertinentes, il faut alors caractériser l'incidence de cette lacune sur l'argument relatif à la force d'association.
Suggestions
Établir des critères transparents pour l'évaluation de la similarité afin de justifier l'utilisation de l'approche de lecture croisée. Documenter le bien fondé de recourir à une approche de regroupement. Clarifier les rôles des facteurs spécifiques ou non spécifiques aux paramètres susceptibles d'influencer l'évaluation.
« Le paramètre est il toxicologiquement pertinent »?
La justification de la similarité (c. à d. pourquoi l'évaluateur s'attend à ce que des substances soient similaires pour chaque paramètre examiné) est un exercice fort complexe qui doit être mené séparément pour chacun des paramètres à l'étude. Cela peut nécessiter l'élaboration d'une hypothèse générale, l'élucidation des paramètres les plus sensibles ou les plus pertinents et l'examen de la mesure dans laquelle l'hypothèse générale est valable pour tous les paramètres pertinents qui doivent être examinés. Il sera souvent nécessaire d'utiliser des substances chimiques sources pour les différents paramètres et, le cas échéant, chaque relation et hypothèse de lecture croisée connexe doit être expliquée séparément. Les liens entre les essais du niveau inférieur et l'interprétation du potentiel d'effets au niveau supérieur doivent être établis séparément. Les éléments de preuve doivent être décrits.
Suggestions
Évaluer les analogues en fonction de facteurs généraux et de facteurs spécifiques aux paramètres.
Examen des trois études de cas du Ministère
Les données sont elles suffisantes pour compenser le manque d'information (lecture croisée) afin de répondre aux questions (scénarios, paramètres)?
- Étude de cas 1
- (colorants directs 3,3'- diméthoxybenzidine [DMOB]) - Oui : il y a un « pont court » entre les sources et les cibles.
- Étude de cas 2
- (polyéthylène SDPE) - Probablement, mais il est nécessaire d'obtenir un niveau de soutien supplémentaire pour avoir une lecture croisée de haute fiabilité.
- Étude de cas 3
- (déchlorane par rapport à d'autres substances organochlorées) - Non, ne se prête pas à la lecture croisée parce que certaines propriétés des molécules sont substantiellement différentes. Le CS reconnaît qu'il s'agit là d'un cas difficile. La substance est extérieure au domaine des modèles existants (superhydrophobes et autres). Comme l'approche de lecture croisée n'est peut-être pas appropriée, serait il utile d'obtenir des données complémentaires dans l'évaluation des risques? D'autres substances présentent elles un profil similaire d'exposition (p. ex. les polybromobiphényles)? Par ailleurs, dans ce cas particulier, le gouvernement pourrait obliger l'industrie à fournir des données sur la toxicité.
Stratégies permettant de surmonter les difficultés posées par ces cas
- S'assurer que le contexte décisionnel est bien adapté aux objectifs recherchés : décisions fondées sur des questions et interprétation des résultats selon l'arbre décisionnel établi par Wu et al. (2010) (caractériser clairement les résultats).
- Identifier ou établir des données de rapprochement (par exemple, dans l'étude de cas 2); envisager l'utilisation de flux de données à haut rendement lorsqu'ils sont disponibles (basés sur l'analyse de la réponse des lignées cellulaires).
- Lorsqu'il est impossible de recourir à la lecture croisée en raison des limites associées aux approches et aux données courantes (par exemple, étude de cas 3), il y aurait peut‑être lieu d'utiliser les approches suivantes pour obtenir des données statistiques rigoureuses, désigner des analogues et justifier la similarité :
- chimie computationnelle, caractéristiques chimiques à l'appui de la similarité (voir la boîte à outils de l'OCDE, disponible en anglais seulement);
- simulation des prédictions de transformation à l'appui de la similarité;
- flux de nouvelles données visant à démontrer et à soutenir la similarité en fonction de la bioactivité et du mode d'action (voir Environmental Protection Agency Tox21, disponible en anglais seulement).
- Essais ciblés afin de fournir les données minimales requises à l'appui de la similarité.
- Décrire de manière transparente la justification pour la conclusion de l'évaluation des risques.
- Référencer et évaluer les analyses de lecture croisée.
Suggestions
Préparer un exposé systématique des arguments à l'appui du cas. Fournir une interprétation des données relatives aux analogues et aux paramètres à l'appui de la preuve. Indiquer les situations où l'approche de lecture croisée n'est pas appropriée en raison de la longueur du pont.
(2) Incidence du manque de données ou des lacunes des données empiriques sur la substance chimique source
Idéalement, les données manquantes devraient être compensées sans recourir à des analogues « incertains » ou « faibles » (par exemple, étude de cas 3). Cette situation peut se présenter lorsque des données empiriques fiables indiquent une toxicité à l'égard d'un paramètre pour l'ensemble des substances cibles à des niveaux pouvant être présents dans l'environnement canadien : le cas échéant, la substance est considérée comme étant toxique au sens de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE) de 1999 et il n'est pas nécessaire de compenser par des analogues l'absence de données à l'égard d'autres paramètres. Par ailleurs, il est possible de compenser certaines données manquantes au moyen de l'outil QSAR, sans avoir recours à la lecture croisée ou à des analogues. L'incertitude liée au QSAR doit être documentée et examinée afin de déterminer si elle est raisonnable à la lumière de la décision (c'est-à-dire, par rapport à l'objectif recherché).
Comme la lecture croisée requiert l'identification d'analogues de substances sur lesquelles il existe peu de données, il est donc nécessaire d'ébaucher une hypothèse (basée sur des données structurelles) concernant les paramètres pertinents : le descripteur concerne‑t‑il un ou deux paramètres particuliers? Faut‑il examiner un ou plusieurs groupes d'analogues? Dans le cas de plusieurs, y a‑t‑il lieu de les prioriser en fonction de la gravité et de la probabilité d'un effet?
Après avoir choisi un groupe ou une catégorie d'analogues, il est ensuite nécessaire de valider ce choix. Par exemple, est‑ce que les substances du groupe comprennent des groupes fonctionnels critiques pour un paramètre particulier? Il est très important de recourir à des outils permettant d'établir la similarité et de faire preuve d'un solide jugement. Au sein de toute catégorie, comment doit-on traiter les valeurs aberrantes? Il n'est pas possible de les exclure puisqu'elles s'appliquent peut‑être à la substance chimique cible (ou au mécanisme de toxicité). L'analyse de ces valeurs aberrantes peut éclairer l'évaluation. La validation des catégories pourra nécessiter la collaboration d'experts en la matière.
Pour renforcer la confiance et la constance, il y aurait lieu d'élaborer ou d'adapter un cadre permettant de caractériser les choix de catégorie valides (comme à la figure 1 dans Wu et al., 2010).
Il reste encore à définir le degré d'incertitude que représente le choix des analogues (voir le tableau 1, Blackburn et Stuard, 2014). Pour cela, il faut se demander comment traiter un degré élevé d'incertitude dans le choix des analogues ou d'un groupe. Lorsqu'il est reconnu que les analogues choisis représentent un degré élevé d'incertitude, il y a lieu d'envisager plusieurs solutions. En l'absence d'essais probants, il peut être difficile de conclure que la substance est toxique au sens de la LCPE. Même si le manque de données incite à conclure que la substance n'est pas toxique au sens de la LCPE, il est parfois indiqué, dans certaines circonstances, de prendre l'une ou l'autre des mesures suivantes :
- demander des données complémentaires avant de tirer une conclusion;
- rendre une décision provisoire tout en encourageant la production de données complémentaires;
- appliquer le principe de précaution et conclure qu'il s'agit d'une substance toxique au sens de la LCPE.
Suggestions
Les ministères doivent constamment évaluer le degré d'incertitude et communiquer son incidence sur l'interprétation des résultats. Le cadre réglementaire de la LCPE offre d'autres options que celles fondées sur des questions purement « scientifiques » (c. à d. conclusions fondées sur les données scientifiques disponibles). Il y a lieu de signaler toute information susceptible de complémenter le peu de données ou d'être utilisée à la place des données. Si cela est nécessaire et faisable, des mesures doivent être prises pour encourager la production de données. Il y aurait également lieu de s'interroger sur la manière de modifier une décision si les incertitudes sont réduites (valeur des renseignements complémentaires).
(3) Mécanisme ou mode d'action à l'appui de la justification de la similarité et (4) nouvelles méthodes d'essai à l'appui de l'hypothèse de similarité
Les analyses toxicologiques conventionnelles ne requièrent pas de données sur le mode d'action, mais l'absence de mode d'action transférable présente un degré d'incertitude pour la lecture croisée. Dans certaines circonstances, il est nécessaire d'évaluer le mode d'action (MA) pour prendre une décision éclairée au moyen de la lecture croisée. Par exemple, le mode d'action est pertinent lorsque les expositions sont similaires à celles pour lesquelles les substances chimiques sources génèrent des effets.
Même si de nombreuses substances existantes ont été évaluées sans information sur le MA ou sur le PRN, cette information peut cependant renforcer la lecture croisée. Il est important de commencer par le paramètre de toxicité le plus pertinent par rapport à la substance source ou à la substance d'intérêt. Toutes les méthodes de criblage disponibles pour ce critère sous divers PRN doivent être prises en compte et, étant donné l'évolution rapide des nouvelles méthodes dans ce domaine, de nouvelles procédures doivent être intégrées au fur et à mesure de leur validation. Par exemple, une fois que les PRN auront été déterminés, il sera peut‑être possible de recourir à des méthodes de criblage à haut débit ou à d'autres techniques émergentes pour détecter des changements dans les événements critiques liés aux PRN. Les données obtenues par ces méthodes permettent parfois de bâtir des ponts entre la substance source et les analogues. Les méthodes de criblage à haut débit peuvent également servir à examiner l'ADME et l'exposition. Il sera important de déterminer à quel moment les « données de laboratoire » sont requises, par opposition à la modélisation ou aux approches logicielles.
Le Comité est conscient que, bien qu'il soit souhaitable de disposer de données sur le mode d'action, il n'existe, dans bien des cas, aucune donnée sur les paramètres de toxicité ou d'autres cibles spécifiques; par exemple, de multiples composés chimiques évalués comme étant toxiques par rapport à un paramètre peuvent avoir chacun une cible unique. En outre, la « bibliothèque » de MA ou de PRN est limitée.
La production de données sur le MA nécessite souvent des ressources considérables et pose donc un problème au niveau de la charge de travail. Il sera important d'adopter une approche à la carte — QSAR, hypothèse, MDA ou prédictions de PRN — pour les composés chimiques prioritaires.
Suggestions
Les composés chimiques pour lesquels des données sur le MA sont requises doivent être priorisés en fonction du degré de confiance requis pour l'évaluation (par exemple, les concentrations de leurs effets par rapport à l'exposition et à l'incertitude associée à l'exposition). Cette recommandation ne tient pas compte des cas dans lesquels de multiples modes d'action se chevauchent et peuvent induire une courbe dose réponse non monotone, comme celles signalées pour certains perturbateurs endocriniens.
Nous suggérons un processus réaliste comportant les éléments suivants :
- Identifier le ou les paramètres « critiques » de toxicité à partir de données empiriques ou de caractéristiques structurelles/relations structure activité. Dresser la liste des substructures chimiques identifiées avec le ou les paramètres spécifiques de toxicité. Définir la relation entre l'effet et l'exposition /dose.
- Déterminer si la marge probable d'exposition requiert une description détaillée du mode d'action.
- Élaborer une hypothèse relative au mode d'action.
- Évaluer la nécessité d'obtenir des données supplémentaires sur le mode d'action ou des données de rapprochement afin de réduire le degré d'incertitude.
- Élaborer une stratégie d'essais ciblés pour tester l'hypothèse sur le mode d'action; à cet égard, il sera peut-être nécessaire d'examiner les relations structure activité, la disponibilité de PRN pertinents, les cibles critiques ou des données de criblage à haut débit.
- Évaluer les éléments de preuve.
(5) Lecture croisée de l'absence de toxicité
Le Comité constate que c'est là un exercice difficile. Si une étude sur une substance source indique l'absence d'effet néfaste, même au niveau maximal d'exposition ou de dose, il y a lieu de baser l'évaluation des risques sur ce niveau (c'est-à-dire, dose maximale sans effet néfaste observé [DMSENO]) parce que ce sont des « données réelles ». Cependant, le CS est également d'avis que toute extrapolation à partir de la DMSENO, et non du niveau d'effet (NE), risque d'augmenter le degré d'incertitude à cause, notamment, de l'incertitude résiduelle qui découle du fait qu'on ne sait pas si l'étude sur la substance source était assez rigoureuse. De même, il n'est pas approprié de « pénaliser » une étude sérieuse ayant conclu une DMSENO valide au profit d'une étude équivalente ayant démontré l'existence d'un NE clair. Le CS en est donc venu à la conclusion qu'en l'absence de PRN ou de mode d'action, il y aurait peut être lieu d'ajouter un facteur supplémentaire d'incertitude. Le Comité souhaite se pencher à nouveau sur le sujet lors d'une prochaine réunion en raison des nombreuses questions scientifiques qu'il soulève.
Autres points à prendre en compte
Le CS a analysé d'autres points relatifs à la question qui dépassent la portée de son examen :
- Il importe de prendre note de la pertinence des points suivants :
- Poids de la preuve − tant du point de vue de la qualité ou d'un avis expert que de celui de la quantité des données. Si l'on prend l'exemple du cas 3, le poids de la preuve peut‑il jouer un rôle potentiel lorsque des analogues structurels proches ne sont pas disponibles pour justifier la lecture croisée?
- Examen par des pairs et réexamen – il peut être nécessaire d'effectuer différents niveaux d'examen en fonction du « volume » de données manquantes (ou de l'impact que cette lacune peut avoir).
- Le CS a examiné le critère « exposition » dans l'évaluation de la toxicité au sens de la LCPE. Bien que cela ne pose normalement pas problème pour la lecture croisée, il s'agit d'une question bien réelle. En raison de la construction de la LCPE, la nécessité de « prouver » toute exposition importante concerne l'ensemble des évaluations effectuées dans le cadre du PGPC et doit être prise en compte lorsqu'on évalue la nécessité de recourir à la lecture croisée pour de nombreux facteurs. Dans certains cas présentant une faible exposition ou des marges élevées d'exposition, il peut être approprié d'utiliser une approche de détection rapide afin d'éviter l'évaluation détaillée par lecture croisée.
- L'incidence du manque de données oscille entre mineure et majeure. Pour certains paramètres toxicologiques assumés, l'évaluation par lecture croisée permettra peut‑être de prendre une solide décision au moyen de l'approche QSAR. Pour d'autres (p. ex. silicone D5), des données supplémentaires pourrait entraîner la modification d'une décision antérieure prise en vertu de la LCPE, de toxique à non toxique. Pourtant, dans quelle mesure une décision relative à une substance unique (p. ex. le silicone) peut‑elle s'appliquer à d'autres membres de la même « catégorie » lorsque les similitudes des caractéristiques chimiques et toxicologiques du silicone ne sont pas aussi avancées que celles des caractéristiques chimiques du carbone? À cet égard, le Comité constate qu'il est toujours nécessaire d'envisager de revoir les décisions à la lumière de nouvelles données.
- Il est possible de minimiser l'impact du manque de données (à savoir, d'éviter une erreur du type 1) et de réduire la pression sur les approches de lecture croisée en utilisant des données empiriques « déficientes » (incertaines ou moins appropriées) sur des substances sources et en appliquant avec précaution le quotient de risque (QR) ou les résultats obtenus quant à la marge d'exposition; pour ce faire, il faut toutefois avoir obtenu de « bonnes » données d'exposition.
- Il sera peut-être nécessaire d'évaluer l'impact de l'incertitude, par exemple sous forme d'une analyse rétrospective dans le cadre d'une évaluation indépendante.
Suggestions
Le CS est d'avis que les décisions des ministères fondées sur l'approche de lecture croisée en l'absence de toxicité doivent être tout à fait transparentes.
Références
- Shengde Wua, Karen Blackburn, Jack Amburgey, Joanna Jaworska and Thomas Federle. 2010. A framework for using structural, reactivity, metabolic and physicochemical similarity to evaluate the suitability of analogs for SAR-based toxicological assessments. Regulatory Toxicology and Pharmacology. Vol 56: 67-81.
- Guy W. Bemis and Mark A. Murcko. 1996. The Properties of Known Drugs. 1. Molecular Frameworks. J. Med. Chem., 1996, 39 (15), pp 2887-2893
- Respectueusement soumis au nom des membres du Comité scientifique du PGPC, Barbara Hales et Geoff Granville (coprésidents), le 12 janvier 2015.
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