Page 4 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada: document technique – le nitrate et le nitrite
Une vaste gamme de doses orales de nitrate et de nitrite létales pour les humains ont été rapportées et sont probablement dues à la grande variabilité de la sensibilité individuelle. Dans le cas du nitrate, les doses orales létales pour les humains varient entre 4 et 50 g (Mirvish, 1991) et entre 67 et 833 mg/kg pc (Boink et coll., 1999). Pour ce qui est du nitrite, la dose orale létale pour les humains est estimée entre 1,6 et 9,5 g (Gowans, 1990; Mirvish, 1991) et entre 33 et 250 mg/kg pc, les doses plus faibles s'appliquant aux enfants, aux personnes âgées et aux sujets présentant un déficit en nicotinamide adénine dinucléotide hydrogéné (NADH)-cytochrome b5-méthémoglobine réductase (Boink et coll., 1999).
La méthémoglobinémie est l'effet indésirable le plus souvent signalé de l'exposition humaine au nitrate ou au nitrite. Certains groupes sont particulièrement susceptibles à la formation de méthémoglobine, notamment les fœtus, les nourrissons de moins de 6 mois et les sujets présentant un déficit génétique en NADH-cytochrome b5-méthémoglobine réductase (voir la section 9.4 pour connaître le mode d'action).
Des recensions des écrits aux États-Unis pour la période 1941-1995 (Walton, 1951; Fan et coll., 1987; Fan et Steinberg, 1996) ont mis en évidence des cas de méthémoglobinémie causés par la consommation d'eau potable contenant des concentrations d'azote de nitrate supérieures à 10 ppm (équivalant à 45 mg/L de nitrate). Malgré les limites liées au diagnostic clinique et au dosage des concentrations exactes de nitrate dans l'eau potable, des concentrations supérieures à 45 mg/L ont été mises en cause dans des cas de méthémoglobinémie, surtout chez les nourrissons. En particulier, des cas de méthémoglobinémie ont été observés chez des nourrissons de moins de 6 mois qui avaient été nourris avec des préparations lactées reconstituées avec de l'eau potable contenant des concentrations élevées de nitrate. Sur les 214 cas cliniques pour lesquels on dispose de données, aucun n'est survenu à des concentrations de nitrate inférieures à 45 mg/L, et seulement 2 % des cas se sont produits à des concentrations de nitrate variant entre 49 et 88 mg/L dans l'eau potable. En fait, la majorité (80 %) des cas ont été exposés à des concentrations de nitrate supérieures à 220 mg/L. Bien que les nourrissons qui sont nourris au sein puissent être exposés à du nitrate/nitrite dans le lait maternel, les cas cliniques de méthémoglobinémie surviennent habituellement lorsque des préparations lactées pour nourrissons et d'autres aliments pour nourrissons sont préparés avec de l'eau contaminée par du nitrate ou du nitrite. Les jeunes enfants ne semblent pas être aussi sensibles que les nourrissons. Aux États-Unis, 64 enfants de 1 à 8 ans qui avaient consommé de l'eau de puits contenant du nitrate à des concentrations de 22 à 111 mg/L sous forme d'azote du nitrate (97-491 mg/L de nitrate) ne présentaient pas de taux élevés de méthémoglobine, comparativement à 38 enfants qui avaient consommé de l'eau de puits renfermant moins de 10 mg/L d'azote du nitrate (44,3 mg/L de nitrate; Craun et coll., 1981).
Depuis la recension de Fan et Steinberg (1996), d'autres rapports ont corroboré le rôle des concentrations élevées de nitrate dans des cas de méthémoglobinémie. Une étude épidémiologique a examiné la prévalence de la méthémoglobinémie dans cinq régions de l'Inde affichant des concentrations moyennes de nitrate de 26, 45, 95, 222 et 495 mg/L dans l'eau potable (Gupta et coll., 1999). En tout, 178 personnes (environ 30 par dose et représentant environ 10 % de la population totale de chacune des cinq régions) ont été appariées pour l'âge et le poids. Après l'examen des antécédents et du pourcentage de méthémoglobine dans les échantillons de sang, on a constaté qu'une concentration élevée de nitrate était corrélée (niveau de signification non indiqué) avec une méthémoglobinémie dans tous les groupes, en particulier chez les sujets de moins de 1 an et de plus de 18 ans; les taux les plus élevés de méthémoglobine ont été observés chez les nourrissons de moins de 1 an. Des taux élevés de méthémoglobine ont été relevés dans tous les groupes d'âge et pour toutes les concentrations de nitrate dans l'eau potable. Les taux de méthémoglobine atteignaient un maximum (7-27 %) à des concentrations de nitrate de 45 à 95 mg/L dans tous les groupes d'âge. L'adaptation de l'activité du NADH-cytochrome b5-méthémoglobine réductase était maximale à une concentration de nitrate de 95 mg/L dans l'eau potable et est retournée au niveau de base à une concentration de nitrate de 200 mg/L. Chez les enfants de 1 à 8 ans, le principal symptôme était la cyanose, mais des infections respiratoires récurrentes (40-82 % des enfants), une stomatite (17-24 % des enfants) et une diarrhée (33-55 % des enfants) ont également été signalées (Gupta et coll., 1999).
Une étude cas/témoins nichée dans une cohorte rétrospective de 71 enfants roumains a mis en évidence une association entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et la méthémoglobinémie clinique (Zeman et coll., 2002). Les concentrations moyennes de nitrate s'élevaient à 103,6 et à 11,2 mg/kg pc/jour chez les cas et les témoins, respectivement. La méthémoglobinémie était le plus étroitement associée à une exposition alimentaire au nitrate par le biais de préparations lactées pour nourrissons reconstituées avec de l'eau contenant 253 mg/L de nitrate comparativement à 28 mg/L (P = 0,0318). Les auteurs ont constaté que l'allaitement maternel protégeait les nourrissons de moins de 6 mois (P = 0,0244). Une affection diarrhéique était également associée au développement d'une méthémoglobinémie, le rapport de vraisemblance étant de 4,323 (P = 0,0376). Cette association n'est pas aussi significative que l'association entre la méthémoglobinémie et l'exposition au nitrate (rapport de vraisemblances de 29,7, P = 0,0001). Bien qu'un plus grand nombre de cas que de témoins aient souffert d'une diarrhée récurrente, la grande majorité des cas ont indiqué que les épisodes de diarrhée n'étaient pas associés à une cyanose (Zeman et coll., 2002). Les niveaux d'exposition ont cependant été mesurés des années après l'apparition des cas, et aucune mesure des taux de méthémoglobine, qui est la véritable mesure de la méthémoglobinémie, n'a été décrite.
Des cas de maladies dues à une ingestion accidentelle de nitrate/nitrite ont également été signalés. Les U.S. Centers for Disease Control and Prevention (CDC, 1997) ont fait état de deux événements. Lors du premier événement, une méthémoglobinémie a été diagnostiquée chez 29 étudiants sur 49 qui avaient consommé un reste de soupe contenant 459 mg/L de nitrite; chez 14 étudiants, les taux de méthémoglobine étaient supérieurs à 20 % (intervalle 3-47 %). Au nombre de manifestations relevées figuraient une cyanose, des nausées, des douleurs abdominales, des vomissements et des étourdissements. Lors du second événement, quatre travailleurs de bureau sur six ont présenté des taux élevés de méthémoglobine (6-16 %) après avoir bu un reste de café contenant 300 mg/L de nitrite; aucune estimation de l'apport en nitrite n'a été effectuée. Dans ces deux événements, le nitrite provenait de l'eau de robinet contaminée. D'autres rapports de cas ont été publiés : une méthémoglobinémie potentiellement mortelle a été associée à la consommation de cristaux de nitrite de sodium dans du thé à des concentrations de 5 100 mg/L, 5 000 mg/L et 4 900 mg/L (équivalant à 3 401,7, 3 335 ou 3 268,3 mg de nitrite/L) chez des jumeaux de 4 ans de sexe masculin et leur sœur de 2 ans (Finan et coll., 1998); une cyanose intense, un évanouissement, des douleurs abdominales et une diarrhée ont été associés à des taux de méthémoglobine supérieurs à 10 % après l'ingestion par une femme de 23 ans d'une quantité inconnue de nitrate d'ammonium provenant d'un contenant réfrigéré (Brunato et coll., 2003); et deux nourrissons sont tombés malades après avoir bu une préparation lactée reconstituée avec de l'eau de puits contenant 22,9 mg/L d'azote de nitrate (~101,4 mg/L de nitrate; aucune contamination bactérienne détectée) ou 27,4 mg/L (121,4 mg/L de nitrate; contamination par Escherichia coli détectée), ce qui a entraîné des taux de méthémoglobine de moins de 2 % et de 91 % chez les deux nourrissons (Knobeloch et coll., 2000). Kortboyer et coll. (1998) ont indiqué qu'une seule dose intraveineuse de 0,12 mmol de nitrite de sodium par millimole d'hémoglobine avait induit un taux de 10,8 % de méthémoglobine dans le sang de trois volontaires en santé; cette dose était considérée comme la dose maximale sûre. Ces volontaires en santé ont ensuite reçu 0,04, 0,08 ou 0,12 mmol de nitrite de sodium, et des effets peu intenses ont été signalés, notamment un abaissement de la pression artérielle accompagné d'une augmentation compensatoire de la fréquence cardiaque à toutes les doses (Kortboyer et coll., 1998). En revanche, Shuval et Gruener (1972) n'ont observé aucune différence entre les taux moyens de méthémoglobine chez 1 702 nourrissons (âgés de 1 à 90 jours) ayant consommé de l'eau renfermant 50 à 90 mg/L de nitrate comparativement à 758 nourrissons exposés à de l'eau contenant 5 mg/L de nitrate.
Comme les études ci-dessus comportent certaines limites, il est difficile d'interpréter l'association entre l'apport en nitrate/nitrite et la méthémoglobinémie. Plus précisément, les données sur l'exposition sont souvent obtenues des semaines ou des mois après la maladie aiguë, et l'eau consommée par les nourrissons touchés dans la plupart des études était contaminée par des microbes, ce qui peut accroître la formation endogène de nitrite et les taux de méthémoglobine. Dans leur recension, Fan et Steinberg (1996) ont également évoqué la possibilité que la méthémoglobinémie puisse être associée tant à la présence de nitrate qu'à la contamination bactérienne dans l'eau potable, ce qui favoriserait la conversion de nitrate en nitrite et la survenue d'une diarrhée, laquelle pourrait, chez les nourrissons, accroître le risque de développer une méthémoglobinémie.
Les infections entériques, potentiellement causées par la contamination de l'eau de puits par des bactéries fécales, peuvent entraîner la production endogène de nitrite, comme l'ont montré de nombreux rapports publiés de cas de diarrhée et de méthémoglobinémie chez des enfants qui ne semblaient pas avoir été exposés à des agents exogènes producteurs de méthémoglobine. Dans une étude sur des nourrissons (âgés de 1 semaine à 1,5 an) qui avaient consommé de faibles doses de nitrate et de nitrite (30-110 µmol), la concentration sanguine de nitrate était plus élevée chez les 58 nourrissons atteints de diarrhée aiguë que chez les 60 témoins ne présentant aucun trouble gastro-intestinal : 71-604 µmol/L versus 37,1 ± 19,4 µmol/L, respectivement (Hegesh et Shiloah, 1982). De façon générale, les concentrations plus élevées de nitrate étaient corrélées avec la gravité de la diarrhée et une proportion plus forte d'hémoglobine totale sous forme de méthémoglobine (0,4 à > 8 % des cas comparativement à 0,6 % des témoins). En outre, chez les nourrissons atteints de diarrhée, l'excrétion quotidienne de nitrate dépassait de plusieurs fois l'apport quotidien en nitrate. Les auteurs ont laissé entendre que la diarrhée entraîne une synthèse endogène de novo du nitrite et que c'est la principale cause de méthémoglobinémie infantile (Hegesh et Shiloah, 1982). D'autres arguments en ce sens ont été fournis par Terblanche (1991), qui a signalé des cas de méthémoglobinémie chez des enfants qui avaient été nourris avec diverses marques de lait en poudre régulier contenant des spores de Bacillus subtilis, une bactérie réductrice de nitrate. Du lait en poudre acidifié, souvent préparé par fermentation, n'a pas causé de méthémoglobinémie (Terblanche, 1991). Ajoutons à cette étude l'évaluation prospective de 45 patients (< 3 mois) hospitalisés pour une gastro-entérite et une méthémoglobinémie; bien que seulement 22 % des nourrissons aient obtenu un résultat positif à la coproculture, les auteurs ont présenté des données évoquant une étiologie bactérienne de la méthémoglobinémie (Hanukoglu et Danon, 1996).
Dans sa recension des recherches et des cas historiques, Avery (1999) a réuni de nombreux éléments de données à l'appui du rôle de la formation endogène de nitrite associée à de l'eau contaminée par des bactéries dans l'étiologie de nombreux cas de méthémoglobinémie :
- parce que la diarrhée était un symptôme de premier plan dans la majorité des cas de méthémoglobinémie liés à l'eau potable, les données semblent indiquer que la diarrhée, les infections et les inflammations gastro-intestinales sont les principaux facteurs étiologiques de la méthémoglobinémie infantile (et non seulement le nitrate ingérés). La diarrhée et les vomissements ne sont pas des symptômes qui accompagnent normalement la cyanose, la méthémoglobinémie attribuable à une exposition à des médicaments oxydants ou des anomalies génétiques de l'hémoglobine;
- dans des études portant sur des nourrissons présentant une diarrhée et une méthémoglobinémie qui n'avaient pas été exposés par voie exogène à des concentrations excessives de nitrite, l'excrétion de nitrate était 10 fois plus grande que la quantité ingérée;
- une intolérance aux protéines accompagnée d'une diarrhée ou de vomissements a également été évoquée comme cause de la méthémoglobinémie chez des nourrissons de moins de 6 mois dont l'apport en nitrate via les aliments et l'eau n'était pas excessif;
- plus de 90 % de l'exposition au nitrate vient des aliments, et le seul cas de méthémoglobinémie liée aux aliments a été associé à des taux très élevés de contamination par le nitrate. Par exemple, sept nourrissons ont reçu un diagnostic de méthémoglobinémie liée à la consommation de bettes à cardes (concentration moyenne de nitrate de 3 200 mg/kg); les nourrissons présentaient des taux de méthémoglobine de 10 à 58 % et avaient consommé de l'eau contenant une concentration de nitrate de 3 à 6 mg/L (Sanchez-Echaniz et coll., 2001);
- des cas de méthémoglobinémie résultant d'infections bactériennes (p. ex. infections urinaires) ont été signalés sans que du nitrate n'aie été consommé.
dans l'eau potable et l'incidence de la méthémoglobinémie peut s'expliquer par : 1) la contamination par le nitrate, qui est un indicateur de la contamination bactérienne; ou 2) le nitrate exogènes, qui exacerbent la formation de nitrite (en présence d'une inflammation ou d'une infection gastro-intestinale) tout en inhibant la conversion de nitrite en ammoniac (non nocif). L'enzyme qui convertit le nitrite en ammoniac est inhibée par des concentrations élevées de nitrate. L'auteur ajoute que cela peut expliquer la grande variabilité de la susceptibilité à la méthémoglobinémie et a laissé entendre que les limites actuelles concernant les doses admissibles de nitrate/nitrite dans l'eau potable qui se fondent uniquement sur la méthémoglobinémie infantile peuvent être indument strictes.
Abondant dans le sens d'Avery (1999), Charmandari et coll. (2001) ont indiqué que les concentrations plasmatiques de nitrate et, partant, la production endogène d'oxyde nitreux, pourraient permettre d'établir une distinction entre la diarrhée aiguë et chronique chez les enfants de 4 mois à 2 ans. Chez les patients atteints d'une diarrhée infectieuse, la production endogène d'oxyde nitrique était beaucoup plus importante et les concentrations plasmatiques de nitrate étaient significativement plus élevées (P < 0,5) (405 ± 281 µmol/L dans 14 cas) que chez les cas atteints de diarrhée chronique (134,7 ± 77 µmol/L dans 13 cas) ou les témoins (54,1 ± 20 µmol/L chez 14 témoins).
Dans une recension des écrits effectuée pour le compte de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), aucune relation exposition-réponse n'a été observée entre les concentrations de nitrate dans l'eau potable et la méthémoglobinémie (Fewtrell, 2004).
Une méthémoglobinémie acquise peut résulter d'une exposition à certaines substances chimiques (p. ex. sulfate, chlorite, chloramines, chlorate) et à certains produits pharmaceutiques (p. ex. lidocaïne, benzocaïne, sulfamides, dapsone, nitroglycérine) (Bruning-Fann et Kaneene, 1993; Sanchez-Echaniz et coll., 2001).
Plusieurs études semblent indiquer que l'exposition au nitrate altère la fonction thyroïdienne humaine en inhibant de façon compétitive l'absorption de l'iodure par la thyroïde, ce qui diminue la sécrétion des hormones thyroïdiennes (triiodothyronine [T3], thyroxine [T4]) et fait augmenter les taux de l'hormone thyréotrope (TSH). L'hyperstimulation par la TSH peut causer à son tour une hypertrophie de la thyroïde ou un goitre (voir la section 9.4.1 pour connaître le mode d'action). Les hormones thyroïdiennes sont essentielles au fonctionnement biologique normal et jouent un rôle capital dans le développement neurologique, la croissance du squelette, le métabolisme et l'appareil cardiovasculaire. Des dosages de l'iodurie sont utilisés dans le monde pour indiquer et surveiller un apport iodé suffisant dans des populations. Si aucune carence iodée initiale n'est signalée, il y a plus de chances que les effets sur la fonction thyroïdienne observés soient dus à une exposition au nitrate. L'absence de déficit en iode n'exclut pas cependant la possibilité que les effets observés soient attribuables à la présence d'autres substances chimiques dans l'eau potable qui inhibent l'absorption de l'iode.
Aux Pays-Bas, une étude transversale (Van Maanen et coll., 1994) a examiné deux groupes de femmes exposées à une faible concentration (estimée à 0,02 mg/L, n = 24) et à une concentration moyenne (17,5 mg/L, n = 27) de nitrate dans l'eau de robinet et deux groupes exposés à une concentration moyenne (< 50 mg/L, n = 19) et élevée (> 50 mg/L, n = 12) de nitrate dans l'eau de puits. Les taux urinaires et salivaires de nitrate étaient liés, de façon proportionnelle à la dose, à la consommation d'eau contenant du nitrate. Aucune carence en iodure n'a été observée dans les groupes exposés au nitrate. Une augmentation proportionnelle à la dose du volume thyroïdien mesuré par échographie a été relevée dans les groupes exposés à des concentrations élevées de nitrate comparativement aux deux groupes moyennement et faiblement exposés. Bien que les auteurs aient omis un grand nombre de valeurs aberrantes, ils ont constaté que l'hypertrophie de la thyroïde était associée, paradoxalement, à des taux significativement plus faibles de TSH et à des taux significativement plus élevés de T4 dans le groupe fortement exposé comparativement aux groupes moyennement exposés. Pour ce qui est de l'ensemble de la population, une analyse de régression linéaire a mis en évidence des corrélations significatives entre le volume de la thyroïde et les concentrations de nitrate dans l'eau potable, de même qu'entre le volume de la thyroïde et les taux de thyroglobuline. Un effet sur la thyroïde a donc été observé lorsque les concentrations de nitrate dans l'eau potable dépassaient 50 mg/L.
Les effets du nitrate dans l'eau potable sur la fonction thyroïdienne ont également été étudiés chez des enfants en Slovaquie (Tajtakova et coll., 2006; Radikova et coll., 2008). Les auteurs ont comparé la fonction thyroïdienne de 324 enfants (âgés de 10 à 13 ans) issus d'une collectivité où les concentrations de nitrate dans l'eau potable atteignaient 51 à 274 mg/L et de 168 enfants du même âge vivant dans des collectivités où les concentrations de nitrate étaient inférieures à 2 mg/L dans l'eau potable. Les concentrations urinaires d'iodure étaient similaires et se situaient dans les limites normales (environ 100-150 µg/L dans les deux régions). Les enfants exposés au nitrate avaient une thyroïde plus grosse et présentaient plus souvent des signes de troubles thyroïdiens (13,7 % vs 4,7 % hypoéchogénicité, P < 0,01; 4 % vs 0 % taux accrus de TSH; 2,5 % vs 0 % positifs pour les anticorps anti-thyroperoxidase). Les taux accrus de TSH se situaient dans la plage des valeurs pour l'hypothyroïdie infraclinique (> 4,0 mIU/L). Il n'y avait cependant aucune différence dans les concentrations de T4 totale ou de T3 libre entre les deux groupes. L'augmentation du volume de la thyroïde et la légère hausse du nombre d'enfants affichant des taux de TSH supérieurs aux valeurs de référence cliniques semblent indiquer que chez les enfants exposés au nitrate, l'axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien (HPT) est hyperstimulé, ce qui évoque comme mode d'action une inhibition de la fonction thyroïdienne. Toutefois, les auteurs n'ont pas pris en considération les autres perturbateurs endocriniens possibles qui auraient pu causer ces effets.
En Bulgarie, on a observé entre 1990 et 1994 une augmentation de 40,9 % de l'incidence du goitre chez 181 enfants (de 6 à 14 ans) exposés à des concentrations de nitrate de 78 à 112 mg/L dans l'eau potable comparativement à 178 enfants du même âge exposés à des doses de 28 à 48 mg/L de nitrate (Gatseva et Dimitrov, 1997; Gatseva et coll., 1998). Dans des études ultérieures, 156 enfants (de 7 à 14 ans) issus de villages où la concentration moyenne de nitrate en 2006 atteignait 75 mg/L dans leur eau potable ont été comparés avec 163 enfants provenant de villages où la concentration de nitrate dans l'eau potable était de 8 mg/L. L'apport en iodure était inadéquat pour la population. Les enfants vivant dans les villages plus exposés au nitrate présentaient une prévalence significativement accrue de goitre par rapport aux enfants des villages de référence (rapport de cotes [RC] = 3,0; intervalle de confiance [IC] à 95 % = 1,3-7,0; P = 0,01) (Gatseva et Argirova, 2008a). L'étude n'a pas cependant tenu compte de la possibilité d'une carence en iodure pour la minorité des participants avec les goitres les plus importants et les concentrations d'iodure dans l'urine les plus faibles. Additionellement, la fonction thyroïdienne n'avait pas été mesurée, il n'y avait aucun biomarqueur de l'exposition au nitrate, et aucune évaluation des autres perturbateurs endocriniens.
Par contre, chez les jeunes enfants (de 3 à 6 ans) exposés à une concentration de nitrate de 93 mg/L (n = 50), il n'y avait aucune différence significative dans la prévalence des troubles thyroïdiens ou du goitre comparativement aux enfants du même âge qui avaient consommé de l'eau potable contenant 8 mg/L de nitrate (n = 49) (RC = 2,3; IC à 95 % = 0,85-6,4; P = 0,14) (Gatseva et Argirova, 2008b). Les concentrations urinaires d'iodure étaient plus faibles chez les enfants exposés au nitrate que chez les enfants qui n'avaient pas été exposés. La même étude a mis en évidence une augmentation significative du risque relatif de troubles thyroïdiens chez des femmes enceintes (de 17 à 37 ans) vivant dans le village où la concentration de nitrate dans l'eau potable s'élevait à 93 mg/L (n = 26) comparativement aux femmes (n = 22) résidant dans les régions où la concentration de nitrate dans l'eau potable était de 8 mg/L (RC = 5,29; IC à 95 % = 1,003-27,94; P = 0,0454). Des différences significatives ont également été observées entre le taux de goitre chez les femmes enceintes exposées et non exposées. Les concentrations urinaires moyennes et médianes d'iodure étaient significativement réduites, cependant, chez les femmes enceintes exposées au nitrate comparativement aux femmes enceintes non exposées (P < 0,0001). En outre, un petit pourcentage (nombre exact non indiqué) de la population étudiée présentait une carence iodée. Il est impossible de tirer des conclusions définitives de cette étude à cause de ces carences iodées et de l'absence de dosage des hormones thyroïdiennes, des biomarqueurs d'exposition au nitrate et aux autres perturbateurs endocriniens.
De manière générale, ces études suggèrent qu'une exposition à des niveaux élevés de nitrate dans l'eau potable (>50 mg/L) pourrait être associée à une augmentation du volume thyroïdien. Les effets du nitrate sur la fonction thyroïdienne variaient d'une étude à l'autre. Une forte exposition au nitrate était associée à des taux significativement plus faibles de TSH dans le sérum de femmes adultes dans l'étude de van Maanen et coll. (1994), mais avec des taux plus élevés d'hypothyroïdie sous-clinique (augmentation de TSH) chez les enfants dans l'étude slovaque (Tajtakova et coll., 2006; Radikova et coll., 2008).
En Allemagne, Hampel et coll. (2003) ont examiné la corrélation entre les concentrations urinaires de nitrate et la prévalence du goitre ou de nodules (après correction pour tenir compte des taux urinaires d'iodure) chez 3 059 adultes cliniquement en santé (âgés de 18 à 70 ans; des deux sexes). Les taux urinaires de nitrate (55,2 mg de nitrate par gramme de créatinine, moyenne de 61,5 mg de nitrate par gramme de créatinine chez les hommes et de 51,5 mg de nitrate par gramme de créatinine chez les femmes; P < 0,03) n'étaient pas corrélés avec la taille de la thyroïde ni avec la présence de nodules. Les auteurs ont cependant fait état d'une faible corrélation entre le taux urinaire de nitrate et le volume de la thyroïde (r = 0,18, P < 0,05) chez 71 adultes dont le taux d'iodure dans l'urine était plus faible (< 50 µg/g de créatinine). Il y avait de plus une corrélation plus étroite entre les concentrations urinaires supérieures à 60 mg de nitrate par gramme de créatinine chez 1 166 adultes et le volume de la thyroïde (r = 0,18; P < 0,01). Par la suite, Below et coll. (2008) ont effectué une enquête transversale portant sur 3 772 adultes (âgés de 20 à 79 ans; des deux sexes) vivant dans une région où l'apport en iode était auparavant insuffisant. La teneur en nitrate analysée dans l'eau potable du réseau public variait entre 2,5 et 10 mg/L. Vu que 80 à 90 % de l'apport en nitrate est éliminé par le rein, l'étude a mesuré les concentrations urinaires moyennes de nitrate pour estimer l'exposition au nitrate. Dans l'ensemble de la population, la concentration urinaire moyenne de nitrate s'établissait à 53 mg/L et le 75e percentile était de 69 mg/L, ce qui indique une exposition alimentaire significative au nitrate. Aucune association avec une augmentation du volume de la thyroïde (P = 0,47) ou du risque de goitre (P = 0,69) n'a été relevée lorsqu'on comparait les personnes dont l'urine contenait beaucoup de nitrate (115 ± 2,2 mg/L) et celles dont l'urine contenait moins de nitrate (32 ± 0,2 mg/L). Bien que les auteurs aient affirmé que la population étudiée avait un apport iodé suffisant, aucune mesure n'a été présentée; aucun dosage des hormones thyroïdiennes n'a non plus été effectué.
Plus récemment, aux États-Unis, Ward et coll. (2010) ont observé que la prévalence de l'hypothyroïdie était 24 % plus élevée chez les femmes dans le quartile le plus élevé pour l'apport alimentaire en nitrate (> 41,1 mg/L par jour de NO3-N; > 82 mg/L de NO3-) que chez celles qui se situaient dans le quartile le plus faible (< 17,4 mg/L par jour de NO3-N ou < 77 mg/L de NO3-; RC = 1,2; IC à 95 % = 1,1-1,4), mais ils n'ont signalé aucune association entre la prévalence de l'hypothyroïdie et la concentration de nitrate dans l'eau potable. Malgré l'importante population étudiée (21 977 femmes âgées), l'étude comportait certaines limites : elle s'appuyait sur des mesures auto-déclarées, l'exposition individuelle n'était pas évaluée, les auteurs n'ont pas tenu compte des apports iodés et n'ont pas mesuré les taux d'hormones thyroïdiennes.
Par ailleurs, l'exposition subchronique au nitrate de sodium à une concentration de 15 mg/kg pc (équivalant à 10,9 mg de NO3-/kg pc) par jour dans 200 mL d'eau potable n'a pas causé de changements dans la fonction thyroïdienne dans une population en santé (Hunault et coll., 2007). Dans cette étude, menée aux Pays-Bas, 10 adultes ont reçu au hasard du nitrate de sodium à raison de 15 mg/kg pc (équivalant à 10,9 mg de NO3-/kg pc), alors que 10 adultes ont reçu 200 mL d'eau distillée une fois par jour pendant 28 jours. Les deux groupes ont été soumis à une diète comportant un apport restreint en iodure et faible en nitrate avant et durant la période étudiée; l'observance a été mesurée par les taux urinaires d'iodure et les taux plasmatiques de nitrate. Les concentrations plasmatiques de nitrate différaient de 2,7 mg/kg entre le groupe traité et le groupe témoin le jour 28. Le jour 29, aucun effet significatif sur l'absorption d'iodure par la thyroïde et sur les concentrations plasmatiques d'hormones thyroïdiennes (T3, T4 et TSH) n'a été détecté. L'étude n'a révélé aucun effet significatif sur l'absorption de l'iodure par la thyroïde ni sur les concentrations plasmatiques d'hormones thyroïdiennes chez les humains après une exposition subchronique à 15 mg/kg pc/jour de nitrate de sodium (équivalant à 10,9 mg de NO3-/kg pc/jour). Aucune augmentation du taux de méthémoglobinémie n'a non plus été observée après une exposition de 4 semaines à du nitrate. Sauf pour le petit nombre de sujets, l'étude ne comportait aucune limite importante.
Blount et coll. (2009) ont mesuré trois inhibiteurs du symporteur sodium/iodure (NIS) (perchlorates, thiocyanates et nitrate) et l'iodure dans des liquides maternels et fœtaux prélevés durant une césarienne chez 150 Américaines. Les auteurs ont obtenu des taux urinaires moyens de nitrate de 47 900 µg/L et des taux urinaires d'iodure de 1 420 µg/L (indiquant des quantités excessives d'iodure chez la mère). Ils ont détecté des concentrations suffisantes d'iodure dans le fœtus et n'ont relevé aucune association entre les taux dans le cordon de trois inhibiteurs du NIS et le poids, la longueur ou le périmètre crânien du nouveau-né, qui sont des effets potentiels secondaires à une altération de la fonction thyroïdienne (voir le mode d'action à la section 9.4.1 pour plus de détails).
La fonction thyroïdienne peut être influencée par d'autres facteurs de confusion, notamment la carence en iode, l'âge et la grossesse. Une carence iodée dans la population causée par l'absence d'iode dans l'alimentation ou d'autres expositions alimentaires (p. ex. thiocyanates dans le tabac ou les crucifères) (Vanderpas, 2006) ou des goitrogènes polluants (p. ex. perchlorates) (Blount et coll., 2006) peut accroître la susceptibilité aux effets d'une augmentation des concentrations de nitrate. En outre, les effets sur la synthèse des hormones thyroïdiennes peuvent être plus profonds durant la grossesse et chez les nouveau-nés (voir le mode d'action à la section 9.4.1 pour plus de détails).
Les données regroupées militent en faveur d'une association entre l'apport en composés contenant de l'azote et le risque de diabète sucré insulino-dépendant de type 1 (DID). Les données sont toutefois limitées et contradictoires; il faudra peut-être disposer d'une estimation plus exacte de l'apport total en nitrate, nitrite ou nitrosamines à l'échelle individuelle pour évaluer de façon concluante la relation entre ces substances et le DID.
Des associations positives entre les concentrations de nitrate dans l'eau potable et l'incidence du DID chez les enfants (de 0 à 18 ans) ont été signalées dans deux études écologiques : au Colorado, É.-U. (Kostraba et coll., 1992), des enfants exposés à des concentrations de nitrate de 0,77-8,2 mg/L vs 0,0-0,084 mg/L couraient un risque accru de DID (corrélation = 0,29; P = 0,02; 1 280 cas, 1979-1988); dans le Yorkshire, Angleterre (Parslow et coll., 1997; McKinney et coll., 1999), le taux de DID était 15 % plus élevé dans les zones où l'approvisionnement en eau contenait en moyenne 14,9-41,0 mg/L de nitrate vs < 3,2 mg/L (risque relatif [RR] = 1,3; P < 0,05; 1 797 cas, 1978-1994); mais des mesures de l'exposition s'appliquaient à la période 1990-1995. En revanche, aucun risque significatif de diabète infantile n'a été associé à l'exposition au nitrate dans l'eau potable de 594 zones d'approvisionnement en eau en Écosse et dans le centre de l'Angleterre (Paediatric Epidemiology Group, 1999). L'étude a porté sur 886 enfants anglais et 1 376 enfants écossais (de < 15 ans) ayant reçu un diagnostic de DID entre 1990 et 1996, et des estimations de l'exposition de la population ont été calculées sous forme de concentrations mensuelles moyennes de nitrate, soit 22,94 et 2,07 mg/L, respectivement, pour la même période.
L'apport alimentaire en nitrate, nitrite ou nitrosamines et l'incidence du DID chez les enfants (de 0 à 14 ans) ont été associés à une exposition à des aliments riches en azote en provenance de Suède (RC = 2,4; P < 0,05; 339 cas et 528 témoins; Dahlquist et coll., 1990) et à une exposition à des aliments à teneur moyenne et élevée en nitrate produits en Finlande (RC = 1,5 et 2,3, respectivement, P < 0,05; 471 cas et 452 témoins; Virtanen et coll., 1994). L'exposition au nitrate n'a toutefois pas été bien décrite.
Aucune association n'a été signalée entre l'incidence du DID chez les enfants (de 0 à 18 ans) et l'exposition via l'eau potable à 7 mg/L de nitrate ou à 0,01 mg/L de nitrite en Finlande (471 cas et 452 témoins entre 1986 et 1989; Virtanen et coll., 1994), à 0,25-2,1, à 2,1-6,4 ou à 6,4-41 mg/L de nitrate aux Pays-Bas (1 104 cas entre 1991 et 1995; Van Maanen et coll., 2000), à moins de 18 mg/L de nitrate en Italie (1 142 cas entre 1989 et 1998; Casu et coll., 2000), à 0,49-31,9 mg/L de nitrate en Angleterre (570 cas entre 1975 et 1996; Zhao et coll., 2001) ou à 6,6 mg/L de nitrate en Finlande (3 564 cas entre 1987 et 1996; Moltchanova et coll., 2004).
Deux études transversales n'ont pas relevé d'association entre le nitrate ou le nitrite dans l'eau potable et la NEB, une forme de néphrite interstitielle. Dans l'étude de Niagolova et coll. (2005), 65 échantillons d'eau prélevés dans 27 villages bulgares classés comme « ayant déjà enregistré un cas de NEB » versus « jamais » affichaient des concentrations de nitrate et de nitrite combinés de 1,6-47,4 mg/L versus 1,2-22 mg/L pour des échantillons d'eau provenant d'une source et 7,7-103 mg/L versus 14,9-75,7 mg/L pour des échantillons d'eau de puits, respectivement; aucune différence significative dans les concentrations moyennes n'a été observée entre les échantillons des groupes NEB et non-NEB exposés à chaque type d'eau. En Yougoslavie (Radovanovic et Stevanovic, 1988), les concentrations de nitrate et de nitrite ne différaient pas significativement dans les 10 puits étudiés qui étaient utilisés par les personnes présentant le plus fort taux urinaire de β2-microglobuline (indication précoce et la plus spécifique de la NEB) comparativement à 10 puits témoins utilisés par les sujets sans hyper-β2-microglobulinurie. Sur les 112 sujets examinés, 60 utilisaient les puits à l'étude et 52 utilisaient les puits témoins. Dans les puits à l'étude, les concentrations moyennes de nitrate s'élevaient à 8,97 (0,42-23,73) mg/L exprimées en azote de nitrate, et les concentrations moyennes de nitrite étaient de 0,81 (0,00-2,38) mg/L exprimées en azote de nitrite. Dans les puits témoins, ces concentrations étaient, respectivement, de 9,85 (2,80-22,40) mg/L et de 0,70 (0,00-1,82) mg/L. Les deux études ont conclu que les composés azotés risquent peu à eux seuls de causer directement une NEB.
Le principal problème associé à l'exposition prolongée au nitrate et au nitrite est la formation de composés N-nitroso (CNN), dont bon nombre sont cancérogènes. De nombreuses études épidémiologiques ont été effectuées sur la relation entre le nitrate et nitrite ingérés et le cancer chez les humains.
Pour tout siège de cancer, le nombre d'études épidémiologiques bien conçues comportant des données sur l'exposition individuelle et de l'information sur les inhibiteurs et les précurseurs de la nitrosation est limité, ce qui empêche de tirer des conclusions quant au risque de cancer. De plus, les populations étudiées ont été exposées à des doses en général inférieures à 45 mg de NO3¯/L et à cause du petit nombre de cas fortement exposés à du nitrate dans l'eau, il est difficile d'évaluer le risque dans des sous-groupes où une nitrosation endogène est probable. La plupart des études ne fournissent pas des renseignements sur les facteurs de risque de cancer (p. ex. Helicobacter pylori dans le cancer de l'estomac), qui sont d'importants facteurs modificateurs de l'effet associé à l'exposition à des CNN cancérigènes.
Une forte consommation de certains légumes (ou fruits), même si ceux-ci constituent une importante source de nitrate, semble être associée à un plus faible risque de la plupart des cancers. Certains facteurs de protection comme les antioxydants alimentaires (p. ex. vitamine C), qui sont simultanément présents dans ces aliments, peuvent jouer un grand rôle (Gangolli et coll., 1994). Pour cette raison, le nitrate alimentaire peut entraîner une formation endogène moins importante de CNN cancérogènes que le nitrate dans l'eau potable.
Compte tenu des limites de ces études (lacunes méthodologiques telles que des données limitées sur les concentrations de nitrate, la non-prise en compte des facteurs potentiels de confusion et l'utilisation des taux de mortalité par cancer plutôt que des taux d'incidence), la présente évaluation portera sur les études qui fournissent des données sur l'exposition individuelle (données de surveillance historique, estimations individuelles de l'exposition et renseignements sur les facteurs potentiels de confusion).
Plusieurs études cas/témoins et études de cohortes ont évalué la relation entre l'apport en nitrate ou nitrite (eau potable et aliments) et le risque de cancer du tube digestif. Dans l'ensemble, les résultats de ces études étaient ambigus et aucune association claire n'a pu être établie.
Nitrate
Les études épidémiologiques qui ont évalué la relation entre le nitrate dans l'eau potable et le cancer se sont intéressées principalement au cancer de l'estomac. Les résultats de ces études étaient mitigés, certaines études révélant des associations positives (Morales-Suarez-Varela et coll., 1995; Sandor et coll., 2001), d'autres ne détectant aucune association (Joossens et coll., 1996; Barrett et coll., 1998; Van Leeuwen et coll., 1999) et quelques-unes faisant état d'associations inverses (Beresford, 1985; Barrett et coll., 1998). Certaines études menées en Slovaquie, en Espagne et en Hongrie ont mis en évidence des corrélations positives entre l'incidence du cancer de l'estomac ou la mortalité par cancer de l'estomac et des mesures historiques des concentrations de nitrate dans l'eau potable se situant autour ou au-dessus de 10 mg NO3-N/L - équivalant à 44 mg NO3¯/L (Morales-Suarez-Varela et coll., 1995; Sandor et coll., 2001; Gulis et coll., 2002).
Dans une étude cas/témoins appariée, Yang et coll. (1998) ont examiné l'association entre la mortalité par cancer de l'estomac et les concentrations de nitrate dans les réseaux d'eau municipaux à Taïwan. Les rapports de cotes ajustés (RCadj) pour les facteurs de confusion possibles étaient significativement plus élevés dans les deux tertiles supérieurs de l'exposition au nitrate [tertile le plus élevé ≥ 0,45 mg NO3-N/L (équivalant à 2 mg NO3¯/L), RCadj = 1,10, IC à 95 % = 1,00-1,20; tertile moyen 0,23-0,44 mg NO3-N/L (équivalant à 1-1,9 mg NO3¯/L), RCadj = 1,14, IC à 95 % = 0,04-1,25]. Dans l'ensemble, l'étude a fait ressortir une association significativement positive entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et la mortalité par cancer de l'estomac. En revanche, Rademacher et coll. (1992) n'ont relevé aucune association entre la mortalité par cancer de l'estomac et des concentrations plus élevées de nitrate [intervalle : > 0,5 à > 10 mg NO3-N/L (équivalant à > 2,2 à > 44 mg NO3¯/L)] dans des réseaux d'eau municipaux et privés des É.-U.
Aux Pays-Bas, Van Loon et coll. (1998) n'ont pas non plus trouvé d'association entre l'apport en nitrate via l'eau potable et le cancer de l'estomac dans une cohorte d'hommes et de femmes, après 6,3 années de suivi. Ils n'ont décelé aucune association significative entre le nitrate alimentaire et l'incidence du cancer de l'estomac. Une analyse plus approfondie de la modification de l'effet causée par l'apport en vitamine C n'a pas révélé d'association positive.
Dans une étude cas/témoins en population menée récemment dans le Nebraska, É.-U., Ward et coll. (2008) n'ont pas observé d'association entre l'apport en nitrate en provenance des réseaux d'eau publics et le cancer de l'estomac ou de l'œsophage.
Yang et coll. (2007) n'ont pas découvert d'association entre la mortalité par cancer du côlon et l'exposition au nitrate via l'eau potable, même après correction pour tenir compte des facteurs de confusion. Toutefois, dans une autre série d'études effectuées par le même auteur, le risque de développer un cancer rectal était significativement accru uniquement chez les sujets les plus fortement exposés au nitrate [≥ 0,45 mg NO3-N/L (équivalant à 2 mg NO3¯/L)]. Dans une vaste étude prospective d'une cohorte de femmes aux É.-U., Weyer et coll. (2001) ont par contre relevé une association inverse entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et le cancer du rectum, qui était surtout limitée aux sujets dans le quartile d'exposition le plus élevé [> 2,46 mg NO3-N/L (équivalant à 11 mg NO3¯/L)]. Les auteurs n'ont trouvé aucune preuve d'une association claire et constante avec le cancer du côlon; cette tendance n'a pas varié après correction des données en fonction de plusieurs variables.
Dans une étude cas/témoins, De Roos et coll. (2003) n'ont pas non plus mis au jour d'association générale entre les cancers du côlon ou du rectum et les concentrations de nitrate dans les réseaux publics d'approvisionnement en eau potable de villes de l'Iowa (É.-U.) [concentrations moyennes de nitrate allant jusqu'à > 5 mg NO3-N/L (équivalant à 22 mg NO3¯/L)]. L'exposition à des concentrations de nitrate supérieures à 5 mg NO3-N/L pendant plus de 10 ans était cependant associée à une augmentation du risque de cancer du côlon dans les sous-groupes qui consommaient peu de vitamine C (RC = 2,0, IC à 95 % = 1,2-3,3) et mangeaient beaucoup de viande (RC = 2,2, IC à 95 % = 1,4-3,6). Ces tendances n'ont pas été relevées pour le cancer du rectum.
Dans une étude cas/témoins en population effectuée chez des femmes aux É.-U., McElroy et coll. (2008) n'ont pas observé de risque de cancer colorectal, même après correction pour tenir compte des facteurs de confusion. Il reste que lorsque les données étaient stratifiées selon la zone du côlon (côlon proximal et transverse, côlon distal et rectum), une augmentation du risque de cancer du côlon proximal a été constatée chez les femmes dans la catégorie d'exposition la plus élevée [≥ 10,0 mg NO3-N/L (équivalant à 44 mg NO3¯/L), RCadj = 2,91; IC à 95 % = 1,52-5,56] comparativement aux femmes dans la catégorie d'exposition la plus faible [< 0,5 mg NO3-N/L (équivalant à < 2 mg NO3¯/L)], dans le modèle ajusté pour l'âge. Ces RC n'ont pas varié après correction pour tenir compte des facteurs de risque connus et soupçonnés de cancer colorectal.
Nitrite
Des données tirées d'études cas/témoins ont corroboré l'existence d'une association entre l'apport en nitrite et en nitrosamines et le risque de cancer de l'estomac, mais elles étaient insuffisantes en ce qui concerne le risque de cancer de l'œsophage (Jakszyn et coll., 2006b). Van Loon et coll. (1998) ont constaté que l'association entre l'apport alimentaire en nitrite et le risque de cancer de l'estomac n'était pas claire après 6,3 années de suivi et demeurait ambiguë même après correction pour tenir compte des facteurs de confusion. Ni les risques relatifs ni la tendance (tendance p = 0,24) n'étaient significatifs. Il est toutefois important de noter que le temps de suivi de cette étude (6,3 années) est relativement court comparé à la période de latence des cancers gastriques, qui peut être de plusieurs décennies, et que l'apport alimentaire de nitrite avait probablement fortement augmenté plusieurs années avant l'étude (Van Loon et coll., 1998). Knekt et coll. (1999) n'ont relevé aucune association entre l'apport en nitrite et l'incidence des tumeurs de l'estomac ou colorectales dans une étude de cohorte comportant une période de suivi de 24 ans. Ces deux dernières études n'ont pas cependant évalué la modification de l'effet associée à l'interaction entre le nitrite et les antioxydants alimentaires.
Dans des études cas/témoins en Italie, Palli et coll. (2001) ont découvert que le risque de cancer de l'estomac était le plus élevé chez ceux dont l'apport en nitrite était plus important et l'apport en antioxydants plus faible, deux sous-groupes de la population qui sont susceptibles de présenter des taux plus élevés de nitrosation endogène.
Une association positive entre le cancer de l'œsophage ou de l'estomac et l'apport alimentaire en nitrite de même qu'une interaction significative avec la vitamine C ont été observées dans deux études cas/témoins (Mayne et coll., 2001; Rogers et coll., 1995).
De Roos et coll. (2003) ont constaté que l'apport alimentaire en nitrite était positivement associé aux cancers du côlon et du rectum, le risque augmentant de 50 % à 70 % pour les concentrations dans le quartile le plus élevé; cette augmentation du risque était associée surtout à un apport en nitrite d'origine animale plutôt qu'en provenance des légumes.
En général, la plupart des études ont montré que l'association entre les LNH et les concentrations de nitrate dans l'eau potable était réduite, voire nulle. On n'a pas découvert d'association entre le nitrite alimentaire et les LNH.
Nitrate
Dans une étude effectuée en Slovaquie, l'incidence des LNH et du cancer colorectal était significativement élevée chez les hommes et les femmes exposés à des sources publiques d'approvisionnement en eau contenant des concentrations de nitrate de 4,5-11,3 mg NO3-N/L (équivalant à 20-50 mg NO3¯/L) (Gulis et coll., 2002); la même étude n'a relevé aucune association avec l'incidence du cancer de la vessie et du rein. Des résultats négatifs ont par contre été obtenus pour les LNH au R.-U. (Law et coll., 1999), alors qu'en Sardaigne, Italie, on disposait de données limitées chez les hommes, mais non chez les femmes, à l'appui d'une association entre l'incidence des LNH et les concentrations de nitrate dans les réseaux communautaires d'approvisionnement en eau (Cocco et coll., 2003).
Dans deux études cas/témoins en population menées sur les LNH aux États-Unis, aucune association entre les concentrations de nitrate dans les approvisionnements d'eau communautaires et les LNH n'a été observée (Freedman et coll. 2000; Ward, et coll., 2006), Dans leur étude cas/témoins et écologique combinée, Chang et coll. (2010) n'ont également découvert aucune association entre des concentrations de nitrate dans l'eau potable pouvant atteindre 2,86 mg NO3-N/L (équivalant à 13 mg NO3¯/L) et l'augmentation du risque de décès par LNH effectuée dans une population taïwanaise.
Weyer et coll. (2001) a analysé l'incidence des LNH dans une cohorte de femmes aux É.-U. et ont noté une faible association inverse (réduction du risque) entre des concentrations de nitrate dans l'eau potable pouvant atteindre > 2,46 mg NO3-N/L (équivalant à 11 mg NO3¯/L) et le risque de LNH; après correction pour tenir compte des facteurs de confusion, cette association s'est raffermie. Cette étude n'a pas non plus mis au jour d'association entre le LNH et le nitrate alimentaire.
Dans une étude cas/témoins portant sur des Américains des deux sexes, Ward et coll. (1996) ont obtenu des résultats différents. Les concentrations moyennes de nitrate dans l'eau potable pouvaient atteindre ≥ 4 mg NO3-N/L (équivalant à 18 mg NO3¯/L). Il y avait une relation dose-réponse, un risque 2 fois plus élevé de LNH étant associé à une exposition au quartile le plus élevé de la concentration de nitrate dans l'eau potable. Cette relation n'a pas varié après correction pour tenir compte du nitrate alimentaire, de l'apport en vitamine C ou de l'apport en carotène. Les auteurs ont conclu que l'exposition prolongée à des concentrations élevées de nitrate dans l'eau potable pouvait contribuer au risque de LNH. Dans le cadre de la même étude, ces auteurs ont découvert que les concentrations de nitrate dans des puits privés n'étaient pas associées au risque de LNH après prise en compte de l'usage de pesticides à la ferme (Ward et coll., 1996).
Une association inverse a été observée entre les LNH et le nitrate alimentaire dans le cadre de cette même étude effectuée par Ward et coll. (1996). Après correction pour tenir compte de l'apport en vitamine C et du carotène, la relation avec le nitrate alimentaire s'est affaiblie.
Nitrite
Ward et coll. (2010) n'ont relevé aucune association entre l'apport en viandes transformées et l'augmentation du risque de LNH, mais ont plutôt observé une association avec les aliments d'origine végétale (produits de boulangerie et céréales) qui ne pouvait être expliquée. Aucune association n'avait été établie dans une étude alimentaire précédente effectuée par Ward et coll. (1996).
En général, l'association potentielle entre le nitrate ou nitrite ingérés et les tumeurs du système nerveux central (surtout du cerveau) a été examinée chez les adultes et les enfants, séparément. Lorsqu'on examinait les concentrations de nitrate et de nitrite en provenance soit des aliments ou de l'eau potable, les résultats étaient mitigés; aucune association nette ne peut être établie entre les tumeurs cérébrales et le nitrate/nitrite.
Nitrate
Études chez les adultes
Deux études cas/témoins, une aux É.-U. (Ward et coll., 2005a) et une autre en Allemagne (Steindorf et coll., 1994), n'ont pas relevé d'association entre les concentrations de nitrate dans les réseaux publics d'approvisionnement en eau et le cancer du cerveau chez les adultes. Les expositions moyennes au nitrate atteignaient > 25,2 mg NO3-N/L (équivalant à 111 mg NO3¯/L; Steindorf et coll., 1994) et > 4,32 mg/NO3-N/L (équivalant à 19 mg NO3¯/L; Ward et coll., 2005). Rien n'indiquait qu'il existait une interaction entre le nitrate dans l'eau potable, l'apport alimentaire en vitamine C et le tabagisme. Aucune association avec le risque de gliome n'a été détectée plus les tertiles de concentrations de nitrate dans l'eau de puits privés étaient élevés (Ward et coll., 2005).
Dans une autre étude cas/témoins américaine, Chen et coll. (2002) n'ont relevé aucune association entre les sources alimentaires de nitrosamines préformées ou la consommation de légumes riches en nitrate et le gliome. Après correction pour tenir compte des facteurs de confusion potentiels, une association inverse a été observée entre le risque de gliome et les apports en légumes jaune foncé et en haricots.
Dans une étude menée dans le Yorkshire, en Angleterre, l'incidence du cancer du cerveau et du système nerveux central était plus élevée dans les régions où les concentrations de nitrate dans l'eau potable étaient plus fortes (Barrett et coll., 1998).
Études chez les enfants
Dans une étude cas/témoins basée sur une population américaine qui a été effectuée par Mueller et coll. (2001), les tumeurs du cerveau chez les enfants n'étaient pas associées aux concentrations de nitrate dans les approvisionnements en eau, mais dans un des trois centres étudiés, les femmes qui avaient tiré leur eau potable d'un puits privé durant leur grossesse couraient un risque significativement plus élevé de voir leur enfant atteint d'un cancer du cerveau (Mueller et coll., 2001).
Dans une étude cas/témoins internationale effectuée en collaboration, Mueller et coll. (2004) n'ont pourtant découvert aucune association significative entre les tumeurs cérébrales chez les enfants (étude basée sur 836 cas chez des enfants) et l'eau potable, bien que le risque de tumeurs astrogliales ait augmenté par un facteur non significatif de 2 dans la catégorie la plus élevée d'exposition au nitrate (≥ 50 mg NO3¯/L)
Nitrite
Études chez les adultes
Chez les adultes, la plupart des résultats négatifs ont été obtenus dans une recension du CIRC (2010), de même que dans une méta-analyse de 9 études (Huncharek et coll., 2003). Suivant Murphy et coll. (1998), les tendances dans l'incidence des tumeurs cérébrales et la consommation de viande salaisonnée dans les deux groupes d'âge (enfants et adultes) ne corroborent pas l'existence d'une association. D'autres études ont examiné l'interaction possible entre la consommation de viande salaisonnée et l'apport en vitamines (p. ex. vitamine C), en fruits ou en légumes. Le risque de cancer était le plus grand chez les personnes qui mangeaient beaucoup de viande salaisonnée et consommaient peu d'antioxydants (Bunin et coll., 1994; Preston-Martin et coll., 1996; Blowers et coll., 1997).
Études chez les enfants
Seule une étude cas/témoins a examiné l'association entre les tumeurs cérébrales chez les enfants et la présence de nitrate dans l'eau potable; elle s'est basée sur les données en provenance de quatre pays (Mueller et coll. 2004). Le risque de tumeurs cérébrales chez les enfants associées à la présence de nitrite détectable à des concentrations de 1 à < 5 mg NO2-N/L (équivalant à 3,3 à < 16 mg NO2¯/L) était légèrement, mais non significativement, accru. Cette association était plus étroite chez les enfants souffrant d'un astrocytome qui avaient été exposés à 1 à < 5 et à ≥ 5 mg NO2-N/L (équivalant à 3,3 à < 16, et ≥ 6 mg NO2¯/L, respectivement).
Parmi les études alimentaires, plusieurs études cas/témoins ont évoqué une association entre les tumeurs du cerveau chez les enfants et la consommation de viande salaisonnée par les mères durant leur grossesse ou par les enfants eux-mêmes (Preston-Martin et coll., 1996; Pogoda et Preston-Martin, 2001). Une méta-analyse qui incluait certaines de ces études a fait également état d'une association limitée entre la consommation de viande salaisonnée et la survenue de tumeurs du cerveau chez les enfants (Huncharek et Kupelnick, 2004). Par contre, dans une étude prospective de cohorte effectuée par Michaud et coll. (2009), aucune association n'a été établie.
Des résultats variables ont été obtenus dans les études sur les tumeurs des voies urinaires et l'exposition au nitrate ou au nitrite.
Nitrate
Une association positive a été observée entre la mortalité par cancer de la vessie et le nitrate dans l'eau potable à des concentrations ≤ 2,86 mg NO3-N/L (équivalant à 13 mg NO3¯/L) dans une étude cas/témoins effectuée par Chiu et coll. (2007), et à des concentrations dans l'eau potable de > 2,46 mg NO3-N/L (équivalant à 11 mg NO3¯/L) dans une étude de cohorte menée par Weyer et coll. (2001). Aucune association n'a toutefois été relevée entre la mortalité par cancer de la vessie et le nitrate dans l'eau potable dans une étude cas/témoins réalisée par Ward et coll. (2003) ni dans une étude de cohorte effectuée par Zeegers et coll. (2006). Les concentrations de nitrate étaient plus élevées dans ces deux études que dans les études antérieures où une association positive avait été établie. L'apport alimentaire en vitamine C n'avait aucun impact significatif sur les résultats des deux dernières études. La vitamine E et l'usage de la cigarette ne semblaient pas influer sur les résultats de l'étude de Zeegers et coll. (2006).
Ward et coll. (2007) n'ont détecté aucune association entre le carcinome à cellules rénales et des concentrations de nitrate allant jusqu'à 2,78 mg NO3-N/L (équivalant à 12 mg NO3¯/L) dans les réseaux publics d'approvisionnement en eau. Une exposition plus forte au nitrate [> 5 mg NO3-N/L (équivalant à > 22 mg NO3¯/L) pendant 10 ans ou plus] était cependant associée à une augmentation du risque dans les sous-groupes dont la consommation en viande rouge dépassait le niveau médian (RC = 1,91; IC à 95 % = 1,04-3,51) ou dont l'apport en vitamine C était inférieur à la médiane (RC = 1,90; IC à 95 % = 1,01-3,56).
Volkmer et coll. (2005) ont évalué l'effet des concentrations de nitrate dans l'eau potable sur l'incidence des cancers urologiques dans deux groupes en Allemagne exposés à différentes concentrations de nitrate (10 et 60 mg NO3¯/L). Dans le groupe le plus fortement exposé, il existait une association avec le cancer urothélial chez les sujets des deux sexes, ainsi qu'une corrélation inverse avec les tumeurs des testicules, mais il n'y avait aucune corrélation avec les tumeurs du rein, du pénis et de la prostate.
Nitrite
Dans une étude cas/témoins en population, Ward et coll. (2003) n'ont relevé aucune association entre les tumeurs des voies urinaires et des sources alimentaires de nitrite tant chez les femmes que chez les hommes; les sources de nitrite d'origine animale et végétale ont été évaluées séparément. Chez les hommes, le quartile d'exposition le plus élevé au nitrite d'origine végétale était associé à un risque modérément élevé (RC = 1,3; IC à 95 % = 1,0-1,6), mais aucune tendance n'était observable à mesure que l'apport augmentait.
Nitrate
Ward et coll. (2010) ont examiné l'association entre, d'une part, l'apport en nitrate via les réseaux publics d'approvisionnement en eau et l'alimentation et, d'autre part, le risque de cancer de la thyroïde (incidence) et le nombre de cas auto-déclarés d'hypothyroïdie et d'hyperthyroïdie (prévalence) dans une cohorte de 21 977 femmes âgées de l'Iowa (É.-U.) qui avaient utilisé la même source d'approvisionnement en eau depuis plus de 10 ans. Ils ont estimé l'ingestion de nitrate dans l'eau potable en utilisant une base de données publique sur les dosages du nitrate. L'apport alimentaire a été estimé au moyen d'un questionnaire sur la fréquence de consommation d'aliments et les niveaux tirés des études publiées. Ils ont découvert que le risque de cancer de la thyroïde augmentait en fonction de l'exposition aux sources publiques d'approvisionnement en eau contenant des concentrations de nitrate dépassant 5 mg NO3-N/L (équivalant à 22,1 mg NO3¯/L) pendant plus de 5 ans (RR = 2,6; IC à 95 % = 1,1-6,2). Un apport plus élevé en nitrate d'origine alimentaire était associé à une augmentation du risque de cancer de la thyroïde (quartile le plus élevé versus quartile le plus faible, RR = 2,9; IC à 95 % = 1,0-8,1; P pour la tendance = 0,046). Les auteurs ont conclu que le nitrate peut jouer un rôle dans l'étiologie du cancer de la thyroïde et que d'autres études s'imposent.
Aucune association n'a été signalée entre le nitrate dans l'eau potable et le risque de cancer du pancréas (Weyer et coll., 2001; Coss et coll., 2004). Une étude de cohorte effectuée par Knekt et coll. (1999) n'a mis au jour aucune association entre le nitrate alimentaire et les cancers de la tête et du cou, mais une étude cas/témoins menée par Rogers et coll. (1995) a fait état d'une association inverse significative entre l'apport alimentaire en nitrate et le cancer de la cavité buccale et du larynx.
Des associations négatives ont été relevées entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et le risque de cancer du pancréas (Weyer et coll., 2001; Coss et coll., 2004). Aucune association n'a été établie entre le nitrate alimentaire et les cancers de la tête et du cou (étude de cohorte : Knekt et coll., 1999). Une association inverse significative a cependant été enregistrée entre l'apport alimentaire en nitrate et le cancer de la cavité buccale et du larynx (étude cas/témoins : Rogers et coll., 1995).
Nitrite
Coss et coll. (2004) ont observé un risque légèrement élevé de cancer du pancréas chez les sujets classés dans le quartile supérieur pour la consommation de nitrite alimentaire. Lorsque les sources de nitrite d'origine animale ont été évaluées séparément, les risques étaient toutefois plus élevés et statistiquement significatifs.
Aucune association entre le cancer du nasopharynx et les apports en nitrite n'a été détectée chez des adultes taïwanais, mais une association positive a été observée chez des enfants dans une analyse basée sur les données de rappel fournies par les mères (Ward et coll., 2000).
L'apport alimentaire en nitrite n'était pas associé avec les cancers de la tête et du cou dans une étude de cohorte (Knekt et coll., 1999) ni avec les cancers de la cavité buccale et du larynx dans une étude cas/témoins (Rogers et coll., 1995).
Les données semblent indiquer que les concentrations de nitrate supérieures à 45 mg/L dans l'eau potable sont associées à la méthémoglobinémie (voir section 9.1.1), mais les données à l'appui d'une association avec la mortalité fœtale, la restriction de croissance fœtale ou les malformations congénitales sont limitées. Il existe cependant d'importantes lacunes dans les données, notamment en ce qui concerne l'évaluation de l'exposition individuelle, la co-exposition à d'autres contaminants et l'exposition au nitrate provenant de sources alimentaires, cette dernière étant probablement plus pertinente que l'exposition au nitrate dans l'eau potable.
Les effets sur la reproduction et le développement associés à l'exposition au nitrate/nitrite dans l'eau potable ont été révisés par Manassaram et coll. (2006) ainsi que dans une publication d'un symposium parrainé par la Société internationale d'épidémiologie environnementale (Ward et coll., 2005a). Manassaram et coll. (2006) ont conclu que les études actuelles ne fournissent pas de preuve suffisante d'une relation causale entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et des effets indésirables sur la reproduction et le développement; les données épidémiologiques sont rares et n'offrent au mieux que des indications. Les résultats concernant la surincidence de malformations congénitales qui ont été obtenus dans certaines des études révisées indiquent cependant que cette question mérite d'être approfondie. Ward et coll. (2005a) ont conclu que les résultats de quelques études publiées sur le nitrate dans l'eau et les effets sur la reproduction étaient non concordants, mais que des risques élevés de malformations du tube neural avaient été observés après la consommation de nitrate. Les conclusions de Manassaram et coll. (2006) et de Ward et coll. (2005a) étaient basées sur des revues de la mortalité fœtale, de la restriction de la croissance fœtale et des malformations congénitales. Selon ces revues, aucune augmentation significative du risque de mortalité fœtale (avortements spontanés et mortinaissances) n'était associée aux concentrations de nitrate dans l'eau potable ≤ 55 et entre 43 et 123 mg/L (Gelperin et coll., 1975; Super et coll., 1981; Aschengrau et coll., 1989, 1993); mais le risque augmentait entre 5 et 45 mg/L (Scragg et coll., 1982; CDC, 1996). En outre, trois cas d'avortement spontané ont été signalés à des concentrations de nitrate de 19,0, 26 et 19,2 mg/L sous forme d'azote de nitrate dans des puits auxquels s'alimentaient des femmes enceintes; d'autres facteurs étiologiques et le fait du hasard ne pouvaient toutefois être écartés (CDC, 1996). La restriction de croissance (prématurité, retard de croissance intra-utérin et petit poids de naissance) était associée à des concentrations de nitrate ≥ 3,1 et entre 8 et 54 mg/L (Tabacova et coll., 1997, 1998; Bukowski et coll., 2001), mais non à des concentrations de > 20 mg/L (Super et coll., 1981). Des rapports de cas de malformations congénitales (système nerveux central et cœur) n'étaient pas significativement associés à des concentrations de nitrate dans l'eau potable de 0,2-4.5, > 2, > 3,5, 5, 26 et > 45 mg/L (Arbuckle et coll., 1988; Ericson et coll., 1988; Aschengrau et coll., 1993; Croen et coll., 2001; Cedergren et coll., 2002; Brender et coll., 2004). Une augmentation du risque d'anencéphalie était néanmoins associée à une concentration de nitrate supérieure à 45 mg/L (Croen et coll., 2001), et le risque d'une malformation quelconque était plus élevé lorsque la concentration de nitrate dans l'eau dépassait de > 5 mg/L (Dorsch et coll., 1984).
Depuis la parution des revues ci-dessus, une étude intéressante a été publiée. Une corrélation potentielle entre les concentrations maximales de nitrate dans l'eau potable et l'incidence du syndrome de mort subite du nourrisson y a été signalée (George et coll., 2001), mais à cause des nombreuses limites de cette étude, il est impossible de tirer une conclusion.
La toxicité orale aiguë est généralement faible chez les animaux de laboratoire, la dose létale médiane (DL50) étant supérieure à 3 100 mg/kg pc/jour. Le nitrite est plus toxique, la DL50 étant de 120 mg/kg pc/jour (Boink et coll., 1999). Ainsi, les valeurs pour la toxicité orale aiguë du nitrite chez les animaux de laboratoire se situent à l'intérieur de la plage signalée pour les humains (33-250 mg/kg pc/jour, voir la section 9.1.1).
Il importe de se rappeler que les rats sont 10 à 100 fois plus résistants à la méthémoglobinémie aiguë que les humains, car la conversion de nitrate en nitrite est limitée chez cette espèce (Boink et coll., 1999). Les études sur le nitrite sont donc préférables aux études sur le nitrate pour évaluer la méthémoglobinémie chez les rats. Shuval et Gruener (1972) ont fait état de taux élevés de méthémoglobine (5 %, 12 % et 22 %) chez des rats (âgés de < 3 mois; huit par traitement) exposés à 1 000, 2 000 et 3 000 mg/L de nitrite de sodium (équivalant à 667, 1 334 ou 2 001 mg NO2¯/L) pendant 24 mois, respectivement, mais les taux n'étaient pas accrus chez les rats exposés à 100 mg/L de nitrite de sodium (équivalant à 66,7 mg NO2¯/L). Dans une étude de détermination de la plage des doses (Maekawa et coll., 1982) portant sur 240 rats F344 des deux sexes, la dose maximale tolérée de nitrite de sodium était de 0,25 % dans l'eau potable et celle de nitrate était de 5 % dans les aliments administrés pendant 6 semaines. Parmi les rats (10 mâles et 10 femelles par dose) qui avaient reçu 20 mL d'eau potable contenant 0,06 %, 0,125 %, 0,25 %, 0,5 % ou 1 % de nitrite de sodium, quatre femelles dans le groupe à 1 % sont mortes, alors qu'un mâle et une femelle dans le groupe à 0,5 % sont morts. Dans le groupe de rats (10 mâles et 10 femelles par dose) qui avaient reçu 1,25 %, 2,5 %, 5 %, 10 % ou 20 % de nitrate de sodium dans leurs aliments, toutes les femelles et sept mâles auxquels on avait administré 20 % de nitrate de sodium sont morts. Dans les deux études, la coloration anormale du sang et de la rate causée par la méthémoglobine était marquée chez les rats dans les groupes ayant reçu les deux plus fortes doses.
Des taux plus élevés de méthémoglobine ont également été mesurés par Til et coll. (1988). Des rats Wistar sevrés (10 de chaque sexe par dose) ont reçu 0, 1, 100, 300, 1 000 ou 3 000 mg/L de nitrite de potassium (équivalant à 0, 0,5, 54, 162,3, 541 ou 1 623 mg NO2¯/L) dans leur eau potable pendant 13 semaines. Le pourcentage d'hémoglobine qui était méthylée était accru chez les rats exposés à 3 000 mg/L (femelles, P < 0,05; mâles, P < 0,01). Dans une étude subséquente (1997), Til et coll. ont signalé des taux significativement élevés de méthémoglobine chez des rats Wistar sevrés (10 de chaque sexe par dose) ayant reçu 100 ou 3 000 mg de nitrite de potassium/L (équivalant à 54 ou 1 623 mg NO2¯/L), mais non chez les rats ayant reçu 0, 12,5, 25, 50 mg de nitrite de potassium/L (équivalant à 0, 6,8, 13,5 ou 27 mg NO2¯/L) dans l'eau potable pendant 13 semaines.
Dans une étude étalée sur 14 semaines (NTP, 2001), 10 paires de rats mâles et femelles ont été exposées à 0, 375, 750, 1 500, 3 000 ou 5 000 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 0, 250, 500, 1 000, 2 001 ou 3 335 mg NO2¯/L). Une femelle exposée à 3 000 mg/L (équivalant à 2 001 mg NO2¯/L) est morte avant la fin de l'étude. Parmi les résultats cliniques recueillis figuraient une décoloration brune des yeux et une cyanose de la bouche, de la langue, des oreilles et des pieds chez les mâles aux deux doses les plus fortes et chez les femelles aux trois doses les plus fortes. Les taux de méthémoglobine étaient significativement élevés dans tous les groupes exposés de femelles et chez les mâles exposés à 750 mg/L (500 mg NO2¯/L) pendant les 14 semaines de l'étude; les effets sont survenus après le 5e jour et ont persisté durant toute l'étude (NTP, 2001). Une décoloration brunâtre et une cyanose n'ont cependant pas été observées chez les souris exposées au même schéma posologique que les rats de l'étude ci-dessus, peut-être à cause de la plus forte activité de la méthémoglobine réductase dans les érythrocytes chez les souris que chez les rats (NTP, 2001). La méthémoglobinémie était faible dans les échantillons de sang prélevés chez les rats qui avaient reçu 20 mmol/L de nitrite dans l'eau potable, alors qu'elle avait augmenté par un facteur de 5 chez les rats qui avaient bu de l'eau contenant 36 mmol/L de nitrite. Après une prolongation subséquente de l'exposition, les taux de méthémoglobine avaient diminué de façon étonnante, ce qui évoque une adaptation métabolique à une exposition prolongée importante au nitrite (Boink et coll., 1999).
Comme le montrent les études ci-dessus, les concentrations de nitrate testées chez les animaux étaient élevées, et la concentration de nitrite la plus faible qui augmentait significativement les taux de méthémoglobine s'établissait à 250 mg/L.
Les données indiquent que l'exposition au nitrate altère le fonctionnement de la thyroïde chez les animaux de laboratoire. Des groupes de 10 rats femelles Wistar (âgées de 3 mois) ont reçu 0, 50, 100, 250 ou 500 mg/L de nitrate de sodium dans leur eau potable sur une période de 30 semaines (équivalant à 0, 36,5, 72,9, 182,3 ou 364,5 mg NO3¯/L; Eskiocak et coll., 2005). Le poids de la thyroïde était significativement accru dans tous les groupes de traitement par rapport aux témoins, mais l'absorption par la thyroïde de l'iode radiomarqué était moins grande dans le groupe ayant reçu 50 mg/L et ne différait pas significativement par rapport à ce qui a été observé chez les témoins jusqu'à ce que les doses atteignent 250 ou 500 mg/L; l'absorption de l'iode a alors augmenté, peut-être s'agissait-il d'un mécanisme de compensation (P < 0,05 et P < 0,01, respectivement). Les effets sur les concentrations sériques des hormones variaient selon la dose (aussi faible que 50 mg/L), mais des effets constants indiquant une hypothyroïdie évidente ont été observés à des doses de 250 et 500 mg/L (c.-à-d. réduction du taux sérique de la T3 totale [P < 0,01 et P < 0,05, respectivement], réduction de la T3 libre [les deux P < 0,01] et réduction de la T4 libre [P < 0,01 et P < 0,05, respectivement]). Des modifications histopathologiques ont également été constatées aux deux doses les plus élevées. Bien que l'étude n'ait pas tenu compte de l'apport en iodure ni mesuré les concentrations de nitrate dans de l'eau témoin, ces résultats semblent indiquer que le nitrate altèrent le fonctionnement de la thyroïde en faisant intervenir l'axe HPT.
De même, une diminution des taux d'hormones thyroïdiennes, des modifications histologiques et une augmentation du poids de la thyroïde ont été signalées par Zaki et coll. (2004). Des rats mâles Wistar (12 par groupe) ont reçu à volonté du nitrate de potassium dans l'eau du robinet à des concentrations de 13,55 (témoin), 50, 100, 150 ou 500 mg/L (équivalant à 8,3, 30,7, 61,4, 92,1 ou 307 mg NO3¯/L) pendant 5 mois. Des doses de 150 mg/L de nitrate de potassium réduisaient les taux plasmatiques de T3 de 34 % (P < 0,05) et les taux de T4 de 12 %, mais les baisses n'étaient pas statistiquement significatives. L'exposition à 500 mg/L de nitrate de potassium a abaissé les taux de T3 et de T4 de 44 % et de 30 %, respectivement (P < 0,05). L'exposition à 100, 150 et 500 mg/L de nitrate de potassium a accru le poids de la thyroïde en fonction de la dose (21 %, 45 % et 77 %; P < 0,05). L'examen histologique a révélé une vacuolisation et une augmentation de la taille des follicules de la thyroïde chez les rats exposés à 150 ou 500 mg/L de nitrate de potassium. Une corrélation négative entre le poids de la thyroïde et les taux plasmatiques de T3 (r = -0,31; P < 0,05) a été observée, de même qu'entre le poids de la thyroïde et les taux plasmatiques de T4 (r = -0,37; P < 0,05). Les auteurs ont tenté de tenir compte de l'apport en iodure en administrant une diète contrôlée. Les effets observés confirment que le nitrate altère la fonction thyroïdienne par le biais de l'axe HPT.
Une étude menée en Inde (Mukhopadhyay et coll., 2005) a montré que des rats qui avaient reçu une diète contenant 3 % de nitrate de potassium pendant 4 semaines ont présenté les effets suivants : augmentation du poids de la thyroïde (P < 0,001), élévation des taux de TSH (P < 0,001) et excrétion légèrement accrue d'iodure (P < 0,001) comparativement aux témoins. Par contre, l'activité de la thyroïde peroxydase (P < 0,01), les taux sériques de T4 (P < 0,01) et les taux sériques de T3 (P < 0,001) étaient tous réduits. Cette étude vient corroborer le rôle du nitrate dans l'altération de la fonction thyroïdienne. Une diminution de l'absorption d'iode par la thyroïde de même que des concentrations de T3 et de T4 ont également été signalées chez des rats après qu'ils eurent reçu une diète contenant 3 % de nitrate de potassium pendant 6 semaines (Jahreis et coll., 1991). Aucune différence significative dans la fonction thyroïdienne (mesurée par les taux de T3 et de T4) n'a cependant été observée chez des chiens beagle adultes qui avaient reçu 0, 300, 600 ou 1 000 mg/L de nitrite de sodium dans leur eau potable (équivalant à 0, 218,7, 437,4 ou 729 mg NO3¯/L) pendant 1 an ni chez aucun des chiots dont la mère avait été exposée aux doses ci-dessus (Kelley et coll., 1974).
Même si ces études présentent certaines lacunes (p. ex. l'examen histologique de la thyroïde--en général, la mesure la plus probante de la perturbation de la thyroïde--a été mal effectué), elles fournissent des arguments à l'appui du rôle du nitrate dans l'altération de la fonction thyroïdienne par l'intermédiaire de l'axe HPT.
Des données montrent que le nitrite joue un rôle dans l'induction de l'hypertrophie de la zone glomérulée des surrénales en réduisant la pression artérielle et en stimulant l'axe rénine-angiotensine. Shuval et Gruener (1972) ont détecté des effets pulmonaires et coronariens après avoir exposé des rats (âgés de < 3 mois; huit par traitement) pendant 24 mois à de l'eau potable contenant 1 000 à 2 000 mg/L de nitrite de sodium (équivalant à 667-1 334 mg NO2¯/L). Une étude ultérieure a révélé que l'exposition au nitrite entraînait une vasodilatation, un relâchement des muscles lisses, un abaissement de la pression artérielle (Gangolli et coll., 1994) et une hypotension transitoire chez les rats (Boink et coll., 1999). Chez deux rats Wistar se déplaçant librement, le nitrite de potassium a réduit la pression artérielle moyenne et accru la fréquence cardiaque; le chlorure de potassium n'a exercé aucun effet (Vleeming et coll., 1997). L'administration par voie intraveineuse de nitrite à des rats anesthésiés a entraîné une diminution immédiate, en fonction de la dose, de la pression artérielle, qui a précédé une élévation du taux de méthémoglobine, ce qui semble indiquer que l'hypotension est l'effet primaire du nitrite; une seule dose de 30 µmol/kg pc a causé une baisse de 10 à 20 % de la pression artérielle (Vleeming et coll., 1997). L'abaissement de la pression artérielle n'est pas nécessairement un effet indésirable, mais peut en fait être bénéfique (Lundberg et coll., 2004, 2008).
Les surrénales régulent la pression artérielle par l'intermédiaire de l'axe rénine-angiotensine-aldostérone. Des rats Wistar sevrés des deux sexes (10 de chaque sexe par dose) exposés à 1, 100, 300, 1 000 ou 3 000 mg/L de nitrite de potassium dans l'eau potable (équivalant à 0,5, 54, 162, 541 ou 1 623 mg NO2¯/L) pendant 13 semaines ont présenté une hypertrophie de la zone glomérulée des surrénales à toutes les doses (Til et coll., 1988). L'incidence et la gravité de l'hypertrophie de la zone glomérulée étaient proportionnelles aux concentrations de nitrite dans l'eau potable. On pense qu'il existe un lien entre les modifications des surrénales et les propriétés vasodilatatrices bien connues du nitrite et la dilatation et l'amincissement des vaisseaux sanguins après l'administration de nitrite. La vasodilatation réduit la pression artérielle, ce qui stimule l'axe rénine-angiotensine-aldostérone et accroît ainsi la production d'aldostérone par la zone glomérulée des surrénales (Til et coll., 1988). D'autres études sur des rongeurs ont montré que l'hypertrophie de la zone glomérulée des surrénales à la suite d'un traitement était un effet indirect de l'exposition au nitrite, car des changements correspondants dans le nitrite plasmatiques ou la fonction rénale n'ont pas été observés (Til et coll., 1997). Une étude ultérieure laisse entendre que l'hypertrophie bénigne était une adaptation physiologique à la vasodilatation induite par le nitrite plutôt qu'une lésion pathogène (Boink et coll., 1999). L'inhibition de l'enzyme de conversion de l'angiotensine indique que les effets ont été produits indirectement par suite de la stimulation de l'axe rénine-angiotensine (Vleeming et coll., 1997; Boink et coll., 1999). L'administration de nitrite dans l'eau potable à des rats cause donc probablement des baisses à répétition de la pression artérielle, activant de façon répétée l'axe rénine-angiotensine-aldostérone, ce qui peut avoir entraîné une hypertrophie de la zone glomérulée des surrénales.
Des rats Wistar sevrés (10 de chaque sexe par dose) ont reçu 1, 100, 300, 1 000 ou 3 000 mg/L de nitrite de potassium dans leur eau potable (équivalant à 0,5, 54, 162, 541 ou 1 623 mg NO2¯/L) pendant 13 semaines. Les poids absolus et relatifs de la rate et des reins chez les femelles et le poids relatif des reins chez les mâles étaient accrus à la dose la plus élevée. L'augmentation du poids relatif des reins n'était pas cependant accompagnée de modifications histopathologiques des reins induites par le traitement (Til et coll., 1988). Dans une étude de contrôle effectuée par Til et coll. (1997), des rats Wistar sevrés (10 de chaque sexe par dose) ont reçu 0, 12,5, 25, 50, 100 ou 3 000 mg de nitrite de potassium/L (équivalant à 0, 6,8, 13,5, 27, 54 ou 1 623 mg NO2¯/L) dans l'eau potable pendant 13 semaines. Comme dans l'étude précédente, le poids relatif des reins était significativement plus élevé dans les deux groupes exposés à la plus forte dose (Til et coll., 1997).
Des études où du nitrate de sodium a été administré à des rongeurs soit dans leur eau potable ou leur diète ont montré que la toxicité chronique du nitrate est faible.
Dans une étude s'étendant sur 18 mois, des souris NMRI femelles (100 par groupe) ont reçu du nitrate de calcium à raison de 0, 100 ou 1 000 mg/L (équivalant à 0, 61 ou 608 mg NO3¯/L) par jour dans leur eau potable (équivalant à 0, 30 ou 300 mg/kg pc/jour de nitrate de calcium, ou 0, 18 ou 182 mg NO3-/kg pc/jour). Les souris dans le groupe le plus fortement exposé ont perdu du poids et sont mortes prématurément. Il n'y avait aucune augmentation de l'incidence de tumeurs dans les groupes auxquels on avait administré du nitrate (Mascher et Marth, 1993).
Dans une étude d'une durée de 2 ans sur la cancérogénicité, des rats F344 (50 de chaque sexe par groupe) ont consommé à volonté des diètes contenant 0 %, 2,5 % ou 5 % (0, 25 ou 50 g/L) de nitrate de sodium (équivalant à 0, 1 250 ou 2 500 mg/kg pc/jour ou 0, 910 ou 1 820 mg/kg pc/jour d'ions nitrate). Le taux de survie des animaux ayant reçu du nitrate était significativement plus élevé (P < 0,05) que celui des témoins. À une dose de 2 500 mg/kg pc/jour, une réduction légère à modérée du gain de poids corporel a été observée. Il n'y avait aucune différence dans l'incidence de tumeurs dans cette étude où l'incidence des tumeurs spontanées était élevée. Le seul résultat significatif était la réduction de l'incidence de leucémies à cellules mononucléées (P < 0,01) dans les groupes expérimentaux (Maekawa et coll., 1982).
D'autres études effectuées chez des rats (Lijinsky et coll., 1973a) et des souris (Greenblatt et Mirvish, 1973; Sugiyama et coll., 1979) ont montré que le nitrate n'avaient aucune activité cancérogène.
Études sur l'alimentation de rats
Aoyagi et coll. (1980) ont fait état d'une augmentation significative des tumeurs du foie (P < 0,05) chez des rats Wistar mâles non consanguins qui avaient reçu pendant environ 20 mois du nitrite de sodium à une concentration de 1 600 ppm dans des aliments granulés. Ces résultats positifs étaient probablement dus aux CNN (NDMA et à la N-nitrosopyrrolidine [NPYR]) détectés dans les granules à des concentrations qui étaient corrélées avec celles du nitrite de sodium ajouté.
Dans une autre étude, une augmentation significative de l'incidence de tumeurs du foie a été observée chez des rats F344 femelles qui avaient reçu 2 000 mg/kg de nitrite de sodium dans leur nourriture (équivalant à 1 334 mg NO2-/kg) durant 2 ans (Lijinsky et coll., 1983; Lijinsky, 1984). En plus des tumeurs au foie, Lijinsky et coll. (1983) ont également observé une baisse de l'incidence de la leucémie monocytaire chez les rats des deux sexes dans chacun des groupes traités par du nitrite. Un groupe de travail du CIRC (2010) a toutefois indiqué qu'il manquait des données sur les paramètres vitaux dans cette étude, notamment sur la courbe de croissance et la consommation d'aliments de même que sur l'apport en nitrite de sodium; il était donc impossible de mesurer l'effet des conditions nutritionnelles sur la réduction de l'incidence de la leucémie.
Dans une étude d'alimentation portant sur une longue période qui a été effectuée chez des rats F344 (50 par groupe) exposés soit à 0,2 % ou à 0,5 % de nitrite de sodium par poids (p/p) pendant jusqu'à 115 semaines, rien n'indiquait que le nitrite de sodium avait une activité cancérogène. On observait plutôt une réduction, liée à la dose, de l'incidence des lymphomes, de la leucémie et des tumeurs à cellules de Leydig du testicule (Grant et Butler, 1989).
Dans une étude de grande envergure parrainée par la Food and Drug Administration des É.-U. (Newberne, 1979), des rates Sprague-Dawley gravides ont reçu du nitrite de sodium à des concentrations de 0, 250, 500, 1 000 ou 2 000 mg/kg dans une diète à base de gélose à la caséine, de 0, 1 000 ou 2 000 mg/L dans l'eau potable, de 0, 1 000 ou 2 000 mg/kg dans une nourriture commerciale, et de 1 000 mg/kg dans une forme sèche de la gélose à la caséine. L'exposition a débuté 5 jours avant la mise bas et s'est poursuivie pendant toute la vie (jusqu'à 26 mois) des mères et des petits. L'incidence de lymphomes malins a augmenté dans tous les groupes ayant reçu du nitrite (l'incidence générale combinée était de 10,2 % vs 5,4 % chez les rats témoins). La présence de nitrosamines a été recherchée dans les échantillons d'aliments, mais n'a pas été détectée; il semble donc peu probable que des nitrosamines préformées aient été responsables de l'effet observé sur le système lymphatique. Des résultats similaires (27 % des tumeurs dans le système lymphoréticulaire vs 6 % chez les témoins) ont été enregistrés fortuitement par Shank et Newberne (1976) dans une étude où des générations F1 et F2 de rats de la même souche ont été exposées, de leur conception à leur mort, à une concentration de 1 000 mg/kg de nitrite de sodium dans leurs aliments. Un groupe de travail interagences du gouvernement américain (FDA, 1980a, 1980b) a cependant tiré des conclusions différentes de celles de Newberne (1979), après avoir examiné les mêmes préparations histologiques. Le groupe de travail a diagnostiqué que seul un petit nombre de lésions étaient des lymphomes et a estimé l'incidence à environ 1 % tant chez les sujets traités que chez les sujets témoins. L'écart tient à la distinction entre les lymphomes diagnostiqués par Newberne (1979) et l'hématopoïèse extra-médullaire, la plasmacytose ou les sarcomes histiocytaires diagnostiqués par le groupe de travail. Ces dernières tumeurs ne surviennent jamais chez les humains. L'incidence d'autres types de tumeurs n'était pas accrue.
Études sur l'administration d'eau potable à des rats
Des rats Wistar mâles exposés à 0,2 % (2 g/L) de nitrite de sodium dans l'eau potable durant 9 mois ont présenté une augmentation de l'activité des enzymes suivantes : la lipoperoxydase dans les microsomes hépatiques, la phosphatase et la cathepsine dans les lysosomes hépatiques, et la superoxyde dismutase dans le cytosol (Darad et coll., 1983). Dans cette étude, les activités enzymatiques tant dans les lysosomes que dans le cytosol indiquaient une atteinte des membranes cellulaires et subcellulaires médiée par les radicaux libres chez les rats.
Chow et coll. (1980) ont administré 2 g/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 1,33 g NO2¯/L) à des rats Sprague-Dawley mâles pendant 14 mois. En plus d'une diminution du poids du foie, les animaux ont présenté une augmentation du poids des poumons et de l'incidence de lésions pulmonaires. La mesure de certains paramètres sanguins a révélé une baisse des concentrations plasmatiques de vitamine E et des taux plus élevés de glutathion réduit dans les globules rouges.
Dans une étude de cancérogénicité, des rats F344 (50 de chaque sexe par groupe) ont reçu du nitrite de sodium dans l'eau potable à une concentration de 0, 1 250 ou 2 500 mg/L (équivalant à 0, 834 ou 1 667 mg NO2¯/L) durant 2 ans (Maekawa et coll., 1982). Dans le groupe de femelles exposées à la plus forte dose, le poids corporel moyen a diminué de plus de 10 % comparativement à celui des témoins après 40 semaines. Le taux de survie après 100 semaines était significativement plus élevé dans les groupes de mâles. Aucun effet cancérogène n'a été observé dans cette étude, où les animaux ont présenté une forte incidence de tumeurs spontanées. Toutefois, une diminution significative de l'incidence de leucémies à cellules mononucléées (tumeur spontanée très courante chez les rats F344) a été observée dans les groupes expérimentaux par rapport aux témoins. Une baisse similaire de l'incidence de la leucémie monocytaire a été par la suite signalée chez des rats F344 des deux sexes exposés soit à 2 g/L de nitrite de sodium dans l'eau de boisson (1,33 g NO2¯/L) ou à 2 g/kg dans leur alimentation (1,33 g NO2-/kg) (Lijinsky et coll., 1983) et seulement chez les rats F344 mâles (50 par groupe) exposés à des concentrations de nitrite de sodium dans les aliments de 2 000 ou 5 000 mg/kg (1 334 ou 3 335 mg NO2-/kg) pendant une période allant jusqu'à 115 semaines (Grant et Butler, 1989).
Plus récemment, une étude de cancérogénicité s'étalant sur 2 ans a été effectuée sur le nitrite de sodium chez des rats F344/N dans le cadre du National Toxicology Program (NTP, 2001). Dans cette étude, des rats F344/N (50 de chaque sexe par groupe) ont reçu de l'eau potable contenant des concentrations de nitrite de sodium de 0, 750, 1 500 ou 3 000 mg/L, soit des doses moyennes de 0, 35, 70 et 130 mg/kg pc/jour chez les mâles (équivalant à 0, 23, 47 et 87 mg NO2-/kg pc/jour) et de 0, 40, 80 et 150 mg/kg pc/jour chez les femelles (équivalant à 0, 27, 53 et 100 mg NO2-/kg pc/jour) durant 2 ans. Le taux de survie des groupes traités était similaire à celui des témoins. Une diminution du poids corporel moyen et de la consommation d'eau a été observée chez les rats mâles et femelles exposés à la plus forte dose, et la consommation d'eau des autres groupes traités était généralement plus faible uniquement après la semaine 14. L'incidence des fibroadénomes dans différents organes était accrue chez les femelles, en particulier dans les glandes mammaires. L'incidence naturelle de ces fibroadénomes est toutefois élevée, et aucune augmentation n'a été relevée à la dose la plus forte. L'incidence de l'hyperplasie de l'épithélium du préestomac était significativement plus élevée chez les mâles et les femelles à la dose la plus forte que chez les témoins. Le NTP (2001) a conclu qu'il n'y avait aucune donnée indiquant que le nitrite de sodium était cancérogène dans les conditions de l'étude.
Une augmentation significative de l'incidence (18 % vs 2 % dans le groupe témoin constitué 11 mois plus tôt, P < 0,002) de papillomes spinocellulaires du préestomac a également été observée chez des rats MRC Wistar des deux sexes exposés à une forte dose de nitrite de sodium (3 000 mg/L dans l'eau potable pendant au moins 1 an) et suivis pendant toute leur vie (Mirvish et coll., 1980).
Lijinsky (1984) a relevé une augmentation significative de l'incidence des tumeurs du foie chez des rats F344 femelles (mais non mâles) qui avaient reçu 2 000 mg/L de nitrite de sodium dans leur eau potable (1 334 mg NO2¯/L) durant 2 ans. Chose intéressante, l'incidence de tumeurs n'a pas augmenté chez des rats Sprague-Dawley également exposés à 2 000 mg/L (1 334 mg NO2¯/L) de nitrite de sodium pendant une période similaire (Taylor et Lijinsky, 1975).
Étude sur l'alimentation et le gavage de souris
Des souris ICR exogames des deux sexes (30 de chaque sexe) ont reçu du nitrite de sodium à raison de 70 mg/kg pc (47 mg NO2-/kg) une fois par semaine par gavage pendant 10 semaines, puis ont vécu sans traitement jusqu'à 18 mois; elles n'ont pas présenté une incidence significativement accrue de tumeurs (lymphomes, tumeurs pulmonaires, hépatiques) (Yoshida et coll., 1993). De même, dans une étude d'alimentation, des souris C57BL/6 mâles et femelles qui avaient reçu du nitrite de sodium (5 000 mg/kg ou 3 335 mg NO2-/kg) dans leur nourriture pendant 1 an n'ont pas présenté une incidence plus forte de tumeurs comparativement aux témoins (Krishna Murthy et coll., 1979). Aucune étude d'alimentation d'une durée de 2 ans chez des souris n'a été publiée.
Étude sur l'administration d'eau potable à des souris
Des souris suisses (40 de chaque sexe) exposées 5 jours/semaine pendant 28 semaines à 1 000 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (dose chronique maximale tolérée dans cette étude) (667 mg NO2¯/L) qui avaient ensuite bu de l'eau de robinet jusqu'à la semaine 40 n'ont pas présenté de tumeurs du poumon (Greenblatt et coll., 1971). Des résultats négatifs ont également été obtenus pour des souris mâles de la souche A (40 par groupe) exposées à 1 000 ou 2 000 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (667 ou 1 334 mg NO2¯/L), 5 jours par semaine pendant 20 à 25 semaines et euthanasiées 10 à 13 semaines plus tard (Greenblatt et Mirvish, 1973).
L'exposition à vie de souris de souche VM (connues pour leur susceptibilité à la formation spontanée de gliomes) à 2 000 mg/L de nitrite de sodium dans leur eau potable tant in utero que durant le reste de leur vie n'a pas accru l'incidence de gliomes cérébraux (Hawkes et coll., 1992).
L'exposition à vie de souris C57BL/6 femelles (avant et durant la grossesse, la lactation et jusqu'à la mort naturelle) et de la progéniture femelle de souris (C57BL/6 × BALB/c)F1 (ci-après appelées B6CF1) à 184 ou 1 840 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 30,7 ou 310 mg/kg pc/jour; 20,5 ou 205 mg NO2-/kg pc/jour) n'a pas entraîné d'augmentation de l'incidence de tumeurs (Anderson et coll., 1985). À noter que des hausses significatives des lymphomes (P = 0,029) et des tumeurs pulmonaires (P < 0,05) ont été observées uniquement chez les souris B6CF1 mâles exposées dès la conception à la dose plus faible de 184 mg/L, mais non à la dose plus élevée de 1 840 mg/L.
Afin de vérifier le pouvoir tumorigène possible du nitrite de sodium, une étude de toxicité chronique a été effectuée chez des souris ICR (50 de chaque sexe par groupe), qui avaient reçu pendant plus de 18 mois de l'eau de boisson contenant 0, 1 250, 2 500 ou 5 000 mg/L de nitrite de sodium (la dose la plus élevée étant la dose maximale tolérée) (équivalant à 0, 834, 1 667 ou 3 335 mg NO2¯/L) (Inai et coll., 1979). Aucune différence dans l'incidence de tumeurs, le temps de développement de chaque tumeur classée histologiquement ni dans le type de tumeur n'a été observée chez les groupes exposés par rapport aux témoins.
Dans une étude de cancérogénicité s'étalant sur 2 ans (NTP, 2001), des souris B6C3F1 (50 de chaque sexe par groupe) ont été exposées chaque jour à de l'eau potable contenant des concentrations de nitrite de sodium de 0, 750, 1 500 ou 3 000 mg/L (égales à des doses moyennes de 0, 60, 120 et 220 mg/kg pc/jour [0, 40, 80 et 147 mg NO2-/kg pc/jour] dans le cas des mâles et de 0, 45, 90 et 165 mg/kg pc/jour [0, 30, 60 et 110 mg NO2-/kg pc/jour] dans le cas des femelles). Dans l'ensemble, il n'y avait aucune différence dans le taux de survie entre les groupes exposés et les témoins, bien que le poids corporel moyen ait été plus faible chez les femelles exposées à la plus forte dose. Les groupes exposés ont généralement consommé moins d'eau que les groupes témoins. L'incidence de papillomes spinocellulaires ou de cancers (combinés) du préestomac chez les souris femelles suivait une « tendance positive liée à la dose » (non statistiquement significative), les fréquences respectives étant les suivantes : 1/50, 0/50, 1/50 et 5/50 à 0, 45, 90 et 165 mg/kg pc/jour (équivalant à 0, 30, 60 et 110 mg NO2-/kg pc/jour). L'incidence de l'hyperplasie de l'épithélium glandulaire de l'estomac était significativement plus élevée chez les mâles exposés à la plus forte dose. À partir des résultats globaux de l'étude, le NTP (2001) a conclu qu'on disposait de données équivoques à l'appui de l'activité cancérogène du nitrite de sodium compte tenu de la tendance positive dans l'incidence des papillomes spinocellulaires et des cancers (combinés) du préestomac.
Promotion du cancer
Le rôle du nitrite dans la promotion du cancer a été étudié. Dans un modèle multi-organes où un effet a été initié au moyen de divers agents cancérogènes à des rats F344 (15 par groupe), une forte dose de nitrite de sodium dans l'eau potable (3 000 mg/L, équivalant à 2 000 mg NO2¯/L) a fortement favorisé le développement de lésions du préestomac mais a inhibé l'apparition de lésions de l'épithélium glandulaire de l'estomac lorsque ces animaux ont reçu des antioxydants phénoliques (catéchol, 3-méthoxycatéchol ou hydroxyanisole butylé) avant ou sans exposition antérieure à des substances cancérogènes. De plus, les effets de promotion de la cancérogenèse exercés par le catéchol dans cette étude étaient évidents uniquement en association avec le nitrite de sodium (Hirose et coll., 1993). La promotion de la cancérogenèse du préestomac par le nitrite de sodium a également été observée dans une étude où des rats Fischer mâles prétraités par la N-méthyl-N′-nitro-N-nitrosoguanidine ont été exposés à 0,3 % de nitrite de sodium dans leur eau potable (Yoshida et coll., 1994).
L'exposition de souris Balb/c à des doses plus faibles de nitrite de sodium dans l'eau potable (0, 5, 50, 500 et 2 000 mg/L, équivalant à 0, 3, 33, 333 et 1 334 mg NO2¯/L) a également accéléré le développement d'une leucémie induite par les virus leucémogènes de Rauscher, Mazurenko et Gross (Ilnitsky et Kolpakova, 1997).
Conclusion
En général, dans la plupart des études examinant le potentiel tumorigène du nitrite de sodium (également les expériences de cancérogenèse transplacentaire) chez des rats (Newberne, 1979; Mirvish et coll., 1980; Maekawa et coll., 1982; Lijinsky et coll., 1983) ou des souris (Inai et coll., 1979; Hawkes et coll., 1992), on n'a observé aucune augmentation significative de l'incidence des tumeurs chez les sujets comparativement à des témoins non traités. Les résultats des études n'ont pas fourni des preuves systématiques de la cancérogénicité du nitrite en soi, parce que les tumeurs signalées dans le tissu lymphatique (Shank et Newberne, 1976; Newberne, 1979), le préestomac (Mirvish et coll., 1980; NTP, 2001) et le foie (Aoyagi et coll., 1980; Lijinsky et coll., 1983; Lijinsky, 1984) n'ont pas été confirmées dans d'autres études (Inai et coll., 1979; Maekawa et coll., 1982; Lijinsky et coll., 1983; Grant et Butler, 1989). Le potentiel cancérogène du nitrite de sodium chez les rongeurs demeure donc controversé.
En soi, le nitrate et le nitrite n'étaient pas cancérogènes chez les animaux de laboratoire dans la plupart des études où seules ces substances ont été administrées (Mirvish et coll., 1980; Lijinsky et coll., 1983; OMS, 2007). Quand du nitrite était administré en même temps que des composés N-nitrosables (ci-après appelés composés nitrosables), soit des amines ou des amides, des tumeurs, un effet mutagène ou d'autres effets toxiques similaires à ceux induits par les CNN cancérogènes (nitrosamines et nitrosamides) ont cependant été enregistrés, ce qui témoigne d'une formation endogène. Ce n'était pas le cas pour l'administration simultanée de nitrate et de composés nitrosables à des rongeurs.
Un vaste éventail d'essais de toxicité, de mutagénicité et de cancérogénicité ont été effectués pour évaluer les effets biologiques de l'administration de composés nitrosables soit avec du nitrate ou avec du nitrite.
La co-administration de nitrate et de composés nitrosables à des rongeurs a donné des résultats négatifs (Greenblatt et Mirvish, 1973; Friedman et Staub, 1976). On dispose toutefois de données suffisantes indiquant que le nitrate doivent être réduits initialement en nitrite, un des précurseurs de la réaction endogène de nitrosation, pour participer à ce processus (CIRC, 2010). Une étude a également montré que les rongeurs (rats et souris) comptaient moins de bactéries dans leur bouche que les humains et sont incapables de réduire le nitrate oraux en nitrite (Mirvish, 1994). En effet, lorsque Fong et coll. (1980) ont exposé des rats Sprague-Dawley (50 mâles par groupe) chroniquement infectés par des souches connues d'E. coli à des doses fixes de nitrate (1 000 mg/L) et d'aminopyrine (1 000 mg/L) dans l'eau potable pendant 1,5 an, ils ont découvert des tumeurs qui n'étaient pas observables chez les rats non infectés. Les auteurs ont laissé entendre que les infections bactériennes jouent un rôle important dans l'induction subséquente de tumeurs chez les animaux dont la nourriture contient de fortes concentrations de nitrate et d'amines. Ainsi, la réduction de nitrate en nitrite par E. coli chez les rats pourrait expliquer les résultats positifs obtenus dans l'étude ci-dessus.
La co-administration de nitrite et de composés nitrosables dans l'eau potable ou la nourriture à des hamsters, des souris et des rats a entraîné des effets toxiques caractéristiques des CNN apparentés (nitrosamines ou nitrosamides). Au nombre de ces effets figuraient des effets généraux, une modification du matériel génétique (réduction de la synthèse d'acide désoxyribonucléique [ADN], méthylation des acides nucléiques) et une augmentation de l'incidence de tumeurs. Le nitrite et les composés nitrosables sont tous deux des précurseurs connus de la formation de CNN. En revanche, l'administration exclusive de précurseurs de CNN n'a pas causé de tels effets (Asahina et coll., 1971; Lijinsky et Greenblatt, 1972; Astill et Mulligan, 1977). Parmi les composés nitrosables étudiés, citons des médicaments, des pesticides et des composés alimentaires (aliments).
Après l'administration orale de précurseurs nitrosables (p. ex. amines secondaires [DMA, méthylbenzylamine] ou des amines tertiaires [aminopyrine]) en même temps que de fortes doses de nitrite de sodium (dans la nourriture ou l'eau potable ou dans diverses combinaisons), des effets toxiques caractéristiques des CNN apparentés ont été observés chez des souris, des rats et des hamsters, notamment : inertie progressive, anorexie, ascite, perte de poids, décès et nécrose hépatique. L'administration de nitrite de sodium ou du précurseur nitrosable seul n'a pas entraîné ces effets (Asahina et coll., 1971; Lijinsky et coll., 1973b; Astill et Mulligan, 1977; Lin et Ho, 1992).
Les auteurs ont laissé entendre que le nitrite peuvent réagir in vivo avec des substances nitrosables pour former des CNN cancérogènes, ce qui pourrait accroître le risque de cancer (Lijinsky et Taylor, 1977; Lijinsky, 1984). Comme il est bien établi que l'estomac est le siège de la réaction de nitrosation, on a présumé, dans la plupart des études, que les CNN avaient été formés à l'intérieur de l'estomac et non dans les aliments, bien que des analyses chimiques des CNN dans les aliments n'aient pas été effectuées. De nombreux composés nitrosables dans l'environnement, notamment des composés alimentaires, des médicaments et des produits chimiques agricoles et industriels ont induit des tumeurs par suite de la formation endogène de CNN lorsqu'ils étaient administrés à des animaux de laboratoire en même temps que du nitrite (Yamamoto et coll., 1989). Dans un certain nombre d'études de toxicité chronique, l'administration orale de nitrite de sodium dans l'eau potable en même temps que certains composés nitrosables dans la nourriture (ou vice versa) ou des deux substances soit dans l'eau potable ou la nourriture a causé diverses tumeurs chez des rats, des souris et des hamsters. Les deux précurseurs (le nitrite de sodium et la substance nitrosable) ont été habituellement administrés séparément ou mélangés juste avant leur administration aux animaux, afin d'éviter toute réaction chimique avant l'ingestion. La plupart de ces combinaisons ont contribué à accroître l'incidence des tumeurs, peu importe la durée de l'exposition (voir les tableaux 2 et 3 ci-dessous).
Comme l'a montré l'étude de Mirvish (1975b), les amines et les amides qui augmentent l'incidence des tumeurs sont nombreuses : n-dibutylamine, diméthylurée, n-méthylaniline, pipérazine, morpholine, butylurée, éthylurée, éthylthio-urée, méthylurée, aminopyrine, bis(2-hydroxypropyl)amine, diphénylamine, heptaméthylèneamine, N-méthylbenzylamine, N-méthylaniline, imidazolidinone et diverses substances chimiques dans l'environnement et médicaments, notamment oxytétracycline, disulfirame, diméthyldodécylamine-N-oxyde, chlorhydrate de diphénylhydramine, N-méthylcyclohexylamine, imidazoline, N-méthyl-N′-nitroguanidine et N6-méthyladénosine. Aucune tumeur n'a été induite par l'administration de nitrite en plus des amines fortement basiques (diéthylamine, DMA et pipéridine) ou de nitrite en plus des amides N-méthylacétamide, N-méthyluréthane, N-éthyluréthane, phénylurée, 1-méthyl-3-acétylurée ou hydantoïne, bien que les dérivés nitroso correspondants soient des agents cancérogènes connus.
Dans certains cas, des extraits d'aliments ont été utilisés comme sources de précurseurs nitrosables, condition qui se rapproche davantage de l'exposition humaine réelle.
Les organes cibles du cancer étaient également variés, notamment le foie, le poumon, le système lymphatique, le préestomac, la vessie et l'utérus (voir les tableaux 2 et 3 ci-dessous). La plupart du temps, les tumeurs qui se développaient présentaient les mêmes caractéristiques que celles induites par les dérivés nitroso présumés des composés nitrosables, ce qui évoque une formation endogène.
Le tableau 2 donne un aperçu sommaire de certaines des études où l'administration de nitrite avec des amines ou des amides à des animaux de laboratoire pendant moins de 1 an (habituellement 10 à 28 semaines) a provoqué un cancer.
CN | Concentration de CN | Concentration de nitrite | Souche, nombre par sexe | Durée d'exposition (semaines) | Résultats | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|
EP (mg/L) | Aliments (mg/kg) | EP (mg/L) | Aliments (mg/kg) | ||||
Abréviations : A, animaux; AMP, aminopyrine; CN, composé nitrosable; DMA, chlorhydrate de diméthylamine; DSF, disulfirame : EP, eau potable; EU, éthylurée; F, femelles; HMI, heptaméthylèneimine; M, mâles; MAni, méthylaniline; Mor, morpholine; MU, méthylurée; Pip, pipérazine; SD, Sprague Dawley; Su, Suisse. Références : A, Lijinsky et coll. (1973b); B, Greenblatt et coll. (1971); C, Lijinsky et Reuber (1980); D, Mirvish et coll. (1972); E, Taylor et Lijinsky (1975); F, Mirvish et coll. (1975); G, Greenblatt et coll. (1973). |
|||||||
Rats à des taux significativement plus faibles de TSH | |||||||
AMP | 0, 250, 1000 | 0, 250, 1000 | SD, F et M | 30-50 | Tumeurs malignes du foieA | ||
DSF | 0, 1000 | 0, 2000 | F344, 20/sexe | 78 | Tumeurs de l'œsophage, de la langue, tumeurs spinocellulaires de l'estomac et tumeurs de la cavité nasaleB | ||
HMI | 0, 2000 | 0, 2000 | SD, 15/sexe | 28 | Tumeurs gastro-œsophagiennes, de la langue, de l'oropharynx, du poumon et de la cavité nasaleA, C | ||
Souris | |||||||
DMA | 5900 | 1000 | Su, 20-40/sexe | 28 | Aucune tumeurD | ||
EU | 0, 1000 | Su, 31-144 A | 28 | Adénomes pulmonairesE | |||
MAni | 1950 | 1000 | Su, 20-40/sexe | 28 | Adénomes pulmonairesD | ||
Mor | 0, 6250, 6330 | 500-2000 | Su, 20-40/sexe | 10-28 | Adénomes pulmonairesD, F | ||
MU | 0, 2680, 5360 | 500- 2000 | Su, 31-144 A | 10-28 | Tumeurs pulmonairesE, F | ||
Pip | 690-18 750 | 50-2000 | Souche A, 40 M | 20-25 | Tumeurs du foieG | ||
Pip | 0-6330 | 500-2000 | Su, 20-40/sexe | 10-28 | Tumeurs pulmonairesD, F |
Le 2-acétyl aminofluorène (AAF) est l'un des composés modèles le plus intensément utilisée pour étudier le métabolisme et la cancérogénicité des arylamides et des amines. Dans une étude de longue durée, Hsu et coll. (1997) ont examiné l'effet du nitrite de sodium sur le pouvoir tumorigène de l'AAF chez des rats Wistar auxquels on avait administré de l'AAF et du nitrite de sodium pendant 12 semaines. Les rats ont été divisés en cinq groupes : le groupe I a servi de témoin; le groupe II a reçu 0,3 % de nitrite de sodium; le groupe III a reçu 0,02 % d'AAF exclusivement; et les groupes IV et V ont reçu et de l'AAF et du nitrite de sodium (0,2 % et 3 %, respectivement) dans leur nourriture. À la fin de l'expérience, tous les rats dans les groupes III, IV et V ont développé un carcinome hépatocellulaire débutant, notamment une hépatomégalie avec des foyers et des nodules néoplasiques de taille variable. Une atteinte grave a été observée chez les rats qui avaient reçu de l'AAF et du nitrite de sodium. L'administration d'AAF pendant 3 mois a élevé les concentrations des protéines c-Fos, c-Jun et c-Myc dans le foie des rats; ces élévations étaient amplifiées significativement (P < 0,001) par le nitrite de sodium.
L'effet sur l'induction du cancer de l'ingestion de poissons et fruits de mer, en particulier le populaire calmar qui contient de fortes concentrations d'amines présentes à l'état naturel, comme la DMA, la triméthylamine (TMA) et l'oxyde de N-triméthylamine(OTMA), a également été examiné. Les rats qui avaient reçu 10 % de calmar (quantité correspondant à 0,19 % de DMA) avec ou sans 0,3 % de nitrite de sodium pendant 10 mois sont devenus languissants et ont présenté une réduction marquée de leur poids corporel et du poids de leur foie. À la fin de cette expérience, une élévation significative des concentrations sériques de l'enzyme hépatique gamma-glutamate transférase a été observée dans les groupes qui avaient reçu à la fois du nitrite de sodium et une espèce nitrosable (calmar ou DMA pur), avec ou sans vitamine C (0,01 < P < 0,02). Deux des 12 rats (16 %) qui avaient ingéré 10 % de calmar seulement ont développé un cancer du foie. L'administration simultanée de 10 % de calmar et de 0,3 % de nitrite de sodium a augmenté l'incidence du cancer du foie à 33 % (4/12); une splénomégalie a également été constatée. L'ajout de 0,3 % de vitamine C à l'alimentation des rats a réduit l'incidence du cancer de 18 % (2/11). Toutefois, l'administration de 0,19 % de DMA seule ou en association avec le nitrite de sodium n'a pas induit de tumeurs chez les rats. Les auteurs ont conclu que certains constituants du calmar autres que la DMA peuvent jouer un rôle dans la cancérogenèse. En effet, d'autres tests ont révélé qu'en plus de la DMA (0,19-0,2 %), le calmar acheté de diverses sources dans cette expérience renfermait des concentrations extrêmement élevées de OTMA (4 %), qui peut également interagir in vivo pour former de la NDMA cancérogène (Lin et Ho, 1992).
L'éthylènethio-urée (ETU) est une des principales impuretés ainsi qu'un produit de la dégradation et du métabolisme des éthylène-bis-dithiocarbamates, fongicides utilisés pour le traitement global des légumes, des plantes et des fruits. Pour examiner sa biotransformation dans l'estomac et l'augmentation résultante de l'incidence des tumeurs, Yoshida et coll. (1993) ont administré par voie orale pendant 10 semaines des doses concomitantes d'ETU (25, 50 et 100 mg/kg pc) et de nitrite de sodium (17,5, 35 et 70 mg/kg pc) par gavage à des souris ICR (30 de chaque sexe par groupe), qu'on a laissées vivre ensuite sans traitement jusqu'à 18 mois après la première dose. Par la suite, ils ont étudié l'effet tumorigène sur certains tissus cibles. Ces traitement ont entraîné un développement plus précoce de tumeurs ou des augmentations proportionnelles à la dose de l'incidence de tumeurs du tissu lymphatique, du poumon, du préestomac, des glandes de Harder et de l'utérus, alors que l'administration exclusive soit d'ETU, soit de nitrite de sodium n'a pas causé d'activité cancérogène.
Dans leur étude quantitative, Greenblatt et Mirvish (1973) ont constaté que le nombre d'adénomes pulmonaires par souris était à peu près proportionnel à la concentration de pipérazine dans les aliments et au carré de la concentration de nitrite dans l'eau potable. Dans cette étude, l'effet tumorigène était très dépendant de la dose; par exemple, si on réduisait la dose des deux substances réagissantes par un facteur de 10, la production de mononitrosopipérazine diminuerait de 1 000 fois.
L'effet de l'administration concomitante de nitrite et d'acides aminés à des rats et à des souris (Garcia et Lijinsky, 1973; Greenblatt et coll., 1973) ou de nitrite et de triméthylamine à des rats (Mirvish, 1975b; Mirvish et coll., 1975) n'était cependant pas significatif.
Dans toutes les études ci-dessus, l'administration exclusive à des animaux de laboratoire de nitrite, d'amines ou d'amides n'entraînait pas la formation de tumeurs.
Certaines des études examinées sont résumées au tableau 3.
CN | Concentration de CN | Concentration de nitrite | Souche, nombre par sexe | Durée d'exposition | Résultats | ||||
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EP | Aliments | EP | Aliments | ||||||
Abréviations : Aln, allantoïne; BHPA, bis(2-hydroxypropyl)amine; Cim, cimétidine; CN, composé nitrosable; DDAO, N oxyde de N, N diméthyldodécylamine; DEA, diéthylamine; DPH, chlorhydrate de diphénhydramine; EP, eau potable; EU, éthylurée; M, mâles; MCP, maléate de chlorphéniramine; Mor, morpholine; MU, méthylurée; S, syrien; SD, Sprague Dawley. Références : A, Lijinsky (1984); B, Yamamoto et coll. (1989); C, Anderson et coll. (1985); D, Sen et coll. (1975); E, Koestner et Denlinger (1975); F, Shank et Newberne (1976); G, Mirvish et coll. (1976); H, Mirvish et coll. (1983); I, Furukawa et coll. (2000); J, van Logten et coll. (1972); K, Olsen et coll. (1984). |
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Composés de synthèse | |||||||||
CAln, CPM, DPH |
0,2 g/L | 0,2 g/L | Rats F344, 20-24 M | À vie | Tumeurs du foie (carcinomes hépatocellulaires et nodules néoplasiques)A | ||||
DDAO | 2 g/L | 2 g/L | |||||||
BHPA | 10 000 mg/kg | 0, 1500, 3000 mg/L | Rats Wistar, 20 M |
À vie | Tumeurs de la cavité nasale, du poumon, de l'œsophage, du foie et de la vessieB | ||||
Cim | Souris B6CF1Tableau 1 note de bas de page a, 40-80 M | À vie | Tumeurs du poumon et du système hématopoïétiqueC | ||||||
DEA | 0, 2000, 4000 mg/L | 0, 400, 800 mg/L | Cobayes, 20 M | 2,5 ans | Aucune tumeurD | ||||
EU, MU |
0,01 %, 0,03 % | 0,3 % | Rat SD, 10/sexe | 2 ans | Tumeurs neurogènes et lymphoïdesE | ||||
Mor | 1000 mg/kg | 1000 mg/kg | Rats SD, 94-172/ sexe |
125 semaines | Carcinome hépatocellulaireF | ||||
Mor | 0, 3000 mg/L | 0, 3000 mg/L | Rats Wistar, 40 M |
2 ans | Tumeurs du foieG | ||||
Mor | 10 000 mg/kg | 2 g/L | Rats Wistar, 40 M |
À vie | Carcinome hépatocellulaireH | ||||
Mor | 1000 mg/kg | 1000 mg/kg | Hamster S, 24-55/sexe | 110 semaines | Carcinomes du foieF | ||||
Extraits d'aliments | |||||||||
Poisson | 8 %, 32 %, 64 % | 0,12 % | Rats F344, 50/sexe | 104 semaines | Adénomes et carcinomes à cellules rénales, proportionnel à la doseI | ||||
Viande | 40 % | 200, 5000 mg/kg | Rats Wistar, 30/sexe | À vie | Aucune tumeurJ | ||||
Viande | 45 % | 200-4000 mg/kg | Aucune tumeurK |
Certaines études ont montré que l'incidence de tumeurs est réduite par certaines substances alimentaires, telles que la vitamine C (Mirvish et coll., 1975, 1976, 1983; Chan et Fong, 1977; Mokhtar et coll., 1988), l'acide gallique (Mirvish et coll., 1975), le soja (Mokhtar et coll., 1988) ou l'extrait de thé (Xu et Chi, 1990). La capacité de ces diverses substances de réduire les tumeurs dépendrait de certains facteurs comme la dose administrée, le moment de l'administration (efficacité nulle si le CN est déjà formé) de même que la présence d'autres substances durant l'administration.
Dans la plupart des études susmentionnées, des doses incroyables de nitrite et d'amines ou d'amides ont été utilisées, qui n'ont rien à voir avec l'exposition humaine normale (Lijinsky, 1984; Bartsch et coll., 1988); rares sont les enquêtes où on s'est servi de faibles doses (Mirvish, 1975b). En outre, les résultats indiquent que l'organe cible des tumeurs dépend non seulement de l'espèce et de la souche de l'animal testé, mais également de la nature du composé nitrosable étudié et probablement de sa dose. Enfin, un des plus importants aspects de l'exposition combinée au nitrite et à des composés nitrosables est le vaste éventail d'organes cibles (tableaux 1 et 2).
Les résultats de ces études évoquent l'existence d'un rôle de la nitrosation endogène dans la tumorigenèse, parce que les auteurs ont parfois constaté que les tumeurs observées présentaient des caractéristiques similaires à celles induites par les dérivés nitroso des composés nitrosables testés (Yamamoto et coll., 1989).
Il a été établi que l'administration concomitante de nitrite et de composés nitrosables était mutagène, induisait des modifications génétiques soit par réduction de la synthèse de l'ADN ou par méthylation des acides nucléiques (Montesano et Magee, 1971; Friedman et Staub, 1976).
Après l'administration par gavage de [14C]méthylurée en plus de nitrite à des rats, de la 7-[14C]méthylguanine a été détectée dans les acides nucléiques de l'estomac, de l'intestin et du foie, présence qui a été attribuée à la formation de [14C]méthylnitroso-urée (Montesano et Magee, 1971). De même, après l'administration par gavage de DMA en plus de nitrite à des souris, une méthylation en position 7 de la guanine (7-[14C]méthylguanine) et une inhibition de la synthèse de l'acide ribonucléique (ARN) et des protéines ont été observées dans le foie et imputées à la formation de NDMA (Friedman et coll., 1972). Gombar et coll. (1983) ont également pu détecter de la 7-[14C]méthylguanine dans l'urine de rats Wistar mâles qui avaient reçu par gavage de très faibles doses de [14C]aminopyrine et de nitrite de sodium : 0,3 et 0,053 mg/kg pc (équivalant à 0,035 mg NO2-/kg pc), respectivement.
Friedman et Staub (1976) ont évalué l'effet mutagène de l'administration combinée par voie orale de méthylurée (2 000 mg/kg pc) et de nitrite de sodium (0, 100 ou 150 mg/kg pc, équivalant à 0, 67 ou 100 mg NO2-/kg pc) dans l'eau potable en mesurant l'absorption de la [3H]thymidine dans l'ADN testiculaire de souris suisses mâles (synthèse de l'ADN testiculaire). La synthèse de l'ADN a été quantifiée 3,5 heures après l'administration du médicament en calculant l'absorption dans l'ADN d'une perfusion pendant 30 minutes de 0,37 MBq de [3H]thymidine. L'administration par voie orale à des souris suisses (quatre par groupe) de combinaisons de 2 000 mg/kg pc de méthylurée et de 150 mg/kg pc de nitrite de sodium (équivalant à 100 mg NO2-/kg pc) a entraîné la synthèse gastrique de nitrosométhylurée et a inhibé la synthèse de l'ADN testiculaire de 83 %. Les combinaisons de 1 000 mg/kg pc de méthylurée et de 100 mg/kg pc de nitrite de sodium (équivalant à 67 mg NO2-/kg pc) a inhibé de 75 % la synthèse de l'ADN. Lorsqu'on combinait la DMA et le nitrite de sodium, ce qui provoquait la synthèse gastrique de NDMA, des inhibitions de 65 % et de 57 % ont été observées à des concentrations de DMA de 2 000 mg/kg pc et de nitrite de sodium de 150 mg/kg pc (équivalant à 100 mg NO2-/kg pc) ainsi qu'à des concentrations de 1 000 mg/kg pc de DMA et de 100 mg/kg pc de nitrite de sodium (équivalant à 67 mg NO2-/kg pc), respectivement. Dans des expériences distinctes, la NDMA (50 mg/kg pc, par voie orale) et la N-nitrosodiéthylamine (100 mg/kg pc, par voie intrapéritonéale) ont inhibé l'absorption de thymidine de 30 % et de 89 %, respectivement.
La synthèse non programmée de l'ADN (UDS) était significativement accrue dans les leucocytes de six des 10 sujets après divers repas consistant en viande salaisonnée ou en poisson et légumes (renfermant diverses quantités de nitrate, de nitrite et de nitrosamines), bien qu'aucune corrélation n'ait pu être établie avec les concentrations de nitrate, de nitrite ou de nitrosamines alimentaires ni avec les taux sanguins de nitrosamines (Kowalski et coll., 1980). Dans une autre étude, Miller (1984) a découvert que le nitrite ingérés (contenus dans la salade) n'avaient aucun effet sur le niveau d'UDS dans les leucocytes en circulation après la consommation par des sujets humains (10 hommes, 10 femmes) d'un repas renfermant des amines. L'auteur a conclu que bien que l'UDS parfois observée après un repas puisse être associée à une lésion de l'ADN induite par des CNN formés in vivo, le nitrite alimentaire n'est pas en soi directement responsables.
Dans des tests sanguins avec cellules hôtes chez la souris, l'administration combinée de nitrite et de DMA, de morpholine ou d'aminopyrine a induit une activité mutagène dans les micro-organismes testés, Salmonella typhimurium dans le cas de la DMA et de la morpholine et Schizosaccharomyces pombe dans le cas de l'aminopyrine (Edwards et coll., 1979; Whong et Ong, 1979; Whong et coll., 1979; Barale et coll., 1981).
Inui et coll. (1978, 1980) ont exposé des hamsters syriens à diverses doses de nitrite de sodium et de morpholine ou d'amidopyrine in utero en administrant par voie orale ces substances aux mères. Des mutations génétiques, objectivées par la formation de micronoyaux et la transformation morphologique ou maligne des cellules, ont été observées dans des cellules embryonnaires cultivées, fort probablement à cause de l'activité transplacentaire des nitrosamines formées par voie endogène chez les mères. Il n'y avait aucune augmentation des aberrations chromosomiques.
Gatehouse et Tweats (1982) ont effectué le test NAP (nitrosation assay procedure) en ajoutant 40 mmol de nitrite de sodium par litre au suc gastrique normal à l'état de jeûne de volontaires humains en santé non traités. Les données montrent clairement qu'un tel traitement provoque la formation de dérivés ayant une activité mutagène spécifique pour S. typhimurium TA1537 (la souche recommandée pour le test NAP), mais non pour S. typhimurium TA1535 ou TA98. Une telle activité peut résulter de la nitrosation de phénols, de carbazoles et d'indoles, qui sont présents à l'état naturel dans le suc gastrique. Dans ces expériences, la formation de concentrations détectables d'espèces mutagènes dans le suc gastrique à jeun n'était cependant détectable qu'à des doses de nitrite qui dépassaient de 2 000 fois les concentrations normalement attendues in vivo et de 300 fois celles obtenues après un repas riche en nitrite.
Le traitement de certains de ces produits alimentaires (poisson, haricots, borscht) au moyen de nitrite de sodium (1 000 et 5 000 mg/kg, équivalant à 667 et 3 334 mg NO2-/kg) à un pH de 3,0 a entraîné l'apparition d'une activité mutagène dans S. typhimurium en présence et en l'absence d'un système d'activation métabolique. Les activités mutagènes de produits de nitrosation d'aliments japonais (après traitement par du nitrite à un pH de 4,2) ont également été observées dans S. typhimurium, avec et sans activation métabolique (Marquardt et coll., 1977; Weisburger et coll., 1980).
On s'est beaucoup intéressé dans la presse scientifique à la capacité des médicaments contenant des amines de produire des CNN mutagènes par le processus de nitrosation. En effet, la plupart des CNN formés par des médicaments nitrosables ont produit une réponse positive dans un ou plusieurs tests de génotoxicité à court terme (Brambilla et Martelli, 2005, 2007). Andrews et coll. (1980) ont montré que les produits de la nitrosation de plusieurs médicaments (traitement par du nitrite de sodium dans un milieu acide) possédaient une activité mutagène dans un test sur bactérie faisant appel à S. typhimurium. Dans sa recension, Brambilla (1985) a noté que les produits de la nitrosation de plusieurs médicaments (après traitement par du nitrite en milieu acide) a causé une fragmentation de l'ADN dans des cellules d'ovaire de hamster chinois in vitro.
Dans une vaste recension, Brambilla et Martelli (2007) ont constaté que 173 des 182 (95 %) médicaments examinés dans diverses conditions expérimentales afin de mesurer leur capacité de réagir avec le nitrite ont formé des CNN ou d'autres espèces réactives. En outre, 136 médicaments administrés soit en association avec du nitrite, soit avec leur produit de nitrosation ont été étudiés dans des tests de génotoxicité à court terme ou dans des tests de cancérogenèse à long terme visant à établir leurs effets génotoxiques et cancérogènes, et 112 d'entre eux (82,4 %) ont produit au moins une réponse positive. Dans le cas des dérivés N-nitroso de 26 médicaments, il était possible de calculer le potentiel génotoxique correspondant à partir des résultats d'études sur leur capacité d'induire une fragmentation de l'ADN dans des cellules d'ovaire de hamster chinois cultivées ou dans des cultures primaires de rats et d'hépatocytes humains. Le potentiel estimatif de lésions de l'ADN a été mesuré dans cette recension : 12 des 23 médicaments (52 %) formaient des CNN qui exerçaient des effets nocifs plus puissants que la méthylnitroso-urée sur l'ADN de cellules d'ovaire de hamster chinois, et six des huit médicaments (75 %) ont produit des CNN qui altéraient plus fortement que la NDMA l'ADN d'hépatocytes primaires de rat. Il ressort donc qu'au moins dans les tests examinés, les CNN formés par certains médicaments se caractérisent par un potentiel génotoxique supérieur à celui des CNN classés par le CIRC (1987) comme probablement cancérogènes pour les humains (c.-à-d. NDMA, N-nitrosodiéthylamine et méthylnitroso-urée).
La mutagénicité et la génotoxicité du nitrate et du nitrite ont été abondamment examinées dans une autre étude (CIRC, 2010). En général, les résultats ne sont pas constants pour le nitrate, mais les données dans le cas du nitrite militent pour la plupart en faveur d'un effet génotoxique.
Nitrate
Un examen de cellules embryonnaires de hamsters syriens visant à détecter la formation de micronoyaux, les aberrations chromosomiques, la transformation morphologique ou maligne de cellules et une mutation pharmacorésistante n'a révélé aucune anomalie (Tsuda et coll., 1976). Le nitrate de sodium administré à des souris par intubation gastrique a produit des résultats négatifs pour l'UDS dans des spermatides précoces à intermédiaires et ne semblait pas produire d'anomalie dans les spermatozoïdes (Alavantic et coll., 1988).
Par contre, lorsque des rats ont reçu par voie intragastrique du nitrate de sodium, des augmentations de la fréquence d'aberrations chromosomiques dans la moelle osseuse ont été signalées. Ces résultats étaient moins prononcés chez la souris (Alavantic et coll., 1988).
Nitrite
La transformation morphologique de cellules embryonnaires de hamster in utero a été observée après l'exposition à du nitrite (Inui et coll., 1979). Des résultats négatifs ont été obtenus lorsque la muqueuse pylorique de rats exposés par voie orale à du nitrite de sodium a été examinée pour détecter des cassures monocaténaires ou une synthèse non programmée de l'ADN. Il convient toutefois de noter qu'une anomalie de la tête des spermatozoïdes a été décelée après le traitement (Alavantic et coll., 1988; Ohshima et coll., 1989).
Des aberrations chromosomiques dans des cellules de moelle osseuse de rat, de souris et de chinchilla ont été signalées après une exposition au nitrite (El Nahas et coll., 1984; Luca et coll., 1987; Alavantic, 1988; Ohshima et coll., 1989) ainsi que dans des cellules de foie d'embryons après l'exposition de rates gravides (El Nahas et coll., 1984). À l'inverse, des résultats négatifs pour les aberrations chromosomiques ont été obtenus après une exposition in utero de hamsters (Inui et coll., 1979).
Nitrate
Les tests de mutagénicité du nitrate de sodium et de potassium au moyen de la méthode d'Ames ont donné des résultats négatifs dans S. typhimurium (Ishidate et coll., 1984).
Les tests de détection d'aberrations chromosomiques ont produit des résultats variables pour le nitrate de sodium, car aucune cassure monocaténaire n'a été induite dans l'ADN de cellules V79 de hamster chinois (Gorsdorf et coll., 1990), mais des résultats positifs ont été obtenus dans des fibroblastes de hamster chinois (Ishidate et coll., 1984). Il importe toutefois de noter que le nitrate de potassium (et le chlorure de sodium) a donné des résultats négatifs dans la même étude, ce qui semble indiquer que les effets observés étaient dus à des changements dans l'osmolarité (CIRC, 2010).
Nitrite
Des résultats positifs au test d'Ames ont été obtenus tant pour le nitrite de sodium que pour le nitrite de potassium dans diverses souches de S. typhimurium (Ishidate et coll., 1984; Brams et coll., 1987; Prival et coll., 1991; Zeiger et coll., 1992; Balimandawa et coll., 1994). Le nitrite de sodium a également donné des résultats faiblement positifs dans le test UMU (Nakamura et coll., 1987). Des résultats positifs ont été enregistrés pour ce composé dans le SOS chromotest (CIRC, 2010).
Bien que des cassures monocaténaires de l'ADN n'aient pas été observées dans des cellules cultivées (carcinome mammaire de souris ou V79 de hamster chinois) traitées par du nitrite de sodium, ce dernier a induit des anomalies chromosomiques dans un certain nombre de lignées cellulaires de différentes espèces, y compris des cellules V79 de hamster chinois, les fibroblastes de hamster chinois, des cellules de carcinome mammaire de souris C3H, des cellules embryonnaires de hamster syrien et des hépatocytes fœtaux de singe vert africain (Kodama et coll., 1976; Tsuda et Kato, 1977; Ishidate et coll., 1984; Budayová, 1985; Luca et coll., 1987). Le nitrite de sodium a également induit des mutants résistant à la 6 thioguanine et à la 8 azaguanine dans des cellules V79 de hamster et des cellules de carcinome mammaire de souris, respectivement (Tsuda et coll., 1976; Tsuda et Hasegawa, 1990). Des résultats positifs ont été obtenus pour l'aneuploïdie dans des cellules embryonnaires de hamster syrien (Tsuda et coll., 1976).
Aucun effet sur les paramètres de la fertilité lié au traitement n'a été relevé dans des études sur des paires d'animaux exposés à du nitrite de sodium et du nitrite de potassium, mais aucune étude n'a suivi un protocole standard pour examiner la reproduction multigénérationnelle. Ces études ont évalué l'exposition au nitrate/nitrite de paires d'animaux avant leur accouplement jusqu'au sevrage chez des souris CD-1 (nitrite de sodium dans l'eau potable à des concentrations de 0, 125, de 260 et 425 mg/kg pc/jour, équivalant à 0, 83,4, 173,4 ou 283,5 mg NO2-/kg pc/jour; NTP, 1990), chez des souris CD-1 et des rats Sprague-Dawley (mélange de 1×, 10× et 100× la concentration médiane de nitrate d'ammonium mesurée dans des enquêtes sur l'eau souterraine; Heindel et coll., 1994), chez des souris C57BL/6 (nitrite de sodium dans l'eau potable à des concentrations de 0, 30,7 ou 310 mg/kg pc/jour, équivalant à 0, 20,5, 206,8 mg NO2-/kg pc/jour; Anderson et coll., 1985), chez des rats SD (nitrate de sodium dans les aliments à des concentrations de 0 %, 0,0125 %, 0,025 % ou 0,05 % p/p; Vorhees et coll., 1984), et chez des rats Wistar (nitrite de sodium dans les aliments à des concentrations de 0, 5, 25 ou 100 mg/kg pc, équivalant à 0, 3,3, 16,7 ou 66,7 mg NO2-/kg pc/jour; Olsen et coll., 1984). Au nombre des paramètres examinés dans ces études figuraient le nombre moyen de portées par paires, le nombre de jours jusqu'à la mise bas, la taille moyenne des portées, la viabilité des petits, le cycle œstral après la mise bas, la durée de la gestation, le ratio mâles/femelles chez les petits, les malformations externes, le moment de l'ouverture vaginale chez la progéniture femelle, le poids moyen des petits et la survie des petits.
Les cycles œstraux des souris femelles étaient cependant significativement plus longs chez celles qui avaient été exposées à 1 500 et 5 000 mg/L de nitrite de sodium (équivalant à 1 000 et 3 334 mg NO2¯/L) mais n'étaient pas modifiés chez les souris exposées à 375 ou 750 mg/L de nitrite de sodium (équivalant à 250 ou 500 mg NO2¯/L) dans l'eau potable pendant 14 semaines; aucune différence significative dans les paramètres de la cytologie vaginale après 14 semaines d'exposition ni de modifications histopathologiques notables dans les organes reproducteurs après 2 ans d'exposition n'ont été signalées (NTP, 2001).
Certaines données obtenues à de fortes doses de nitrite de sodium et de nitrate de sodium confirmaient et d'autres infirmaient l'existence d'une dégénérescence testiculaire et d'une réduction de la motilité des spermatozoïdes chez les rats et les souris mâles. Une diminution significative de la motilité des spermatozoïdes a été observée chez des rats et des souris mâles exposés à 5 000 mg/L (3 334 mg/L de nitrite de sodium) et une dégénérescence testiculaire chez des souris mâles exposées à 3 000 ou 5 000 mg/L de nitrite de sodium (2 000 ou 3 334 mg NO2¯/L) dans l'eau potable pendant 14 semaines; aucune modification histopathologique notable des organes reproducteurs n'a été enregistrée chez l'une ou l'autre espèce exposée pendant 2 ans via l'eau potable (NTP, 2001). Le nombre et la motilité des spermatozoïdes de même que l'activité des marqueurs enzymatiques de la spermatogenèse étaient significativement réduits après l'exposition par voie orale de rats suisses albinos mâles à 50, 100 ou 200 mg/kg pc/jour de nitrate de sodium (équivalant à 36,45, 72,9 ou 145,8 mg NO3-/kg pc/jour) pendant 60 jours, comparativement à des témoins; une diminution du poids testiculaire et des changements histopathologiques n'étaient significatifs qu'aux deux doses les plus élevées (Aly et coll., 2010). Une baisse du nombre et de la motilité des spermatozoïdes chez des souris exposées à 225-270 mg/kg pc/jour de nitrate de potassium (équivalant à 138-165,8 mg NO3-/kg pc/jour) pendant 35 jours a également été signalée, mais aux concentrations de 175-210 mg/kg pc/jour (équivalant à 107,45-128,9 mg NO3-/kg pc/jour), il n'y avait pas d'effets sur le poids des testicules, de l'épididyme ou des organes annexes (Pant et Srivastava, 2002). Grant et Butler (1989) ont souligné que plus la dose de nitrite de sodium était élevée (0,2 % ou 0,5 % p/p; 50 rats F344 par dose), plus l'hyperplasie des cellules testiculaires augmentait chez des rats exposés pendant 115 semaines par voie alimentaire comparativement aux témoins (n = 20); les résultats ne sont pas toutefois statistiquement significatifs et les auteurs ont indiqué que les résultats pourraient être influencés par les déséquilibres hormonaux chez les rats âgés.
L'exposition in utero de souris à des doses de nitrite de sodium de 20 à 243 mg/kg pc/jour (équivalant à 13,3 à 162 mg NO2-/kg pc/jour) n'a pas donné des résultats clairs ou constants indiquant des effets indésirables sur des paramètres de la viabilité fœtale, le poids, le ratio mâles/femelles ou la fréquence de malformations externes ou internes (Globus et Samuel, 1978; Shimada, 1989). Des changements significatifs dans l'érythropoïèse hépatique ont été observés, mais aucune altération persistante des globules rouges matures n'a été constatée; les conséquences sur le plan fonctionnel de ces résultats demeurent donc obscures (Globus et Samuel, 1978). Les trois études ont traité d'une partie importante de l'organogenèse (jours de gestation 6-18) et ont examiné l'exposition par voie orale (gavage ou eau potable).
L'exposition in utero de cobayes à 45, 50, 60 ou 70 mg/kg pc de nitrite de sodium (équivalant à 30, 33,3, 40, 46,7 mg NO2-/kg pc) par voie sous-cutanée a causé l'avortement spontané des portées; la co-administration de bleu de méthylène, un antagoniste de la méthémoglobine, a exercé un effet protecteur sur les fœtus (Kociba et Sleight, 1970; Sinha et Sleight, 1971). En outre, ni le nitrite de sodium (45 ou 50 mg/kg) en présence d'acide ascorbique ni le déficit en acide ascorbique à lui seul n'étaient associés à une surincidence d'avortements; combinés ensemble, ils ont toutefois entraîné un taux de mortalité de 83 % (Kociba et Sleight, 1970). Aucune anomalie macroscopique n'a été observée dans les fœtus vivants ou avortés. L'exposition prénatale à une dose de 300 à 10 000 mg de nitrite de potassium nitrite/L (équivalant à 162 à 5 410 mg NO2¯/L) dans l'eau potable bue par la mère a provoqué 3 à 100 % de pertes fœtales à toutes les doses, le pourcentage augmentant par rapport à celui chez les témoins plus la dose était élevée (Sleight et Atallah, 1968).
Dans une série d'études où des rates gravides ont été exposées à 2 000 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 1 334 mg NO2¯/L) à partir du 13e jour de gestation jusqu'à la mise bas, on a relevé des altérations dans les paramètres neurocomportementaux (Nyakas et coll., 1990, 1994a, 1994b). Parmi les paramètres touchés, citons un trouble de l'apprentissage discriminant et la rétention durable de l'évitement passif, l'activité en champ libre, l'hyperréactivité à un choc aux pattes, une réponse prolongée au stress et la croissance de fibres nerveuses; les effets ont été prévenus ou atténués par l'administration de nimodipine (agent antihypoxique, neuroprotecteur). Dans d'autres études où du nitrite de sodium a été administré à des rates gravides et lactantes, aucun effet sur le poids de naissance n'a été observé, mais la taille moyenne de la portée était plus faible après que les rates gravides eurent été exposées à 2 000 ou 3 000 mg/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 1 334 ou 2 000 mg NO2¯/L); aucune statistique n'a cependant été fournie (Shuval et Gruener, 1972). L'exposition prénatale et postnatale à 0, 0,5, 1,0, 2,0 ou 3,0 g/L de nitrite de sodium dans l'eau potable (équivalant à 0, 0,22, 0,67, 1,33 ou 2 g NO2¯/L) n'a eu aucun effet sur le poids prénatal des petits, mais on a signalé des effets indésirables sur la croissance postnatale des petits, une augmentation de la mortalité et une altération des paramètres hématologiques (teneur en hémoglobine, nombre de globules rouges et volume globulaire maximal) (Roth et coll., 1987; Roth et Smith, 1988). Les auteurs ont indiqué que ces effets indésirables résultaient d'une carence grave en fer, qui peut être atténuée ou éliminée par une supplémentation de fer (Roth et Smith, 1988). Aucun effet indésirable sur le poids des petits, aucune augmentation des malformations morphologiques ni hausse de la mortalité n'ont été observés chez des rats qui avaient reçu 0, 6, 47 ou 580 mg de nitrite de sodium (équivalant à 0, 4, 31, 387 mg NO2¯) par kg de viande dans leur alimentation (Olsen et coll., 1984). De plus, aucune malformation externe ni mortalité de leurs petits après le sevrage n'ont été relevées chez les rates qui avaient été exposées au nitrite de sodium dans leurs aliments (0 %, 0,0125 %, 0,025 % ou 0,05 % p/p) 14 jours avant l'accouplement et jusqu'à la lactation; le traitement était cependant associé à une augmentation de la mortalité des petits avant le sevrage et à une diminution de l'activité locomotrice en champ libre à la dose la plus forte (Vorhees et coll., 1984).
Une recension ancienne des études sur des animaux de laboratoire (Fan et coll., 1987) n'a pas démontré l'existence d'effets tératogènes attribuables à l'ingestion de nitrite et de nitrate. Des effets indésirables sur la reproduction et le développement sont survenus à des doses estimées comme étant 1 000 fois plus fortes que l'apport estimatif chez les humains. Les effets du nitrate et du nitrite de sodium et de potassium ont été évalués chez des rats, des souris, des lapins, des cobayes et des hamsters. Dans une recension des études animales, Manassaram et coll. (2006) ont conclu que l'exposition à de fortes doses de nitrate et de nitrite entraîne des effets indésirables sur la reproduction et le développement.
Des agents nitrosants (AN; forme NxOy) peuvent réagir dans certaines conditions avec des composés nitrosables (CN) pour former des N-nitrosamines et des N nitrosamides (ci après appelées nitrosamines et nitrosamides), regroupées sous le terme composés N-nitroso (CNN) :
AN + CN → CNN
Cette réaction est appelée N-nitrosation ou simplement nitrosation. Les êtres humains sont exposés à divers types d'agents nitrosants via les aliments, l'eau potable et la fumée de tabac. Ces substances peuvent aussi être synthétisées par voie endogène à partir de nitrate et nitrite ingérés (Bartsch et coll., 1988; Brambilla et Martelli, 2005).
La cancérogénicité d'environ 300 CNN a été testée; 85 % des 209 nitrosamines et 92 % des 86 nitrosamides examinés induisaient le cancer (Montesano et Bartsch, 1976). Dans diverses études portant sur différents CNN, l'effet cancérogène a été démontré dans 36 espèces différentes de poissons, de reptiles, d'oiseaux et de mammifères, dont cinq espèces de primates (Montesano et Bartsch, 1976; Gangolli et coll., 1994; Brown, 1999; Vermeer et Van Maanen, 2001). Chez les rongeurs, le nitrosamines causaient surtout des tumeurs du foie, du rein, de l'œsophage, de la cavité buccale, de la cavité nasale, du poumon, de la trachée, de la vessie, du pancréas et de la thyroïde, alors que le nitrosamides provoquaient des tumeurs du système lymphatique (leucémie myélocytaire aiguë et lymphome à cellules T et B) et du système nerveux (lorsqu'elles étaient administrées par voie orale), des tumeurs glandulaires de l'estomac, des tumeurs de l'intestin grêle, des os et de la peau (Mirvish, 1991, 1995). Les CNN représentent donc une classe versatile d'agents cancérogènes (NAS, 1981; Shephard et coll., 1987; Bartsch et coll., 1988), car aucun autre groupe de substances cancérogènes n'induit une telle diversité de tumeurs (Mirvish, 1995).
Comme l'ont montré Mirvish (1975b) et Shephard et coll. (1987), des nitrosamines peuvent être formées à partir de différents composés amino, notamment des amines secondaires (dialkyles, alkylaryles, diaryles ou amines cycliques secondaires), et du nitrosamides peuvent être formés à partir d'amides secondaires et tertiaires (urées substituées en position N, N-alkylurées, N-alkylcarbamates, uréthanes et N-alkylamides simples). Durant la réaction de nitrosation, tous ces composés amino agissent comme des composés nitrosables.
Les amines secondaires constituent des substrats importants des CNN, car elles sont abondantes dans les aliments. Le poisson, par exemple, contient des quantités relativement importantes de l'amine secondaire DMA. Comme la TMA, la DMA est un produit de dégradation courant de l'OTMA, un produit final du métabolisme de l'azote dans le poisson (Zeisel et coll., 1985). Des amines secondaires peuvent également se former dans l'estomac après la digestion d'aliments contenant des alkylamines, tels que la viande ou d'autres protéines (Addiscott et Benjamin, 2004). Enfin, comme c'est le cas des amines tertiaires, plusieurs amines secondaires sont utilisées comme médicaments et pesticides.
Les amines tertiaires peuvent également subir une nitrosation dans des conditions légèrement acides, par exemple dans l'estomac de mammifères durant la digestion d'un repas (Mirvish, 1975b; Lijinsky et Reuber, 1980; Lijinsky, 1984; Bartsch et coll., 1988). Mirvish (1975b) a indiqué que cette nitrosation in vivo d'amines tertiaires simples ne se révélera pas probablement importante sur le plan biologique, car leur taux de réaction est habituellement plus faible. Néanmoins, sur le seul plan quantitatif, elles pourraient demeurer une source importante de nitrosamines, parce que de nombreux médicaments sont des amines tertiaires (Lijinsky et Reuber, 1980). Les amines tertiaires revêtent donc un intérêt particulier.
La nitrosation des urées et des carbamates peut aussi jouer un rôle important, car bon nombre de ces composés sont utilisés comme médicaments et comme insecticides (Mirvish, 1975b).
Certaines amines primaires, telles que la tyramine (présente dans le fromage), semblent également réagir avec le nitrite pour donner des composés diazo, qui se sont révélés mutagènes et cancérogènes (Bartsch et coll., 1988).
Il existe d'autres composés nitrosables et sources possibles de CNN, notamment les amidines, les cyanamides, les guanidines, les hydroxylamines, les hydrazines, les hydrazones et les hydrazides (Crespi et Ramazzotti, 1991).
Les composés amino qui peuvent interagir avec les agents nitrosants pour former des CNN se retrouvent partout dans l'environnement humain. Les aliments, les médicaments, les cosmétiques, les pesticides et les produits du tabac sont tous des sources importantes de composés amino nitrosables (Kamm et coll., 1975; Montesano et Bartsch, 1976; Brambilla et Martelli, 2005). En plus des sources exogènes, certaines espèces nitrosables (p. ex. DMA, pipéridine, pyrrolidine) sont synthétisées dans le corps (Montesano et Bartsch, 1976; Tannenbaum et coll., 1991). Les humains sont donc exposés à des sources omniprésentes (exogènes et endogènes) de divers composés contenant des amines, qui peuvent potentiellement réagir avec des agents nitrosants pour produire des CNN (Shephard et coll., 1987; Bartsch et coll., 1988).
Les personnes peuvent être exposées soit à des CNN préformés (par voie exogène) soit à des CNN endogènes (via la nitrosation endogène) (Crespi et Ramazzotti, 1991). L'exposition humaine à des CNN préformés survient habituellement par le biais des aliments (viandes et poissons conservés, bière), de certains milieux professionnels et de l'utilisation de produits de consommation et du tabac (Brambilla et Martelli, 2005; Ward et coll., 2005a). Nous ne traiterons pas dans le présent document des CNN préformés.
La nitrosation endogène emprunte plusieurs mécanismes, notamment la formation catalysée par un acide (en particulier dans le milieu acide de l'estomac) et médiée par des cellules (bactéries et cellules immunitaires; à un pH neutre) (Ohshima et Bartsch, 1994; Mirvish, 1995; CIRC, 2010).
Ainsi, les CNN peuvent être formés dans plusieurs conditions à l'intérieur des produits alimentaires ou du corps. Nous n'aborderons cependant dans le présent document que la nitrosation endogène, par réaction du nitrite à des composés nitrosables.
Bien que la contribution relative de la nitrosation endogène (catalysée par des acides et médiée par des cellules) à l'exposition totale aux CNN n'ait pas été encore parfaitement élucidée, la synthèse endogène de CNN a été citée comme la plus grande source d'exposition aux CNN dans la population générale (Shephard et coll., 1987; Bartsch et coll., 1988; Crespi et Ramazzotti, 1991; NRC, 1995; Fristachi et Rice, 2007). Deux mécanismes de nitrosation endogène sont responsables d'environ 40 à 75 % de l'exposition humaine totale aux CNN, même si la plupart des facteurs en cause n'ont pas encore été bien caractérisés (Crespi et Ramazzotti, 1991; Tricker, 1997; Jakszyn et coll., 2006).
La chimie de la formation de CNN a été étudiée à fond, et un certain nombre de recensions ont été publiées (Mirvish, 1975b; Shephard et coll., 1987; Bartsch et coll., 1988). Il semble que l'interaction de composés nitrosables (également appelés précurseurs nitrosables) avec le nitrite dans l'estomac humain pourrait donner naissance à des CNN cancérogènes, dont la formation pourrait accroître le risque de cancer (Lijinsky, 1984).
Pour qu'une nitrosation survienne chez des humains en santé, il faut habituellement que le nitrite avalés avec la salive soient convertis d'abord en acide nitreux (HNO2, pKa 3,37) dans les conditions acides de l'estomac (Mirvish, 1975b; Brambilla et Martelli, 2007). La nitrosation catalysée par un acide dans l'estomac, qui est une réaction non enzymatique, a donc généralement été considérée comme la voie la plus importante de formation endogène de CNN (Leaf et coll., 1989).
L'acide nitreux est instable et se transforme spontanément en une espèce nitrosante active, l'anhydride nitreux (N2O3). L'anhydride nitreux, formé à partir de deux molécules d'acide nitreux, est un puissant agent nitrosant capable de donner NO+ à des amines secondaires et tertiaires pour former des nitrosamines (Mirvish, 1975b; Leaf et coll., 1989). Cette réaction subséquente de nitrosation se produit particulièrement rapidement avec les amines secondaires faiblement basiques (p. ex. morpholine, pipérazine, N-méthylaniline; Mirvish, 1975b).
Certains composés nitrosables (p. ex. amides, guanidines, carbamates, alkylurées, urées) ne sont pas assez réactifs pour être facilement nitrosés par l'anhydride nitreux. Il se peut aussi que l'acide nitreux soit protoné en ion de l'acide nitreux (H2NO2+, acide nitreux protoné), qui réagit directement avec les amides neutres pour former du nitrosamides. Habituellement, ces réactions sont assez lentes à un pH supérieur à 3, mais elles s'accélèrent progressivement plus l'acidité augmente (Mirvish, 1975b). Pour la plupart des amides, la vitesse de réaction augmente par un facteur d'environ 10 chaque fois que le pH baisse de 1 unité à partir de 3 jusqu'à 1. Le taux de formation de nitrosamides est ensuite proportionnel aux concentrations d'amides et de H2NO2+, la concentration de ce dernier étant proportionnelle à celle du nitrite (Mirvish, 1975b).
La nitrosation n'est pas influencée uniquement par le pH intragastrique (c.-à-d. l'acidification dans l'estomac), mais également par la présence de catalyseurs (Bartsch et coll., 1988), notamment des enzymes bactériennes et plusieurs anions nucléophiles (thiocyanates [SCN] et halides) (Crespi et Ramazzotti, 1991). La réaction d'amines avec l'anhydride nitreux peut être considérée comme une attaque nucléophile par les amines à l'endroit de l'azote des nitrosyles de l'anhydride nitreux. Plusieurs espèces, comme le NO-SCN, le NO-Cl, le NO-I et le NO-Br, réagissent de façon similaire avec les amines et agissent par conséquent comme catalyseurs lorsqu'ils sont présents dans le système de réaction (Mirvish, 1975b; Leaf et coll., 1989). La nitrosation des amines catalysée par les thiocyanates et les halides compétitionneront en général favorablement avec le mécanisme de l'anhydride nitreux (Mirvish, 1975b).
Les résultats d'études in vitro montrent que la catalyse se fait dans l'ordre suivant : SCN > I > Br > Cl > phosphate ou carboxylate. La plupart de ces catalyseurs (SCN−, I−, Cl−) sont présents dans certains liquides physiologiques (p. ex. salive, suc gastrique) et revêtent donc un intérêt sur le plan biologique lorsqu'il est question des réactions endogènes de nitrosation (Mirvish, 1975b, 1991; Leaf et coll., 1989; Addiscott et Benjamin, 2004). Par exemple, il y a des thiocyanates dans la salive, en particulier dans la salive de fumeurs (où la concentration de thiocyanates est d'environ 6 mmol/L) et dans le suc gastrique (concentration de 0,2 à 0,7 mmol/L) (Mirvish, 1975b; Licht et Deen, 1988; Krul et coll., 2004). Il convient de noter que la formation de nitrosamides n'est pas catalysée par ces catalyseurs (Licht et Deen, 1988).
On a également signalé que la nitrosation endogène peut être catalysée par des alcools, des aldéhydes, l'hème et la caféine (Crespi et Ramazzotti, 1991). La caféine accroît la sécrétion d'acide dans l'estomac, à tout le moins chez les humains, et peut ainsi augmenter la nitrosation intragastrique catalysée par un acide et stimuler l'induction d'adénomes par des amines combinées au nitrite de sodium (Mirvish, 1975b). En revanche, des données montrent que l'hème (contenu dans les viandes rouges) peut oxyder l'oxyde nitrique en divers oxydes d'azote (donc des agents nitrosants), ce qui entraîne par la suite la formation de CNN (Bingham et coll., 1996; Cross et coll., 2003; Mirvish et coll., 2008). Cela peut expliquer pourquoi le risque de cancer du côlon augmente plus l'apport en nitrate dans l'eau et dans les viandes rouges est élevé (Mirvish et coll., 2008).
On reconnaît en outre maintenant qu'il peut exister d'autres voies (non gastriques) de nitrosation endogène, y compris celles catalysées par des bactéries et des cellules de mammifères. Cette nitrosation non gastrique peut survenir à bien des endroits dans le corps (Brambilla et Martelli, 2005). On avance donc l'hypothèse que la nitrosation endogène peut être stimulée par des conditions inflammatoires et d'autres conditions pathologiques ou pharmacologiques qui entraînent une élévation du pH gastrique et, par voie de conséquence, la prolifération de bactéries réductrices de nitrate (Brambilla et Martelli, 2007).
Helicobacter pylori est un facteur de risque connu de cancer de l'estomac qui a été classé comme un agent cancérogène du groupe 1 par le CIRC (Vermeer et coll., 2002; Shiotani et coll., 2004). L'infection par H. pylori est considérée comme une des principales causes de gastrite chronique (affection responsable de l'élévation du pH du suc gastrique et partant, de l'hypochlorhydrie) et de métaplasie intestinale, deux problèmes qui sont associés à une augmentation du risque de cancer de l'estomac (Vermeer et coll., 2002; Kodama et coll., 2003). Des données montrent que H. pylori peut jouer un rôle indirect dans la formation de CNN en empruntant les deux mécanismes ci-dessus (nitrosation médiée par des cellules bactériennes par des cellules et de mammifères). Premièrement, H. pylori stimule une réponse inflammatoire qui entraîne la formation de CNN par la catalysation médiée par des cellules de mammifères. Deuxièmement, l'infection à H. pylori cause une gastrite chronique, entraînant une atrophie et une hypochlorhydrie (hypoacidité, causant une hausse des concentrations de nitrite dans le suc gastrique) et par la suite un déficit en vitamine C, un inhibiteur de la nitrosation (Sobala et coll., 1991; Vermeer et coll., 2002; Shiotani et coll., 2004).
De nombreux composés naturels et de synthèse, notamment les polyphénols, le soufre et divers composés, les vitamines et d'autres mélanges complexes ont inhibé la réaction de nitrosation dans des études in vitro (Bartsch et coll., 1989, 1990). Ces composés compétitionnent habituellement avec des composés nitrosables pour les agents nitrosants qu'ils réduisent en azote ou en oxyde nitrique (question examinée par Bartsch et coll., 1988; Leaf et coll., 1989). Toutefois, en présence d'oxygène, d'anions et de certains sels métalliques, l'oxyde nitrique est facilement oxydé dans la puissante espèce nitrosante, et la capacité nitrosante est rétablie (Bartsch et coll., 1988). Une recension détaillée effectuée par Bartsch et coll. (1988) décrit ces composés et leurs mécanismes d'action de même que leur capacité d'inhiber la formation endogène de CNN chez les animaux de laboratoire et chez les humains. On retrouve parmi ces composés de nombreuses substances alimentaires, notamment les vitamines C et E, et les polyphénols (Crespi et Ramazzotti, 1991).
Les inhibiteurs de la nitrosation sont nombreux, mais on s'est surtout intéressé à la vitamine C, qui est considérée comme pratiquement non toxique. La vitamine C s'est révélée être un inhibiteur efficace de la formation de CNN catalysée par des acides, tant in vivo qu'in vitro (Brambilla et Martelli, 2007).
Des études in vivo ont montré que l'ascorbate était l'un des inhibiteurs les plus efficaces de la nitrosation intragastrique. Lorsqu'il a été administré à des animaux en même temps que des agents nitrosants et une variété d'amines secondaires, d'acides aminés, d'alkylurées et de médicaments nitrosables, la formation de CNN et leurs effets toxiques, mutagènes et cancérogènes étaient significativement réduits (question examinée par Bartsch et coll., 1988).
L'inhibition de la formation de CNN dépend de la réduction du nitrite en oxyde nitrique par la vitamine C, qui compétitionne avec l'amine ou l'amide pour le nitrite ou, plus précisément, les agents nitrosants. Cela explique pourquoi la vitamine C est appelée un piégeur de nitrite; cette propriété a été attribuée à sa réaction relativement rapide avec le nitrite, alors que le nitrite réagissent plus lentement avec les amines secondaires (Mackerness et coll., 1989).
Vu qu'il est hydrosoluble, l'ascorbate ne peut pas être un inhibiteur efficace de la nitrosation dans les milieux lipophiles. On a démontré récemment que dans des systèmes aérobies fermés (p. ex. estomac), l'oxyde nitrique produit à partir de la réaction ascorbate-nitrite peut migrer à la phase lipide (p. ex. muqueuse gastrique), où il est oxydé par l'oxygène moléculaire en dioxyde d'azote, qui réagit avec l'eau pour régénérer des quantités équimolaires d'acide nitreux et d'acide nitrique (Bartsch et coll., 1988; Mirvish, 1991, 1994). En présence de lipides, la vitamine C peut donc promouvoir la nitrosation (Mirvish, 1986).
Kyrtopoulos et coll. (1991) ont fait état pour leur part d'une inhibition in vivo de seulement 50 à 63 %. La vitamine C semble donc être un inhibiteur efficace des réactions de nitrosation in vitro (Licht et Deen, 1988), mais il est moins efficace lorsque le lieu de réaction est l'estomac. Il convient de noter que de fortes doses (1-2 g) de cette vitamine sont habituellement utilisées dans ces expériences d'inhibition in vitro. Même si l'on tient compte de la sécrétion gastrique quotidienne de vitamine C (qui s'élève à environ 60 mg), le besoin quotidien minimal en vitamine C est de seulement 60 mg/personne (intervalle de 30 à 90 mg; Rathbone et coll., 1989). Il faudrait ainsi des apports beaucoup plus importants pour prévenir la nitrosation intragastrique (L'hirondel et L'hirondel, 2002).
Contrairement à la vitamine C, qui est hydrosoluble, l'α-tocophérol, principal constituant de la vitamine E, est très lipophile. Des données montrent que l'α-tocophérol libre réduit le nitrite en oxyde nitrique, comme le fait l'ascorbate, et constitue ainsi un excellent inhibiteur de la nitrosation dans les lipides et les émulsions dans l'eau (Mirvish, 1986; Bartsch et coll., 1988). Il s'ensuit que la vitamine sous sa forme commerciale habituelle (l'acétate) peut être hydrolysée in vivo en α-tocophérol libre par les estérases et ainsi inhiber la nitrosation endogène (Mirvish, 1986; Bartsch et coll., 1988). Comme les vitamines C et E semblent être complémentaires, une combinaison de vitamines C et E serait particulièrement utile pour inhiber la formation de CNN dans des mélanges lipides-eau comme dans le compartiment gastrique ou les membranes cellulaires (Mirvish, 1986).
D'autres composés, notamment les polyphénols (catéchol, acide gallique, hydroquinones, acide tannique et tanins), les composés du soufre (cystéine, glutathion, dioxyde de soufre) et divers composés (alcool, caféine, glucides, hydrazine, hydroxylamine, urée), ont été examinés par Bartsch et coll. (1988) et ceux-ci ont découvert qu'ils inhibaient la nitrosation endogène en piégeant le nitrite et les agents nitrosants, tout comme le font les vitamines C et E.
On a également observé cette inhibition avec de nombreux aliments et boissons : des mélanges complexes, comme les extraits de noix de bétel, le thé, le café, les jus de fruits, le lait et les produits laitiers, le jus de radis, les produits à base de soja et les boissons alcooliques (Bartsch et coll., 1988; Brambilla et Martelli, 2007).
La nitrosation endogène a été démontrée de différentes manières : 1) l'incubation in vitro de précurseurs dans des conditions salivaires ou gastriques simulées; ou 2) le dosage in vivo de CNN dans des liquides corporels et des excrétions après l'administration de précurseurs (Walker, 1990; Gangolli et coll., 1994).
Ohshima et Bartsch (1981) ont décrit la méthode sensible faisant appel à la N-nitrosoproline (test NPRO). La détection et l'estimation de la NPRO excrétée dans l'urine (excrétion urinaire cumulative en plus de toute source externe) ont été largement utilisées comme mesure quantitative de la nitrosation in vivo (censée survenir pour une bonne part dans l'estomac), parce que la NPRO est soi-disant sûre (c.-à-d. non cancérogène) et est excrétée presque exclusivement et sous une forme pratiquement inchangée dans l'urine (chez les humains et les rats) (Licht et Deen, 1988; Gangolli et coll., 1994; Mirvish, 1996).
Certaines associations ont été établies entre la concentration de nitrate dans l'eau potable et la formation de NPRO (Moller et coll., 1989; Mirvish et coll., 1992). Dans la plupart des cas, des expositions plus fortes à des CNN ont également été associées à un risque élevé de développer des cancers de l'estomac, de l'œsophage, de la cavité buccale et de la vessie (Bartsch et coll., 1990; Gangolli et coll., 1994).
Le moment où les apports se font (composante cinétique de la nitrosation endogène) constitue un autre facteur important qui influe sur la nitrosation endogène chez les sujets humains. Mirvish et coll. (1995) ont constaté qu'une dose de nitrate produisait le plus de NPRO lorsqu'elle était administrée 1 heure avant le repas contenant de la proline. Dans cette étude, la formation de NPRO était 3 à 4 fois plus importante lorsque le nitrate et la proline étaient consommés à jeun que lorsque la proline était prise avec un repas et elle atteignait son maximum lorsque le nitrate (500 mg) étaient administrés 1 heure avant un repas contenant de la proline, plutôt qu'en même temps ou 2 heures avant. Ce laps de temps de 1 heure reflète la période de 1 à 2 heures qu'il faut pour que le nitrite salivaire atteigne son niveau maximal après l'administration d'une dose de nitrate.
L'ascorbate a complètement inhibé la formation de [15N]NPRO à partir de [15N]nitrate chez des humains et des furets, mais n'a pas influencé l'excrétion de NPRO non marquée (26 nmol/jour), probablement à cause de la NPRO alimentaire ou de la nitrosation in vivo à l'extérieur de l'estomac (Tannenbaum et coll., 1991). Dans une autre étude, des volontaires ont reçu 325 mg de nitrate dans l'eau potable 2 à 4 h après le repas du midi et, 30 min plus tard, ont pris 550 mg de proline et 1 à 6 doses d'ascorbate dans l'eau. Dans cette étude, une dose de 466 mg d'ascorbate administrée 5 heures auparavant, en même temps que la dose de proline ou 0,5-1 heure après et 2 heures après, a réduit de 44 %, 77 %, 39 % et 0 %, respectivement l'excrétion de 42 nmol/jour de NPRO en l'absence d'ascorbate (Mirvish, 1994).
Mirvish (1991) a également obtenu des résultats similaires, quoique dans des conditions d'étude quelque peu différentes. Dans cette expérience, les volontaires ont pris un repas standard contenant de la proline ajoutée, 1 heure après la prise de nitrate. Lorsque 1 g d'ascorbate était administré soit 2 heures avant, en même temps, 1 heure après ou 2 heures après le repas du test, l'excrétion nette de NPRO était inhibée de 94 %, 100 %, 87 % et 25 %, respectivement. Pour évaluer si l'inhibition de la nitrosation in vivo par les légumes/fruits est due uniquement à leur teneur en ascorbate, Helser et coll. (1992) ont effectué le test NPRO, mais au lieu d'utiliser l'ascorbate, ils ont administré 100 mL de jus de légumes ou de fruits auxquels ils avaient ajouté de l'ascorbate, soit 46 mg d'ascorbate en tout. Les jus de carottes, de fraises, d'ananas et de poivrons verts (par ordre décroissant d'efficacité) ont inhibé la formation de NPRO de 41 à 63 %, comparativement à 24 % lorsque 46 mg d'ascorbate était administré dans 100 mL d'eau (les inhibitions sont calculées après soustraction de la NPRO utilisée comme « blanc »). Ces résultats montrent que certains légumes/fruits renferment d'autres composés que l'ascorbate qui inhibent la nitrosation endogène. Les associations négatives entre la consommation de légumes/fruits et le cancer sont donc probablement non attribuables uniquement à l'ascorbate, même si seulement l'inhibition de la formation de CNN est en cause. Une étude a également montré que l'ascorbate inhibe la nitrosation in vivo grâce à l'oxyde nitrique (Mirvish, 1994).
Le test NPRO est tout au plus un indicateur raisonnable de la formation de nitrosamines cancérogènes dans l'estomac et peut-être d'autres CNN (Bartsch et coll., 1988; Gangolli et coll., 1994). Licht et Deen (1988) ont cependant constaté que la NPRO n'est pas un indicateur exact de la nitrosation gastrique dans des conditions physiologiques (faible dose), même après correction pour tenir compte de l'apport alimentaire en NPRO. Les études sur la NPRO semblent donc utiles uniquement pour mettre au jour des tendances (Licht et Deen, 1988). En fait, le test NPRO ne peut estimer avec exactitude la dose réelle de CNN, parce que la NPRO n'est pas métabolisée, comme c'est le cas d'autres CNN; elle est plutôt excrétée presque entièrement dans l'urine.
Plusieurs études expérimentales chez les humains ont mis en évidence une relation directe entre l'apport en nitrate et la formation endogène de CNN. En effet, pour étudier la formation de CNN à partir de constituants alimentaires normaux, Vermeer et coll. (1998) ont effectué une enquête sur 25 volontaires humains qui avaient ingéré 3,65 mg de nitrate/kg pc/jour (0,84 mg/kg pc/jour sous forme d'azote de nitrate) via leur eau potable ou des légumes, en association avec un repas de poisson riche en amines (comme précurseurs nitrosables). Ils ont observé une augmentation significative de l'excrétion urinaire de NDMA (0,64-0,87 µg/24 h) chez les volontaires humains. Les analyses d'urine ont également révélé la présence de quantités détectables de N-pipérazine et de NPYR. Une autre étude sur des populations humaines exposées à diverses concentrations de nitrate dans leur eau potable est venue confirmer la formation in vivo de NPYR (Van Maanen et coll., 1998). Dans les deux études ci-dessus, il y avait une corrélation significative entre l'excrétion urinaire sur 24 heures de nitrosamines volatiles (NDMA et NPYR) et l'excrétion urinaire sur 24 heures de nitrate (P = 0,02) (Van Maanen et coll., 1998; Vermeer et coll., 1998). Il n'existait cependant aucune relation entre les doses de nitrate dans l'eau potable et l'excrétion urinaire de nitrosamines dans une population canadienne exposée à des concentrations de nitrate inférieures à 10 mg/L sous forme d'azote de nitrate (Levallois et coll., 2000).
Vermeer et coll. (1999) ont évalué les effets de l'acide ascorbique et du thé vert sur l'excrétion urinaire de NDMA et de N-pipérazine cancérogènes chez 25 volontaires en santé de sexe féminin qui avaient consommé un repas de poisson riche en amines (comme précurseurs nitrosables) de même que de l'eau potable contenant 3,65 mg de NO3-/kg pc/jour (0,84 mg/kg pc/jour NO3-N) pendant 7 jours consécutifs. La consommation quotidienne de 250 mg et 1 000 mg d'acide ascorbique par jour a entraîné une baisse significative de l'excrétion urinaire de NDMA au cours des 4 à 7 derniers jours (P = 0,0001), mais non durant les jours 1 à 3 de l'expérience. De même, la consommation quotidienne de quatre tasses de thé vert (équivalant à 2 g par jour de thé) a augmenté significativement l'excrétion de NDMA durant les jours 4 à 7 (P = 0,0035), mais non durant les jours 1 à 3. Chose étonnante, la consommation de huit tasses de thé vert par jour (équivalant à 4 g par jour de thé) a accru significativement l'excrétion de NDMA pendant les jours 4 à 7 (P = 0,0001), mais encore une fois pas pendant les jours 1 à 3.
L'action du nitrate et nitrite mise en cause dans la méthémoglobinémie chez les humains et les animaux de laboratoire comporte les événements clés suivants :
- Réduction du nitrate en nitrite : Comme nous l'avons décrit à la section 8.3, des micro-organismes dans la salive et le tube digestif réduisent le nitrate exogène en nitrite chez les humains et la plupart des animaux de laboratoire, sauf les rats, où ce processus est déficient. En outre, des changements élevant le pH intestinal à un niveau plus neutre favorisent la croissance de micro-organismes et, partant, la réduction du nitrate en nitrite. Chez les nourrissons, le pH variable de l'estomac (2-5) peut permettre la croissance de bactéries réductrices de nitrate (Zeman et coll., 2002) et ainsi accroître le risque chez le nourrisson de former de la méthémoglobine.
- Oxydation de l'hémoglobine en méthémoglobine : L'action essentielle dans la formation de méthémoglobine est l'oxydation de l'ion ferreux de l'hémoglobine en ion ferrique, qui peut se faire par l'action directe d'oxydants, l'action de donneurs d'hydrogène en présence d'oxygène ou d'une auto-oxydation. En présence de nitrite, l'oxydation est directe (Gupta et coll., 1999). La formation de méthémoglobine était évidente tant chez les humains (> 100 mg NO3¯/L; section 9.1.1) que chez les animaux de laboratoire (250 mg NO2¯/L; section 9.2.2.1). À l'origine, on avait indiqué qu'une plus forte proportion de l'hémoglobine chez le nourrisson se transforme plus rapidement en méthémoglobine, ce qui contribue à accroître la susceptibilité de ces sujets. L'hémoglobine fœtale a cependant le même potentiel d'oxydation/réduction et la même vitesse d'auto-oxydation que l'hémoglobine des adultes; elle ne contribue donc pas probablement à accroître la susceptibilité des nourrissons (Avery, 1999).
- Réduction insuffisante de la méthémoglobine : Normalement, la méthémoglobine (Hb3+) qui se forme peut être réduite en hémoglobine (Hb2+) par la réaction suivante : Hb3+ + cytochrome b5 réduit → Hb2+ + cytochrome b5 oxydé, où le cytochrome b5 réduit est produit par la NADH-cytochrome b5-méthémoglobine réductase (Gupta et coll., 1999). Une comparaison de l'activité NADPH-méthémoglobine réductase chez les rats et les humains a révélé que cette activité est 10 fois plus importante dans le sang de fœtus de rat que dans le sang de rate gravide ou le sang de cordon humain; cette activité était 1,5 fois plus grande dans le sang de femmes enceintes que dans le sang de cordon humain (NAS, 1981). De plus, le développement du système NADH-méthémoglobine réductase du nourrisson est incomplet; ce n'est que vers l'âge de 6 mois que le nourrisson commence à atteindre le taux propre aux adultes pour cette enzyme (Avery, 1999; Gupta et coll., 1999; Knobeloch et coll., 2000; Sanchez-Echaniz et coll., 2001). Ainsi, une quantité et une activité relativement plus faibles de la NADPH-méthémoglobine réductase chez les nouveau-nés humains contribuent probablement à leur susceptibilité à la méthémoglobinémie.
- Pourcentage accru d'hémoglobine sous forme de méthémoglobine dans le sang : Dans des conditions normales, moins de 2 % de l'hémoglobine circule dans le sang sous forme de méthémoglobine (Fan et coll., 1987). Comme la méthémoglobine ne peut se lier à l'oxygène, des symptômes de méthémoglobinémie apparaissent tant chez les humains (voir la section 9.1) que chez les animaux de laboratoire (section 9.2) à mesure que le pourcentage d'hémoglobine augmente (> 10 % dans le sang). La méthémoglobinémie clinique est définie par un taux supérieur à 2 % de méthémoglobine dans le sang. Les symptômes cliniques ne se manifestent cependant que lorsque le taux de méthémoglobine dans le sang atteint 3 à 15 % de l'hémoglobine totale (Avery, 1999; Zeman et coll., 2002). Selon le taux de méthémoglobine, divers systèmes et appareils peuvent être atteints : taux entre 10 et 20 %, cyanose centrale des membres/du tronc (coloration bleue de la peau); entre 20 et 45 %, dépression du système nerveux central (céphalées, étourdissements, fatigue et léthargie), dyspnée et cyanose; entre 45 et 55 %, coma, arythmies, état de choc, convulsions, cyanose, dyspnée, désorientation et hypoxie tissulaire; plus de 60 %, risque élevé de décès (Knobeloch et coll., 2000; Fewtrell, 2004).
- Production d'oxyde nitrique : Un autre mode d'action a été proposé dans certaines études : la formation endogène de nitrite entraînée par la surproduction d'oxyde nitrique par les tissus qui sont enflammés à la suite d'une infection bactérienne peut être une cause notable de méthémoglobinémie chez les nourrissons, plus importante en fait que l'ingestion de nitrate (Hegesh et Shiloah, 1982; Avery, 1999). Les nourrissons souffrant d'une diarrhée et d'une méthémoglobinémie (sans exposition à de l'eau contaminée par du nitrate) excrètent chaque jour jusqu'à 10 fois plus de nitrate qu'ils en ingèrent dans les aliments et l'eau (Hegesh et Shiloah, 1982; Avery, 1999). Le mode d'action proposé est le suivant : de l'oxyde nitrique est formé par plusieurs tissus en réponse à une infection bactérienne et à l'inflammation. Le métabolisme de l'oxyde nitrique produit du nitrite et accroît l'expression de l'ARN messager codant l'oxyde nitrique synthase inductible qui se traduit par la présence de nitrate et de nitrite dans les selles et le plasma. Cette production de nitrite peut être suffisante pour surcharger le système de réduction de la méthémoglobine sous-développé chez les nourrissons, ce qui entraîne une élévation des taux de méthémoglobine et par la suite des signes cliniques de méthémoglobinémie à des taux de méthémoglobine plus élevés. La méthémoglobinémie est apparemment un effet secondaire bien connu du traitement par l'oxyde nitrique contre le syndrome de détresse respiratoire aiguë et l'hypertension pulmonaire persistante chez les nouveau-nés (Avery, 1999).
La perturbation des hormones thyroïdiennes peut provoquer de nombreux effets indésirables, notamment des tumeurs de la thyroïde et des malformations congénitales. Les humains ne développent pas cependant de carcinomes de la thyroïde par suite d'une diminution des taux de T3 et de T4 parce qu'ils sont moins susceptibles que les rongeurs aux effets de la TSH sur la prolifération des cellules thyroïdiennes (Crofton, 2008). Attardons nous donc sur les événements clés du processus par lequel le nitrate et le nitrite causent des effets sur la thyroïde et, par la suite, des malformations congénitales chez les humains et les animaux de laboratoire :
- Inhibition de l'absorption de l'iode par la thyroïde : Le nitrate ingéré inhibe l'absorption par la thyroïde de l'iodure en circulation dans le sang en se fixant au NIS à la surface des cellules folliculaires de la thyroïde (Greer et coll., 2002). L'organification est un processus complexe sous dépendance enzymatique dans lequel l'iodure est oxydé et fixé aux résidus tyrosyl à l'intérieur de la thyroglobuline, pour former en bout de ligne les hormones thyroïdiennes T3 et T4. Si l'absorption de l'iodure est suffisamment inhibée, la formation des hormones thyroïdiennes est réduite. Le NIS transporte également l'iodure à travers les membranes de certains tissus non thyroïdiens; par exemple, dans la glande mammaire durant la lactation, l'iodure peut être transféré de la mère au nourrisson (Kirk, 2006). La cinétique de l'inhibition par le nitrate/nitrite de l'absorption de l'iodure chez les humains et les animaux de laboratoire n'a pas été décrite.
D'autres contaminants de l'eau potable sont également des inhibiteurs de l'absorption de l'iodure. La puissance relative du perchlorate pour inhiber l'absorption de l'iodure radioactif par le NIS humain est de 15 fois celle du thiocyanate, 30 fois celle de l'iodure et 240 fois celle du nitrate, sur une base de concentration molaire (Tonacchera et coll., 2004). Il importe de noter que Tonacchera et coll. ont signalé une simple interaction compétitive comme mode d'action de ces ions, plutôt qu'une synergie ou un antagonisme. Le nitrite ne sont pas transportés par le NIS (Eskandari et coll., 1997) et n'interviennent donc pas dans cet effet toxique sur la thyroïde. Se basant sur ces puissances molaires relatives, De Groef et coll. (2006) ont calculé que le nitrate et les thiocyanates, ingérés dans l'eau potable ou les aliments, sont responsables d'une beaucoup plus grande part de l'inhibition de l'absorption de l'iodure que les perchlorates. Seule une étude sur l'absorption de l'iodure par la thyroïde après une exposition au nitrate a cependant été publiée (Hunault et coll., 2007) et elle n'a relevé aucun effet significatif sur l'absorption thyroïdienne chez 10 volontaires humains qui avaient reçu une dose de nitrate de sodium de 15 mg/kg pc (équivalant à 10,9 mg de nitrate/kg pc) dans 200 mL d'eau potable pendant 28 jours.
- Changements de la T3 et de la T4 dans le sérum : La réduction de la formation d'hormones thyroïdiennes, secondaire à l'inhibition de l'absorption de l'iodure par la thyroïde entraîne une diminution de la sécrétion des hormones thyroïdiennes dans la circulation. De plus faibles concentrations d'hormones thyroïdiennes dans le sérum peuvent activer le mécanisme de rétroaction sur l'axe HPT, ce qui provoque une augmentation de la sécrétion de TSH, qui à son tour signale à la thyroïde de produire plus d'hormones thyroïdiennes. Lorsque l'absorption d'iodure est inhibée, la production d'hormones thyroïdiennes peut être insuffisante. On ignore à quels niveaux la synthèse d'hormones thyroïdiennes doit être réduite pour qu'il y ait un impact sur les taux d'hormones thyroïdiennes dans le sérum et que des effets indésirables apparaissent chez les humains ou les animaux de laboratoire. Ce qu'on sait, c'est que des rats qui reçoivent la même dose du composé antithyroïdien propylthio-uracile présentent une réduction importante des taux d'hormones thyroïdiennes en circulation plus tôt que les humains; la demi-vie sérique de la T4 est de 7 à 10 jours chez les humains (Vulsma et coll., 1989; Greer et coll., 2002), mais seulement de un jour chez les rats (Zoeller et Crofton, 2005). En outre, la thyroïde chez les humains adultes emmagasine une grande quantité d'hormones thyroïdiennes, peut-être une provision de plusieurs mois (Greer et coll., 2002). Chez le nouveau-né humain, la demi-vie sérique de la T4 est d'environ 3 jours (Vulsma et coll., 1989), et les réserves intrathyroïdiennes de T4 équivalent, selon les estimations, à moins de 1 jour (Zoeller et Crofton, 2005). Comme la demie-vie des hormones thyroïdiennes (HT) est plus courte chez les nouveau-nés et les rats, ceux-ci doivent produire une plus grande quantité d'HT et doivent donc absorber une plus grande quantité d'iodure. Les nouveau-nés et les rats sont ainsi plus sensibles aux inhibiteurs de l'absorption que les humains adultes. D'autre part, la conversion de nitrate en nitrite chez les rats étant limitée, ces derniers ont plus de nitrate pour inhiber le NIS. L'effet indésirable ultime sera néanmoins similaire chez les humains et les rats.
Bien que la TSH soit un biomarqueur bien établi de l'hypothyroïdie, un certain nombre de xénobiotiques altèrent les taux d'hormones thyroïdiennes en circulation, mais non les taux de TSH. Le biomarqueur le plus couramment utilisé de l'effet de l'exposition à des perturbateurs thyroïdiens chimiques est la concentration sérique de T4 totale (De Vito et coll., 1999; Zoeller et coll., 2007). Les hormones thyroïdiennes sont des molécules qui ont été conservées au cours de l'évolution et qui sont présentes chez tous les vertébrés (Heyland et Morez, 2005). Aucune différence selon l'espèce dans les taux sériques de T4 totale et aucun effet indésirable qui pourrait en résulter n'ont cependant été signalés.
Chez les humains, très peu d'études ont mesuré les taux d'hormones thyroïdiennes dans le plasma après une exposition au nitrate. L'étude la plus pertinente a fait état d'une augmentation de 4 % des concentrations de TSH et n'a signalé aucun changement dans les taux de T4 totale ou de T3 libre chez 324 enfants exposés à 51-274 mg/L de nitrate comparativement à 168 enfants exposés à moins de 2 mg/L de nitrate dans leur eau potable (Tajtakova et coll., 2006; Radikova et coll., 2008). Par ailleurs, Hunault et coll. (2007) n'ont relevé aucun effet significatif sur les concentrations plasmatiques d'hormones thyroïdiennes chez 10 volontaires humains qui avaient reçu 15 mg/kg pc/jour de nitrate de sodium dans 200 mL d'eau potable (équivalant à 10,9 mg NO3-/kg pc/jour) pendant 28 jours. Comme les humains peuvent emmagasiner une provision de plusieurs mois d'hormones thyroïdiennes, il se peut cependant que l'étude de Hunault et coll. (2007) ne porte pas sur une période assez longue pour qu'on puisse détecter des changements dans les taux d'hormones thyroïdiennes. Chez des rats, l'exposition à 150 mg/L de nitrate de potassium (équivalant à 92,1 mg NO3¯/L) dans l'eau potable pendant 5 mois a réduit les taux plasmatiques de T3 de 34 % et ceux de T4 de 12% (la réduction était proportionnelle à la dose; se reporter à la section 9.2.3).
Le point de réglage, c'est-à-dire le niveau auquel s'effectue la régulation des hormones thyroïdiennes est très personnel, et les différences dans le point de réglage sont en grande partie déterminées par la génétique (Anderson et coll., 2002, 2003; Hansen et coll., 2004). La variation dans les taux sériques de T3, de T4 et de TSH chez les individus équivaut à environ la moitié de la variance dans la population (Anderson et coll., 2002). Des études ont mis en évidence un risque élevé de maladies cardiovasculaires chez les patients ayant des taux élevés de TSH et des taux normaux de T4; à l'inverse, d'autres études ont fait ressortir une association entre les perturbateurs thyroïdiens et des diminutions des taux de T4 sans élévations des taux de TSH (Miller et coll., 2009). Une valeur située à l'intérieur des « normales » standard n'est donc pas nécessairement normale pour une personne, et un taux élevé de TSH (réponse logarithmique à des changements mineurs dans les taux de T3 et de T4) devrait être interprété comme une indication que les taux sériques de T3 et de T4 ne sont pas normaux pour cette personne (Anderson et coll., 2002). Il peut donc être difficile d'identifier d'autres sous-populations sensibles et des associations entre les perturbateurs thyroïdiens et les effets indésirables du fait qu'on peut repérer un risque chez des personnes ayant des taux de T4 qui se situent dans la fourchette normale pour la population mais qui ne sont pas normaux pour elles. Toute exposition qui entraînerait une altération de l'homéostasie des hormones thyroïdiennes dans une population mériterait donc d'être évaluée plus à fond (Miller et coll., 2009).
- Changements de la T3 dans les tissus : Les tissus périphériques contiennent des déiodinases, qui convertissent la T4 en T3. Les activités biologiques des hormones thyroïdiennes sont influencées par la T3 qui se lie aux récepteurs nucléaires, lesquels agissent ensuite comme transducteurs de signaux et comme facteurs de transcription pour exercer leurs divers effets biologiques. Les hormones thyroïdiennes régulent la transcription de nombreuses protéines et contrôlent la migration, la différenciation et la modélisation du processus apoptotique des neurones (Kirk, 2006). Les mécanismes par lesquels les hormones thyroïdiennes agissent par l'intermédiaire des récepteurs nucléaires pour altérer l'expression génétique sont très conservés d'une espèce à l'autre (études signalées dans Miller et coll., 2009).
La stimulation chronique de la thyroïde par la THS peut entraîner des changements prolifératifs dans les cellules folliculaires et aboutir à une hypertrophie, à une hyperplasie et à une hypothyroïdie (Capen, 1997; Tonacchera et coll., 2004; De Groef et coll., 2006; Vanderpas, 2006). Les animaux de laboratoire et les humains adultes sont relativement résistants aux effets indésirables de l'altération de la production d'hormones thyroïdiennes, car l'axe HPT peut compenser dans une très grande mesure une réduction de production. Si l'exposition au nitrate/nitrite est suffisamment forte pour surmonter ce mécanisme de compensation, si elle persiste assez longtemps pour épuiser les réserves d'hormones thyroïdiennes dans la thyroïde ou si elle est combinée à une exposition à d'autres perturbateurs thyroïdiens chimiques, en même temps qu'il y a des carences alimentaires en iodure, une hypothyroïdie ou une hypertrophie de la thyroïde risquent de survenir. En outre, la grossesse mobilise davantage les ressources de la thyroïde, et l'hypothyroïdie est deux fois plus fréquente chez les femmes enceintes (Aoki et coll., 2007).
Chez les humains, l'exposition au nitrate dans l'eau potable à des concentrations égales ou supérieures à 50 mg/L a résulté en une augmentation du volume de la thyroïde, des taux de thyroperoxydase et de l'incidence du goitre (se reporter à la section 9.1.2.1). Chez des rats, l'exposition à des doses de 50 mg/L de nitrate de sodium (équivalant à 36,45 mg NO3¯/L) et plus pendant 30 semaines a été associée à une augmentation du poids de la thyroïde (se reporter à la section 9.2.3).
- Altération du développement et malformations congénitales : Un déficit modéré ou même transitoire en hormones thyroïdiennes peut causer certains troubles du développement chez les rongeurs et les humains. Par exemple, de petites différences dans des estimations ponctuelles des taux maternels de T4 au début de la période fœtale sont associées à des issues défavorables (p. ex. réduction des scores pour le quotient intellectuel), même si ces déficits ne constituent pas une hypothyroïdie clinique (de nombreuses références dans Miller et coll., 2009). Il importe de noter que les effets sur l'organisme en développement résultent de baisses dans les taux tissulaires de T4 ou de T3, indépendamment du taux de TSH (Crofton, 2008). Outre le degré d'insuffisance thyroïdienne, la période de développement où s'est produit cette insuffisance et la durée de la perturbation jouent un rôle important (Kirk, 2006; Miller et coll., 2009).
Les hormones thyroïdiennes sont essentielles au développement neurologique, à la croissance du squelette et au fonctionnement normal du système pulmonaire, du métabolisme, du rein, de l'appareil cardiovasculaire et des lipides sériques (Kirk, 2006; De Escobar et coll., 2008; Woodruff et coll., 2008; Miller et coll., 2009). Une hypothyroïdie bénigne entraîne, entre autres, un malaise général, une inertie ainsi qu'une baisse de la fréquence cardiaque et de la capacité thermique du corps. Par contre, même une perturbation transitoire de la synthèse des hormones thyroïdiennes peut induire des effets indésirables persistants sur les capacités cognitives et sensorielles si elle survient durant des périodes critiques du développement fœtal et postnatal (Howdeshell, 2002; Kirk, 2006). Des voies moléculaires de signalisation empruntées par les hormones thyroïdiennes pour influer sur le développement, l'équilibre énergétique et le métabolisme sont conservées dans tous les groupes taxonomiques (Miller et coll., 2009).
Des études structurées sur les relations dose-réponse n'ont pas été effectuées pour déterminer à quel point les taux plasmatiques d'hormones thyroïdiennes doivent baisser pour que le développement du cerveau soit altéré chez les animaux de laboratoire ou chez les humains. Il existe cependant un vaste corpus d'études publiées établissant une corrélation entre les réductions des taux d'hormones thyroïdiennes en circulation et des déficits cognitifs chez les humains, soit chez l'enfant (en l'absence d'hypothyroïdie patente à la naissance ou plus tard) dont la mère présentait des taux réduits d'hormones thyroïdiennes ou chez les adultes qui ont reçu un diagnostic d'hypothyroïdie congénitale durant l'enfance (nombreuses références citées dans Zoeller et Crofton, 2005).
Des anomalies du développement et des malformations congénitales ont été associées à des concentrations de nitrate supérieures à 45 mg/L dans l'eau potable chez les humains (se reporter à la section 9.1.4). En outre, une concentration de 2 000 mg/L de nitrate de sodium (équivalant à 1 458 mg NO3¯/L) dans l'eau potable chez des animaux exposés de la 13e journée de la gestation à la mise bas a entraîné une altération des paramètres neurologiques (se reporter à la section 9.2.7). D'autres études sur le rôle des HT et sur la validité de ces paramètres doivent cependant être effectuées avant qu'on puisse tirer des conclusions probantes.
L'absence de connaissances sur les différences dans le mode d'action nous empêche d'effectuer des extrapolations d'une espèce à l'autre. Une analyse de la pertinence portant sur d'autres perturbateurs thyroïdiens chimiques (biphényles polychlorés, propylthio uracile et perchlorates) semble indiquer que la concordance entre les modes d'action chez les rongeurs et les humains dépend du moment dans la vie où l'exposition survient; il y a un bon degré de concordance en ce qui concerne les effets neurotoxiques sur le développement lorsqu'on utilise l'altération des concentrations d'hormones thyroïdiennes comme événement clé (Zoeller et Crofton, 2005). Pour que la pertinence de ce mode d'action soit plus fiable, les lacunes suivantes dans les données doivent être comblées : données comparatives sur les taux d'hormones thyroïdiennes dans le sérum et le tissu cérébral, études comparatives sur les effets d'une hypothyroxinémie modérée et légère sur le développement du système nerveux et caractérisation claire de la relation dose réponse entre le degré de changement des concentrations d'hormones thyroïdiennes et les effets indésirables (Crofton, 2008).
Des études de haute qualité sur les effets du nitrate sur la fonction thyroïdienne chez les populations vulnérables sont clairement nécessaires. De telles études devraient idéalement être menées dans des régions où l'apport en iodure est suffisant, tenir compte de l'exposition aux autres inhibiteurs du NIS, mesurer la fonction thyroïdienne ainsi que le statut des anticorps contre l'enzyme peroxydase thyroïdienne et utiliser des biomarqueurs individuels pour l'exposition au nitrate (urine ou salive), plutôt que d'utiliser une méthodologie écologique.
Des données montrent que les effets cancérogènes possibles du nitrate/nitrite ingérés dépendent directement de la formation endogène de CNN génotoxiques/cancérogènes qui, dans le cas du nitrate, doivent être précédés de leur réduction en nitrite. La formation endogène de CNN porte également le nom de nitrosation endogène. En fait, les agents nitrosants qui dérivent du nitrite réagissent facilement avec les composés nitrosables, en particulier les amines secondaires et les alkylamides, pour produire des CNN. De nombreux CNN sont cancérogènes (CIRC, 2010).
En général, la façon dont le nitrate ingérés contribuent au cancer peut être résumée par quatre événements clés, à savoir : 1) la réduction de nitrate en nitrite; 2) la nitrosation endogène (abordée en détail dans la section 9,3); 3) la conversion de CNN en espèces très réactives (alkylantes); 4) l'alkylation de macromolécules intracellulaires (ADN, ARN et protéines), qui est responsable de la formation subséquente de tumeurs. Ces événements clés sont décrits ci dessous.
1. Réduction du nitrate en nitrite
Des études sur le bilan du nitrate et l'analyse des liquides corporels ont montré que, dans le corps humain, la cavité buccale constitue le siège principal de la réduction du nitrate en nitrite (Gangolli et coll., 1994). On dispose donc de données probantes indiquant que chez les humains en santé, environ 25 % du nitrate ingéré (y compris le nitrate dans l'eau potable) est activement sécrété et concentré dans les glandes salivaires par un système de transport anionique, dont 20 % environ est réduit en nitrite par la microflore buccale (Spiegelhalder et coll., 1976; Tannenbaum et coll., 1976). Finalement, environ 5 % (intervalle de 4 à 7 % de la dose globale) du nitrate ingéré est réduit en nitrite dans la salive (Walker, 1990; Gangolli et coll., 1994). Comme une bonne partie de la salive est avalée, le nitrite salivaire constitue la principale source de nitrite gastrique (Eisenbrand et coll., 1980; Mirvish et coll., 2000; McColl, 2007). Si on compare avec la quantité de nitrite présente dans la viande et le poisson et d'autres aliments traités par du nitrite, on estime que la majorité du nitrite dans l'estomac acide normal sont issus de la réduction orale du nitrate ingérés (environ 80 %), (Mirvish, 1983; Knight et coll., 1987; Bos et coll., 1988); pour ces raisons, le nitrite gastriques sont considérés comme la principale source d'exposition au nitrite chez les humains (Eisenbrand et coll., 1980; Forman et coll., 1985).
Des données montrent que la réduction du nitrate en nitrite est modulée par plusieurs facteurs, comme l'ampleur de la colonisation bactérienne de la bouche, l'âge des sujets et les facteurs liés à la circulation entérosalivaire du nitrate, notamment le débit salivaire, le potentiel d'oxydoréduction dans la bouche (pH optimal d'environ 8) et l'estomac, les valeurs de pH dans l'estomac, l'absorption du nitrate dans l'intestin grêle, la synthèse endogène dans les tissus et le transport actif du sang jusqu'aux glandes salivaires (Eisenbrand et coll., 1980; Duncan et coll., 1995, 1997). Tous ces facteurs contribuent à la grande variabilité de la réduction du nitrate en nitrite chez les humains.
Chez les personnes en santé, la réduction de nitrate en nitrite est due à l'action de différentes souches de bactéries contenant de la nitroréductase, et cette réduction est concentrée à l'arrière de la région dorsale de la langue. Doel et coll. (2005) ont identifié en tout 132 isolats de colonie positive pour la nitrate réductase dans la cavité buccale, y compris la salive, chez 10 sujets (4 femmes et 6 hommes) âgés en moyenne de 29 ans. Selon Suzuki et coll. (2005) et McColl (2007), ces bactéries convertissent de 10 à 30 % du nitrate salivaire en nitrite.
L'activité nitrate réductase des bactéries dans la cavité buccale a été quantifiée dans plusieurs études in vitro (Shapiro et coll., 1991; Xu et coll., 2001) et in vivo (Spiegelhalder et coll., 1976; Bartholomew et Hill, 1984; Granli et coll., 1989; Van Maanen et coll., 1994). En effet, des variations interindividuelles et diurnes marquées dans la conversion du nitrate salivaire en nitrite ont été observées in vitro (Walker, 1990) et in vivo (Bos et coll., 1988; Xu et coll., 2001; Doel et coll., 2005). Ces variations interindividuelles semblent être particulièrement influencées par l'âge. Des données montrent donc que chez les personnes en santé, les concentrations de nitrite augmentent avec l'âge et sont particulièrement élevées chez les jeunes enfants et les personnes âgées (Eisenbrand et coll., 1980; Forman et coll., 1988; Siddiqi et coll., 1992; Mirvish et coll., 2000).
Ces variations interindividuelles s'ajoutent aux variations intra-individuelles plus petites (Bos et coll., 1988; Walker, 1990; Mirvish et coll., 2000; Xu et coll., 2001; Doel et coll., 2005). En plus d'avoir relevé des concentrations élevées de nitrite chez des personnes âgées, Mirvish et coll. (2000) ont constaté que les concentrations salivaires de nitrite augmentaient la nuit, mais que les taux salivaires de nitrate et de nitrite variaient peu d'une journée à l'autre.
De façon générale, ces augmentations des concentrations de nitrite semblaient correspondre à l'accroissement relatif de la microflore buccale. Kang et coll. (2006) ont souligné d'ailleurs que la salive d'un jeune enfant et d'une personne âgée présentait une plus grande diversité bactérienne que celle des jeunes adultes, et des auteurs ont indiqué que les bactéries qui colonisent le dos de la langue convertissent environ 30 % du nitrate en nitrite (Bos et coll., 1988; Mirvish et coll., 2000; Xu et coll., 2001; Suzuki et coll., 2005; McColl, 2007).
Enfin, l'activité nitrate réductase dans la cavité buccale semble être influencée par des facteurs saisonniers (c.-à-d. la température). Xu et coll. (2001) ont constaté que l'activité nitrate réductase moyenne mesurée en juin chez 10 sujets (3,43 ± 1,75 μg NO3-N par personne par minute) était significativement plus forte que celle mesurée en novembre chez 10 autres sujets (1,54 ± 0,46 μg NO3-N par personne par minute). Les proportions de nitrite par rapport au nitrate/nitrite totaux dans des populations en Allemagne s'élevaient à 17,4 %, comparativement à 25,2 % en Égypte, où la température est beaucoup plus chaude (Siddiqi et coll., 1992).
2. Nitrosation endogène
Une des explications possibles de la façon dont le nitrate et le nitrite ingérés pourraient jouer un rôle dans le cancer est le mécanisme de nitrosation endogène. Des détails sur ce processus ont été fournis à la section 9.3.
3. Conversion des composés N nitroso en espèces alkylantes
De nombreuses données tirées d'études sur des animaux de laboratoire montrent que les CNN sont cancérogènes parce qu'ils produisent des agents alkylants électrophiles puissants dans le corps, qui sont formés soit par décomposition spontanée (comme dans le cas du nitrosamides et des composés apparentés) soit par activation métabolique (comme dans le cas des nitrosamines) (Archer, 1989) :
CNN → (biotransformation) → R-(CH3)n
Les nitrosamides et les composés apparentés (nitroso-urées, nitrosoguanidines, nitroso-uréthanes, nitrosocyanamides) (agissant directement) réagissent chimiquement et sont très instables dans des solvants aqueux, dans des milieux basiques et neutres, et même dans un milieu où le pH est physiologique. Dans l'acide, ils se décomposent pour donner naissance à d'importantes quantités de nitrite (Mirvish, 1975b). En dehors de la décomposition acide, il y a aussi une décomposition non enzymatique en intermédiaires alkylants électrophiles réactifs (Montesano, 1976; Archer, 1989; Mirvish, 1991; Gangolli et coll., 1994; Vermeer et Van Maanen, 2001). Cette décomposition survient par hydrolyse catalysée par une base et varie selon le pH et la structure des résidus acyl et alkyl (Montesano, 1976). Les intermédiaires énumérés sont très instables, et les plus stables d'entre eux, les α-hydroxynitrosamines, ont une demi-vie physiologique de 1 à 10 secondes. Les nitrosamides sont donc probablement surtout activés dans les organes où les tumeurs se développent (Mirvish, 1995) et sont par conséquent connus comme des mutagènes/cancérogènes à action directe (Walker, 1990; Mirvish, 1991; Gangolli et coll., 1994; Vermeer et Van Maanen, 2001).
Pour leur part, les nitrosamines sont chimiquement stables (même dans des conditions physiologiques), elles se décomposent lentement à la lumière ou dans des solutions aqueuses acides (Brown, 1999) et sont habituellement volatiles, à moins qu'elles ne possèdent d'autres groupements fonctionnels (Mirvish, 1995). Elles doivent être activées métaboliquement in vivo pour exercer des effets mutagènes et cancérogènes. Elles persistent en général dans le corps pendant de plus longues périodes que les nitrosamides chimiquement réactifs (Montesano, 1976; Archer, 1989; Mirvish, 1991; Gangolli et coll., 1994). Cette différence explique pourquoi le nitrosamides ont tendance à induire des tumeurs là où ils sont appliqués ou à proximité et dans les organes ayant une grande vitesse de renouvellement, alors que les nitrosamines produisent des tumeurs dans les tissus éloignés du site d'administration (Montesano, 1976; Archer, 1989; Vermeer et Van Maanen, 2001). Une autre particularité des nitrosamines est l'organotropisme étonnant (affinité pour des organes spécifiques) de leurs effets, peu importe la voie d'administration (Mirvish, 1995; Vermeer et Van Maanen, 2001; Dietrich et coll., 2005).
Des expériences préliminaires (Druckrey et coll., 1967; Magee et Barnes, 1967) sur la pharmacocinétique et le métabolisme in vivo et in vitro des nitrosamines ont fait ressortir deux voies de biotransformation : α-hydroxylation et dénitrosation (Archer, 1989). Les effets des nitrosamines sont toutefois attribués à la voie d'α-hydroxylation; la dénitrosation toxicologique ne semble pas jouer un grand rôle dans les effets toxiques globaux de ces composés (IPCS, 2002).
4. Formation d'adduits d'ADN
Les espèces alkylantes électrophiles réactives produites par décomposition chimique du nitrosamides et des composés apparentés ou par activation métabolique des nitrosamines réagissent par la suite avec les constituants cellulaires tels que l'ADN, l'ARN et les protéines (Montesano, 1976; Archer, 1989; Crespi et Ramazzotti, 1991). L'attention a surtout porté sur les réactions avec l'ADN, parce qu'on considère généralement qu'il s'agit de la cible cellulaire critique des agents cancérogènes durant l'initiation d'une tumeur (Montesano, 1976; Archer, 1989); nous nous attarderons donc principalement sur les interactions avec cette macromolécule.
Les espèces réactives (p. ex. les cations alkyldiazonium) alkylent les bases de l'ADN, en particulier dans les positions N7 (66,8 %) et O6 (6,1 %) de la guanine et la position O4 (traces) de la thymine (les chiffres entre parenthèses représentent les proportions relatives des produits par rapport à l'ensemble des produits de la méthylation de l'ADN par la NDMA dans le foie de rat (Archer, 1989; Mirvish, 1995). De plus, on a montré que la position O6 revêtait une grande importance tant dans l'initiation des mutations que dans les activités cytotoxiques des agents alkylants, car c'est la position où s'effectue l'appariement des bases (Sedgwick, 1997).
D'autres sites d'alkylation de l'ADN ont été proposés comme pouvant être à l'origine d'erreurs de codage : N3 alkyladénine, N3 alkylguanine et O4 alkylthymine (Montesano, 1976). L'ampleur de l'alkylation aux divers sites dans l'ADN dépend de l'espèce alkylante : les cations méthylcarbonium dérivés des CNN sont très réactifs et moins sélectifs et produisent ainsi une vaste gamme de produits (Montesano, 1976; Brown, 1999).
Il n'existe pas de preuves concluantes que le nitrate ou le nitrite comme tels soient cancérogène chez l'être humain. Par conséquent, les sections 10.1 and 10.2 traitent des effets non cancérogènes du nitrate et du nitrite. La section 10.3 examine le risque de cancer qui peut toutefois exister dans des conditions qui favorisent la nitrosation endogène du nitrate et (ou) du nitrite ingéré.
La méthémoglobinémie a longtemps été perçue comme étant le seul effet cible préoccupant chez l'être humain lié à l'exposition au nitrate dans l'eau potable. Des études scientifiques démontrent des cas de méthémoglobinémie chez les nourrissons alimentés au biberon, qui sont la population vulnérable pour ces effets. Des données probantes récentes provenant d'études chez les animaux et chez les humains suggèrent que les effets sur la fonction de la glande thyroïde sont aussi un effet cible préoccupant. Bien que de nombreuses études épidémiologiques aient examiné la relation entre l'exposition au nitrate dans l'eau potable et la survenue de cancers, l'ensemble des données disponibles n'appuie pas clairement une association entre le cancer et l'exposition au nitrate comme tel. Cette observation concorde avec les conclusions du CIRC (2010), qui estime qu'on ne dispose pas de suffisamment de données chez les humains démontrant la cancérogénicité du nitrate comme tel suite à une exposition par les aliments ou l'eau potable. Cependant, les données scientifiques actuelles suggèrent une association entre le cancer et l'exposition au nitrate dans l'eau potable lorsque les conditions supportent la nitrosation dans le corps humain (voir la section 10.3).
Les études scientifiques publiées depuis les années 1950 ont ciblé la méthémoglobinémie comme l'effet toxicologique préoccupant du nitrate chez les humains. Ces études ont établi une association entre la méthémoglobinémie infantile et l'ingestion de nitrate dans l'eau potable à des concentrations dépassant 100 mg NO3¯/L (Walton et coll., 1951; Shuval et Gruener, 1972; Fan et Steinberg, 1996; Zeeman et coll., 2002). Une revue de la science (Fan et Steinberg, 1996) n'a rapporté aucune augmentation de l'incidence de méthémoglobinémie infantile reliée à l'exposition au nitrate dans l'eau potable à des niveaux inférieurs à 45 mg/L. Cependant, la majorité des études ne tenait pas compte de certains facteurs de confusion comme la contamination bactérienne de l'eau potable. Cette contamination peut causer une inflammation intestinale chez les nourrissons, ce qui accroît la conversion endogène de nitrate en nitrite et entraîne une méthémoglobinémie (Avery, 1999).
Les données actuelles suggèrent aussi que l'exposition au nitrate dans l'eau potable peut modifier la fonction de la glande thyroïdienne chez l'humain. Bien que des études aient trouver une faible association entre l'exposition à des concentrations de nitrate supérieures à 50 mg/L et une fonction thyroïdienne modifiées, les résultats sont limités, contradictoires et proviennent d'études avec d'importantes limites méthodologiques (Van Maanen et coll., 1994; Zaki et coll., 2004; Eskiocak et coll., 2005; Tajtakova et coll., 2006; Gatseva and Argirova, 2008a; 2008b; Radikova et coll., 2008). Les données sur le mode d'action laissent croire que la population sensible serait les femmes enceintes et les nourrissons, suite à l'importance d'hormone thyroïdienne adéquate pour le développement neurologique du fétus et du nourrisson et au renouvellement thyroïdien accru pendant ces périodes de vie. Cependant, les résultats de la seule étude ayant examiné les effets du nitrate dans l'eau potable sur la fonction thyroïdienne des femmes enceinte n'étaient pas concluants (Gatseva et Argirova, 2008b). Une fonction thyroïdienne réduite a seulement été observée chez des enfants d'âge scolaire exposés à des niveaux de nitrate dans l'eau potable variant de 50 à 264 mg/L lors d'études effectuées en Bulgarie et en Slovakie. Un effet a été observé lors d'études chez les enfants d'âge scolaire, mais aucune étude n'a examiné l'effet du nitrate sur la fonction thyroïdienne des nourrissons. Même si le renouvellement de l'iode thyroïdien est plus faible chez les nourrissons que chez les enfants d'âge scolaire, leur consommation moyenne d'eau potable est aussi plus faible. Le manque de données scientifiques appropriées ne permet pas le calcul d'un facteur de conversion allant des enfants d'âge scolaire aux nourrissons. Cependant, on anticipe que les niveaux qui sont considérés protecteurs pour les enfants d'âge scolaire le seront aussi pour les nourrissons.
Bien qu'il n'existe aucune étude-clé qui, à elle seule, soit suffisante pour établir une recommandation pour le nitrate dans l'eau potable, l'ensemble des données scientifiques actuelles disponibles ne démontre aucun effet nocif (que ce soit la méthémoglobinémie ou les effets sur la glande thyroïde) chez des populations exposées à des concentrations de nitrate dans l'eau potable inférieures à 45 mg/L. Les nourrissons sont identifiées comme étant les populations les plus sensibles à ces effets du nitrate sur la santé. Par conséquent, une valeur basée sur la santé (VBS) de 45 mg/L est établie pour le nitrate dans l'eau potable.
Les études scientifiques publiées depuis les années 1950 montrent systématiquement que la méthémoglobinémie chez les nourrissons constitue l'effet toxicologique préoccupant du nitrate ou du nitrite chez les humains. Compte tenu de leur mode d'action, le nitrite représente la fraction toxique préoccupante. Le nitrite, ingéré directement dans l'eau potable ou formé par voie endogène à la suite d'une exposition au nitrate, se lie à l'hémoglobine pour causer une méthémoglobinémie. Les études sur l'exposition au nitrate sont donc importantes pour évaluer la méthémoglobinémie induite par le nitrite. L'étude originale de Walton et coll. (1951) a mis au jour des cas aigus de méthémoglobinémie infantile clinique associés à l'ingestion de nitrate dans l'eau potable à des concentrations supérieures à 100 mg de nitrate/L. Une recension des données scientifiques n'a relevé aucun cas de méthémoglobinémie à des concentrations inférieures à 45 mg/L de nitrate dans l'eau potable chez les nourrissons alimentés au biberon âgés de moins de 6 mois (Fan et Steinberg, 1996). La majorité des études publiées depuis l'étude de Walton et coll. (1951) sur les associations entre la méthémoglobinémie infantile et l'ingestion de nitrate dans l'eau potable ont également fait état de taux de nitrate dépassant 100 mg/L (Shuval et Gruener, 1972; Fan et Steinberg, 1996; Zeeman et coll., 2002).
La plupart des études sur la méthémoglobinémie n'ont cependant pas tenu compte de certains facteurs de confusion comme la contamination bactérienne de l'eau potable, qui peut causer une inflammation de l'intestin chez les nourrissons et accroître la conversion endogène de nitrate en nitrite et entraîner par la suite une méthémoglobinémie (Avery, 1999). À la lumière des données ci-dessus sur les humains et du mode d'action toxique du nitrite, les nourrissons constituent la sous-population la plus sensible. Les nourrissons sont plus susceptibles à la méthémoglobinémie car 1) le pH de leur estomac est moins acide, ce qui favorise la croissance de bactéries qui convertissent le nitrate en nitrite, le nitrite se liant à l'hémoglobine pour causer une méthémoglobinémie, et 2) l'enzyme qui réduit la méthémoglobine n'est pas présente en quantité suffisante chez les nourrissons jusqu'à l'âge d'environ 6 mois. Ainsi, une CMA pour les effets induits par le nitrite chez les nourrissons protégera l'ensemble de la population.
Il n'existe pas de données concluantes démontrant le pouvoir cancérogène direct du nitrite comme tel chez des animaux de laboratoire exposés par différentes voies (OMS, 2007; CIRC, 2010). Dans la plupart des études où des souris ou des rats ont été exposés uniquement à du nitrite de sodium par gavage, dans leur nourriture ou dans l'eau potable, l'incidence des tumeurs n'était pas significativement plus élevée que chez les témoins. Des données récentes indiquent que le nitrite peuvent ne pas jouer un rôle direct comme cancérogènes chez les animaux (OMS, 2007; CIRC, 2010). À cause de leur potentiel mutagène dans des systèmes microbiens, de leur rôle possible dans l'induction du cancer de l'estomac et de l'œsophage chez les humains et de leur rôle dans l'induction du cancer chez les animaux de laboratoire (en présence de composés amino), le nitrite pourraient être considérés comme des promoteurs du cancer. Cependant, les données scientifiques actuelles suggèrent une association entre le cancer et l'exposition au nitrite dans l'eau potable lorsque les conditions supportent la nitrosation dans le corps humain (voir la section 10.3).
La valeur basée sur la santé (VBS) pour la méthémoglobinémie infantile induite par le nitrite a été calculée à partir des considérations suivantes : 1) il n'y a aucun cas de méthémoglobinémie à des concentrations inférieures à 45 mg/L de nitrate dans l'eau potable chez les nourrissons alimentés au biberon qui sont âgés de moins de 6 mois, 2) on convertit 45 mg/L de nitrate dans la concentration molaire correspondante de nitrite, 3) on multiplie par un facteur de 0,1 pour tenir compte du taux de conversion estimatif du nitrate en nitrite chez les nourrissons, le nitrite étant formés par voie endogène à partir du nitrate à un taux de 5 à 10 %, et 4) on multiplie par un facteur d'attribution de la source de 100 % ou de 1 pour l'eau potable, vu que l'exposition primaire au nitrite des nourrissons alimentés au biberon se fait par la consommation de préparations lactées reconstituées avec de l'eau potable contenant du nitrate ou du nitrite. Comme la VBS est basée sur le sous-groupe le plus sensible de la population (nourrissons alimentés au biberon âgés de moins de 6 mois), l'utilisation d'un facteur d'incertitude n'est pas jugée nécessaire. La VBS pour le nitrite est calculée de la façon suivante :
Figure 1 - Description textuel
La VBS de 3 mg/L sous forme de No2 (ou de 1 mg/L sous forme de NO2-N) assurera une protection contre la méthémoglobinémie due au nitrite formé par voie endogène et exogène chez les nourrissons alimentés au biberon et dans la population en général.
En raison de la plausibilité biologique de la nitrosation endogène du nitrate et du nitrite ingérés, il peut exister un risque de cancer. Le nitrate ou nitrite ingéré dans des conditions qui entraînent une nitrosation endogène ont été classés par le CIRC (2010) comme étant probablement cancérogènes pour les humains (groupe 2A).
Des données probantes montrent que le mélange de nitrite et de composés nitrosables a un effet cancérogène chez les animaux de laboratoire exposés par diverses voies, dont l'ingestion d'eau potable. Lorsque des doses extrêmement élevées de nitrite et de précurseurs nitrosables (amines ou amides) ont été administrées simultanément par voie orale, une augmentation de l'incidence de tumeurs a été observée (OMS, 2007). Ces types de tumeurs sont habituellement caractéristiques des CNN préformés et l'on présume par conséquent qu'ils sont dus aux CNN correspondants formés par voie endogène.
Bien qu'il existe plusieurs essais biologiques sur le cancer chez les rongeurs, il n'a pas été facile d'en arriver à une conclusion, parce que la plupart des études ont utilisé de fortes doses de précurseurs de la nitrosation (nitrite et précurseurs nitrosables) ainsi que différents précurseurs à différentes concentrations chez différentes espèces. En outre, le plan de la plupart des études était habituellement assez limité (p. ex. taille des groupes pas aussi grande que ce que recommandent les essais biologiques standard; doses maximales tolérées non déterminées pour les précurseurs nitrosables ou leurs combinaisons avec le nitrite; doses uniques utilisées; examen histopathologique limité).
De nombreuses données montrent que les produits de la nitrosation endogène par le nitrite de composés nitrosables sont génotoxiques tant in vitro qu'in vivo (Brambilla et Martelli, 2007). L'administration concomitante de nitrite et de composés nitrosables à des rongeurs a induit des modifications génétiques, notamment une réduction de la synthèse de l'ADN et de la méthylation des acides nucléiques. De plus, les résultats d'études effectuées au cours des quatre dernières décennies indiquent clairement que les produits formés par nitrosation endogène de médicaments peuvent présenter un risque d'effet génotoxique/cancérogène chez les humains (Brambilla, 1985; Brambilla et Martelli, 2007).
L'estimation des taux de formation de CNN dans l'estomac humain est une étape importante dans l'évaluation du rôle de la nitrosation endogène dans l'étiologie du cancer (Licht et Deen, 1988). Pour estimer le risque de cancer associé au nitrate/nitrite ingéré soumis au processus de nitrosation endogène, il faut quantifier la formation endogène de CNN qui, chez les humains, doit être précédée par la conversion de nitrate en nitrite. S'il est vrai que plusieurs essais biologiques sur l'exposition au nitrite et à des composés nitrosables ont été effectués chez des animaux de laboratoire, on ne dispose d'aucune étude fiable sur la relation dose-réponse où l'on a observé une induction accrue de tumeurs en fonction des doses de nitrite et de composés nitrosables administrées simultanément. Ces études corroborent toutes néanmoins l'existence d'une association positive entre l'exposition au nitrite combinés aux composés amino et l'induction du cancer.
Plusieurs expériences chez les humains ont tenté de caractériser la nitrosation endogène, mais l'exactitude de cette quantification demeure controversée. Les études publiées concluent toutes cependant que le risque de cancer associé à la formation endogène de nitrosamines est influencé par quatre variables : 1) la quantité de nitrite ingérés ou formés à partir du nitrate, 2) la quantité de substances nitrosables ingérées, 3) le taux de nitrosation in vivo et 4) le potentiel cancérogène des nitrosamines résultantes. Dans ce contexte, les techniques de modélisation qui permettraient d'analyser la relation complexe entre le nitrate formés par voie exogène et endogène, le nitrite et les CNN sont actuellement considérées comme la meilleure façon de caractériser la nitrosation endogène (NAS, 1981).
Pour évaluer dans quelle mesure une population hollandaise était exposée à un risque de cancer associé à l'ingestion de nitrate alimentaire, Zeilmaker et coll. (2010) ont utilisé une méthodologie indirecte pour quantifier l'exposition gastrique in vivo à la NDMA provenant de la consommation d'un poisson et d'un repas de légumes. Ils ont appliqué un modèle gastro-intestinal in vitro dynamique pour simuler la formation de NDMA dans l'estomac. Les résultats de cette expérience ont été combinés à une modélisation statistique des données sur la consommation d'aliments aux Pays-Bas, ce qui a permis de prédire les expositions à la NDMA formée par voie endogène dans la population. Les données sur l'exposition ont été analysées au moyen d'un modèle d'exposition probabiliste, à partir duquel on a obtenu la distribution des expositions prolongées moyennes dans la population. Selon cette étude, le 95e percentile de la distribution de l'exposition prolongée se situait à environ 4 ng/kg pc chez les jeunes enfants de 1 an et à 0,4 ng/kg pc chez les adultes. De plus, la distribution de l'exposition prolongée a été combinée avec une analyse dose-réponse (modèle multi-étapes linéarisé, utilisation de l'approche de la dose de référence) des données sur l'incidence du cancer provenant d'études sur des rats exposés à la NDMA (Peto et coll., 1991a, 1991b) en vue d'obtenir une distribution du risque de cancer dans la population humaine. Les auteurs ont présumé qu'une relation dose-réponse linéaire (modèle LVM-E4) constituerait le pire scénario. Le 95e percentile de cette distribution a été estimé comme étant le risque supplémentaire couru par les enfants de 5 ans et les adultes. À partir de cette étude, on a conclu que la consommation combinée de poisson et de légumes riches en nitrate semblait entraîner des hausses marginales du risque additionnel de cancer.
Cette étude n'a pas utilisé l'eau potable comme voie d'exposition, mais plutôt des estimations de l'apport en nitrate en provenance des légumes. Bien que les légumes constituent la principale source de nitrate lorsque les concentrations de nitrate dans l'eau potable sont faibles, de nombreux légumes (comme ceux utilisés dans l'étude de Zeilmaker et coll., 2010) contiennent de la vitamine C ou d'autres inhibiteurs de la nitrosation endogène. Le nitrate tiré de ces sources peuvent entraîner une formation endogène moins importante de CNN comparativement au nitrate provenant de l'eau potable (CIRC, 2010).
Deux vastes projets de recherche ont été menés dans la province de Québec pour évaluer l'impact des activités agricoles intensives sur les sources d'eau souterraine dans certaines régions rurales. Un des deux projets, dirigé par l'Université Laval, a porté sur les sources publiques d'eau potable. L'autre projet, une étude conjointe par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, le ministère de la Santé et des Services sociaux et l'Institut national de santé publique, a évalué les puits privés. Les deux projets de recherche comportaient une évaluation quantitative probabiliste du risque, visant à estimer l'excès de risque de cancer chez les humains associé à la consommation d'eau potable contaminée par le nitrate (Phaneuf et coll., 2004; Chébékoué, 2008).
Ces projets de recherche (Phaneuf, 2004; Chébékoué, 2008) se sont servis d'un modèle mathématique simple provenant d'une publication revue par un comité de lecture (Shephard et coll., 1987) pour estimer les quantités de nitrosamines formées par voie endogène dans l'estomac humain après la consommation d'eau potable contenant des concentrations connues de nitrate. Le modèle calcule la dose journalière d'une amine spécifique formée in vivo comme étant proportionnelle à la quantité de précurseurs d'amines ingérés et au carré de la concentration gastrique de nitrite généré en utilisant l'équation suivante (inspirée des travaux en cinétique effectués jusqu'à présent) :
Figure 2 - Description textuel
La dose journalière d'une nitrosamine spécifique (DJnitros) est calculée en multipliant d'abord le carré de la concentration de nitrite gastrique ([NO2-]2) par l'apport quotidien total de l'amine spécifique correspondante (AQam), puis par le taux de nitrosatabilité (Kam), puis par 3600 secondes (correspondant à 1 heure), et enfin par le poids moléculaire de la nitrosamine (MWnitros). La valeur obtenue est par la suite divisée par le poids corporel moyen d'un adulte (estimé comme étant 70 kilogrammes) pour calculer la dose journalière de la nitrosamine.
où :
- DJ nitros
- dose journalière d'une nitrosamine spécifique (mg/kg pc/jour);
- [NO 2 -]
- concentration gastrique de nitrite (mol/L), censée correspondre à la quantité entière de nitrite salivaire résultant de la réduction par la flore buccale du nitrite total provenant de l'eau potable contaminée. Cette variable est mise au carré parce que deux molécules de l'ion nitrite sont requises pour former une molécule de l'espèce nitrosante N 2O 3;
- AQam
- Apport quotidien total d'amines (mol/jour);
- Kam
- constante du taux de nitrosatabilité (mol/L) -2·s -1), indiquant la facilité relative de nitrosation d'une amine spécifique;
- 3600
- 1 heure, mesurée en secondes; estimation du temps durant lequel les concentrations de précurseurs de nitrite et d'amines demeureraient constantes dans la région de l'œsophage et du cardia;
- PM nitros
- poids moléculaire de la nitrosamine spécifique (mg/mol);
- pc
- poids corporel moyen d'un adulte, estimé à 70 kg.
Afin de tenir compte de la variabilité à l'intérieur de la population étudiée, les distributions de la probabilité des paramètres d'entrée (c. à d. concentration gastrique de nitrite, apport quotidien total de l'amine spécifique) ont été estimées au moyen d'une analyse de Monte Carlo. La distribution de la quantité de nitrosamine individuelle formée dans l'estomac, telle que représentée par DJnitros, a été calculée à partir des résultats des simulations de Monte Carlo.
Estimation des concentrations gastriques de nitrite
Figure 3 - Description textuel
La concentration de nitrite gastrique ([NO2-]) est calculée en multipliant d'abord la concentration de nitrate ([NO3-]) par le taux de transformation de nitrate en nitrite (TT), puis par la consommation journalière d’eau (CE). La valeur obtenue est par la suite divisée par le volume de l'estomac (Ve) pour calculer la concentration de nitrite gastrique.
où :
- [NO 2 -]
- concentration gastrique de nitrite (mol/L);
- [NO 3 -]
- concentration de nitrate (mol/L). Les concentrations en mg NO 3-N/L ont été converties en utilisant un facteur de 4,429 (1/0,226; 0,226 mg NO 3-N/L correspondant à 1 mg/L sous forme de NO 3 -) et le poids moléculaire de nitrate (62 g/mol);
- TT
- taux de transformation du nitrate en nitrite, obtenu en utilisant le taux maximal de 0,3. Les études publiées semblent indiquer que ce taux augmente avec l'âge chez les personnes en santé (Eisenbrand et coll., 1980; Forman, 1989; Siddiqi et coll., 1992) et des taux maximaux atteignant environ 30 % ont été signalés (Bos et coll. 1988; Mirvish, 2000; Xu et coll., 2001; Suzuki et coll., 2005; McColl, 2007);
- CE
- consommation quotidienne d'eau (L);
- Ve
- volume de l'estomac (L), estimé à 0,5 L. Le volume de l'estomac est en fait d'environ 1 L. Toutefois, la région de l'œsophage et du cardia, où le nitrite salivaire entre d'abord en contact avec le suc gastrique acide, échappe à l'effet tampon des aliments et demeure très acide après les repas. De même, la sécrétion active de l'acide ascorbique ayant un effet inhibiteur se fait en aval dans la région antrale. Par conséquent, cette région est le principal site permettant une nitrosation luminale maximale (McColl, 2007).
Estimation de l'apport quotidien en amines
La distribution a été ajustée à ce paramètre du modèle en utilisant des valeurs pour la moyenne et l'écart type obtenues à partir des statistiques calculées. L'apport quotidien en une amine secondaire alimentaire particulière a été estimé en multipliant le taux d'ingestion de chaque aliment qui en contenait par la concentration correspondante d'amines (Shephard et coll., 1987) et en additionnant les résultats pour tous les aliments de la façon suivante :
Figure 4 - Description textuel
L'apport quotidien total d'une amine spécifique (AQam) est calculée en faisant la sommation pour tous les aliments (i, j, …n) des produits de la concentration de l'amine dans chaque aliment ([am]a) par le taux d'ingestion de cet aliment (TIa). La somme obtenue est par la suite divisée par le poids moléculaire de l'amine (PMam) pour obtenir l'apport quotidien de cette amine.
où :
- AQam
- apport quotidien total d'une amine spécifique (mol/jour);
- [am] a
- concentration d'amines dans un aliment particulier (mg/kg);
- TI a
- taux d'ingestion estimatif d'un certain aliment (kg/jour), d'après les données sur la consommation canadienne d'aliments (Chébékoué, 2008), la base de données américaine sur les aliments (Phaneuf et coll., 2004);
- PM am
- poids moléculaire de l'amine (mg/mol);
- i, j, …, n
- aliments particuliers.
Un modèle sans seuil a été utilisé pour les estimations des risques de cancer, car il représente la pire relation dose réponse à de faibles doses. Le modèle présume que le risque pour la santé est lié de façon linéaire tant au potentiel cancérogène qu'à la formation endogène quotidienne de chaque nitrosamine spécifique (Shephard et coll., 1987). En se basant sur les configurations ci dessus, on a estimé la distribution générale du risque de cancer en calculant le risque de cancer pour chaque résultat individuel d'exposition (simulations de Monte Carlo) qui sous tendait la distribution de l'exposition :
Figure 5 - Description textuel
L'excès de risque de cancer associé à l'exposition à une nitrosamine spécifique est calculé en multipliant la dose journalière de nitrosamine (DJnitros, selon l'équation [1] ci-dessus) par l'indice de potentiel cancérogène pour l'humain (IPChuman).
ER = DJnitros × IPChumain [4]
où :
- ER
- excès de risque de cancer associé à l'exposition à une dose quotidienne d'une nitrosamine particulière formée dans l'estomac après l'ingestion d'eau potable;
- DJ nitros
- dose journalière de nitrosamine (mg/kg pc/jour), d'après l'équation [1] ci dessus;
- IPC humain
- indice de potentiel cancérogène pour les humains ((unité de dose/jour) -1). C'est l'excès de risque de cancer associé à l'exposition à 1 unité de dose d'une nitrosamine donnée par jour.
Pour les estimations du risque de cancer, Chébékoué (2008) a utilisé « l'indice de potentiel cancérigène » pour l'humain (qhumain), estimé par l'OEHHA (2005) à partir de la limite supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % sur le coefficient linéaire q1 (q1*), ce qui représente le modèle dose réponse ajusté le plus prudent. Phaneuf et coll. (2004) ont employé le q1* de l'Integrated Risk Information System (IRIS) sans échelle. À cause du facteur d'échelle, les valeurs de l'OEHHA (PC3/4 utilisé pour la comparaison interspécifique des doses) étaient environ 2 fois plus faibles que les valeurs dans le système IRIS (PC2/3 utilisé), ce qui donne une estimation plus prudente.
Les limites supérieures de l'intervalle de confiance à 95 % pour les risques de cancer chez les humains associées à la NDMA, à la N-nitrosodiéthylamine (NDEA) et à la N-nitrosopyrrolidine (Phaneuf et coll., 2004; Chébékoué, 2008) étaient inférieures à 10-5. Selon les estimations de l'excès de risque de cancer découlant d'une exposition endogène à ces nitrosamines dans une population humaine pendant 70 ans qui ont été calculées dans ces deux études, il est peu probable que l'excès de risque de cancer soit significatif.
Bien qu'on ne dispose pas de suffisamment de données relatives aux nitrosamines pour estimer les risques associés à leur formation endogène, l'évaluation récente du risque pour la santé effectuée pour la NDMA (Santé Canada, 2011) peut être utilisée pour calculer une estimation ponctuelle de l'ER. Les risques unitaires ont été calculés à partir des valeurs de la DT05 (c. à d. la dose associée à une augmentation de 5 % de l'incidence de tumeurs par rapport au niveau de fond) qui ont été obtenues en ajustant un modèle multi étapes aux données des études sur la cancérogénicité de la NDMA chez le rat effectuées par Peto et coll. (1991a, 1991b). Les valeurs de la DT05 sont les doses auxquelles l'excès de risque de cystadénomes biliaires et de carcinomes hépatiques a augmenté de 5 % par rapport au niveau de fond. Un facteur d'échelle allométrique de (0,35/70)¼ permettant d'extrapoler les données des animaux de laboratoire aux humains a été appliqué aux risques unitaires résultants afin de tenir compte des différences interspécifiques dans la susceptibilité à la NDMA (Santé Canada, 2011).
La concentration de nitrite dans l'estomac est calculée au moyen de l'équation [2] de la section 10.3.1.1 :
Figure 6 - Description textuel
La concentration de nitrite dans l'estomac est égale à 6,53 × 10-4 mole par litre. Cette valeur, tel qu'indiqué dans l'équation [2] ci-dessus, est calculée en multipliant d'abord la concentration de nitrate dans l'eau potable de 45 milligrammes par litre par le taux de transformation du nitrate en nitrite de 0,3, puis par la consommation quotidienne d'eau de 1.5 litres par jour. La valeur calculée est par la suite divisée par le volume de l'estomac de 0.5 litre pour obtenir la concentration de nitrite gastrique.
où :
- [NO 3 -]
- concentration de nitrate dans l'eau potable de 45 mg/L exprimée en nitrate, convertie en moles/L (VBS, telle que définie dans la section 10.1);
- TT
- taux de transformation du nitrate en nitrite de 30 %;
- CE
- consommation d'eau; 1,5 L est le volume quotidien estimatif d'eau de robinet consommée par un adulte.
Nous avons ensuite calculé l'apport quotidien de l'amine particulière, en l'occurrence la DMA, en utilisant l'équation [3] ci dessus :
Figure 7 - Description textuel
L'apport quotidien de DMA (AQDMA) est calculé comme étant de 1,91 × 10-4 moles par jour. Cette valeur, tel qu'indiquée dans l'équation [3] ci-dessus, est calculée en faisant la sommation pour tous les aliments (i, j, …n) des produits de la concentration DMA dans chaque aliment ([am]a) par le taux d'ingestion de cet aliment (TIa). La somme obtenue est par la suite divisée par le poids moléculaire de la DMA (PMam) pour en obtenir l'apport quotidien de cette amine. Dans cet exemple, l'apport quotidien de DMA est calculé en multipliant le 95e percentile de la valeur de distribution de l'apport quotidien de DMA (0,123 milligramme par kilogramme de poids corporel par jour calculé par Phaneuf et coll., 2004) par 70 kilogrammes, le poids corporel d'un adulte. La valeur obtenue est par la suite divisée par 45 × 103 milligrammes par mole pour calculer l'AQDMA en mole par jour.
où :
- ([am] a × TI a)
- le produit de la concentration d'amines dans un aliment donné, multiplié par le taux estimatif d'ingestion de l'aliment donné et exprimé en mg/jour; on peut aussi calculer ce produit en multipliant le 95 e percentile de la valeur de distribution de l'apport quotidien de DMA (0,123 mg/kg pc/jour, selon Phaneuf et coll., 2004) par le poids corporel d'un adulte (70 kg);
- PM DMA
- poids moléculaire de la DMA (45 × 10 3 mg/mol); et
- i, j, …, n
- aliments particuliers.
La dose journalière de NDMA formée par voie endogène est ensuite calculée à l'aide de l'équation [1] :
Figure 8 - Description textuel
La dose journalière de NDMA endogène (DJNDMA) est égale à 6,21 × 10-4 microgrammes par kilogramme de poids corporel par jour. Cette valeur, tel qu’indiqué dans l’équation [2] ci-dessus, est calculée en multipliant le carré de 6,53 × 10-4 mole par litre soit la concentration gastrique de nitrite calculée plus tôt, par l’apport quotidien total de NDMA de 1,91 × 10-4 mole par jour, par la constante du taux de nitrosatabilité de 0,002 mole par litre carré par seconde, puis par 3600 secondes, et enfin par le poids moléculaire de la NDMA de 74 × 103 milligrammes par mole. La valeur obtenue est par la suite divisée par 70 kilogrammes pour calculer la dose journalière de NDMA.
où :
- [NO 2 -]
- concentration gastrique de nitrite (mol/L), calculée comme étant 6,53 × 10 -4 moles/L;
- AQ am
- apport quotidien total en amines (mol/jour), calculé comme étant 1,91 × 10 -4 moles/jour;
- K am
- constante du taux de nitrosabilité de 0,002 mol/L -2·s -1;
- 3600
- estimation de la durée pendant laquelle les concentrations de précurseurs aminés et de précurseurs de nitrite demeureraient constantes dans la région de l'œsophage et du cardia; mesurée en secondes;
- PM nitros
- poids moléculaire de la nitrosamine spécifique (mg/mol), 74 × 10 3 pour la NDMA;
- pc
- poids corporel moyen d'un adulte, estimé comme étant 70 kg.
Enfin, l'excès de risque de cancer associé à la formation endogène de NDMA à partir de la DMA est calculé de la façon suivante :
Figure 9 - Description textuel
L'excès de risque de cancer de la NDMA est de 6,5 × 10-6 (arrondi). Cette valeur, tel qu'indiqué dans l’équation [4] ci-dessus, est calculée en multipliant la dose journalière de NDMA de 6,21 × 10-4 microgramme par kilogramme de poids corporel par jour (calculé précédemment) par l'indice de potentiel cancérogène pour l'humain de 1,04 × 10-2 par microgramme par kilogramme de poids corporel par jour.
où :
- DJ NDMA
- dose journalière de NDMA formée par voie endogène qui a été calculée ci dessus (6,21 × 10 -4 µg/kg pc/jour);
- IPC humain
- limite supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % de la DT 05 pour les carcinomes hépatiques (1,04 × 10 -2 (µg/kg pc/jour) -1) (Santé Canada, 2011).
Dans le cas d'une exposition à une concentration de nitrate dans l'eau potable équivalant à la VBS de 45 mg/L, l'excès de risque à vie de cancer associé à la formation endogène de NDMA est estimé à 6,5 × 10-6, ce qui se situe dans la plage de risque considérée comme essentiellement négligeable.
En théorie, l'ingestion de nitrate via l'eau potable pourrait accroître le risque de cancer chez les humains à un niveau considéré comme étant essentiellement négligeable. Zeilmaker et coll. (2010) en sont arrivés à la même conclusion pour le nitrate alimentaire, même après avoir tenu compte de l'inhibition de la nitrosation endogène.
L'évaluation quantitative du risque (EQR) décrite ci-dessus comporte plusieurs hypothèses et incertitudes inhérentes. Même si nous avons utilisé un certain nombre d'hypothèses représentant les pires scénarios, le risque théorique demeure faible. Ces valeurs numériques ne devraient cependant être utilisées que comme une estimation approximative du risque potentiel couru par la population exposée via l'eau potable.
Nous avons choisi la NDMA comme composé modèle dans l'EQR principalement parce qu'il s'agissait du composé pour lequel nous disposions du plus grand nombre de données pour notre évaluation. La NDMA ne devrait pas être considérée comme étant représentative de tous les CNN.
Plusieurs autres hypothèses ont été formulées dans le cadre de cette EQR, notamment l'hypothèse selon laquelle la NDMA est formée entièrement à partir de la diméthylamine, par le biais d'une relation directe. La nitrosation de la diméthylamine pourrait être plus complexe, et plusieurs autres dérivés nitrosés pourraient être formés, limitant ainsi la production de la NDMA. En outre, il a été établi que certains composés nitrosables peuvent donner naissance à divers types différents de CNN dans l'estomac, ce qui complique l'évaluation du risque (Mirvish, 1975a). La formation de composés C-nitroso (dont la plupart peuvent être non cancérogènes ou des cancérogènes plus faibles que les composés N-nitroso) peut compétitionner avec la N-nitrosation pour le nitrite dans l'estomac. La formation de thiolnitrite instables pourrait également entrer en compétition avec la N-nitrosation (Crespi et Ramazzotti, 1991).
Malgré ces limites, le modèle utilisé pour cette évaluation quantitative du risque permet de cerner certaines lacunes importantes dans nos connaissances concernant les facteurs qui influent le plus sur la formation de nitrosamines : le taux de transformation du nitrate en nitrite et les niveaux d'exposition aux composés aminés.
L'exposition au nitrate peut être modifiée par la synthèse endogène. Bien que la majorité du nitrate dans l'organisme proviennent du nitrate ingéré, la synthèse endogène de nitrate est importante. Ce processus produirait, selon les estimations, 1 mmol de nitrate/jour (ce qui équivaux à 62 mg d'ions nitrate par jour) chez les adultes dans des conditions normales (Mensinga et coll., 2003; OMS, 2007). Cette synthèse endogène vient compliquer les études du métabolisme et de la pharmacocinétique du nitrate et du nitrite, bon nombre de ces études ne pouvant fournir que des données qualitatives ou semi-quantitatives sur l'inter-conversion in vivo de ces substances.
D'autres facteurs critiques pour lesquels il existe des lacunes sont les données concernant les concentrations de composés aminés (substrats amines ou amides) dans les aliments. Jusqu'à ce qu'on dispose de plus d'information sur les concentrations des précurseurs amines ou amides, il demeurera extrêmement difficile d'évaluer l'importance de la formation gastrique de composés N-nitroso dans l'étiologie du cancer. Des estimations exactes du taux d'inhibition de la nitrosation endogène sont également nécessaires. Il existe actuellement tout un éventail de valeurs estimatives tirées de différentes études. Une meilleure caractérisation de l'inhibition de la nitrosation endogène pourrait permettre d'obtenir des estimations plus exactes de ce paramètre (Licht et Deen, 1988).
Le CIRC (2010) a classé le nitrate dans le groupe 2A, indiquant que le nitrate ou nitrite ingérés dans des conditions qui entraînent une nitrosation endogène sont probablement cancérogènes pour les humains. On ne possède pas cependant assez de données scientifiques récentes provenant d'études sur des animaux et des humains et portant sur la nitrosation endogène pour pouvoir établir une recommandation relative à l'eau potable qui se base sur le risque de cancer. Il est toutefois possible d'estimer le risque de cancer associé à une nitrosamine connue, la NDMA, formée par nitrosation endogène à la suite d'une dose spécifique d'exposition au nitrate dans l'eau potable. Dans le contexte d'une exposition au nitrate dans l'eau potable à une concentration équivalant à la VBS de 45 mg/L, l'excès de risque à vie de cancer par rapport au niveau de fond pour la NDMA est estimé à 6,5 × 10-6, ce qui se situe dans la plage de risque considérée par Santé Canada comme étant essentiellement négligeable (1 × 10-6 à 1 × 10-5).
L'EPA des É.-U. (1991) a fixé une concentration maximale de contaminants (MCL) de 10 mg/L pour l'azote de nitrate ou de 45 mg/L pour l'ion nitrate, en se basant sur les signes cliniques aigus de cyanose après une exposition au nitrate associée à une méthémoglobinémie infantile, ainsi qu'une MCL de 1 mg/L pour l'azote de nitrite ou 3,3 mg/L pour l'ion nitrite. Elle a également établi une norme conjointe pour la somme de la concentration de nitrate et de nitrite, soit 10 mg/L sous forme d'azote. La norme combinée ne remplace pas les concentrations maximales individuelles de contaminants pour le nitrate ou le nitrite; c'est donc dire que la contribution maximale du nitrite ne peut dépasser 1 mg/L sous forme d'azote de nitrite.
Le Comité mixte de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA) a reconfirmé une DJA de 0-3,7 mg/kg pc pour le nitrate et une DJA de 0-0,07 mg/kg pc pour le nitrite (FAO/OMS, 2003a, 2003b). Pour le nitrate, la DJA était basée sur une dose sans effet observé (NOEL) de 370 mg/kg pc/jour exprimée en ion nitrate pour la restriction de la croissance, selon des études de longue durée sur des rats et une étude subchronique sur des chiens ainsi qu'un facteur de sécurité de 100 (×10 pour les différences interspécifiques et ×10 pour les différences interindividuelles). Même si les rats peuvent ne pas offrir un bon modèle pour les humains, à cause de leur faible conversion du nitrate en nitrite dans la salive, ces études ont été jugées pertinentes pour l'évaluation du risque parce qu'une NOAEL similaire a été observée dans des analyses toxicocinétiques chez des chiens et des rongeurs. Le JECFA a également établi une NOAEL « transposée » pour le nitrate d'après 1) une DSEO de 6,7 mg/kg pc/jour pour l'ion nitrate détecté dans une étude de 2 ans sur des rats où des effets cardiaques et pulmonaires ont été relevés à la dose immédiatement supérieure (Maekawa et coll., 1982); 2) un taux de conversion de nitrate en nitrite de 5 % dans la salive; et 3) un facteur d'incertitude de 50, résultant en une DJA de 0-3,2 mg/kg pc pour le nitrate; comme cette valeur ne différait pas grandement de la DJA antérieure, le Comité n'a pas modifié la DJA (FAO/OMS, 2003a). Pour le nitrite, la DJA a été obtenue à partir de la NOEL de 6,7 mg/kg pc/jour pour l'ion nitrite (Maekawa et coll., 1982) et un facteur de sécurité de 100 a été utilisé. Le JECFA a conclu qu'il serait approprié d'établir une dose de référence aiguë pour le nitrite. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, 2008) n'a retracé aucune nouvelle donnée qui pourrait justifier la révision de la DJA du JECFA.
L'OMS (2007) a recommandé une valeur guide de 50 mg/L pour le nitrate dans l'eau potable sur la foi de données épidémiologiques relatives à la méthémoglobinémie chez les nourrissons exposés pendant une courte période, valeur qui protège à la fois les nourrissons alimentés au biberon et le reste de la population. La contamination microbienne et les infections gastro-intestinales subséquentes faisaient courir un risque important aux nourrissons alimentés au biberon; l'OMS recommande ainsi de ne pas utiliser de l'eau contenant des concentrations de nitrate supérieures à 10 mg/L pour les nourrissons alimentés au biberon et de s'assurer que l'eau est de bonne qualité microbiologique. Une valeur guide de 3 mg/L pour le nitrite dans l'eau potable a été établie pour les expositions de courte durée et se base également sur des données épidémiologiques indiquant qu'une méthémoglobinémie a été observée chez des nourrissons exposés à des doses de nitrite allant de 0,4 à > 200 mg/kg pc, compte tenu d'un poids corporel de 5 kg pour un nourrisson et d'une consommation d'eau potable de 0,75 L/jour. L'OMS a également fixé une valeur guide provisoire pour l'exposition de longue durée au nitrite dans l'eau potable, soit 0,2 mg/L, en se basant sur un poids de 60 kg chez un adulte, qui consomme 2 L/jour, et sur un facteur d'attribution à la DJA de 0,07 mg/kg pc/jour calculé par le JECFA (FAO/OMS, 2003a). Cette valeur guide est considérée provisoire à cause de l'incertitude entourant la susceptibilité des humains par rapport aux animaux. Lorsqu'une personne est exposée simultanément à du nitrate et à du nitrite dans l'eau potable, la somme des ratios des concentrations de chacune de ces valeurs guides ne devrait pas dépasser un.
Le nitrate et le nitrite sont très répandus dans l'environnement. Ils peuvent être présents naturellement ou suite aux activités humaines, notamment l'agriculture et le traitement des eaux. La voie d'exposition principale est l'ingestion des aliments. Environ 80 % de l'exposition totale au nitrite provient du nitrite formé par la réduction du nitrate par des bactéries orales.
La méthémoglobinémie a longtemps été considérée comme l'effet préoccupant chez les humains de l'exposition au nitrate dans l'eau potable. Des données scientifiques montrent des cas de méthémoglobinémie chez les nourrissons alimentés au biberon, qui sont la population sensible à ces effets. Des données récentes provenant d'études sur des animaux et des humains semblent indiquer que les effets sur la fonction thyroïdienne sont aussi un effet préoccupant. Des études ont observé un effet chez les enfants d'âge scolaire, mais aucune étude n'a examiné cet effet chez les nourrissons, qui seraient la population la plus vulnérable pour cet effet à la santé. Les données scientifiques actuelles suggèrent une association entre le cancer et l'exposition au nitrate dans l'eau potable dans des conditions entraînant une nitrosation dans le corps humain. Le CIRC a déterminé que les données sont insuffisantes chez les humains pour établir la cancérogénicité du nitrate, mais a classé le nitrate ingéré comme étant probablement cancérogène pour les humains dans des conditions qui entraînent une nitrosation endogène.
Les études scientifiques ont systématiquement démontré que la méthémoglobinémie est un effet toxicologique préoccupant du nitrate chez les humains, mais seulement à des concentrations dans l'eau potable de plus de 45 mg/L. Cependant, ces études ne tenaient pas compte des facteurs de confusion comme la contamination bactérienne de l'eau potable. Les nourrissons sont considérés être la population la plus sensible pour la méthémoglobinémie.
Les données actuelles suggèrent aussi que l'exposition au nitrate dans l'eau potable peut modifier la fonction de la glande thyroïdienne chez l'humain. Bien que des études aient trouver une faible association entre l'exposition à des concentrations de nitrate supérieures à 50 mg/L et une fonction thyroïdienne modifiées, les résultats sont limités, contradictoires et proviennent d'études avec d'importantes limites méthodologiques. Les nourrissons constituent la sous-population la plus sensible à cet effet vu que la demi-vie sérique et la durée de conservation du nitrate dans leurs hormones thyroïdiennes sont beaucoup plus courtes. De plus, l'exposition au nitrate durant la grossesse peut influer sur la production des hormones thyroïdiennes, ce qui pourrait avoir un retentissement sur le développement du fœtus.
Bien qu'il n'existe aucune étude-clé qui, à elle seule, soit suffisante pour établir une recommandation pour le nitrate dans l'eau potable, l'ensemble des données scientifiques actuelles disponibles ne démontre aucun effet nocif (que ce soit la méthémoglobinémie ou les effets sur la glande thyroïde) chez des populations exposées à des concentrations de nitrate dans l'eau potable inférieures à 45 mg/L. Dans le contexte de ce document, le risque de cancer chez les humains a été calculé selon la formation endogène d'un composé N-nitroso précis, la NDMA, en utilisant le scénario le plus défavorable. L'excès de risque à vie de cancer lié à la formation endogène de NDMA associé à l'ingestion d'eau potable contenant 45 mg/L de nitrate est estimé à 6,5 × 10-6, ce qui se situe dans la plage de risque considérée par Santé Canada comme étant essentiellement négligeable (1 × 10-6 à 1 × 10-5).
La CMA pour le nitrate est établie à 45 mg/L (équivalant à 10 mg/L d'azote de nitrate) afin de protéger la santé de la population la plus vulnérable, les nourrissons alimentés au biberon. Elle peut être mesurée par les méthodes d'analyse courantes et peut être atteinte grâce aux techniques de traitement existantes à l'échelle municipale.et à l'échelle résidentielle. Dans le cadre de son processus continu de révision des recommandations, Santé Canada continuera à suivre les nouvelles recherches dans ce domaine et recommandera au besoin les modifications jugées appropriées. Le ministère surveillera particulièrement la science concernant les effets sur la glande thyroïde, y compris les effets neurodéveloppementaux, dans la sous-population la plus sensible.
La méthémoglobinémie induite par le nitrite a été sélectionnée comme effet préoccupant du nitrite dans l'eau potable. Les nourrissons ont été identifiés comme la sous population la plus sensible à cet effet vu que 1) le pH de leur estomac est moins acide, ce qui favorise la croissance de bactéries qui convertissent le nitrate en nitrite, lesquels se lient à l'hémoglobine pour causer une méthémoglobinémie, et 2) les enzymes qui réduisent la méthémoglobine sont moins abondantes et moins actives chez les nourrissons jusqu'à l'âge d'environ 6 mois.
La recommandation pour le nitrite dans l'eau potable est une concentration maximale acceptable de 3 mg/L (équivalant à 1 mg/L sous forme d'azote). La CMA assurera une protection contre la méthémoglobinémie induite par la formation endogène et exogène de nitrite chez les nourrissons alimentés au biberon et la population en général. Dans le cadre de son processus continu de révision des recommandations, Santé Canada continuera à suivre les nouvelles recherches dans ce domaine et recommandera au besoin les modifications jugées appropriées.
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