Analyse des mesures potentielles en l’appui à l’accès et la découvrabilité du contenu local et national — Diversité des contenus à l’ère numérique

Février 2020

Destiny Tchéhouali

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Liste des acronymes et abréviations

ABC
Société de radiodiffusion australienne
ACE
Conseil des arts d'Angleterre
ARD
Groupe de travail des sociétés de radiodiffusion publique de la République fédérale d'Allemagne
BACUA
Banque audiovisuelle de contenus universels argentins
BBC
Société de radiodiffusion britannique
BFI
Institut du film britannique
CMPA
Canadian Media Production Association
CNC
Centre national du cinema et de l’image animée
CNRS
Centre national de la recherche scientifique
CRTC
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
DCMS
Département pour le numérique, la culture, les médias et les sports
DDB
Deutsche Digitale Bibliothek
FMC
Fonds des médias du Canada
GAFA
Google, Apple, Facebook and Amazon
INCAA
Institut national du cinéma et des arts audiovisuels d’Argentine
OCCQ
Observatoire de la culture et des communications du Québec
OIF
Organisation internationale de la Francophonie
OMPI
Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
ONGs
Organisation non gouvernementale
RPR
La Répérabilité ; la Prédictibilité ; et la Recommandabilité
RTBF
l’initiative de la radio-télévision belge de la Communauté française
SACEM
Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
SBS
Service spécial de radiodiffusion
SEO
Search Engine Optimization
SMA
Directive sur les Services des Médias Audiovisuels
SVOD
Vidéo à la demande par abonnement
TPS
Taxe sur les produits et services
TVH
Taxe de vente harmonisée
UE
l’Union Européenne
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
VOD
Vidéo à la demande
ZDF
Deuxième télévision allemande

Exonération

Ce rapport a été préparé pour le ministère du Patrimoine canadien et la Commission canadienne pour l’UNESCO par Destiny Tchéhouali. Les points de vue, les opinions et les recommandations exprimés dans ce rapport sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle du gouvernement du Canada. La responsabilité de toute erreur, interprétation ou omission incombe uniquement à l’auteur.

Introduction et mise en contexte

Le développement fulgurant des services en ligne de visionnement, de lecture et d’écoute en flux continu (streaming) de vidéos, de films/séries, de livres et de musique, au cours des dernières années, incite à se préoccuper de la manière dont les citoyens accèdent, découvrent et consomment les contenus culturels locaux et nationaux. En effet, la prolifération des plateformesNote de bas de page 1 numériques, qui s’imposent désormais comme des fournisseurs (producteurs, diffuseurs et distributeurs) de contenus à l’échelle mondiale, contribue à une circulation transnationale d’une variété de biens et services culturels.

Bien qu’ayant fortement augmenté, avec la démultiplication des nouveaux services et médias numériques, l’offre de contenus culturels disponibles sur les plateformes telles que Netflix, Amazon, Spotify, YouTube/Google, demeure fortement déterminée par des logiques éditoriales et algorithmiques. Celles-ci sont elles-mêmes influencées par des intérêts et des impératifs de résultats commerciaux ou économiques que soutiennent les processus de standardisation et de concentration croissante des marchés culturels globaux. En effet, l’existence d’une multitude de canaux de diffusion et de distribution numériques de contenus culturels auxquels les citoyens ont accès ne garantit pas de manière systématique la mise en valeur, l’exposition et la visibilité d’une diversité de contenus au niveau de l’offre disponible. De même, la variété et l’abondance de l’offre produite et disponible en ligne n’impliquent pas nécessairement de la diversité au niveau de l’offre exposée, visible ou recommandée, et donc découvrable. Par ailleurs, la diversité produite au niveau de l’offre culturelle n’entraine pas de manière systématique une consommation diversifiée de contenus. Cette situation s’expliquerait, entre autres, par le phénomène que certains auteursNote de bas de page 2 décrivent comme la « plateformisation » de l’économie de la culture) et qui entraîne à d’une part la décentralisation/désintermédiation en amont des activités et services proposés par les acteurs traditionnels des filières culturelles (éditeurs de livres, libraires, producteurs audiovisuels, producteurs de musique, disquaires, etc.) et d’autre part la ré-intermédiation/recentralisation en aval de la diffusion/distribution de biens et services culturels.

Dans un contexte de mondialisation culturelle accélérée, favorable à l’avènement d’une « hyper-culture globalisante » (Farchy, 2008 ; Tardif, 2008, 2010), il est opportun de s’interroger sur les conséquences néfastes de la « plateformisation » sur le rayonnement des écosystèmes culturels nationaux et sur la diversité des contenus locaux en ligne. La nouvelle guerre entre les plateformes autour de l’exclusivité du catalogue et la bataille féroce qu’elles se livrent autour de l’attention des utilisateurs (Citton, 2014) ont désormais des incidences sur la rencontre entre une œuvre et le public. Les autorités en charge de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques culturelles nationales devraient instaurer ou maintenir, par des mesures concrètes et des interventions ciblées, un environnement numérique garantissant l’accès et la découvrabilité d’une diversité de contenus locaux et nationaux en ligne, tout en évitant les risques liés à la réduction des choix pour les consommateurs.

Ce document de réflexion n’a pas la vocation de proposer un argumentaire pour l’adaptation des politiques culturelles face aux défis et menaces que pose l’environnement numérique pour une protection et une promotion plus efficaces de la diversité des expressions culturelles (Brin, Mariage, Saint-Pierre, Guèvremont, 2018). Il vise plutôt à clarifier les enjeux et la compréhension plurielle d’un enjeu, la « découvrabilité », devenu central pour les politiques culturelles et appelé à guider la stratégie de présence, d’enrichissement et de rayonnement de l’offre culturelle nationale dans l’environnement numérique, à des fins de promotion d’une diversité de contenus en ligne.

Commandé par le Ministère du Patrimoine canadien dans le cadre d’un groupe de travail multipartite chargé d’élaborer des principes directeurs sur la diversité des contenus afin d’encadrer et d’orienter les mesures concrètes qui doivent être prises par tous les intervenants, ce document met en exergue, à travers des exemples d’initiativesNote de bas de page 3 et une analyse approfondie, quelques mesures potentielles pouvant faciliter l’accès et la découvrabilité du contenu local et national. La réflexion proposée s’appuie principalement sur les travaux de recherche réalisés par l’auteur du document et sur les conclusions et recommandations à l’issue de la Rencontre internationale sur la diversité des contenus à l’ère numérique de 2019, organisée conjointement par Patrimoine canadien et par la Commission canadienne pour l’UNESCO.

Aperçu et analyse comparative des grandes initiatives, mesures ou politiques à l’appui de l’accès et de la découvrabilité du contenu local et national

Découvrabilité : Essais de définition et de compréhension du lien avec l’enjeu de diversité du contenu national et local en ligne

L’explosionNote de bas de page 4 du volume de données créées quotidiennement à travers le monde au cours des dernières années nous a brusquement propulsé dans l’ère de l’abondanceNote de bas de page 5 de contenus numériques. Illustrant cette révolution de données massives en ligne, l’outil de prévision du trafic Internet de la firme CISCO prévoit que le volume de données échangées sur Internet en 2022 dépasseraNote de bas de page 6 le trafic Internet cumulé depuis la création du « réseau des réseaux » jusqu’en 2016.

S’il est vrai, comme le constate Emmanuel Durand, que « N’importe quel créateur coréen, brésilien ou cambodgien peut désormais espérer s’adresser à un public illimité et atteindre une reconnaissance aussi spontanée qu’universelle. Et n’importe quel internaute américain, indien ou italien peut ainsi accéder sans limite à des œuvres produites dans le monde entier » (Durand, 2016), il n’en demeure pas moins vrai que les plateformes numériques - par le biais de systèmes ou de moteurs de recherche, d’algorithmes et d’outils d’agrégation et d’assistance éditoriale - ont une emprise croissante sur les conditions, les processus et les trajectoires qui déterminent le contexte de découverte des œuvres.

La capacité d’un contenu à se démarquerNote de bas de page 7 pour atteindre un auditoire dans un univers d’hyper-choix, où les catalogues des grandes plateformes de diffusion culturelle offrent des dizaines de milliers de titres ou de produits aux utilisateurs, est au cœur de la problématique de la découvrabilité. Depuis 2016, plusieurs définitions de la « découvrabilité » ont été proposées. L’office québécois de la langue française a proposé la première définition suivante : « Potentiel pour un contenu, un produit ou un service de capter l’attention d’un internaute de manière à lui faire découvrir des contenus autres », précisant par une note que « l’emploi, notamment de métadonnées, d’algorithmes de recherche, de mots-clés, d’index, de catalogues augmente la découvrabilité d’un contenu, d’un produit ou d’un service »Note de bas de page 8. Dans l’étude sur l’état des lieux des métadonnées relatives aux contenus culturels, l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) définit quant à lui la découvrabilité comme : « la capacité, pour un contenu culturel, à se laisser découvrir aisément par le consommateur qui le cherche et à se faire proposer au consommateur qui n’en connaissait pas l’existence.Note de bas de page 9 » (OCCQ, 2017, p.23). Ces deux définitions très complémentaires, ont pour point commun de mettre l’accent sur l’importance des métadonnées et du référencement pour activer la découvrabilité d’un contenu via des moteurs de recherche ou des recommandations personnalisées basées sur des algorithmes.

Il est néanmoins important de faire la distinction entre une approche de découvrabilité du contenu basée sur des actions vers les publics-cibles et une approche de découvrabilité basée sur la mobilisation d’outils techniques ou de systèmes automatisés pouvant mettre en valeur et faciliter la répérabilité du contenu. Dans le cadre d’un projetNote de bas de page 10 de découvrabilité s’appliquant au contexte de la production audiovisuelle dans la francophonie canadienne, les experts et consultants du projet en viennent ainsi à la conclusion que : « Avec les avancées du Web sémantique et le succès croissant des plateformes de diffusion de vidéo sur Internet, la définition de la découvrabilité s’est précisée autour de deux conceptions qui sont complémentaires et qui devraient être intégrées l’une dans l’autre. La découvrabilité par qui? On parle alors d’actions dirigées vers des personnes (promotion, marketing). La découvrabilité par quoi? Il s’agit d’actions dirigées vers des systèmes automatisés (balisage sémantique pour moteurs de recherche, technologies du Web des données)Note de bas de page 11 ».

À partir de cette réflexion, deux consultantes de LaCogency, Andrée Harvey et Véronique Marino, ont proposé une réflexion sur les piliers de la découvrabilité qu’elles identifient comme étant : 1) la promotion ; 2) le marketing numérique ; 3) le Search Engine Optimization ou SEO et 4) les métadonnées liées et structurées (documentation des contenus, modèle Schema, univers wikimédia). Alors que les deux premiers piliers (promotion et marketing numérique) favorisent des actions s’inscrivant dans une temporalité éphémère et basées sur des stratégies de communication avec les humains dont les résultats s’observent à court terme (« découvrabilité éphémère »), les autres piliers (SEO, métadonnées liées et structurées) favorisent des actions s’inscrivant dans une temporalité durable et basées sur des stratégies de communication par le langage des machines, avec des résultats observables sur du long terme (« découvrabilité durable ou permanente »).

Illustration 1 : Les piliers de la découvrabilité (Harvey et Marino, 2019)
Illustration 1 : Les piliers de la découvrabilité (Harvey et Marino, 2019) – version textuelle

Les quatre piliers de la découverte est un concept introduit pour la première fois par Harvey et Marino en 2019.

Les deux premiers piliers sont la promotion et le marketing numérique.

  • Promotion – Achats media, relations publiques, concours, événements, etc...
  • Le marketing numérique – Réseaux sociaux, achat de mots-clés, bannières, publicités, etc…

Elles favorisent des actions à un moment donné, basées sur des stratégies de communication avec et par les humains, dont les résultats peuvent être observés à court terme.

Les deux autres piliers sont l'optimisation des moteurs de recherche, et les métadonnées liées et structurées.

  • L’optimisation des moteurs de recherche – mots clefs pour l’indexation des pages pour les moteurs de recherche
  • Les métadonnées liées et structurées – documentation des contenus, Schema, univers Wikimédia

Ces actions s'inscrivent dans un cadre temporel soutenu et reposent sur des stratégies de communication dont les résultats peuvent être observés à long terme, c'est-à-dire de manière durable ou permanente.

Voilà le premier impératif qui s’impose dans l’élaboration de stratégies de découvrabilité pour des contenus culturels destinés à l’environnement numérique: d’un côté, on doit s’adresser aux utilisateurs/auditoire en engageant des activités communicationnelles et promotionnelles. De l’autre côté, il faut « parler » aux machines en faisant appel aux compétences inhérentes aux données structurées et liées pour assurer la repérabilité des œuvres par les moteurs de recherche et les engins de recommandations. Il s’agit par-là de démarrer un processus automatisé de créations de liens entre ces données qui permettra de construire du sens autour de ces contenus. Notez ici qu’il ne s’agit pas de faire l’un ou l’autre mais bien d’activer les deux niveaux.

Envisagée du seul côté de l’offre et d’un point de vue du processus d’une rencontre à trajectoire unidirectionnelle, partant de l’œuvre disponible sur la plateforme vers le public, la découvrabilité serait réduite à sa dimension « programmée » et ne tiendra pas compte des multiples possibilités pouvant permettre au public de découvrir l’œuvre par l’effet d’un pur hasard (sérendipidité). Si hasard il y a, il s’agirait plus de « hasard provoqué » à travers l’action d’outils payants d’indexation, de référencement et d’optimisation de la visibilité de contenus ou le fruit d’un travail minutieux de production ou d’enrichissement des métadonnées descriptives au moment de la création de l’œuvre et en amont de sa mise en ligne et de sa diffusion numérique. Du moment où il y a un processus de création de sens et d’exploitation des liens entre les données générées par les utilisateurs et constituant autant de traces numériques de leur passage et de leurs activités sur les plateformes, la sérendipidité devient un facteur marginal dans le processus de découverte en ligne. Rappelons que les algorithmes effectuent un travail consistant à croiser les données pour définir des profils ou catégories d’utilisateurs. Ces derniers sont donc orientés par des annonces publicitaires ou par des recommandations personnalisées vers des produits (par exemple musique, films ou séries) considérés par l’algorithme comme étant susceptibles de correspondre aux préférences, habitudes, ou attentes des utilisateurs ainsi ciblés. Alors qu’il est techniquement possible que les plateformes internationales contribuent grâce à leurs algorithmes à mieux faire connaître à travers le monde la diversité des expressions culturelles nationales ou locales (surtout celles en situation minoritaires sur le Web et plus largement dans l’environnement numérique), elles ont plutôt tendance à favoriser la diffusion de produits culturels internationaux (mainstream). Les œuvres, les artistes et talents nationaux ou locaux sont ainsi délaissés au profit des contenus ou produits internationaux qui constituent la tendance du moment (tubes à la mode, hits à succès, blockbusters à l’affiche ou meilleurs films du box-office, séries populaires, etc.). L’appariement entre l’offre et la demande de contenus culturels au niveau mondial passe donc de plus en plus par des pratiques de filtrage, de hiérarchisation et de recommandation algorithmique qui anticipent et configurent les comportementsNote de bas de page 12 et les profils-typesNote de bas de page 13 d’usagers, contribuant à ce que Lucien Perticoz désigne comme étant un nouvelle forme de « personnalisation de masse des consommations culturelles »Note de bas de page 14 par des acteurs désormais constitués en « oligopole de la découvrabilité »Note de bas de page 15. Dans le secteur de la musique par exemple, on estime qu’aux États-Unis, 99% de l’écoute de musique se concentre uniquement sur 20% du catalogue de la plateforme Spotify. Au Canada, c’est 87% de l’écoute qui est mobilisé sur seulement 0,7% des titres disponibles sur la plateformeNote de bas de page 16. Soulignons que ces tendances découlent généralement des processus de prescription automatisée, qui eux-mêmes provoquent des phénomènes complexes connus sous le nom de « bulles de filtrage » ou de « chambres d’écho » enfermantNote de bas de page 17 les utilisateurs dans des préférences ou des goûts conventionnels et autoréférentiels, grâce notamment à des mécanismes de recommandations auto-entretenues qui finissent par polariser l’attention et orienter la consommation vers les mêmes types de contenus qu’on avait déjà tendance à aimer ou apprécier.

À partir de ces analyses, le modèle conceptuel que nous proposons pour aborder la découvrabilité de manière systémique ou holistique (voir illustration sur la page suivante) tient compte des trois paramètres suivants :

  1. la Répérabilité ;
  2. la Prédictibilité et
  3. la « Recommandabilité » ; la combinaison de ces trois paramètres constituant le système « RPR ».

La répérabilité ou trouvabilité (findability) correspond au premier niveau de découvrabilité. Concept proposé par l’architecte informationnel du Web Peter MorvilleNote de bas de page 18, la répérabilité ou trouvabilité consiste dans la capacité d’un contenu recherché à être repérable au sein de l’interface explorée, dans le catalogue d’une plateforme par exemple ou sur l’écran d’accueil d’un équipement/terminal mobile (trouvabilité interne). Il s’agit également de la capacité du contenu à être repérable par le biais des moteurs de recherche (trouvabilité externe). Ce paramètre de découvrabilité présuppose de l’existence de métadonnées et de balises sémantiques à même de pouvoir répertorier/indexer, situer/(géo-) localiser et trouver le contenu partout où il est présent ou disponible en ligne.

Le deuxième paramètre de découvrabilité, la prédictibilité, repose sur la capacité du contenu à figurer parmi les résultats des analyses prédictives des choix, des goûts et comportements des usagers et à potentiellement constituer un contenu susceptible de rencontrer le succès et de devenir populaire auprès de l’auditoire, et ce uniquement sur la base des prévisions et anticipations des algorithmes des plateformes de diffusion culturelle. Netflix se vante par exemple d’utiliser les données de ses abonnés pour orienter la production de contenus audiovisuels. L’exemple le plus cité dans ce cas est celui de la série House of Cards : « Grâce à une analyse détaillée des habitudes d’écoutes du public, les données auraient prédit qu’une série télé politique adaptée d’une ancienne série britannique, avec David Fincher comme réalisateur et Kevin Spacey en tant que personnage principal, serait le prochain succès commercial. »Note de bas de page 19.

La prédictibilité est ici directement associée au potentiel du contenu à se retrouver dans les résultats des systèmes d’agrégation ou de filtrage collaboratif qui constituent des stratégies souvent utilisées par les algorithmes des plateformes comme Amazon ou Netflix pour organiser la production et la commercialisation en anticipant les conditions de formation de la demande. De telles stratégies s’appuient sur l’évaluation de la pertinence du contenu, à partir de l’exploitation des données contenues dans une masse de profils individuels pour trouver des intérêts de consommation communs entre les utilisateurs. Cela débouche sur un procédé de catégorisation des usagers du Web par leurs usages et leurs comportements réels; procédé que l’on a nommé « identité algorithmique » (Cheney et Lippold 2011, p.165) et qui permet de créer des associations relationnelles ou des expansions sémantiques des goûts, habitudes et comportements culturels en ligne, dans l’optique éditoriale de garantir un meilleur formatage dans la production et la scénarisation des contenus ainsi qu’une gestion optimale de l’exposition des œuvres dans le catalogue à des fins de recommandation.

Quant à la recommandabilité, troisième paramètre de découvrabilité pour un contenu culturel, elle est étroitement liée à la prédictibilité et correspond au potentiel du contenu à se faire mettre en relation avec d’autres connus et à pouvoir se faire recommander de manière récurrente par la plateforme ou par des usagers/consommateurs ou par d’autres dispositifs/systèmes ou terminaux qui hiérarchisent systématiquement les niveaux de visibilité et de mise en valeur, en lien avec la pertinence du contenu et l’objectif de satisfaction des usagers/consommateurs. La recommandabilité se nourrit ainsi du concept de popularité prouvée, c’est-à-dire qu’il y aura une tendance naturelle (mais pas du tout « neutre ») de la plateforme à accorder la priorité dans ses listes de recommandation au contenu qui a déjà fait ses preuves et qui a déjà attiré un vaste auditoire, sur la base de calculs relatifs à ce qui motive ou séduit l’usager. À titre d’exemple, plus une œuvre correspondra aux préférences ainsi qu’aux choix et comportements conscients ou inconscients (comme le « binge-watching ») de l’utilisateur sur la plateforme, plus elle recevra des évaluations positives de visionnement ou d’écoute des utilisateurs, plus elle correspondra aux choix éditoriaux de la plateforme, et plus elle serait recommandableNote de bas de page 20.

La recommandabilité est aussi le paramètre déclencheur de l’acte d’exposition, qui s’appuie sur des stratégies performatives de visibilité, elles-mêmes déterminées par la prédictibilité de la popularité ou du succès de l’œuvre auprès des auditoires. Dorénavant, la question qu’on doit se poser comme utilisateur n’est plus de savoir quelle plateforme nous recommande quel contenu, mais plutôt pourquoi et comment telle plateforme choisit de nous recommander tel contenu et pas tel autre. Sans chercher à ouvrir les boîtes noires des algorithmes, comprendre les logiques de recommandabilité systémique revient à comprendre les déterminismes culturels, politiques, économiques, géographiques ou sociaux qu’elles sous-tendent. Il serait par exemple intéressant de pouvoir mesurer pour les différentes plateformes de diffusion culturelle ce que représente la part de l’intervention humaine par rapport à la part de décision automatisée et la prise en compte réelle des préférences et goûts des utilisateurs dans l’exposition réelle des contenus qu’ils découvrent et auxquels ils accèdent facilement.

Illustration 2 : Les trois paramètres de la « découvrabilité systémique » (RPR) de contenus en ligne (Tchéhouali, 2020)
Illustration 2 : Les trois paramètres de la « découvrabilité systémique » (RPR) de contenus en ligne (Tchéhouali, 2020) - – version textuelle

La capacité de découverte systémique est le résultat du degré d'interdépendance entre les paramètres interdépendants du système de RPR. Chaque paramètre contribue à sa manière à la découverte systémique.

  • Répérabilité – du contenu via les sites, les moteurs de recherche ou dans les catalogues des plateformes
  • Prédictibilité - des choix de l’usager et du succès des contenus par les algorithmes
  • Recommandabilité - du contenu par la plateforme, par des usagers ou par d'autres dispositifs ou canaux de visibilité

L’ensemble des paramètres inter-reliés du « système RPR » et leur degré d’interdépendance façonne ce que nous nommons la « découvrabilité systémique ». Celle-ci peut avoir des conséquences directes (positives comme négatives) sur les écarts entre la diversité produite et la diversité consommée de manière effective. Comme le souligne bien Pierre-Jean Bemghozi, Économiste et directeur de recherche au CNRS, les écarts deviennent très significatifs entre les « best-seller » et les œuvres très faiblement consultées, vues ou écoutéesNote de bas de page 21. La question qui se pose est donc de savoir dans quelle mesure la répérabilité, la prédictibilité et la recommandabilité des contenus culturels accentuent ces écarts ; et surtout comment parvenir à un rééquilibre en faveur de la diversité consommée. Nous sommes d’avis que la théorie dite de la « longue traîne » (long tail) qui s’est longtemps nourrie de la thèse d’une consommation culturelle plus diversifiée, avec le passage d’un modèle de l’abondance à un modèle de rareté qui mettrait davantage en valeur les produits (locaux/nationaux) de niche ou les premières œuvres des nouveaux auteurs au détriment des ventes de hits et de best-sellers, s’est finalement avérée inopérante et totalement invalidée par l’évolution des modèles d’affaire et des dynamiques de conception du fonctionnement des plateformes et systèmes de recherche et de recommandation, ainsi que par la fragmentation des auditoires inhérente à la concurrence entre plateformes.

Étant donné qu’ils passent désormais du statut de simples distributeurs/diffuseurs à celui de producteurNote de bas de page 22 de contenus originaux (exemple des contenus labellisés Netflix Originals), ces acteurs de l’économie numérique mondiale sont souvent tentés, à partir de leurs propres impératifs commerciaux, de donner la primauté à la découvrabilité de leurs contenus originaux ou exclusifs, dans lesquels ils ont investi des coûts de production ou d’acquisition défiant la concurrenceNote de bas de page 23. Ce phénomène est décrit par Philipp Napoli comme une conséquence de « l’intégration verticale de la production et de la diffusion du contenu, qui encourage l’orientation de l’attention de l’auditoire vers le contenu produit à l’interne, plutôt que vers une gamme diversifiée d’offres de contenu provenant d’une gamme diversifiée de sources » (Napoli, 2019, p.3). De même, on ne doit pas sous-estimer l’influence de l’écosystème des plateformes qui inclut des boutiques d’applications, des appareils, des systèmes d’exploitation, des interfaces de programmation d’application et des applications préinstallées sur les appareils qui orientent la décision et verrouillent le choix de l’utilisateur en le conditionnant à préférer ou accéder à tel type de contenu ou de service au détriment d’un autre. On peut donc légitimement questionner la faculté même des individus à choisir de façon autonome et à juger de la pertinence des contenus qu’ils consomment face à la puissante organisation algorithmiqueNote de bas de page 24 des choix, des découvertes et des pratiques culturelles sous influence des systèmes automatisés ou computationnels (Sardin, 2016).

Illustration 3 : Dépenses en contenu des plateformes de VOD américaines en 2019
Illustration 3 : Dépenses en contenu des plateformes de VOD américaines en 2019 – version textuelle
Entreprise AMC Apple Discovery FOX Amazon CBS Viacom Netflix AT&T COMCAST Disney
Montant dépensé (USD) $1.0 Mds $2.0 Mds $2.6 Mds $3.8 Mds $5.8 Mds $8.8 Mds $9.2 Mds $12.2 Mds $12.2 Mds $18.7 Mds

Source: Statista, MoffettNathanson, rapports d’entreprise

Note: dépenses telles que comptabilisées dans les comptes de résultat

En réalité, la faible proportion d’une consommation diversifiée de contenus dans l’environnement numérique se manifeste à deux niveaux : le niveau global (avec des logiques de découvrabilité systémique privilégiant la découverte de contenus populaires, internationaux au détriment de contenus nationaux ou locaux méconnus) et le niveau local (relevant du contexte particulier et de l’expérience singulière de découverte culturelle de chaque utilisateur). Il est donc urgent de ménager des espaces pour l’exposition des contenus locaux et nationaux car il semble que la diversité culturelle ne soit pas un critère de pertinence dans un contexte de standardisation algorithmique de l’offre de contenus culturels en ligneNote de bas de page 25. En outre, l’impact des technologies numériques sur les modes d’accès et de découvrabilité des contenus en ligne nous oblige à repenser le paradigme même de la diversité culturelle sous la double perspective des politiques publiques de soutien à la culture et de la promotion de l’accès à une pluralité de contenus et d’expressions culturelles. Pour Jean Musitelli : « la profusion tant vantée de l’offre culturelle numérique ne garantit pas la diversité des expressions qui la composent. Les phénomènes de concentration, de marchandisation, de standardisation, déjà présents dans les industries culturelles classiques, se retrouvent, avec une vigueur amplifiée, dans l’économie numérique. [...] Il y a urgence à accompagner les écosystèmes numériques par des politiques publiques, nationales et multilatérales, visant à garantir le pluralisme des expressions culturelles, à assurer le financement de la création et la rémunération équitable des auteurs, et à éviter que ne se créent à l’échelle planétaire de nouvelles fractures entre les populations connectées et celles qui sont privées d’accès aux réseaux numériques.Note de bas de page 26 » (Musitelli, 2015, p.38)

Il est donc nécessaire de maintenir une vigilance accrue afin de limiter, voire d’anticiper, par le biais de politiques publiques éclairées les menaces identifiées ici. Ceci nous amène à nous questionner sur la capacité des acteurs étatiques, mais aussi la capacité de la société civile et des entreprises privées (propriétaires des plateformes) à prendre des politiques, des mesures ou des initiaves adéquates afin de promouvoir l’accès et la découvrabilité de contenus locaux et nationaux. Nous proposons dans la section suivante un tour d’horizon de différentes initiatives et de pratiques exemplaires pouvant nourrir la réflexion et inspirer des décisions ou actions concrètes que pourraient prendre les différentes parties prenantes concernées par l’enjeu de la diversité du contenu à l’ère numérique.

Exemples d’initiatives, de mesures et de politiques menées dans différents pays

Lors de la rencontre internationale d’Ottawa sur la diversité des contenus à l’ère numérique (février 2019), les participants se sont accordés sur le fait qu’il n’y a pas de réponse ou de solution « unique » à la mise en œuvre de stratégies et de mesures pour accroître en ligne la découvrabilité des contenus locaux et nationaux, puisque chaque filière des industries culturelles et créatives requiert des mesures spécifiques à des échelles d’intervention différentes, en fonction dont elles sont différemment affectées par les mutations numériques. Dans de nombreux pays, il semble ainsi y avoir une prise de conscience et une mobilisation des pouvoirs publics et de la société civile autour de l’enjeu de rayonnement international des productions culturelles nationales dans un environnement numérique qui ne semble pas favoriser ce rayonnement escompté. Nous proposons à travers le tableau synthétique ci-dessous une recensionNote de bas de page 27 sommaire de quelques initiatives et mesures existantes dans certains pays et constituant des pistes de réponses ou de solutions possibles pour favoriser la découvrabilité de contenus diversifiés sur Internet. Les exemples mentionnés dans ce tableau ne sont pas exhaustifs et portent principalement sur trois types d’initiatives, de mesures ou de politiques relatives s’appliquant au cadre réglementaire ou législatif, au financement des productions culturelles locales ou nationales ainsi qu’à la création de plateformes nationales ou régionales de diffusion/distribution numériques de contenus. (Voir en Annexe 1 une analyse comparative détaillée des cas et exemples d’initiatives dans plusieurs pays, incluant les exemples sélectionnés dans ce tableau).

Type d’initiatives, de mesures ou de politiques
Pays/Régions Adaptation du cadre réglementaire ou législatif au numérique Financement des productions culturelles numériques locales ou nationales Plateformes nationales ou régionales de diffusion/distribution numériques de contenus
Allemagne

Document de politique numérique « Digital Agenda 2014-2017 »

Mesures réglementaires pour contrôler les effets de concentration des médias numériques et notamment les activités des plateformes intermédiaires.

Mesures favorisant la mise à disponibilité et l’accessibilité en ligne d’œuvres rares et sans propriétaires, ainsi que le développement d’un réseau de compétences en numérisation.

Examen de diverses formes de financement collectif en complément du financement par des redevances privées (redevances médiatiques, forfait culturel, financement par des fondations) pour les nouveaux médias numériques.

Financement et soutien à la numérisation dans le domaine des arts de la scène, en particulier l’équipement numérique des salles de spectacle.

Bibliothèque numérique allemande (Deutsche Digitale Bibliothek / DDB), offrant un accès centralisé à tous les contenus numériques produits par l’ensemble des institutions culturelles et scientifiques allemandes.

Plateformes numériques de streaming d’émissions des télédiffuseurs publics comme la ZDF et l’ARD. Autres exemples : MagentaTV de Deutsche Telekom ; Giga TV avec Vodafone, et d’autres petites plateformes comme Chili, Flimmit, Alleskino, Realeyz, Pantaflix ou Kividoo.

Argentine Programme « Cultura Digital » créé en 2015 par le ministère de la Culture. - Banca de la Música (Banque de musique); Banco Audiovisual de Contenidos Universales Argentinos (Banque audiovisuelle de contenus universels argentins). Plateforme Odeón de l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels d’Argentine (INCAA)
Australie

Quotas de contenus nationaux appliqués aux entreprises de vidéos à la demande.

Suppression des droits de licence de radiodiffusion s’appliquant aux médias traditionnels et non adaptés au nouvel environnement numérique.

Mesures améliorant l’accessibilité et l’utilisation en ligne de documents protégés par le droit d’auteur pour des publics spécifiques.

Obligations de contribution des entreprises de vidéo à la demande au financement de la création et de la diffusion de nouveaux contenus culturels australiens, notamment dans les secteurs du film, de l’audiovisuel et de la musique.

Mesures incitatives pour accroître l’investissement dans la production et la diffusion de contenu local/national de haute qualité.

Développement d’une offre de services numériques des radiodiffuseurs publics avec des contenus diversifiés et non-linéaires.

Plateforme « Trove », de découverte en ligne du patrimoine culturel indigène, géré et alimenté par la Bibliothèque nationale d’Australie).

Belgique Cadre politique pour la culture numérique basé sur des objectifs d’accessibilité et de découvrabilité de contenus culturels numériques diversifiés. (Gouv. flamand) - Plateforme de vidéo à la demande (« Auvio ») de la radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF), rassemblant l’offre exclusive de contenus audio et vidéo nationaux belges.
Canada

Cadre stratégique du Canada créatif (2017)

Examen des cadres règlementaires et législatifs en matière de radiodiffusion et de télécommunications : Rapport sur « L’avenir des communications au Canada. Le temps d’agir », incluant des recommandations sur la découvrabilité des contenus canadiens (2020).

Stratégie numérique et Plan culturel numérique du Québec (Mesures 102, 111, 116, 118, 119...).

Mission franco-québécoise sur la découvrabilité des contenus francophones en ligne (2019).

Déclaration conjointe (Canada-France) sur la diversité culturelle et l’espace numérique (2018).

Mesures incitatives du FMC pour les coproductions en médias numériques, permettant permettent de soutenir les coproductions internationales, contribuant à la découvrabilité et au rayonnement à l’étranger des œuvres ainsi coproduites.

Appel de projets multiterritorial en développement culturel numérique du Ministère de la Culture et des Communications du Québec, visant entre autres à soutenir des projets de développement culturel numérique qui favorisent la découvrabilité de contenus culturels québécois dans l’environnement numérique.

Fonds pour les arts à l’ère numérique.

Plateforme « Vue sur le Canada », mise au point par Téléfilm Canada, le Fonds des médias du Canada (FMC) et la Canadian Media Production Association (CMPA).

TV5MONDEplus, plateforme numérique francophone internationale, développée par TV5MONDE et TV5 Québec Canada, offrant un service de vidéos à la demande. Objectifs : propulser le virage numérique de la chaîne TV5 et soutenir le rayonnement de la création ainsi que la découvrabilité des œuvres audiovisuelles francophones à l’international.

France

Mission « Acte II de l’exception culturelle : Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique » (2013).

Élaboration d’une stratégie numérique « France numérique 2012-2020 », incluant des objectifs en matière de développement de la production et de l’offre de contenus numériques.

Stratégie numérique de protection et de promotion de la diversité culturelle dans le secteur du livre et des industries culturelles face aux défis de la numérisation et de l’Internet.

Fonds pour la création musicale.

Fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique de la musique enregistrée.

DIspositif d’aide pour la CRéation Artistique Multimédia et numérique (DICRéAM).

Taxe vidéo ou taxe « Netflix Et YouTube » correspondant à 2% du chiffre d’affaires réalisé en France (taxe reversée au CNC).

France.tv ; Salto ; Vad.cnc.fr (catalogue des vidéos à la demande du Centre national du cinéma et de l’image animée, CNC).
Nouvelle-Zélande - Mécanismes de financement innovants pour soutenir la création et accroître la présence de nouveaux contenus néo-zélandais sur de multiples plateformes numériques dans le but de pouvoir atteindre différents publics néo-zélandais. Exemple : Création du Fonds des médias numériques (Digital Media Fund) Projet « Wireless » lancé par la Radio Nouvelle-Zélande pour combler les lacunes de la fourniture de contenu de service public de haute qualité, ciblant les intérêts des 18-30 ans.

Actions recommandées et leur applicabilité

À partir des exemples et des analyses qui précèdent et en s’inspirant des pistes d’action proposées lors de la Rencontre internationale sur la diversité du contenu à l’ère numérique, nous préconisons deux leviers d’action déterminants qui peuvent garantir efficacement l’accès et la découvrabilité de la diversité des contenus locaux et nationaux dans l’environnement numérique. La première piste d’action que nous recommandons est celle de la mise en valeur et de la proéminence du contenu. La deuxième est celle de la « gouvernance par les algorithmes ».

Actionner le levier de la mise en valeur et de la proéminence du contenu au service de la diversité culturelle en ligne

L’accès au contenu culturel constitue l’élément déclencheur du passage de la découvrabilité à la découverte et un préalable à l’acte même de consommation culturelle. Or, pour avoir accès au contenu, il ne suffit pas que le contenu existe ou qu’il soit simplement présent sur la plateforme. Il faut pouvoir le voir avant d’y accéder et de le découvrir. C’est donc ici qu’entre en jeu l’importance de la visibilité qu’on donne à un contenu car de cette visibilité dépendra la forme de prescription régulatoire, de proportion préférentielle et de degré d’exposition qu’on souhaite accorder à un type de contenu (local/national) par rapport à un autre (étranger/international).

C’est en assurant la promotion de l’accès au contenu que ce dernier pourra attirer, et surtout conserver l’attention des auditoires. Comme indiqué dans le Rapport de la rencontre internationale sur la diversité des contenus à l’ère numérique : « La question de la proéminence de contenus locaux ou nationaux a été jugée aussi importante que leur présence en soi. La proéminence signifierait que les contenus nationaux ou locaux reçoivent une visibilité particulière ou qu’ils sont recommandés avec une certaine priorité sur d’autres contenus. » (Patrimoine Canada, 2019, p.9). Le quota de présence d’une proportion minimum de contenus dans le catalogue ne suffit pas pour favoriser la découvrabilité, puisque ce contenu peut se retrouver aux fins fonds du catalogue et ne jamais se faire recommander par les algorithmes à l’utilisateur. Il importe donc de déterminer aussi des règles de mise en valeur pour donner plus de chances de visibilité et d’accès au contenu, en fonction de sa spécificité « local » ou « national ». La proéminence des œuvres constitue donc un élément crucial de la « découvrabilité systémique » puisqu’il s’agit d’un dénominateur commun à la répérabilité, la prédictibilité et la recommandabilité (RPR) d’un contenu, surtout dans un environnement compétitif caractérisé à la fois par une « hyper-offre » et un « hyper-choix » au regard de la quantité de contenus disponibles dans les catalogues. Le résultat de la proéminence repose en effet sur l’utilisation combinée des métadonnées permettant d’identifier l’origine (nationale) des œuvres, l’utilisation des œuvres dans la promotion même du service offert et la mise en place d’une proportion ou d’un quota de promotion des œuvres pour atteindre des objectifs de diversité pour que ce ne soit pas uniquement les produits-vedettes ou les contenus populaires qui bénéficient toujours selon des critères commerciaux des effets d’exposition, de visibilité et de mise en valeur. Les mesures de mise en valeur et de mise en évidence des œuvres, au-delà donc de renforcer la trouvabilité et la visibilité des œuvres présentes au niveau du catalogue (par le biais de différentes techniques et stratégies de promotion), constituent l’un des leviers d’action qui pourrait s’avérer le plus efficace pour orienter les utilisateurs vers une consommation plus diversifiée de contenus à condition que ces mesures soient contraignantes pour les plateformes ; d’où la notion d’obligations de mise en valeur des contenus nationaux. Il ne s’agit pas toutefois d’imposer des contenus aux utilisateurs qui trouveront toujours des moyens de contourner ces contenus promus. L’enjeu, c’est plutôt de les exposer à un minimum de diversité (et non de variété) au niveau des choix de contenus que leur proposent les grandes plateformes. L’objectif pourrait être de trouver un juste équilibre ou le juste milieu entre l’éditorialisation du contenu sur la plateforme et la personnalisation des recommandations, en proposant un « bon mélange » de contenus locaux/nationaux et internationaux, « appropriés » et de « haute qualité » (Burri, 2019, p.11).

Comme nous avons pu le voir, beaucoup de pays (notamment en Europe) ont déjà eu à mettre en place ces obligations de mise en valeur pour les services de vidéo sur demande, notamment à travers des exigences de visibilité ou d’exposition sur les pages d’accueil, des quotas de recommandation dans les listes de palmarès, ou encore l’utilisation de filtres de recherche afin de faciliter la géolocalisation selon le pays d’origine du contenu ou la classification des contenus par pays/région ou encore par langue d’expression. En Estonie par exemple, les œuvres doivent être présentées de manière attractive dans les catalogues, avec indication du pays d’origine et de l’année de production tandis qu’en France, les éditeurs doivent réserver un espace majoritaire aux œuvres européennes sur les pages d’accueil des catalogues et accorder également une attention particulière aux bandes annonces et visuels.

L’un des exemples de méthode les plus avancés de mise en valeur ou de proéminence que nous avons pu identifier, et qui prévoit des règles précises de contrôle ou d’évaluation du respect relative à l’obligation de son application, a été proposé par l’Italie. Il s’agit notamment d’un système d’évaluation à points qui permet d’analyser l’intensité de la promotion des œuvres européennes par un ensemble d’indicateurs quantifiables dans le but d’évaluer la conformité des éditeurs par rapport aux exigences de la mise en valeur. 14 mesures classées en deux catégories permettent aux éditeurs d’obtenir un maximum de 64 points. La première catégorie de 6 mesures oblige l’éditeur de réserver une partie de sa page d’accueil ou des sections du catalogue aux œuvres européennes (proportion des bandes annonces et visuels, proportion d’œuvres européennes au sein des sections du catalogue, place dans les bannières). La deuxième catégorie de 8 mesures impose de réserver une proportion d’œuvres européennes dans les campagnes de promotion et de publicité du service, dont 20% d’œuvres européennes parmi les recommandations. Afin de considérer que l’obligation est rencontrée, les éditeurs doivent atteindre au moins 10 sur 27 points dans la première catégorie et 15 sur 37 points dans la seconde. Entré en vigueur seulement le 1er janvier 2020, et sous réserve de pouvoir en mesurer l’efficacité et l’impact, ce système d’évaluation semble constituer une solution pertinente et réplicable pour atteindre des résultats satisfaisants en termes de promotion de la diversité et d’autres États devraient s’en inspirer pour exiger aux plateformes ces objectifs de mise en valeur et de proéminence des contenus nationaux.

La gouvernance par les algorithmes ou comment mettre les algorithmes au service de la diversité des contenus en ligne

Dans l’étude qu’elle a réalisé dans le cadre de la préparation de la rencontre internationale sur la diversité des contenus de février 2019, Mira Burri a énoncé des mesures possibles qui s’articulent autour de deux grands volets : 1) la gouvernance des algorithmes, qui nécessiterait l’adoption de réglementations des marchés visant à promouvoir l’accès et la découvrabilité du contenu qui possède certaines qualités (p. ex. le contenu local, le contenu des radiodiffuseurs de service public); 2) la gouvernance au moyen des algorithmes, dans le cadre de laquelle des interventions ciblées accroîtraient la visibilité et la découvrabilité de certains types de contenu par l’intermédiaire de processus éditoriaux exécutés par les algorithmes. (Burri, 2019, p.8)

En cohérence et en complémentarité avec la mesure que nous avons préconisé précédemment sur la mise en valeur et la proéminence des contenus nationaux, nous retenons ici le levier d’action lié à la gouvernance par les algorithmes. Il nous semble en effet que sans percer la fameuse « boîte noire », il y aurait un fort potentiel de réussite à miser sur un solutionnisme technologique maîtrisé qui permettrait de véritablement paramétrer les algorithmes afin qu’ils tiennent davantage compte des critères de diversité dans leur organisation mécanique de l’offre et de la recommandation culturelle qui, de manière générale jusqu’ici, n’est pas très favorable à l’accessibilité et à la découvrabilité des contenus locaux et nationaux (Mosseray, 2017). L’option d’une « gouvernance des algorithmes », bien que pertinente d’un point de vue des différentes perspectives qu’elle offre en matière d’autoréglementation ou de co-réglementation, ne font pas l’unanimité puisque cette approche par la réglementation des plateformes en ligne a déjà montré ses limites dans d’autres contextes et elle se heurte souvent à des enjeux évidents de transparence, d’éthique, de sécurité, de loyauté et surtout de neutralité d’Internet, avec de nombreuses implications et incertitudes quant à l’intentionnalité ou la finalité visée par les autorités qui s’aventureraient dans une telle entreprise de réglementation. Les risques existent de tomber dans les dérives de censure normative de la structuration de la pensée et des choix de société en manipulant ou en induisant de manière consciente des biais dans les décisions computationnelles. Le piège ici serait celui d’une construction arbitraire d’un nouvel ordre mondial algorithmique dont on ne peut prévoir ni les manifestations, ni les conséquences. Par ailleurs, bien qu’on puisse questionner l’intégration verticale et chercher à savoir si les cadres réglementaires et les lois en matière de concurrence sont adaptées à la structure et aux modèles d’affaires des GAFA, il serait hasardeux d’envisager un processus réglementaire qui irait dans le sens du démantèlement de ces acteurs monopolistiques ou du contrôle de leurs algorithmes.

En revanche, il paraît plus judicieux d’actionner le levier de la responsabilité algorithmique pour penser à une nouvelle forme de gouvernance par l’intermédiaire des algorithmes pour résoudre des problématiques sociétales telles que la diversité, tout en servant l’intérêt public et l’intérêt général. Ceci s’inscrit d’ailleurs dans l’approche suggérée par Philip Napoli lorsqu’il propose le recalibrage et la modification des structures et du fonctionnement des systèmes de recherche et de recommandation de sorte à ce qu’ils encouragent « plus agressivement la découvrabilité et la consommation du contenu diversifié » (Napoli, 2019, p.4). C’est d’ailleurs ce que Mira Burri qualifiait de nouvelles formes d’« intelligence éditoriale » pouvant déboucher sur un genre de « médiation d’intérêt public de l’espace numérique » qui contribuerait à atteindre des objectifs ou cibles précis de politique culturelle, comme des exigences minimales de découvrabilité (quotas de présence dans le catalogue, proéminence et mise en valeur, diversité d’exposition et des recommandations), sans négliger que les occurrences de contenus promotionnels puissent inclure des possibilités de découvertes fortuites (Burri, 2019, p.11 et 12).

La gouvernance par les algorithmes a ceci de vertueux qu’elle privilégie une approche incitative et non coercitive pour les plateformes ; elle suggère une approche de gouvernance multipartite et concertée et s’appuie sur des leviers d’action qui ne nuisent pas nécessairement aux intérêts des entreprises propriétaires des plateformes. Techniquement, il est bien réaliste de prévoir des mesures d’interventions ciblées avec des outils qui favoriseraient la prise en compte des critères de diversité de contenus par le moyen de processus éditoriaux effectués par les algorithmes. Cette gouvernementalité algorithmique de la diversité de l’offre visible et accessible constitue un enjeu majeur de souveraineté culturelle à l’ère du numérique puisque sans intervention les algorithmes de recommandations, de par leur fonctionnement, deviendront dans un futur proche (s’ils ne le sont pas déjà) l’une des ultimes manifestations des quotas de diffusion, se substituant de facto à ceux-ci. On devrait donc imaginer des moyens techniques et juridiques (tout en adaptant les cadres règlementaires existants) pour encourager ou inciter les plateformes à concevoir des systèmes de recommandation ou des moteurs de recherche, qui permettraient sur une simple base de géolocalisation de l’utilisateur à partir de son adresse IP lorsqu’il accède à l’interface du service, de lui suggérer ou à tout le moins de lui exposer en priorité, des produits ou des talents locaux/nationaux/régionaux du catalogue, correspondant à ses goûts en faisant un appariement entre le pays d’où la personne accède au service et les genres ou styles de films (horreur, action, thriller, comédie romantique) ou de musique (Électro, Hip-Hop, Soul, Jazz) qu’il a l’habitude de consommer sur la plateforme. Ce processus doit se faire de manière intuitive et subtile, en évitant les effets bipolarisants des quotas (Joux, 2018, p.186), puisque le but recherché est d’accroître la diversité consommée et non de la restreindre. Le défi est de pouvoir respecter la logique d’individualisation et de personnalisation des goûts sans exclure la possibilité d’une offre promouvant la diversité. Car, autant les plateformes sont capables de nous proposer une offre sur-mesure de masse, en poussant par le biais de leurs algorithmes les œuvres les plus consultées et les plus populaires (parfois au détriment de nos goûts et préférences singuliers ou éclectiques), autant en entraînant ses algorithmes de recommandation à faire preuve d’intelligence éditoriale, ils pourront être mis au service de l’accès, de la découverte et de la consommation de la riche diversité de contenus disponibles en ligne.

Nous ne saurions conclure cette réflexion sans suggérer que les mesures de gouvernance par les algorithmes puissent être accompagnées de nouvelles possibilités offertes aux utilisateurs de choisir personnellement les réglages des algorithmes, selon leurs préférences et leurs préoccupations. On parle ici de « jouabilité » Note de bas de page 28, soit la capacité à interagir librement avec un algorithme et qui serait une caractéristique propre à une nouvelle génération d’« algorithmes exemplaires », susceptibles d’intégrer et de s’adapter à nos propres critères et désirs de découvrabilité et de diversité. Il importe donc de s’approprier de ces technologies et de les utiliser à meilleure fin, en les adaptant à des idéaux de qualité et de diversité (et non uniquement de popularité), afin de remplacer à long terme les environnements captifs liés à la dictature des algorithmes par une recommandation intelligente de grappes de contenus de niche diversifiés, issus de sources différentes (Brunet, p. 245-246). Il serait également très prometteur d’envisager, par exemple, le développement de partenariats innovants entre le secteur privé, le secteur public, la société civile et le milieu académique autour de projets de recherche appliquée ou d’actions concertées, visant à analyser des processus ou des phénomènes nouveaux, à l’intersection des problématiques relatives à la connaissance des auditoires, aux conditions ou expériences de réception et d’usages des contenus, au rôle des algorithmes dans la structuration de l’offre culturelle, ainsi qu’aux enjeux de découvrabilité et de consommation d’une diversité de contenus locaux, nationaux ou régionaux en ligne.

Annexe 1 – Analyse comparative des initiatives, mesures et politiques en matière de promotion de la diversité des contenus en ligne

En Australie, bien que les autorités publiques en charge de la culture n’accordent pas un traitement spécifique à l’enjeu du numérique dans la politique culturelle du pays, elles sont très favorables et sensibles à la promotion des expressions culturelles via les médias et plateformes numériques. Le gouvernement australien serait ainsi prêt à s’engager sur des mesures telles que l’adaptation de quotas aux entreprises de vidéos à la demande ainsi que des obligations de contribution de ces entreprises au financement de la création et de la diffusion de nouveaux contenus culturels australiens, notamment dans les secteurs du film, de l’audiovisuel et de la musique. En supprimant par exemple les droits de licence de radiodiffusion qui n’étaient plus adaptés au nouvel environnement numérique et qui ne s’appliquaient qu’aux médias traditionnels, le gouvernement cherche à accroître l’investissement dans la production et la diffusion de contenu local/national de haute qualité, de sorte à pouvoir concurrencer l’offre des fournisseurs de contenus étrangers. Rappelons que depuis 2017, l’Australie a entamé une vaste réflexion sur les effets concurrentiels des moteurs de recherche et des plateformes numériques sur les marchés nationaux des médias et des services de publicité, avec une enquête en cours.

Par ailleurs, d’après le dernier rapport période quadriennalNote de bas de page 29 soumis par l’Australie en 2018, en guise de suivi de la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO de 2005, le pays privilégie un ensemble de mesures et initiatives visant à soutenir :

  1. le développement d’une offre de services numériques des radiodiffuseurs publics (comme l’Australian Broadcasting Corporation/ABC et le Special Broadcasting Service/SBS) avec des contenus diversifiés et non-linéaires ;
  2. des réformes améliorant d’une part l’accessibilité en ligne de documents protégés par le droit d’auteur pour les Australiens souffrant de déficience visuelle, auditive ou intellectuelle et d’autre part l’utilisation plus simplifiée de documents protégés par le droit d’auteur dans l’environnement numérique pour les établissements d’enseignement ; et
  3. la protection et la promotion des langues, des arts et de la culture des populations indigènes d’Australie, avec des actions ciblant la numérisation des collections muséales ou littéraires, dans une optique de diffusion aux échelles nationale et internationale.

Concernant cette dernière catégorie de mesure, l’une des initiatives les plus emblématiques qu’on peut citer est sans doute le service « Trove »Note de bas de page 30, qui est décrit comme un service national de découverte du patrimoine culturel indigène géré et alimenté par la Bibliothèque nationale d’Australie. La plateforme Trove constitue un point d’accès unique à un large éventail de contenus traditionnels et numériques détenus par les bibliothèques australiennes, le ministère du patrimoine culturel et les organismes de recherche. Cette initiative favorise la découvrabilité de contenus locaux authentiques tels que les photos prises par des documentaristes, des reporters indigènes de renom sur l’auto-représentation de leurs peuples et communautés autochtones qui peuvent ainsi renouer avec une partie de leur histoire. La plateforme a permis depuis son lancement d’accroître effectivement l’accès à un important patrimoine documentaire et culturel australien assez méconnu jusque-là.Note de bas de page 31

Pour d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande, la priorité est consacrée aux mécanismes de financement innovants pour soutenir la création et accroître la présence de nouveaux contenus néo-zélandais sur de multiples plateformes numériques dans le but de pouvoir atteindre différents publics néo-zélandais. C’est ce qui a conduit à la création du Fonds des médias numériques (Digital Media Fund) qui cible le financement de projets de contenus numériques destinés en particulier à la stimulation de l’engagement et à la participation culturelle des jeunes publics ainsi que des projets vers la création et diffusion d’œuvres mettant en valeur les minorités ethniques comme les Maoris. Le projet « Wireless » a notamment été lancé par Radio Nouvelle-Zélande pour combler les lacunes de la fourniture de contenu de service public de haute qualité, ciblant les intérêts des 18-30 ans.

Dans les initiatives récentes en matière de soutien aux industries créatives à l’ère numérique, le Royaume-Uni s’est beaucoup plus focalisé sur des mesures relatives à la « démocratisation » et à « l’accès » aux contenus culturels et ne s’est pas encore véritablement montré enclin à une mise en œuvre de ces mesures dans une finalité de découvrabilité. Les mesures portent principalement sur le soutien à la diversité de l’offre, à l’expression de diverses formes de créativité et l’élargissement des auditoires. C’est dans cette visée que l'Arts Council a lancé une plateforme internet gratuite de contenu artistique : The SpaceNote de bas de page 32. Toujours est-il que le Royaume-Uni est très pro-actif dans le secteur du cinéma, avec des acteurs institutionnels de premier rang tels que le British Film Institute (BFI) ou le Department for Digital, Culture, Media & Sport (DCMS) et le Arts Council England (ACE). On peut mettre à l’actif du BFI par exemple l’initiative « Unlocking Film Heritage » qui s’est concrétisée par la création d’une plateforme numérique pour la préservation et la diffusion de la collection cinématographique du BFI, soit plus de 10 000 œuvres. On ne peut omettre d’indiquer ici l’effort en innovation et en expérimentations numériques réussies de la BBC. La BBC a en effet très vite compris qu’il importait de mettre l’emphase non pas sur le médium, mais plutôt sur l’attention des auditoires, la production et l’amplification de la diffusion de contenus britanniques de niche, de marque et de contenu télévisuel qui n’auraient pas assez de chances d’être découvrables sur les plateformes mondiales. Le média britannique a même décidé récemment de retirer ses émissions de Google Podcasts, parce que « Google dirigerait désormais les internautes qui recherchent les émissions de la BBC vers l’application Google Podcasts au lieu de rediriger ceux-ci vers BBC Sounds, l’application du médiaNote de bas de page 33 ». La BBC ambitionne notamment de devenir elle-même une plateforme de diffusion de podcasts (via sa propre application) afin de « protéger les créateurs de podcasts britanniques des grandes plateformes ».

En Amérique latine et centrale, des institutions gouvernementales dans des pays comme la Colombie, l’Équateur, le Mexique et surtout l’Argentine ont initié plusieurs actions en faveur de l’amélioration des infrastructures numériques pouvant faciliter l’accessibilité et la circulation en ligne des produits culturels numériques nationaux et régionauxNote de bas de page 34. Avec le Plan national des télécommunications, le Plan Argentine connecté, le projet Télévision numérique libre, le Programme national pour l’égalité culturelle ou encore le Programme fédéral pour Internet de 2016, l’Argentine s’est démarquée des autres pays par une politique fortement interventionniste, visant à encourager l’égalité des chances pour tous les citoyens en matière d’accès et de consommation de biens culturels locaux ou nationaux, par le biais des infrastructures/réseaux et les technologies/outils numériques. Le programme « Cultura Digital » créé en 2015 par le ministère de la Culture de l’Argentine a spécifiquement contribué à une meilleure observation systématique du processus de production, de diffusion et d'accès aux biens culturels argentins dans l’environnement numérique. Ces initiativesNote de bas de page 35 à visée inclusive ont également favorisé la démocratisation de la culture à l’échelle nationale ainsi qu’à la promotion des œuvres culturelles argentines (musicales, audiovisuelles et cinématographiques, notamment) à l’étranger. Plusieurs plateformes ont été développé dans le but spécifique de faciliter l'accès des citoyens à une diversité d’expressions culturelles en ligne, en particulier par le biais des bibliothèques, musées et archives virtuelles. Le développement de la plateforme Banca de la Música (Banque de musique) en 2012 est digne d’intérêt d’être mentionné ici puisque cette plateforme offre en libre accès des contenus musicaux appartenant au domaine public ou mis à disposition par leurs auteurs. Une autre plateforme similaire a été conçue pour le secteur audiovisuel. Il s’agit de la Banco Audiovisual de Contenidos Universales Argentinos (BACUA ou Banque audiovisuelle de contenus universels argentins), un agrégateur national proposant un abondant catalogue de ressources audiovisuelles numérique. On peut aussi citer l’exemple de la plateforme Odeón, portail de vidéos à la demande proposant des films, des séries, des documentaires et des courts-métrages nationaux, une initiative lancée en 2015 par l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels d’Argentine (INCAA). Tous ces exemples de plateformes d’initiative publique montrent l’importance de soutenir la création de plateformes nationales afin de proposer une offre alternative et diversifiée par rapport aux grandes plateformes internationales dont les catalogues sont dominés par des contenus étrangers. La société civile argentine est également très active dans l’organisation de concertations et de rencontres multi-acteurs à l’échelle nationale pour co-concevoir, réviser/adapter ou assurer un suivi de la mise en œuvre des politiques publiques et des mesures relatives aux cadre réglementaires et législatifs nécessaires pour réguler les activités de création/production, de diffusion/distribution et d’accès/consommation des biens et services culturels. C’est ainsi qu’a été initié depuis 2013 les Forums nationaux de la culture numérique, une manifestation de grande ampleur qui réunit annuellement les producteurs culturels, les entreprises numériques, les militants, les universitaires, les artistes et usagers pour une réflexion sur les opportunités et les défis des industries culturelles en Argentine à l’ère du numérique.

L’Allemagne ne dispose pas non plus d’un cadre de politique ou d’une stratégie spécifique en matière de promotion et de rayonnement des contenus locaux ou nationaux dans l’environnement numérique. Néanmoins, la politique culturelle a intégré dès les années 2000 des enjeux liés au numérique et à la diversité du contenu. Une loi pour l’amélioration de la bibliothèque nationale a notamment été votée en 2007 et permet d’accorder une importance accrue à l’utilisation des technologies numériques pour sauvegarder le patrimoine et faciliter son accès au plus grand nombre. Lancée depuis 2012, la bibliothèque numérique allemande (Deutsche Digitale Bibliothek ou DDBNote de bas de page 36) constitue un bel exemple de plateforme-vitrine ou d’agrégateurNote de bas de page 37 proposant un accès centralisé à tous les contenus numériques produits par l’ensemble des institutions culturelles et scientifiques allemandes. La DDB offre aux utilisateurs la possibilité d’effectuer des recherches dans le catalogue en utilisant des outils des mots-clés et des filtres, grâce à des métadonnées incorporées aux contenus de différentes collections et les résultats de recherche ne sont pas influencées par des intérêts commerciaux. Selon Matthias Harbort, responsable des nouveaux médias au département de la culture et des médias du gouvernement fédéral au moment du lancement de la DDB, la plateforme permet de naviguer sur la base de relations sémantiques entre les objets trouvés et pourra donc orienter vers un contenu inattenduNote de bas de page 38 ; ce qui constitue un véritable levier de découvrabilité par sérendipidité. Rappelons que le projet de déploiement de la DDB a mobilisé a total un investissement de 24 millions d’euros de la part du gouvernement fédéral avec un catalogue de départ constitué d’environ 5,6 millions de contenus.

Le gouvernement fédéral allemand a par ailleurs prévu un certain nombre de mesures ciblant la culture dans l’élaboration de son document de politique numérique, intitulé « Digital Agenda 2014-2017 »Note de bas de page 39. C’est le cas des mesures et actions visant la continuité du vaste chantier de numérisation du patrimoine culturel ainsi que l’amélioration des conditions relatives à la diffusion de contenus culturels de haute qualité numérique. D’importantes mesures ont été par exemple prises pour soutenir le virage numérique de l’industrie musicale à travers l’acquisition de nouveaux équipements numériques pour les salles de spectacle, contribuant ainsi à la numérisation dans le domaine des arts de la scène.

On peut en outre mentionner plusieurs mesures touchant la mise à disponibilité et l’accessibilité en ligne d’œuvres rares et « sans propriétaires » ainsi que le développement d’un réseau de compétences en numérisation pour combler et renforcer les besoins de littératie numérique des institutions culturelles et des artistes. Dans un contexte de convergence caractérisé par la multiplication des opérations de fusion/acquisition entre plusieurs groupes médiatiques allemands, un certain nombre de mesures réglementaires ont été adoptées afin de contrôler les effets de concentration. Ces mesures visent un meilleur encadrement du rôle joué par les intermédiaires d’Internet, notamment :

  1. la réglementation à des fins de transparence, obligeant les intermédiaires d’Internet à « divulguer les critères centraux pour l'agrégation basée sur des algorithmes, la sélection et la présentation du contenu et leur pondération, y compris les informations sur le fonctionnement des algorithmes utilisés » et les critères (de décision)Note de bas de page 40 ;
  2. l’élargissement du concept de plateforme dans le Contrat public de radiodiffusion) afin d'inclure les nouvelles formes de médias numériques telles que les plateformes de télévision virtuelle, les services de vidéo à la demande et les télévisions intelligentes. Dans le secteur de l’audiovisuel, on peut souligner les efforts fournis par les télédiffuseurs publics comme la ZDF et l’ARD pour développer leurs propres médiathèques en ligne et leurs plateformes numériques, proposant ainsi le streaming de leurs émissions. Quant au diffuseur international, Deutsche Welle, la chaîne continue de contribuer à la diplomatie culturelle allemande en produisant et en diffusant dans le monde entier des programmes sur Internet en allemand et dans 29 autres langues.

En ce qui concerne des mesures de financement des médias locaux/nationaux, la Commission allemande de l’UNESCO, qui a fait du thème de la diversité dans l’environnement numérique sa priorité en 2016, examine diverses formes de financement collectif en complément du financement par des redevances privées (redevances médiatiques, forfait culturel, financement par des fondations) pour les nouveaux médias numériques. Pour l’heure, l’Allemagne applique une redevance élevée, payable par les citoyens et qui constitue une alternative pertinente au système de taxe basé sur l’utilisation ou la possession d’un téléviseur, sachant que les Allemands passent de plus en plus de temps quotidiennement à consulter des contenus via Internet que par la téléNote de bas de page 41. D’ailleurs, il est important de mentionner que le marché allemand de la Vidéo à la demande par abonnement (SVOD) est en pleine croissance, générant près de 1,39 milliards d’euros de revenus, soit 76% des ventes numériques totalisées au cours de l’année 2019. Le marché de la SVOD reste très concentré puisque ce sont les géants Amazon Prime Video (38,2%) et Netflix (26,1%) qui se partagent 64% du marché du streaming par abonnementNote de bas de page 42. Toutefois Goldmedia souligne que le marché allemand ne se résume pas aux grands services internationaux car, on y trouve aussi des offres locales comme par exemple MagentaTV de Deutsche Telekom ; Giga TV avec Vodafone, mais aussi de plus petites plateformes comme Chili, Flimmit, Alleskino, Realeyz, Pantaflix ou Kividoo.

En Belgique, le Gouvernement flamand a pris l’initiative de mettre en place un cadre politique pour la culture numérique basé sur quelques principes en lien avec des objectifs d’accessibilité et de découvrabilité systémique de contenus culturels numériques diversifiés : « La numérisation demande un changement complet de la production culturelle, de la distribution et de la consommation. Afin de tirer pleinement parti des avantages de la numérisation, les organisations culturelles doivent constamment innover, en accordant la priorité aux besoins des utilisateurs. Le contenu culturel numérique doit être facile à trouver et doit être géré efficacement. Cet objectif serait atteint plus efficacement si les organisations culturelles partagent en réseau leur contenu et leurs processus (cf. « Cultural commons approach »). Le gouvernement joue le rôle de distributeur et de facilitateur et met des instruments à disposition qui rendent la coopération attrayanteNote de bas de page 43 ». Toujours au sein de la communauté flamande, l’accent est beaucoup mis sur des politiques en matière d’éducation culturelle et d’éducation aux médias s’appuyant sur des plateformes collaboratives de mise en réseaux d’acteurs, de mutualisation de ressources culturelles et de compétences numériques. Ces actions sont menées par les gouvernements, mais en collaboration étroite avec des ONG locales. Mentionnons pour terminer l’initiative de la radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF), qui a mis en ligne sa plateforme de vidéo à la demande, AuvioNote de bas de page 44, qui rassemble toute l’offre exclusive de contenus audio et vidéo nationaux. Auvio facilite ainsi la découverte d’une diversité d’expressions culturelles belges, en particulier de nouveaux talents par l’entremise de sa plateforme disponible et accessible dans tous les pays membres de l’Union Européenne (UE). Grâce à son volet Webcréation, la RTBF propose une variété de webséries et de webdocumentaires qui mettent en valeur de nouveaux talents belges en quête de visibilité.

Si la tendance au développement de plateformes nationales de vidéos à la demande par des radiodiffuseurs publics constitue un moyen efficace pour accroître la visibilité et rendre plus accessible des contenus locaux et nationaux, alors la Finlande est certainement passée maître en la matière avec la plateforme video/audio, Yle AreenaNote de bas de page 45, gratuite et sans publicité. En effet, alors qu’il y a à peine deux ans Netflix s’imposait encore comme la première chaîne de télé en Finlande, cette tendance a complètement changé aujourd’huiNote de bas de page 46. Et pour cause, les résultats affichés par la plateforme sont spectaculaires : 78% des 5,5 millions de Finlandais consulte quotidiennement la nouvelle plateforme Yle Areena et ce ratio passe à 94% si l’on fait le calcul sur une base hebdomadaire. Parmi les ingrédients de ce succès, on note le fait que cette plateforme a fait le pari de prioriser et de mettre en valeur dans son catalogue les productions nationales très attrayantes et qui accrochent le public, avec des histoires auxquelles il s’identifie. En effet, en 2019, la moitié des trois cents séries disponibles sur la plateforme Areena étaient d’origine locale et trois d’entre eux sont sortis en tête des émissions les plus vues, à savoir: « M / S Romantic”, « Modernit Miehit » (“Modern Men”) et la série d’animation « Moominvalley » devenue un succès mondialNote de bas de page 47. Soulignons également l’atout important de la coopération avec les autres TV nordiques (notamment par le biais de l’association Nordvision) qui a favorisé la mise à disposition et le partage d’un grand nombre de fictions nordiques de bonne qualité, avec un droit d’exploitation d’un an. D’autres pays nordiques comme la Suède ont d’ailleurs bénéficié de ce contexte d’opportunités numériques qui permet aux diffuseurs publics de se réinventer et de reconquérir à partir de leur offre VOD en ligne les abonnés perdus au niveau de leur offre TV, notamment les jeunes.

Pour sa part, la France s’est engagée dans plusieurs chantiers dont celui de création d’un Fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique de la musique enregistrée avec pour objectif de contribuer à l’amélioration et à l’enrichissement de l’offre légale, dans toute sa diversité. Elle a également adopté une stratégie numérique de protection et de promotion de la diversité culturelle dans le secteur du livre et des industries culturelles face aux défis de la numérisation et de l’Internet, l’objectif étant : « d’assurer dans le domaine du numérique la défense du droit d’auteur, la diversité des productions culturelles, le renouvellent des talents et la garantie de l’accès à l’offre pour le plus grand nombre tant sur le plan quantitatif et qualitatif, ainsi que la diversité linguistiqueNote de bas de page 48 ». Notons que des organisations comme la Coalition française pour la diversité culturelle ou la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) ont symboliquement contribué au cours des dernières années à travers des événements internationaux et des études à sensibiliser sur les enjeux entourant les questions de diversité culturelle, de mise en valeur et de traçabilité des œuvres ainsi que de rémunérationNote de bas de page 49 équitable des créateurs pour l’exploitation de leurs œuvres en ligne.

En outre, la France défend toujours son exception culturelle et la diversité de son offre cinématographique et audiovisuelle, notamment dans l’environnement numérique. Elle a ainsi pu obtenir depuis 2017 de faire payer aux géants américains du Web (YouTube/Google, Amazon/PrimeVideo Netflix, Apple/iTunes) une « taxe vidéo », correspondant à 2% de leurs revenus générés en France et qui serait reversée au Centre national de la cinémathèque (CNC). Il est à souligner que la future loi sur l’audiovisuel en France risque d’être encore plus contraignante pour les plateformes comme Netflix qui vont devoir non seulement produire beaucoup plus de fictions françaises (25% du chiffre d’affaires réalisé en France devrait être réinvesti dans des œuvres européennes, principalement françaises), mais également consacrer 45% du montant investi à des films de cinéma sortant en salles et que le plateforme ne pourrait pas proposer immédiatement dans son catalogue compte tenu de la règle de la chronologie des médias.Note de bas de page 50

À l’instar des autres diffuseurs publics en Europe, France Télévisions, le diffuseur public français, a dû aussi depuis mai 2017 se lancer aussi dans la bataille de l’attention et de la visibilité, en regroupant l’intégralité de ses contenus sur une plateforme unique, France.tv. Pour s’adapter à la nouvelle reconfiguration du paysage audiovisuel français fragilisé par la concurrence frontale des plateformes internationales, France Télévisions s’est stratégiquement associée à des entreprises privées (TF1 et M6) pour créer un service commun de vidéo à la demande, dénommé SaltoNote de bas de page 51. La plateforme n’assume pas toutefois (du moins pour le moment) un positionnement de vitrine de contenus nationaux « Made in France ». On estime à un montant de 200 millions d’euros les investissements que France Télévisions prévoit dans les programmes numériques d’ici 2022Note de bas de page 52. Par ailleurs, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) propose un catalogue de vidéos à la demande dont l’objectif est de : « simplifier l’accès à l’ensemble des offres légales existantes en les rendant à la fois plus visibles et plus lisiblesNote de bas de page 53 » sur ce site et sur ceux des partenaires de l’initiative.

Tous ces bouleversements du marché de l’audiovisuel, avec la diminution de l’audience des chaînes de télévision observée dans la plupart des pays occidentaux, et pas seulement en France, s’expliquent évidemment par l’essor d’une nouvelle économie de l’audiovisuel tirée vers le haut par des géants comme YouTube et Netflix. En effet, « on passe d’un système où on regardait la télévision en direct, parce qu’il n’y avait que cela, à un autre équilibre où la télévision en direct ne pèsera plus que la moitié du temps d’écran, l’autre moitié étant consacrée à parts égales à la télévision de rattrapage (ou télévision non linéaire), aux plateformes vidéo (Youtube) et à la SVOD. » (Le Diberder, 2019, p.7). Ainsi, la flexibilité des plateformes numériques ou de la flexibilité de la nouvelle offre en audiovisuel fragmente le public de la télévision traditionnelle et ce, dans plusieurs régions du monde. En termes de volume de temps passé devant les écrans dans le monde, « en 2018, la télévision, c’est plus de cinq cents fois le cinéma, et la planète passe déjà sur Netflix huit fois plus de temps qu’au cinéma, mais quatre fois moins que sur Youtube. » (Le Diberder, 2019, p.117).

La France a aussi poursuivi, aux côtés des gouvernements du Canada et du Québec, des activités de plaidoyer international en faveur de la promotion et de la protection de la diversité des expressions culturelles, dans les grandes enceintes internationales comme à l’UNESCO, à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ou au Forum des Nations Unies sur la Gouvernance d’Internet, etc. Elle a pris activement part aux débats et aux processus qui ont conduit à l’adoption des nouvelles directives de mise en œuvre de la Convention de 2005 dans l’environnement numérique.

La Déclaration conjointe sur « La diversité culturelle et l’espace numérique », signée par les gouvernements du Canada et de la France en avril 2018, souligne la volonté commune de ces deux pays à soutenir la promotion et la diffusion des contenus culturels de langue française dans l’espace numérique, dans un contexte de multiplication de contenus sur le Web. La Déclaration met entre autres l’accent sur la nécessité de « faciliter la disponibilité et la diffusion de contenus culturels numériques afin d’en améliorer l’accessibilité et d’en accélérer la création et la réutilisation » et de « promouvoir la transparence dans la mise en œuvre des traitements algorithmiques et leur impact sur la mise à disposition et la découvrabilité des contenus culturels numériques, notamment s’agissant de classement, de recommandations et d’accès aux contenus locaux »Note de bas de page 54.

Du côté du Canada, une importante réflexion est actuellement menée sur l’adaptation du système de radiodiffusion à l’ère du numérique. Un processus récent d’examen des cadres règlementaires et législatifs en matière de radiodiffusion et de télécommunications a débouché sur la production d’un rapport intitulé « L’avenir des communications au Canada. Le temps d’agir » Note de bas de page 55. Produit par un comité d’expertsNote de bas de page 56, le rapport décrypte les nombreux éléments caractérisant la transition numérique que subit le Canada et recommande pour l’avenir un ensemble de mesures visant à rétablir une équité et à inciter tous les acteurs du système de radiodiffusion à trouver des approches nouvelles et efficaces pour soutenir durablement la création, l’accessibilité et la diffusion d'une programmation captivante et diversifiée. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) vise très clairement à accroître la visibilité et la disponibilité des émissions canadiennes et du contenu canadien sur les plateformes en ligne.

Le rapport de 260 pages sur l’avenir des communications au Canada constitue un manifeste pour une transformation en profondeur de l’écosystème culturel et médiatique. Parmi les 97 recommandations faites par les experts, nombreuses sont celles qui incluent de nouvelles obligations en termes de découvrabilité et de diversité pour les géants du Web qui bénéficiaient depuis 1998 d’une ordonnance d’exemption qui ne les soumet pas à la même réglementation que les entreprises canadiennes de radiodiffusion. Parmi les exemples de recommandation qui concernent le propos du présent document, on peut mentionner :

  1. exiger des entreprises étrangères de contenu médiatique (plateformes Web de diffusion comme Netflix ou Spotify) qu’elles perçoivent et remettent la taxe TPS/TVH, comme le font leurs concurrents canadiens que sont Illico ou Tou.tv ;
  2. veiller à ce que les entreprises contribuent de manière optimale à la création, à la production et à la découvrabilité du contenu canadien;
  3. imposer des exigences en matière de découvrabilité à toutes les entreprises de contenu médiatique, à l'exception de celles dont l'objet principal est de fournir un service de diffusion de contenu alphanumérique de nouvelles sur lesquelles elles exercent un contrôle éditorial;
  4. imposer des obligations de découvrabilité à toutes les entreprises de contenu audio ou audiovisuel de divertissement, comme il l'estime approprié, y compris des obligations de catalogue ou de présentation; des obligations de mise en valeur; l'obligation d'offrir des choix de contenu médiatique canadien; des obligations de transparence, notamment envers le CRTC quant au fonctionnement des algorithmes, y compris des exigences d'audit ;
  5. mettre en place un organisme public unique chargé du financement pour la création, la production et la découvrabilité des productions canadiennes sur tous les supports de diffusion. Cet organisme regroupera les fonctions du Fonds des médias du Canada et de Téléfilm Canada ;
  6. afin de promouvoir la découvrabilité du contenu canadien de nouvelles, imposer aux entreprises d'agrégation et de partage de média les exigences suivantes, s'il y a lieu : des liens vers les sites Web de sources canadiennes de nouvelles exactes, fiables et dignes de confiance afin d'assurer la diversité des voix; des règles de mise en valeur pour donner une visibilité et un accès à ces sources de nouvelles.

Sans préjuger des mesures effectives qui seront prises par le gouvernement du Canada pour faire suite aux recommandations que nous venons de mettre en exergue, il semble que le Canada dispose d’une occasion unique pour actionner les leviers règlementaires et institutionnels pour une politique culturelle révolutionnaire au service de la découvrabilité et du rayonnement de la diversité du contenu canadien dans l’environnement numérique.

En attendant, on peut évoquer des initiatives pertinentes en matière de découvrabilité, comme le site Web « Vue sur le Canada » qui entre dans le cadre d’une stratégie nationale de promotion du contenu canadien. Mise au point par Téléfilm Canada, le Fonds des médias du Canada (FMC) et la Canadian Media Production Association, elle réunit toutes les initiatives de promotion du contenu audiovisuel canadien susceptibles d’interpeler divers publics au Canada et à l’étranger. Considérée comme une marque-vitrine, que tous les Canadiens peuvent utiliser, l’initiative « Vue sur le Canada » a permis d’engager la conversation, de célébrer et de promouvoir la diversité et la qualité du contenu audiovisuel canadien (incluant les longs métrages, les productions télévisuelles et les médias numériques).

Évoquons également les mesures incitatives pour les coproductions en médias numériques prises par le Fonds des médias du Canada (FMC) et qui permettent de soutenir les coproductions internationales, contribuant à la découvrabilité et au rayonnement à l’étranger des œuvres ainsi coproduites. Plusieurs programmes de coproduction ont pu être expérimenté avec la Nouvelle-Zélande et la Wallonie.

Au Québec, le Ministère de la culture et des communications a élaboré et mis en œuvre depuis 2014 un plan culturel numérique qui comporte plusieurs mesures ciblant prioritairement la découvrabilité et le rayonnement des contenus culturels québécois. À titre d’exemplesNote de bas de page 57, on peut énumérer les mesures suivantes : 19) Créer des contenus interactifs et personnalisés, de même que des applications mobiles pour divers publics cibles ; 102) Déployer une approche commune relative aux données numériques; 116) Appuyer la création d’un pôle d’expertise sur les données massives en arts et culture); 118) Favoriser la découvrabilité du cinéma québécois et de la cinématographie étrangère sur le territoire du Québec) ; 119) Accroître la diffusion de contenus culturels francophones en bonifiant le site telequebec.tv.

En mars 2019, le Québec et la France ont lancé une mission conjointe sur les enjeux liés à la présence et à la visibilité des contenus culturels francophones sur Internet, notamment sur les grandes plates-formes de diffusion transnationales, afin de favoriser la découvrabilité des artistes et des créations provenant de pays francophones.

Il y a deux organisations de la société civile qui ont été particulièrement actives au cours des trois dernières années sur la défense des enjeux de souveraineté culturelle du Québec et du Canada à l’ère numérique. Il s’agit de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle ainsi que la Coalition pour la culture et les médiasNote de bas de page 58. Ces deux organismes ont respectivement mené une campagne (SauvonsNotreCultureNote de bas de page 59) et rédigé un ManifesteNote de bas de page 60 pour le rayonnement et la pérennité de la culture et des médias du Canada. Le point de départ de ces actions remonte à septembre 2017, lorsque le gouvernement du Canada a annoncé que Netflix Canada s’engageait à produire du contenu canadien original pour une valeur de 500 millions de dollars sur cinq ans. Cependant cette annonce ne précisait pas quelle part du montant irait par exemple au contenu de langue française et aucune mesure fiscale n’avait été prise à l’époque. Cette décision avait à l’époque suscité quelques critiques au Québec, en particulier dans les milieux de la culture et des communications.

À l’échelle de la Francophonie, il y a un projet très novateur porté par TV5MONDE qui consiste au développement d’une plateforme de vidéo à la demande gratuite et accessible partout. Selon Yves Bigot, directeur général de TV5MONDE : « La plateforme TV5MONDEplus assurera la découvrabilité planétaire en ligne des contenus et des œuvres francophones – françaises, canadiennes, belges, suisse et africaines – grâce à la collaboration avec l’ensemble de nos chaînes partenaires et tout particulièrement TV5 Québec Canada »Note de bas de page 61. Avec un investissement de départ de 14,6 millions de dollars du gouvernement canadien, la plateforme TV5MONDEplus sera lancée mondialement en septembre 2020 et prévoit un catalogue qui sera constitué d’œuvres (cinéma, fiction, documentaires) mais aussi de programmes de flux (magazines, divertissement, etc.) qui contribueront au rayonnement des créations audiovisuelles francophones à l’international.

Au sein de l’Union Européenne, les médias audiovisuels sont régulés principalement par la Directive sur les Services des Médias Audiovisuels, dite la Directive SMA, dont une version révisée a été adoptée en novembre 2018. Les articles 13, 16 et 17 de la directive assurent la promotion des œuvres européennes et œuvres issues de producteurs indépendants dans les services de radiodiffusion télévisuelle linéaires (les chaines de télévision classiques, Art 16&17) et les service de vidéo à la demande non linéaires (les nouveaux services, notamment en ligne, Art 13)Note de bas de page 62. Au départ, la législation permettait d’appliquer les objectifs de diversité culturelle et de visibilité des œuvres en télévision et en radio par des mesures traditionnelles de quotas de diffusion adaptées uniquement à l’environnement analogique. Mais suite à l’initiative de révision de la Directive services médias audiovisuels (SMA), ce cadre légal s’est progressivement élargi aux services en ligne.

La Directive 2018/1808 rend obligatoire une proportion de minimum de 30% d’œuvres européennes présentes au sein des catalogues des services VOD, ainsi qu’une obligation de mise en valeur ou de promotion de celles-ci. Trois options permettent la mise en place concrète de ces obligations :

  1. les mesures de quota de catalogue (approche calquée sur les obligations traditionnelles linéaires) ;
  2. les mesures accordant une place particulière accordée aux œuvres au sein des catalogues et matériel de promotion des services, l’obligation de « proéminence » des œuvres européennes;
  3. les mesures exigeant une contribution financière de ces services à la production des dites œuvres.

Parmi ces trois types de mesures, c’est la proportion d’œuvres locales/nationales et européennes présentes dans le catalogue qui a été la mesure la plus transposée (par 16 états membres, avec des degrés d’exigence parfois très élevées au niveau de la proportion : 60% en France ; 50% en Autriche et en Lituanie). Lors de la transposition de la directive SMA 2010/13/UE, 11 ÉtatsNote de bas de page 63 ont transposé l’obligation quand cela est réalisable, dont 8 en appliquant le texte de la directive à la lettre. 4 ÉtatsNote de bas de page 64 ont rendu la mise en valeur obligatoire sans donner pour autant une définition. 7 États-membresNote de bas de page 65 proposent des lignes directrices quant à la définition et l’implémentation de la mise en valeur. De manière générale, deux aspects de la promotion ont été soulignés : la création des espaces réservés aux œuvres européennes ainsi que leur présentation attractive dans les catalogues (Irgacheva, 2019).

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